It's making me tense when you're telling me
It's just the facts that don't compute the classic way
I guess I'm wrong again anyway

Lundi 4 mai, 3h30
@lorcan tamaharu

Le festival des fiertés d'Hungcalf a été... une fierté pour moi. C'est la première fois que j'organise un événement de cette envergure avec mon association, et j'étais énormément stressée à faire en sorte que tout se passe bien, durant toute la durée du festival. Débats, conférences, témoignages, concerts, il a fallu tout articuler, et aussi s'assurer que le stand de vente de cookies, bonbons, et autres goodies de l'AECES soit toujours bien rempli, pour faire venir les consommateurs. Le fait de devoir garder mon pouvoir activé pour attirer le plus de monde possible m'a fatiguée, et j'ai raté au moins dix cours magistraux et TD différents durant toute la durée du festival. Mais ce soir, c'est fini. Un concert a été organisé, plusieurs groupes et musiciens se suivent sur scène pour fêter la fin de cet événement, les étudiants s'amassent dans le public pour s'amuser, danser, célébrer leur diversité. J'ai bien essayé de faire venir le groupe sorcier australien King Gizzard and the Wizard Lizard, qui fonctionne très bien chez les moldus, mais ils étaient déjà pris autre part, en plus de demander une commission beaucoup trop importante pour notre porte-feuille d'asso étudiante.

Installée derrière mon stand, que je refuse de ranger avant la fin du concert (on sait jamais qu'un étudiant ait une petite fringale, Morgane sait à quel point les gens saouls ont faim), je ne sais pas trop quoi faire. Mon corps alterne entre s'asseoir par terre, devant le stand, profitant de l'ambiance, et me lever, bougeant doucement au rythme de la musique. Si je n'avais pas une si grande importance dans l'événement, je serais au milieu de la fosse, à me déhancher, ondulant entre les corps, mes vêtements holographiques brillant sous la toison lumineuse du grand cerisier, des pétales illuminant ma chevelure surnaturellement dorée. Mais mon rôle de présidente m'impose de bien me comporter, de ne pas me laisser aller, frustrant un peu plus mon humeur en dents de scie des dernières semaines.

Assise une nouvelle fois devant mon stand, je repose mon dos contre la structure en bois. L'organisation de ce festival m'a épuisée mentalement, mais en même temps, il proposait une parenthèse bienvenue dans le flot des pensées chaotiques de mon esprit depuis des mois. Une parenthèse bienvenue pour l'organisation et l'animation, mais qui comportait aussi son lot de remises en question, surtout par rapport à ma nature. Le fait d'observer des jeunes sorcières assumer leur nature de semi-vélane, leur charme et leur pouvoir a remué en moi des questions qui n'étaient pas forcément bienvenues dans ma tête. Soupirant, je ferme les yeux quelques secondes et lève le menton vers les branches du cerisier, calant l'arrière de mon crâne contre le stand. Une gorgée de bière plus tard, j'ouvre à nouveau les yeux, observant les traits de Loki qui s'approche de moi. Un petit sourire mi-triste, mi-fatigué et mi-attendri se dessine sur mes lèvres. "Salut Loki, tu t'amuses bien ?"

Les stroboscopes écorchent ma vue, qui n'est déjà pas au top de sa forme avec la fatigue. Plissant les yeux en direction du Wright, je tends le bras pour trinquer avec lui, bouteilles de verre se cognant un peu trop fort, mais pas assez pour créer un accident. "Salut Aphro. C’est pas mal, même si le Dj commence à fatiguer un peu, j’crois qu’il va pas tarder à proposer les slows, façon 80’s. Cela dit, j’crois qu’il y en a qui attendent que ça." Mon regard se pose sur quelques couples un peu trop proches, en proie à des pulsions pas très chastes, et mon sourire s'évanouit immédiatement. Mon ton se fait cynique. "Ils ont intérêt à pas baiser sur l'herbe, sinon je les tue sur place." Bon, mes talents en magie de duel ne sont pas les meilleurs, mais c'est le sentiment qui compte. Et là, maintenant, mes sentiments malgré tout emmêlés, se teintent du vert de la jalousie et du faible rouge de l'agacement. Comment osent-ils s'exhiber comme ça, devant mon coeur brisé, qui semble ne pas vouloir se réparer ?

Mon regard se détache des étudiants en transe pour se poser vaguement sur le corps de Loki, qui s'installe à mes côtés. Anormalement muette, je préfère prendre une nouvelle gorgée de bière que de faire la conversation. Je ne sais pas de quoi je veux parler, et je suis persuadée que ce n'est pas dans mon état de fatigue (et d'ébriété) que je vais réussir à formuler des phrases cohérentes. Alors je fixe l'herbe, en arrachant quelques brins. "Et toi, pourquoi t’es pas encore au lit, après cette journée de ouf ? Me dis pas qu’en plus de ça, t’es obligée de ranger ? La fac a pas des Elfes de maisons pour ça ?" Fronçant les sourcils, je me redresse vivement. "Les elfes de maison ont bien assez de travail comme ça." La pique s'évanouit cependant rapidement, étant bien trop fatiguée pour argumenter, surtout contre ce grand dadet chez qui les informations rentrent par une oreille et ressortent instantanément par l'autre. Baissant à nouveau les yeux et les épaules, je recommence à arracher des brins d'herbe. "J'dois rester jusqu'à la fin pour m'assurer que tout se passe bien. C'est comme ça, quand on a des responsabilités." Haussement d'épaules, mais regard appuyé. Je prends ces responsabilités à coeur, bien trop peut-être. Observant la scène d'où un DJ s'agite, je reste silencieuse quelques instants. "Les gens ont l'air de s'être amusés, tu trouves pas ?" Ou comment demander silencieusement un morceau de reconnaissance, de fierté, de validation de mon travail des dernières semaines.

La musique qui tambourine dans mes tympans va un peu trop fort. Les jeux de lumière qui s’écrasent contre ma rétine vont un peu trop fort. L’alcool de la bière que je suis en train de boire et qui coule dans mes veines va un peu trop fort. Ce soir, je suis dans un état de fatigue tel que je sature un peu trop vite. C’est ça d’être l’organisatrice, ça prend énormément d’énergie et après on n’assume pas. Je n’ai pas bu beaucoup de bières, pourtant. C’est peut-être ma troisième de la soirée, mais putain ce que je la sens passer. J’ai l’impression que ma tête va exploser et je ferme doucement les yeux, appuyant l’arrière de mon crâne contre le stand de mon asso. Mauvaise idée, puisque les basses de la musique me parviennent encore plus fortement qu’avant. Et surtout, mes efforts sont réduits à néant par la voix bien trop forte de mon ami, destinée à un couple de galocheurs non loin de nous. Ouvrant vivement les yeux face à l’agression de mes tympans, je m’éloigne un peu de Loki, penchant sur la gauche. Puis, le sens de ses paroles finit d’arriver dans mon crâne, et je comprends un peu mieux ce qui se passe en face de nous. Fronçant les sourcils, je lui envoie une œillade incertaine, tandis que le Wright avait déjà oublié l’offense suite à son « you’re welcome, baby ».

Pour marquer encore plus son soudain désintérêt de la situation, il sort ce qui ressemble à une clope. « T’en veux une, ou tu préfères un jux détox à la goyave et aux épinards ? » Réfléchissant, je pose le regard sur le cylindre. En soirée normale, je peux me laisser tenter par la fumette, mais mon état de fatigue et d’ébriété m’indique que ce n’est pas une bonne idée. Fronçant l’arrête du nez, je hoche négativement de la tête. « Pas ce soir, merci. » Reprenant ma position initiale maintenant qu’il a arrêté de gueuler, je regarde à nouveau l’étendue d’herbe où se trouvaient le couple incriminé il y a quelques instants. « Comment t’as su pour Ramirez ? Tu sais lire dans les pensées des gens, toi ? » Cette faculté me semble tellement éloignée du caractère de Lorcan, peut-être à cause du fait que la seule personne que je connaisse qui apprenne la légilimencie est mon ex, et qu’il ne pouvait pas être plus opposé au Tamaharu. Cependant, ça suffit pour allumer une alarme dans mon crâne. Elle est faible, étouffée par la fatigue et le taux d’alcool dans mon sang, mais elle est bel et bien là.

A côté de la plaque, je suis complètement à côté de la plaque. Non, je me trompe, et ce n'est pas possible autrement. Loki ne peut pas être légilimens. Tout simplement car il n'a pas d'handicap social, comme Finn. Il me l'a bien expliqué, le Fraser, pourquoi il avait appris cette faculté, et pourquoi il me l'avait cachée, contrairement à moi qui lui avais dit la vérité sur ma nature. L'utilisation comme une béquille, pour mieux comprendre le monde. Bullshit. Intrusion dans la tête des gens, violation de vie privé, voilà ce que c'est ! Mais Loki, il n'a pas besoin de lire dans les pensées des gens pour les comprendre, c'est un social butterfly, il butine de groupe en groupe, il connait tous les ragots, il sait tirer les vers du nez de n'importe qui, tout en se foutant ouvertement de sa gueule. Alors non, c'est pas possible. "P’t’être bien ouais. Ou alors j’ai du lire ça dans le Chineur. Ou alors c’est Ymkje qui me l’a dit au déj. Tant de possibilités, impossible de me souvenir de laquelle est la bonne…" Il a beau vouloir se payer ma tête, je comprends où il veut en venir. Eternel bavard, il a utilisé cent mots et trente secondes pour repousser mes soupçons, mais on ne le refera pas. Choisissant d'accepter cette explication, je hoche brièvement la tête.

Lui lançant un regard en biais, je remarque que lui ne me quitte pas des yeux. Troublée, je l'observe, silencieuse, l'atmosphère vaporeuse de l'éthanol me faisant baisser la garde. Depuis ma rupture avec Finnick, j'évite les contacts visuels prolongés, craignant qu'une autre personne tente de lire dans le livre ouvert de mon esprit et de me mettre en danger. Mais ce soir, j'ai la tête qui tangue doucement, j'ai les paupières lourdes de fatigue et j'ai les neurones ankylosées. "Sans vouloir te vexer, Aphro t’as une mine affreuse. Tu veux pas qu’on aille prendre l’air cinq minutes dans un endroit plus calme ? J’crois bien que c’est de ça dont t’as besoin, d’air, et avec tous ces charlots autour, je suis pas sur que ce soit une bonne idée de rester là." Les yeux mi-clos, j'étudie la proposition du Wright. J'ai toujours été entre de bonnes mains avec Loki, non ? Il est peut-être un peu con mais il n'est pas méchant. Et puis, je crois bien que m'éloigner du vacarme apaisera mes oreilles. Prévenant, il propose une deuxième option, signe que je n'ai rien à craindre. "Après, c’est p’têtre bien moi qui te pompe l’air ahaha, je peux m’en aller aussi, s’tu veux, j’comprendrais. Je pleurerai un peu, mais je t’aimerai toujours."

Je t'aimerai toujours.

Clignant des paupières pendant un instant, je jauge le brun du regard, ne sachant pas si je dois être méfiante ou confiante. M'aimera-t-il toujours ? Est-ce possible d'aimer quelqu'un toujours ? Jusqu'à la fin de la vie ? Est-ce qu'il est sincère, ou bien dit-il juste ça pour me cajoler ? M'aimerait-il encore s'il savait que je n'étais pas vraiment humaine ? D'ailleurs, est-ce qu'il m'aime vraiment, ou bien est-ce la conséquence de mon charme, que je n'arrive pas à contrôler ?

Je t'aimerai toujours.

Choisissant de taire toutes ces questions, je hoche doucement la tête, me redressant. J'ai quelques difficultés à tenir sur mes pieds, douloureux d'être restée debout trop longtemps, mais je finis par me tenir droite sur mes deux jambes, suivant le jeune homme. Cependant, au dessus des basses de la musique, au dessus des bribes de conversations alcoolisées des autres étudiants, ses derniers mots résonnent dans mon crâne. Après quelques secondes (ou minutes, ou heure ? je n'ai plus la notion du temps) de marche, je m'arrête brusquement, attendant que le brun se retourne vers moi. "Tu m'aimeras vraiment toujours ?" Sourcils froncés, voix craintive, besoin d'être rassurée.

"Oui. T’auras toujours une place spéciale dans mon coeur Aphro, ça pourra jamais changer." Loki ne saura jamais à quel point j'avais besoin d'entendre ces mots, ce soir. Les mots s'infiltrent dans mon cerveau, s'incrustent dans mes veines et voyagent jusqu'à mon coeur, recollant certaines parois, amochées depuis longtemps. La colle ne durera pas, c'est certain, mais pour ce soir, elle fera l'affaire. Trop amorphe pour réagir aux mouvements du garçon, je le laisse m'enlacer, fermant les yeux en sentant son menton sur mon crâne. "Faut que j’aille péter la gueule de quelqu’un, pour lui faire passer l’envie de te mettre des idées pareilles dans la tête ? Parce que j’suis hyper chaud si il faut." Les penchants chevaleresques du Wright m'arrachent un soupir fatigué, exaspéré, désespéré. Les paupières toujours fermées, je me laisse entraîner par le doux vertige, mélange d'alcool et de fatigue. Ma tête se repose sur son épaule, se faisant un peu lourde. "C'est la faute de personne. Ya pas besoin de frapper quelqu'un. J'suis juste... Fatiguée." Le dernier mot sort dans un soupir et je me retiens de peu de tomber contre Loki, me redressant en ouvrant les yeux.

Reprenant un peu mes esprits, je m'éloigne doucement du brun. Une main vient se poser sur le haut de mon front, repoussant quelques mèches blondes. "Pfff, c'est bien la première fois que je regrette de plus vivre à la fac. J'peux pas vraiment transplaner jusque chez moi dans cet état." Les rouages rouillés de mon cerveau ont du mal à réfléchir, mais il faut bien que je trouve un moyen de rentrer chez moi. "Et Pina est déjà rentrée depuis des heures... Elle aime pas ce genre de fêtes." Et Poppy a Romy, et Elsie est... j'ai aucune idée d'où elle est. De toute façon, c'est pas comme si mes colocataires allaient se plier en quatre pour m'aider à rentrer chez moi à cette heure de la nuit. Surtout quand les cours commencent dans quatre heures. "Ou sinon je peux aller dormir dans la salle d'histoire pour être à l'heure au cours demain matin. Enfin, tout à l'heure." Soupirant, je lance un regard hagard à mon acolyte. "T'en penses quoi, toi ?"

Découragée d'avance à l'idée d'avoir cours d'histoire dans à peine quatre heures, crevée par l'organisation de deux semaines de festival, je sens mon esprit s'emballer dans la tornade de la panique, effrayée à l'idée d'avoir séché trop de cours pour valider mon année, angoissée par la quantité d'informations que je vais devoir rattraper en vue des examens, j'ai les idées qui s'enflamment et la fatigue n'aide en rien à relativiser les choses. Heureusement, j'ai trouvé le meilleur acolyte pour m'aider à oublier le travail académique, j'ai nommé Loki. Ou plutôt, c'est lui qui m'a trouvée. Et intérieurement, je le remercie d'être venu me voir, car sans lui, je ne sais pas comment j'aurais terminé la soirée. Probablement en tombant de fatigue dans la grande salle après avoir aidé au démontage de la scène et des différents stands.

"A tout prendre, je te conseillerai quand même le grenier, c’est plus discret, et il y a toujours un ou deux poufs qui trainent, par contre niveau hygiène, faut pas trop y penser. Par contre, j’habite littéralement à cinq minutes. Depuis qu’Lys joue les amoureuses des ténêbres avec son Blackthorn flippant, elle est quasiment plus jamais là, j’ai donc pas une, mais deux chambres d’amis de dispo à l’appart, en plus du terrier artificiel de José. Et au moins, au réveil, t’auras accès à une douche et à des coco pops." Rassurée par la grande main du Wright qui tient la mienne, et attirée par les mots doux qui résonnent d'une manière très agréable à mon oreille, je laisse mon esprit divaguer. Est-ce qu'il serait acceptable que j'aille dormir chez lui, que je passe une bonne nuit, que je sèche le cours d'histoire et que je prenne un petit déjeuner acceptable, avant de retourner en cours pour l'après-midi ? En tout cas, c'est une proposition alléchante. "Bien sur si t’as pas envie de dormir toute seule, j’peux partager mon lit, mais j’ai tendance à piquer toute la couette, héhé …" Un peu trop fatiguée (ou saoule) pour réfléchir, je réponds machinalement. "D'accord." Dormir avec Loki, une bonne idée ? Après tout, il est grand, il est gentil, il est doux, et il est très intéressant là, tout de suite. Au moins un sur qui je peux compter. Et de toute façon il est trop gentil pour tenter quoi que ce soit, non ?

Peut-être pour être sûr de ma réponse, ou pour me laisser un moyen de changer d'avis, il me propose une porte de sortie. "Si tu veux pas, j’attends un taxi avec toi. Mais je te laisserai jamais tomber. Ok ?" Souriant doucement, les yeux tombant de fatigue, je secoue lentement la tête. "Non, je te suis. Ca a l'air cool les Coco Pops." Et sur le chemin de son immeuble, après un silence assez long pour que la pensée tourne et tourne dans mon esprit assez de fois pour me pousser à la dire à voix haute, ma voix s'élève à nouveau dans la nuit. "T'es vraiment super, Loki. Je t'aimerai toujours, moi aussi."