Le vent était frais ce matin. Sûrement moins pour les autres que pour moi, petite frileuse que j'étais qui luttais contre le froid environnant qui s'installait lentement mais sûrement. Bien au chaud dans mes vêtements, bonnet sur la tête, cette dernière enfoncée dans mes épaules, j'attendais au début de l'allée, scrutant la venue du Lufkin.
J'avais donné rendez-vous à Erwin aujourd'hui pour lui présenter les travaux que j'effectuais à la serre en lien avec la dragonologie. Le jeune garçon m'aidait beaucoup, ses grandes connaissances en botanique n'étaient pas à négliger, et même si j'étais moi aussi à l'aise avec cette matière, j'étais loin de tout savoir. Nous avions une certaine complémentarité dans nos compétences, et j'appréciais grandement pouvoir travailler avec lui et mettre à profit nos connaissances. De plus, c'était un garçon en qui je me reconnaissais un peu, silencieux et méfiant. En bref, sa compagnie m'était très agréable.

Regard sombre perdu dans la rangée d'arbre qui longeait la route, je me laissais aller à observer les variations de couleurs chaudes que les feuilles adoptaient. De jaune et d'orange, passant au rouge, avant de se détacher et de se laisser planer dans les airs, subissant les caprices du vent. C'était une nostalgie qui m'avait toujours beaucoup empoigné le cœur, sans compter les divers mélanges d'odeurs qui ravivaient mon être malmené par les variations de températures.
Pas en forme depuis quelques jours, j'avais échappé à la vigilance de ma compagne pour venir ici. Non seulement elle essayait de prendre soin de moi en me cantonnant au lit, mais savoir que j'étais venue ici l'aurait énervée. Je savais très bien son ressenti lorsque j'évoquais la ferme ou les Bird. Sentiment que je comprenais aujourd'hui parfaitement bien, moi qui en était aussi victime. Toutefois, elle ne pouvait pas m'empêcher de travailler, car c'était ce que j'allais faire aujourd'hui, et elle ne pouvait pas non plus m'empêcher de vivre. Je connaissais mes limites, et pour guérir j'avais besoin aussi de bouger, de voir du paysage, de me reconnecter avec ce qui faisait de moi un tout : mes passions, les dragons et la nature. Et ça, elle le comprendrait mieux que quiconque.

Reniflant un peu, je sortais un mouchoir afin de me soulager tout en soupirant. Quel chiotte d'être moi tout de même… Heureusement je n'étais pas en terrain inconnu, et je savais que si j'avais besoin d'un remède, j'étais ici dans l'endroit idéal, surtout avec Susan. La parfaite grand-mère que je n'avais jamais eue.
Petit sourire à cette pensée pleine d'amour pour la vieille femme, je me redressais un peu tandis que je croyais deviner la silhouette du garçon que j'attendais. Rassérénée qu'il ait trouvé l'adresse, je l'accueillais avec un sourire amical.

- Bonjour Erwin comment vas-tu ? Tu as trouvé facilement ?

Je souriais tranquillement à la venue d'Erwin. Sa présence ici m'était agréable, comme pour tout ce qui se passait dans la ferme. Je n'avais guère de souvenir déplaisant ici, et c'était parfait ainsi. Cet endroit avait quelque chose magique, bien au-delà de la sorcellerie que nous connaissions. Il y avait un je ne sais quoi de mystique qui faisait que toujours l'ambiance était calme, sereine, tout le moins, c'était l'effet que ça avait sur moi. Le lieu était protégé par divers sortilèges, mais apparemment, aussi par quelque chose le protégeant pour le moment du mauvais œil. Reniflant un coup, puisque j'étais malade, je répondais au Lufkin avec simplicité après avoir caressé son chien d'une main experte et attendrie. Par moment, je me disais qu'il fallait que j'emmène Rufus ici… mais sans l'autorisation de ma compagne, je n'osais guère le faire.

- Oui la campagne ici est sereine et très peu exploitée, c'est particulièrement plaisant et reposant. Je vais bien, je te remercie. Un peu malade, mais bon, je suis habituée.

Laissant le jeune homme donner ses instructions à son chien, je gardais un sourire qui ne fit que s'élargir lorsque le petit animal s'en alla gambader dans la propriété. Les mains dans les poches, l'air apaisée, je secouais tranquillement la tête en direction d'Erwin avant de lui répondre.

- Non, on ne risque pas de rencontrer un dragon ne t'en fait pas, et il peut aller où bon lui semble, tant qu'il ne dérange pas les autres animaux de la ferme. Les poules et les chats notamment, puisqu'ils peuvent aller partout sur le domaine. Et ce serait bien qu'il évite de rentrer dans la maison, sinon Susan, la propriétaire des lieux, risque de ne pas être très contente.

Je gloussais un peu, amusée, avant de faire signe au jeune homme de me suivre. Marchant tranquillement jusque dans la cour je m'arrêtais au centre de celle-ci.

- Donc, bienvenue à la ferme des Oiseaux. La famille Bird est établie ici depuis de nombreuses années. Levius est producteur de plantes magiques, nous faisons ici pousser de nombreuses espèces végétales. Il y a aussi quelques animaux et créatures magiques. Je n'ai pas besoin de te faire un discours sur la biodiversité.

D'un coup d'œil amusé, je le regardais avant de m'avancer pour contourner la maison en brique, passant devant l'étable. Ici, l'ambiance était véritablement différente, comme un havre de paix. Malgré la saison froide, les poules se promenaient en toute liberté dehors. Dans les prés, les chevaux paissaient sereinement, le petit poulain gambadant non loin de sa mère. Les feuilles mortes, jaunes, rouges et oranges, recouvraient les gravillons des chemins ainsi que l'herbe des jardins, rajoutant cette touche poétique typique de la saison. Le potager n'était plus aussi resplendissant que durant le printemps et l'été, mais il restait parfaitement entretenu.
Passant devant ce dernier sans m'arrêter, je guidais Erwin jusqu'à la serre. Bâtisse verte à la taille étrangement quelconque au toit arqué, je m'arrêtais devant la porte de celle-ci, observant le cadran qui y était accroché. Le garçon pouvait observer alors qu'il était séparé en quatre, chaque partie portant un nom spécifique. Aride, tropical, tundra et méditerranéen.
Sortant mes mains de mes poches, je tournais le cadran sur tropical avant d'ouvrir la porte, invitant alors le jeune homme à entrer avant moi.
Une fois à l'intérieur, je refermais la porte et laissais Erwin découvrir les lieux, petit sourire aux coins des lèvres. Ici, tout était bien plus grand que ce que laissait croire l'apparence extérieure de la serre. Le chant de certains oiseaux tropicaux se faisait entendre, rajoutant à l'atmosphère un fond de vérité, comme si nous étions véritablement dans une forêt tropicale. Pourtant, toute la végétation était parfaitement organisée, et il y avait une quantité impressionnante d'espèces différentes. Des arbres, des buissons, des fleurs, et même des champignons. Certains d'ailleurs se tournèrent dans notre direction à notre approche, comme s'ils pouvaient nous voir.
Retirant ma veste et l'accrochant au crochet prévu à cet effet juste à côté de l'entrée, je commentais, tout en libérant ma tête de mon bonnet.

- Bienvenue dans la partie tropicale de la serre. C'est ici que je fais mes recherches pour les amphiptères quand je ne suis pas sur place.

D'un signe de tête qui se voulait rassurant, je signifiais à Erwin que oui, je me sentirais vite mieux. Je n'étais pas du genre à m'étaler sur ma santé, je n'aimais pas spécialement en parler. Ceux qui savaient devaient savoir, fin de l'histoire. J'étais malade présentement et c'était tant pis, un gros rhume comme peut l'attraper n'importe qui durant l'hiver. Entrainant le Lufkin avec moi jusqu'à la serre, je lui signifiais que tout était parfait à propos de son chien tant qu'il n'allait pas embêter les autres animaux de la ferme. Ici, tout n'était qu'harmonie, et nous n'aimions guère les troubles fêtes. Cela dit, j'avais pleinement confiance en le jeune garçon pour rappeler à l'ordre son chien si problème il devait y avoir. Je connaissais un peu le petit canidé à présent, et je savais qu'il ne ferait pas de mal à une mouche.

C'était pourquoi, sans perdre ma bonne humeur, je menais les deux compères jusqu'à la serre sans poser davantage de conditions et de questions. Je savais que les lieux allaient plaire à Erwin et qu'ils trouveraient tout le respect dont ils avaient besoin. Le garçon était de ces passionnés qui pouvaient être mis dans la confidence, un lieu particulièrement magique et enchanteresse.
Je ne fus donc pas étonnée en voyant les étoiles se former dans ses yeux, et la réaction du petit chien m'arracha un léger sourire. Doux souvenir qu'était l'Amazonie pour eux, j'étais bien heureuse de pouvoir leur refaire vivre ça aujourd'hui. Et ils n'étaient qu'au début de la visite. Mains jointes dans le dos alors que je déambulais tranquillement sur le chemin parmi d'énormes et imposantes feuilles vertes, je répondais aux questions du visiteur avec simplicité et légèreté.

- Oui, les quatre biomes de la serre donnent chacun un environnement particulier pour les espèces florales. Comme tu peux le voir, il y a aussi quelques animaux, surtout des insectes, afin d'aider à la biodiversité. C'est primordial pour avoir des spécimens de bonne qualité.

Si Erwin c'était convenablement renseigné, il savait que la famille Bird avait un nom dans le monde de la botanique, et ce n'était pas un hasard. Charles, le grand-père de Levius, avait beaucoup travaillé pour arriver à un tel résultat, et son petit-fils mettait du cœur à l'ouvrage. Le travail et l'amour qui était fourni ici se voyait et se ressentait sans le moindre doute. Avec un petit sourire en coin, je regardais le jeune homme avant de poursuivre.

- C'est en partie pour ça que je t'ai fait venir aujourd'hui. Oui, nous avons progressé dans nos recherches, et je voulais te montrer ce qu'il en était. Peut-être que tu pourras encore m'aider à avancer.

Petit clin d'œil complice, je continuais à marcher tranquillement et sereinement pour emmener le visiteur jusqu'au fond de la serre, slalomant entre les diverses plantes et végétaux qui étaient exposés ici. Il y avait de tout, aussi bien des espèces magiques que certaines qui ne l'étaient pas. Sans doute était-ce un écosystème fragile et complexe. Arrivé au bout de la serre, Erwin pouvait apercevoir diverses étagères où était entreposé tout le matériel nécessaire à l'entretien de l'endroit. Il y avait aussi, au sol dans de la terre, de jeunes plantations, avec diverses étiquettes. Certaines étaient reconnaissables facilement, d'autres beaucoup moins. J'emmenais le Lufkin jusqu'à l'une des tables où étaient posés divers bocaux. Attrapant le plus gros, remplit d'eau, à première vue, je le poussais dans sa direction, en prononçant un simple mot. J'étais curieuse de savoir s'il allait le connaître ou non.

- Schistosomes