J'étais un peu piteuse, avec mes malles, mes valises, la cage avec Boule-de-plumes dedans et Gospel devant la porte close de la maison que j'avais occupée pendant un an avec Ymkje. J'aurais pu rester dedans, chercher de nouveaux colocataires, mais je n'en avais pas la foi. Surtout, je me voyais mal expliquer pourquoi à la cave, il y avait une pièce dissimulée avec un matelas miteux et abîmé dessus. Du coup, j'avais dit à Ymkje qu'elle pouvait donner notre préavis à la propriétaire. Bien sûr, j'en éprouvais un pincement au coeur. J'avais vécu beaucoup de choses, dans cette maison. Mais au moins, j'allais pouvoir faire table rase du passé et contiuner à avancer. Ou plutôt, recommencer à avancer. J'avais beau avoir, moi-même, pris la décision de quitter Jolan, une partie de moi avait continué pendant des mois à attendre son retour dans cette maison qui me le rappelait à chaque coin de pièce. C'était insupportable. Invivable et j'avais un peu peur de qui j'aurais pu rencontrer comme futurs colocataires si j'avais décidé de rester là. Parce qu'une maison avec quatre chambres, c'était trop grand pour moi.

A la place, j'avais demandé au secrétaire de l'université s'il était possible de revenir vivre sur le campus, mais à deux mois de la fin de l'année universitaire, ce n'était pas possible. Les chambre étant déjà pleines. Si je voulais revenir vivre à l'université, il me faudrait attendre le mois de juillet et les résultats aux examens. J'avais soupiré, lui demandant de m'inscrire sur liste d'attente. En attendant, il me fallait trouver une solution de secours que je connaissais déjà: @Holly De Launay. Clairement, ça m'ennuyait parce que j'avais l'impression de la prendre un peu pour un bouche-trou, à revenir dès que ça n'allait pas. Au bout du compte, elle finirait par en avoir marre et me dire de me débrouiller seule. Ce qui serait mérité. Mais je la connaissais et je savais que jamais elle ne ferait ça. Ma soeur était parfaite, et je ne l'en aimais que plus pour ça.

J'attendis donc le taxi magique qui me permettrait de pouvoir tout transporter d'un coup. J'avais hâte de laisser l'année écoulée dernière moi. Une année qui m'avait valu une brouille énorme avec Juliet. Une brouille qui, à mon sens, n'était toujours pas solutionnée et j'en souffrais toujours autant. Il fallait absolument que je m'ouvre davantage aux autres. C'était pour cela que revenir chez ma soeur ne pouvait qu'être provisoire. Je me complaisais trop dans ce petit cocon trop familier, dans mes petites habitudes. J'avais, au contraire, besoin de sortir davantage, de rencontrer des gens nouveaux. Il le fallait d'autant plus que Vic était parti, ayant pu quitter l'hôpital à la condition que ses capacités magiques soient bridées. Pour l'amour d'Ymkje, il avait accepté cette solution qui m'avait fait hurler à plus d'un titre. Je l'avais sentie, cette mise sous clé de ses capacités magiques. J'en voulais à notre père. D'autant que celui-ci avait définitivement renié son fils, provoquant une colère de Mère que je n'avais jamais vue auparavant. Je savais, déjà, que les élections avaient fragilisé encore un peu plus leur couple, et j'étais persuadée qu'il n'allait pas tarder à exploser. Qu'est-ce que cela aurait comme conséquences sur Holly et moi, je n'en avais encore pas la moindre idée.

Ce n'était, pourtant, plus le temps d'y penser, mon taxi venant de se garer devant moi. Les affaires furent rapidement mises dans le coffre sans fonds, notamment mon piano et mon  clavier, et je montai à l'arrière avec mes deux animaux en direction de l'appartement de ma soeur qui m'attendait.

Revenir à l'appartement de ma soeur me laissait vraiment un sentiment ambivalent et je restai un moment, en bas dehors à attendre que le temps passe. Tellement longtemps que Gospel, mon petit Croup avait fini par arrêter de faire des allées et venues entre moi et la porte de l'immeuble et s'était assis devant celle-ci en me regardant la tête penchée sur le côté comme s'il essayait de comprendre ce qu'il se passait dans ma tête. Le taxi était reparti depuis longtemps et avait laissé mes affaires en corolle autour de moi, craignant, peut-être, que je ne change d'avis et que je ne m'engouffre à nouveau à l'intérieur. Mais pour aller où? Chez Mère? Chez père? Certainement pas. Au fond, je n'avais pas d'autre choix. Depuis que Mère avait annoncé son intention de se séparer de Père, j'évitais ce dernier au maximum, prenant enfin, bien que terriblement lentement, l'envol que j'avais si désespérément besoin de prendre. Mais j'avais l'impression d'avoir les ailes brisées, tant c'était difficile pour moi de devenir réellement indépendante.

Ce fut un coup porté sur le carreau, d'un neveu s'impatientant, qui me fit réagir. Je secouai la tête, mes mèches ondulées volant autour de moi, pour me rafraichir les idées et me décidai à combler la distance qui me séparait de la porte d'entrée de l'immeuble. Je fis plusieurs allers et retours pour récupérer toutes mes affaires et, enfin, m'engouffrai à l'intérieur de la bâtisse pour gagner l'appartement de ma soeur, bénissant le petit ascenseur de sa présence en sachant pertinemment que jamais Holly ne l'aurait pris. Quant à moi, je ne le prenais aujourd'hui que parce que j'étais chargée. Sinon, je préférais aussi l'escalier.

J'avais beau avoir la clé de l'appartement - quelque part dans le grand sac dans lequel j'aurais pu aisément entrer me cacher - je préférais toquer quelques coups pour faire savoir que j'étais arrivée. Pourtant, je n'en eus même pas le temps. A croire qu'un oeil à rallonge avait été utilisé par ma soeur ou par mon neveu - plus certainement - pour me voir arriver. J'avais la main levée, prête à tapoter dessus quand la porte s'ouvrit pour laisser la place à une petite tornade qui s'agrippa à ma jambe. En voilà un qui était content de me voir. On ne pouvait pas dire le contraire. Cela mit du baume sur mon coeur meurtri de devoir rentrer. Parce que si j'étais heureuse de revenir, ça n'en revêtait pas moins le manteau d'un échec à vivre seule. Ce n'était pas un choix de ma part. C'était la situation. Enfin. C'est provisoire songeai-je. C'est jusqu'à la rentrée prochaine imaginai-je.

Je refermai mes bras autour des épaules du petit garçon qui était agrippé à moi et ne voulait ni me lâcher, ni me laisser avancer. Craignait-il que je ne fasse demi-tour en courant? "Moi aussi, je suis contente de te voir, Fao." lui dis-je avant de tapoter doucement le dessus de son crâne. "Dis, tu veux bien me laisser entrer? Je ne crois pas que les voisins aient envie que je campe dans le couloir." dis-je avant de répondre à Holly: "C'est un peu compliqué pour l'instant, tu vois..." Heureusement, un bête à fourrure - mon croup - ne tarda pas à venir à mon secours en entreprenant un débarbouillage en règle de Faolan, en insistant bien sur les oreilles de celui-ci sachant que ça le chatouillerait.

Dès lors, mes jambes furent libérées. Et si je manquai de tomber devant ce relâchement soudain, je me rattrapai bien vite au chambranle de la porte que je passai pour venir me blottir dans les bras de mon aînée.

Dès que la porte s'était ouverte, mon neveu s'était jeté sur moi, enserrant mes jambes de ses petits bras. J'avais senti mes yeux s'embuer de larmes qui étaient finalement sorties lorsque ma soeur m'avait serrée dans ses bras. Il n'y avait pas de quoi, pourtant. Mais je me sentais tellement revenir en arrière, j'y revoyais plus que la déroute de ma relation amoureuse. J'y voyais aussi lénième tentative avortée de vivre seule, indépendante. Pourtant, à présent, j'avais un petit job étudiant, qui représentait un gros pas en avant dans ma vie de jeune femme.

Alors qu'elle me libérait de son étreinte et que j'esquissai un pas en arrière pour reprendre mon souffle, et pied par la opportunité, je lui adressai un sourire après avoir essuyé mes joues lorsqu'elle entrprit de me guider dans l'appartement pour aller déposer mes affaires dans mon antre. "J'ai déjà habité là, tu te souviens?" ma voix avait repris une intonation un peu taquine que je n'avais que lorsque je parlais à des personnes que je fréquentais de longue date.

Néanmoins, je la suivis dans l'appartement avant de revenir dans le salon et de m'asseoir sur le sofa tandis qu'elle me proposait un thé à la rose. "Tu es un ange. Mais tu le sais déjà" dis-je en riant. Gospel vint rapidement se lover auprès de moi sur le siège moelleux tandis que mon ainée s'affairait dans l'autre salle."Tu veux de l'aide?" demandai-je.

Déjà que je venais l'envahir, si en plus je la laissais tout faire... Hors de question. Je me relevai, intiment à mon animal de rester sage et allais la rejoindre.

"Et... Tu as des nouvelles des tourtereaux?" demandai-je, parlant de mon frère et de son amoureuse. J'espérais qu'ils finissent par se marier, tous les deux. Uniquement si nous étions invitées. S'ils le faisaient dans mon dos... Je le prendrais mal, je le savais.

Lorsque nous revînmes dans le salon, je retournai m'installer près de Gospel, la tasse en main. Honnêtement, je ne savais pas quoi dire sur le moment pour rompre le mutisme qui pesait sur les lieux. En même temps, il était apaisant, tout de même. Je soupirai de nouveau en regardant mon neveu dessiner sur la table.

Il était sage, il fallait en profiter. Je savais qu'un jour, il deviendrait plus bruyant et remuant. Qu'il serait moins doux envers sa mère, mais qu'il deviendrait un véritable petit diablotin. Si je n'étais pas pressée d'en arriver là, j'imaginais que ma soeur l'était bien moins que moi.

Oh! Je n'espérais pas qu'il me ressemble là-dessus. Je n'avais jamais eu la flambée hormonale qui poussait les ados à se rebeller. J'étais restée sage. Un petit ange, ainsi que le disait ma mère. Ma seule rébellion pouvait être imputée à la danse: ma passion.

Nonobstant, à l'instant, il n'était pas question de danse, mais du loisir préféré de mon frère. Dessinait-il toujours? J'étais persuadée qu'ils auraient pu partager leur passion. Mais il n'était pas là. Juste quelque part en Europe. Loin de nous. Au moins vivait-il sa vie!

Surtout, il était loin de notre père qui n'avait plus d'emprise sur lui. Enfin. Il était libre.

Quels étaient mes projets à présent? Un instant, je restai les bras ballants, sans trop savoir quoi dire ou quoi faire. La vérité, c'était que je n'en avais pas la moindre idée. Ou alors, une petite, guère très engageante, mais néanmoins sérieuse: me reprendre en main. Oublier complètement mes amours passées. Comme le nom le laissait si bien comprendre: elles étaient passées. Je voulais tourner définitivement la page Jolan. Il n'était plus là, et Ymkje était partie. Je n'avais donc plus à parler de lui et à me soucier de la pleine lune.

"Me concentrer sur les cours, j'imagine. Il n'y a plus rien pour me distraire... Et puis... Continuer à travailler avec Niamh au Lovingblow." A cette mention, mon visage s'éclaira. J'adorais travailler là bas le samedi et quelques fins de journée en semaine. C'était vraiment les moments où je m'épanouissais le plus, même si je ne voulais plus faire de la danse mon projet de carrière. A moins que ce ne soit toujours dans un petit coin de ma tête? Peut-être. Un peu. Sans doute. Mais pour l'heure, je n'y pensais pas.

A la place, je proposais: "tiens! Et si on prenait une photo de nous trois à envoyer à Vic et à Ymkje? Juste pour leur passer le bonjour?" Après tout, si nous attendions qu'ils nous envoient des nouvelles, nous pouvions attendre longtemps, même si mon lien gémellaire m'informerait s'il arrivait un coup dur à mon jumeau. C'était déjà arrivé par le passé, par deux fois.