Un interrogatoire n'était jamais à prendre à la légère. D'autant plus lorsqu'il était lié à une affaire particulièrement délicate. Et si d'ordinaire, ce type d'interrogatoire était le domaine presque exclusif de ces danseuses d'auror. Sauf qu'apparemment, ils semblaient bien dans la merde, parce qu'à ma grande surprise, le département de la Justice Magique réquisitionna tous les membres compétents et volontaires pour assurer ces interrogatoires. Ne doutant pas une seconde que mon talent de legilimens avait clairement pesé dans la balance. Parce qu'avec moins de deux ans d'ancienneté dans les lieux, je n'étais sûrement pas le candidat idéal pour eux... Bref. Y'avait eu une réunion à la brigade, histoire de se mettre d'accord sur la conduite à avoir - éviter les conneries, dixit Garrett -. Ce qui était sûr, c'était que je n'allais pas rater l'occasion de montrer de quoi j'étais capable à tous ces politiciens pétris d'arrogance. La bonne nouvelle du jour: le plus parfait des acolytes. Niven. Ce petit gars qui malheureusement s'était perdu chez les aurors, alors qu'il avait un potentiel de dingue. Mais je ne désespérais pas de le faire passer du côté -obscur - de la brigade de capture des loup-garous un jour. Observant le dénommé Andrew Pennington à travers la vitre sans teint, je repassais en revue mentalement toutes les informations que j'avais sur lui. La mine sérieuse -pour une fois-, je fronçais les sourcils. Il était trop calme. Trop sûr de lui. "Tu vois, cet homme? C'est le genre de mec à se croire intouchable parce que ça fait des années et des années qu'il travaille ici. Parce qu'il est sûr de pouvoir s'en sortir. Tu peux être sûr qu'il va nous regarder de haut. Parce qu'il nous prendra pour des petits cons sans expérience. Le but du jeu c'est de lui démontrer qu'il a tord sur toute la ligne et qu'il ferait mieux de parler, parce que sinon ça va mal se passer." que je disais d'un air déterminé à l'intention de mon jeune partenaire de crime. Considérant que nous avions suffisamment attendu, j'entraînais Niven avec moi jusqu'à la porte menant à la salle. M'arrêtant juste avant d'entrer, mon regard se planta dans celui du stagiaire et ma voix se fit plus sérieuse encore: "Tu observes, tu prends des notes et si t'as des questions pertinentes, on verra. Une connerie et je te fous dehors, c'est clair?" Pas question qu'on me reproche de foirer un interrogatoire. Le travail, c'était une partie trop importante de ma vie pour que je le foute en l'air. Entrant tous les deux dans la pièce silencieuse, mes prunelles sombres s'attardèrent sur la silhouette droite assise sur une chaise. M'asseyant face à lui, Niven à mes côtés, je ne le lâchais pas une minute du regard, bien conscient qu'il s'agissait aussi d'une bataille d'égo. Ma stature me donnait un certain avantage de ce point de vue là. "Dites-moi, Monsieur Pennington, pourquoi n'avez-vous jamais cherché à évoluer dans votre travail?" Objectif: déstabiliser par une question qui n'avait rien à voir avec l'affaire. Tester ses limites et son agacement. Et si je passais pour un incapable à ses yeux, c'était aussi pour le conforter dans ses certitudes et pouvoir mieux les détruire plus tard.

Confortablement assis sur la table, face au miroir de la salle d'interrogatoire, Niven snobait royalement le dossier du sorcier qui les attendait depuis bien une heure. Ses pieds se balançaient sur un rythme que seule sa tête entendait, les deux mains accrochés de par et d'autre de ses cuisses alors qu'il suivait du regard Asher, bien plus sérieux et concentré que lui. Le jeune Moonfall, lui, n'était là que par pure obligation et même si l'idée d'un interrogatoire lui faisait bien plus plaisir que de ranger les dossiers dans les archives, il avait bien conscience que cette enquête était le dernier appât qu'avait trouvé Miss Zhao pour l'intéresser.

Le seul hic étant qu'il s'en foutait, lui, de l'enquête. Il mastiquait un bout de gomme en hochant la tête, ravie de partager du temps avec Asher, son préféré des coups d'un soir. Sourire de couillon heureux sur le visage, Niven s'était redressé et sauté sur ses deux pieds quand son acolyte avait reprit la parole « dit moi qu'on va jouer au good cop, bad cop ? S'il-te-plait, c'est le seul truc marrant et Pond me laisse jamais faire. Laisse moi être le bad cop, allez » Le jeune stagiaire s'était arrêté net à quelques centimètres de lui, quand il s'était retourné pour le mettre en garde (et anéantir son plan) « Tu observes, tu prends des notes et si t'as des questions pertinentes, on verra. Une connerie et je te fous dehors, c'est clair ? »

Il avait soufflé fort tout en lâchant un « okay » désabusé, levant néanmoins les deux pouces pour signifier qu'il avait bien compris le message, avant de le suivre dans la pièce, posant un regard qu'il tentait de rendre neutre sur leur suspect. Niven copia Asher et se grandit un peu sur sa chaise, s'accoudant à la table, ignorant superbement le contraste saisissant entre le cuir noir d'Asher et sa propre chemise à fleur ouverte sur un t-shirt blanc. Il retint de justesse ses réactions face à la question de son partenaire, se souvenant parfaitement que le message avait été clair : pas de bêtises.

Regard fixé sur le juriste à l'ambition aussi désespérément creuse que mon estomac à mesure que les minutes passaient. J'en avais déjà marre alors que ça venait à peine de commencer. Même quand j'étais auror, les interrogatoires n'avaient jamais été ma spécialité, je préférais le boulot de terrain, débusquer les criminels, entrer dans leur esprit pour les déstabiliser et les servir sur un plateau d'argent à mes collègues. Avec Niv à mes côtés, je n'étais pas non plus spécialement à l'aise. Ouais, j'avais peur qu'il fasse des conneries le petit. Il avait pas intérêt à l'ouvrir sinon ça finirait mal. Le suspect finit par me décocher un regard condescendant qui ne ne me fit que sourire. Suffisait de voir qu'il préférait regarder Niv pour comprendre qu'il n'était pas à l'aise avec ces questions. Même s'il donnait l'impression que ça lui passait au dessus de la tête. Sourire cabochard. Haussement d'épaules. "Comme on va passer un certain temps ici, je voulais juste apprendre à vous connaître un peu. Pour le coup, je trouve que Kanakys avait un rôle beaucoup plus important que le vôtre. Vous le connaissiez bien?" demandais-je l'air de rien, mon regard cherchant à se fixer dans le sien, fuyant. You coward. Sa réflexion, loin de m'emmerder, me fit beaucoup rire. De ce rire bruyant que mes collègues détestaient. Très américain en somme. Très classe moyenne. "C'est pas moi qui irais vous apprendre votre métier, hein. Mais bon, un suspect silencieux, c'est juste.... suspect." Jetant un oeil à Niv, je m'adossais à ma chaise, prenant l'air de jauger l'homme en face de moi. En une fraction de seconde, presque instinctivement, j'effleurais son esprit. Juste un peu. Juste un peu plus. Histoire de capter des pensées, des images peut-être, en lien avec mes questions. Juste assez pour lui donner quelques maux de tête, mais rien de fâcheux.
Montrez-vous ce que vous avez en tête...

Bloqué. L'homme en face de nous n'était pas né de la dernière pluie, et il ne semblait pas prêt à se laisser faire. Un connard de première, qui se pensait le roi du monde dans son petit milieu, mais qui n'était rien d'autre qu'un pète-cul condescendant et pleins de certitudes. Il faisait le malin parce qu'il se retrouvait face à un gamin et face à un membre de la brigade de capture des loups. Il se pensait intouchable. Mais il ne me connaissait pas. Jauger l'adversaire. Tester ses résistances pour mieux l'attaquer sur le terrain sur lequel il était le plus vulnérable. Et plus il me sous-estimait, plus j'avais de chances qu'il fasse des erreurs et se mette à me dévoiler des indices sur sa culpabilité - ou non. Il répondit évidemment qu'il ne connaissait pas bien la victime. Et si je m'apprêtais à entrer dans son esprit, l'entrée d'un certain procureur dans la pièce coupa court à mon intervention. Je ne laissais rien paraître quand il renvoya poliment le gamin - il avait pas tord après tout, le petit ne faisait que nous desservir - comme si j'avais su depuis le début que ça allait se passer comme ça. Comédien, je savais l'être quand je voulais. La question du procureur alerta tous mes sens, et je sus ce que j'avais à faire. L'insistance du magistrat était claire, et surtout il permettait au suspect de directement penser à la question qu'il venait de poser. Alors, presque immédiatement, mon esprit effleura le sien, avant d'y pénétrer totalement, recherchant précisément les souvenirs qui lui venaient en tête. Il avait passé la nuit au bureau et... il n'avait pas croisé Kanakys surtout. Mon regard croisa celui du magistrat. Ce gars-là n'était pas le coupable. "Monsieur Pennington, avez-vous croisé quelqu'un cette nuit-là? Ou peut-être avez-vous remarqué quelque chose d'étrange?" demandais-je au juriste, mon ton plus sérieux et moins léger qu'auparavant. Les choses avaient changé. Les cartes étaient redistribuées.