Samedi 9 juin

Faolan a cinq mois et demi, et je n'ai pas vu le temps passer. Mes journées sont occupées, c'est un fait, mais j'ai l'impression qu'on prend nos marques, Vic, Fao et moi. Que je prends mes marques à nouveau avec son père aussi. Et que je suis en poste depuis des années, alors que ça fait à peine plus de quatre mois ! L'annulation du mariage de Sullivan m'a fait quelque chose, je mentirais si j'affirmais que j'y étais parfaitement indifférente, mais avoir travaillé sur son organisation m'a lancée dans le vif du sujet immédiatement, et j'ai beaucoup appris en très peu de temps. Et je ne peux que remercier mon expérience au sein des Nymphes, sans laquelle je crois que j'aurais été dépassée par les événements.

Il y a toujours ma robe qui attend, chez moi, dans la pièce qui me sert d'atelier, prévue pour la célébration, et qui ne servira pas. Je me surprends à soupirer, parfois, en la regardant, et je ne saurais affirmer si mes regrets sont dus à leur histoire... ou à ce qu'elle me renvoie au visage. Et elle n'est pas terminée, ce que je n'ai, à ce jour, pas encore eu le courage de faire, comme si l'achever pouvait signifier quelque chose d'autre que ça : aboutir le projet. Je crois que j'aurais le sentiment de définitivement tourner la page, et ça me fait sans doute plus mal au coeur que je ne veux bien le dire pour mon camarade Wright.

Alors je travaille sur d'autres oeuvres pour les Quenouilles, et passe celle-ci sous silence. La cohabitation avec Neal n'est pas toujours évidente, et je crois bien que le résultat de la vente aux enchères n'est pas vraiment pour aider en ce sens. Ca non plus, je n'en reviens pas tout à fait. Il faut dire que j'avais tellement d'autres problématiques à ce moment-là que je n'imaginais pas une seconde que mes créations allaient être plebiscitées. Pourtant, malgré la destruction de la robe de Cassandre, l'abandon de Ravena, les tenues que Grace a présentées pour moi ont obtenu l'adhésion du public, et de belles enchères qui sont venues grossir la cagnotte pour l'association. Et j'en suis particulièrement fière, non seulement pour ce que ça révèle de mon travail, mais aussi pour l'oeuvre en question, qui me tient à coeur, malgré mon indélicatesse à ce sujet vis-à-vis de mon amie d'enfance.

Aujourd'hui, nous devons nous retrouver chez Mme Blansec, avec pour objectif de planifier nos prochaines entrevues jusqu'à la rentrée et nos futurs projets, et pour la énième fois, je laisse Faolan à son oncle, au plus grand plaisir de la tête blond vénitien de son neveu. Vivre ensemble a simplifié tellement de choses, et c'est tellement plus rassurant pour moi ! Malgré la révélation de l'adultère de notre père et le retour de Mina, j'ai le sentiment que ma vie commence à se stabiliser, et je ne peux pas nier, non plus, que j'en avais réellement besoin. La tenancière de la boutique me fait d'ailleurs remarquer que j'ai l'air radieux, d'après elle, et que ça lui manquait, ce qui fait poindre un sourire sur mes lèvres comme je la remercie. Je suis un peu en avance, prends le temps de converser un peu avec elle, et après quelques minutes de discussion amicale, je me suis dirigée vers l'arrière-boutique où les autres ne devraient pas tarder à me rejoindre.

@Primerose Blackwell @Neal Barbara @Niamh Walsh @Gardenia Ollivander @Juliet Skinner

cités @Gideon McKinnon @Victor de Launay @Ravena Blackwood @Grace de Launay

Neal n’était pas retourné chez Madame Blansec depuis le week-end précédent. Autant dire une petite éternité, au vu du temps qu’il passait dans l’arrière-boutique, d’ordinaire. La perspective des examens de fin d’année l’avait suffisamment inquiété pour qu’il choisisse de passer davantage de temps pencher sur ses manuels plutôt que sur ses mannequins en bois. La vieille sorcière n’avait pas semblé bouleversée outre mesure. Pour cause, Neal la soupçonnait de regretter la minute où elle l’avait invité à « faire comme chez lui » dans ses précieux locaux. Pour autant, malgré ses méthodes de travail désordonnées, Neal n’était pas un ‘locataire’ plus désagréable qu’un autre. Comme toutes Quenouilles respectables, il prenait le temps de remettre la pièce en ordre avant de reprendre le chemin du Château. Qu’il s’y attelle avec des intentions parfaitement égoïstes avait-il réellement de l’importance ?

Cette fois-ci, ce n’était pas lui qui avait sonné l’heure du rendez-vous de leur groupe habituel : c’était Holly. Depuis la vente aux enchères qu’ils avaient organisées pour le bal de fin d’année, Neal s’était montré de moins en moins enclin à organiser de nouvelles compétitions, même amicales, entre les membres du groupe. L’initiative avait été mal reçue, et il avait assez de tact pour savoir quand il était inutile d’insister. Seulement voilà, il n’avait plus poussé le moindre projet vers l’avant depuis des semaines. Une crampe au creux de son estomac lui indiqua qu’il n’était pas aussi indifférent qu’il aurait souhaité l’être face à l’invitation de Holly. À quoi devait-il s’attendre ? Une rébellion ? Une destitution ?

Il n’avait pas toujours voulu être Président des Quenouilles Enchantées. Au contraire, l’idée l’avait longtemps repoussé : les responsabilités, les devoirs, la sociabilité, que le rôle nécessitait. Un peu comme un poste à plein temps, alors qu’il s’efforçait de lancer sa propre boutique personnelle en parallèle. Et puis, finalement, il y avait pris goût.  Tout bêtement. Il secoua la tête, exaspéré de lui-même.

Bientôt, il franchit le seuil de la boutique de Madame Blansec, la mort dans l’âme. C’était terminé – non ? Il salua sobrement la propriétaire de la boutique avant de se faufiler jusqu’à l’arrière salle. Celle-ci était presque vide. Seules Holly et Juliet étaient arrivées, et semblaient attendre l’arrivée du reste du groupe.

« Salut. » lança-t-il sans savoir s’il devait s’installer près d’elles, ou plutôt se réserver un coin de la salle où la chute ne serait pas trop terrible. Il croisa les bras, et ses lunettes adoptèrent une teinte d’un ciel nuageux, reflétant son humeur. « Comment va F—ton petit ? » Il se rendit compte qu’il n’avait pas la moindre idée du prénom que la jeune femme avait donné à son fils, né quelques mois plus tôt. Rougissant, il haussa un sourcil interrogateur, soucieux de paraître soucieux.

« Est-ce que t-t-t-u aurais cinq minutes à m’a-m’accorder, av-v-vant la réunion ? » ajouta-t-il en s’avançant vers elle. L’idée aurait dû lui venir plus tôt, mais il s’était buté à classer Holly dans la catégorie des personnes auxquelles il préférait ne pas se frotter s’il pouvait l’éviter. Fatiguer et de balbutier et de tourner autour du chaudron, Neal lâcha finalement sa proposition sans fioriture : « P-peux-tu être vice-présidente ? Je s-s-s-suis sûr que Juliet sera d’accord av-v-vec moi pour dire que tu en as l’ét-t-t- l’ét-t-t-. L’étoffe. » peina-t-il à articuler, cherchant son regard sous ses longs cils.

@"Primerose Blackwell" @Niamh Walsh @Gardenia Ollivander @Juliet Skinner

« Bonjour Holly ! »

La voix joviale de Juliet attire mon attention et je lui adresse un sourire chaleureux en approchant. Sa tasse d'Earl Grey fumante dans les mains en miroir à mon breuvage à la rose, la blondeur de ses traits... Je me surprends à nous trouver des similitudes, parfois, et sa maison d'appartenance n'y est certainement pas étrangère.

« Bonjour Juliet ! Comment vas-tu ? »

Mais nous n'avons guère le temps de converser que Neal entre dans la pièce, et la tension semble s'emparer des lieux. La sienne, la mienne ? Je ne saurais trop le dire, mais il est évident qu'il n'est pas à l'aise. Et à vrai dire, je ne l'ai pas vraiment beaucoup été en sa présence. Nos façons de faire diffèrent grandement, c'est un fait, et si je ne nie pas sa passion, je ne peux pas nier avoir parfois souhaité qu'il ne reste pas à son poste.

« Salut. »

Il n'a pas l'air de savoir où se mettre, et je fronce les sourcils, surprise, un peu perplexe, même.

« Comment va F—ton petit ?
- Faolán va bien, je te remercie. Il fait ses dents, donc les nuits sont parfois compliquées, mais c'est le cours normal des choses... »

Mais malgré la conversation d'apparence banale, je ne peux pas empêcher cet air soucieux de teinter mon regard qui ne le quitte pas. Le président des Quenouilles est loin d'être un très bon ami, pourtant, je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter.

« Qu'est-ce qui ne va pas, Neal ?
- Est-ce que t-t-t-u aurais cinq minutes à m’a-m’accorder, av-v-vant la réunion ? »

La question me laisse dubitative, un peu prise au dépourvue, et je vais pour lui répondre un « Oui bien sûr » mécanique quand il me coupe l'herbe sous le pied en reprenant la parole.

« P-peux-tu être vice-présidente ? Je s-s-s-suis sûr que Juliet sera d’accord av-v-vec moi pour dire que tu en as l’ét-t-t- l’ét-t-t-. L’étoffe. »

Et je reste interdite quelques secondes alors, complètement abasourdie par la proposition. Venant de lui.

« Tu es conscient que ça veut dire qu'on va devoir travailler ensemble ? »

Parce que je ne suis pas aveugle non plus, et qu'il est évident que si je n'ai pas cherché sa compagnie ni la confrontation au cours des mois passés, il n'a pour sa part pas fait mieux que cherché à m'éviter. Cela étant, je souris, parce que je pense que c'est la meilleur idée qu'il pouvait avoir pour éviter au club d'imploser. Et puis...

« J'en serais honorée. Mais je te préviens tout de suite, je ne serais pas du genre assistante pot de fleurs qui acquiesce à chacun de tes mots. »

Mon ton de voix n'est pas dur un instant, pourtant, sur ces mots, plutôt teinté d'humour.

« Enfin tu t'en doutes un peu, n'est-ce pas ? »

C'était donc ça qui générait autant de stress chez lui ? J'ai posé ma tasse de thé sur la table près de moi avant de me diriger un instant vers Mme Blansec et lui demander une camomille pour notre président. Et quelques instants plus tard, c'est avec une tasse relaxante fumante que je m'approche à nouveau de Neal. Le breuvage déposé près de lui, je pose une main bienveillante sur son épaule, plus radieuse encore qu'à mon arrivée dans ces lieux qui ont pourtant déjà cet effet-là sur mon visage.

« Et si on commençait ? Les autres ne devraient pas tarder à arriver. »

@Neal Barbara @Juliet Skinner @Séraphine Oakes @Niamh Walsh