Lendemain de lune d’octobre. Les nerfs rassasiés, être nimbé par la puissance de tes pattes frôlant le sol gelé la veille. Effet grisant, marquer ton territoire à coups de courses et de hurlements à ton amour lunaire. Être d’obscurité et de marées, les fibres de tes muscles s’accrochent aux derniers lambeaux de la force qui t’habite lorsque la pleine lune t’accompagne. Ta douce partie en cours, tu profites d’une journée (sacrée) de congé pour donner un peu de latitude à ta précieuse embarcation, armée d’huile de poisson pour entretenir les joints de certaines poulies. Chansons rythmées aux oreilles, tu te balances avec une énergie non feinte, sentiment d’invincibilité. Ta besogne terminée, doigts tendus au-dessus des yeux, tu jettes un regard à l’horizon. Calme marin, pour t’accompagner dans tes projets – sortir la rouquine de son antre froid. L’ancre levée, tes doigts se lacent avec amour sur le gouvernail, prenant la direction de la côte – tu la connais bien, depuis les mois qui ont passé. Rencontrées par un hasard (pas tout à fait honnête de ta part), rapprochées par le défi ensanglanté posé au cours de l’hiver – devenues amies depuis que tu as décidé de te charger du cas de son amour (sans lui révéler l’étendue de ton intérêt en la matière). T’es un enfant de chœur désintéressé (c’est connu).

Ange gardien cornu, qui la force à sortir avec une sollicitude pleine de fermeté, cette femme qu’on a trop dû prendre avec des pincettes toute sa vie. Votre rencontre du jour n’était pas prévue, mais hors de question de la laisser broyer du noir alors que son idiot de pauvre petit ami vient de vivre une pleine lune en prison. L’impulsivité étant sœur de succès dans le cas de tes relations sociales, t’es prête à enfoncer toutes les portes de son refus s’il le faut (she doesn’t know what’s good for her anymore anyways.) Fière embarcation amarrée, tu transplanes vers sa maison sans rater le parquet – tes transplanages ont toujours été quelque peu approximatifs. Aucune lueur dans le logis dénué de son âme, froideur des habitations au sein desquelles on ne rit plus. Tu fais le tour, trouvant la jeune femme sur la terrasse, le regard éteint. Sans ménagement, tu t’installes près d’elle, la poussant légèrement d’un geste affectueux. « Hey, Ginger ». Surnom taquin, amical, adopté dès votre première rencontre – elle ne s’en défera jamais. « Thought you might like a change of scenery today – and I won’t be taking no as an answer », préviens-tu, l’air de menace qu’on réserve aux enfants au creux de tes prunelles d’acier – les mêmes que son amant enfermé, tu le sais. Tu ne lui demandes pas comment elle a dormi – mal, comme toujours, tu en es certaine, en observant ses traits tirés. « I’ve got a fire going inside ». Tu pointes l’Insubmersible au loin.

Lundi 14 octobre

J'ai froid. Froid dans mes muscles, froid dans mes os, froid dans mon coeur, froid dans mon âme. Mais ça ne me viendrait pas à l'idée de rentrer. La nuit dernière a été éprouvante. La première pleine lune d'Oz en prison. Et on ne me laisse toujours pas le voir. J'imagine que ma demande est posée quelque part dans une pile de dossiers, et qu'elle ne sera pas étudiée avant quelques temps. Et qui sait qui je trouverai si elle est acceptée ? Trop triste et l'esprit trop agité pour transplaner jusqu'à la forêt où je passe habituellement mes nuits, j'ai tenté de me transformer sur la terrasse. Impossible. Chaque tentative échouait. Quelques fois, j'ai réussi à devenir biche, puis je redevenais humaine la minute qui suivait, alors que je venais de m'allonger. Le reste du temps, mon corps refusait obstinément de prendre sa forme animale. Baissant les bras, je suis allée m'enfoncer sous les couettes du grand lit trop froid. Roulée en boule, j'ai peu dormi, mon esprit noyé sous les visions d'Oswald en prison, mélangées avec les souvenirs de l'interrogatoire.

J'ai la désagréable sensation de ne pas faire partie de mon corps, de n'être qu'un fantôme qui flotte sur le parquet, et que je vais tomber à chaque pas. J'ai même dû retourner vérifier dans la chambre que ce n'était pas le cas, que je n'étais pas morte dans mon sommeil. Décidant d'aller voir les mouettes volant au dessus de la mer, je m'installe sur la terrasse, les mains rentrées dans les manches de mon pull. Je me fais sortir de ma torpeur par le craquement caractéristique d'un transplanage, suivi de l'alarme installée par l'un des garçons ayant décidé de me protéger après l'arrestation. Trop fatiguée pour réagir, j'attrape seulement ma baguette pour éteindre le sifflement faisant douloureusement vibrer mes tympans. S'ils veulent me prendre, qu'ils me prennent. Tournant la tête en direction des pas s'approchant, je dévisage Lubia lorsqu'elle apparaît dans mon champ de vision. "Hey, Ginger." La tempête qui me pousse gentiment, mais qui manque de me faire tomber. Je dois poser une main sur la banquette pour rester assise. "Hello."

"Thought you might like a change of scenery today – and I won’t be taking no as an answer." Regard mort morne qui se déplace vers la mer - si j'avais eu toutes mes facultés, il se serait levé au ciel. Si elle a déjà décidé que je n'avais pas le choix, à quoi bon négocier ? J'avais juste envie d'être seule. "I’ve got a fire going inside." La main qui sort de sa manche pour se poser sur celle de l'Ukrainienne. "Is this why you're always so warm ?" La chaleur qui se dégage d'elle me semble tellement surnaturelle, à force de vivre dans une maison froide. Impossible d'allumer une cheminée, même si j'en avais l'envie. Non, j'ai juste envie de m'enfoncer dans le froid, ce n'est que ce que je mérite. Soupirant avec toute la tristesse du monde, je suis le doigt de la pirate pointé sur son navire. Résignée, j'entoure ma baguette de mes doigts, avant de me lever. "Where are you taking me ?"

Accolade affectueuse, sans prétention. « Thought you might like a change of scenery today – and I won’t be taking no as an answer ». Son regard éteint évite le tien, mais tu persistes, décidée à la convaincre. « I’ve got a fire going inside ». Contact des doigts – les siens sont glacés contre ta peau chaude. « Is this why you're always so warm ? » Tu ris, même si les contacts tactiles avec les gens se limitent chez toi aux poignées de mains – protection paranoïaque de ton secret, derme lycan trop chaud pour ne pas étonner le commun des mortels. Bien que la rouquine ne connaisse pas ton secret, tu sais pouvoir lui faire (un peu) confiance, et tu lui souris, ton plaisantin à l’appui. « Slavs are all warm, Ginger. It’s too cold where we come from », répliques-tu, adressant un clin d’œil enjôleur à la jeune femme. Les gens doivent la traiter comme une figurine de porcelaine, ces jours-ci – et tu décides que ce serait bon pour elle, qu’on la pousse un peu. « Your place reminds me a little of Durmstrang right now », fais-tu remarquer, petit rire dans la voix.

La morosité de la sorcière ne te refroidit pas – t’es capable d’être de bonne humeur pour deux s’il le faut, et il faut admettre que lorsque t’as une idée en tête, rien ne peut t’arrêter. Surtout pas un être aussi fragile, que tu as bien l’intention de protéger (à ta manière). « Where are you taking me ? » Tu l’aides à se lever, le petit poids plume, notant sa légèreté alors même que tes propres muscles sont encore gorgés de la puissance lunaire. « Does it matter? », demandes-tu, te doutant de la réponse, avant de l’attirer doucement à toi. T’as envie de la réchauffer, la petite silhouette froide – ton bateau fera l’affaire. Vous transplanez sur le pont de l’Insubmersible, et tu siffles d’appréciation, adressant un petit regard d’excuse à l’Écossaise. « Sorry, I’ve apparated in the water a few times ». Désignant le gouvernail, tu lui adresses un regard plein de sollicitude. « What do you prefer? Warmth and joy or soft melancholy? » Comme si elle avait réellement envie de faire des choix, mais tu n’y peux rien – tu ne veux pas (totalement) l’enlever sans son consentement. « Let’s get you warm ». Tu l’invites dans la calle, où un feu réconfortant danse au cœur du petit poêle, ambiance chaleureuse au cœur du voilier.

Sa bonne humeur me passe totalement au dessus de la tête. Comment fait-elle pour ignorer toute la tristesse du monde, l'injustice et l'horreur ? Elle rit, la pirate, et le son résonne étrangement dans mes oreilles. Je n'ai pas ri depuis si longtemps. "Slavs are all warm, Ginger. It’s too cold where we come from." Haussant un sourcil, je lui lance un regard en biais, peu convaincue. "If you say so." Mais la brune en rajoute une couche, pas avare de plaisanteries, pour mon propre déplaisir. "Your place reminds me a little of Durmstrang right now." Fuyant son regard une nouvelle fois, je sens ma gorge se serrer, signe que les larmes ne sont pas loin. You mean sad, cold and miserable ? Préférant garder mon marasme pour moi-même, je décide de la suivre, pour lui faire plaisir, et surtout car je n'ai pas la force de débattre.

Curieuse, tout de même. "Where are you taking me ?" Lubia m'aide à me relever, avec une force presque impressionnante. "Does it matter?" Haussement d'épaules. "I guess not." Je n'ai pas vraiment le temps de me préparer que nous voilà aspirées par le tourbillon d'un transplanage pour atterrir sur le pont de son embarcation. Sentant une nausée me gagner, je lâche très vite l'Ukrainienne pour vomir par dessus bord. Me redressant, bouche essuyée par un revers de manche, je lance un regard agacé à la propriétaire du bateau, qui a l'air fière d'elle. "Sorry, I’ve apparated in the water a few times." L'idée de me retrouver entourée d'eau glacée me semble bizarrement accueillante. It could be the end of all this. La sorcière me regarde pour la première fois de la journée avec ce regard qu'ils ont tous sur moi. La pitié. "What do you prefer? Warmth and joy or soft melancholy?" Malgré moi, je sens mon visage se fermer et mon ton se durcir. "Don't matter, does it ?" L'invitation de mon amie me semble maintenant pleine de fausseté. Elle a certainement appris que la pleine lune était hier soir et veut me faire sortir pour oublier le calvaire qu'est en train de subir Oswald par ma faute.

"Let’s get you warm." Suivant son geste, je descends dans la cale, manquant de tomber et me raccrochant à la rampe. Une fois à l'intérieur, je sens rapidement mes muscles se détendre face à la chaleur du foyer. Debout au milieu de la petite pièce, embarrassée, je ne sais pas quoi faire. "You're not working today ?" L'interrogation qui ressemble plus à une accusation, qui demande des comptes.

La regarder gerber sans dire mot – dans son état, ce n’est pas si surprenant, mais tu remercies le ciel que la sorcière ait songé à vider ses entrailles par-dessus bord. T’as beau pas être particulièrement arrogante, t’es pas une concierge non plus. L’air de rien, tu proposes. « What do you prefer? Warmth and joy or soft melancholy? » Sa voix qui claque. « Don't matter, does it ? » Tu lèves les yeux au ciel, ne cachant pas ton agacement – tu fais pas semblant avec elle, au moins (sauf pour le léger détail lunaire). Guess not. Bloody ghost, she is. « Let’s get you warm », réponds-tu simplement, l’invitant à t’accompagner dans les entrailles chaudes de ton navire. « You're not working today ? » La voilà qui se tient comme un pantin. Résignée à l’idée que tu vas devoir la manipuler comme une poupée, tu la guides avec une relative douceur, comme on installerait un enfant hébété. Assise sur le canapé, face au feu, qui danse sur ses prunelles mornes.

« You know my work days aren’t exactly nine to fives – like yours », dis-tu alors que tu mets de l’eau à bouillir sous un incendio, tirant le thé préféré de ton amie d’une de tes armoires. Rooibos et fruits rouges, tu le sais. Sachet pose dans la tasse, tu lui adresses un regard rapide. « Besides, London can survive without me for today, as long as my colleagues don’t screw up we’ll be fine ». Ton léger, néanmoins, tu sais qu’ils peuvent merder – mais tu peux pas être constamment sur place non plus, déjà que tu dors souvent dans ton bureau lorsqu’une crise diplomatique éclate. « Ok so my visit isn’t entirely impulsive », admets-tu en versant l’eau bouillante dans la tasse que tu tends à la silhouette frêle. « Even if I appreciate our lengthy conversations ». Clin d’oeil – elle te trouve pas drôle, et tu le sais (et tu t’en fous un peu). Si Murphy voulait des mièvreries et de la pitié, elle avait qu’à sonner ailleurs (même si c’est toi qui es venue lui chercher des noises). Tant pis, tu travailles fort pour la rouquine et son idiot copain, elle peut bien supporter tes blagues pas (bien) méchantes. « I found the nut to crack », affirmes-tu finalement. Au début, t’avais pas voulu lui dire que tu travaillais sur le cas d’Oz – peur de créer de faux espoirs. Mais t’as trouvé la faille, et tu vas appuyer dessus où ça fait mal : ta spécialité.

Ca fait du bien, la chaleur. Plantée là, dans la cale, je regarde les flammes danser dans le poêle, rassurée par le fait qu'il soit fermé. Le feu s'infiltre progressivement dans mes muscles, jusqu'à entourer mes os d'une pellicule rassurante. Suivant le pas de Lubia, je m'installe où elle me pousse, perdue entre la sensation de bien-être et la culpabilité de ressentir cette chaleur quand quelque part en mer, Oswald n'y a pas le droit. "You know my work days aren’t exactly nine to fives – like yours. Besides, London can survive without me for today, as long as my colleagues don’t screw up we’ll be fine." La pirate fait la conversation, et je l'écoute d'une oreille distraite. Ce n'est que lorsqu'elle m'apporte une tasse de thé que je porte mon attention sur elle, prenant soin de ne pas lâcher la porcelaine entre mes mains.

"Ok so my visit isn’t entirely impulsive, even if I appreciate our lengthy conversations." Levant rapidement les yeux au ciel face à son clin d'oeil, je joue pensivement avec la ficelle du sachet au bord de la tasse. Je le savais, qu'elle avait choisi son jour. Maudissant intérieurement l'Ukrainienne de m'avoir sortie de mon igloo de peine et de pleurs, je refuse obstinément de lui répondre, le regard fixé sur ma tasse de thé. "I found the nut to crack." Malgré mon obstination, je fronce les sourcils, intrigués. "The nut to crack ?" Marmonnement légèrement agacé, je n'ai pas franchement envie de jouer aux devinettes ce matin. Mon cerveau engourdi a du mal à comprendre où elle veut en venir. Elle a trouvé quelque chose pour faire quelque chose d'autre. Et si elle m'en parle, c'est certainement car elle m'a déjà fait part de cette énigme plus tôt, ou alors c'est un problème que je lui ai posé moi-même. Relevant le menton soudainement, je place mes grands yeux sur son visage anguleux. "You mean you found a way to let me visit him ?"

Tendant son thé à la petite silhouette, tu laisses tomber les informations - t'aurais peut-être pas dû, tu devrais probablement ne rien dire. « I found the nut to crack ». L'Écossaise lève enfin ses yeux de biche, et tu souris. T'as toujours su quoi dire aux gens pour les sortir de leurs fixations - et même si tu l'emmerdes, même si elle lève les yeux au ciel, tu t'en fous. « The nut to crack ? » Son agacement palpable, mais ne réalise-t-elle pas que pour la sortir de ses rêveries troublées, il faut l'embêter un peu? Sweet Ginger. « You mean you found a way to let me visit him ? » Tu hoches la tête – dans les faits, pas uniquement pour la visiter. Les libérations conditionnelles se font même pour les gens dans la situation d’Oswald : elles sont simplement longues (et coûteuses) à obtenir pour qui n’a pas un doigt dans l’engrenage – et toi, t’as toute une main dedans. L’avantage de passer ta vie à comploter et te faire un réseau efficace. « Something like that », dis-tu sans vouloir lui expliquer qu’avec un peu de chance, la sorcière n’aura jamais besoin de se rendre jusqu’à la prison aux gardiens décharnés, n’aura jamais à fouler le sol de pierre battue par les océans de cet endroit sans joie, sans lumière. Tu t’installes face à elle, tes phalanges croisées entre elles sur tes genoux. « With everything he's done ... », soupires-tu. Tu as appris des details peu reluisants au sujet de ton ami. Si tes propres principes sont souvent élastiques et généralement limités à certains domaines, l’idée que tu entraînais un loup-garou doublé d’un meurtrier a fait son chemin dans ton esprit.

Peu importent les raisons qui avaient poussé le lycan à prendre des vies – mais l’ironie de savoir que c’est l’homme et non le loup qui avait tué ne t’échappe pas. And after all that he still thinks it’s the wolf who makes him a monster. « I wish I could pull more strings Ginger, really. I’ll let you know when the nut cracks … » Tu laisses planer ta phrase, en suspens. Avec ce que tu ne dis pas. but an undeclared werewolf who bit someone and is also a murderer? Pas besoin de le dire. La rouquine le sait. Nulle envie de tourner le fer dans la plaie. Yeux plissés vers la jeune femme, tu lui adresses un petit regard. « Are you doing anything? Or are you letting yourself slowly fade? » Tu connais la réponse, mais t’as besoin de mettre le doigt dessus, te souvenant trop bien de votre rencontre. Ça te fascine, quelqu’un qui vit pour quelqu’un d’autre comme elle le fait. Tu ne le comprenais pas du tout, en la rencontrant – tu compatis un peu mieux, à présent que ton cœur s’est entortillé autour d’une certaine petite sorcière.

Lueur d'espoir qui se fraie un passage au fond de ma poitrine. Petite, toute petite lueur de chaleur au milieu du froid environnant et de la chair nécrosée par le désespoir. "You mean you found a way to let me visit him ?" Grands yeux qui s'accrochent à ceux de la pirate, la diplomate. Elle sait comment tirer les vers du nez des gens, elle me l'a démontré lors de notre rencontre. How much has changed in six months. "Something like that." Froncement de sourcils. "What do you mean ?" C'est quoi cette réponse à demi-mots ? Est-ce qu'elle a trouvé comment faire pour que je puisse enfin voir Oswald ? I miss him so much.

Lubia s'installe en face de moi et je vois qu'il y a quelque chose qu'elle ne me dit pas. Elle soupire, elle a l'air fatiguée, un peu. Comme chacun le serait, confronté à un problème comme celui-ci à résoudre. "With everything he's done ..." Claquement de langue agacé, regard qui se dérobe vers les flammes léchant la vitre du poêle. "I don't want to know what he's done." J'ai mes idées. Je ne veux pas en savoir plus. Je refuse de penser que celui que j'aime ait pu faire du mal à qui que ce soit, en dehors de la nuit du 18 mai. Et cette nuit là, c'était ma faute. "I wish I could pull more strings Ginger, really. I’ll let you know when the nut cracks …" Reposant mon regard dans celui de l'Ukrainienne, je hoche doucement la tête. "Thank you." Ça sort dans un murmure, mais ça sort tout de même. Elle a ses yeux. C'est douloureux.

Alors que je baisse une nouvelle fois les yeux pour observer les volutes de fumée au dessus de ma tasse de thé, la sorcière reprend. "Are you doing anything? Or are you letting yourself slowly fade?" Le regard triste qui revient rapidement. Boire une gorgée de thé fumant pour réchauffer l'intérieur, soudainement redevenu glacé. "I'm going back to work. I'm trying." Prunelles qui se relèvent pour prouver ma bonne foi à la propriétaire du bateau. J'essaie vraiment. "I couldn't go today." Pas après la pleine lune, pas après l'insomnie, pas après tout ça. Je retournerai à l'hôpital demain. Soupir qui me crève la poitrine. "He shouldn't be there. It's all my fault." Avoeu qui devait sortir. Perles salée aux coins des yeux. Boule dans la gorge. Mots martelés dans le crâne depuis un mois. My fault. Stupid.

Tu la provoques un peu, pour savoir s'il y a encore de la vie en la pâle silhouette, brasier éteint malgré les flammes de sa chevelure, et le claquement de langue agacé te rassure. T'as le don de savoir quoi dire aux gens pour produire l'effet escompté, t'es pas devenue diplomate sans crier gare. L'habileté dans les négociations, et la provocation dirigée est une forme de charme, de séduction en soi. La rouquine n'y échappe pas, bien qu'il y ait une attitude de chevalier servant aiguisé en toi lorsque vient le temps d'interagir avec celle qui est devenue une amie improbable pour toi. Par loyauté, par entêtement acharné mais aussi parce qu'il y a quelque chose dans son innocence qui t'a attirée vers son âme, si diablement différente de la tienne. Installée face à elle, tu demandes avec une sollicitude non feinte « Are you doing anything? Or are you letting yourself slowly fade? » Son regard éteint, triste, te fend le cœur - mais t'es pas du genre à t'apitoyer sur le sort de qui que ce soit, même pas le tien.

« I'm going back to work. I'm trying. I couldn't go today. » L’eau glissée dans le regard océan, et le ciel de tes prunelles veut en éteindre la pluie, les torrents, avant qu’ils ne se glissent sur la peau trop pâle de ses joues. Avec innocence, tu demandes « because of the full moon? » comme si tu ne les suivais pas toi-même à la lettre, les lunes pleines, ton premier amour nacré. Qu’est-ce qu’une diplomate (semi) respectable, pirate (très) redoutable comme toi aurait à faire des phases lunaires, après tout, sauf pour s’intéresser aux marées? « He shouldn't be there. It's all my fault. » Le soupir, et ça te donne envie de la serrer dans tes bras, la petite créature, comme s’il s’agissait d’un enfant apeuré. Mais Murphy a beau accepter le contact tactile de tes doigts, tu as toujours limité les occasions de doute, celles qui pourraient éveiller des soupçons au sujet de la chaleur de ta peau. Mine curieuse, un peu amusée aux lèvres, tu hausses les sourcils. « Are you a criminal by night, Ginger? If you are I’ve got a list of people who might need a beating », plaisantes-tu alors que votre deuxième rencontre s'est tenue précisément après que tu aies toi-même rompu des os. Même si elle ne te trouve pas drôle. Même si elle ne rit pas. Tant pis, elle a besoin d’être bousculée, mais la curiosité l’emporte, et tu lui glisses un regard inquisiteur. « How is any of this your fault? » Oz s’est fait attraper comme un idiot grand, morceaux du puzzle que tu ne vois pas dans leur entièreté. T’as des contacts partout au Ministère … sauf dans l’unité de capture, t’es pas stupide non plus.

"I'm going back to work. I'm trying. I couldn't go today." La vérité au fond des prunelles, l'envie de lui montrer que j'essaie, que je ne suis pas juste une coquille vide. La direction de l'hôpital avait été compréhensive avec moi, mais leur patience n'est pas élastique indéfiniment, je le sais. L'innocence sur les traits de l'Ukrainienne, qui jurent absolument avec son allure habituelle. "Because of the full moon?" Boule dans la gorge qui m’empêche de répondre, je hoche la tête difficilement. "Couldn't sleep." Murmure écorché, larmes qui menacent encore de couler.

Culpabilité qui pèse toujours plus fort sur mes épaules, qui sait si elle finira par s'envoler ? "He shouldn't be there. It's all my fault." La pirate doit sentir que je suis sur le point de craquer, compte-tenu de sa réponse. "Are you a criminal by night, Ginger? If you are I’ve got a list of people who might need a beating." Agacée une nouvelle fois par Lubia, je fronce les sourcils. "Stop this. It's not funny." Seul Oswald avait le pouvoir de me faire oublier les choses qui m'importunaient en une blague nulle. Riley a pris le flambeau, ou tout du moins, il essaie. Et il semblerait que Lubia fasse de même. But none of them are him. Ne semblant pas s'offusquer de mon irritabilité, elle continue à me questionner. "How is any of this your fault?" Haussant les épaules, je prends une gorgée de thé. Qu'est-ce que je risque à lui révéler ? Si j'ai été acquittée par le Magenmagot, c'est que le Fidelitas fonctionne. Elle ne pourra pas aller me dénoncer à l'unité de capture.

Alors je raconte. "He was under surveillance after a full-moon night." Les souvenirs confus du lendemain de la pleine lune de mai refont surface, son regard paniqué, la peur floutant les contours de son visage. "It was believed he attacked someone." Pour le moment, je ne sais qu'énoncer des faits connus par tous ceux qui ont suivi l'affaire. Baissant les yeux pour ne pas observer sa réaction, je continue dans un souffle. "That's because I screwed up the wolfsbane." Perle salée qui roule sur ma joue, finissant sa course dans ma tasse de thé. La porcelaine hâtivement portée aux lèvres pour taire toutes ces pensées qui me rongent l'esprit depuis des mois. If I hadn't wanted to get involved, none of this would've happened. If I hadn't screwed up the potion, he wouldn't have been under surveillance. If I hadn't been injured in the undergrounds, he wouldn't have come back into my life and would still be safe. If I had got his letter, he wouldn't have been bitten to begin with.
Everything is my fault.