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late-night cravings ☼ alba
Mar 5 Oct 2021 - 17:13
Été 2021, maison des Saouli.
Salim connaissait par coeur le dédale de la maison familiale. Il avait couru dans ses couloirs enfant, ses pieds nus avaient percuté les coins de meubles les plus dangereux, sa propre tête s'était déjà pris une poutre ou un coin de mur en bois et il y avait laissé quelques traces, mais ce n'était pas grave. Une égratigure de plus ou de moins... L'endroit criait "vieille maison familiale" comme aucun autre et Salim était capable de le parcourir les yeux fermés. Ce qui s'avérait particulièrement utile quand il rentrait bourré.
Il était plutôt sobre, ce soir, en comparaison. En ouvrant la porte d'entrée, il avait réussi à stopper net le battant avant qu'il n'atteigne ce point critique où il grinçait, ce qui était déjà bon signe et lui donna la confiance nécessaire pour se déplacer sans allumer les lumières. Il pensa à retirer ses chaussures dans le hall, qu'il poussa dans un coin avec d'autres paires de pompes sans s'arrêter sur leurs propriétaires, entra dans le salon, enjamba un balai et jeta sa veste sur le canapé. La maison était plongée dans le silence et dans le noir. Salim aimait toujours cette ambiance, si rare en dehors des heures les plus sombres de la nuit. Comme s'il partageait un secret avec la maison, un secret juste entre elle et lui. Avant de monter se coucher dans la petite chambre qu'il avait jadis partagée avec Mehdi (le pauvre) il fit demi-tour et se rendit dans la cuisine pour se servir un verre d'eau.
Si ce n'était pas un signe de sa sobriété, ça.
Les fenêtres de la cuisine laissaient passer assez de luminosité pour lui permettre de repérer le comptoir ; à partir de là, Salim marcha sans peine jusqu'au réfrigérateur, un des rares éléments plus ou moins modernes de la pièce. Très traditionnelle, très sorcière en vérité, la cuisine était peut-être l'endroit qui avait le plus de personnalité dans la maison. Par réflexe plus que par fringale, Salim jeta un oeil au contenu du frigo. Sa mère ramenait parfois des restes du Cochon à plumes et elle savait à quel point Salim aimait leur traditionnelle scotch pie. Pas de tourte à la viande. Déception. Salim ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même ; cela faisait une semaine qu'il passait ses journées à dormir et ses soirées à sortir, pas étonnant que personne ne l'attende pour vider le frigo. Il avait déjà de la chance que sa mère ne lui colle pas un tablier dans les mains pour le mettre derrière les fourneaux du Cochon à plumes. Les vacances étant loin d'être terminées, ce n'était probablement qu'une question de temps.
La lumière de la cuisine s'alluma alors que Salim fouillait les placards à la recherche d'un verre propre. Il en fut tellement surpris qu'il manqua de le lâcher sur le sol, ce qui aurait certainement réveillé toute la maisonnée. Il lâcha un juron en arabe, les dents serrées. Le verre était sauvé. Il se retourna.
L'esprit rendu léger par l'alcool, Salim mis un moment à comprendre ce qu'il voyait. Il s'attendait à trouver son père, appelé par une petite fringale nocturne, à qui il aurait pu sourire non baba, pas de scotch pie ! ou sa mère, dont l'instinct semblait à chaque fois l'appeler quand Salim était dans une situation délicate, dont rentrer bourré de soirée faisait malheureusement souvent partie – à elle, il aurait pu dire "t'as vu ? j'ai rien cassé !" Sa soeur ou un de ses frères, finalement, auraient pu être de passage, mais à une heure pareille ? Ne restait qu'Inès, mais Salim ne savait pas à quoi elle était occupée en ce moment, ses horaires irréguliers n'aidant pas évidemment. Il ignorait qu'il avait un début de réponse sous les yeux.
ㅡ Qu'est-ce que tu fais chez moi ? articula finalement Salim, un peu hébété – un peu pompette surtout, ce qui rendait la réflexion difficile.
Cette personne qui était entrée dans sa cuisine n'avait a priori rien à faire là, mais ce n'était pas une étrangère pour autant. Salim l'avait déjà croisée sur le campus, et si sa mémoire était exacte, ils n'étaient pas partis du bon pied. Le petit juron qu'il venait de lâcher, ajouté à son air à la fois ébahi et méfiant, laisser présupposer qu'il ne remonterait pas tout de suite dans son estime. Salim avait un don pour les premières impressions.
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