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Killing me Softly
Lun 26 Aoû 2019 - 17:55
Il devait être aux environs de cinq heures, ce matin, lorsque Levius se réveilla. Une étrange tourmente venait de perturber ses rêves, ajoutant aux absurdités ordinaires des images anxiogènes. Alors, le jeune homme avait surgi, depuis l'étreinte des songes jusqu'à la pénombre de sa chambre, en un sursaut inquiet. Il s'était pris à envoyer son regard fouiller en tous sens, persuadé d'y trouver ses démons tapis dans le noir. Mais, comme nulle porosité ne permet au monde des rêves de s'épancher sur le réel, il ne trouva rien que ses propres angoisses.
Levius avait peur et il avait chaud. Son souffle était une saccade refrénée par la crainte et qui maintenait le rythme de son cœur en état de panique. Comme il venait de retomber sur l'oreiller, il n'osa plus bouger. L'angoisse irrationnelle du cauchemar le faisait douter et il s'attendait à voir surgir l’essaim noir d'un moment à l'autre. Démon des rêves, démon ancien.
Levius demeura ainsi pendant de longues minutes. Mais, comme son esprit s'éclaircissait peu à peu et qu'il commençait à s'ancrer fermement dans l'éveil, il se calma. Puis, il réalisa que plusieurs chats dormaient paisiblement à ses côtés et cette présence suffit à le tranquilliser tout à fait. Le regard bleu de Levius, handicapé par l'absence de ses lunettes laissées sur la table de chevet, s'ancra sur le plafond. Depuis qu'il peignait, le jeune homme avait pris l'habitude de suspendre ses toiles. Ainsi, comme il avisait le zénith, s'affichaient en contours flous la composition des tulipes jaunes aux violettes restée inachevée.
Levius demeura un moment à la considérer ainsi, immobile, l'esprit à la dérive et le souffle irrégulier. Le haut de son T-shirt lui collait à la peau, car il avait beaucoup transpiré dans son délire. Ainsi, quand il abandonna enfin le vaisseau de ses songes pour revenir parmi les mortels, il prit la mesure de son état. Ses doigts se heurtèrent au contact humide du tissus et il réalisa qu'il avait froid. Alors, Levius se tourna lourdement sur son lit et tenta de lire la position des aiguilles sur sa pendule murale en plissant des yeux. Il n'y parvint pas et se redressa donc en position assise, puis déposa les lunettes sur son nez.
La netteté donna à son humeur une teinte différente. Il ressenti curieusement mieux la fatigue, la sensation désagréable des paupières lourdes et sa propre odeur de transpiration. Tout lui venait en assauts bruts et même s'il était encore fatigué de sa nuit avorté, il n'éprouva aucune envie de retourner dormir.
A dire vrai, une sensation absurde d'inconfort lui habitait le corps. Levius ne savait pas comment l'expliquer, ni pourquoi cela lui arrivait maintenant. Il savait juste que ce corps dans lequel il se trouvait était trop petit, trop étriqué pour le contenir. Il était habité par une énergie désagréable qui le rendait conscient de la moindre parcelle de peau. Il était trop et pas assez tout à la fois, prêt à déborder de lui même et imploser dans le même temps. C'était inexplicablement plus fort que lui.
Huit heures.
Les tableaux avaient été savamment empilés sur le sol, jusqu'au couloir où ils débordaient en régurgitation colorée. C'était la première fois depuis des années que les murs de la chambre de Levius étaient nus. Lui, il se tenait debout sur son fauteuil, un pinceau carré et large à la main. Il ne s'était pas changé depuis la nuit, affichant toujours son large T-shirt blanc et un simple caleçon délavé. Si l'on additionnait cela à des traits tirés et des cheveux en bataille, le cas d'insomnie devenait évident.
Par ailleurs, Levius était en train de peindre le mur en bleu : plus que le mur, il peignait le plafond, il peignait les angles, il peignait les meubles (jusqu'à la tranche des livres sur les étagères), il peignait la porte. Tout ce qui se trouvait à sa portée devenait bleu sous les coups effrénés de son pinceau. Un vaste rond, un superbe rond bleu, devant lequel il se tenait, comme une apparition.
Un dément, un possédé : la peinture avait coulé sur ses mains et le long de ses bras. Quand il avait peint au dessus de sa tête, les gouttes avaient ruisselé sur son front et à travers ses cheveux. Répandre le bleu : devenir bleu. Levius ne pouvait pas l'expliquer. Il ne pouvait pas mettre de mots sur ce qui était en train de lui arriver. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il devait mettre du bleu à cet endroit. Maintenant.
Levius avait peur et il avait chaud. Son souffle était une saccade refrénée par la crainte et qui maintenait le rythme de son cœur en état de panique. Comme il venait de retomber sur l'oreiller, il n'osa plus bouger. L'angoisse irrationnelle du cauchemar le faisait douter et il s'attendait à voir surgir l’essaim noir d'un moment à l'autre. Démon des rêves, démon ancien.
Levius demeura ainsi pendant de longues minutes. Mais, comme son esprit s'éclaircissait peu à peu et qu'il commençait à s'ancrer fermement dans l'éveil, il se calma. Puis, il réalisa que plusieurs chats dormaient paisiblement à ses côtés et cette présence suffit à le tranquilliser tout à fait. Le regard bleu de Levius, handicapé par l'absence de ses lunettes laissées sur la table de chevet, s'ancra sur le plafond. Depuis qu'il peignait, le jeune homme avait pris l'habitude de suspendre ses toiles. Ainsi, comme il avisait le zénith, s'affichaient en contours flous la composition des tulipes jaunes aux violettes restée inachevée.
Levius demeura un moment à la considérer ainsi, immobile, l'esprit à la dérive et le souffle irrégulier. Le haut de son T-shirt lui collait à la peau, car il avait beaucoup transpiré dans son délire. Ainsi, quand il abandonna enfin le vaisseau de ses songes pour revenir parmi les mortels, il prit la mesure de son état. Ses doigts se heurtèrent au contact humide du tissus et il réalisa qu'il avait froid. Alors, Levius se tourna lourdement sur son lit et tenta de lire la position des aiguilles sur sa pendule murale en plissant des yeux. Il n'y parvint pas et se redressa donc en position assise, puis déposa les lunettes sur son nez.
La netteté donna à son humeur une teinte différente. Il ressenti curieusement mieux la fatigue, la sensation désagréable des paupières lourdes et sa propre odeur de transpiration. Tout lui venait en assauts bruts et même s'il était encore fatigué de sa nuit avorté, il n'éprouva aucune envie de retourner dormir.
A dire vrai, une sensation absurde d'inconfort lui habitait le corps. Levius ne savait pas comment l'expliquer, ni pourquoi cela lui arrivait maintenant. Il savait juste que ce corps dans lequel il se trouvait était trop petit, trop étriqué pour le contenir. Il était habité par une énergie désagréable qui le rendait conscient de la moindre parcelle de peau. Il était trop et pas assez tout à la fois, prêt à déborder de lui même et imploser dans le même temps. C'était inexplicablement plus fort que lui.
Huit heures.
Les tableaux avaient été savamment empilés sur le sol, jusqu'au couloir où ils débordaient en régurgitation colorée. C'était la première fois depuis des années que les murs de la chambre de Levius étaient nus. Lui, il se tenait debout sur son fauteuil, un pinceau carré et large à la main. Il ne s'était pas changé depuis la nuit, affichant toujours son large T-shirt blanc et un simple caleçon délavé. Si l'on additionnait cela à des traits tirés et des cheveux en bataille, le cas d'insomnie devenait évident.
Par ailleurs, Levius était en train de peindre le mur en bleu : plus que le mur, il peignait le plafond, il peignait les angles, il peignait les meubles (jusqu'à la tranche des livres sur les étagères), il peignait la porte. Tout ce qui se trouvait à sa portée devenait bleu sous les coups effrénés de son pinceau. Un vaste rond, un superbe rond bleu, devant lequel il se tenait, comme une apparition.
Un dément, un possédé : la peinture avait coulé sur ses mains et le long de ses bras. Quand il avait peint au dessus de sa tête, les gouttes avaient ruisselé sur son front et à travers ses cheveux. Répandre le bleu : devenir bleu. Levius ne pouvait pas l'expliquer. Il ne pouvait pas mettre de mots sur ce qui était en train de lui arriver. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il devait mettre du bleu à cet endroit. Maintenant.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Mer 28 Aoû 2019 - 23:08
Il existait de ces éveils où la sensation de flotter, de rester dans un rêve était persistante. Je n'étais pas de ceux qui se plaignaient de ce ressenti, d'autant plus que, mal dormir pendant plus d'un an était une véritable condamnation. Alors, se faire tirer de ses songes par la présence d'un corps chaud et aimant, par le fait d'être envahie toute entière, par l'ascension pur et simple du plaisir, c'était des instants qu'il fallait savourer pleinement.
J'aimais ma nouvelle vie, j'aimais ma nouvelle condition, malgré les douleurs que j'avais dû endurer pour y parvenir. Peut-être avait-ce été un passage obligé pour y arriver. J'en étais même persuadée, et maintenant que je voyais tout le chemin parcouru, alors, je ne pouvais être qu'heureuse et confiante en l'avenir. Il y avait toujours des moments de doute et de peur, mais j'avais la prétention de croire que ce n'était plus ce qui érigeait totalement ma vie aujourd'hui. C'était fondamentalement libérateur.
Je m'extrayais de notre couche au même temps qu'elle, même si je n'en avais pas besoin. Il était temps de profiter de mes derniers instants de grandes vacances. L'été prochain, normalement, ce serait différent. Un diplôme. Un emploi. Une nouvelle vie en somme. Oui mais voilà, j'avais aussi envie de profiter d'elle, de sa présence et des moments que nous pouvions construire ensemble. De plus, j'étais profondément persuadée qu'elle était de meilleure humeur, plus encouragée, plus satisfaite, si je posais les rituels du matin avec elle. Ensemble.
Car c'était ce à quoi nous nous étions engagées en acceptant l'amour de l'autre, de vivre l'une à côté de l'autre. Bien sûr, les exceptions à ces moments de complicités existaient, comme pour tout, mais ils ne prenaient pas, ils ne prenaient plus, le pas sur le reste. Le bonheur simple des petites choses.
Une fois ma moitié partie pour ses occupations professionnelles, j'étais tentée de m'étaler dans le canapé et de fixer le plafond toute la journée. Cette activité, aux premiers abords étrange et totalement dépressive, avait un intérêt tout particulier pour moi. Mon esprit pouvait vagabonder où bon lui semblait, au gré de ce qui l'inspirait. Car des moments de calme, de méditation et de plénitude, j'en avais besoin. Comme une bouffée d'air, une solution salvatrice au sens propre de l'existence. Sinon, j'avais la possibilité d'ouvrir mes ouvrages et de commencer, déjà, mes révisions. Ce que j'anticipais d'ordinaire toujours. En réalité, je l'avais fait également cette année. Je m'étais simplement donnée plus de temps libre, plus de possibilités de me détendre sans forcément m'occuper de mes études. Non pas que je sois démotivée, mais parce qu'avec l'été passé que j'avais vécu, j'avais ressenti cette fois avoir besoin de m'occuper de moi. Ma dernière année ne serait que plus sereinement abordée de cette manière. Même si les changements me faisaient peur, comme ceux de prendre officiellement ma fonction d'assistante du professeur de dragonologie.
Je me dirigeais là où j'avais déposé mon sac, essayant de me motiver, lorsqu'un bruissement d'aile me tira de mes pensées. Tournant la tête, je trouvais Myriel, installé sur l'un des comptoirs de la cuisine. Passant une main sur la tête de Rufus qui était prêt à lui sauter dessus pour l'attraper, comme s'il s'agissait d'un jouet, je me saisissais du message que m'apportais la chouette effraie de Levius. Toutefois, je fus surprise de constater qu'il ne s'agissait ni de son écriture, ni de sa signature. Susan… elle était inquiète et me demandait de venir dès que je le pouvais.
Un léger soupir traversa mes narines. Lubia allait me noyer, pour sûr… mais je n'avais guère le choix que de répondre favorablement à ma grand-mère de substitution. Pantalon noir légèrement troué sur les jambes, T-shirt noir et ample sur les épaules, à l'effigie d'un groupe de musique, j'attrapais mon sac dont je ne me séparais jamais pour déposer la hanse sur mon épaule. Une fois prête, je transplanais sans hésitation jusqu'à la ferme des oiseaux. Mon ancien chez moi.
Je retrouvais la vieille femme aux airs typés de sorcière dans la vieille bâtisse. C'est avec un visage rassuré qu'elle m'accueillait, et, silencieuse, j'entamais la discussion avec elle. Langage muet uniquement exprimé par l'expression des mains et des doigts, j'écoutais, ou plutôt j'observais, ce qu'elle avait à me dire, les raisons de son message.
Opinant du chef une fois la situation résumée, je montais à l'étage, discrète, légère, comme à mon habitude, déambulant dans ce couloir couvert de toiles d'araignée et de trop de décorations, ce qui le rendait plus exiguë qu'il ne l'était en réalité. Mais ce matin s'ajoutait à tout cela les tableaux que peignaient Levius. Je les connaissais pour la plupart, dont un en particulier. Celui fait de tulipes jaunes et de violettes. Déclanchement de toute une histoire singulière et merveilleuse.
Tranquille et confiante, je m'avançais jusqu'à la porte ouverte et découvrait mon ami, en proie à une créativité qu'il ne pouvait pas contrôler. Ce genre de crise qu'il essayait de me cacher tant bien que mal mais dont je connaissais si bien l'existence. Ce genre de crise dans lesquelles il avait refusé que je l'assiste lorsque je partageais ma vie avec lui. L'observant en proies à ses démons intérieur un instant, je fixais ce qu'il était en train de faire. Bleu. Nous étions lundi. Jusqu'ici, rien d'étonnant, simplement, une sur-abondance.
Je me permettais de faire raisonner mon index sur le bois de la porte pour toquer, annonçant alors ma venue. Lorsque je fus certaine qu'il avait pris connaissance de ma présence, sans forcément me regarder, je souriais doucement. Je n'avais pas peur, et je ne le jugeais pas. Il était mon ami, et je connaissais les troubles qu'il pouvait traverser.
- Bonjour Levius. Comment vas-tu ce matin ?
J'aimais ma nouvelle vie, j'aimais ma nouvelle condition, malgré les douleurs que j'avais dû endurer pour y parvenir. Peut-être avait-ce été un passage obligé pour y arriver. J'en étais même persuadée, et maintenant que je voyais tout le chemin parcouru, alors, je ne pouvais être qu'heureuse et confiante en l'avenir. Il y avait toujours des moments de doute et de peur, mais j'avais la prétention de croire que ce n'était plus ce qui érigeait totalement ma vie aujourd'hui. C'était fondamentalement libérateur.
Je m'extrayais de notre couche au même temps qu'elle, même si je n'en avais pas besoin. Il était temps de profiter de mes derniers instants de grandes vacances. L'été prochain, normalement, ce serait différent. Un diplôme. Un emploi. Une nouvelle vie en somme. Oui mais voilà, j'avais aussi envie de profiter d'elle, de sa présence et des moments que nous pouvions construire ensemble. De plus, j'étais profondément persuadée qu'elle était de meilleure humeur, plus encouragée, plus satisfaite, si je posais les rituels du matin avec elle. Ensemble.
Car c'était ce à quoi nous nous étions engagées en acceptant l'amour de l'autre, de vivre l'une à côté de l'autre. Bien sûr, les exceptions à ces moments de complicités existaient, comme pour tout, mais ils ne prenaient pas, ils ne prenaient plus, le pas sur le reste. Le bonheur simple des petites choses.
Une fois ma moitié partie pour ses occupations professionnelles, j'étais tentée de m'étaler dans le canapé et de fixer le plafond toute la journée. Cette activité, aux premiers abords étrange et totalement dépressive, avait un intérêt tout particulier pour moi. Mon esprit pouvait vagabonder où bon lui semblait, au gré de ce qui l'inspirait. Car des moments de calme, de méditation et de plénitude, j'en avais besoin. Comme une bouffée d'air, une solution salvatrice au sens propre de l'existence. Sinon, j'avais la possibilité d'ouvrir mes ouvrages et de commencer, déjà, mes révisions. Ce que j'anticipais d'ordinaire toujours. En réalité, je l'avais fait également cette année. Je m'étais simplement donnée plus de temps libre, plus de possibilités de me détendre sans forcément m'occuper de mes études. Non pas que je sois démotivée, mais parce qu'avec l'été passé que j'avais vécu, j'avais ressenti cette fois avoir besoin de m'occuper de moi. Ma dernière année ne serait que plus sereinement abordée de cette manière. Même si les changements me faisaient peur, comme ceux de prendre officiellement ma fonction d'assistante du professeur de dragonologie.
Je me dirigeais là où j'avais déposé mon sac, essayant de me motiver, lorsqu'un bruissement d'aile me tira de mes pensées. Tournant la tête, je trouvais Myriel, installé sur l'un des comptoirs de la cuisine. Passant une main sur la tête de Rufus qui était prêt à lui sauter dessus pour l'attraper, comme s'il s'agissait d'un jouet, je me saisissais du message que m'apportais la chouette effraie de Levius. Toutefois, je fus surprise de constater qu'il ne s'agissait ni de son écriture, ni de sa signature. Susan… elle était inquiète et me demandait de venir dès que je le pouvais.
Un léger soupir traversa mes narines. Lubia allait me noyer, pour sûr… mais je n'avais guère le choix que de répondre favorablement à ma grand-mère de substitution. Pantalon noir légèrement troué sur les jambes, T-shirt noir et ample sur les épaules, à l'effigie d'un groupe de musique, j'attrapais mon sac dont je ne me séparais jamais pour déposer la hanse sur mon épaule. Une fois prête, je transplanais sans hésitation jusqu'à la ferme des oiseaux. Mon ancien chez moi.
Je retrouvais la vieille femme aux airs typés de sorcière dans la vieille bâtisse. C'est avec un visage rassuré qu'elle m'accueillait, et, silencieuse, j'entamais la discussion avec elle. Langage muet uniquement exprimé par l'expression des mains et des doigts, j'écoutais, ou plutôt j'observais, ce qu'elle avait à me dire, les raisons de son message.
Opinant du chef une fois la situation résumée, je montais à l'étage, discrète, légère, comme à mon habitude, déambulant dans ce couloir couvert de toiles d'araignée et de trop de décorations, ce qui le rendait plus exiguë qu'il ne l'était en réalité. Mais ce matin s'ajoutait à tout cela les tableaux que peignaient Levius. Je les connaissais pour la plupart, dont un en particulier. Celui fait de tulipes jaunes et de violettes. Déclanchement de toute une histoire singulière et merveilleuse.
Tranquille et confiante, je m'avançais jusqu'à la porte ouverte et découvrait mon ami, en proie à une créativité qu'il ne pouvait pas contrôler. Ce genre de crise qu'il essayait de me cacher tant bien que mal mais dont je connaissais si bien l'existence. Ce genre de crise dans lesquelles il avait refusé que je l'assiste lorsque je partageais ma vie avec lui. L'observant en proies à ses démons intérieur un instant, je fixais ce qu'il était en train de faire. Bleu. Nous étions lundi. Jusqu'ici, rien d'étonnant, simplement, une sur-abondance.
Je me permettais de faire raisonner mon index sur le bois de la porte pour toquer, annonçant alors ma venue. Lorsque je fus certaine qu'il avait pris connaissance de ma présence, sans forcément me regarder, je souriais doucement. Je n'avais pas peur, et je ne le jugeais pas. Il était mon ami, et je connaissais les troubles qu'il pouvait traverser.
- Bonjour Levius. Comment vas-tu ce matin ?
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Re: Killing me Softly
Jeu 29 Aoû 2019 - 7:47
Quand Levius entendit que l'on toquait, il éprouva un bref moment de confusion. La surprise était visible sur ses traits tirés. Tournant la tête en tous sens, il chercha un moment la source du bruit avant de réaliser que cela provenait tout simplement de la porte. Ses yeux azurs vinrent alors river la silhouette générale d'Abigail et il la reconnu. L'expression du jeune homme évolua instantanément de l'égarement à une sorte de terreur indéfinissable. Il reporta le regard sur le mur peint en bleu et se mit à trépigner nerveusement. L'état de Levius se lisait sans difficulté : il était totalement bouleversé.
« Abi...
Dit-il avec un petit souffle fébrile du nez. Le jeune homme semblait épuisé et à bout de nerf. Cela faisait trois heures qu'il composait avec des émotions en tumulte et l'apparition soudaine d'un visage familier rompait le fragile équilibre qu'il était tout juste parvenu à instaurer. Toute cette tension, toute cette énergie qui ne cessait d'animer Levius depuis l'aube l'avait propulsé dans un délire coloré dont il n'avait encore envisagé aucune sortie. Sans le savoir ni penser à mal, Abigail avait tiré le garçon de cet état de transe dans lequel il s'était réfugié et maintenant, Levius contemplait l'étendue du désastre d'un air ahuri.
Dépassé, le garçon se recroquevilla sur lui même. Les bras repliés contre sa poitrine, il termina accroupis dans le fauteuil tâché de peinture et dont il s'était servi comme d'un escabeau pour étendre le bleu. Assit en position fœtale, le pinceau encore humide léchant allègrement son cou et son T-shirt, Levius rivait un coin du sol d'un air paniqué. Sa respiration était une saccade inconstante et il entendait les battements de son propre cœur résonner dans sa tête. Angoisse.
« Je... C'... Trop... Tout.
Articula-t-il d'une voix rompue, tandis que les talons de ses mains venaient encadrer ses tempes. Il retint un genre de sanglot de douleur, dont il était impossible de déterminer si elle était physique ou purement mentale. Levius semblait au bord de l'implosion. Il tremblait.
« J...
Il ne parvint pas à formuler quoique ce soit d'autre, car sa gorge se serrait en lui interdisant toute parole. Des larmes commencèrent à se former au coin de ses yeux et il se mit à pleurer abondamment. Un semblant de tension s'évacuait enfin : le pinceau tomba de ses mains dans un bruit sec, alors qu'il passait les doigts dans ses cheveux avant de les y serrer. Puis, Levius acheva de s'effondrer en lui-même, le visage enfoui dans ses genoux, comme il commençait à sangloter véritablement.
Le spectacle était édifiant et probablement impressionnant pour toute personne étrangère aux manières d'être de Levius. La vérité, c'est que ce genre d'épisode arrivait de temps à autre. Il était toutefois très rare qu'un témoin extérieur à la famille Bird assiste à la scène. Dans ces moments là, Levius devenait sauvage et se rendait inaccessible. Il détestait qu'on le voit ainsi car, sur le moment, cela ne faisait qu'accentuer son désespoir et après coup il avait honte.
Par ailleurs, il ne trouvait jamais les bons mots pour évoquer cette chose terrible qui lui habitait ponctuellement le cœur. Levius se sentait glisser dans la folie : il touchait aux choses les plus repoussantes de son propre inconscient et, paralysé dans ses réactions, ne parvenait pas à s'en dégager. C'était immonde, mais c'était lui : comment en parler ?
Levius ne savait pas. Il était en chaos, pleurant nerveusement et tremblant de tous ses membres. Recroquevillé sur lui-même, rabougris, tentant de disparaître pour apaiser le flot : sensation de noyade de l'esprit. Angoisse abominable.
Il avait besoin d'aide.
« Abi...
Dit-il avec un petit souffle fébrile du nez. Le jeune homme semblait épuisé et à bout de nerf. Cela faisait trois heures qu'il composait avec des émotions en tumulte et l'apparition soudaine d'un visage familier rompait le fragile équilibre qu'il était tout juste parvenu à instaurer. Toute cette tension, toute cette énergie qui ne cessait d'animer Levius depuis l'aube l'avait propulsé dans un délire coloré dont il n'avait encore envisagé aucune sortie. Sans le savoir ni penser à mal, Abigail avait tiré le garçon de cet état de transe dans lequel il s'était réfugié et maintenant, Levius contemplait l'étendue du désastre d'un air ahuri.
Dépassé, le garçon se recroquevilla sur lui même. Les bras repliés contre sa poitrine, il termina accroupis dans le fauteuil tâché de peinture et dont il s'était servi comme d'un escabeau pour étendre le bleu. Assit en position fœtale, le pinceau encore humide léchant allègrement son cou et son T-shirt, Levius rivait un coin du sol d'un air paniqué. Sa respiration était une saccade inconstante et il entendait les battements de son propre cœur résonner dans sa tête. Angoisse.
« Je... C'... Trop... Tout.
Articula-t-il d'une voix rompue, tandis que les talons de ses mains venaient encadrer ses tempes. Il retint un genre de sanglot de douleur, dont il était impossible de déterminer si elle était physique ou purement mentale. Levius semblait au bord de l'implosion. Il tremblait.
« J...
Il ne parvint pas à formuler quoique ce soit d'autre, car sa gorge se serrait en lui interdisant toute parole. Des larmes commencèrent à se former au coin de ses yeux et il se mit à pleurer abondamment. Un semblant de tension s'évacuait enfin : le pinceau tomba de ses mains dans un bruit sec, alors qu'il passait les doigts dans ses cheveux avant de les y serrer. Puis, Levius acheva de s'effondrer en lui-même, le visage enfoui dans ses genoux, comme il commençait à sangloter véritablement.
Le spectacle était édifiant et probablement impressionnant pour toute personne étrangère aux manières d'être de Levius. La vérité, c'est que ce genre d'épisode arrivait de temps à autre. Il était toutefois très rare qu'un témoin extérieur à la famille Bird assiste à la scène. Dans ces moments là, Levius devenait sauvage et se rendait inaccessible. Il détestait qu'on le voit ainsi car, sur le moment, cela ne faisait qu'accentuer son désespoir et après coup il avait honte.
Par ailleurs, il ne trouvait jamais les bons mots pour évoquer cette chose terrible qui lui habitait ponctuellement le cœur. Levius se sentait glisser dans la folie : il touchait aux choses les plus repoussantes de son propre inconscient et, paralysé dans ses réactions, ne parvenait pas à s'en dégager. C'était immonde, mais c'était lui : comment en parler ?
Levius ne savait pas. Il était en chaos, pleurant nerveusement et tremblant de tous ses membres. Recroquevillé sur lui-même, rabougris, tentant de disparaître pour apaiser le flot : sensation de noyade de l'esprit. Angoisse abominable.
Il avait besoin d'aide.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Jeu 29 Aoû 2019 - 21:16
Je savais à quel point le garçon pouvait être instable dans ces moments, et je savais aussi à quel point j'étais une intruse dans ce monde parallèle qu'était le sien. Là-bas, je n'avais pas ma place, et dans le fond, je n'étais pas certaine que qui que ce soit puisse avoir sa place. Pas même Levius. Aussi bien envahi de chiffres et de couleurs, je l'avais davantage connu en proie à la première problématique, si je pouvais utiliser ce terme. Les couleurs, il me l'avait toujours plus ou moins caché. Cela ne me dérangeait pas pour autant, et même si la crise pouvait être impressionnante pour les personnes extérieures à la famille Bird, moi, elle ne me faisait rien. Je ressentais une profonde empathie pour ce garçon que j'avais toujours aimé au fond de moi, mais avec qui il m'était impossible de vivre. Impossible pour bien des raisons, et je n'étais pas certaine que le spectacle qu'il m'offrait là en était une. Néanmoins, je ne bougeais pas du pas de la porte alors que je le regardais en train de revenir à la réalité, là, dans sa chambre, apparemment en proie à l'horreur du réveil. Comme s'il venait de se réveiller d'un terrible cauchemar, mais que les séquelles n'étaient pas uniquement dans sa tête.
Au fond, ce qui me dérangeait le plus n'était pas l'état de la chambre, ou la crise en elle-même, mais l'état de détresse dans lequel se mettait mon ami d'enfance. C'était un cri similaire qui avait fait que nous nous étions reliés, après qu'il m'ait raconté son secret, ce qui était arrivé aux États-Unis alors qu'il exerçait ses fonctions de psychomage. À cette époque, j'avais paniqué, et bien trop submergée par ce flot d'émotion, je n'avais pas su résister, alors, nous avions tous les deux succombés.
Aujourd'hui, l'état était différent. Je savais à quoi m'attendre, je n'avais plus peur… et surtout, il y avait cette chose en moins, ou devrais-je plutôt dire en plus. Cette barrière érigée autour de mon cœur, frontière que je m'étais obligée d'installer pour me protéger, protéger Lubia, et mon avenir avec elle. Car dans les faits, même si notre rupture, avec Levius, avait été claire, elle n'en était pas moins douloureuse, même encore aujourd'hui. Nous étions deux âmes sœurs, destinés à s'aimer, mais à ne pas pouvoir vivre l'un à côté de l'autre. Des fois je ne comprenais guère la logique de nos vies, de ce que nous en faisions, de ce qui arrivait, ou ce qui n'arrivait pas. Mais c'était ainsi, voilà tout.
En douceur, car je ne savais pas agir autrement, je déposais mon sac à l'entrée de la chambre, dans le couloir, osant m'approcher de l'héritier de la famille Bird alors qu'il était ainsi recroquevillé. Il m'était profondément difficile de supporter un tel spectacle, une telle douleur, c'était mon ami et je l'aimais. Quel genre de personne serais-je si, dans les mêmes conditions, je ne m'émouvais pas ? Même si mon intrusion pouvait sembler sévère, voire violente, j'étais certaine qu'elle avait été nécessaire. Il fallait simplement rendre l'atterrissage plus doux, plus serein, pour apaiser les maux et la situation.
Alors, une fois à hauteur du garçon, je restais là, debout devant lui, puis, comme je l'avais déjà fait un millier de fois enfant, plus un autre millier de fois adulte, je plongeais mes doigts dans sa chevelure blonde. Caresse délicate, touché léger de soie et de tendresse, je lui rappelais ainsi que j'étais là, pour lui. Toute entière, car ça avait toujours été le cas. Il n'y avait aucun jugement, aucune honte. Simplement de la compassion et de l'affection.
Lentement, ma main glissa à l'arrière de sa tête pour l'entraîner avec une tranquillité inégalée contre moi, déposant son corps contre mon ventre et ma poitrine, bien peu dérangée par le risque de finir peinturlurée.
Il était inutile de parler, car le geste se suffisait à lui-même. Il était inutile de faire un quelconque commentaire, car le silence se suffisait à lui-même. Nous vivions l'un de ces instants où il était juste nécessaire de retrouver l'autre, sa chaleur, sa présence, simplement, et de s'y accrocher. Pour revenir, à son rythme, sans effort, sans violence.
Ma seconde main vint rejoindre la première, délivrant de légères caresses distraites dans les cheveux et la nuque du garçon en proie à ses démons. Je lui laissais tout le temps dont il avait besoin, je le laissais s'agripper à mon petit corps menu et malade pour que je puisse le hisser de l'abîme dans lequel il s'était enfoncé.
En soit, rien de grave. J'avais les épaules pour le faire, je les avais toujours eues. J'avais eu beau le lui expliquer, le lui dire lorsque nous étions en couple, il avait obstinément refusé que je puisse être ce soutien. Dans le fond, j'en comprenais les raisons, mais je faisais partie de ces êtres qui aimaient les autres entièrement, qui prenaient tout, car aimer, ce n'était pas quelque chose de faisable partiellement.
Lorsque l'instant fut opportun, après de longues minutes, je me permettais de murmurer, sans ouvrir la bouche, une mélodie qui me vint, que j'avais composée à l'époque, une fois l'amour rendu impossible entre nous. Si Levius peignait, moi, je me perdais dans la musique. Petit à petit, le murmure s'éleva pour que les paroles traversent enfin ma gorge. Voix délicate, voix des anges, voix d'enfant que je ne saurais faire mûrir alors qu'elle était parfaitement travaillée. D'autant plus à présent que je prenais régulièrement des cours privés à l'université. Le don n'en était que plus marquant.
- Standing in streetlights, we didn't know wrong, didn't know right
Making a mess and running in circles, getting in fights
We were just kids then, we didn't know how and didn't know when
Taking our chances, calling it off and starting again
Au fond, ce qui me dérangeait le plus n'était pas l'état de la chambre, ou la crise en elle-même, mais l'état de détresse dans lequel se mettait mon ami d'enfance. C'était un cri similaire qui avait fait que nous nous étions reliés, après qu'il m'ait raconté son secret, ce qui était arrivé aux États-Unis alors qu'il exerçait ses fonctions de psychomage. À cette époque, j'avais paniqué, et bien trop submergée par ce flot d'émotion, je n'avais pas su résister, alors, nous avions tous les deux succombés.
Aujourd'hui, l'état était différent. Je savais à quoi m'attendre, je n'avais plus peur… et surtout, il y avait cette chose en moins, ou devrais-je plutôt dire en plus. Cette barrière érigée autour de mon cœur, frontière que je m'étais obligée d'installer pour me protéger, protéger Lubia, et mon avenir avec elle. Car dans les faits, même si notre rupture, avec Levius, avait été claire, elle n'en était pas moins douloureuse, même encore aujourd'hui. Nous étions deux âmes sœurs, destinés à s'aimer, mais à ne pas pouvoir vivre l'un à côté de l'autre. Des fois je ne comprenais guère la logique de nos vies, de ce que nous en faisions, de ce qui arrivait, ou ce qui n'arrivait pas. Mais c'était ainsi, voilà tout.
En douceur, car je ne savais pas agir autrement, je déposais mon sac à l'entrée de la chambre, dans le couloir, osant m'approcher de l'héritier de la famille Bird alors qu'il était ainsi recroquevillé. Il m'était profondément difficile de supporter un tel spectacle, une telle douleur, c'était mon ami et je l'aimais. Quel genre de personne serais-je si, dans les mêmes conditions, je ne m'émouvais pas ? Même si mon intrusion pouvait sembler sévère, voire violente, j'étais certaine qu'elle avait été nécessaire. Il fallait simplement rendre l'atterrissage plus doux, plus serein, pour apaiser les maux et la situation.
Alors, une fois à hauteur du garçon, je restais là, debout devant lui, puis, comme je l'avais déjà fait un millier de fois enfant, plus un autre millier de fois adulte, je plongeais mes doigts dans sa chevelure blonde. Caresse délicate, touché léger de soie et de tendresse, je lui rappelais ainsi que j'étais là, pour lui. Toute entière, car ça avait toujours été le cas. Il n'y avait aucun jugement, aucune honte. Simplement de la compassion et de l'affection.
Lentement, ma main glissa à l'arrière de sa tête pour l'entraîner avec une tranquillité inégalée contre moi, déposant son corps contre mon ventre et ma poitrine, bien peu dérangée par le risque de finir peinturlurée.
Il était inutile de parler, car le geste se suffisait à lui-même. Il était inutile de faire un quelconque commentaire, car le silence se suffisait à lui-même. Nous vivions l'un de ces instants où il était juste nécessaire de retrouver l'autre, sa chaleur, sa présence, simplement, et de s'y accrocher. Pour revenir, à son rythme, sans effort, sans violence.
Ma seconde main vint rejoindre la première, délivrant de légères caresses distraites dans les cheveux et la nuque du garçon en proie à ses démons. Je lui laissais tout le temps dont il avait besoin, je le laissais s'agripper à mon petit corps menu et malade pour que je puisse le hisser de l'abîme dans lequel il s'était enfoncé.
En soit, rien de grave. J'avais les épaules pour le faire, je les avais toujours eues. J'avais eu beau le lui expliquer, le lui dire lorsque nous étions en couple, il avait obstinément refusé que je puisse être ce soutien. Dans le fond, j'en comprenais les raisons, mais je faisais partie de ces êtres qui aimaient les autres entièrement, qui prenaient tout, car aimer, ce n'était pas quelque chose de faisable partiellement.
Lorsque l'instant fut opportun, après de longues minutes, je me permettais de murmurer, sans ouvrir la bouche, une mélodie qui me vint, que j'avais composée à l'époque, une fois l'amour rendu impossible entre nous. Si Levius peignait, moi, je me perdais dans la musique. Petit à petit, le murmure s'éleva pour que les paroles traversent enfin ma gorge. Voix délicate, voix des anges, voix d'enfant que je ne saurais faire mûrir alors qu'elle était parfaitement travaillée. D'autant plus à présent que je prenais régulièrement des cours privés à l'université. Le don n'en était que plus marquant.
- Standing in streetlights, we didn't know wrong, didn't know right
Making a mess and running in circles, getting in fights
We were just kids then, we didn't know how and didn't know when
Taking our chances, calling it off and starting again
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Sam 31 Aoû 2019 - 10:18
Dans son chagrin, Levius ressenti l'approche d'Abigail comme une intrusion à la fois violente et bienheureuse. Ce corps familier faisait irruption dans son monde, peuplé de gerbes colorées, comme un phare que l'on apercevrait en tempête, au milieu des embruns. Il s'y accrocha avec la ferveur du naufragé, les deux mains agrippées en prises solides sur sa silhouette menue. Néanmoins, ses paupières demeuraient closes, car il n'osait endurer la nausée immonde provoquée par le spectacle des choses du dehors. L'obscurité elle-même semblait habitée par le spectre de ses sens en chaos. Les couleurs venaient toutes seules, sans avoir été sollicitées. Une fois là, le jeune homme ne parvenait plus à les faire repartir et elles s'accumulaient, s'accumulaient sans cesse, jusqu'à écraser Levius dans son propre esprit. Tourmente insensée additionnée à l'angoisse du cauchemar.
Il se laissa bercer par la voix douce d'Abigail et ses caresses, comme l'enfant lors de ses premières heures. Facette maternelle de leurs rapports. Levius avait assimilé cette faculté de son amie à le tirer lentement de la caverne. Alors, comme s'en revenait le rituel chaud et familier des « autres fois », il se laissait faire : sentiment d'espoir regonflé par la promesse d'une délivrance.
Le jeune homme s'accrocha à l’altérité pour mieux effacer le moi erratique. Les couleurs cessèrent d'arriver (ou alors il ne les remarqua plus). Puis, l'encombrement diminua. Lentement, un élément après l'autre, Levius sentait moins le poids des couleurs écraser son corps entier. Il sentait revenir ses membres, sa peau, sa cohérence, son être entier. Il sentait que les fragments de sa psyché coagulaient de nouveau. Il respirait un air frais, entendait d'un son clair, touchait la tiédeur d'une autre peau et sentait son odeur familière sans crainte du démembrement. Alors, la perspective de finir calciné dans son être laissait place à une clarté assourdissante.
Vide sidérant.
« J'ai rêvé... de...
Murmura-t-il, mais la phrase mourut à la porte de sa bouche. Il eut un long souffle. Les images, que les couleurs avaient recouvertes, revenaient le tourmenter. Levius retrouvait la conscience de son corps comme l'on plongerait dans un bain d'eau glacée. Il se sentait sale. La peinture avait coulé sur lui et séché. Il n'aimait pas la sensation de cette boue bleue au bout des doigts, dans ses cheveux. Il sentait la sueur. Il était plein de cette moiteur nocturne et froide que l'on chasse normalement avec la toilette du matin. C'était désagréable et pourtant il avait laissé tout cela arriver.
Pire, il avait pris son amie d'enfance en otage dans cette affaire : Levius ouvrit les yeux à cette pensée. Il se redressa juste ce qu'il faut pour considérer le ventre de son amie et constata qu'il avait tâché ses vêtements de peinture. Cette vision lui fit l'effet d'un frisson glacé qui meurt aux entrailles pour les y tordre. Alors, quelque chose se retourna dans son esprit et il releva ses prunelles bleue sur le visage d'Abigail.
« Qui t'a...
Fit-il dans un autre souffle à peine audible. A cet instant, une sorte de réalisation sembla frapper le jeune homme et il se releva. Nerveux, chancelant, on le vit rejoindre la porte d'un air pressé. Manière erratiques, Levius s'appuya contre la chambranle et le mur, comme il tentait d'enjamber la vomissure des tableaux. Maladresse : le jeune homme trébucha avant de se rattraper au mur du couloir où il laissa une trace de main. Démarche pressée. Levius dévalait l'escalier en tirant nerveusement sur son T shirt jusqu'à ce qu'il parvienne enfin à s'en débarrasser et l'abandonner sur place. Corps zébré de bleu.
Il déboula dans le salon et se mit à échanger vivement avec Susan (qui se trouvait dans la cuisine). Son visage traduisait un genre de colère juvénile, comme il s'agaçait contre la doyenne en langue des signes. Après quoi, il sortit simplement de la maison. Il devait être aux alentours de huit heures trente : l'air était frais. Tout luisait paisiblement sous la rosée et les animaux des bois profitaient de cette quiétude pour paître en avant du terrain.
Levius reçu cette claque de réalité comme un martyr se sauve dans la douleur. La lumière d'un soleil encore à l'horizon lui frappa les yeux avec toute la violence d'une bénédiction. Il eut une profonde et salvatrice inspiration. Puis, on le vit s'asseoir sur la terre nue, devant le tuyau d'arrosage sur le côté de la maison. Le jeune homme ne réfléchissait plus. Il ouvrit la vanne et entreprit de se rincer abondamment. L'eau glacée lui emballa le cœur en le frigorifiant, mais il s'y contraignit. Cela dura un moment. Plus la flaque bleue s'étendait autour de lui, plus il sentait s'en revenir l'absolue sérénité. Levius n'épargna aucune tache.
Enfin, quand s'acheva cet étrange rituel de purification et que Levius fut tout à fait propre, la véritable paix s'en revint. Il porta sur le monde alentour un regard clair, le cœur bouleversé par l'édifiant contraste entre tumulte et apaisement. Le garçon se releva donc et traîna sa carcasse éprouvée sur le banc le plus proche. Adossé au mur de la maison, il laissa échapper un long souffle de soulagement. Détrempé, gelé à demi, mais sauf. Levius reprenait son souffle.
Il se laissa bercer par la voix douce d'Abigail et ses caresses, comme l'enfant lors de ses premières heures. Facette maternelle de leurs rapports. Levius avait assimilé cette faculté de son amie à le tirer lentement de la caverne. Alors, comme s'en revenait le rituel chaud et familier des « autres fois », il se laissait faire : sentiment d'espoir regonflé par la promesse d'une délivrance.
Le jeune homme s'accrocha à l’altérité pour mieux effacer le moi erratique. Les couleurs cessèrent d'arriver (ou alors il ne les remarqua plus). Puis, l'encombrement diminua. Lentement, un élément après l'autre, Levius sentait moins le poids des couleurs écraser son corps entier. Il sentait revenir ses membres, sa peau, sa cohérence, son être entier. Il sentait que les fragments de sa psyché coagulaient de nouveau. Il respirait un air frais, entendait d'un son clair, touchait la tiédeur d'une autre peau et sentait son odeur familière sans crainte du démembrement. Alors, la perspective de finir calciné dans son être laissait place à une clarté assourdissante.
Vide sidérant.
« J'ai rêvé... de...
Murmura-t-il, mais la phrase mourut à la porte de sa bouche. Il eut un long souffle. Les images, que les couleurs avaient recouvertes, revenaient le tourmenter. Levius retrouvait la conscience de son corps comme l'on plongerait dans un bain d'eau glacée. Il se sentait sale. La peinture avait coulé sur lui et séché. Il n'aimait pas la sensation de cette boue bleue au bout des doigts, dans ses cheveux. Il sentait la sueur. Il était plein de cette moiteur nocturne et froide que l'on chasse normalement avec la toilette du matin. C'était désagréable et pourtant il avait laissé tout cela arriver.
Pire, il avait pris son amie d'enfance en otage dans cette affaire : Levius ouvrit les yeux à cette pensée. Il se redressa juste ce qu'il faut pour considérer le ventre de son amie et constata qu'il avait tâché ses vêtements de peinture. Cette vision lui fit l'effet d'un frisson glacé qui meurt aux entrailles pour les y tordre. Alors, quelque chose se retourna dans son esprit et il releva ses prunelles bleue sur le visage d'Abigail.
« Qui t'a...
Fit-il dans un autre souffle à peine audible. A cet instant, une sorte de réalisation sembla frapper le jeune homme et il se releva. Nerveux, chancelant, on le vit rejoindre la porte d'un air pressé. Manière erratiques, Levius s'appuya contre la chambranle et le mur, comme il tentait d'enjamber la vomissure des tableaux. Maladresse : le jeune homme trébucha avant de se rattraper au mur du couloir où il laissa une trace de main. Démarche pressée. Levius dévalait l'escalier en tirant nerveusement sur son T shirt jusqu'à ce qu'il parvienne enfin à s'en débarrasser et l'abandonner sur place. Corps zébré de bleu.
Il déboula dans le salon et se mit à échanger vivement avec Susan (qui se trouvait dans la cuisine). Son visage traduisait un genre de colère juvénile, comme il s'agaçait contre la doyenne en langue des signes. Après quoi, il sortit simplement de la maison. Il devait être aux alentours de huit heures trente : l'air était frais. Tout luisait paisiblement sous la rosée et les animaux des bois profitaient de cette quiétude pour paître en avant du terrain.
Levius reçu cette claque de réalité comme un martyr se sauve dans la douleur. La lumière d'un soleil encore à l'horizon lui frappa les yeux avec toute la violence d'une bénédiction. Il eut une profonde et salvatrice inspiration. Puis, on le vit s'asseoir sur la terre nue, devant le tuyau d'arrosage sur le côté de la maison. Le jeune homme ne réfléchissait plus. Il ouvrit la vanne et entreprit de se rincer abondamment. L'eau glacée lui emballa le cœur en le frigorifiant, mais il s'y contraignit. Cela dura un moment. Plus la flaque bleue s'étendait autour de lui, plus il sentait s'en revenir l'absolue sérénité. Levius n'épargna aucune tache.
Enfin, quand s'acheva cet étrange rituel de purification et que Levius fut tout à fait propre, la véritable paix s'en revint. Il porta sur le monde alentour un regard clair, le cœur bouleversé par l'édifiant contraste entre tumulte et apaisement. Le garçon se releva donc et traîna sa carcasse éprouvée sur le banc le plus proche. Adossé au mur de la maison, il laissa échapper un long souffle de soulagement. Détrempé, gelé à demi, mais sauf. Levius reprenait son souffle.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Sam 31 Aoû 2019 - 12:15
Apprendre à laisser le temps au temps était un long et fastidieux apprentissage. Pourtant, avec une personne comme Levius, c'était quelque chose d'essentiel. Voilà pourquoi même si j'avais la pleine conscience de faire intrusion dans son monde, je restais silencieuse et délicate. Tout ce que j'aurais pu dire ou faire à ce moment aurait été dans toutes les façons pris pour une agression de la part du jeune homme. Je le laissais s'accrocher à moi, ayant conscience de l'importance de ce geste qui semblait pourtant anodin pour la plupart des gens. Avec lui, c'était tellement plus. Avec Levius, tout était tellement plus. Si intense, si différent et si à part. C'était cette particularité que j'avais toujours tant aimé chez lui, ce qui le rendait spécial et ce qui nous avait rapprochés depuis tant d'années… mais c'était aussi ce qui nous avait brisés.
Bien peu inquiète du sort réservé à mes vêtements, je le laissais s'échapper dans son chagrin tandis que je raffermissais petit à petit mon emprise sur lui. Pour encore mieux le soutenir, mais aussi mieux le sentir. Cet ami que j'avais toujours apprécié toucher, contre qui je me sentais à ce point en sécurité que les cauchemars s'étaient envolés. Aujourd'hui tout cela m'était interdit, et je n'étais pas totalement en paix avec ce procédé. Je ne doutais cependant pas de ma capacité à y arriver, c'était une simple fatalité devant laquelle je devais faire face, me soumettre et accepter. Car l'existence même était faite d'événements que nous aurions préféré choisir mais que nous étions obligés d'accepter, tout simplement. Laisser couler, parce que c'est ainsi.
Lorsqu'enfin il revint à lui, comme s'il avait été violenté par une réalité sourde dont seul lui connaissait l'existence, je le laissais essayer de s'expliquer. Toutefois tout était encore bien trop lourd. Voix étranglée qui ne parvenait pas à saisir les mots, l'esprit encore trop confus, je me surprenais à sourire, comme une mère attendrie devant son enfant. Caresse plus significative dans ses cheveux que j'appréciais tant, je n'insistais pas pour connaître la suite. Un événement quelconque avait déclenché sa furie teintée de bleu aujourd'hui. Je n'étais pas certaine que savoir vraiment ce qui s'était passé me serait utile. Je n'étais même pas certaine de vouloir vraiment le savoir. Pour être tout à fait honnête, je craignais d'en être la cause. Car oui je n'étais pas dupe, l'historique de notre relation, le fait qu'il ait essayé de me reconquérir, les souvenirs qui ne cessaient de danser autour de nous, mon départ de la ferme que je ne pensais pas si soudain, tout cela avait ébranlé le fragile équilibre du sorcier.
Est-ce que je m'en voulais ? Dans un sens, oui, bien sûr. De l'autre, je n'avais pas à mettre ma vie en suspension pour lui. Dans d'autres circonstances, je l'aurai fait, avec une promesse de retour, une date. Mais le gouffre profondément sombre dans lequel j'avais été précipitée le jour de son départ me hantait encore, et je craignais toujours, au jour d'aujourd'hui, d'y retomber. Je tremblais tous les jours de l'exacte disparition de Lubia. C'était un fardeau que je devais porter au quotidien et qui engendrait de nombreuses angoisses.
Capable de raisonner à nouveau, je laissais mon ami d'enfance relever des yeux entremêlés d'émotions diverses alors qu'il comprenait enfin que ma présence ici, en cet instant, n'était pas le fruit du hasard. Sans insister, je le laissais s'en aller en l'observant tituber face au capharnaüm qu'il avait lui-même créé. Il n'était pas bien difficile de comprendre ce qu'il essayait de faire, alors, je restais là. Point central dans cet océan de bleu, comme une intruse. Ou peut-être plutôt une île ? Ce petit bout de terre que les naufragés essayaient tant bien que mal d'atteindre afin de se raccrocher à la vie avec ferveur.
Même si Levius avait disparu de mon champ de vision, je continuais à fixer le couloir, possédée par les silhouettes de nos souvenirs. Nous, enfants, en train de jouer en ces lieux, grands complices, gardant les secrets de l'autre, faisant de grands projets d'évasions pour la nuit. Dormir à la belle étoile, camping dans les bois, au risque de nous perdre. Nous avions maintes fois tourmentés nos parents avec nos disparitions nocturnes.
Les prunelles sombres glissèrent le long des murs de la chambre. Même si tout était différent présentement, j'y voyais encore les meubles, tout cet espace parfaitement calibré et orchestré. Je contemplais le lit, non loin de la fenêtre, avec nos deux corps entremêlés lors de l'un de ces matins doux entre nous. Tout cela avait une forme étrangement vieillie, aux couleurs teintent de sépia dans tout ce bleu.
Un long soupir traversa mes narines alors que je me rapprochais des carreaux de la fenêtre pour y voir là, Levius en train de se débarrasser de sa couleur du lundi.
Il fallait tourner la page. Car même si c'était quelque chose que j'appréciais chez lui, cette particularité, c'était aujourd'hui un poids que j'aimais à ne plus devoir porter au quotidien auprès de Lubia. Ce constat fut amer, au goût ferreux dans ma bouche, mais pourtant il était d'une réalité triste à en pleurer. Je m'en serais accommodée sans broncher, après tout, je faisais d'autres concessions avec mon amour du moment, mais la saveur de la liberté avait quelque chose de plus sucré. Plus alléchant.
Je me trouvais monstrueuse de penser cela.
Tranquillement, je ramassais mon sac à l'entrée de la chambre pour le porter à nouveau sur mon dos, après avoir ramassé des vêtements neufs dans les tiroirs de Levius. Je savais parfaitement comment il rangeait ses affaires ainsi que ses goûts selon le jour et son humeur. Je négligeais donc le bleu cette fois-ci, me contentant d'une chemise blanche, pour la neutralité, et un bas vert, pour le dérivé de bleu. Après avoir fait quelque pas, je ramassais le T-shirt abandonné là durant la course du garçon pour, d'un simple sortilège, le laisser s'envoler vers la corbeille à linges sales.
Retrouvant Susan dans la cuisine, l'air contrariée, je vins lui déposer un baiser sur la joue, comme pour la rassurer et lui confirmer qu'elle n'avait pas mal agit. Il était normal qu'à son âge elle ne puisse plus assumer pleinement les crises de son petit-fils, même si ce dernier ne s'en rendait pas toujours compte.
Ensuite, je sortais tranquillement dans la cour, appréciant la fraicheur matinale des lieux. Je l'avais toujours aimée, bien plus à l'aise non loin de la nature verte que les étendues d'eaux dans lesquelles je vivais aujourd'hui. La ferme me manquait. Des fois.
Sans un mot, je m'approchais du jeune homme, lui tendant sa pile de vêtements pour qu'il puisse se changer. Je refusais que, de surcroît, il tombe malade. Avec un sourire doux qui semblait ne pas pouvoir être défais de mon visage, je prenais place à côté de lui sur le banc, non sans avoir laissé trainer mon regard sur les formes de son torse. C'était avec violence que j'avais chassé les souvenirs de nos étreintes qui me sautèrent soudainement au visage, et, pour paraître tout à fait sereine, je vins m'appuyer contre le mur de la maison après avoir déposé mon sac à mes pieds. Là, je fermais les paupières pour davantage savourer l'instant. Les rayons encore frais du soleil caresser mon visage. Sentir la rosée du matin s'évaporer autour de nous. Entendre la nature se réveiller lentement et sereinement, elle.
Après une profonde inspiration apaisée, sans rouvrir les paupières, je murmurais, comme si je craignais de briser la symphonie du spectacle matinal qui s'offrait à nous.
- A l'évidence, ce sera une bonne journée aujourd'hui.
Bien peu inquiète du sort réservé à mes vêtements, je le laissais s'échapper dans son chagrin tandis que je raffermissais petit à petit mon emprise sur lui. Pour encore mieux le soutenir, mais aussi mieux le sentir. Cet ami que j'avais toujours apprécié toucher, contre qui je me sentais à ce point en sécurité que les cauchemars s'étaient envolés. Aujourd'hui tout cela m'était interdit, et je n'étais pas totalement en paix avec ce procédé. Je ne doutais cependant pas de ma capacité à y arriver, c'était une simple fatalité devant laquelle je devais faire face, me soumettre et accepter. Car l'existence même était faite d'événements que nous aurions préféré choisir mais que nous étions obligés d'accepter, tout simplement. Laisser couler, parce que c'est ainsi.
Lorsqu'enfin il revint à lui, comme s'il avait été violenté par une réalité sourde dont seul lui connaissait l'existence, je le laissais essayer de s'expliquer. Toutefois tout était encore bien trop lourd. Voix étranglée qui ne parvenait pas à saisir les mots, l'esprit encore trop confus, je me surprenais à sourire, comme une mère attendrie devant son enfant. Caresse plus significative dans ses cheveux que j'appréciais tant, je n'insistais pas pour connaître la suite. Un événement quelconque avait déclenché sa furie teintée de bleu aujourd'hui. Je n'étais pas certaine que savoir vraiment ce qui s'était passé me serait utile. Je n'étais même pas certaine de vouloir vraiment le savoir. Pour être tout à fait honnête, je craignais d'en être la cause. Car oui je n'étais pas dupe, l'historique de notre relation, le fait qu'il ait essayé de me reconquérir, les souvenirs qui ne cessaient de danser autour de nous, mon départ de la ferme que je ne pensais pas si soudain, tout cela avait ébranlé le fragile équilibre du sorcier.
Est-ce que je m'en voulais ? Dans un sens, oui, bien sûr. De l'autre, je n'avais pas à mettre ma vie en suspension pour lui. Dans d'autres circonstances, je l'aurai fait, avec une promesse de retour, une date. Mais le gouffre profondément sombre dans lequel j'avais été précipitée le jour de son départ me hantait encore, et je craignais toujours, au jour d'aujourd'hui, d'y retomber. Je tremblais tous les jours de l'exacte disparition de Lubia. C'était un fardeau que je devais porter au quotidien et qui engendrait de nombreuses angoisses.
Capable de raisonner à nouveau, je laissais mon ami d'enfance relever des yeux entremêlés d'émotions diverses alors qu'il comprenait enfin que ma présence ici, en cet instant, n'était pas le fruit du hasard. Sans insister, je le laissais s'en aller en l'observant tituber face au capharnaüm qu'il avait lui-même créé. Il n'était pas bien difficile de comprendre ce qu'il essayait de faire, alors, je restais là. Point central dans cet océan de bleu, comme une intruse. Ou peut-être plutôt une île ? Ce petit bout de terre que les naufragés essayaient tant bien que mal d'atteindre afin de se raccrocher à la vie avec ferveur.
Même si Levius avait disparu de mon champ de vision, je continuais à fixer le couloir, possédée par les silhouettes de nos souvenirs. Nous, enfants, en train de jouer en ces lieux, grands complices, gardant les secrets de l'autre, faisant de grands projets d'évasions pour la nuit. Dormir à la belle étoile, camping dans les bois, au risque de nous perdre. Nous avions maintes fois tourmentés nos parents avec nos disparitions nocturnes.
Les prunelles sombres glissèrent le long des murs de la chambre. Même si tout était différent présentement, j'y voyais encore les meubles, tout cet espace parfaitement calibré et orchestré. Je contemplais le lit, non loin de la fenêtre, avec nos deux corps entremêlés lors de l'un de ces matins doux entre nous. Tout cela avait une forme étrangement vieillie, aux couleurs teintent de sépia dans tout ce bleu.
Un long soupir traversa mes narines alors que je me rapprochais des carreaux de la fenêtre pour y voir là, Levius en train de se débarrasser de sa couleur du lundi.
Il fallait tourner la page. Car même si c'était quelque chose que j'appréciais chez lui, cette particularité, c'était aujourd'hui un poids que j'aimais à ne plus devoir porter au quotidien auprès de Lubia. Ce constat fut amer, au goût ferreux dans ma bouche, mais pourtant il était d'une réalité triste à en pleurer. Je m'en serais accommodée sans broncher, après tout, je faisais d'autres concessions avec mon amour du moment, mais la saveur de la liberté avait quelque chose de plus sucré. Plus alléchant.
Je me trouvais monstrueuse de penser cela.
Tranquillement, je ramassais mon sac à l'entrée de la chambre pour le porter à nouveau sur mon dos, après avoir ramassé des vêtements neufs dans les tiroirs de Levius. Je savais parfaitement comment il rangeait ses affaires ainsi que ses goûts selon le jour et son humeur. Je négligeais donc le bleu cette fois-ci, me contentant d'une chemise blanche, pour la neutralité, et un bas vert, pour le dérivé de bleu. Après avoir fait quelque pas, je ramassais le T-shirt abandonné là durant la course du garçon pour, d'un simple sortilège, le laisser s'envoler vers la corbeille à linges sales.
Retrouvant Susan dans la cuisine, l'air contrariée, je vins lui déposer un baiser sur la joue, comme pour la rassurer et lui confirmer qu'elle n'avait pas mal agit. Il était normal qu'à son âge elle ne puisse plus assumer pleinement les crises de son petit-fils, même si ce dernier ne s'en rendait pas toujours compte.
Ensuite, je sortais tranquillement dans la cour, appréciant la fraicheur matinale des lieux. Je l'avais toujours aimée, bien plus à l'aise non loin de la nature verte que les étendues d'eaux dans lesquelles je vivais aujourd'hui. La ferme me manquait. Des fois.
Sans un mot, je m'approchais du jeune homme, lui tendant sa pile de vêtements pour qu'il puisse se changer. Je refusais que, de surcroît, il tombe malade. Avec un sourire doux qui semblait ne pas pouvoir être défais de mon visage, je prenais place à côté de lui sur le banc, non sans avoir laissé trainer mon regard sur les formes de son torse. C'était avec violence que j'avais chassé les souvenirs de nos étreintes qui me sautèrent soudainement au visage, et, pour paraître tout à fait sereine, je vins m'appuyer contre le mur de la maison après avoir déposé mon sac à mes pieds. Là, je fermais les paupières pour davantage savourer l'instant. Les rayons encore frais du soleil caresser mon visage. Sentir la rosée du matin s'évaporer autour de nous. Entendre la nature se réveiller lentement et sereinement, elle.
Après une profonde inspiration apaisée, sans rouvrir les paupières, je murmurais, comme si je craignais de briser la symphonie du spectacle matinal qui s'offrait à nous.
- A l'évidence, ce sera une bonne journée aujourd'hui.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Ven 6 Sep 2019 - 10:44
L'esprit enfin clair, Levius se calmait peu à peu. La fraîcheur matinale lui mordait la peau, achevant de l'éveiller tout à fait. Dans le même temps, son esprit délaissait enfin les chiffres et les couleurs accumulées durant la nuit. C'était comme s'il voyait de nouveau le monde alentour, depuis trois heures de brouillard ininterrompus. Sensation salvatrice et éblouissante. Levius mettait en ordre ses pensées sans se départir de cette impression très particulière que l'on a lorsque l'on sort d'un rêve vivide. Aux choses ordinaires s'ajoutait le goût étrange de l'inconscient encore frais. Les émotions de l'intime : celles que l'on oublie vite mais qui ne cessent de nous influencer tout au long de la journée.
Qui plus est, il revenait sur son comportement avec le regard sévère du juge insensible à la détresse d'un accusé responsable dans les faits, mais innocent dans les intentions. Levius savait pourtant qu'il n'y avait rien d'extraordinaire dans ce qui venait de se jouer. L'on était habitué à ses crises. L'on n'y prêtait guère plus d'attention qu'il ne le fallait, se contentant de réconforter chaleureusement le garçon avant de passer à autre chose.
En un sens, c'est ce qui le blessait, Levius. Il sentait le poids de ses façons peser sur le monde autour et cette manière odieuse qu'il avait d'imposer sa personne à un entourage par trop patient. Même s'il ne faisait pas exprès d'être ainsi, il s'en voulait. Il imaginait pouvoir changer. Il essayait beaucoup d'ailleurs.
Ces temps-ci, on ne l'avait jamais vu si sociable, à multiplier les rencontres et les contacts professionnels. Pourtant, le naturel revenait toujours et plus fort même, comme pour lui faire payer son sursaut d'audace. Levius se morfondait face au constat de son échec à agir « normalement », ignorant toutes les victoires pour ne garder en lui que cette sombre et impitoyable sentence. Il oubliait le travail effectué auprès des siens, il oubliait les concessions, il oubliait la violence auto-infligée quotidiennement pour supporter le changement, car il savait que, dans le fond, tout ceci n'en était qu'une résultante. Une régurgitation bleu qui annulait tout.
Voilà ce que tout ceci voulait dire : son esprit ne voulait pas de tous ces changements. Levius forçait le trait et son être profond lui faisait payer. Cruauté qui se déplace : pourquoi les choses étaient-elles ainsi ?
Levius tournait en rond, de toute évidence. Il n'avait pas encore acquit cette capacité à oublier les mauvais moments, afin de persévérer envers et contre tout. L'on sait qu'il est impossible de tout réussir d'une traite, que les chemins les plus longs et les plus tortueux, ceux qui mènent aux plus beaux sommets, sont difficiles à arpenter. Il faut s'y reprendre à plusieurs fois et s'arrêter souvent pour en venir à bout. Il faut le vouloir, ne pas se lasser. Garder le cap. C'est long, c'est difficile. Parfois, on perd espoir... Mais tout cela, c'est sans importance tant que l'on garde bien en tête la certitude que c'est ce que l'on veut, vraiment.
Cependant Levius appréhendait mal tout cela. Il était de l'espèce de ces surdoués qui réussissent tout de manière intuitive et sans avoir à fournir un effort constant. Fatalement, il se trouvait bien démuni lorsque l'effort impliquait d'agir sur la longueur et de passer par une infinité de petites étapes, là où son esprit brillant voudrait immédiatement sauter sur la case d'arrivée.
Sagesse à bâtir.
La propension de Levius à apprendre le pousserait peut-être à persévérer malgré tout. Cela resterait à voir.
En attendant, il s'enquit de la présence d'Abigail de l'un de ces regards en coin qu'il avait ordinairement. Son regard se posa plutôt sur les vêtements qu'elle venait d'amener. Le blanc lui fit l'effet d'une douceur, mais il s'attarda plus longuement sur le vert. Levius ne portait jamais de couleur secondaire sans une couleur primaire pour la stabiliser. Le vert, par ailleurs, lui évoquait une forme d'individualisme. C'était une couleur très indépendante, avec beaucoup de caractère. Elle ne s'entendait pas forcément très bien avec les autres et s'affichait toujours avec beaucoup de fierté. Néanmoins, c'était celle que Levius préférait porter (en comparaison, le orange était trop agressif et le violet désagréablement abyssal).
Levius esquissa l'ombre d'un sourire : peut-être que c'était ce dont il avait besoin, finalement. Délaisser un peu le jugement (le sien et celui des autres), oublier le négatif et continuer à avancer. Au point où il en était, il n'y avait guère de mal à se recentrer un peu, se contenir, se restructurer. Levius ne pouvait plus se permettre de couler à son âge. Même s'il avait cette étrange tendance de caractère, il était adulte et devait trouver le moyen de continuer à faire ce qu'il fallait envers et contre tout. Tant-pis s'il était bizarre, tant qu'il était responsable.
« Oui... Dit-il doucement. A l'évidence.
Il eut un soupir serein et passa la chemise. En un autre temps, Levius aurait probablement cherché à revenir sur ce qui venait de se passer. Il se serait excusé et aurait invité Abigail à ne plus venir lui porter secours... Mais Levius comprenait qu'au fond, une telle démarche était stérile. Il se faisait déjà la réflexion tout seul : à quoi bon revenir sur une question dont ils avaient déjà fait le tour mille fois ? Non, la seule grâce qu'il pouvait lui faire était d'oublier cet épisode et aller de l'avant.
« Pardon pour la peinture... Dit-il néanmoins en constatant qu'elle en était barbouillée. J'ai un très bon sortilège pour ça.
Il eut un petit sourire embarrassé, tandis qu'il rectifiait la position des lunettes sur son nez. A ce titre, Levius regrettait de n'avoir pas sa baguette à portée de main : il s'en serait servi pour sécher son caleçon, en plus de rattraper les vêtements de son amie. Enfin, ce n'était pas bien grave : il la retrouverait à l'intérieur, là où il l'avait laissée.
« Tu restes pour le petit déjeuner ?
Fit-il alors d'un ton un peu plus gai. Le jeune homme s'efforçait de positiver, même s'il était toujours un peu mal à l'aise. Habillé, il invita donc Abigail à le suivre à l'intérieur et retrouva sa grand-mère dans la cuisine en train de beurrer des tartines. Les quelques minutes suivantes furent consacrées à de plates excuses, mais l'incident fut complètement oublié lorsque Levius prit l'initiative de servir le thé. Susan s'occupa même de rectifier l'accoutrement du duo d'un coup de sa propre baguette magique.
Avec cinq petits enfants, chacun doté de son propre caractère, la doyenne de la famille ne s'ébranlait pas facilement. Qui plus est, elle semblait ravie par la présence d'Abigail. Les déboires sentimentaux de l'ancien couple ne lui avait pas échappé, mais elle était tellement heureuse d'avoir assisté à l'épanouissement de son petit fils qu'Abigail gardait une place très spéciale dans son cœur. Ainsi, elle accueillait la présence de la jeune femme dans sa cuisine en multipliant les sourires et les invitations à puiser dans la foule de pot de confiture disposés sur la table.
Au dehors, on pouvait entendre chanter Kant, le coq de la ferme. Une matinée ordinaire à la ferme des Bird.
Qui plus est, il revenait sur son comportement avec le regard sévère du juge insensible à la détresse d'un accusé responsable dans les faits, mais innocent dans les intentions. Levius savait pourtant qu'il n'y avait rien d'extraordinaire dans ce qui venait de se jouer. L'on était habitué à ses crises. L'on n'y prêtait guère plus d'attention qu'il ne le fallait, se contentant de réconforter chaleureusement le garçon avant de passer à autre chose.
En un sens, c'est ce qui le blessait, Levius. Il sentait le poids de ses façons peser sur le monde autour et cette manière odieuse qu'il avait d'imposer sa personne à un entourage par trop patient. Même s'il ne faisait pas exprès d'être ainsi, il s'en voulait. Il imaginait pouvoir changer. Il essayait beaucoup d'ailleurs.
Ces temps-ci, on ne l'avait jamais vu si sociable, à multiplier les rencontres et les contacts professionnels. Pourtant, le naturel revenait toujours et plus fort même, comme pour lui faire payer son sursaut d'audace. Levius se morfondait face au constat de son échec à agir « normalement », ignorant toutes les victoires pour ne garder en lui que cette sombre et impitoyable sentence. Il oubliait le travail effectué auprès des siens, il oubliait les concessions, il oubliait la violence auto-infligée quotidiennement pour supporter le changement, car il savait que, dans le fond, tout ceci n'en était qu'une résultante. Une régurgitation bleu qui annulait tout.
Voilà ce que tout ceci voulait dire : son esprit ne voulait pas de tous ces changements. Levius forçait le trait et son être profond lui faisait payer. Cruauté qui se déplace : pourquoi les choses étaient-elles ainsi ?
Levius tournait en rond, de toute évidence. Il n'avait pas encore acquit cette capacité à oublier les mauvais moments, afin de persévérer envers et contre tout. L'on sait qu'il est impossible de tout réussir d'une traite, que les chemins les plus longs et les plus tortueux, ceux qui mènent aux plus beaux sommets, sont difficiles à arpenter. Il faut s'y reprendre à plusieurs fois et s'arrêter souvent pour en venir à bout. Il faut le vouloir, ne pas se lasser. Garder le cap. C'est long, c'est difficile. Parfois, on perd espoir... Mais tout cela, c'est sans importance tant que l'on garde bien en tête la certitude que c'est ce que l'on veut, vraiment.
Cependant Levius appréhendait mal tout cela. Il était de l'espèce de ces surdoués qui réussissent tout de manière intuitive et sans avoir à fournir un effort constant. Fatalement, il se trouvait bien démuni lorsque l'effort impliquait d'agir sur la longueur et de passer par une infinité de petites étapes, là où son esprit brillant voudrait immédiatement sauter sur la case d'arrivée.
Sagesse à bâtir.
La propension de Levius à apprendre le pousserait peut-être à persévérer malgré tout. Cela resterait à voir.
En attendant, il s'enquit de la présence d'Abigail de l'un de ces regards en coin qu'il avait ordinairement. Son regard se posa plutôt sur les vêtements qu'elle venait d'amener. Le blanc lui fit l'effet d'une douceur, mais il s'attarda plus longuement sur le vert. Levius ne portait jamais de couleur secondaire sans une couleur primaire pour la stabiliser. Le vert, par ailleurs, lui évoquait une forme d'individualisme. C'était une couleur très indépendante, avec beaucoup de caractère. Elle ne s'entendait pas forcément très bien avec les autres et s'affichait toujours avec beaucoup de fierté. Néanmoins, c'était celle que Levius préférait porter (en comparaison, le orange était trop agressif et le violet désagréablement abyssal).
Levius esquissa l'ombre d'un sourire : peut-être que c'était ce dont il avait besoin, finalement. Délaisser un peu le jugement (le sien et celui des autres), oublier le négatif et continuer à avancer. Au point où il en était, il n'y avait guère de mal à se recentrer un peu, se contenir, se restructurer. Levius ne pouvait plus se permettre de couler à son âge. Même s'il avait cette étrange tendance de caractère, il était adulte et devait trouver le moyen de continuer à faire ce qu'il fallait envers et contre tout. Tant-pis s'il était bizarre, tant qu'il était responsable.
« Oui... Dit-il doucement. A l'évidence.
Il eut un soupir serein et passa la chemise. En un autre temps, Levius aurait probablement cherché à revenir sur ce qui venait de se passer. Il se serait excusé et aurait invité Abigail à ne plus venir lui porter secours... Mais Levius comprenait qu'au fond, une telle démarche était stérile. Il se faisait déjà la réflexion tout seul : à quoi bon revenir sur une question dont ils avaient déjà fait le tour mille fois ? Non, la seule grâce qu'il pouvait lui faire était d'oublier cet épisode et aller de l'avant.
« Pardon pour la peinture... Dit-il néanmoins en constatant qu'elle en était barbouillée. J'ai un très bon sortilège pour ça.
Il eut un petit sourire embarrassé, tandis qu'il rectifiait la position des lunettes sur son nez. A ce titre, Levius regrettait de n'avoir pas sa baguette à portée de main : il s'en serait servi pour sécher son caleçon, en plus de rattraper les vêtements de son amie. Enfin, ce n'était pas bien grave : il la retrouverait à l'intérieur, là où il l'avait laissée.
« Tu restes pour le petit déjeuner ?
Fit-il alors d'un ton un peu plus gai. Le jeune homme s'efforçait de positiver, même s'il était toujours un peu mal à l'aise. Habillé, il invita donc Abigail à le suivre à l'intérieur et retrouva sa grand-mère dans la cuisine en train de beurrer des tartines. Les quelques minutes suivantes furent consacrées à de plates excuses, mais l'incident fut complètement oublié lorsque Levius prit l'initiative de servir le thé. Susan s'occupa même de rectifier l'accoutrement du duo d'un coup de sa propre baguette magique.
Avec cinq petits enfants, chacun doté de son propre caractère, la doyenne de la famille ne s'ébranlait pas facilement. Qui plus est, elle semblait ravie par la présence d'Abigail. Les déboires sentimentaux de l'ancien couple ne lui avait pas échappé, mais elle était tellement heureuse d'avoir assisté à l'épanouissement de son petit fils qu'Abigail gardait une place très spéciale dans son cœur. Ainsi, elle accueillait la présence de la jeune femme dans sa cuisine en multipliant les sourires et les invitations à puiser dans la foule de pot de confiture disposés sur la table.
Au dehors, on pouvait entendre chanter Kant, le coq de la ferme. Une matinée ordinaire à la ferme des Bird.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Dim 20 Oct 2019 - 11:25
Ce qui était formidable dans la relation que nous vivions, c'était qu'il n'y avait nulle rancune des événements passés. Des douleurs, oui. Des cicatrices, effectivement. Des pulsions contre lesquelles lutter. Des chapitres du roman de nos vies difficiles à tourner. Mais au final, rien d'insurmontable. Rien qui nous dénaturerait, lui et moi, moi et lui. Tempus Fugit, et les fantômes du passé avec lui. Rien ne pouvait véritablement changer tout ce que nous pouvions ressentir l'un pour l'autre, car nous étions faits l'un pour l'autre. Issus de la même fabrique, indissociables, jumeaux de l'âme et de la sensibilité, âmes sœurs sans cesse en recherche de l'autre et malgré tout, incapables d'être totalement compatibles, de s'aimer. Difficulté à être un unisson parfait. Un accord certes oui, mais jamais sur les mêmes ondes. C'était d'une tristesse à en pleurer, et de cette fatalité, mes larmes avaient tant coulé que je n'étais plus capable d'en générer pour ça.
Quand bien même je pouvais me faire une raison, je pouvais accepter la situation comme elle était, il y aura toujours quelque chose entre nous, une attirance et une complicité jamais retrouvées ailleurs. Car nous étions atypiques, et ce, depuis le premier jour. Petits êtres isolés du monde, reclus, parias de la société car trop étranges, c'était ce qui nous avait rapprochés (en plus de l'insistance de nos parents). Approche élégante et malhabile, lui était déjà bien plus grand que moi, et j'avais souhaité lui embrasser la joue, comme faisaient les grands. Mais trop petite, même hissée sur la pointe de mes pieds, je n'avais pu atteindre que le menton. Baiser gravé dans le marbre, dans la chronologie du temps, car il avait été exceptionnel de beauté et de sincérité.
C'était la belle époque.
Une époque que je pensais révolue, et que j'essayais sans cesse de rattraper dans mon présent. Là, assise sur ce banc, à ses côtés, alors que j'observais la nature se réveiller à la ferme des Bird. Simplement observer et écouter. C'était ce qui nous complétait, Levius et moi. Alors déjà, je ne prenais plus garde aux choses qui nous avaient malmenés ce matin. Histoire oubliée, événement passé qui n'avait aucune importance, aucun impact sur l'amour profond que je lui portais. Consciente qu'il n'appréciait guère être vu dans cet état, je lui avais déjà signifié que tout cela me glissait sur la peau comme rouleraient un million de gouttes d'eau sur une surface d'ivoire. J'aurais aimé faire plus à l'époque, du temps de nous deux. C'était ainsi.
- Ce n'est pas grave, ce n'est que du tissu. Tu arrangeras ça plus tard.
Haussement d'épaule prouvant l'insignifiance de la chose. Sourire tendre et bienheureux sur le visage. Clin d'œil complice à la fin des mots, lui donnant ainsi l'occasion de se racheter, même un peu. Car je le savais sensible Levius, et il aimait réparer ce qui avait été froissé. Pour qu'à nouveau tout soit complémentaire, beau et uniforme.
Acquiescement après un temps d'hésitation, je souriais à nouveau alors que la simplicité de l'avenir proche m'enchantait. Les matins ici, à la ferme, me manquaient énormément. J'avais tant apprécié me réveiller avec l'odeur du vieux bois de la maison, du thé que Susan était en train d'infuser à la cuisine, le tout mêlé aux diverses plantes suspendues çà et là. J'avais tant apprécié me réveiller avec les diverses sonorités de la nature. Les chevaux galopant dans les prés, les poules caquetant dehors mais aussi dans la maison. Les oiseaux chantant pour encourager le soleil à se lever et ainsi mieux l'accueillir.
Aujourd'hui, tout ça me manquait cruellement. Il n'y avait plus l'odeur du vieux bois, du thé et des plantes séchées. En dehors des mouettes et des goélands, il n'y avait plus le chant des oiseaux. Il n'y avait plus le martellement des sabots dans l'herbe, et il n'y avait plus de caquètement de poule. Tout ceci avait fait place à d'autres éléments. Pas moins plaisant. Juste différents.
Je remerciais Susan alors qu'elle nous arrangeait, puis je la gratifiais de cette proximité que j'aimais tant avoir avec elle. Grand-mère de cœur, elle m'avait toujours acceptée et accueillie comme l'une de ses petites-filles. Je n'avais pourtant aucune légitimité de sang, mais c'était comme si.
Profitant de l'instant, de la légèreté du moment, me délectant aussi bien des confitures que du chant du coq dans la cours, je discutais avec aisance aussi bien par les mains avec Susan, que par la parole avec Levius. Véritable bilingue à présent, je n'oubliais aucun détail, et aucune politesse. Car j'étais ainsi faite, ainsi composée, d'attention, de bonne humeur, de douceur et d'amour.
A la fin du repas, je terminais de mâcher ma dernière tartine tout en lorgnant les divers bouquets suspendus dans la cuisine. Puis, je me souvins.
- Au fait dis-moi… où en es-tu dans l'apprentissage de ton animagie ? Tu avais continué après la feuille de mandragore et… tout ce qui est arrivé à côté ?
Il était parti. Nous nous étions séparés. Il avait été occupé par les multiples conférences, les nombreux changements de vie qui avait été un temps de trouble pour nous.
Revenir sur cet apprentissage, sur ce partage et cette intimité que nous avions eu tous les deux à ce moment. C'était comme chercher à se raccrocher une énième fois à ce qui fut. Car ça avait été bon et délicieux. Alors… pourquoi pas, encore, juste un instant de plus ?
Quand bien même je pouvais me faire une raison, je pouvais accepter la situation comme elle était, il y aura toujours quelque chose entre nous, une attirance et une complicité jamais retrouvées ailleurs. Car nous étions atypiques, et ce, depuis le premier jour. Petits êtres isolés du monde, reclus, parias de la société car trop étranges, c'était ce qui nous avait rapprochés (en plus de l'insistance de nos parents). Approche élégante et malhabile, lui était déjà bien plus grand que moi, et j'avais souhaité lui embrasser la joue, comme faisaient les grands. Mais trop petite, même hissée sur la pointe de mes pieds, je n'avais pu atteindre que le menton. Baiser gravé dans le marbre, dans la chronologie du temps, car il avait été exceptionnel de beauté et de sincérité.
C'était la belle époque.
Une époque que je pensais révolue, et que j'essayais sans cesse de rattraper dans mon présent. Là, assise sur ce banc, à ses côtés, alors que j'observais la nature se réveiller à la ferme des Bird. Simplement observer et écouter. C'était ce qui nous complétait, Levius et moi. Alors déjà, je ne prenais plus garde aux choses qui nous avaient malmenés ce matin. Histoire oubliée, événement passé qui n'avait aucune importance, aucun impact sur l'amour profond que je lui portais. Consciente qu'il n'appréciait guère être vu dans cet état, je lui avais déjà signifié que tout cela me glissait sur la peau comme rouleraient un million de gouttes d'eau sur une surface d'ivoire. J'aurais aimé faire plus à l'époque, du temps de nous deux. C'était ainsi.
- Ce n'est pas grave, ce n'est que du tissu. Tu arrangeras ça plus tard.
Haussement d'épaule prouvant l'insignifiance de la chose. Sourire tendre et bienheureux sur le visage. Clin d'œil complice à la fin des mots, lui donnant ainsi l'occasion de se racheter, même un peu. Car je le savais sensible Levius, et il aimait réparer ce qui avait été froissé. Pour qu'à nouveau tout soit complémentaire, beau et uniforme.
Acquiescement après un temps d'hésitation, je souriais à nouveau alors que la simplicité de l'avenir proche m'enchantait. Les matins ici, à la ferme, me manquaient énormément. J'avais tant apprécié me réveiller avec l'odeur du vieux bois de la maison, du thé que Susan était en train d'infuser à la cuisine, le tout mêlé aux diverses plantes suspendues çà et là. J'avais tant apprécié me réveiller avec les diverses sonorités de la nature. Les chevaux galopant dans les prés, les poules caquetant dehors mais aussi dans la maison. Les oiseaux chantant pour encourager le soleil à se lever et ainsi mieux l'accueillir.
Aujourd'hui, tout ça me manquait cruellement. Il n'y avait plus l'odeur du vieux bois, du thé et des plantes séchées. En dehors des mouettes et des goélands, il n'y avait plus le chant des oiseaux. Il n'y avait plus le martellement des sabots dans l'herbe, et il n'y avait plus de caquètement de poule. Tout ceci avait fait place à d'autres éléments. Pas moins plaisant. Juste différents.
Je remerciais Susan alors qu'elle nous arrangeait, puis je la gratifiais de cette proximité que j'aimais tant avoir avec elle. Grand-mère de cœur, elle m'avait toujours acceptée et accueillie comme l'une de ses petites-filles. Je n'avais pourtant aucune légitimité de sang, mais c'était comme si.
Profitant de l'instant, de la légèreté du moment, me délectant aussi bien des confitures que du chant du coq dans la cours, je discutais avec aisance aussi bien par les mains avec Susan, que par la parole avec Levius. Véritable bilingue à présent, je n'oubliais aucun détail, et aucune politesse. Car j'étais ainsi faite, ainsi composée, d'attention, de bonne humeur, de douceur et d'amour.
A la fin du repas, je terminais de mâcher ma dernière tartine tout en lorgnant les divers bouquets suspendus dans la cuisine. Puis, je me souvins.
- Au fait dis-moi… où en es-tu dans l'apprentissage de ton animagie ? Tu avais continué après la feuille de mandragore et… tout ce qui est arrivé à côté ?
Il était parti. Nous nous étions séparés. Il avait été occupé par les multiples conférences, les nombreux changements de vie qui avait été un temps de trouble pour nous.
Revenir sur cet apprentissage, sur ce partage et cette intimité que nous avions eu tous les deux à ce moment. C'était comme chercher à se raccrocher une énième fois à ce qui fut. Car ça avait été bon et délicieux. Alors… pourquoi pas, encore, juste un instant de plus ?
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Ven 8 Nov 2019 - 23:38
Il y avait dans l'instant une quiétude propice à l'évaporation de toutes mauvaises pensées. Quand Levius prit sur lui de réparer l'affront qu'il avait fait un peu plus tôt à sa grand-mère (en lui jetant injustement sa mauvaise humeur au visage), tout ce qui lui restait de tracas fut relégué à l'arrière plan. Car, il se rappela que son existence n'allait pas sans celle des autres.
Lui qui avait toujours vécu en étoile filante, isolé de tout système, réalisait qu'il n'était en fait qu'un satellite comme un autre. Il orbitait autour d'une planète plus grosse que lui et que l'on appelait famille, qui elle-même orbitait autour d'un soleil que l'on appelait monde. Levius dépendait de tous ces astres, car c'était à eux qu'il devait d'être lui. Son essence profonde n'avait façonné la pierre de sa propre existence que grâce à l'influence de ces autres corps célestes aux forces invisibles (mais néanmoins puissantes).
Levius n'était pas exactement l'architecte de sa propre vie. Tout au contraire, il était inclus dans un système constitué de multiples liens et qui s'influençaient sans cesse dans un grand et constant mouvement de va et vient. Ainsi, Levius reconnaissait en devoir plus aux autres qu'à lui-même. A trente ans, il voyait le travail de générations de Bird avant lui s'incarner dans un moule, dont il était tout à la fois le produit et l'héritier. Levius comprenait que ses grand-parents, ses parents, ses frères et sœurs, ses amis et tous les autres, avaient pris part (chacun à leur manière) dans son ascension vers l'age adulte. Il comprenait qu'il leur devait tout, car même ce qu'il s'était infligé à lui-même s'était fait en réaction d'un monde vivant et tangible en dehors de sa tête.
Ainsi, en comprenant qu'il était redevable, Levius comprit qu'il devait devenir humble. Pour pouvoir aviser les mondes vivants à côté du sien, il devait apaiser ses tumultes intérieurs et tout ce qui lui barrait l'esprit. Il devait ignorer un peu les cris de son être (vulnérable par nature) afin de diriger son attention sur autre chose, car quand il faisait cela, il se rendait compte que ses façons heurtaient parfois (quand bien-même ne l'aurait-il pas voulu). Agressivité de l'innocent.
Levius ne s'en était jamais vraiment rendu compte avant. Bien-sûr, il l'avait toujours senti. Il avait toujours regretté de se mal comporter, d'être tellement lui que cela en devenait pénible pour les autres... Mais il n'avait jamais réalisé qu'il existait une autre façon de faire et qui consistait à réparer ses erreurs, au lieu de les déplorer simplement. Depuis qu'il s'était mis en tête de devenir acteur de sa vie, de faire davantage et de songer moins, il lui semblait que les choses s'arrangeaient un peu.
Peut-être n'était-ce qu'une impression, mais il se sentait maître des événements et cela lui faisait beaucoup de bien. Il éprouvait enfin la sensation d'une progression dans son cheminement personnel (quand bien-même lui resterait-il encore de nombreuses choses à régler).
Alors, en compagnie de son amie de toujours et dans une atmosphère de bonheur restaurée, ils prirent tous trois leur petit déjeuner.
L'odeur du pain chaud se mêlait au parfum puissant du lait frais entier de la ferme et du thé aromatisé aux fleurs. Il y avait une myriade de couleurs fascinantes et que Levius considéra longuement, tandis qu'Abigail discutait avec la grand-mère : confitures en camaïeu de rouge, beurre jaune comme un épis de maïs, œufs durs pelés d'un blanc immaculé. Cependant, le jeune homme n'oublia pas de participer et, tous ensemble, ils revinrent sur les récoltes et les choses à venir. Susan parlait des animaux, elle parlait de la couleur du ciel et du comportement des abeilles (et de ce que cela disait sur l'hiver prochain), elle parlait des mauvaises herbes et des taupes, elle parlait des trous dans les chaussettes et des brassées de linge à étendre. Elle parlait, en somme, de tout ce qu'une femme de cet âge là et de cette condition est supposée parler. Les choses simples du quotidien, l'expérience de la terre : héritage générationnel, savoir antique.
Levius ne dédaignait plus ces conversations, là où il ne jurait autrefois que par la littérature classique et la musique. Il avait compris qu'il est bien plus question d'entretenir son affection pour son interlocuteur, dans les échanges ordinaires, que de s'informer sur un sujet. Cependant, la vie de fermier l'avait tout de même rendu réceptif aux choses simples de la terre. Il n'était plus un enfant qui venait profiter d'un cadre plein de merveilles (la ferme), désormais. La réalité de son quotidien créait un intérêt réel pour les savoirs populaires relatifs aux saisons, au comportement des abeilles et à toutes ces choses inconnues des grandes plumes.
Alors, il s'appliqua à rester attentif à tout ce qui se disait. Il renonça à écouter l'appel de ses songeries distraites et ignora l'angoisse résiduelle de sa crise bleue encore récente. Quand bien même ignora-t-il les visage, gardant seulement les yeux rivés sur les mains et le fond de sa tasse (quand personne ne signait rien), il ne manqua rien. Il voulait qu'Abigail passe un bon moment et qu'elle ne regrette pas d'être venu le voir. Il voulait qu'elle oublie que c'était en urgence qu'on l'avait appelé et reparte en songeant déjà au moment où elle reviendra (quand la vanité guérit l'infirme).
Cependant, quand la fin du petit déjeuner se profila enfin et qu'Abigail l'interrogea sur son apprentissage de la forme animagus, Levius sentit une pointe d'hésitation le saisir. Il demeura silencieux pendant quelques secondes et fut rappelé à la réalité par le bruit caractéristique des assiettes que l'on empile les unes sur les autres, Susan ayant commencé à débarrasser.
« Non... Enfin, j'ai fais la feuille de mandragore, comme tu me l'avais indiqué. Puis j'ai préparé la potion. Il se recroquevilla légèrement sur lui-même comme il parlait. Je l'ai caché dans un endroit sombre, là où personne n'ira la chercher.
Levius vint se gratter doucement la nuque, là où était la ligne de ses cheveux (il avait l'air de réfléchir très intensément), puis il rectifia la position de ses lunettes sur son nez et se tourna légèrement vers son amie. Un mince sourire se dessina sur ses traits.
« Après je suis parti pour une conférence... Je n'y ai plus repensé ensuite. Il y a eu toute la tournée des séminaires, ça a duré des semaines... Comme tu le sais. Le jeune homme fit un geste de dénégation de la tête. Après ça, j'avoue que je n'y ai plus repensé...
Il haussa légèrement les épaules et regarda Abigail par dessus ses lunettes rondes.
« Je ne sais même pas si il y a eu un orage entre temps pour tout te dire. Enfin puisque j'ai oublié de réciter mon incantation, je suis bon pour tout recommencer.
Lui qui avait toujours vécu en étoile filante, isolé de tout système, réalisait qu'il n'était en fait qu'un satellite comme un autre. Il orbitait autour d'une planète plus grosse que lui et que l'on appelait famille, qui elle-même orbitait autour d'un soleil que l'on appelait monde. Levius dépendait de tous ces astres, car c'était à eux qu'il devait d'être lui. Son essence profonde n'avait façonné la pierre de sa propre existence que grâce à l'influence de ces autres corps célestes aux forces invisibles (mais néanmoins puissantes).
Levius n'était pas exactement l'architecte de sa propre vie. Tout au contraire, il était inclus dans un système constitué de multiples liens et qui s'influençaient sans cesse dans un grand et constant mouvement de va et vient. Ainsi, Levius reconnaissait en devoir plus aux autres qu'à lui-même. A trente ans, il voyait le travail de générations de Bird avant lui s'incarner dans un moule, dont il était tout à la fois le produit et l'héritier. Levius comprenait que ses grand-parents, ses parents, ses frères et sœurs, ses amis et tous les autres, avaient pris part (chacun à leur manière) dans son ascension vers l'age adulte. Il comprenait qu'il leur devait tout, car même ce qu'il s'était infligé à lui-même s'était fait en réaction d'un monde vivant et tangible en dehors de sa tête.
Ainsi, en comprenant qu'il était redevable, Levius comprit qu'il devait devenir humble. Pour pouvoir aviser les mondes vivants à côté du sien, il devait apaiser ses tumultes intérieurs et tout ce qui lui barrait l'esprit. Il devait ignorer un peu les cris de son être (vulnérable par nature) afin de diriger son attention sur autre chose, car quand il faisait cela, il se rendait compte que ses façons heurtaient parfois (quand bien-même ne l'aurait-il pas voulu). Agressivité de l'innocent.
Levius ne s'en était jamais vraiment rendu compte avant. Bien-sûr, il l'avait toujours senti. Il avait toujours regretté de se mal comporter, d'être tellement lui que cela en devenait pénible pour les autres... Mais il n'avait jamais réalisé qu'il existait une autre façon de faire et qui consistait à réparer ses erreurs, au lieu de les déplorer simplement. Depuis qu'il s'était mis en tête de devenir acteur de sa vie, de faire davantage et de songer moins, il lui semblait que les choses s'arrangeaient un peu.
Peut-être n'était-ce qu'une impression, mais il se sentait maître des événements et cela lui faisait beaucoup de bien. Il éprouvait enfin la sensation d'une progression dans son cheminement personnel (quand bien-même lui resterait-il encore de nombreuses choses à régler).
Alors, en compagnie de son amie de toujours et dans une atmosphère de bonheur restaurée, ils prirent tous trois leur petit déjeuner.
L'odeur du pain chaud se mêlait au parfum puissant du lait frais entier de la ferme et du thé aromatisé aux fleurs. Il y avait une myriade de couleurs fascinantes et que Levius considéra longuement, tandis qu'Abigail discutait avec la grand-mère : confitures en camaïeu de rouge, beurre jaune comme un épis de maïs, œufs durs pelés d'un blanc immaculé. Cependant, le jeune homme n'oublia pas de participer et, tous ensemble, ils revinrent sur les récoltes et les choses à venir. Susan parlait des animaux, elle parlait de la couleur du ciel et du comportement des abeilles (et de ce que cela disait sur l'hiver prochain), elle parlait des mauvaises herbes et des taupes, elle parlait des trous dans les chaussettes et des brassées de linge à étendre. Elle parlait, en somme, de tout ce qu'une femme de cet âge là et de cette condition est supposée parler. Les choses simples du quotidien, l'expérience de la terre : héritage générationnel, savoir antique.
Levius ne dédaignait plus ces conversations, là où il ne jurait autrefois que par la littérature classique et la musique. Il avait compris qu'il est bien plus question d'entretenir son affection pour son interlocuteur, dans les échanges ordinaires, que de s'informer sur un sujet. Cependant, la vie de fermier l'avait tout de même rendu réceptif aux choses simples de la terre. Il n'était plus un enfant qui venait profiter d'un cadre plein de merveilles (la ferme), désormais. La réalité de son quotidien créait un intérêt réel pour les savoirs populaires relatifs aux saisons, au comportement des abeilles et à toutes ces choses inconnues des grandes plumes.
Alors, il s'appliqua à rester attentif à tout ce qui se disait. Il renonça à écouter l'appel de ses songeries distraites et ignora l'angoisse résiduelle de sa crise bleue encore récente. Quand bien même ignora-t-il les visage, gardant seulement les yeux rivés sur les mains et le fond de sa tasse (quand personne ne signait rien), il ne manqua rien. Il voulait qu'Abigail passe un bon moment et qu'elle ne regrette pas d'être venu le voir. Il voulait qu'elle oublie que c'était en urgence qu'on l'avait appelé et reparte en songeant déjà au moment où elle reviendra (quand la vanité guérit l'infirme).
Cependant, quand la fin du petit déjeuner se profila enfin et qu'Abigail l'interrogea sur son apprentissage de la forme animagus, Levius sentit une pointe d'hésitation le saisir. Il demeura silencieux pendant quelques secondes et fut rappelé à la réalité par le bruit caractéristique des assiettes que l'on empile les unes sur les autres, Susan ayant commencé à débarrasser.
« Non... Enfin, j'ai fais la feuille de mandragore, comme tu me l'avais indiqué. Puis j'ai préparé la potion. Il se recroquevilla légèrement sur lui-même comme il parlait. Je l'ai caché dans un endroit sombre, là où personne n'ira la chercher.
Levius vint se gratter doucement la nuque, là où était la ligne de ses cheveux (il avait l'air de réfléchir très intensément), puis il rectifia la position de ses lunettes sur son nez et se tourna légèrement vers son amie. Un mince sourire se dessina sur ses traits.
« Après je suis parti pour une conférence... Je n'y ai plus repensé ensuite. Il y a eu toute la tournée des séminaires, ça a duré des semaines... Comme tu le sais. Le jeune homme fit un geste de dénégation de la tête. Après ça, j'avoue que je n'y ai plus repensé...
Il haussa légèrement les épaules et regarda Abigail par dessus ses lunettes rondes.
« Je ne sais même pas si il y a eu un orage entre temps pour tout te dire. Enfin puisque j'ai oublié de réciter mon incantation, je suis bon pour tout recommencer.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Dim 17 Nov 2019 - 21:20
Il y avait de ces instants précieux dans la vie, hors du temps. Toujours insoupçonnés et inattendus, il fallait savoir les saisir lorsqu'ils se présentaient, et en profiter, tout simplement. Ils appartenaient à tout à chacun, car il y avait autant de ressenti que d'individus dans ce monde. Pourtant, Levius et moi étions des âmes jumelles qui vivions dans la même sensibilité, dans la même fantaisie, dans un monde fait de douceur, de rêverie et de patience. Simplement emportée par la soie du moment, je profitais de la chaleur du foyer, de l'atmosphère douce d'être en compagnie de ma grand-mère de cœur et de ce garçon qui était si cher à mon être. Malgré cet arrière-goût de regret qui me coulait toujours au fond de la gorge que notre romance se soit terminée ainsi, qu'elle n'ait pas pu avoir meilleure suite, qu'elle soit à présent avortée dans l'œuf. Il y aura toujours quelque chose de spécial entre nous, j'en étais intimement persuadée. Bien plus qu'avant, lors de notre simple amitié fusionnelle. Notre rupture n'en avait pas été une, à bien y réfléchir. Ça avait simplement été une autre forme de naissance, un nouveau commencement. Nous avions appris tous les deux, nous avions fait connaissance comme jamais de simples amis l'auraient fait, nous étions d'autant plus proches qu'avant, et ce n'était pas un fossé qui était à présent entre nous. Rien ne nous séparait. Nous étions davantage entourés par les branches de l'arbre vie dont notre histoire était la sève.
Alors, en l'instant, mon regard brun foncé fixait avec une tranquillité particulièrement sereine le garçon tandis qu'il s'enfonçait dans sa chaise tout en me faisant ses aveux. Peu surprise de l'oubli, un sourire étira sensiblement mes lèvres. Dans le fond, j'étais heureuse qu'il ait oublié. J'aurais été triste de ne pas avoir pu être présente lors de sa première transformation. L'apprentissage de son animagie était quelque chose de spécial pour moi, un lien tissé entre nous qui renforçait encore plus notre unité. Je voulais être présente pour lui dans cet instant si spécial, car la transformation, ce rapprochement à la nature, à notre monde, était extrêmement important pour moi. J'avais la naïveté de croire que je serai la compagnie idéale pour lui lors de cette découverte. Les premières sensations, les premières écoutes, les premières odeurs. Tout un nouveau monde qui s'ouvrait à nous alors que notre forme intérieure, bestiale, se révélait.
- Dans ce cas nous pourrons reprendre au début oui, ce sera plus prudent. La pleine lune était il y a dix jours, la prochaine est le quatorze septembre. Il n'y avait rien d'étonnant pour Levius à ce que je sache le cycle des pleines lunes par cœur. Il n'avait pas besoin de connaître le chainon manquant. Donc la feuille de mandragore dans la bouche jusqu'au treize octobre.
Je ne donnais là pas d'ordre, simplement des instructions. C'était à mon ami de les prendre ou de les laisser. Mais pour ce matin, il était assez. Inutile de surcharger davantage le garçon alors que la matinée avait déjà été assez mouvementée. Je préférais me lever, lui prendre la main, et l'entraîner avec moi dehors. Pour qu'ensemble nous puissions profiter de cette beauté simple et pure qui nous entourait. Doigts reliés silencieusement.
Ici, dans cette forêt bordant la ferme, je me trouvais non loin de la petite marre. Fixant mon reflet dans l'eau, j'étais perdue dans mes songes alors que j'attendais celui qui avait été mon compagnon. Image perturbée par les vaguelettes de la surface de l'eau, éclairée simplement par la lumière de la pleine lune, je me perdais en songe. Je pensais à elle, inévitablement. Elle qui foulait en ce moment le sol gelé de la Sibérie. Elle reviendrait demain sous un jour nouveau. Comme chaque lendemain depuis que je savais. Depuis que je la côtoyais. Elle me manquait, cette louve que j'avais si longtemps crainte, mais je ne pouvais me permettre de m'immiscer à ce point dans sa sphère privée. Pas tant qu'elle ne me le proposait pas d'elle-même. Mais j'étais patiente. Entre nous, rien ne pressait.
Alors je l'accompagnais en pensée, comptant sur le témoignage des étoiles pour lui apporter la chaleur de ma présence. Même si elle n'en avait cure.
Ici, dans cette forêt bordant la ferme, je ne craignais pas la venue d'un monstre quelconque. Prise de risque qui avait failli me coûter la vie à l'époque, j'étais aujourd'hui sereine. Ou inconsciente ? Peut-être que ce changement notable sautera aux yeux de Levius, lui qui m'avait accompagnée pour que je retrouve cette paix si particulière qui m'habitait alors que je me retrouvais dans mon élément premier. Tranquille, je l'attendais, ce garçon, pour l'aider dans la suite du long processus qu'était celui pour devenir animagus. La préparation de la potion demandait une adresse toute particulière, et j'avais confiance en lui pour qu'il l'ait, cette adresse. Il était doué. Nous passerons la nuit ensemble. Là, non loin de l'eau reflétant la pâle lumière blanche de la lune. A effectuer les mélanges nécessaires, et à chercher le précieux chrysalide manquant.
C'était donc sans crainte et sans panique que je me retournais dans sa direction lorsque j'entendais les branches se froisser sensiblement à son passage discret. Assise là dans l'herbe, je lui souriais. Comme s'il n'y avait eu aucune rupture autre nous. Comme si nous étions toujours ces amants d'antan.
- Bonsoir
Alors, en l'instant, mon regard brun foncé fixait avec une tranquillité particulièrement sereine le garçon tandis qu'il s'enfonçait dans sa chaise tout en me faisant ses aveux. Peu surprise de l'oubli, un sourire étira sensiblement mes lèvres. Dans le fond, j'étais heureuse qu'il ait oublié. J'aurais été triste de ne pas avoir pu être présente lors de sa première transformation. L'apprentissage de son animagie était quelque chose de spécial pour moi, un lien tissé entre nous qui renforçait encore plus notre unité. Je voulais être présente pour lui dans cet instant si spécial, car la transformation, ce rapprochement à la nature, à notre monde, était extrêmement important pour moi. J'avais la naïveté de croire que je serai la compagnie idéale pour lui lors de cette découverte. Les premières sensations, les premières écoutes, les premières odeurs. Tout un nouveau monde qui s'ouvrait à nous alors que notre forme intérieure, bestiale, se révélait.
- Dans ce cas nous pourrons reprendre au début oui, ce sera plus prudent. La pleine lune était il y a dix jours, la prochaine est le quatorze septembre. Il n'y avait rien d'étonnant pour Levius à ce que je sache le cycle des pleines lunes par cœur. Il n'avait pas besoin de connaître le chainon manquant. Donc la feuille de mandragore dans la bouche jusqu'au treize octobre.
Je ne donnais là pas d'ordre, simplement des instructions. C'était à mon ami de les prendre ou de les laisser. Mais pour ce matin, il était assez. Inutile de surcharger davantage le garçon alors que la matinée avait déjà été assez mouvementée. Je préférais me lever, lui prendre la main, et l'entraîner avec moi dehors. Pour qu'ensemble nous puissions profiter de cette beauté simple et pure qui nous entourait. Doigts reliés silencieusement.
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13 octobre 2019
Ici, dans cette forêt bordant la ferme, je me trouvais non loin de la petite marre. Fixant mon reflet dans l'eau, j'étais perdue dans mes songes alors que j'attendais celui qui avait été mon compagnon. Image perturbée par les vaguelettes de la surface de l'eau, éclairée simplement par la lumière de la pleine lune, je me perdais en songe. Je pensais à elle, inévitablement. Elle qui foulait en ce moment le sol gelé de la Sibérie. Elle reviendrait demain sous un jour nouveau. Comme chaque lendemain depuis que je savais. Depuis que je la côtoyais. Elle me manquait, cette louve que j'avais si longtemps crainte, mais je ne pouvais me permettre de m'immiscer à ce point dans sa sphère privée. Pas tant qu'elle ne me le proposait pas d'elle-même. Mais j'étais patiente. Entre nous, rien ne pressait.
Alors je l'accompagnais en pensée, comptant sur le témoignage des étoiles pour lui apporter la chaleur de ma présence. Même si elle n'en avait cure.
Ici, dans cette forêt bordant la ferme, je ne craignais pas la venue d'un monstre quelconque. Prise de risque qui avait failli me coûter la vie à l'époque, j'étais aujourd'hui sereine. Ou inconsciente ? Peut-être que ce changement notable sautera aux yeux de Levius, lui qui m'avait accompagnée pour que je retrouve cette paix si particulière qui m'habitait alors que je me retrouvais dans mon élément premier. Tranquille, je l'attendais, ce garçon, pour l'aider dans la suite du long processus qu'était celui pour devenir animagus. La préparation de la potion demandait une adresse toute particulière, et j'avais confiance en lui pour qu'il l'ait, cette adresse. Il était doué. Nous passerons la nuit ensemble. Là, non loin de l'eau reflétant la pâle lumière blanche de la lune. A effectuer les mélanges nécessaires, et à chercher le précieux chrysalide manquant.
C'était donc sans crainte et sans panique que je me retournais dans sa direction lorsque j'entendais les branches se froisser sensiblement à son passage discret. Assise là dans l'herbe, je lui souriais. Comme s'il n'y avait eu aucune rupture autre nous. Comme si nous étions toujours ces amants d'antan.
- Bonsoir
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Ven 22 Nov 2019 - 22:28
Levius acquiesça aux instructions délivrées par Abigail. Assurément, se faire accompagner de la sorte lui permettrait de venir à bout de cette entreprise. Car s'il s'écoutait, la chose risquait de se perdre pour des années dans le marasme combinés de tous ses centres d'intérêts (et une propension naturelle à la rêverie). Levius n'était pas le genre d'âme à bien vivre les contraintes, mais s'il était correctement assisté, cela pouvait donner de beaux fruits. Plus qu'un cadre, Abigail serait le tuteur contre lequel croître en toute liberté : qu'importe la courbe tant que la plante prend de la hauteur.
Alors, comme il se laisserait mener par elle dans cette aventure, il suivi Abigail au jardin. Exemple simple d'une déclinaison de leur relation : l'un guidant l'autre. Silence de chapelle face à l'immensité : Levius se laissait conduire pour mieux rêver. Oublier l'existence au profit de la contemplation simple du monde lui était d'une douceur incomparable. Il la suivait parmi les beautés d'une nature nue. Main dans la main, reliés comme des enfants, il songeait aux choses et à cette expérience à venir. Inquiétude absente à ce stade (trop) précoce de l'entreprise. Idée abstraite, comme un croquis griffonné à la hâte sur un coin de papier et que leurs bons soins rendrait bientôt réelle.
Il était curieux du chemin autant que de l'issue. Et c'était une très bonne chose, car cela commençait tout juste.
La pleine lune de septembre arriva, et avec elle la feuille de mandragore. Levius avait déjà validé cette étape auparavant, il savait donc de quelle manière s'y prendre pour que la feuille reste dans sa bouche. Cette fois-ci se déroula donc sans encombre (il y veilla avec beaucoup d'attention). Il garda la feuille jusqu'au mois d'octobre et put confirmer son rendez-vous avec Abigail pour le soir.
Le suspense s'étira néanmoins jusqu'à la tombée de la nuit, car il fallait impérativement que le ciel soit bien dégagé. Par chance, il avait plu pendant toute une partie de la journée : les nuages s'étaient dissipés et, quand la brise se leva vers la fin d'après midi, il ne resta plus rien dans le ciel pour occulter la lune.
Levius avait été fort peu actif au cours de cette journée particulière. Il avait relégué certaines tâches au lendemain, préférant arpenter le domaine d'un air pensif plutôt que se borner à des tâches dont il ne se sentait pas d'investir une once d'énergie. Une sorte de nervosité d'un genre nouveau commençait à se développer en lui et il ne pouvait rien faire d'autre que l'embrasser pleinement. C'était un de ces moments qu'il fallait vivre pour ce qu'ils sont, quand bien même s'associeraient-ils à un sentiment de malaise ou d'anxiété. A dire vrai, Levius n'était même pas capable de vraiment définir ce que tout ceci lui inspirait. Comme d'habitude, beaucoup de choses se mélangeaient dans son esprit. Cette fois-ci, il faisait simplement avec, sans essayer de lutter.
Le jeune homme quitta donc la maison à la faveur de la nuit. Comme à l'habitude, il régnait sur le domaine une quiétude parfaite. Monde immobile en apparence. Pourtant, il suffisait de tendre l'oreille pour se rendre compte qu'il se passait une infinité de choses. Levius ne s'arrêta pas pour écouter. Il prit la direction du clapier en longeant le petit enclos, afin de rejoindre la mare. Cependant, à mi chemin, il s'arrêta et fit volte face. Son regard bleu semblait river quelque chose. Il leva le bras et, l'instant d'après, la silhouette blanche de Myriel fendit la pénombre pour se poser dessus en silence. Furtivité de la chouette : Levius gratifia son compagnon d'une caresse sur le côté de la tête et reprit sa marche.
Abigail était déjà en train d'attendre. Le jeune homme s'immobilisa quand il arriva près d'elle, attendant qu'elle l'avise pour venir s'asseoir à son côté. Bref regard échangé dans le noir, atmosphère pleine de secret, intime. Ils étaient comme à l'habitude, ces étoiles filantes qui se tiennent par la main dans le grand univers. Lien changeant, mais jamais rompu.Le jeune homme se recroquevilla un peu sous l'effet de la fraîcheur nocturne et s'en vint poser sa tête sur l'épaule de son amie.
« J'ai tout de prêt dans ma sacoche. Dit-il à voix basse. Il ne reste qu'à trouver la chrysalide.
Myriel sauta du bras de Levius pour faire quelques sauts dans l'herbe, avant de s'envoler. Sa silhouette majestueuse évoquait un fantôme dans la nuit. Il était parfaitement silencieux. C'était un spectacle hypnotisant.
« A l'orée du bois, il devrait y en avoir. Dit-il encore très doucement. J'ai été voir avant hier... En prévision.
Levius prit la main d'Abigail dans la sienne et la considéra un moment (comme s'il s'agissait d'un trésor merveilleux), ses doigts manipulant les phalanges de la jeune femme, et touchant ses ongles avec minutie. Il avait l'air alerte en dépit de son aspect songeur. On sentait que son attention était prête, mise toute entière à disposition de sa compagne d'aventure. Appréhension bénigne de celui qui attend d'être guidé.
Alors, comme il se laisserait mener par elle dans cette aventure, il suivi Abigail au jardin. Exemple simple d'une déclinaison de leur relation : l'un guidant l'autre. Silence de chapelle face à l'immensité : Levius se laissait conduire pour mieux rêver. Oublier l'existence au profit de la contemplation simple du monde lui était d'une douceur incomparable. Il la suivait parmi les beautés d'une nature nue. Main dans la main, reliés comme des enfants, il songeait aux choses et à cette expérience à venir. Inquiétude absente à ce stade (trop) précoce de l'entreprise. Idée abstraite, comme un croquis griffonné à la hâte sur un coin de papier et que leurs bons soins rendrait bientôt réelle.
Il était curieux du chemin autant que de l'issue. Et c'était une très bonne chose, car cela commençait tout juste.
La pleine lune de septembre arriva, et avec elle la feuille de mandragore. Levius avait déjà validé cette étape auparavant, il savait donc de quelle manière s'y prendre pour que la feuille reste dans sa bouche. Cette fois-ci se déroula donc sans encombre (il y veilla avec beaucoup d'attention). Il garda la feuille jusqu'au mois d'octobre et put confirmer son rendez-vous avec Abigail pour le soir.
Le suspense s'étira néanmoins jusqu'à la tombée de la nuit, car il fallait impérativement que le ciel soit bien dégagé. Par chance, il avait plu pendant toute une partie de la journée : les nuages s'étaient dissipés et, quand la brise se leva vers la fin d'après midi, il ne resta plus rien dans le ciel pour occulter la lune.
Levius avait été fort peu actif au cours de cette journée particulière. Il avait relégué certaines tâches au lendemain, préférant arpenter le domaine d'un air pensif plutôt que se borner à des tâches dont il ne se sentait pas d'investir une once d'énergie. Une sorte de nervosité d'un genre nouveau commençait à se développer en lui et il ne pouvait rien faire d'autre que l'embrasser pleinement. C'était un de ces moments qu'il fallait vivre pour ce qu'ils sont, quand bien même s'associeraient-ils à un sentiment de malaise ou d'anxiété. A dire vrai, Levius n'était même pas capable de vraiment définir ce que tout ceci lui inspirait. Comme d'habitude, beaucoup de choses se mélangeaient dans son esprit. Cette fois-ci, il faisait simplement avec, sans essayer de lutter.
Le jeune homme quitta donc la maison à la faveur de la nuit. Comme à l'habitude, il régnait sur le domaine une quiétude parfaite. Monde immobile en apparence. Pourtant, il suffisait de tendre l'oreille pour se rendre compte qu'il se passait une infinité de choses. Levius ne s'arrêta pas pour écouter. Il prit la direction du clapier en longeant le petit enclos, afin de rejoindre la mare. Cependant, à mi chemin, il s'arrêta et fit volte face. Son regard bleu semblait river quelque chose. Il leva le bras et, l'instant d'après, la silhouette blanche de Myriel fendit la pénombre pour se poser dessus en silence. Furtivité de la chouette : Levius gratifia son compagnon d'une caresse sur le côté de la tête et reprit sa marche.
Abigail était déjà en train d'attendre. Le jeune homme s'immobilisa quand il arriva près d'elle, attendant qu'elle l'avise pour venir s'asseoir à son côté. Bref regard échangé dans le noir, atmosphère pleine de secret, intime. Ils étaient comme à l'habitude, ces étoiles filantes qui se tiennent par la main dans le grand univers. Lien changeant, mais jamais rompu.Le jeune homme se recroquevilla un peu sous l'effet de la fraîcheur nocturne et s'en vint poser sa tête sur l'épaule de son amie.
« J'ai tout de prêt dans ma sacoche. Dit-il à voix basse. Il ne reste qu'à trouver la chrysalide.
Myriel sauta du bras de Levius pour faire quelques sauts dans l'herbe, avant de s'envoler. Sa silhouette majestueuse évoquait un fantôme dans la nuit. Il était parfaitement silencieux. C'était un spectacle hypnotisant.
« A l'orée du bois, il devrait y en avoir. Dit-il encore très doucement. J'ai été voir avant hier... En prévision.
Levius prit la main d'Abigail dans la sienne et la considéra un moment (comme s'il s'agissait d'un trésor merveilleux), ses doigts manipulant les phalanges de la jeune femme, et touchant ses ongles avec minutie. Il avait l'air alerte en dépit de son aspect songeur. On sentait que son attention était prête, mise toute entière à disposition de sa compagne d'aventure. Appréhension bénigne de celui qui attend d'être guidé.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Sam 30 Nov 2019 - 19:58
La chaleur corporelle de mon ami vint instantanément me réchauffer tandis qu'il prenait place à mes côtés. Sensible et frileuse, je ne pouvais m'empêcher de frissonner sensiblement à ce contact. Avisant Myriel d'une œillade amusée, je suivais l'oiseau du regard alors qu'il fit quelque pas sur l'herbe. C'est lorsqu'il s'envola que je vins poser ma joue sur la tête de Levius tandis qu'il était appuyé sur mon épaule. Instant tendre et doux de ces deux êtres que tout rapprochait, mais opposait aussi. Silencieuse à son affirmation d'avoir tout le matériel nécessaire, ce dont je ne doutais pas, je fixais le reflet de la lune dans les vaguelettes de l'eau, là, juste devant nous. Le laissant saisir ma main et jouer délicatement avec mes doigts, mon esprit s'accorda un instant pour s'enfuir. S'envoler là où personne ne pouvait le suivre, uniquement guidé par les tracés que le jeune homme dessinait sans y prêter garde sur ma peau. En ce temps, je m'accordais bien peu d'instant de la sorte pour moi. Bien trop occupée par mes divers devoirs, et lorsque j'étais en présence de ma compagne, je m'autorisais peu à m'évader, souhaitant profiter pleinement de sa présence puisqu'elle était souvent partie à cause de ses propres obligations. En cela, les deux personnes que mon cœur chérissait avec amour étaient relativement semblables. Bien peu disponibles. Pourtant, j'essayais de composer avec, car mon attachement ne me demandait pas de les garder obstinément avec moi, mais bien de leur laisser toute la liberté dont ils avaient besoin. Et ce, même si je ne devais plus faire partie de leurs mondes.
Palpitation du cœur plus prononcée à cette pensée, je revins à moi en clignant des paupières. La peur au ventre était toujours présente, et il m'était pour ainsi dire impossible de m'en défaire. J'avais laissé Levius s'en aller, parce que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. J'ignorais toujours si c'était cette décision que j'avais prise qui a fait que notre relation change. Dans le fond, j'essayais de ne pas y réfléchir. Les choses étaient faites, et aujourd'hui elles étaient ainsi. Mais malgré le bonheur que je pouvais ressentir aujourd'hui, car dans ma nouvelle vie, j'étais heureuse, il y avait toujours ce petit fond de regret. Parce que Levius était bien plus qu'un ami, et il en serait ainsi pour toujours.
Gardant une respiration calme et aussi sereine que possible, mes doigts vinrent se mêler à la danse que ceux du jeune homme avait entamé. Toucher délicat de l'épiderme, des ongles et des phalanges, trésor précieux que nous gardions obstinément lui et moi, en silence. Car pour le moment, les paroles n'avaient plus leur place. Je nous laissais alors envahir par l'atmosphère si particulière de la nuit dans cette forêt, bercés par les divers chants des oiseaux nocturnes, les bruissements de vent dans les branches d'arbres et les buissons ainsi que les murmures des insectes tout autour de nous. Fut un temps, cette ambiance m'angoissait. J'étais fière d'avoir surmonté cela aujourd'hui.
Lorsque l'heure fut la bonne, je fis mes au revoir aux reflets de la pleine lune, puis, je saisissais plus fermement la main du garçon avant de me lever et de l'inciter à faire pareil. Gardant ses doigts dans les miens, anciens amoureux secrets, enfants innocents et sereins, j'entamais une marche discrète dans la direction qu'il avait indiquée plus tôt.
Une fois sur place, à l'orée de la forêt, je m'arrêtais tout en regardant autour de nous. Quelques vers luisant semblaient nous montrer le chemin à suivre, leur lumière s'illuminant un instant avant de s'éteindre en douceur pour reprendre ensuite un plus bel éclat que le précédent.
M'avançant, curieuse, mes yeux habitués à présent à l'obscurité, je recherchais la fameuse chrysalide. Papillon doré et noir mesurant environ six centimètres, il fallait trouver le spécimen adéquat pour obtenir une potion parfaite. Alors que je tombais enfin sur un exemple, je lâchais la main du sorcier, lentement, comme si je craignais de le perdre, tandis que je venais alors me saisir de la chrysalide. Petite carapace fragile, je la tournais délicatement entre mes doigts avant de désigner une imperfection. Un trou qui avait sûrement été creusé par un prédateur.
- Si elle est abimée, tes chances seront réduites. On va essayer de trouver la chrysalide parfaite.
Sourire, échange de regard doux, tendre et confiant, j'avais murmuré, pour ne pas briser la musique de la nature sauvage qui nous entourait.
Palpitation du cœur plus prononcée à cette pensée, je revins à moi en clignant des paupières. La peur au ventre était toujours présente, et il m'était pour ainsi dire impossible de m'en défaire. J'avais laissé Levius s'en aller, parce que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. J'ignorais toujours si c'était cette décision que j'avais prise qui a fait que notre relation change. Dans le fond, j'essayais de ne pas y réfléchir. Les choses étaient faites, et aujourd'hui elles étaient ainsi. Mais malgré le bonheur que je pouvais ressentir aujourd'hui, car dans ma nouvelle vie, j'étais heureuse, il y avait toujours ce petit fond de regret. Parce que Levius était bien plus qu'un ami, et il en serait ainsi pour toujours.
Gardant une respiration calme et aussi sereine que possible, mes doigts vinrent se mêler à la danse que ceux du jeune homme avait entamé. Toucher délicat de l'épiderme, des ongles et des phalanges, trésor précieux que nous gardions obstinément lui et moi, en silence. Car pour le moment, les paroles n'avaient plus leur place. Je nous laissais alors envahir par l'atmosphère si particulière de la nuit dans cette forêt, bercés par les divers chants des oiseaux nocturnes, les bruissements de vent dans les branches d'arbres et les buissons ainsi que les murmures des insectes tout autour de nous. Fut un temps, cette ambiance m'angoissait. J'étais fière d'avoir surmonté cela aujourd'hui.
Lorsque l'heure fut la bonne, je fis mes au revoir aux reflets de la pleine lune, puis, je saisissais plus fermement la main du garçon avant de me lever et de l'inciter à faire pareil. Gardant ses doigts dans les miens, anciens amoureux secrets, enfants innocents et sereins, j'entamais une marche discrète dans la direction qu'il avait indiquée plus tôt.
Une fois sur place, à l'orée de la forêt, je m'arrêtais tout en regardant autour de nous. Quelques vers luisant semblaient nous montrer le chemin à suivre, leur lumière s'illuminant un instant avant de s'éteindre en douceur pour reprendre ensuite un plus bel éclat que le précédent.
M'avançant, curieuse, mes yeux habitués à présent à l'obscurité, je recherchais la fameuse chrysalide. Papillon doré et noir mesurant environ six centimètres, il fallait trouver le spécimen adéquat pour obtenir une potion parfaite. Alors que je tombais enfin sur un exemple, je lâchais la main du sorcier, lentement, comme si je craignais de le perdre, tandis que je venais alors me saisir de la chrysalide. Petite carapace fragile, je la tournais délicatement entre mes doigts avant de désigner une imperfection. Un trou qui avait sûrement été creusé par un prédateur.
- Si elle est abimée, tes chances seront réduites. On va essayer de trouver la chrysalide parfaite.
Sourire, échange de regard doux, tendre et confiant, j'avais murmuré, pour ne pas briser la musique de la nature sauvage qui nous entourait.
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Jeu 12 Déc 2019 - 15:20
A la faveur de la nuit, les deux étoiles filantes s'étaient lancées en quête de la chrysalide à tête de mort. Deux ombres à forme humaine fendant la mer d'herbe qui s'étendait tout autour d'elles. En exergue, la délicieuse impression de n'être qu'une toute petite poussière perdue dans le cosmos : Levius ne vivait serein qu'en ces moments là. Préciosité extrême : il y avait de la beauté à s'accompagner dans le noir. Être deux poussières de rien du tout dans l'immensité et se dire qu'on s'est trouvé : n'est-ce pas là la plus précieuse des grâces ?
Le jeune homme aimait que la nature le cerne au point de lui faire oublier sa propre existence. Il n'était plus qu'instant pur, chargé d'une émotion éclatante et recevant la beauté du monde. Des hectares de champs endormis comme décors, une voûte céleste percée d'un million d'étoiles et la vie. Toutes ces petites vies qui font réaliser qu'on est pas seul... Car dans le grand tout, l'individu est plus qu'un « soi » : c'est un phénomène rarissime dans l'univers, un miracle. Jubilation.
Une chance plus grande encore que de pouvoir partager cela avec sa meilleure amie, son ancienne amante, son âme parente. L'être qui accepte de marcher en silence car, avec elle, l'on peut parler sans échanger de mot.
Levius et Abigail avaient quitté leur cachette, recroquevillés qu'ils étaient dans un discret moment de tendresse, et se dirigeaient à présent vers l'orée de la forêt. Main dans la main, comme les enfants qu'il n'avaient jamais cessé d'être, ils fendaient la mer de graminées rendues sèches par l'arrivée des premiers frimas. Une nuée de luciole semblait leur ouvrir le chemin : Levius se laissait facilement hypnotiser à leur vue. Une impression parente du rêve l'enveloppait en ce moment et il ne savait plus très bien s'ils étaient encore de ce monde, où s'ils venaient de franchir quelque porte de fée ensemble.
Cependant, comme Abigail abandonnait sa main, le jeune homme plongea son regard dans la pénombre devant eux. Il distinguait très peu de choses, bien que ses yeux aient eu le temps de s'accoutumer un peu à la nuit. L'atmosphère sous la futaie était trop épaisse, trop fermée. Les arbres jetaient leurs branches au dessus du sol comme des mains protectrices et l'on n'y voyait peu, même en plein jour.
Levius se prit alors à songer à son animalité dormante, cette essence de lui-même qu'il destinait à voir prendre forme par dessus sa peau, une fois le processus magique complété. Il songeait assez peu à ce que cela donnerait d'habitude, préférant voir venir et se laisser surprendre jusqu'au bout. Cela l'intriguait toutefois et il sentait poindre au fond de lui même un genre de peur typique de ces expériences sombres que l'on s'inflige dans l'idée d'apprendre quelque chose de nouveau.
Dans le même temps, il éprouvait une sorte d'impatience très crue. Lui qui peinait tant à vivre et fonctionner dans ce corps d'homme allait bientôt découvrir la sensation d'exister autrement. Quelle chose précieuse que de pouvoir abandonner l'humanité, pensait-il.
Cependant, comme il y était (enfin), le jeune homme poursuivit les recherches avec l’appui de son amie. Elle venait de trouver une chrysalide imparfaite et Levius prit silencieusement note de son commentaire, comme il s'enfonçait encore un peu plus à travers les bois.
Ses mains délicates effleuraient à peine l'écorce des arbres, comme il allait à tâtons entre les branches basses et les herbes emmêlées. Il apercevait des formes qui se mouvaient lentement ça et là, comme des ombres en train de se déplacer. Curieusement, cela ne l'inquiétait pas. Levius se trouvait dans un endroit familier et sentait qu'ici, rien ne pouvait lui arriver. Il avait l'impression de ne faire qu'un avec cet environnement chaotique, comme si l'obscurité, en effaçant les limites de son corps, l'avait confondu avec tout le reste.
C'est porté par cette impression qu'il s'arrêta pour s'adosser au tronc massif d'un vieux chêne. Lentement, il se laissa glisser jusqu'au sol et se recroquevilla en position fœtale. Son regard bleu (rendu gris par la nuit) furetait très discrètement les alentours. Il ne pensait à rien de précis, se laissant simplement happer par l'instant. L'humidité de la terre sous ses pieds, l'odeur de la tourbe, additionnés à la fraîcheur de la nuit lui procurait un sentiment agréable et diffus qu'il aurait bien du mal à décrire.
Toujours est-il que ses prunelles ne tardèrent pas à se faire attraper par la forme caractéristique de l'objet qu'il convoitait tant. Levius attendit un instant avant de tendre la main pour l'attraper. Il dégustait cette impression d'avoir été trouvé le premier. La chrysalide était bien là pourtant, attachée à un brin d'herbe : parfaite. Le jeune homme la détacha avec beaucoup de douceur et de scrupules. Puis, il l'observa très longuement afin de s'assurer qu'elle n'avait rien.
« Que penses-tu de celle-là ?
Demanda-t-il à Abigail, quand il se décida enfin à la rejoindre. Comme un rayon de lune perçait à travers les feuillages, Levius se plaisait à constater que le temps était vraiment idéal pour préparer la potion. Il fallait que le ciel soit tout à fait dégagé et la lune bien visible. Les deux jeunes gens retournèrent donc à l'orée du bois où Levius entreprit de sortir les quelques ingrédients et matériel nécessaire à la confection de la potion.
« La fiole, la mandragore, un cheveux et une cuillère de rosée...
Dit-il doucement, afin de s'assurer avec Abigail que tout était bien en ordre. Réaliser cette potion ne représentait aucune difficulté pour un potioniste expérimenté tel que Levius. Cependant, il devait bien admettre ressentir une sorte d'appréhension assez difficile à décrire en ce moment. Le processus n'était pas anodin et il était inquiet.
« Je ne sais pas ce qui m'attend.
Dit-il encore, dans un murmure, comme il plaçait la feuille de mandragore dans la fiole. Autre manière de dire « j'ai peur ».
Le jeune homme aimait que la nature le cerne au point de lui faire oublier sa propre existence. Il n'était plus qu'instant pur, chargé d'une émotion éclatante et recevant la beauté du monde. Des hectares de champs endormis comme décors, une voûte céleste percée d'un million d'étoiles et la vie. Toutes ces petites vies qui font réaliser qu'on est pas seul... Car dans le grand tout, l'individu est plus qu'un « soi » : c'est un phénomène rarissime dans l'univers, un miracle. Jubilation.
Une chance plus grande encore que de pouvoir partager cela avec sa meilleure amie, son ancienne amante, son âme parente. L'être qui accepte de marcher en silence car, avec elle, l'on peut parler sans échanger de mot.
Levius et Abigail avaient quitté leur cachette, recroquevillés qu'ils étaient dans un discret moment de tendresse, et se dirigeaient à présent vers l'orée de la forêt. Main dans la main, comme les enfants qu'il n'avaient jamais cessé d'être, ils fendaient la mer de graminées rendues sèches par l'arrivée des premiers frimas. Une nuée de luciole semblait leur ouvrir le chemin : Levius se laissait facilement hypnotiser à leur vue. Une impression parente du rêve l'enveloppait en ce moment et il ne savait plus très bien s'ils étaient encore de ce monde, où s'ils venaient de franchir quelque porte de fée ensemble.
Cependant, comme Abigail abandonnait sa main, le jeune homme plongea son regard dans la pénombre devant eux. Il distinguait très peu de choses, bien que ses yeux aient eu le temps de s'accoutumer un peu à la nuit. L'atmosphère sous la futaie était trop épaisse, trop fermée. Les arbres jetaient leurs branches au dessus du sol comme des mains protectrices et l'on n'y voyait peu, même en plein jour.
Levius se prit alors à songer à son animalité dormante, cette essence de lui-même qu'il destinait à voir prendre forme par dessus sa peau, une fois le processus magique complété. Il songeait assez peu à ce que cela donnerait d'habitude, préférant voir venir et se laisser surprendre jusqu'au bout. Cela l'intriguait toutefois et il sentait poindre au fond de lui même un genre de peur typique de ces expériences sombres que l'on s'inflige dans l'idée d'apprendre quelque chose de nouveau.
Dans le même temps, il éprouvait une sorte d'impatience très crue. Lui qui peinait tant à vivre et fonctionner dans ce corps d'homme allait bientôt découvrir la sensation d'exister autrement. Quelle chose précieuse que de pouvoir abandonner l'humanité, pensait-il.
Cependant, comme il y était (enfin), le jeune homme poursuivit les recherches avec l’appui de son amie. Elle venait de trouver une chrysalide imparfaite et Levius prit silencieusement note de son commentaire, comme il s'enfonçait encore un peu plus à travers les bois.
Ses mains délicates effleuraient à peine l'écorce des arbres, comme il allait à tâtons entre les branches basses et les herbes emmêlées. Il apercevait des formes qui se mouvaient lentement ça et là, comme des ombres en train de se déplacer. Curieusement, cela ne l'inquiétait pas. Levius se trouvait dans un endroit familier et sentait qu'ici, rien ne pouvait lui arriver. Il avait l'impression de ne faire qu'un avec cet environnement chaotique, comme si l'obscurité, en effaçant les limites de son corps, l'avait confondu avec tout le reste.
C'est porté par cette impression qu'il s'arrêta pour s'adosser au tronc massif d'un vieux chêne. Lentement, il se laissa glisser jusqu'au sol et se recroquevilla en position fœtale. Son regard bleu (rendu gris par la nuit) furetait très discrètement les alentours. Il ne pensait à rien de précis, se laissant simplement happer par l'instant. L'humidité de la terre sous ses pieds, l'odeur de la tourbe, additionnés à la fraîcheur de la nuit lui procurait un sentiment agréable et diffus qu'il aurait bien du mal à décrire.
Toujours est-il que ses prunelles ne tardèrent pas à se faire attraper par la forme caractéristique de l'objet qu'il convoitait tant. Levius attendit un instant avant de tendre la main pour l'attraper. Il dégustait cette impression d'avoir été trouvé le premier. La chrysalide était bien là pourtant, attachée à un brin d'herbe : parfaite. Le jeune homme la détacha avec beaucoup de douceur et de scrupules. Puis, il l'observa très longuement afin de s'assurer qu'elle n'avait rien.
« Que penses-tu de celle-là ?
Demanda-t-il à Abigail, quand il se décida enfin à la rejoindre. Comme un rayon de lune perçait à travers les feuillages, Levius se plaisait à constater que le temps était vraiment idéal pour préparer la potion. Il fallait que le ciel soit tout à fait dégagé et la lune bien visible. Les deux jeunes gens retournèrent donc à l'orée du bois où Levius entreprit de sortir les quelques ingrédients et matériel nécessaire à la confection de la potion.
« La fiole, la mandragore, un cheveux et une cuillère de rosée...
Dit-il doucement, afin de s'assurer avec Abigail que tout était bien en ordre. Réaliser cette potion ne représentait aucune difficulté pour un potioniste expérimenté tel que Levius. Cependant, il devait bien admettre ressentir une sorte d'appréhension assez difficile à décrire en ce moment. Le processus n'était pas anodin et il était inquiet.
« Je ne sais pas ce qui m'attend.
Dit-il encore, dans un murmure, comme il plaçait la feuille de mandragore dans la fiole. Autre manière de dire « j'ai peur ».
- InvitéInvité
Re: Killing me Softly
Dim 15 Déc 2019 - 9:43
Déambuler ainsi dans l'obscurité, seulement accompagnée de mon ancien amant et des astres, voilà une situation que j'aurai pu faire toute ma vie, et même quelques nuits au-delà. L'instant était si fort, si paisible, si plaisant. Mon esprit pouvait véritablement se reposer en cet instant. La tempête qui y grondait d'ordinaire, car j'avais beaucoup trop d'éléments à réfléchir en ce moment, s'éloignait enfin. L'eau troublée et agitée en devint saine, miroitante et calme. Ho oui, c'était un véritable moment de grâce tandis que nos deux âmes consœurs s'unifiaient en cette agréable nuit.
À la simple lueur pâle des étoiles, à la recherche d'une chrysalide parfaite, je laissais mon esprit s'échapper un peu. Si vide et serein, j'en venais à ne penser plus à rien, simplement à l'instant présent. Portée par le vent doux qui secouait les branches, par les bruits nocturnes de la nature sauvages, j'avais l'impression de flotter dans un univers que je connaissais par cœur. Même si une année plus tôt j'avais frôlé la mort dans une nuit similaire, aujourd'hui, je me sentais en pleine confiance et en pleine conscience. La paix était revenue, au prix de maints efforts.
Lorsque la voix chaude de Levius s'éleva, je me tournais dans sa direction afin d'observer ce qu'il venait de trouver. Les éclats de lune passant à travers la végétation vinrent illuminer la chrysalide que l'homme de ma vie venait de trouver. Rayon des astres au fond de mes prunelles devenues obscurité, contraste noir et blanc de l'existence que je menais actuellement, j'observais avec attention la paume ouverte du garçon avant de sourire.
- Parfaite.
Une fois la validation faites, nous retournions ensemble à l'orée de la forêt, là où la lune nous éclairait davantage. Encore une fois, une pensée m'échappa à l'attention de ma bien-aimée. Rapide, fugace. J'en revins rapidement à l'instant présent, là, aux côtés du garçon que je ne cesserai jamais vraiment d'aimer, avant de le regarder terminer sa potion tout en énumérant la composition.
Sans briser le silence qui nous enveloppait chaudement, je me contentais de hocher la tête. Levius était un excellent potionniste et je n'avais aucun doute sur la qualité des ingrédients qu'il avait ramassé pour composer la fiole. Croyant deviner l'inquiétude du garçon tandis qu'il bouchait la fiole, je souriais, sereine et rassurante alors qu'il me confiait sa crainte.
Ce fut ce moment que je choisissais pour venir poser une main délicate sur son torse, là où résidait son cœur si sensible. Celui dans lequel j'espérais, encore aujourd'hui, avoir une place si spéciale.
- Je suis là, tout ira bien. Murmure accompagné des bruissements des insectes autour de nous. Comme pour éclairer le voile de son doute et accompagner mes mots, des lucioles scintillèrent dans les feuillages autour de nous. Regard noir plongé dans celui de Levius, je sentais mon propre cœur s'emballer sensiblement tandis que je me rapprochais presque imperceptiblement de lui. Place la fiole dans un endroit calme et sombre. Ne va ni la regarder, ni la déranger de quelque manière que ce soit. Au lever et au coucher du soleil, place l'extrémité de ta baguette contre ton cœur. Mes doigts s'accrochèrent sensiblement au tissu de son vêtement, réflexe inconscient de vouloir le garder avec moi. Prononce "Amato Animo Animato Animagus". Tous les jours, jusqu'au prochain orage. Je me rapprochais encore un peu de lui, laissant quelque secondes de silence en suspend tandis que je me perdais dans le bleu de ses yeux. Continuer mes explications me semblait difficile, alors, je déglutissais pour me donner le courage de continuer. Si tu répètes cette marche à suivre consciencieusement, en gardant la fiole de cristal à l'abri des regards et des rayons du soleil, tu finiras par percevoir un second battement de cœur. Je lui souriais. Il devinerait seul de quoi il s'agissait. Cette âme qui vivait au fond de lui. Au fond de chacun de nous. Ne change rien, continue, jusqu'à ce qu'arrive l'orage. Le moment venu, le mélange deviendra rouge sang. Je me rapprochais encore, nos visages se frôlant à présent, la chaleur de nos corps s'unissant dans l'obscurité de la nuit. Et moi, je serai là. Pour cette dernière étape. Pour toi.
À la simple lueur pâle des étoiles, à la recherche d'une chrysalide parfaite, je laissais mon esprit s'échapper un peu. Si vide et serein, j'en venais à ne penser plus à rien, simplement à l'instant présent. Portée par le vent doux qui secouait les branches, par les bruits nocturnes de la nature sauvages, j'avais l'impression de flotter dans un univers que je connaissais par cœur. Même si une année plus tôt j'avais frôlé la mort dans une nuit similaire, aujourd'hui, je me sentais en pleine confiance et en pleine conscience. La paix était revenue, au prix de maints efforts.
Lorsque la voix chaude de Levius s'éleva, je me tournais dans sa direction afin d'observer ce qu'il venait de trouver. Les éclats de lune passant à travers la végétation vinrent illuminer la chrysalide que l'homme de ma vie venait de trouver. Rayon des astres au fond de mes prunelles devenues obscurité, contraste noir et blanc de l'existence que je menais actuellement, j'observais avec attention la paume ouverte du garçon avant de sourire.
- Parfaite.
Une fois la validation faites, nous retournions ensemble à l'orée de la forêt, là où la lune nous éclairait davantage. Encore une fois, une pensée m'échappa à l'attention de ma bien-aimée. Rapide, fugace. J'en revins rapidement à l'instant présent, là, aux côtés du garçon que je ne cesserai jamais vraiment d'aimer, avant de le regarder terminer sa potion tout en énumérant la composition.
Sans briser le silence qui nous enveloppait chaudement, je me contentais de hocher la tête. Levius était un excellent potionniste et je n'avais aucun doute sur la qualité des ingrédients qu'il avait ramassé pour composer la fiole. Croyant deviner l'inquiétude du garçon tandis qu'il bouchait la fiole, je souriais, sereine et rassurante alors qu'il me confiait sa crainte.
Ce fut ce moment que je choisissais pour venir poser une main délicate sur son torse, là où résidait son cœur si sensible. Celui dans lequel j'espérais, encore aujourd'hui, avoir une place si spéciale.
- Je suis là, tout ira bien. Murmure accompagné des bruissements des insectes autour de nous. Comme pour éclairer le voile de son doute et accompagner mes mots, des lucioles scintillèrent dans les feuillages autour de nous. Regard noir plongé dans celui de Levius, je sentais mon propre cœur s'emballer sensiblement tandis que je me rapprochais presque imperceptiblement de lui. Place la fiole dans un endroit calme et sombre. Ne va ni la regarder, ni la déranger de quelque manière que ce soit. Au lever et au coucher du soleil, place l'extrémité de ta baguette contre ton cœur. Mes doigts s'accrochèrent sensiblement au tissu de son vêtement, réflexe inconscient de vouloir le garder avec moi. Prononce "Amato Animo Animato Animagus". Tous les jours, jusqu'au prochain orage. Je me rapprochais encore un peu de lui, laissant quelque secondes de silence en suspend tandis que je me perdais dans le bleu de ses yeux. Continuer mes explications me semblait difficile, alors, je déglutissais pour me donner le courage de continuer. Si tu répètes cette marche à suivre consciencieusement, en gardant la fiole de cristal à l'abri des regards et des rayons du soleil, tu finiras par percevoir un second battement de cœur. Je lui souriais. Il devinerait seul de quoi il s'agissait. Cette âme qui vivait au fond de lui. Au fond de chacun de nous. Ne change rien, continue, jusqu'à ce qu'arrive l'orage. Le moment venu, le mélange deviendra rouge sang. Je me rapprochais encore, nos visages se frôlant à présent, la chaleur de nos corps s'unissant dans l'obscurité de la nuit. Et moi, je serai là. Pour cette dernière étape. Pour toi.
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