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Que reste-il de nous deux?
Jeu 23 Sep 2010 - 18:58
L'Angleterre. Ce pays signifiait tellement à mes yeux... Il était synonyme de famille, de bonheur et d'amour mais aussi de souffrance, de malheur et de tristesse. Depuis le jour où j'avais décidé de couper les ponts avec les Van Achthoven, je n'aurai jamais cru y reposer les pieds. Surtout pour la raison qui m'a poussé à y revenir. Pourtant, j'étais bel et bien là, prête à venir en aide à mon frère. J'ignorais si retourner en Angleterre était une bonne chose pour moi mais, j'avais une dette envers Aldéric et le moment était, semble-t-il, venu pour la payer. Lorsque mon frère avait repris contact avec moi parce qu'il avait besoin d'aide, je lui avais fait comprendre qu'il était hors de question que je revienne. Mais c'était sous le coup de la colère parce qu'au fond de moi, je savais parfaitement que je volerai à son secours. Les quelques jours qui m'avaient été nécessaire pour prendre ma décision n'avait en fait servi à rien. En revanche, je n'avais cessé de repenser à Jimmy, mon petit frère mort il y a maintenant plusieurs années, à mes parents adoptifs, qui m'avait donné tant d'amour, et bien sûr à Aldéric avec qui j'avais passé de très beaux moments. J'étais un peu effrayée à l'idée de le retrouver après tant de temps. J'avais peur de ne plus l'aimer, peur qu'il regrette de m'avoir appelé à la rescousse, peur que nous soyons devenu les parfaits opposés. Et puis, j'avais un peu honte. J'avais fait preuve de lâcheté en l'abandonnant au moment le plus difficile. J'avais d'abord pensé à ma petite personne alors que je lui devais tout. Evidemment, ça avait été très difficile de rompre le liens qui nous unissaient. Mais c'est moi qui avait pris la décision. Il avait donc beaucoup plus de raisons que moi de se sentir mal. Les jours précédents mon arrivée à Hungcalf furent difficiles. Le stress montait, l'angoisse me nouait le ventre et la peur me coupait l'appétit. Quand j'arrivais à trouver le sommeil, mes rêves, qui étaient en fait des cauchemars, étaient peuplés d'enfants morts, de dispute avec Aldéric et de pleurs. Néanmoins, je n'arrivais pas à regretter ma décision. J'étais convaincue que quoi qu'il arrive, mon voyage servirait à quelque chose.
Etant une sorcière, qui plus est majeure, j'aurai très facilement pu être à Hungcalf en un claquement de doigt malgré les centaines de kilomètres qui séparaient la capitale française et ma nouvelle université. Cependant, j'avais choisi l'avion comme moyen de transport plutôt que le transplanage. Je tenais à repousser le plus possible le moment où je me retrouverai face à mon frère, malgré l'excitation qui pointait. J'aimais particulièrement ce moyen de transport parce que j'avais l'impression que les soucis n'avaient plus lieu d'être une fois dans les airs. Mais cela ne m'empêcha pas d'imaginer une bonne centaine de fois nos retrouvailles. Lorsque l'avion se posa sur le sol anglais, j'eus l'impression de me réveiller d'un long sommeil. J'étais en Angleterre, je ne pouvais plus revenir en arrière. A cette seule pensée, j'eus le sentiment d'étouffer, comme si j'étais piégée. J'essayai de me remémorer toutes les raisons qui m'avaient poussé à faire ce choix mais aucune ne me parut convaincante. Je crois que ce pays provoque en moi une sorte de blocage psychologique. Heureusement, je parvins à me calmer à force de me passer en boucle dans ma tête les mêmes arguments. Une fois sortie de l'aéroport et à l'abri des regards indiscrets des moldus, je ne perdis pas une minute pour transplaner au plus près de l'université. De nouvelles questions arrivaient dans ma tête. Comment les correspondants étaient-ils vu à Hungcalf? Quelle était l'ambiance ici? Comment serais-je perçue par les autres élèves? Bref, autant de questions qui ne s'étaient pas encore imposées à moi mais qui me nouaient un peu plus le ventre désormais. En fait, j'étais restée tellement focalisée sur mon frère et mon passé, que je ne m'étais pas préparée à tout le reste. Pourtant, en débarquant ici, je m'engageais pour un minimum de six mois. Même si mon but premier n'était pas de m'amuser comme je le faisais à Edeulys, il faudrait bien que je trouve de quoi passer le temps, surtout si ma relation avec mon frère est vouée à l'échec.
Ca y est, j'y étais. L'université de Hungcalf se dressait devant moi. Imposante, majestueuse elle était exactement comme je l'avais imaginé. En la voyant je ne pus m'empêcher de penser que derrière ces murs, mon frère était là. Après tant de temps séparé l'un de l'autre, nous ne sommes plus qu'à quelques étages, quelques couloirs ou peut-être quelques murs l'un de l'autre. Sans plus attendre, je franchis l'enceinte de l'université. Ca y est, j'étais arrivée dans ce qui serait mon « chez moi » pour plusieurs mois. Lorsque je fus dans le hall, j'eus l'impression d'être une intrus. Les quelques élèves qui s'y trouvaient semblaient être à des années lumières de moi. C'était comme si sur mon front était écrit « Française ». J'en arrivai même au point de me demander si quand j'ouvrirai la bouche je parviendrai à parler anglais. Au bout d'un court instant, je me rendis compte que j'étais toujours au milieu du hall et je me décidai à me présenter à l'accueil. Je fis la queue derrière une étudiante aux cheveux si longs qu'ils lui arrivaient en bas du dos. Après quelques minutes d'attente, ce fut à mon tout. La femme qui siégeait à l'accueil, ou la réceptionniste, devait avoir la quarantaine bien entamée. Elle était coiffée d'un chignon serré et m'observa derrière ses lunettes et me lança: «Oui? C'est pour quoi?». Sur le coup, je fus un peu surprise. A quoi je m'attendais? A une fête de bienvenue? Non, bien sûr que non. Elle ne devait même pas se douter que j'étais nouvelle. «Bonjour, dis-je avec un sourire, je suis Helena Miller. Je suis ici en tant que correspondante, j'arrive d'Edeulys.». Je lui tendis un papier qu'elle lut puis elle griffonna quelque chose. Lorsqu'elle me le tendit, elle m'observa tout d'abord puis son regard scruta quelqu'un ou quelque chose qui se trouvait plus loin que moi. Je n'y prêtai pas attention et voyant qu'elle ne me considérait plus, je poursuivis. «Est-ce que vous auriez mon emploi du temps, s'il vous plaît?». Il lui fallut un temps de réaction avant de comprendre ma question. Elle finit néanmoins par me répondre, le regard toujours tourné vers ce qui l'obsédait tant. «Un emploi du temps? Pourquoi faire?». Puis, prenant conscience de ses paroles et de ma présence par la même occasion, elle se dépêcha de me tendre un bout de parchemin sur lequel figuraient mes cours. «Excusez-moi, je pensais à autre chose.». Cela faisait à peine cinq minutes que j'étais arrivée et je regrettais déjà d'être venue. Mais où suis-je tombée? Je sens que ça va donner ici...
Etant une sorcière, qui plus est majeure, j'aurai très facilement pu être à Hungcalf en un claquement de doigt malgré les centaines de kilomètres qui séparaient la capitale française et ma nouvelle université. Cependant, j'avais choisi l'avion comme moyen de transport plutôt que le transplanage. Je tenais à repousser le plus possible le moment où je me retrouverai face à mon frère, malgré l'excitation qui pointait. J'aimais particulièrement ce moyen de transport parce que j'avais l'impression que les soucis n'avaient plus lieu d'être une fois dans les airs. Mais cela ne m'empêcha pas d'imaginer une bonne centaine de fois nos retrouvailles. Lorsque l'avion se posa sur le sol anglais, j'eus l'impression de me réveiller d'un long sommeil. J'étais en Angleterre, je ne pouvais plus revenir en arrière. A cette seule pensée, j'eus le sentiment d'étouffer, comme si j'étais piégée. J'essayai de me remémorer toutes les raisons qui m'avaient poussé à faire ce choix mais aucune ne me parut convaincante. Je crois que ce pays provoque en moi une sorte de blocage psychologique. Heureusement, je parvins à me calmer à force de me passer en boucle dans ma tête les mêmes arguments. Une fois sortie de l'aéroport et à l'abri des regards indiscrets des moldus, je ne perdis pas une minute pour transplaner au plus près de l'université. De nouvelles questions arrivaient dans ma tête. Comment les correspondants étaient-ils vu à Hungcalf? Quelle était l'ambiance ici? Comment serais-je perçue par les autres élèves? Bref, autant de questions qui ne s'étaient pas encore imposées à moi mais qui me nouaient un peu plus le ventre désormais. En fait, j'étais restée tellement focalisée sur mon frère et mon passé, que je ne m'étais pas préparée à tout le reste. Pourtant, en débarquant ici, je m'engageais pour un minimum de six mois. Même si mon but premier n'était pas de m'amuser comme je le faisais à Edeulys, il faudrait bien que je trouve de quoi passer le temps, surtout si ma relation avec mon frère est vouée à l'échec.
Ca y est, j'y étais. L'université de Hungcalf se dressait devant moi. Imposante, majestueuse elle était exactement comme je l'avais imaginé. En la voyant je ne pus m'empêcher de penser que derrière ces murs, mon frère était là. Après tant de temps séparé l'un de l'autre, nous ne sommes plus qu'à quelques étages, quelques couloirs ou peut-être quelques murs l'un de l'autre. Sans plus attendre, je franchis l'enceinte de l'université. Ca y est, j'étais arrivée dans ce qui serait mon « chez moi » pour plusieurs mois. Lorsque je fus dans le hall, j'eus l'impression d'être une intrus. Les quelques élèves qui s'y trouvaient semblaient être à des années lumières de moi. C'était comme si sur mon front était écrit « Française ». J'en arrivai même au point de me demander si quand j'ouvrirai la bouche je parviendrai à parler anglais. Au bout d'un court instant, je me rendis compte que j'étais toujours au milieu du hall et je me décidai à me présenter à l'accueil. Je fis la queue derrière une étudiante aux cheveux si longs qu'ils lui arrivaient en bas du dos. Après quelques minutes d'attente, ce fut à mon tout. La femme qui siégeait à l'accueil, ou la réceptionniste, devait avoir la quarantaine bien entamée. Elle était coiffée d'un chignon serré et m'observa derrière ses lunettes et me lança: «Oui? C'est pour quoi?». Sur le coup, je fus un peu surprise. A quoi je m'attendais? A une fête de bienvenue? Non, bien sûr que non. Elle ne devait même pas se douter que j'étais nouvelle. «Bonjour, dis-je avec un sourire, je suis Helena Miller. Je suis ici en tant que correspondante, j'arrive d'Edeulys.». Je lui tendis un papier qu'elle lut puis elle griffonna quelque chose. Lorsqu'elle me le tendit, elle m'observa tout d'abord puis son regard scruta quelqu'un ou quelque chose qui se trouvait plus loin que moi. Je n'y prêtai pas attention et voyant qu'elle ne me considérait plus, je poursuivis. «Est-ce que vous auriez mon emploi du temps, s'il vous plaît?». Il lui fallut un temps de réaction avant de comprendre ma question. Elle finit néanmoins par me répondre, le regard toujours tourné vers ce qui l'obsédait tant. «Un emploi du temps? Pourquoi faire?». Puis, prenant conscience de ses paroles et de ma présence par la même occasion, elle se dépêcha de me tendre un bout de parchemin sur lequel figuraient mes cours. «Excusez-moi, je pensais à autre chose.». Cela faisait à peine cinq minutes que j'étais arrivée et je regrettais déjà d'être venue. Mais où suis-je tombée? Je sens que ça va donner ici...
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Re: Que reste-il de nous deux?
Lun 27 Sep 2010 - 19:01
Le casque sur les oreilles, la musique poussée à plein volume, allongé sur mon lit, bras derrière la tête et clope au bec, je tentais vainement de fermer les yeux, possédé par une légère torpeur. La migraine me poignardait droit entre les deux yeux, rendant insupportable la lumière crue qui filtrait à travers la fenêtre. Mon corps était bel et bien ancré au sol, obéissant à la loi gravitationnelle de Newton, mais mon esprit voguait à des kilomètres d’ici, perdu dans les limbes de rêveries qui se faisaient denrées rares. J’avais perdu l’habitude de rêver, depuis trop longtemps. Non pas par un excès de réalisme, je n’étais ni responsable, ni raisonnable, encore moins les deux pieds dans la réalité, ma carence en rêves était la conséquence directe d’une inaptitude en la matière. Cela faisait longtemps que je n’avais plus rien désiré, idéalisé, me contentant de survivre dans un monde pourri et décadent, où j’éprouvais parfois de grosses difficultés à maintenir la tête hors de l’eau. Souvent, je me noyais, et je coulais. Je remontais à la surface par intermittence, au petit bonheur la chance. Mais même plongé dans un tel état de béatitude, j’étais incapable d’en profiter, rongé par mes doutes. Que je sois en couple était bien trop beau pour qu’il n’y ait rien d’autre qui puisse venir entacher ce bien-être tout neuf. La jalousie des uns et des autres n’était pas à exclure pour autant. Les gens semblaient trouver cela choquant que je m’affichais sans aucune gêne avec Breeony. Il était vrai que je les avais plutôt habitués à être un loup solitaire, sans attaches ni repères, qui allait et venait comme bon lui semblait, qui passait d’une fille à une autre sans se préoccuper des lendemains. Mais avec elle, c’était différent. Radicalement différent. Elle ne se rendait probablement pas compte à quel point elle a pu me changer. J’avais désormais envie de me fixer, de mettre un terme à cet existence de folie. Papillonner ne me plaisait plus. J’avais toujours baisé pour dire de baiser, sans jamais rien rechercher d’autre à part le sexe, parfois sans plaisir. Pourtant, je n’avais jaais ressenti le besoin de n’avoir qu’une seule partenaire, et les sentiments étaient étrangers à mon état d’esprit, il était tout simplement hors de question que je me laisse prendre au piège, j’avais tant à perdre et trop peu à gagner.
Et pourtant, aussi imperméable que je puisse être imperméable à Cupidon et à toutes les conneries qui selon moi semblaient de près ou de loin s’y rattacher, j’avais pris une sacrée claque dans la gueule quand j’ai compris que la passion m’avait complètement enlisé, sans qu’il y ait d’échappatoire possible. Je me sentais me consumer, constamment, comme si on me brûlait les entrailles au fer rouge, je sentais mon putain de palpitant s’emballer, mes émotions s’entrechoquer, toutes aussi volatiles les unes que les autres. Je ressentais cette chose, au plus profond de moi, et si au départ je l’avais niée avec énergie, de toutes mes forces même, on a beau la refuser, elle finissait par s’imposer comme une évidence, une putain d’évidence qu’il était impossible de passer outre. Puisque l’oublier était impossible, autant vivre avec. Mais c’était bien joli de comprendre qu’éventuellement, je pourrais être tombé amoureux, cela ne m’avançait pas pour autant. En effet, éternel indécis, je ne savais pas ce que je voulais vraiment. Certes, j’avais désiré me fixer. Juste comme ça. Ce n’était même pas une envie sérieuse, juste une éventualité que je pourrais potentiellement envisager. Et maintenant que je l’étais, j’étais d’autant plus assailli par les incertitudes. Et c’étaient ces mêmes doutes qui me faisaient crever de l’intérieur, m’empêchant de profiter de mon nouveau bonheur comme il se doit, l’esprit parasité par des dizaines de questions qui pour certains paraîtront obsolètes mais qui pour moi étaient d’une importance capitale. En réalité, j’avais une peur bleue de l’engagement, de tout ce que cela pouvait impliquer. La vie de couple, le long terme, et plus les jours avançaient, plus je m’apercevais qu’en réalité, je n’y connaissais strictement rien. Je n’avais jamais, à mon grand dam, étudié le manuel du petit-ami parfait, et des fois, tandis que j’improvisais, je n’avais pas l’impression de me comporter de la meilleure façon qu’il soit. Si Helena était encore là, si je m’entendais encore bien avec elle, sans doute aurais-je mis ma fierté de côté pour lui quémander quelques conseils.
Mais à présent qu’Helena n’était plus là, qu’elle me faisait la gueule pour une raison qui m’échappait, je devais bien me débrouiller par moi-même afin de trouver la solution optimale à mes problèmes. Tout en soupirant, je finis par me redresser, mégot à demi consumé au coin des lèvres, tandis qu’un frisson glacé me parcourut l’échine. L’air hagard, je contemplais mon placard éventré, juste en face de mon lit, dont le contenu était davantage éparpillé à l’extérieur que stocké à l’intérieur. Sur les portes, il y avait des photos, des souvenirs. Je soupirai tout en finissant ma cigarette, pour l’écraser ensuite dans le cendrier sur la table de chevet. Je me levai du lit, vêtu d’un simple jean, et allai fermer la fenêtre car il faisait trop froid. J’attrapai un polo au hasard, lassé des chemises, et l’enfilai. Quoique je fasse, j’étais toujours dans un piteux état, la tête perpétuellement dans le cul, si je puis m’exprimer ainsi, quand bien même je passais mes journées à dormir. En réprimant un long bâillement, qui aurait pu risquer de me faire me décrocher la mâchoire, je traversai la pièce, enjambant quelques objets. Fatigué de tout ce bordel, d’un geste agacé, je pris ma baguette magique et rangeai ma chambre en un éclair, ça m’évitera de passer des heures à essayer de trier ce que je voulais garder ou non. J’ouvris machinalement le placard qui contenait mes denrées alimentaires, et tentai d’y débusquer du café. Je finis par grimacer en m’apercevant que je n’en avais plus. Je fis un détour par la salle de bains, afin de m’asperger le visage d’eau, en espérant que cela me réveillerait un tant soit peu. Ce fut peine perdue, j’étais même encore plus mou si cela était possible. Le café étant le remède miracle en cas de crise, je n’avais plus vraiment le choix, à part me rendre à l’accueil où se trouvait la machine à café.
Après avoir vérifié que j’avais tout de même quelque argent à insérer dans la machine, je me mis à cheminer vers ma destination, tout en m’arrêtant en route pour discuter avec les quelques personnes de ma connaissance que je croisais. J’arrivai enfin à l’accueil, en un seul morceaux, ma pièce soigneusement rangée dans la poche arrière de mon jean. J’avisai la liste des boissons disponibles, tout en tendant une oreille discrète la conversation qui se tenait entre une blonde qui me tournait le dos, et la femme de l’accueil qui paraissait être complètement à côté de la plaque. «Excusez-moi, je pensais à autre chose.» Bien involontairement, je m’esclaffai bien que la situation n’était pas franchement drôle. J’allais repartir discrètement, quand la brune me héla depuis l’accueil, oubliant presque l’élève avec laquelle elle s’entretenait déjà; « Hé, Aldéric! Tu peux me rendre un service s’il te plaît? » Mon précieux café entre les mains, mes lèvres trempant déjà dans ce breuvage magique, je rivai mon regard d’une couleur indéfinissable dans les yeux gris de la quadragénaire, avant de hausser les épaules nonchalamment. « ça dépend pour quoi faire. » un maigre sourire vint glisser sur mes lèvres pâles, tandis que ma poigne enserrait toujours le gobelet en plastique. La brune s’accouda au comptoir, et cala son menton sur ses mains ainsi jointes, légèrement penchée en avant. Avec un sourire jovial, elle me désigna la blonde. « Il se trouve que Mademoiselle Taylor vient d’arriver d’Edeulys, vous pourriez l’amener jusqu’à la salle de de potions? » j’avisai la dénommée Taylor du regard, avant de soupirer légèrement. J’étais vraiment obligé de jouer les nounous pour les nouveaux venus, et rien que pour les beaux yeux de la standardiste? Je me grattai légèrement la nuque, ne tenant plus que d’une main mon café, duquel je n’avais pas encore profité. « Bon, c’est d’accord. » La quadragénaire fit tinter ses bracelets joyeusement tout en m’adressant un sourire radieux. « Merci mon chou, tu es un amour. » Je lui adressai un sourire forcé, avant de me tourner vers la nouvelle arrivante. Ne prenant pas garde d’être aimable ou non, je me permis d’haranguer la blonde. « Alors, tu viens euh… » Je me tus. Je réalisai alors que je ne connaissais même pas son nom. Je n’allais tout de même pas l’appeler Taylor.
Et pourtant, aussi imperméable que je puisse être imperméable à Cupidon et à toutes les conneries qui selon moi semblaient de près ou de loin s’y rattacher, j’avais pris une sacrée claque dans la gueule quand j’ai compris que la passion m’avait complètement enlisé, sans qu’il y ait d’échappatoire possible. Je me sentais me consumer, constamment, comme si on me brûlait les entrailles au fer rouge, je sentais mon putain de palpitant s’emballer, mes émotions s’entrechoquer, toutes aussi volatiles les unes que les autres. Je ressentais cette chose, au plus profond de moi, et si au départ je l’avais niée avec énergie, de toutes mes forces même, on a beau la refuser, elle finissait par s’imposer comme une évidence, une putain d’évidence qu’il était impossible de passer outre. Puisque l’oublier était impossible, autant vivre avec. Mais c’était bien joli de comprendre qu’éventuellement, je pourrais être tombé amoureux, cela ne m’avançait pas pour autant. En effet, éternel indécis, je ne savais pas ce que je voulais vraiment. Certes, j’avais désiré me fixer. Juste comme ça. Ce n’était même pas une envie sérieuse, juste une éventualité que je pourrais potentiellement envisager. Et maintenant que je l’étais, j’étais d’autant plus assailli par les incertitudes. Et c’étaient ces mêmes doutes qui me faisaient crever de l’intérieur, m’empêchant de profiter de mon nouveau bonheur comme il se doit, l’esprit parasité par des dizaines de questions qui pour certains paraîtront obsolètes mais qui pour moi étaient d’une importance capitale. En réalité, j’avais une peur bleue de l’engagement, de tout ce que cela pouvait impliquer. La vie de couple, le long terme, et plus les jours avançaient, plus je m’apercevais qu’en réalité, je n’y connaissais strictement rien. Je n’avais jamais, à mon grand dam, étudié le manuel du petit-ami parfait, et des fois, tandis que j’improvisais, je n’avais pas l’impression de me comporter de la meilleure façon qu’il soit. Si Helena était encore là, si je m’entendais encore bien avec elle, sans doute aurais-je mis ma fierté de côté pour lui quémander quelques conseils.
Mais à présent qu’Helena n’était plus là, qu’elle me faisait la gueule pour une raison qui m’échappait, je devais bien me débrouiller par moi-même afin de trouver la solution optimale à mes problèmes. Tout en soupirant, je finis par me redresser, mégot à demi consumé au coin des lèvres, tandis qu’un frisson glacé me parcourut l’échine. L’air hagard, je contemplais mon placard éventré, juste en face de mon lit, dont le contenu était davantage éparpillé à l’extérieur que stocké à l’intérieur. Sur les portes, il y avait des photos, des souvenirs. Je soupirai tout en finissant ma cigarette, pour l’écraser ensuite dans le cendrier sur la table de chevet. Je me levai du lit, vêtu d’un simple jean, et allai fermer la fenêtre car il faisait trop froid. J’attrapai un polo au hasard, lassé des chemises, et l’enfilai. Quoique je fasse, j’étais toujours dans un piteux état, la tête perpétuellement dans le cul, si je puis m’exprimer ainsi, quand bien même je passais mes journées à dormir. En réprimant un long bâillement, qui aurait pu risquer de me faire me décrocher la mâchoire, je traversai la pièce, enjambant quelques objets. Fatigué de tout ce bordel, d’un geste agacé, je pris ma baguette magique et rangeai ma chambre en un éclair, ça m’évitera de passer des heures à essayer de trier ce que je voulais garder ou non. J’ouvris machinalement le placard qui contenait mes denrées alimentaires, et tentai d’y débusquer du café. Je finis par grimacer en m’apercevant que je n’en avais plus. Je fis un détour par la salle de bains, afin de m’asperger le visage d’eau, en espérant que cela me réveillerait un tant soit peu. Ce fut peine perdue, j’étais même encore plus mou si cela était possible. Le café étant le remède miracle en cas de crise, je n’avais plus vraiment le choix, à part me rendre à l’accueil où se trouvait la machine à café.
Après avoir vérifié que j’avais tout de même quelque argent à insérer dans la machine, je me mis à cheminer vers ma destination, tout en m’arrêtant en route pour discuter avec les quelques personnes de ma connaissance que je croisais. J’arrivai enfin à l’accueil, en un seul morceaux, ma pièce soigneusement rangée dans la poche arrière de mon jean. J’avisai la liste des boissons disponibles, tout en tendant une oreille discrète la conversation qui se tenait entre une blonde qui me tournait le dos, et la femme de l’accueil qui paraissait être complètement à côté de la plaque. «Excusez-moi, je pensais à autre chose.» Bien involontairement, je m’esclaffai bien que la situation n’était pas franchement drôle. J’allais repartir discrètement, quand la brune me héla depuis l’accueil, oubliant presque l’élève avec laquelle elle s’entretenait déjà; « Hé, Aldéric! Tu peux me rendre un service s’il te plaît? » Mon précieux café entre les mains, mes lèvres trempant déjà dans ce breuvage magique, je rivai mon regard d’une couleur indéfinissable dans les yeux gris de la quadragénaire, avant de hausser les épaules nonchalamment. « ça dépend pour quoi faire. » un maigre sourire vint glisser sur mes lèvres pâles, tandis que ma poigne enserrait toujours le gobelet en plastique. La brune s’accouda au comptoir, et cala son menton sur ses mains ainsi jointes, légèrement penchée en avant. Avec un sourire jovial, elle me désigna la blonde. « Il se trouve que Mademoiselle Taylor vient d’arriver d’Edeulys, vous pourriez l’amener jusqu’à la salle de de potions? » j’avisai la dénommée Taylor du regard, avant de soupirer légèrement. J’étais vraiment obligé de jouer les nounous pour les nouveaux venus, et rien que pour les beaux yeux de la standardiste? Je me grattai légèrement la nuque, ne tenant plus que d’une main mon café, duquel je n’avais pas encore profité. « Bon, c’est d’accord. » La quadragénaire fit tinter ses bracelets joyeusement tout en m’adressant un sourire radieux. « Merci mon chou, tu es un amour. » Je lui adressai un sourire forcé, avant de me tourner vers la nouvelle arrivante. Ne prenant pas garde d’être aimable ou non, je me permis d’haranguer la blonde. « Alors, tu viens euh… » Je me tus. Je réalisai alors que je ne connaissais même pas son nom. Je n’allais tout de même pas l’appeler Taylor.
- InvitéInvité
Re: Que reste-il de nous deux?
Mer 3 Nov 2010 - 15:39
L’angoisse me gagnait peu à peu, au milieu de ce hall pratiquement vide. Je sentais pourtant leur présence, j’entendais les pas pressés des élèves qui allaient d’un coin à l’autre de l’université, sans même me jeter un regard. Je ne les blâmais pas, néanmoins, sachant pertinemment que j’aurais fait pareil, à leur place. Bien trop préoccupés par nos propres vies, nous ne jetions que rarement un regard aux alentours. Le temps filait rapidement, disparaissant avant même que l’on ait pu tenter de s’en saisir ; il n’en restait finalement que si peu. La vie était un manège qui tournait à une allure folle, et pour en faire partie, il fallait courir vite, prendre son élan et sauter, sans avoir peur de retomber violemment sur le sol glacé. J’avais l’impression, à cet instant précis, d’avancer au ralenti, et je me remémorai avec peine mon vieil appartement, celui-là même que j’avais quitté ce matin sans même un coup d’œil en arrière. J’avais pour habitude de ne pas laisser les remords m’accabler, mais cette fois-ci, j’en étais incapable. J’avais fait une erreur. J’étais prête à tourner les talons, à me retourner pour courir sans jamais m’arrêter ; j’étais prête à renoncer à cet élan héroïque, si peu caractéristique de ma personne, qui m’avait animée l’espace d’un moment. J’étais incapable de l’aider. Je ne serai bonne à rien, ici bas. À quoi avais-je bien pu penser ? Je n’étais pas l’héroïne de l’histoire, je ne l’avais jamais été. J’étais la fille qui se cachait derrière un meuble, au creux d’un placard, les mains plaquées sur les oreilles pour ne pas entendre la souffrance qui résonnait tout autour d’elle. Il m’avait toujours sauvée, et non l’inverse. Mieux valait encore que je m’en aille, avant de tout gâcher. Ma lâcheté semblait reprendre le dessus – chassez le naturel, il revient aux galops. J’eus un sourire triste, presque désabusé, et adressai un signe de tête à la brune qui m’avait accueillie. « Finalement, je devrais m’en sortir tou… » Elle m’interrompit sans prêter la moindre attention à mes paroles, et me cloua sur place par la même occasion, hélant un élève pour le charger de me faire visiter Hungcalf. Cela n’aurait probablement pas été un problème si le prénom qu’elle avait utilisé ne m’était pas si familier. Je fermai les yeux, serrant les paupières comme si j’espérais pouvoir devenir invisible ; un peu plus et je me serais plaqué les paumes sur le visage, telle l’enfant que je n’avais jamais cessé d’être. Mon cœur rata un battement, peut-être deux, voire trois, et je restai immobile, prête à entendre ma sentence. Il était là. J’étais pratiquement certaine que c’était lui. Après tout, son nom n’était pas courant, à vrai dire il était le seul, dans mon cercle de connaissances, à le porter. Non pas que je connaisse tant de monde que ça, mais… C’était quelqu’un d’autre. Un autre étudiant. Une simple coïncidence. Merlin, je n’étais pas prête à le voir. Pas maintenant. « Ca dépend pour quoi faire. » Sa voix. Je le sentais tout proche de moi, à présent. Comme s’il avait toujours été là, comme si j’avais vécu ces dernières années à ces côtés. Comme si j’avais simplement rêvé la mort de Jimmy, mon éloignement soudain, et tout ce que j’avais désespérément cherché à oublier. Quand j’ouvris les yeux, la réceptionniste était en train de me jauger d’un air perplexe, attendant sûrement que je me retourne. Mes pieds, cependant, me le refusaient, comme agglutinés sur le béton froid. Elle adressa un sourire chaleureux à mon frère, avant de me présenter à ce dernier. Eudelys. J’aurais dû y rester. Il me suffirait d’éclater de rire, de secouer la tête, d’avancer que tout cela n’était qu’une sombre erreur, de tourner les talons en prenant garde à ne pas croiser le regard d’Aldéric, et tout irait bien. Eudelys m’attendrait encore. Après tout, je n’étais pas partie depuis longtemps. Si je me dépêchais, je pourrais peut-être même y arriver pour mon dernier cours de la journée. Oui, c’était le plus facile, et tout irait bien, il n’aurait pas à savoir que… Je plissai les yeux. Elle m’avait appelée Taylor. Où cette imbécile avait-elle été formée ? J’ouvris la bouche pour la rectifier, me rendis compte que, de cette façon, il entendrait ma voix. Il ne m’avait pas encore reconnue. Je paniquais totalement. Non, non, je ne paniquais pas. J’étais là pour ça, n’est-ce pas ? Alors pourquoi diable ne pouvais-je m’y résoudre ? La dernière fois que je l’avais vu, il m’avait dit lui-même qu’il avait besoin de moi. Je lui avais claqué la porte au nez, refusant d’être une nouvelle fois mêlée aux drames que j’avais repoussé avec violence il y avait de ça longtemps maintenant. Il m’en voudrait. Il devait déjà m’en vouloir. S’il ne m’en voulait pas, c’était qu’il pensait que je lui en voulais. C’était trop compliqué. Je n’avais aucune raison d’être en colère contre lui, et pourtant, je l’étais. Lui avait toutes les raisons de l’être, mais peut-être ne le serait-il pas. D’une certaine façon, je le haïssais. Je le détestais de m’obliger à confronter ainsi mon passé. Je le détestais parce que je lui étais redevable. Je le détestais de m’avoir aidée, toutes ces années, d’avoir volé à mon secours comme le preux chevalier qu’il n’était au fond pas du tout. Je l’avais aimé plus que n’importe qui d’autre. Je ne savais pas si c’était toujours le cas. La distance, les souvenirs poussiéreux et nauséeux, la disparition de Jimmy, la décadence de maman, sa propre déchéance ; tout cela avait contribué à détruire peu à peu mon amour que j’avais un jour cru sans limite. Nous étions aujourd’hui des opposés, alors que nous avions à une époque tout partagé. Je me souvenais de la période où j’avais l’impression que mon âme était greffée à la sienne, que mon cœur ne pouvait battre qu’en même temps que le sien. Je me rappelais douloureusement du temps ancien où je pouvais le ressentir à mes côtés dès qu’il passait une porte, où j’aurais identifié son odeur rassurante entre milles autres. Aujourd’hui, il n’était même plus capable de sentir ma présence. Toutefois, j’étais là. Droite, légèrement tremblante, tournant le dos à la seule personne sur laquelle j’avais pu m’appuyer. J’étais là, et je ne pouvais plus m’enfuir. Plus maintenant. Il était trop tard. « Alors, tu viens euh… » Inspirer. Expirer. Serait-il content de me voir ? Plus important encore, étais-je contente de le voir ? Je ne pouvais pas me permettre de me prendre la tête avec toutes ces questions. C’était troublant, et insupportable. J’adressai un vague sourire à la quadragénaire, qui était déjà retournée à ce qui semblait être son occupation préférée : feuilleter les magasines peoples de nos célébrités sorcières.
Je me retournai donc lentement, comprenant que je n’obtiendrai aucune aide de sa part. J’avais soudain envie de rire. Tout cela ressemblait à une pièce de théâtre, mièvre et tristement vouée à l’échec. Personne ne paierait pour voir une absurdité pareille – en tout cas, personne de sensé. Sans doute aurais-je payé, moi. J’aimais perdre mon temps, apparemment. « Helena. Helena Miller, et non Taylor. » Mon intonation semblait ridiculement solennelle, bien qu’un peu amère. Il eût été plus simple que je m’appelle effectivement Taylor, et qu’il ne soit qu’un autre inconnu. J’eus un rire embarrassé, sans doute trop enfantin. J’osai enfin redresser les yeux, que je plantai à quelques centimètres de ceux de mon frère, refusant pour l’instant de croiser son regard. J’avais trop peur de ce que je risquais d’y lire. Ma verve habituelle semblait avoir disparu, me dépouillant par la même occasion de tous mes biens. J’étais là, les bras ballants, un sourire niais affiché sur mes traits fins, et je ne le regardai même pas dans les yeux. Les retrouvailles familiales, y’a que ça de vrai. « Comment vas-tu, Aldéric ? » Je n’avais rien trouvé d’autre à rajouter. Ma voix s’était faite plus douce, presque maternelle, et, après avoir pris une grande inspiration, j’osai enfin l’observer. Son aspect ne me choqua pas réellement ; je l’avais vu dans de pires états. À vrai dire, il avait presque l’air en forme. Pour lui, en tout cas. Je ne m’attardai pas sur son expression, que je ne voulais pas avoir à déchiffrer. Il était là. J’avais envie de me blottir dans ses bras, comme avant, mais mon corps restait stoïque, comme si ce geste, dans de pareilles circonstances, aurait été déplacé. Ma spontanéité freinée, mon ironie étouffée, je n’étais plus qu’une coquille sans vie, attendant que la hache vienne finalement abréger mes souffrances. Je ravalai brusquement les larmes qui me montaient aux yeux, me maudissant au passage d’être toujours aussi sentimentale, et me mordis la langue dans l’espoir d’éloigner ce goût de culpabilité qui me souillait la bouche. Je l’avais laissé tomber, et, face à lui, je ne pouvais plus le nier. J’avançai d’un pas, m’arrêtai. Je ne pouvais pas lui dire que j’étais heureuse de le retrouver, cela aurait ressemblé à de l’hypocrisie négligemment jetée dans l’air frais pour combler un vide. Vide que je ressentais bien trop au creux de ma poitrine, vide qui me torturait sans pitié. Sans doute le méritais-je, après tout. J’eus une pensée pour Matthieu, de l’autre côté de la Manche. J’eus une pensée pour ma mère adoptive, pour ma meilleure amie à qui je ne donnerai jamais de nouvelles, et enfin pour le corps frêle et sans vie du petit Jimmy qui me hantait dans mes cauchemars. Et finalement, je courus, telle une fillette, m’agripper à mon frère aîné. Peut-être avais-je encore une fois besoin d’être sauvée, moi aussi.
Je me retournai donc lentement, comprenant que je n’obtiendrai aucune aide de sa part. J’avais soudain envie de rire. Tout cela ressemblait à une pièce de théâtre, mièvre et tristement vouée à l’échec. Personne ne paierait pour voir une absurdité pareille – en tout cas, personne de sensé. Sans doute aurais-je payé, moi. J’aimais perdre mon temps, apparemment. « Helena. Helena Miller, et non Taylor. » Mon intonation semblait ridiculement solennelle, bien qu’un peu amère. Il eût été plus simple que je m’appelle effectivement Taylor, et qu’il ne soit qu’un autre inconnu. J’eus un rire embarrassé, sans doute trop enfantin. J’osai enfin redresser les yeux, que je plantai à quelques centimètres de ceux de mon frère, refusant pour l’instant de croiser son regard. J’avais trop peur de ce que je risquais d’y lire. Ma verve habituelle semblait avoir disparu, me dépouillant par la même occasion de tous mes biens. J’étais là, les bras ballants, un sourire niais affiché sur mes traits fins, et je ne le regardai même pas dans les yeux. Les retrouvailles familiales, y’a que ça de vrai. « Comment vas-tu, Aldéric ? » Je n’avais rien trouvé d’autre à rajouter. Ma voix s’était faite plus douce, presque maternelle, et, après avoir pris une grande inspiration, j’osai enfin l’observer. Son aspect ne me choqua pas réellement ; je l’avais vu dans de pires états. À vrai dire, il avait presque l’air en forme. Pour lui, en tout cas. Je ne m’attardai pas sur son expression, que je ne voulais pas avoir à déchiffrer. Il était là. J’avais envie de me blottir dans ses bras, comme avant, mais mon corps restait stoïque, comme si ce geste, dans de pareilles circonstances, aurait été déplacé. Ma spontanéité freinée, mon ironie étouffée, je n’étais plus qu’une coquille sans vie, attendant que la hache vienne finalement abréger mes souffrances. Je ravalai brusquement les larmes qui me montaient aux yeux, me maudissant au passage d’être toujours aussi sentimentale, et me mordis la langue dans l’espoir d’éloigner ce goût de culpabilité qui me souillait la bouche. Je l’avais laissé tomber, et, face à lui, je ne pouvais plus le nier. J’avançai d’un pas, m’arrêtai. Je ne pouvais pas lui dire que j’étais heureuse de le retrouver, cela aurait ressemblé à de l’hypocrisie négligemment jetée dans l’air frais pour combler un vide. Vide que je ressentais bien trop au creux de ma poitrine, vide qui me torturait sans pitié. Sans doute le méritais-je, après tout. J’eus une pensée pour Matthieu, de l’autre côté de la Manche. J’eus une pensée pour ma mère adoptive, pour ma meilleure amie à qui je ne donnerai jamais de nouvelles, et enfin pour le corps frêle et sans vie du petit Jimmy qui me hantait dans mes cauchemars. Et finalement, je courus, telle une fillette, m’agripper à mon frère aîné. Peut-être avais-je encore une fois besoin d’être sauvée, moi aussi.
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