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celle qu'on ne voit pas - nathanael (loterie)
Lun 13 Sep 2021 - 12:55
Je suis celle qu'on ne voit pas
Je suis celle qu'on n'entend pas
Je suis cachée au bord des larmes
Pomme - Anxiété
Je suis celle qu'on n'entend pas
Je suis cachée au bord des larmes
Pomme - Anxiété
Soirée pluvieuse à la bibliothèque. Le crépitement des flammes dans la cheminée s'entendait à peine sous le vent tempétueux qui projetait violemment des trombes d'eau et des branches égarées contre les vitres. Ce début d'automne s'annonçait lourd et orageux, comme une fin d'été qui traînait, inconsciente de son retard. Les néons clignotaient parfois, signe de la décrépitude électrique du vieux bâtiment. Les allées et les tables étaient vides, enveloppées dans l'atmosphère lugubre du climat capricieux.
Sapphire se trouvait en haut d'une échelle, occupée à ranger minutieusement quelques livres dans l'ordre alphabétique. Elle les piochait un à un dans un carton maintenu en lévitation par sa baguette d'aulne et murmurait leur nom comme on prononcerait celui d'êtres aimés. Un craquement se fit entendre dans son dos, un peu plus loin. Elle n'y prêta pas attention. Un autre, ensuite, plus fort. L'Irlandaise tourna la tête, intriguée, avant de perdre légèrement l'équilibre comme si le vent s'était insinué dans la pièce et menaçait son échelle. Elle se rattrapa de sa main à baguette, provoquant la chute libre du carton encore rempli de trois livres dans une exclamation soufflée de surprise.
A toute vitesse, mais avec une délicatesse lui permettant de faire peu de bruit, elle descendit de l'échelle pour récupérer son trésor. Lorsqu'elle se releva après l'avoir ramassé, elle pivota et tomba nez à nez avec @Nathanael Cohen. Sapphire poussa un petit cri de stupeur. AH ! Nathanael, vous m'avez fait peur. Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda la jeune femme, essoufflée par la surprise.
- InvitéInvité
Re: celle qu'on ne voit pas - nathanael (loterie)
Dim 14 Nov 2021 - 23:05
Les rapports humains, ce n’était pas inné, ça s’apprenait ; il était penché au-dessus de plusieurs livres, comme d’habitude, et comme d’habitude montait en lui une haine vague, mauvaise et lourde à l’égard des pesanteurs des manuels historiques, des liens désespérément familiers mais inatteignables qui défilaient de page en page et par dessus tout, une haine des pieds, des coudes et des hanches des étudiants de la bibliothèque. Sa raison savait qu’il pouvait aussi y voir parmi eux des individus authentiques et complètement humains avec des passions désintéressées, des chagrins purs, même avec des souvenirs qui illuminaient leur vie, mais parce que leur grossièreté et leur bruyante négligence faisait écho à l’incompréhensible barbarie de sa lecture historique, Nathanael avait l’impression que tous ces yeux froids et dédaigneux qui le regardaient ponctuellement comme s’il n’aurait jamais dû être là, appartenaient à une pathologie d’indifférence qui s’étalait depuis les pages de son livre jusque dans la vie réelle qui l’entourait.
Un étudiant efflanqué finit par s’asseoir à côté de lui par manque de place et le bouscula avec son genou et le coin de sa sacoche pleine à craquer, et cette chose triviale transforma son irritation en une espèce de pure furie de telle sorte que, dévisageant le type qui venait de l’ignorer, il concentra instantanément sur lui toute sa haine, et il savait les raisons très précises de cette haine. A cause de l’humour de pissotière et du rire grossier ; à cause du manque de délicatesse ; à cause de la cruauté de toute chose, satisfaite d’elle-même, allant de soi ; à cause de la faiblesse pour les sales petites blagues et du mal qu’on prenait pour les faire ; à cause de tous les objets inutiles qui peuplaient cette vie creuse ; à cause d’un amour du désordre et du travail mal fait ; à cause de la médiocrité, du culte du fonctionnariat, même ici, surtout ici ; à cause des complications inutiles dans les rapports humains et de leurs incompréhensibles décision, mensonges, histoires… Il enfilait ainsi les perles de son réquisitoire partial, regardant le jeune homme qui était assis à côté sans lui prêter la moindre attention, car absorbé dans une bruyante discussion faite de coudes et de genoux agités. Ereinté d’être irrité, ses pensées avaient de tout façon déjà pris une autre direction.
Les grands Evènements de la sorcellerie du XXème siècle n’était pas un ouvrage particulièrement intéressant, d’une part parce que son lecteur n’avait que peu d’intérêt pour la maille humaine à travers le temps, mais également parce qu’il paraissait plus tenir du conte que d’une étudie sociologique ou historique scrupuleuse. Les dates se succédaient aux dates et les gens ne changeaient guère. Comme l’avait dit un chanteur dans une chanson dont il avait oublié le nom : l’histoire ne se répète peut-être pas, mais elle rime.
Ainsi fut dépensée son énergie, le temps s’écoulant sans grand résultat, tant il était perméable aux conclusions que les livres d’histoire tentaient d’induire. Par intermittence, il plongeait dans l’obscurité désespérante de la politique internationale sorcière sans véritablement s’attendre au miracle que toute cette matière effrénée se transformât en un discours en filigrane.
Mais il fut brusquement et sans ménagement ramené à la réalité par la soudaine incapacité à lire et à prendre des notes. Pour cause, une bougie vitale venait de s’éteindre, lui indiquant soudain que le jour avait laissé sa place à une nuit profonde. Il n’y avait plus personne, mais Nathanael n’aurait pas été en état de dire où tout le monde était passé. En relevant la tête, il découvrit une obscurité baignée par l’odeur rance d’un lieu abandonné très rapidement, laissant derrière soi les fantômes d’une vie mise entre parenthèses. D’abord confondu par le silence ambiant, il découvrit rapidement un froissement lointain ; ce n’était qu’un écho se répercutant à l’infini contre les étagères et les livres jusqu’à devenir inaudible. Instinctivement inquiet, le concierge se redressa et fit silence jusque dans le bruissement murmuré de ses vêtements. Là, il crut entendre une voix. En d’autres circonstances, il aurait soupiré en rallumant une lampe de bureau, mais dans cette université littéralement magique, il était difficile de ne pas s’imaginer un fantôme entre les couvertures tressées de cette bibliothèque dont au moins un livre, il en était certain, avait été couvert avec du cuir humain.
Ce silence de coton n’était peuplé que par des craquements de maison hantée. Gémissement du parquet, torsions métalliques, fenêtres semblables à des yeux distraits, ombres d’arbres dépéris, robinet qui fuit, objets qui tombent au loin en laissant une sinistre traînée se répandre en rumeur capable de provoquer un entier affaissement de l’âme. Et plus Nathanael essayait d’écouter, plus il en devenait complètement sourd. C’était le genre de calme qui engendrait les pires cauchemars et sa nervosité avait rendu son imagination particulièrement prolifique. Quelques part, un tic-tac lourd, sourd monotone. Contre sa propre volonté, il fut assailli par le souvenir de faits divers entendus et lus, des morts, de la torture, un tueur en série.
Se trouvant stupide d’être effrayé par si peu, Nathanael voulut rallumer la bougie mais se rendit compte que son déclin avait été provoqué par sa propre fin. Aussi dût-il se décider soit à rentrer, soit à chercher une autre bougie, et dans les deux cas, il fallait se lever et bouger. Décidé à se prouver à lui-même que les frasques de l’esprit n’étaient qu’une façon de combler l’inconnu, il se leva dans le noir et à patte de velours, évolua entre les étagères avec néanmoins une paresse prudente. Il avait fini de bouder sa baguette magique et la regardait avec moins de suspicion, mais dans une perspective d’économie et d’instinctive discrétion, pour ne pas se faire retrouver par un imaginaire sociopathe avec un Lumos, Nathanael s’accorda à être le chat noir qu’il avait toujours été.
Ayant atteint son but et tandis qu’il s’emparait d’une pleine poignée de solides bougies dans un bac en bois, il entendit à nouveau distinctement ce murmure se répandra contre les murs en pierre jusqu’à un frisson dans son dos. L’origine était plus proche et le noya instantanément dans une sueur froide. Plus a bout de nerfs que concédé, son corps se détendit comme la corde d’un arc et dans l’idée d’y mettre rapidement un terme quitte à devoir étrangler un spectre à mains nues, Nathanael enjamba brutalement la bibliothèque jusqu’à rejoindre la source de ce bruit sinistre.
« Oy ! » s’était-il exclamé en voyant soudain passer – quoi que « tomber » serait un mot plus exacte – un carton à sa perpendiculaire.
C’était une fille. Peut-être à cause de qualités purement physiques et statistiques – les femmes assassinaient majoritairement au poison –, ou peut-être parce qu’elle ne ressemblait en rien aux élucubrations de son imagination, Nathanael l’écarta instantanément de la liste des tueurs en série potentiels.
« AH ! Nathanael, vous m’avez fait peur. Qu’est-ce que vous faites ici ? »
En la regardant descendre, Nathanael plissa les yeux, des bougies plein les mains, tentant de focaliser toutes ses capacités cognitives sur ce visage qui avait l’air de le connaître. Bien sûr, il ne le regardait pas dans les yeux, mais quelque part au milieu. D’abord déboussolé par le naturel de la jeune femme, il débita mécaniquement ce qui ressemblait davantage à une ligne dans un CV :
« J’étais en train d’essayer d’enrichir mes capacités socio-culturelles dans le but de faciliter mon intégration dans un contexte peu familier... mais il se rendit soudain compte que ce n’était pas lui qui lui avait fait peur, mais elle ! Pourquoi vous êtes là toute seule alors que tout le monde est parti ? » Chuchota-t-il furieusement et inutilement en omettant qu’ils avaient manifestement eu la même idée. Après tout, il n’était pas à une contradiction près.
Alors que l’inutile frayeur avait chassé le sang par torrents vers son coeur et qu’un son bourdonnement avait envahi ses oreilles, il n’éprouva du soulagement que le temps d’entendre parmi tous ces bruits indistincts et ces images mentales un glaçant et clair son de pas à l’autre bout de la bibliothèque.
Clac. Clac. Clac.
Un étudiant efflanqué finit par s’asseoir à côté de lui par manque de place et le bouscula avec son genou et le coin de sa sacoche pleine à craquer, et cette chose triviale transforma son irritation en une espèce de pure furie de telle sorte que, dévisageant le type qui venait de l’ignorer, il concentra instantanément sur lui toute sa haine, et il savait les raisons très précises de cette haine. A cause de l’humour de pissotière et du rire grossier ; à cause du manque de délicatesse ; à cause de la cruauté de toute chose, satisfaite d’elle-même, allant de soi ; à cause de la faiblesse pour les sales petites blagues et du mal qu’on prenait pour les faire ; à cause de tous les objets inutiles qui peuplaient cette vie creuse ; à cause d’un amour du désordre et du travail mal fait ; à cause de la médiocrité, du culte du fonctionnariat, même ici, surtout ici ; à cause des complications inutiles dans les rapports humains et de leurs incompréhensibles décision, mensonges, histoires… Il enfilait ainsi les perles de son réquisitoire partial, regardant le jeune homme qui était assis à côté sans lui prêter la moindre attention, car absorbé dans une bruyante discussion faite de coudes et de genoux agités. Ereinté d’être irrité, ses pensées avaient de tout façon déjà pris une autre direction.
Les grands Evènements de la sorcellerie du XXème siècle n’était pas un ouvrage particulièrement intéressant, d’une part parce que son lecteur n’avait que peu d’intérêt pour la maille humaine à travers le temps, mais également parce qu’il paraissait plus tenir du conte que d’une étudie sociologique ou historique scrupuleuse. Les dates se succédaient aux dates et les gens ne changeaient guère. Comme l’avait dit un chanteur dans une chanson dont il avait oublié le nom : l’histoire ne se répète peut-être pas, mais elle rime.
Ainsi fut dépensée son énergie, le temps s’écoulant sans grand résultat, tant il était perméable aux conclusions que les livres d’histoire tentaient d’induire. Par intermittence, il plongeait dans l’obscurité désespérante de la politique internationale sorcière sans véritablement s’attendre au miracle que toute cette matière effrénée se transformât en un discours en filigrane.
Mais il fut brusquement et sans ménagement ramené à la réalité par la soudaine incapacité à lire et à prendre des notes. Pour cause, une bougie vitale venait de s’éteindre, lui indiquant soudain que le jour avait laissé sa place à une nuit profonde. Il n’y avait plus personne, mais Nathanael n’aurait pas été en état de dire où tout le monde était passé. En relevant la tête, il découvrit une obscurité baignée par l’odeur rance d’un lieu abandonné très rapidement, laissant derrière soi les fantômes d’une vie mise entre parenthèses. D’abord confondu par le silence ambiant, il découvrit rapidement un froissement lointain ; ce n’était qu’un écho se répercutant à l’infini contre les étagères et les livres jusqu’à devenir inaudible. Instinctivement inquiet, le concierge se redressa et fit silence jusque dans le bruissement murmuré de ses vêtements. Là, il crut entendre une voix. En d’autres circonstances, il aurait soupiré en rallumant une lampe de bureau, mais dans cette université littéralement magique, il était difficile de ne pas s’imaginer un fantôme entre les couvertures tressées de cette bibliothèque dont au moins un livre, il en était certain, avait été couvert avec du cuir humain.
Ce silence de coton n’était peuplé que par des craquements de maison hantée. Gémissement du parquet, torsions métalliques, fenêtres semblables à des yeux distraits, ombres d’arbres dépéris, robinet qui fuit, objets qui tombent au loin en laissant une sinistre traînée se répandre en rumeur capable de provoquer un entier affaissement de l’âme. Et plus Nathanael essayait d’écouter, plus il en devenait complètement sourd. C’était le genre de calme qui engendrait les pires cauchemars et sa nervosité avait rendu son imagination particulièrement prolifique. Quelques part, un tic-tac lourd, sourd monotone. Contre sa propre volonté, il fut assailli par le souvenir de faits divers entendus et lus, des morts, de la torture, un tueur en série.
Se trouvant stupide d’être effrayé par si peu, Nathanael voulut rallumer la bougie mais se rendit compte que son déclin avait été provoqué par sa propre fin. Aussi dût-il se décider soit à rentrer, soit à chercher une autre bougie, et dans les deux cas, il fallait se lever et bouger. Décidé à se prouver à lui-même que les frasques de l’esprit n’étaient qu’une façon de combler l’inconnu, il se leva dans le noir et à patte de velours, évolua entre les étagères avec néanmoins une paresse prudente. Il avait fini de bouder sa baguette magique et la regardait avec moins de suspicion, mais dans une perspective d’économie et d’instinctive discrétion, pour ne pas se faire retrouver par un imaginaire sociopathe avec un Lumos, Nathanael s’accorda à être le chat noir qu’il avait toujours été.
Ayant atteint son but et tandis qu’il s’emparait d’une pleine poignée de solides bougies dans un bac en bois, il entendit à nouveau distinctement ce murmure se répandra contre les murs en pierre jusqu’à un frisson dans son dos. L’origine était plus proche et le noya instantanément dans une sueur froide. Plus a bout de nerfs que concédé, son corps se détendit comme la corde d’un arc et dans l’idée d’y mettre rapidement un terme quitte à devoir étrangler un spectre à mains nues, Nathanael enjamba brutalement la bibliothèque jusqu’à rejoindre la source de ce bruit sinistre.
« Oy ! » s’était-il exclamé en voyant soudain passer – quoi que « tomber » serait un mot plus exacte – un carton à sa perpendiculaire.
C’était une fille. Peut-être à cause de qualités purement physiques et statistiques – les femmes assassinaient majoritairement au poison –, ou peut-être parce qu’elle ne ressemblait en rien aux élucubrations de son imagination, Nathanael l’écarta instantanément de la liste des tueurs en série potentiels.
« AH ! Nathanael, vous m’avez fait peur. Qu’est-ce que vous faites ici ? »
En la regardant descendre, Nathanael plissa les yeux, des bougies plein les mains, tentant de focaliser toutes ses capacités cognitives sur ce visage qui avait l’air de le connaître. Bien sûr, il ne le regardait pas dans les yeux, mais quelque part au milieu. D’abord déboussolé par le naturel de la jeune femme, il débita mécaniquement ce qui ressemblait davantage à une ligne dans un CV :
« J’étais en train d’essayer d’enrichir mes capacités socio-culturelles dans le but de faciliter mon intégration dans un contexte peu familier... mais il se rendit soudain compte que ce n’était pas lui qui lui avait fait peur, mais elle ! Pourquoi vous êtes là toute seule alors que tout le monde est parti ? » Chuchota-t-il furieusement et inutilement en omettant qu’ils avaient manifestement eu la même idée. Après tout, il n’était pas à une contradiction près.
Alors que l’inutile frayeur avait chassé le sang par torrents vers son coeur et qu’un son bourdonnement avait envahi ses oreilles, il n’éprouva du soulagement que le temps d’entendre parmi tous ces bruits indistincts et ces images mentales un glaçant et clair son de pas à l’autre bout de la bibliothèque.
Clac. Clac. Clac.
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