- InvitéInvité
Et tu verras bien
Dim 30 Jan 2022 - 22:02
[25 juillet 2021]
Tu y retournes, tu le trouves et tu verras bien ce qu'il se passera, s'était-elle coachée quelques heures auparavant face à la journée infernale qui l'avait lentement engloutie. Depuis, elle se répétait cette phrase comme un mantra.
Tu y retournes. Elle entra donc au Styx et fonça directement vers le bar. Là, elle déposa la pochette qui lui servait de sac à main en cette soirée - un entrelacement soignée de fines perles noires - sur le comptoir du bar avant de se hisser sur l'un des tabouret haut. Elle balaya la salle de ses yeux clairs, seulement pour constater qu'il n'y était pas.
Tu le trouves, se répéta-t-elle en sentant une boule se former dans son ventre. Avant que l'idée de faire demi-tour ne prenne de l'ampleur elle se décida à agir. Ses longs cheveux blonds frolèrent la surface en noyer alors qu'elle se penchait vers l'avant pour attirer l'attention d'un des serveurs.
-- Bonsoir ! la salua-t-il en saisissant le message, sourire Colgate d'usage aux lèvres.
Sous les néons, l'émail de ses dents semblait presque suréaliste.
-- Qu'est-ce que vous voulez ?
Fut-un temps dans lequel Aveleen aurait su quoi répondre. Un Manhattan, pour les sorties mondaines les plus sophistiquées, celles où il fallait élever le paraître au rang de prouesse dans des ces roof top Américains à la mode qui poussait comme des champignons dans toutes les capitales. Un cuba libre, pour les soirées les plus fébriles que l'on passait au creux de ces bars qui sentaient le tabac et la liberté, entrecoupés de musiques aux accents latinos dans une illusion d'évasion low-cost. Des cocktails sans alcool survitaminés lorsqu'il fallait jouer la carte de la trentenaire dynamique et pétillante.
Mais y'avait-il une boisson conseillée lorsque l'on se sentait à bout de souffle ?
-- Je cherche quelqu'un, se lança l'Irlandaise après une seconde de réflexion. Il doit travailler ici, tâtonna-t-elle en replaçant une mèche blonde derrière son oreille. Grand, latino, détailla-t-elle.
A quelques centimètres d'elle, le sourire Colgate ne vacillait pas. Pas même un tressautement annonçant qu'il voyait de qui elle parlait. Aveleen se réajusta sur son siège, déçue que cela ne soit pas plus simple. Elle insista :
-- Il a des tatouages un peu partout.
Colgate-man secoua la tête, faussement désolé. Et Aveleen eut vraiment envie de l'étouffer avec le dentifrice qui devait lui servir de meilleur ami.
-- Vous devez vous tromper, haussa-t-il les épaules. Donc, je vous sers quelque chose ?
Et Aveleen entendit : parce que sinon, j'ai mieux à faire. Elle inclina la tête.
-- Qui vous regarde comme si le monde lui obéissait d'un seul regard ?Le menton coincé dans la paume de sa main ? Ca doit forcément vous dire quelque chose, persista-t-elle d'une voix où le miel ne suffisait plus à en atténuer le piquant.
Elle sentait sa patience décliner au même titre que sa motivation.
Qu'est-ce qu'elle foutait là, déjà ? A la recherche d'un inconnu qui, quelques semaines auparavant, l'avait poussée à se laisser glisser sur la pente dangereuse de la vengeance.
Tu le sais très bien, s'auto-flagella-t-elle. T'en as marre de jouer le rôle de la ménagère dans ce foutu quartier pavillonnaire, d'alterner entre les courses et les devoirs du soirs d'Emma, de passer tes soirées à relire les écrits des étudiants avec comme seule compagnie de l'encre et une plume rouge.
-- Il doit s'occuper de la sécurité, s'obstina-t-elle.
-- Hé non, toujours pas, souffla théâtralement le serveur.
Elle sentait son haleine sucrée contre son visage et voyait sans mal la petite lueur d'amusement fermement ancrée dans son regard. Il ne lui dirait rien. Il savait qu'elle savait qu'il savait qui elle recherchait. Il haussa un sourcil inquisiteur.
-- Un bourbon, dans ce cas, abdiqua-t-elle. Si vous voyiez de quoi je parle, cette fois...
Elle le regarda attraper l'un des verres suspendus, déposer un dessous de verre cartonné, y reposer le verre. Sans la lâcher des yeux, il attrapa une bouteille Woodford Reserve, sortie son bouchon en liège dans un petit pop discret. Remplit son verre à moitié. Le poussa du bout du doigt vers elle dans une chorégraphie soigneusement huilée. Chacun de ses gestes lui parut insolent.
-- 2 gallions, articula-t-il soigneusement.
-- Le verre ? s'offusqua l'Irlandaise. Vous savez que je ne compte pas acheter des actions ?
Elle tendit néanmoins le bras pour s'enquérir du bourbon hors de prix et en bu une longue gorgée avant de le reposer. Presque vide. Puis, elle ouvrit soigneusement sa pochette. Elle y farfouilla un instant, avant de relever la tête.
-- J'ai oublié mon porte-monnaie, se désola-t-elle .
Cette fois, Colgate-man ravala son sourire en tranche de melon.
-- Scott, héla le barman en se tournant à demi vers l'arrière pour apostropher l'un de ses collègues. Est-ce que tu veux bien raccompagner Madame à la sortie ? Par la porte de service.
Une poigne de fer se posa sur son épaule pour l'inciter à se lever. La main trouva le creux de ses reins pour la faire traverser la salle, avec douceur et fermeté. Quelques secondes plus tard, le Styx la régurgitait à l'arrière du bar, dans une ruelle à l'hygiène douteuse dans laquelle s'entassaient les bennes à ordures.
Et tu verras bien ce qu'il se passera.
@Leonardo Moreno
Tu y retournes, tu le trouves et tu verras bien ce qu'il se passera, s'était-elle coachée quelques heures auparavant face à la journée infernale qui l'avait lentement engloutie. Depuis, elle se répétait cette phrase comme un mantra.
Tu y retournes. Elle entra donc au Styx et fonça directement vers le bar. Là, elle déposa la pochette qui lui servait de sac à main en cette soirée - un entrelacement soignée de fines perles noires - sur le comptoir du bar avant de se hisser sur l'un des tabouret haut. Elle balaya la salle de ses yeux clairs, seulement pour constater qu'il n'y était pas.
Tu le trouves, se répéta-t-elle en sentant une boule se former dans son ventre. Avant que l'idée de faire demi-tour ne prenne de l'ampleur elle se décida à agir. Ses longs cheveux blonds frolèrent la surface en noyer alors qu'elle se penchait vers l'avant pour attirer l'attention d'un des serveurs.
-- Bonsoir ! la salua-t-il en saisissant le message, sourire Colgate d'usage aux lèvres.
Sous les néons, l'émail de ses dents semblait presque suréaliste.
-- Qu'est-ce que vous voulez ?
Fut-un temps dans lequel Aveleen aurait su quoi répondre. Un Manhattan, pour les sorties mondaines les plus sophistiquées, celles où il fallait élever le paraître au rang de prouesse dans des ces roof top Américains à la mode qui poussait comme des champignons dans toutes les capitales. Un cuba libre, pour les soirées les plus fébriles que l'on passait au creux de ces bars qui sentaient le tabac et la liberté, entrecoupés de musiques aux accents latinos dans une illusion d'évasion low-cost. Des cocktails sans alcool survitaminés lorsqu'il fallait jouer la carte de la trentenaire dynamique et pétillante.
Mais y'avait-il une boisson conseillée lorsque l'on se sentait à bout de souffle ?
-- Je cherche quelqu'un, se lança l'Irlandaise après une seconde de réflexion. Il doit travailler ici, tâtonna-t-elle en replaçant une mèche blonde derrière son oreille. Grand, latino, détailla-t-elle.
A quelques centimètres d'elle, le sourire Colgate ne vacillait pas. Pas même un tressautement annonçant qu'il voyait de qui elle parlait. Aveleen se réajusta sur son siège, déçue que cela ne soit pas plus simple. Elle insista :
-- Il a des tatouages un peu partout.
Colgate-man secoua la tête, faussement désolé. Et Aveleen eut vraiment envie de l'étouffer avec le dentifrice qui devait lui servir de meilleur ami.
-- Vous devez vous tromper, haussa-t-il les épaules. Donc, je vous sers quelque chose ?
Et Aveleen entendit : parce que sinon, j'ai mieux à faire. Elle inclina la tête.
-- Qui vous regarde comme si le monde lui obéissait d'un seul regard ?Le menton coincé dans la paume de sa main ? Ca doit forcément vous dire quelque chose, persista-t-elle d'une voix où le miel ne suffisait plus à en atténuer le piquant.
Elle sentait sa patience décliner au même titre que sa motivation.
Qu'est-ce qu'elle foutait là, déjà ? A la recherche d'un inconnu qui, quelques semaines auparavant, l'avait poussée à se laisser glisser sur la pente dangereuse de la vengeance.
Tu le sais très bien, s'auto-flagella-t-elle. T'en as marre de jouer le rôle de la ménagère dans ce foutu quartier pavillonnaire, d'alterner entre les courses et les devoirs du soirs d'Emma, de passer tes soirées à relire les écrits des étudiants avec comme seule compagnie de l'encre et une plume rouge.
-- Il doit s'occuper de la sécurité, s'obstina-t-elle.
-- Hé non, toujours pas, souffla théâtralement le serveur.
Elle sentait son haleine sucrée contre son visage et voyait sans mal la petite lueur d'amusement fermement ancrée dans son regard. Il ne lui dirait rien. Il savait qu'elle savait qu'il savait qui elle recherchait. Il haussa un sourcil inquisiteur.
-- Un bourbon, dans ce cas, abdiqua-t-elle. Si vous voyiez de quoi je parle, cette fois...
Elle le regarda attraper l'un des verres suspendus, déposer un dessous de verre cartonné, y reposer le verre. Sans la lâcher des yeux, il attrapa une bouteille Woodford Reserve, sortie son bouchon en liège dans un petit pop discret. Remplit son verre à moitié. Le poussa du bout du doigt vers elle dans une chorégraphie soigneusement huilée. Chacun de ses gestes lui parut insolent.
-- 2 gallions, articula-t-il soigneusement.
-- Le verre ? s'offusqua l'Irlandaise. Vous savez que je ne compte pas acheter des actions ?
Elle tendit néanmoins le bras pour s'enquérir du bourbon hors de prix et en bu une longue gorgée avant de le reposer. Presque vide. Puis, elle ouvrit soigneusement sa pochette. Elle y farfouilla un instant, avant de relever la tête.
-- J'ai oublié mon porte-monnaie, se désola-t-elle .
Cette fois, Colgate-man ravala son sourire en tranche de melon.
-- Scott, héla le barman en se tournant à demi vers l'arrière pour apostropher l'un de ses collègues. Est-ce que tu veux bien raccompagner Madame à la sortie ? Par la porte de service.
Une poigne de fer se posa sur son épaule pour l'inciter à se lever. La main trouva le creux de ses reins pour la faire traverser la salle, avec douceur et fermeté. Quelques secondes plus tard, le Styx la régurgitait à l'arrière du bar, dans une ruelle à l'hygiène douteuse dans laquelle s'entassaient les bennes à ordures.
Et tu verras bien ce qu'il se passera.
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: Et tu verras bien
Mer 9 Fév 2022 - 13:26
Et tu verras bien ft. @Aveleen O’Donnell | 25 juillet 2021Les jours se suivaient et se ressemblaient, sans qu’il eut quoi que ce soit à en redire. Il y avait les heures chaudes, enfin, si tant est qu’il puisse considérer que l’Ecosse pouvait être considérée comme telle, où il restait niché dans son appartement, dans sa chambre même, à parcourir les nombreux ouvrages qu’il avait glanés à la manière d’un rongeur organisé, sur ses obsessions du moment. Les propriétés de la pierre de lune, avec la pleïade des potions dans lesquelles elle entrait dans la composition. Les feuillets de référence sur la lycanthropie et les traitements médicaux les plus récents, perspectives et théories incluses. Léthée et l’art de l’oubli, aussi, pour sa culture personnelle. Il y avait bien aussi un ou deux bouquins sur l’histoire de la mode moldue et sorcière que Catalina avait laissé la dans un coin et qu’il s’était promis de lire, mais il n’avait pas trouvé l’heure, ni l’humeur adéquate pour le faire. Et puis, quand le soleil passait enfin les collines environnantes, son corps reprenait vie, et à la manière d’un semi vampire, il revenait à la vie, au monde extérieur. Un univers encore circonscrit, entre la salle de boxe, le Styx et, parfois, les abords de la maison recluse d’un certain couple, qui ne l’avait jamais vu sur le pas de la porte où il se tenait, parfois pendant des heures, s’abreuvant des bruits étouffés du foyer à travers la serrure. Et puis, il revenait à l’une de ses tanières, en fauve à l’indolence dangereuse.
Il n’avait pas eu besoin de faire son apparition dans la grande salle de jeux ce soir là, Althéa participant à sa manière au spectacle offert aux clients du soir, maitresse en son royaume lui permettant de jouer les bénédictins au fond de leur bureau partagé. Il avait gardé le nez baissé sur les livres de comptes, son stylo dansant autant de ses doigts alors qu’il identifiait la nature de chaque recette, de chaque dépense, après avoir effectué l’inventaire attentionné des ingrédients et artefacts plus ou moins légaux dont ils ne pouvaient pas se permettre de manquer. Une nuit calme, somme toute, une nuit parmi tant d’autres, qui aurait vocation à se fondre dans la masse grouillante de toutes celles qui lui ressemblaient.
« Envy … M’sieur, pardon, M’sieur, j’suis désolé de vous déranger, mais ... »
Il n’avait pas gardé bien longtemps la confiance des deux premières syllabes dans la voix, le sbire, devant l’oeillade noire que lui avait lancé le comptable derrière le bureau, une main sur le papier, l’autre enfoncé dans le paquet jaune de bonbons au chocolat et à la cacahuète. Il n’était déjà pas adepte de ces pseudonymes tragi-comiques, mais qu’on puisse l’alpaguer sans politesse avec, c’est hors de question. Le type, malgré ses biceps comme des jambons seranos et son crane luisant, avait dégluti sa salive un peu de travers, avant de reprendre avec une intonation infiniment moins impérieuse.
- Y a, euh, une fille qui vous cherche. Fin non, pas une fille, une femme, une jeune femme, la trentaine peut être, blonde, mignonne, enfin, elle a l’air en tout cas…
- Elle me cherche ?
- En tout cas elle cherche un grand type latino, avec des tatouages partout, qui bosse ici et qui, euh, je cite hein, vous regarde comme si le monde lui obéissait d’un seul regard.
Leo avait posé son menton dans sa paume, un sourcil haussé. Scott avait claqué des doigts avec un sourire timide.
- Ouais, ça aussi, elle en a parlé, cette tête là. Je crois bien que c’était vous.
- Et donc vous en avez fait quoi ?
Le gorille haussa les épaules.
- Elle a pas voulu payer son sky. On l’a mise dehors.
- … Evidemment. Merci pour l’info. Et bien, c’est tout ? Alors tu peux retourner à ton poste.
Scott avait ouvert la bouffer, avant de la refermer, gardant sa question et sa curiosité pour lui. Clairement, il n’était pas en position de demander au boss qui c’était, cette gonzesse, ni ce qu’il comptait faire. Rien, probablement, vu qu’il avait repris la lecture de ses documents obscurs. C’était p’t’être une ex un peu tarée. Ça, tout le monde en avait…
- … Vous n’aviez pas besoin d’aller jusqu’à vous faire botter le derrière par un videur pour attirer mon attention, vous savez.
Il avait attendu cinq bonnes minutes, le temps que ce bon vieux Scott oublie son existence, pour fermer la porte du bureau derrière lui, en direction de la ruelle sombre qui bordait l’arrière du Styx, son paquet de m&m’s toujours dans la main. C’était plus fort que lui, quand il commençait, il ne pouvait pas s’arrêter avant qu’il n’en reste plus l’ombre d’une miette.
- Je vous manquais Aveleen ?
Il avait fait ses recherches, lui, contrairement à elle. Il n’avait pas d’autres choix, dans sa situation. C’était une question de survie.
- Un bonbon ?
- InvitéInvité
Re: Et tu verras bien
Sam 19 Fév 2022 - 20:17
Aveleen avait fini par capituler : son dos nu reposait sur les briques à l'allure peu ragoutante de la petite ruelle à l'allure elle aussi, peu ragoutante. C'était peu dire : il y avait l'odeur tout sauf délicate des poubelles, laquelle renvoyait des relents à peu près aussi désespérants que l'image qu'elle avait d'elle-même en cet instant. Elle se sentait comme cette écervelée dans chaque mauvais film qui errait dans sa vie comme un personnage de Racine errait dans sa propre tragédie. Un sourire agacée traversa ses lèvres rosées alors qu'elle ployait du coup pour regarder les étoiles. Privilège de la voie lactée : elle était toujours superbe, même lorsqu'on l'observait depuis l'arrière-cours d'un bar dont on venait de se faire mettre dehors avec la subtilité d'un phacochère dans un magasin de porcelaine. Il fallait dire qu'elle en avait manqué cruellement, elle aussi : de subtilité. La vérité suffisait sans doute à expliquer tout cela, néanmoins : elle avait cherché un échappatoire à ce quotidien étouffant et, aussi étrange que cela n'y puisse paraître, cet échappatoire avait crû bon de prendre les traits d'un latino inconnu sur tatoué aussi facile à trouver que la cité perdue des Aztèques.
Fantastique.
Stupide.
Fantastiquement stupide, même.
Elle aurait dû savoir que c'était une mauvaise idée. Elle aurait dû avorter le projet à l'état embryonnaire et s'assurer de surtout pas le laisser survenir de nouveau. Elle aurait dû abandonner lorsque le serveur s'était montré réticent, écouter les signes du destin et ne pas insister. Et en admettant qu'elle avait été assez stupide pour persévérer malgré tout ces « aurait dû » - ce qui avait été évidemment le cas - elle aurait dû tourner les talons à l'instant où on l'avait mise dehors. Le destin s'était fait de plus en plus insistant quant à ses mises en gardes, jusqu'à revêtir l'apparence d'une armoire à glace aux mains aussi grosses que des pelleteuses. Mais elle était toujours là. Parce que l'envie de s'échapper à son quotidien n'avait pas désenflée - pire, elle avait l'impression que deux mains s'étaient plongées dans son thorax pour venir comprimer ses maigres réserves d'oxygène.
Ce qui lui faisait vraiment envie, là, c'était cette perspective de ne pas agir comme on l'attendait d'elle. Cette époque bénie où elle pouvait tourner les talons dès que l'envie lui prenait de prendre le large ne lui avait jamais autant manqué. Ce qui était atroce, c'est qu'elle ne songeait même pas sérieusement à répondre à ce besoin. Peut-être même n'en avait elle pas réellement envie, même. Mais elle voulait juste en avoir la perspective. Savoir que ce choix était toujours accessible lui aurait simplement suffit. Mais au lieu de ça, il n'y avait que les barreaux étriqués des responsabilités et la cage, aussi dorée soit-elle, n'était qu'un rappel supplémentaire du fait qu'elle ne pouvait plus s'envoler nulle part.
Alors, ma foi, songea-t-elle en fermant ses yeux pour inspirer lentement, cette ruelle pouvait bien m'accueillir pour quelques longues minutes supplémentaires. C'était mieux que rien. C'était mieux que de rentrer, en tout cas.
— … Vous n’aviez pas besoin d’aller jusqu’à vous faire botter le derrière par un videur pour attirer mon attention, vous savez.
La voix sembla surgir de nulle part : elle ne l'avait pas entendu approcher. Un sourire manqua de crever ses lèvres, mais la photographe le retînt de justesse, comme l'on refermerait la bouche sur un secret. Finalement, le destin avait peut-être décidé de lui accorder une entorse au réglèment.
— Je vous manquai, Aveleen ?
Toujours la même insolence et les inflexions particulières avec lesquelles son timbre enveloppait les syllabes de son prénom. Elle ouvrit les yeux, bien que cela soit inutile de confirmer ce qu'elle savait déjà. C'était lui, évidemment. Son regard bleu se fixa pourtant dans le sien, alors qu'elle faisait simplement rouler ses frêles épaules vers le haut. Peut-être, semblait vouloir dire le geste, alors qu'elle s'accordait quelques secondes d'observation. Il avait l'air différent de la dernière fois : peut-être moins taciturne tout en restant dans le panel des ours mal léché pouvant vous décapiter d'un coup de pattes poilues si vous veniez à avoir l'idée saugrenue de le contrarier.
— Un bonbon ? propos a-t-il en tendant vers elle un sachet dont la couleur jaune se détache à la lumière d'un des lampadaires.
Plus... enfantin, peut-être, pensa-t-elle. Et comme son plan s'était arrêté au simple fait de le trouver, sans avoir réellement abouti le reste, Aveleen resta interdite quelque seconde avant d'oser tendre les doigts vers les friandises.
— Vous êtes bien difficile à trouver, fit-elle en guise de salutation tandis qu'elle farfouillait entre les petites billes de couleurs d'un air concentré jusqu'à en extirper enfin un de la couleur souhaitée.
Et alors que ses dents entamaient la coque bleu jusqu'à ce que le goût de cacahuète ne se repende contre son palais, elle l'observa sans rien dire. Elle n'avait pas d'explication logique à sa présence ici, après tout. Rien de rationnel, rien d'autre que cet aura de danger qui plane autour du latino et qu'elle perçoit de nouveau. Ca aussi, cela n'avait rien de rationnel : un peu comme une petite voix qui soufflerait de changer de trottoir si on venait à le croiser dans la rue. Mais voilà : cette simple conversation avait le mérite de n'avoir aucun sens, et c'était à peu près ce qu'elle cherchait. Quelque chose d'inconnu et qui la sortait de ce quotidien dans lequel elle ne se sentait pas à sa place. Il avait le regard presque aussi noir que son sourire ne semblait satisfait de la voir ici, avec un brin de défi de nicher quelque part au milieu de tout ça. Et autre chose, aussi. Quelque chose qu'elle ne saurait pas expliquer mais qui lui donnait déjà l'impression que l'étau dans sa poitrine s'est un peu desserré.
Aveleen décida qu'il fallait augmenter la mise.
— Vous avez dit, la dernière fois, que c'était dans les favelas que la fête était la plus belle, le cita-t-elle sans le lâcher des yeux. Ou quelque chose comme ça, nuança-t-elle.
Même si elle savait que c'était ses mots exacts. Parce qu’elle avait repensé à cette soirée de nombreuses fois. A l’impression pernicieuse d’avoir trouvé quelqu’un qui comprenait, qu’importe que cette personne soit à des années lumières des ceux qu’elle avait l’habitude de côtoyer. Il avait le mérite de savoir. C’était un peu comme cette tactique enfantine pour enlever du chewing-gum : on sortait la gomme de sa bouche et l’on s’en servait pour retirer son homologue. Le mal par le mal. Peut qu’être qu’en assemblant la douleur, elle se faisait moins pénible. Plus supportable. Peut-être qu'à côtoyer la mort, on réussissait enfin à se sentir vivant
— Vous aviez l’air si sûr de vous, broda t’elle.
Pour ne pas dire qu’il semblait tout le temps sur de lui, plutôt.
— Vous accepteriez de... me montrer ? Demanda-t-elle finalement.
Avant qu’il ne se rende compte qu’elle, par contre, n’était certaine de rien.
@Leonardo Moreno ( (j'ai pas trouvé de fajitas )
Fantastique.
Stupide.
Fantastiquement stupide, même.
Elle aurait dû savoir que c'était une mauvaise idée. Elle aurait dû avorter le projet à l'état embryonnaire et s'assurer de surtout pas le laisser survenir de nouveau. Elle aurait dû abandonner lorsque le serveur s'était montré réticent, écouter les signes du destin et ne pas insister. Et en admettant qu'elle avait été assez stupide pour persévérer malgré tout ces « aurait dû » - ce qui avait été évidemment le cas - elle aurait dû tourner les talons à l'instant où on l'avait mise dehors. Le destin s'était fait de plus en plus insistant quant à ses mises en gardes, jusqu'à revêtir l'apparence d'une armoire à glace aux mains aussi grosses que des pelleteuses. Mais elle était toujours là. Parce que l'envie de s'échapper à son quotidien n'avait pas désenflée - pire, elle avait l'impression que deux mains s'étaient plongées dans son thorax pour venir comprimer ses maigres réserves d'oxygène.
Ce qui lui faisait vraiment envie, là, c'était cette perspective de ne pas agir comme on l'attendait d'elle. Cette époque bénie où elle pouvait tourner les talons dès que l'envie lui prenait de prendre le large ne lui avait jamais autant manqué. Ce qui était atroce, c'est qu'elle ne songeait même pas sérieusement à répondre à ce besoin. Peut-être même n'en avait elle pas réellement envie, même. Mais elle voulait juste en avoir la perspective. Savoir que ce choix était toujours accessible lui aurait simplement suffit. Mais au lieu de ça, il n'y avait que les barreaux étriqués des responsabilités et la cage, aussi dorée soit-elle, n'était qu'un rappel supplémentaire du fait qu'elle ne pouvait plus s'envoler nulle part.
Alors, ma foi, songea-t-elle en fermant ses yeux pour inspirer lentement, cette ruelle pouvait bien m'accueillir pour quelques longues minutes supplémentaires. C'était mieux que rien. C'était mieux que de rentrer, en tout cas.
— … Vous n’aviez pas besoin d’aller jusqu’à vous faire botter le derrière par un videur pour attirer mon attention, vous savez.
La voix sembla surgir de nulle part : elle ne l'avait pas entendu approcher. Un sourire manqua de crever ses lèvres, mais la photographe le retînt de justesse, comme l'on refermerait la bouche sur un secret. Finalement, le destin avait peut-être décidé de lui accorder une entorse au réglèment.
— Je vous manquai, Aveleen ?
Toujours la même insolence et les inflexions particulières avec lesquelles son timbre enveloppait les syllabes de son prénom. Elle ouvrit les yeux, bien que cela soit inutile de confirmer ce qu'elle savait déjà. C'était lui, évidemment. Son regard bleu se fixa pourtant dans le sien, alors qu'elle faisait simplement rouler ses frêles épaules vers le haut. Peut-être, semblait vouloir dire le geste, alors qu'elle s'accordait quelques secondes d'observation. Il avait l'air différent de la dernière fois : peut-être moins taciturne tout en restant dans le panel des ours mal léché pouvant vous décapiter d'un coup de pattes poilues si vous veniez à avoir l'idée saugrenue de le contrarier.
— Un bonbon ? propos a-t-il en tendant vers elle un sachet dont la couleur jaune se détache à la lumière d'un des lampadaires.
Plus... enfantin, peut-être, pensa-t-elle. Et comme son plan s'était arrêté au simple fait de le trouver, sans avoir réellement abouti le reste, Aveleen resta interdite quelque seconde avant d'oser tendre les doigts vers les friandises.
— Vous êtes bien difficile à trouver, fit-elle en guise de salutation tandis qu'elle farfouillait entre les petites billes de couleurs d'un air concentré jusqu'à en extirper enfin un de la couleur souhaitée.
Et alors que ses dents entamaient la coque bleu jusqu'à ce que le goût de cacahuète ne se repende contre son palais, elle l'observa sans rien dire. Elle n'avait pas d'explication logique à sa présence ici, après tout. Rien de rationnel, rien d'autre que cet aura de danger qui plane autour du latino et qu'elle perçoit de nouveau. Ca aussi, cela n'avait rien de rationnel : un peu comme une petite voix qui soufflerait de changer de trottoir si on venait à le croiser dans la rue. Mais voilà : cette simple conversation avait le mérite de n'avoir aucun sens, et c'était à peu près ce qu'elle cherchait. Quelque chose d'inconnu et qui la sortait de ce quotidien dans lequel elle ne se sentait pas à sa place. Il avait le regard presque aussi noir que son sourire ne semblait satisfait de la voir ici, avec un brin de défi de nicher quelque part au milieu de tout ça. Et autre chose, aussi. Quelque chose qu'elle ne saurait pas expliquer mais qui lui donnait déjà l'impression que l'étau dans sa poitrine s'est un peu desserré.
Aveleen décida qu'il fallait augmenter la mise.
— Vous avez dit, la dernière fois, que c'était dans les favelas que la fête était la plus belle, le cita-t-elle sans le lâcher des yeux. Ou quelque chose comme ça, nuança-t-elle.
Même si elle savait que c'était ses mots exacts. Parce qu’elle avait repensé à cette soirée de nombreuses fois. A l’impression pernicieuse d’avoir trouvé quelqu’un qui comprenait, qu’importe que cette personne soit à des années lumières des ceux qu’elle avait l’habitude de côtoyer. Il avait le mérite de savoir. C’était un peu comme cette tactique enfantine pour enlever du chewing-gum : on sortait la gomme de sa bouche et l’on s’en servait pour retirer son homologue. Le mal par le mal. Peut qu’être qu’en assemblant la douleur, elle se faisait moins pénible. Plus supportable. Peut-être qu'à côtoyer la mort, on réussissait enfin à se sentir vivant
— Vous aviez l’air si sûr de vous, broda t’elle.
Pour ne pas dire qu’il semblait tout le temps sur de lui, plutôt.
— Vous accepteriez de... me montrer ? Demanda-t-elle finalement.
Avant qu’il ne se rende compte qu’elle, par contre, n’était certaine de rien.
@Leonardo Moreno ( (j'ai pas trouvé de fajitas )
- InvitéInvité
Re: Et tu verras bien
Mer 9 Mar 2022 - 14:30
Et tu verras bien ft. @Aveleen O’Donnell | 25 juillet 2021Il avait presque l’air inoffensif, avec ses bonbons collés dans un coin de ses babines, son demi sourire un peu taquin mais sans agressivité. Félin curieux, mais pas vraiment affamé, qui vous toise sans velléité de repas. Il avait tendu le sachet pour le mettre à portée de ses doigts fins, sans se rapprocher pour autant. Que faisait elle là ? Elle le cherchait, de tout évidence, mais il ignorait pourquoi, pour le moment.
- je ne suis difficile à trouver que pour ceux qui ne savent pas où chercher. Pour les autres, c'est très aisé au contraire.
Si le ton frôlait l'insolence,il était en revanche d'une honnêteté limpide : quiconque connaissait a minima les us et coutumes du Styx savait que le cerbère restait le plus souvent reclus dans son bureau,se contentant de quelques passages en salle a la manière d'un vigile dans sa ronde. Non vraiment, savoir où il se trouvait était la partie la plus facile. Le faire sortir de sa tanière, en revanche, était une autre histoire… Il ne laissait pas grand monde l’y déloger, peut être une petite poignée d’individus tout au plus. Il y avait Althéa, bien sur, mais cela allait sans dire. Catalina, pour de bonnes raisons, réussirait probablement à le faire se lever de sa chaise aux rembourrages de cuir. Il y avait Asher aussi, bien sur, mais il était rare qu’il parvienne jusqu’au Styx. Il avait cru comprendre que l’une des danseuses avait une place toute particulière dans son coeur, sans qu’il lui ait jamais demandé. Les histoires sentimentales, ce n’était pas vraiment son rayon, il laissait ça à ceux qui avaient encore quelque chose à offrir, de ce coté là.
- J’ai dit ça, moi ?
Fausse innocence, sourire en coin qui trahit la connivence. Il était étonnant qu’elle se souvienne de ça. Elle avait beaucoup bu, ce soir là, il l’avait trouvé dans un état presque second, alors que lui même n’en menait pas vraiment large, plongé dans les considérations morbides d’un anniversaire funeste. Ce n’était pas tant qu’il allait foncièrement mieux, mais il s’était ré-ancré dans la réalité, reprenant l’apparence d’un être humain fonctionnel, et non plus d’une créature faite de charbon et de fumée âcre. Pour autant, il se souvenait de ce soir là avec la précision d’une blessure à l’arme blanche. L’intensité du regard de la jeune femme, celle là même qui se tenait devant lui à présent, bravache. Sa colère, sa haine même, qu’elle déversait en bile alcoolisée en ignorant que l’oreille attentive était celle du bourreau. Il ne s’était pas imaginé qu’elle reviendra, songeant qu’elle avait du se réveiller mortifiée, le lendemain, de s’être tant épanchée auprès d’un illustre inconnu, rassurée de ne pas avoir fini dans son lit, néanmoins.
- Vous montrer ? Les favelas ?
L’idée était aussi saugrenue que plaisante. Se rendait elle compte de ce qu’elle disait ? Qu’il ne s’agissait pas là de promenades sécurisées dans les pseudos bidonvilles de Rio, qui étaient nettoyés une fois l’année pour le carnaval pour que les touristes puissent voir la misère bien peignée, bariolée de couleurs et aux dents arrachées le temps du festival. Que San Juan et ses centaines de maisons multicolores n’étaient pas qu’un décor de cartes postales et d’influenceuses sorcières qui se pâmaient devant leurs mojitos, sous le son des tubes du moment. Qu’il y avait la guerre là bas, la plus sauvage, parce qu’intestine, un peuple qui se bouffe de l’intérieur parce que la tête refuse de nourrir le corps. Que les fêtes dans la nuit sont des éloges à la fin du monde, puisque chacun peut mourir demain, et qu’il faut boire son vin jusqu’à la lie, puisque le lendemain, c’est la bière qui vous attend. Mais dans son regard bleu, il voit l’électricité, et la fille qui tend sa main comme un paratonnerre cherchant à ce que la foudre frappe. Pour ressentir, enfin. Un petit tic agace le haut de sa pommette, alors qu’il froisse le papier plastique pour le faire choir au fond de la benne, juste à coté.
- Le transplanage intercontinental a de quoi retourner l’estomac le plus accroché. Vous êtes sure d’avoir Déjà suffisamment confiance en moi pour que je vous y emmène ? Maintenant ?
Il était déjà presque tôt le matin, alors la nuit devait tout juste se coucher de l’autre coté du globe. Il y aurait les premiers accords de guitare et l’odeur des premiers cigares que l’on allume. Il ferait chaud, tellement chaud par rapport à la douceur du juillet d’Ecosse. Inconsciemment, il avait balancé un coup d’oeil vers la porte qui menait au purgatoire : il aurait du retourner à l’intérieur du Styx, les affaires, elles, ne s’arrêtaient jamais. Mais elles pouvaient peut être attendre jusqu’à demain, personne n’était indispensable.
Alors il lui tendit la main, sans un mot de plus. Si elle la saisissait, ils atterriraient à la Puntilla, dans l’arrière boutique d’une rhumerie tenue par un vieux cracmol mal luné, près du vieux port. Et là, les choses sérieuses commenceraient pour eux.
- InvitéInvité
Re: Et tu verras bien
Jeu 10 Mar 2022 - 12:17
(mood)
— J'ai dit ça, moi ? fit-il.
Et les coins de la bouche du Latino s'étirèrent. Une légère asymétrie chargea la mimique de malice un brin provocante. Aveleen soutînt son regard, se retenant de tutoyer les étoiles en levant ses yeux vers un ciel qu'elle devinait beaucoup plus indulgent envers elle qu'il ne semblait l'être lui. Pour toute réponse, elle lui offrit deux iris javellisés, d'un bleu aussi intense que sa demande n'était sérieuse. Cette ruelle était la métaphore actuelle de ce qu'elle ressentait : de la crasse, du sol au plafond, avec toutes ces poubelles qui jonchaient le sol , faute de place dans les bac prévus à cette effet. Elle aussi, elle débordait sans qu'il n'y ai plus rien pour contenir les ordures du quotidien. Elle avait besoin que quelqu'un ouvre les fenêtres, face entrer l'air frais et nettoie les relans de cette insupportable colère. Qu'on la traine en dehors. Il avait dit qu'il y avait de la beauté dans les favelas. Qu'il y avait quelque chose de bien dans les endroits les plus crasseux.
Elle ne demandait qu'à ce qu'il ait raison.
— Vous montrer ? Les favelas ? la singea-t-il, comme s'il doutait de la demande.
Les lèvres de la photographe se calquèrent sur les siennes, s'autorisant le vol sans vergogne puis l'utilisation immédiate de ce sourire en coin débordant d'insolence dont il semblait avoir le secret.
— C'est ça, répondit-elle sur le ton de l'évidence. Sa voix douce répéta les mots, sans rien y ajouter qu'un peu plus de fermeté dans la demande : Me montrer les favelas.
Leurs regards se jaugeaient toujours.
Lui, cherchant probablement à définir les frontières floues entre ses demandes et le courage qu'elle aurait s'il entrait dans la danse. Et Elle, cherchant à lui faire comprendre que les frontières n'avaient plus vraiment d'autre but que d'être franchies lorsqu'elles s'apparentaient aux limites d'une prison. Toutes ces lignes directrices étaient comme des liens qui enchainaient ses pieds et son cœur, la forçant à rester entre quatre murs là où elle s'asphyxiait de respirer sempiternellement le même air rance d'Inverness. Les rues étaient trop étroites, les gens se ressemblaient trop, les conversations avaient la saveur insipide des déjà vus et les journées se superposaient sans que rien n'advienne jamais qui ne sorte de l'ordinaire. Alors, oui, semblaient dire les deux orbes bleues qui affrontaient son regard d'obsidienne, elle voulait voir les Favelas. Ou plus précisément : elle voulait qu'il les lui montre, Lui. Voir par ses yeux si sombres qu'il y'avait quelque chose qui transpirait la vie au plus proche des bas fonds de la mort.
— Le transplanage intercontinental a de quoi retourner l’estomac le plus accroché, capitula-t-il.
Quelque chose crépita le long de sa colonne vertébrale, soulevant les fins cheveux blonds dans un sursaut d'adrénaline.
— Vous êtes sure d’avoir Déjà suffisamment confiance en moi pour que je vous y emmène ? Maintenant ? la mit-il au défi.
Sans prendre le temps de la réflexion, Aveleen prit appuie sur le pied qui reposait le long du mur. D'une impulsion, elle se redressa, faisant un pas dans sa direction.
— Déjà suffisamment ? souleva-t-elle avec une naïveté feinte.
Ses doigts fins se glissèrent le long de sa paume tendue, sans s'y accrocher plus que de raison. Pas de peur, pas de regret.
— Vous ne doutez donc pas que j'aurais confiance en vous dans un avenir proche, fit-elle remarquer en rigolant doucement, sa tête se balançant imperceptiblement de gauche à droite.
Comme pour dire : Prétentieux. Et il l'était.
— Confiance en votre personne, peut-être pas, rectifia-t-elle après quelques secondes à le fixer.
A présent qu'ils étaient face à face, elle pouvait constater qu'ils faisaient à peu de chose près la même taille. Ce qui ramenait leurs yeux au même niveau. Elle le détailla un instant, balayant son visage et son cou avec curiosité. Le faible éclairage des néons reflétait à peine les traits d'encre qui parsemaient sa peau d'olive. En cet instant, les tatouages se confondaient avec les ombres sans que l'on sache où commençait la noirceur et où s'arrêtaient les dessins. Il était si aisé de se tromper, à la faible lueur de ce qui était dévoilé : ce mince éclairage demandait à ce que l'on devine ce que l'on avait sous les yeux plus que ce que les yeux permettaient réellement de deviner.
— Mais confiance en votre insolente façon d'être sûr de vous, par contre, contre attaqua-t-elle doucement, considérez que c'est entièrement acquis, Monsieur Difficile-a-trouver-pour-ceux-qui-ne-savent-pas-ou-chercher, le nomma-t-elle, faute de connaître son prénom. D'ailleurs, reprit-elle sur le même ton, je serai ravie de savoir où est-ce qu'on a l'habitude de vous ranger, signifia-t-elle dans un chuchotement, alors qu'elle fermait les yeux par anticipation.
Elle avait appris que son estomac ne rendait grâce que si elle s'obstinait à les garder ouverts lors des transplanages.
— Comme ça, la prochaine fois, chuchota-t-elle, je n'aurai pas besoin de retourner tout le bar pour vous mettre la main dessus.
Quelques instants plus tard, Aveleen sentit l'étau se refermer contre son corps. C'était, à peu de chose prêt, comme si quelqu'un essayait de la faire éclater telle une tomate trop mure. Sa cage thoracique criait à l'agonie lorsqu'enfin, la pression disparut tout aussi rapidement qu'elle n'était venue. Blême, Aveleen s'accorda quelques instants les yeux toujours clos pour que son oreille interne cesse de protester contre les mauvais traitements. Elle récupéra sa main, et joignit ses deux paumes fraîches à l'arrière de son cou pour y apposer un peu de fraicheur contre sa peau à présent moite. Il n'avait pas menti : c'était extrêmement désagréable et cela constituait en cette seule expérience la meilleure des publicités pour les portoloins.
—Il faut... que je sorte, lâcha-t-elle dans un gémissement sourd.
Elle ouvrit les yeux, cartographiant leur point d'arrivée pour y dénicher une sortie. Des cartons entassées, des bouteilles grossièrement alignées dans lesquelles semblaient flotter des fruits et des verres à la propreté douteuse. En plissant les yeux, elle dénicha une lourde porte vers laquelle elle s'aventura, constatant avec soulagement l'absence de verrouillage.
L'Irlandaise gagna l'extérieur avant de se pencher vers l'avant, ses mains prenant appuie sur ses genoux tandis qu'elle inspirait et exsufflait lentement pour reprendre le contrôle sur son mal des transports. La chaleur était capiteuse. Et si des embrumes salines, vaporeuses, lui chatouillaient les narines, le reste de l'atmosphère s'était alourdi. Elle avait l'impression de porter du coton mouillé tout contre sa peau moite, un vêtement capricieux qui promettait de coller au corps pour le reste de la soirée. Quand elle eut suffisamment juguler sa nausée, Aveleen ouvrit les yeux pour observer leur destination. Devant ses yeux s'étirait la mer calme d'un port, où des bateaux tanguaient imperceptiblement sous les affres d'une houle doucereuse. Le soleil rougeoyant de la fin de journée caressait les coques et la photographe pouvait même y lire quelques noms en espagnol en plissant assez les yeux. Et puis, derrière eux, à flanc de ce qui semblait être une falaise, des habitations à perte de vue dans une explosion de couleur à en rendre jaloux un peintre. On aurait dit une ville arc-en-ciel, léchée par les ultimes rayons du soleil. Toutes les maisons paraissaient vouloir défier les lois de l'architecture et de la gravité, comme si un concours d'arrogance avait voulu prouver qu'il était possible d'entasser autant de constructions au mètre carré. Et pour oublier la promiscuité qui confondait parfois les âmes, chacun avait décidé de colorer sa maison de manière différente. Les Egyptiens sacrifiaient un agneau pour peinturlurer de sang leur porte afin de dire au Dieu Vengeur : n'entre pas. Mais les Portoricains de la Perle de San Juan, eux, semblaient défier l'astre solaire d'entrer, justement. Comme pour lui faire un pied de nez : regarde, on t'a volé tes couleurs, toi qui nous laisse sans cesse dans l'obscurité de nos vies. Prête nous toutes tes nuances, toi qui en as tellement et nous, si peu.
La poigne de fer qui lui serrait le cœur depuis des jours avait déjà un peu reflué. Ici, à des milliers de kilomètres d'Inverness, elle se sentait déjà plus légère.
Touchée par ce spectacle tout autant que par la liberté retrouvée, Aveleen resta silencieuse durant les quelques minutes qu'il fallu au soleil pour disparaître totalement. Alors, seulement, elle se tourna à demi vers lui.
Nichant son regard dans le sien, il ne lui fallut que quelques secondes avant qu'un sourire franc et sincère ne s'étale sur son visage.
— Vous... vous l'avez vraiment fait, souffla-t-elle d'une voix rieuse.
Jamais, elle n'avait rencontré quelqu'un d'aussi impulsif. C'était dangereux, l'impulsivité : aussi dangereux que de dire à un inconnu de l'emmener à l'autre bout du globe, et qu'il accepte sans sourciller la folle proposition. Il était étonnant, d'une certaine façon : un parfait étranger accédant à ses requêtes illogiques sans avoir besoin qu'elle ne lui explique quoi que ce soit. C'était le genre de familiarité que l'on atteignait normalement qu'au bout de plusieurs mois de relation. Mais lui, il était différent : c'était comme avoir brûler des étapes et s'être débarrassé des familiarités d'usages ô combien ennuyeuses et sans saveurs. Curieusement, cela lui insufflait un improbable sentiment de sécurité. Elle avait l'impression d'avoir déniché un joker, une porte de sortie et un refuge secret dans lequel il était possible de demander sans craindre le jugement, et que l'on accède à ses souhaits sans chercher à y décortiquer les raisons.
C'était vraiment une sensation étrange.
Elle avait beaucoup de questions qui lui brûlaient les lèvres : ses intentions, ce qu'ils foutaient vraiment ici, pourquoi répondait-il présent alors qu'il ne la connaissait pas. Quel était son nom, aussi. Mais au lieu de ça, elle ramena ses cheveux en un chignon lâche et, avec une moue intriguée, demanda seulement :
— Pourquoi pas Rio ?
Il était un chemin inconnu. Et elle n'avait aucune envie d'en baliser la destination.
@Leonardo Moreno
— J'ai dit ça, moi ? fit-il.
Et les coins de la bouche du Latino s'étirèrent. Une légère asymétrie chargea la mimique de malice un brin provocante. Aveleen soutînt son regard, se retenant de tutoyer les étoiles en levant ses yeux vers un ciel qu'elle devinait beaucoup plus indulgent envers elle qu'il ne semblait l'être lui. Pour toute réponse, elle lui offrit deux iris javellisés, d'un bleu aussi intense que sa demande n'était sérieuse. Cette ruelle était la métaphore actuelle de ce qu'elle ressentait : de la crasse, du sol au plafond, avec toutes ces poubelles qui jonchaient le sol , faute de place dans les bac prévus à cette effet. Elle aussi, elle débordait sans qu'il n'y ai plus rien pour contenir les ordures du quotidien. Elle avait besoin que quelqu'un ouvre les fenêtres, face entrer l'air frais et nettoie les relans de cette insupportable colère. Qu'on la traine en dehors. Il avait dit qu'il y avait de la beauté dans les favelas. Qu'il y avait quelque chose de bien dans les endroits les plus crasseux.
Elle ne demandait qu'à ce qu'il ait raison.
— Vous montrer ? Les favelas ? la singea-t-il, comme s'il doutait de la demande.
Les lèvres de la photographe se calquèrent sur les siennes, s'autorisant le vol sans vergogne puis l'utilisation immédiate de ce sourire en coin débordant d'insolence dont il semblait avoir le secret.
— C'est ça, répondit-elle sur le ton de l'évidence. Sa voix douce répéta les mots, sans rien y ajouter qu'un peu plus de fermeté dans la demande : Me montrer les favelas.
Leurs regards se jaugeaient toujours.
Lui, cherchant probablement à définir les frontières floues entre ses demandes et le courage qu'elle aurait s'il entrait dans la danse. Et Elle, cherchant à lui faire comprendre que les frontières n'avaient plus vraiment d'autre but que d'être franchies lorsqu'elles s'apparentaient aux limites d'une prison. Toutes ces lignes directrices étaient comme des liens qui enchainaient ses pieds et son cœur, la forçant à rester entre quatre murs là où elle s'asphyxiait de respirer sempiternellement le même air rance d'Inverness. Les rues étaient trop étroites, les gens se ressemblaient trop, les conversations avaient la saveur insipide des déjà vus et les journées se superposaient sans que rien n'advienne jamais qui ne sorte de l'ordinaire. Alors, oui, semblaient dire les deux orbes bleues qui affrontaient son regard d'obsidienne, elle voulait voir les Favelas. Ou plus précisément : elle voulait qu'il les lui montre, Lui. Voir par ses yeux si sombres qu'il y'avait quelque chose qui transpirait la vie au plus proche des bas fonds de la mort.
— Le transplanage intercontinental a de quoi retourner l’estomac le plus accroché, capitula-t-il.
Quelque chose crépita le long de sa colonne vertébrale, soulevant les fins cheveux blonds dans un sursaut d'adrénaline.
— Vous êtes sure d’avoir Déjà suffisamment confiance en moi pour que je vous y emmène ? Maintenant ? la mit-il au défi.
Sans prendre le temps de la réflexion, Aveleen prit appuie sur le pied qui reposait le long du mur. D'une impulsion, elle se redressa, faisant un pas dans sa direction.
— Déjà suffisamment ? souleva-t-elle avec une naïveté feinte.
Ses doigts fins se glissèrent le long de sa paume tendue, sans s'y accrocher plus que de raison. Pas de peur, pas de regret.
— Vous ne doutez donc pas que j'aurais confiance en vous dans un avenir proche, fit-elle remarquer en rigolant doucement, sa tête se balançant imperceptiblement de gauche à droite.
Comme pour dire : Prétentieux. Et il l'était.
— Confiance en votre personne, peut-être pas, rectifia-t-elle après quelques secondes à le fixer.
A présent qu'ils étaient face à face, elle pouvait constater qu'ils faisaient à peu de chose près la même taille. Ce qui ramenait leurs yeux au même niveau. Elle le détailla un instant, balayant son visage et son cou avec curiosité. Le faible éclairage des néons reflétait à peine les traits d'encre qui parsemaient sa peau d'olive. En cet instant, les tatouages se confondaient avec les ombres sans que l'on sache où commençait la noirceur et où s'arrêtaient les dessins. Il était si aisé de se tromper, à la faible lueur de ce qui était dévoilé : ce mince éclairage demandait à ce que l'on devine ce que l'on avait sous les yeux plus que ce que les yeux permettaient réellement de deviner.
— Mais confiance en votre insolente façon d'être sûr de vous, par contre, contre attaqua-t-elle doucement, considérez que c'est entièrement acquis, Monsieur Difficile-a-trouver-pour-ceux-qui-ne-savent-pas-ou-chercher, le nomma-t-elle, faute de connaître son prénom. D'ailleurs, reprit-elle sur le même ton, je serai ravie de savoir où est-ce qu'on a l'habitude de vous ranger, signifia-t-elle dans un chuchotement, alors qu'elle fermait les yeux par anticipation.
Elle avait appris que son estomac ne rendait grâce que si elle s'obstinait à les garder ouverts lors des transplanages.
— Comme ça, la prochaine fois, chuchota-t-elle, je n'aurai pas besoin de retourner tout le bar pour vous mettre la main dessus.
Quelques instants plus tard, Aveleen sentit l'étau se refermer contre son corps. C'était, à peu de chose prêt, comme si quelqu'un essayait de la faire éclater telle une tomate trop mure. Sa cage thoracique criait à l'agonie lorsqu'enfin, la pression disparut tout aussi rapidement qu'elle n'était venue. Blême, Aveleen s'accorda quelques instants les yeux toujours clos pour que son oreille interne cesse de protester contre les mauvais traitements. Elle récupéra sa main, et joignit ses deux paumes fraîches à l'arrière de son cou pour y apposer un peu de fraicheur contre sa peau à présent moite. Il n'avait pas menti : c'était extrêmement désagréable et cela constituait en cette seule expérience la meilleure des publicités pour les portoloins.
—Il faut... que je sorte, lâcha-t-elle dans un gémissement sourd.
Elle ouvrit les yeux, cartographiant leur point d'arrivée pour y dénicher une sortie. Des cartons entassées, des bouteilles grossièrement alignées dans lesquelles semblaient flotter des fruits et des verres à la propreté douteuse. En plissant les yeux, elle dénicha une lourde porte vers laquelle elle s'aventura, constatant avec soulagement l'absence de verrouillage.
L'Irlandaise gagna l'extérieur avant de se pencher vers l'avant, ses mains prenant appuie sur ses genoux tandis qu'elle inspirait et exsufflait lentement pour reprendre le contrôle sur son mal des transports. La chaleur était capiteuse. Et si des embrumes salines, vaporeuses, lui chatouillaient les narines, le reste de l'atmosphère s'était alourdi. Elle avait l'impression de porter du coton mouillé tout contre sa peau moite, un vêtement capricieux qui promettait de coller au corps pour le reste de la soirée. Quand elle eut suffisamment juguler sa nausée, Aveleen ouvrit les yeux pour observer leur destination. Devant ses yeux s'étirait la mer calme d'un port, où des bateaux tanguaient imperceptiblement sous les affres d'une houle doucereuse. Le soleil rougeoyant de la fin de journée caressait les coques et la photographe pouvait même y lire quelques noms en espagnol en plissant assez les yeux. Et puis, derrière eux, à flanc de ce qui semblait être une falaise, des habitations à perte de vue dans une explosion de couleur à en rendre jaloux un peintre. On aurait dit une ville arc-en-ciel, léchée par les ultimes rayons du soleil. Toutes les maisons paraissaient vouloir défier les lois de l'architecture et de la gravité, comme si un concours d'arrogance avait voulu prouver qu'il était possible d'entasser autant de constructions au mètre carré. Et pour oublier la promiscuité qui confondait parfois les âmes, chacun avait décidé de colorer sa maison de manière différente. Les Egyptiens sacrifiaient un agneau pour peinturlurer de sang leur porte afin de dire au Dieu Vengeur : n'entre pas. Mais les Portoricains de la Perle de San Juan, eux, semblaient défier l'astre solaire d'entrer, justement. Comme pour lui faire un pied de nez : regarde, on t'a volé tes couleurs, toi qui nous laisse sans cesse dans l'obscurité de nos vies. Prête nous toutes tes nuances, toi qui en as tellement et nous, si peu.
La poigne de fer qui lui serrait le cœur depuis des jours avait déjà un peu reflué. Ici, à des milliers de kilomètres d'Inverness, elle se sentait déjà plus légère.
Touchée par ce spectacle tout autant que par la liberté retrouvée, Aveleen resta silencieuse durant les quelques minutes qu'il fallu au soleil pour disparaître totalement. Alors, seulement, elle se tourna à demi vers lui.
Nichant son regard dans le sien, il ne lui fallut que quelques secondes avant qu'un sourire franc et sincère ne s'étale sur son visage.
— Vous... vous l'avez vraiment fait, souffla-t-elle d'une voix rieuse.
Jamais, elle n'avait rencontré quelqu'un d'aussi impulsif. C'était dangereux, l'impulsivité : aussi dangereux que de dire à un inconnu de l'emmener à l'autre bout du globe, et qu'il accepte sans sourciller la folle proposition. Il était étonnant, d'une certaine façon : un parfait étranger accédant à ses requêtes illogiques sans avoir besoin qu'elle ne lui explique quoi que ce soit. C'était le genre de familiarité que l'on atteignait normalement qu'au bout de plusieurs mois de relation. Mais lui, il était différent : c'était comme avoir brûler des étapes et s'être débarrassé des familiarités d'usages ô combien ennuyeuses et sans saveurs. Curieusement, cela lui insufflait un improbable sentiment de sécurité. Elle avait l'impression d'avoir déniché un joker, une porte de sortie et un refuge secret dans lequel il était possible de demander sans craindre le jugement, et que l'on accède à ses souhaits sans chercher à y décortiquer les raisons.
C'était vraiment une sensation étrange.
Elle avait beaucoup de questions qui lui brûlaient les lèvres : ses intentions, ce qu'ils foutaient vraiment ici, pourquoi répondait-il présent alors qu'il ne la connaissait pas. Quel était son nom, aussi. Mais au lieu de ça, elle ramena ses cheveux en un chignon lâche et, avec une moue intriguée, demanda seulement :
— Pourquoi pas Rio ?
Il était un chemin inconnu. Et elle n'avait aucune envie d'en baliser la destination.
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: Et tu verras bien
Jeu 24 Mar 2022 - 13:40
Et tu verras bien ft. @Aveleen O’Donnell | 25 juillet 2021
- … Leo. Demandez Leo, la prochaine fois, ou Envy, si c’est urgent.
C’est tout ce qu’il lui avait répondu, économisant ses mots alors qu’il prenait sa main avec plus de douceur que l’on pouvait le supposer, presque du bout des doigts. Un battement de cil après, ils avaient disparu de la ruelle froide et humide, direction un autre pays, une autre saison, un autre temps … Une autre vie. Habitué aux transplanages de long cours, il avait atterri souplement sur ses deux pieds, avec l’aisance des félins de rue à l’agilité presque liquide. C’était comme conduire un bolide lancé à grande vitesse, tout était une question de souplesse oculaire et de concentration. Et puis, la pratique, bien sur, rien ne remplaçait l’expérience, sur ce genre de magie. Expérience que n’avait pas la blonde, de toute évidence, dont le teint diaphane avait viré à un verdâtre du meilleur effet, naufragée lost in translation. Il lui avait ouvert la porte qui menait à l’extérieur, bon prince, restant à l’intérieur du cagibi où ils avaient atteri, dégainant le petit téléphone portable qu’il gardait toujours sans la poche de son jean. Un message, laconique, à destination d’Althea pour qu’elle ne le cherche pas, ce soir. Il était parti prendre l’air. Ce n’était pas grand-chose, mais il ne voulait pas que la maitresse des enfers s’inquiète de l’absence de son Cerbère plus que de raison.
Il s’était appuyé contre l’encadrement de la porte, dans le dos de la jeune femme, pour observer sa réaction face au paysage océanique, insulaire et chaotique qui s’offrait à elle : San Juan, la belle, la farouche, la fantasque, cette grande dame caractérielle qui leur ouvrait ses bras colorés, les rayons du soleil couchant embrasant les façades bariolées, bercées par les vagues d’un océan indolent, la brise ramenant l’odeur du poisson des barques de pécheurs, et des embruns salins qui cristallisaient leurs trésors sur les fenêtres et les poignées de porte. Il faisait encore doux, pour ne pas dire chaud, et il avait déjà abandonné sa veste sombre dans un coin du cagibi, roulant les manches de sa chemise noire jusqu’à ses coudes, découvrant ses avant bras recouverts, ou presque, de tatouages. Il était ici chez lui, il n’avait pas grand-chose à cacher à cette ville qui les avaient vus grandir, lui et Magda. Il avait même l’impression qu’elle surgirait d’un coin de rue, dans une de ses robes à volant préférées.
- Quel intérêt de proposer quelque chose que l’on a pas l’intention de faire. C’est un truc d’idéaliste, ou pire, de menteur.
Parce qu’il savait très bien dire non, Léo, c’était même un sport de combat, chez lui. Eviter les invitations, repousser les avances, les tentatives de séduction ou même tout simplement d’approche. Non, je n’irais pas à cette soirée. Non, je n’irais pas discuter avec ce type. Non, on ne te fera certainement pas crédit. Non, je n’aurais pas pitié, pas la peine de supplier. (« ya bien qu’à moi que tu as jamais su dire non, Hermano » vois où cela nous a mené, aussi… ). Il esquissa l’ombre d’un sourire en se décollant du mur, les bras toujours croisés, se rapprochant de la jeune femme qui avait repris des couleurs moins maladives, et qui rayonnait à présent de surprise et de plaisir. Ame voyageuse, à n’en pas douter. Il aurait du le deviner. Les gens comme eux s’attirent comme des aimants, parce qu’ils se savent, même inconsciemment. Il tendit la main vers son visage, et sépara deux mèches de cheveux emmêlées dans un geste appliqué, avant d’hausser les épaules.
- Parce que je ne connais pas aussi bien Rio. Et puis, c’est bien plus grand. San Juan, c’est parfait. Vous verrez.
Il fit mine de se tourner vers l’autre bout du pont, mais se ravisa, avec un doigt levé en signe interrupteur.
- Vous devriez vous changer et mettre une tenue plus confortable. Et des chaussures plates, vous me remercierez plus tard.
Il s’était tourné pour ne pas voir les vêtements rétrécir sur le corps d’Avaleen, scrutant l’horizon et la lumière des premiers lampadaires. Il commençait à avoir faim. Et soif, aussi, et pour régler ces deux problèmes là, il y avait un endroit tout trouvé, non loin. Pas vraiment son quartier de naissance, mais une belle entrée en matière : la placita de Santurce. Trop loin pour y aller à pied, mais ce n’était pas comme si ils étaient dénués de tout moyen de transport. Les mains dans les poches, sans plus d’explication, il avait longé les quais sur lesquels ils avaient atterri, sans mot dire, le regard courant le long de la berge, à la recherche de quelque chose. De quelque chose de bien précis, qui le fit claquer de la langue, une fois à portée de son regard.
- Vespa. Les petits bourges qui viennent faire les intéressants dans le quartier ne prennent même pas la peine de les mettre à l’abri des regards. Et emprunter un vespa, es mamey, ça veut dire un jeu d’enfant … Et voilà.
Il avait continué le trajet jusqu’au petit véhicule jaune citron, ses mains s’affairant autour du guidon et du point de contact, malgré l’absence de clé. Pas besoin d’être sorcier ou magicien pour ce genre d’engin vintage. Il suffisait juste d’être un peu voleur, et le moteur se mettait à vrombir en libérant une première volute de fumée noire. Il lui tendit un casque aux couleurs criardes avec un demi sourire.
- ça m’embêterait que vous vous fassiez décoiffer.
Il avait attendu qu’elle s’installe derrière lui pour démarrer en trombe, faisant fi des cris surpris et rageurs du groupe contenant probablement le propriétaire de la bécane. Ils avaient filé sur les pavés sauvages, amorçant quelques virages sportifs en direction du centre ville, et de la fameuse place de la danse. Un trajet de dix minutes, plein de sons, de couleurs et de lumières naturelles et artificielles, à travers le filtre de la visière du casque, et le ronronnement du moteur. Leo connaissait les rues et les ruelles par coeur, s’arrêta dans l’une d’entre elles, aux murs couverts d’affiches annonçant la venue d’un musicien ou d’une cantatrice connue. Au bout du couloir urbain, on pouvait entendre en écho la clameur de la rue et de ses habitants, de la musique latine et les exclamations des cuivres. Il jeta un coup d’oeil à sa montre, satisfait : ils n’avaient pas du louper grand-chose, ils auraient le luxe de choisir l’endroit où ils s’installeraient pour la soirée.
- Vous avez faim ? Soif ? Les boissons n’ont pas la même saveur qu’en Angleterre. Ici, le rhum a une âme, au moins.
- InvitéInvité
Re: Et tu verras bien
Mar 12 Avr 2022 - 19:09
Le paysage défilait à toute vitesse sous ses yeux : à sa gauche, un panorama sans fin d'une mer d'huile encore léchée par les ultimes rayons rougeoyants du soleil. A sa droite, un dédale de maisons multicolores luisant sous le discret éclairage des loupiotes qui, à cette allure, paraissaient être comme des champs de lucioles s'étalant sur les crépis bariolés des habitations. Le vent vînt jouer une nouvelle fois avec ses bras nus alors qu'elle suivait le mouvement du conducteur, s'inclinant vers l'asphalte brûlante de la route portoricaine pour permettre à Léo - puisque c'était son nom - de négocier un virage un peu plus serré que les précédents. Elle avait niché l'une de ses mains autour de sa taille pour ne pas perdre l'équilibre tandis qu'il poussait le Vespa dans ses ultimes retranchements, comme si la coqueluche des beaux quartiers avait toujours rêvé de se découvrir en Harley Davison. On aurait dit un caprice supplémentaire, s'il en fallait un, à leur escapade : et d'une certaine façon, cela vînt alléger encore un peu plus la respiration de l'Irlandaise. Ici, rien n'était morne : ni le ciel qui se paraît de ses étoiles comme de petits objets précieux, ni l'air chargé d'iode qui était si capiteux qu'il semblait avoir une consistance, ni les enseignes lumineuses qui s'allumaient au fur et à mesure qu'ils gagnaient le centre ville. Là, un trafic un peu plus dense leur imposa de ralentir. Aveleen porta une main à son casque pour en ôter la visière, ses yeux céruléens pleins de ravissement d'être ainsi libérés se posant sur toutes les devantures alors que la petite Vespa jouait de ses amortisseurs pour naviguer entre les voitures. C'était un concert de klaxons et d'altercations, quelque chose de léger et de contagieux qui glissa sur Aveleen comme de l'eau nettoyant la tristesse des derniers jours, la lavant de cette lente agonie de jours insipides, sans particularités et sans saveurs.
—Vous avez faim ? Soif ? questionna-t-il quelques instants plus tard, après avoir abandonné le bolide volé contre un mur.
Peut-être aurait-elle dû être étonnée du vol, ou désappointée. Mais il n'en avait rien été : elle l'avait regardé triturer les fils du moteur sans avoir l'audace de s'en offusquer. Il y avait eu, dès la première fois qu'elle l'avait vu, cet aura particulière autour de lui, souffleuse d'interdits tels que celui-ci. Pire, même : ce mince délit lui avait paru presque enfantin, au regard de ce que son imagination prolifique était capable de supposer le concernant.
—Les boissons n’ont pas la même saveur qu’en Angleterre. Ici, le rhum a une âme, au moins.
Aveleen hocha la tête tandis qu'elle passait ses doigts dans ses cheveux blonds pour les remettre vaguement en place. Elle portait un de ces jeans qui laissait les chevilles nues, un simple caraco de dentelle noir et des basket blanches. Pas de places pour la fioriture : c'était de cette façon qu'elle aimait les excursions. Le poids de son appareil photo seul lui manqua, alors que ces yeux continuaient de dévorer la petite place des yeux.
—Vous n'avez pas idée, répondit-elle simplement en lui offrant un franc sourire.
Si elle avait dû être honnête, c'était de cette faim là dont elle se serait plainte en premier lieu : celle d'avoir quelque chose à offrir à sa contemplation. A quelques minutes de la fin du coucher de soleil, la Placita semblait quant à elle plutôt s'éveiller : la lumière des lampadaires brillait à travers d'amples halos, inondant les pavés rouges du sol jusqu'à en faire louvoyer leur surface. Des palmiers venaient rappeler que l'on jouxtait les plages, leurs immenses feuillages osant presque caresser les arches de quelques bâtiments. Il faisait si chaud qu'Aveleen se sentait presque fiévreuse, maintenant que l'air ne venait plus fouetter sa peau délicate d'Irlandaise. Alors qu'il fendait la foule et qu'elle lui emboitait le pas, elle se demanda si l'endroit vers lequel il les menait serait pourvu d'une terrasse ou d'un balcon, ou même de simples marches de pierres sur lesquelles il serait bon de s'assoir. Elle aimait déjà cette langueur qui pesait sur San Juan, cette atmosphère dense et chargée qui rappelait le bras d'un amant fatigué sur les épaules. Cela avait quelque chose de réconfortant, après cet hiver sans fin en Europe du Nord. Et cela venait également amoindrir toute la folie de cet instant : d'une certaine façon, Aveleen avait l'impression que s'être extirpés du Styx et de cette ruelle leur avait conféré la possibilité de baisser leur garde. C'était, du moins, ce que lui évoquait la silhouette devant elle : il avait l'air moins sérieux, moins sombre peut-être avec les manches de sa chemises retroussées sur ses avant-bras, comme si un voile de secret avait bien voulu se relever une fois à des milliers de kilomètres de leurs lieux de départ. Aveleen s'autorisa la curiosité de suivre de ses yeux les entrelacements d'encre qui s'étiraient sur sa peau sans n'épargner aucune portion de son épiderme. Peut-être aurait-elle même l'insubordination de lui en demander la signification, un jour. Mais pour l'heure, l'odeur doucereuse des épices ne cessait de jouer avec ses narines avec suffisamment d'insistance pour qu'Aveleen ne finisse par se stopper devant l'un des nombreux bars-restaurants de la place.
— Ici ? proposa-t-elle en lorgnant déjà sur la petite ardoise peinturlurée de craie rose et orange qui semblait promettre à ses papilles un vrai régal.
De la petite salle déjà passablement bondée s'élevait des éclats de voix de la langue de Molina et quelques notes latines d'une guitare que l'on devait gratter dans l'un des recoins. Avec une envie non dissimulée, Aveleen lorgnait déjà sur l'une des tables libre, à cheval entre le trottoir et la route : une place de choix à mi-chemin entre l'intérieur et l'extérieur qui promettait également d'être baignée d'une agréable courant d'air. Entre les tablées, des serveurs habiles jouaient des hanches pour ne pas renverser qui de là un cocktail, qui de là d'appétissantes planches de ce qui ressemblait à des fritures de crevettes, croquettes de poisson ou de fromages.
Ils prirent place : elle, dos au mur, contente de pouvoir ainsi garder une vision claire de la rue qui grouillait de plus en plus sous l'effervescence des passants, lui, face à elle. La table était étriquée, si bien que leurs genoux se touchaient presque. Après avoir laissé son regard valdinguer sur la carte, puis sur les décorations, puis derrière l'épaule de Léo où plusieurs hommes agglutinés autour d'un barnum semblaient les regarder intensément, elle revînt vers son interlocuteur, s'attendant à ce que d'un instant à l'autre il n'enfouisse son menton dans l'une de ses mains. Elle ne le connaissait pas vraiment, pour ne pas dire pas du tout, mais elle était prête à prêcher savoir pour apprendre :
— Alors, Monsieur Envy, commença-t-elle en insistant quelque peu sur son surnom aux accents d'Oscar Wilde, plus amusée que réellement moqueuse, êtes-vous originaire de cette ville ? s'intéressa-t-elle en le regardant droit dans les yeux, avant d'oser lui voler sa moue favorite en déposant elle-même son visage dans le creux de sa main.
Elle n'avait pas pris beaucoup de risque : il avait dit connaître la ville, s'y était déplacé comme un chat sauvage goutant des toits déjà connus et il donnait moins l'impression d'être sempiternellement aux aguets, comme elle en avait eu la sensation à l'occasion de leur dernière rencontre. Sa peau d'olive n'était pas non plus sans rappeler celle des locaux, jusqu'à la consonnance latine qui enveloppait son prénom comme pour souffler à qui voulait l'entendre qu'il était fait pour la chaleur capiteuse de ce genre d'endroit. Pas comme elle et sa peau diaphane, parsemée de quelques tâche de rousseurs traitresses qui supposaient sans mal que le soleil n'était pas de ces astres qu'elle pouvait tutoyer sans y prendre garde.
— Buenas, enamorados, les apostropha chaleureusement un serveur qui déboula proche de leur table avec cette familiarité qui faisait l'hospitalité des populations hispaniques.
Aveleen se redressa pour relever la tête vers lui. Elle lui rendit un sourire tout aussi éclatant, qui manqua de vaciller, soudainement brûlé par le regard fugace et courroucé qu'elle perçut de la part des hommes installés dans le dos de son interlocuteur. Ces mêmes personnes qu'elle avait remarqué un peu plus tôt sans trop s'y attarder. Elle se reprit néanmoins, reportant son attention sur le serveur qui renchérissait avec une bonne humeur qui contrastait terriblement avec les manières d'un autre barman, croisé un peu plus tôt :
— ¿ Que quiereis beber ?
@Leonardo Moreno
—Vous avez faim ? Soif ? questionna-t-il quelques instants plus tard, après avoir abandonné le bolide volé contre un mur.
Peut-être aurait-elle dû être étonnée du vol, ou désappointée. Mais il n'en avait rien été : elle l'avait regardé triturer les fils du moteur sans avoir l'audace de s'en offusquer. Il y avait eu, dès la première fois qu'elle l'avait vu, cet aura particulière autour de lui, souffleuse d'interdits tels que celui-ci. Pire, même : ce mince délit lui avait paru presque enfantin, au regard de ce que son imagination prolifique était capable de supposer le concernant.
—Les boissons n’ont pas la même saveur qu’en Angleterre. Ici, le rhum a une âme, au moins.
Aveleen hocha la tête tandis qu'elle passait ses doigts dans ses cheveux blonds pour les remettre vaguement en place. Elle portait un de ces jeans qui laissait les chevilles nues, un simple caraco de dentelle noir et des basket blanches. Pas de places pour la fioriture : c'était de cette façon qu'elle aimait les excursions. Le poids de son appareil photo seul lui manqua, alors que ces yeux continuaient de dévorer la petite place des yeux.
—Vous n'avez pas idée, répondit-elle simplement en lui offrant un franc sourire.
Si elle avait dû être honnête, c'était de cette faim là dont elle se serait plainte en premier lieu : celle d'avoir quelque chose à offrir à sa contemplation. A quelques minutes de la fin du coucher de soleil, la Placita semblait quant à elle plutôt s'éveiller : la lumière des lampadaires brillait à travers d'amples halos, inondant les pavés rouges du sol jusqu'à en faire louvoyer leur surface. Des palmiers venaient rappeler que l'on jouxtait les plages, leurs immenses feuillages osant presque caresser les arches de quelques bâtiments. Il faisait si chaud qu'Aveleen se sentait presque fiévreuse, maintenant que l'air ne venait plus fouetter sa peau délicate d'Irlandaise. Alors qu'il fendait la foule et qu'elle lui emboitait le pas, elle se demanda si l'endroit vers lequel il les menait serait pourvu d'une terrasse ou d'un balcon, ou même de simples marches de pierres sur lesquelles il serait bon de s'assoir. Elle aimait déjà cette langueur qui pesait sur San Juan, cette atmosphère dense et chargée qui rappelait le bras d'un amant fatigué sur les épaules. Cela avait quelque chose de réconfortant, après cet hiver sans fin en Europe du Nord. Et cela venait également amoindrir toute la folie de cet instant : d'une certaine façon, Aveleen avait l'impression que s'être extirpés du Styx et de cette ruelle leur avait conféré la possibilité de baisser leur garde. C'était, du moins, ce que lui évoquait la silhouette devant elle : il avait l'air moins sérieux, moins sombre peut-être avec les manches de sa chemises retroussées sur ses avant-bras, comme si un voile de secret avait bien voulu se relever une fois à des milliers de kilomètres de leurs lieux de départ. Aveleen s'autorisa la curiosité de suivre de ses yeux les entrelacements d'encre qui s'étiraient sur sa peau sans n'épargner aucune portion de son épiderme. Peut-être aurait-elle même l'insubordination de lui en demander la signification, un jour. Mais pour l'heure, l'odeur doucereuse des épices ne cessait de jouer avec ses narines avec suffisamment d'insistance pour qu'Aveleen ne finisse par se stopper devant l'un des nombreux bars-restaurants de la place.
— Ici ? proposa-t-elle en lorgnant déjà sur la petite ardoise peinturlurée de craie rose et orange qui semblait promettre à ses papilles un vrai régal.
De la petite salle déjà passablement bondée s'élevait des éclats de voix de la langue de Molina et quelques notes latines d'une guitare que l'on devait gratter dans l'un des recoins. Avec une envie non dissimulée, Aveleen lorgnait déjà sur l'une des tables libre, à cheval entre le trottoir et la route : une place de choix à mi-chemin entre l'intérieur et l'extérieur qui promettait également d'être baignée d'une agréable courant d'air. Entre les tablées, des serveurs habiles jouaient des hanches pour ne pas renverser qui de là un cocktail, qui de là d'appétissantes planches de ce qui ressemblait à des fritures de crevettes, croquettes de poisson ou de fromages.
Ils prirent place : elle, dos au mur, contente de pouvoir ainsi garder une vision claire de la rue qui grouillait de plus en plus sous l'effervescence des passants, lui, face à elle. La table était étriquée, si bien que leurs genoux se touchaient presque. Après avoir laissé son regard valdinguer sur la carte, puis sur les décorations, puis derrière l'épaule de Léo où plusieurs hommes agglutinés autour d'un barnum semblaient les regarder intensément, elle revînt vers son interlocuteur, s'attendant à ce que d'un instant à l'autre il n'enfouisse son menton dans l'une de ses mains. Elle ne le connaissait pas vraiment, pour ne pas dire pas du tout, mais elle était prête à prêcher savoir pour apprendre :
— Alors, Monsieur Envy, commença-t-elle en insistant quelque peu sur son surnom aux accents d'Oscar Wilde, plus amusée que réellement moqueuse, êtes-vous originaire de cette ville ? s'intéressa-t-elle en le regardant droit dans les yeux, avant d'oser lui voler sa moue favorite en déposant elle-même son visage dans le creux de sa main.
Elle n'avait pas pris beaucoup de risque : il avait dit connaître la ville, s'y était déplacé comme un chat sauvage goutant des toits déjà connus et il donnait moins l'impression d'être sempiternellement aux aguets, comme elle en avait eu la sensation à l'occasion de leur dernière rencontre. Sa peau d'olive n'était pas non plus sans rappeler celle des locaux, jusqu'à la consonnance latine qui enveloppait son prénom comme pour souffler à qui voulait l'entendre qu'il était fait pour la chaleur capiteuse de ce genre d'endroit. Pas comme elle et sa peau diaphane, parsemée de quelques tâche de rousseurs traitresses qui supposaient sans mal que le soleil n'était pas de ces astres qu'elle pouvait tutoyer sans y prendre garde.
— Buenas, enamorados, les apostropha chaleureusement un serveur qui déboula proche de leur table avec cette familiarité qui faisait l'hospitalité des populations hispaniques.
Aveleen se redressa pour relever la tête vers lui. Elle lui rendit un sourire tout aussi éclatant, qui manqua de vaciller, soudainement brûlé par le regard fugace et courroucé qu'elle perçut de la part des hommes installés dans le dos de son interlocuteur. Ces mêmes personnes qu'elle avait remarqué un peu plus tôt sans trop s'y attarder. Elle se reprit néanmoins, reportant son attention sur le serveur qui renchérissait avec une bonne humeur qui contrastait terriblement avec les manières d'un autre barman, croisé un peu plus tôt :
— ¿ Que quiereis beber ?
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: Et tu verras bien
Sam 16 Avr 2022 - 20:26
Et tu verras bien ft. @Aveleen O’Donnell | 25 juillet 2021
Pour être tout à fait honnête, le portoricain n’était pas vraiment sur de pourquoi il avait cédé aux caprices de cette presque quasi-inconnue. Après tout, elle avait certes eu le mérite de le distraire un soir de déprime profonde, lui changeant les idées avec ses déclarations pleines d’emphase et de fiel, sans savoir qu’elle avait face à elle le responsable de tous ses maux, mais le lendemain, ou presque, il l’avait déjà oublié. Il avait repris sa routine quotidienne, monotone et paranoïaque, et le regard farouche de la blonde s’était estompé comme le fond les dessins sur le sable mouillé de la plage. En la voyant attendre dans cette cour malodorante, il aurait pu simplement lui dire de rentrer chez elle, qu’elle s’était trompée sur sa personne, et qu’il valait mieux pour elle qu’elle ne revienne pas.
Mais était-ce vraiment le cas ?
Dans l’aplomb d’Aveleen, il y avait l’écho d’autres femmes de sa vie, celles-là même qui pouvaient enrouler leur bras gracile autour du sien, et le guider jusqu’au bout de la terre sans qu’il puisse sourciller. Des femmes, toujours des femmes, incapable de faire autrement que de céder, parfois en soupirant, à leurs manières tantôt charmantes, tantôt provocatrices, à leurs sourires en coin et leurs oeillades de renardes. C’était pas qu’il était être trop faible face à la chair, Leo, preuve s’il en fallait sa maitresse actuelle n’avait rien d’une amante. Mais suivre le sillage d’une silhouette féminine était un réflexe dont on ne se défaisait pas si facilement. Surement qu’un psychomage aurait eu des théories sur le sujet.
Il n’était pas revenu depuis plusieurs mois, pour ne pas dire quelques années. Il n’y avait ri qui l’attendait ici, depuis la mort de Magda. Avant, ils revenaient pour les fêtes religieuses, plus par principe que par envie d’ailleurs, pour aller embrasser les êtres frêles, un peu désaxés, qui leur servaient de parents, ignorant le voile léger par devant leur regard, qui éteignait ce qui avait fait office d’intelligence dans celui-ci. La drogue, mais l’alcool surtout avaient fait leur office sur leurs corps à présent décharnés, et il ne prêtait ni beaucoup d’attention, ni beaucoup de valeur au reliquat d’existence de ses géniteurs. Il avait survécu en dépit de leurs actions, il avait sorti Magda de là. Si il les emmenait sur les bancs de l’église lors de la messe de Pâques, il refusait d’y perdre plus de temps. Magda ne lui en aurait pas voulu pour ça. Elle était même plus dure que lui quand il s’agissait de leurs parents. Et puis, leurs amis venaient tous d’ailleurs, du continent surtout. C’était eux, les insulaires, les déracinés, qui avaient du se fondre dans la masse, sur ces terres froides et sèches loin de l’océan. Alors si il aimait San Juan pour ce qu’elle était, la ville de son enfance, son enfance de mauvaise herbe qui avait poussé contre tous les augures, à travers les interstices du béton,
Il l’avait laissé passer devant lui à l’entrée d’un bar restaurant qu’il ne connaissait pas. Ce genre d’endroit, entre attrape-touriste et petite hacienda traditionnelle, avait le charme que l’entrain de son personnel lui conférait : une bonne énergie, plutôt qu’une esthétique véritablement au point. Sur qu’Althea l’aurait remarqué tout de suite, elle avait l’oeil pour ce genre de choses. L’européenne s’était tout naturellement dirigée vers le bar, s’installant bien droite sur son mange debout à la manière d’une vigie, qui pourrait détailler tout ce qui se tramerait en ces lieux. Il s’était quant à lui contenté de poser un coude sur le comptoir, avec l’air de celui qui passe une nuit sur deux dans cette exacte posture. Si Aveleen dévorait l’endroit du regard, le sien flottait dans un mouvement circulaire désinvolte, mais professionnel : il ne lui fallut pas une minute pour repérer les sorties de secours, l’escalier qui permettait probablement de monter à l’étage, la porte qui menait, probablement, à la réserve. Et puis, il avait repéré cette bande de types qui devait se demander ce qu’une étrangère et un type qui portait tout son pedigree sur ses avant bras venaient faire dans Leur QG. Il les avait salué d’un bref mouvement de menton, sans sourire, avant de se détourner d’eux pour capter le regard luisant de la jeune femme, qui ne comptait, de toute évidence, pas en rester là.
- J’y suis né et j’y ai passé les dix premières années de ma vie, oui. Dans un quartier populaire pas très loin du port.
Pas besoin de préciser où, cela ne l’aurait pas avancé à grand-chose. Quand le serveur s’approcha d’eux, il ne releva pas plus qu’Avaleen l’adjectif, préférant désigner une des bouteilles de rhum ambré de l’index, mais aussi la boite de cigare à la vitre transparente qui trônait un petit peu plus loin. Un Havane était de circonstance, alors que l’employé se retournait déjà pour leur préparer leur boisson.
- Et vous. De quel endroit très froid avez vous hérité ce besoin inextinguible de vous envoler vers d’autres latitudes ?
Il y avait une théorie selon laquelle si les explorateurs venaient d’Europe, c’était que leur météo les poussait, comme les oiseaux migrateurs, à chercher la douceur d’autres latitudes, là où les habitants de l’hémisphère sud se trouvaient déjà parfaitement heureux dans leur biotope. Il ignorait si c’était vrai, mais cela ne lui paraissait pas tout à faire insensé. Dans un coin du bar, l’un des hommes de l’escouade sinistre avait murmuré quelque chose à l’oreille d’un autre, qui avait opiné du chef et était sorti de là sans rien dire de plus. Il avait remarqué leur petit manège, faisait mine de rester concentré sur la jeune femme, et leurs boissons qui arrivaient. Ne manquait plus qu’un peu de nourriture, pour parfaire le tableau. Et son cigare, bien sur. La curiosité était la mère de presque toutes ses actions, mais ça, elles n’étaient qu’une poignée à le savoir, et Ava n’en faisait pas encore partie.
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