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Flâneries | Edenael
Lun 3 Aoû 2020 - 9:23
Les filaments d’or caressent le vent. Une jambe, une deuxième. Puis de nouveau la première. Pattes folles remuant inlassablement le long du mur aux rebords de la fenêtre puisant une maigre énergie effacée par les volutes de fumée s’en allant inexorablement rejoindre le ciel. La fraîcheur matinale met le cœur en éveil là où les orteils dénudés remuent pour lutter contre un froid mordant à leur égard. Pas de plume, pas de manuscrit. Seulement les songes. Le bilan d’une année étrangement silencieuse, tiraillée entre les heures de cours et la recherche inlassable pour venir à bout de cette thèse entrepris l’année passée.
Et maintenant ? Qu’est-ce que tu désires entreprendre, Eden ? Au bout des doigts, le cylindre adroitement roulé se consume en venant de temps à autres chatouiller mes poumons. Le rouge du bout de mes ongles ne s’accorde que maladroitement à un haut blanc d’été et un short rayé, trahissant un manque de motivation, probablement à entretenir ce corps. Pourtant un regard et un peu de concentration suffirait, mais ce n’était pas dans l’immédiat. Préoccupée. Minée. La planification de quelques semaines de retraites sur d’autres continents pour célébrer les vacances me laissait en bouche un goût amer. Je n’avais jamais été tant casanière qu’aujourd’hui.
Dilemme d’enfant, peut-être. M’enfermer quelques temps pour revoir mon touché musical était envisageable, sans pour autant entrer dans le champ des possibles. Bouger, faire, trouver de nouveaux objectifs… Je soufflais du nez en secouant lentement la tête. Les pupilles légèrement dilatées des effets du cannabis, si l’inspiration à la créativité se montrait, je ne pouvais pas pour autant la laisser m’animer si longtemps. Non… Je dois revoir mes objectifs sur le court terme. Et si animer, discuter, débattre, transmettre dans une salle de classe n’est qu’un exercice, il serait mentir de me targuer d’extravertie. J’aime plus que tout la tranquillité, le quotidien et la routine…
Soit. Tirant une grande bouffée, je déposais l’objet roulé à la main encore fumant sur le cendrier pour me redresser et traverser la pièce, mes pas faisant jouer la douce sonorité du vieux parquet, attrapant mon téléphone pour monter le volume de la musique traversant mes écouteurs. C’est la douce voix de Tori Amos qui se manifestait comme un signe du destin, tapotant le rythme sur ma cuisse en évoluant aux abords de la pièce pour gagner les couloirs. Il est tôt. C’est l’été. C’est calme. Tant mieux.
L’odeur de gel douche et de shampoing trahissait une douche récente, j’avais tendance à appréhender la matinée plus tôt l’été. Mes séances de sport aux aurores ont changé d’aspect depuis la présence de Malah, la jeune border colie que nous avons adopté l’année passée. Elle grandit à une vitesse… La rougeur attaque mes pieds en foulant les pierres froides, sans que mon esprit ne semble s’en soucier réellement, j’ai toujours eu plus de facilité à supporter la fraîcheur que la chaleur, les multiples surveillances et perquisitions nocturnes ou matinales en ont dessiné les contours, jusqu’à ce que l’engourdissement de mes muscles devienne une formalité banale. L’âge en revanche, trahissait une sensibilité agaçante ne contrastant que trop avec une apparence ne dépassant guère la trentaine.
Battement de cil, cette promenade inhabituelle a cette heure avait bien des effets inhabituels. Un visage, connu, s’activant au matin. Un élève ? J’ai souvenir de l’avoir déjà rencontré en cours. Effort intellectuel pour remettre les bons éléments en mémoire, je resituais dans l’espace le lieu où il s’asseyait, ses habitudes, ses prises de paroles, peut-être rares et maladroites. Il n’était pas constamment présent, mais faisaient partis de ceux dont la présence en cours était un choix. C’était certain. Agrippant mes écouteurs pour les faire passer autour de mon cou, je me fustigeais intérieurement d’avoir coupé le moment du solo de piano qui me plait tant, mais soit. Je le réécouterai plus tard.
Feuillets oubliés, les souvenirs remontent. Le dernière cours de l’année encore si soit-il fallut, le hasard fait bien les choses, ils sont encore dans mon bureau, précieusement conservés malgré un regard maladroit. Des thématiques trônant à la physique, noble matière scientifique moldue que j’ai appréhendé tant sur le plan magique que dans ma formation personnelle en tant que guerrière. Comprendre le monde qui nous entoure, c’est pouvoir exercer un contrôle dessus.
« If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds’ worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And—which is more—you’ll be a Man, my son! »
« Nathanael. Vous êtes un homme surprenant, je ne m’attendais nullement à vous trouver ici en la saison estivale. Vous… Avez omis quelques documents lors de mon dernier cours, je les ai conservés en attendant la rentrée, ils sont dans mon bureau. Je vous offre une boisson chaude ? Ca sera l’occasion pour vous de les récupérer et pour nous de casser la monotonie des couloirs plus occupé par les fantômes que les vivants en ces temps de fête. »
Froide, peut-être ? Je ne forçais pas le sourire. Je n’en avais pas le cœur, il est encore tôt et la mise en route est longue aujourd’hui, en trahisse les légères rougeurs à mes yeux, des pupilles encore trop dilatées, un accoutrement encore trop proche du pyjama, bien que je ne sois pas de celles dont la tenue soit une quelconque forme de pouvoir, mais plus un atout de confort, d’où mes pieds nus, probablement inapproprié pour le plus grand nombre. Mais tant en le corps universitaire qu’en mes étudiants, c’est finalement entré dans une forme de normalité.
Et maintenant ? Qu’est-ce que tu désires entreprendre, Eden ? Au bout des doigts, le cylindre adroitement roulé se consume en venant de temps à autres chatouiller mes poumons. Le rouge du bout de mes ongles ne s’accorde que maladroitement à un haut blanc d’été et un short rayé, trahissant un manque de motivation, probablement à entretenir ce corps. Pourtant un regard et un peu de concentration suffirait, mais ce n’était pas dans l’immédiat. Préoccupée. Minée. La planification de quelques semaines de retraites sur d’autres continents pour célébrer les vacances me laissait en bouche un goût amer. Je n’avais jamais été tant casanière qu’aujourd’hui.
Dilemme d’enfant, peut-être. M’enfermer quelques temps pour revoir mon touché musical était envisageable, sans pour autant entrer dans le champ des possibles. Bouger, faire, trouver de nouveaux objectifs… Je soufflais du nez en secouant lentement la tête. Les pupilles légèrement dilatées des effets du cannabis, si l’inspiration à la créativité se montrait, je ne pouvais pas pour autant la laisser m’animer si longtemps. Non… Je dois revoir mes objectifs sur le court terme. Et si animer, discuter, débattre, transmettre dans une salle de classe n’est qu’un exercice, il serait mentir de me targuer d’extravertie. J’aime plus que tout la tranquillité, le quotidien et la routine…
Soit. Tirant une grande bouffée, je déposais l’objet roulé à la main encore fumant sur le cendrier pour me redresser et traverser la pièce, mes pas faisant jouer la douce sonorité du vieux parquet, attrapant mon téléphone pour monter le volume de la musique traversant mes écouteurs. C’est la douce voix de Tori Amos qui se manifestait comme un signe du destin, tapotant le rythme sur ma cuisse en évoluant aux abords de la pièce pour gagner les couloirs. Il est tôt. C’est l’été. C’est calme. Tant mieux.
L’odeur de gel douche et de shampoing trahissait une douche récente, j’avais tendance à appréhender la matinée plus tôt l’été. Mes séances de sport aux aurores ont changé d’aspect depuis la présence de Malah, la jeune border colie que nous avons adopté l’année passée. Elle grandit à une vitesse… La rougeur attaque mes pieds en foulant les pierres froides, sans que mon esprit ne semble s’en soucier réellement, j’ai toujours eu plus de facilité à supporter la fraîcheur que la chaleur, les multiples surveillances et perquisitions nocturnes ou matinales en ont dessiné les contours, jusqu’à ce que l’engourdissement de mes muscles devienne une formalité banale. L’âge en revanche, trahissait une sensibilité agaçante ne contrastant que trop avec une apparence ne dépassant guère la trentaine.
Battement de cil, cette promenade inhabituelle a cette heure avait bien des effets inhabituels. Un visage, connu, s’activant au matin. Un élève ? J’ai souvenir de l’avoir déjà rencontré en cours. Effort intellectuel pour remettre les bons éléments en mémoire, je resituais dans l’espace le lieu où il s’asseyait, ses habitudes, ses prises de paroles, peut-être rares et maladroites. Il n’était pas constamment présent, mais faisaient partis de ceux dont la présence en cours était un choix. C’était certain. Agrippant mes écouteurs pour les faire passer autour de mon cou, je me fustigeais intérieurement d’avoir coupé le moment du solo de piano qui me plait tant, mais soit. Je le réécouterai plus tard.
Feuillets oubliés, les souvenirs remontent. Le dernière cours de l’année encore si soit-il fallut, le hasard fait bien les choses, ils sont encore dans mon bureau, précieusement conservés malgré un regard maladroit. Des thématiques trônant à la physique, noble matière scientifique moldue que j’ai appréhendé tant sur le plan magique que dans ma formation personnelle en tant que guerrière. Comprendre le monde qui nous entoure, c’est pouvoir exercer un contrôle dessus.
« If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds’ worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And—which is more—you’ll be a Man, my son! »
« Nathanael. Vous êtes un homme surprenant, je ne m’attendais nullement à vous trouver ici en la saison estivale. Vous… Avez omis quelques documents lors de mon dernier cours, je les ai conservés en attendant la rentrée, ils sont dans mon bureau. Je vous offre une boisson chaude ? Ca sera l’occasion pour vous de les récupérer et pour nous de casser la monotonie des couloirs plus occupé par les fantômes que les vivants en ces temps de fête. »
Froide, peut-être ? Je ne forçais pas le sourire. Je n’en avais pas le cœur, il est encore tôt et la mise en route est longue aujourd’hui, en trahisse les légères rougeurs à mes yeux, des pupilles encore trop dilatées, un accoutrement encore trop proche du pyjama, bien que je ne sois pas de celles dont la tenue soit une quelconque forme de pouvoir, mais plus un atout de confort, d’où mes pieds nus, probablement inapproprié pour le plus grand nombre. Mais tant en le corps universitaire qu’en mes étudiants, c’est finalement entré dans une forme de normalité.
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Mar 11 Aoû 2020 - 12:13
Les maladies professionnelles les plus couramment rencontrées parmi les concierges, à en croire les statistiques gouvernementales, étaient les affections provoquées par le formol, les affections du rachis lombaire, les troubles musculo-squelettiques et les réactions allergiques. Outre tous les risques communs inhérents à la profession, comme la charge mentale liée aux contact avec du public fréquent et à la gestion de personnalités difficiles, Nathanael allait probablement être le premier concierge de l’histoire de la magie à se coltiner une lombalgie chronique, une bronchopneumopathie chronique obstructive ou un eczéma de contact. Il avait relu son contrat à plusieurs reprises dans l’espoir d’y desceller des lignes invisibles à force d’insistance oculaire, mais rien ne semblait défendre cette strate de la population dans un monde où plus personne n’avait à toucher quoi que ce fut. Si sa fainéantise avait couvert un spectre bien plus large que ne l’était le sien et si son niveau en magie avait été tout autre, Nathanael aurait probablement trouvé un moyen efficace pour automatiser toutes les tâches désagréables du quotidien, mais il fallait croire que la sorcellerie - ou bien la gente sorcière en soi – manquait de parachever son art en reléguant tout de même certaines activités à un labeur purement manuel. Enfin, accomplie ou pas, la magie échappait suffisamment à ce concierge-ci pour l’exposer à des dangers triviaux que les sorciers ne considéraient pas avec sérieux, voir par du tout – à moins que leur droit du travail ne fut horriblement incomplet, les renvoyant aux débuts de l’ère industrielle.
Il avait récemment pris pour objectif le perfectionnement d’un quelconque sortilège de nettoyage, car quitte à se spécialiser, autant le faire de façon utile ; tactique qui avait temporairement mais solidement relégué les Protego totalum, Portus, Oscuro et autre latinismes au second plan. Cependant, il en vint à se demander comment une profession, si ciselée dans l’absolu, pouvait encore être valorisée lorsqu’elle ne demandait aucun effort et un minimum de temps. Car une fois tous les Reparo, Recurvite, Lumos, Levicorpus maîtrisés, que restait-il ? Une heure de travail par jour pour un salaire minimum de croissance tout au plus ?
La valeur d’un service, tout comme d’une marchandise, représentait une dépense de travail humain en général, mais comment faire subsister une économie ou une multitude de services se faisaient réduire à un quantum de temps risible dans leur exécution ? Que la tâche fut accomplie par un moldu ou un sorcier ne changeait pas la valeur d’usage en soi, mais l’on se retrouvait quand même avec une baisse de la grandeur de valeur de la richesse matérielle, alors même que la masse de celle-ci était en augmentation. Ces mouvements contraires provenant du caractère bifide du travail, dont l’utilité était une source plus ou moins généreuse, étaient mis en exergue dans l’opposition entre travail magique et manuel. Pourtant, l’on ne pouvait pas dire que le travail magique était beaucoup plus complexe pour pouvoir être exprimé en quantum égal de travail simple. Un tisserand sorcier et moldu produisaient toujours le même tissu, mais le sorcier avait l’avantage du temps et donc de la force de production. Dans un même laps de temps et simultanément pourtant, ce travail donnait la même grandeur de valeur indépendamment de la force productive, mais tout en fournissant des quanta différents de la valeur d’usage. Le problème pour les sorciers, et que Nathanael ne parvenait pas encore à résoudre, c’était qu’une telle augmentation de la force productive couplée à l’augmentation de la masse de valeur d’usage fourni diminuait la grandeur de valeur de cette masse globale accrue, puisqu’elle raccourcissait la somme de temps de travail nécessaire à l’exécution de celle-ci. Un déséquilibre qui se compensait chez les hommes par une interdépendance entre le travail complexe exprimé par du travail simple, mais qui demeurait bancal dans la communauté sorcière, où la dépense de force humaine était disproportionnellement distribuée entre plusieurs secteurs sans aucune équivalence commune.
Bref, Natanael regardait ses doigts, les plis et les crêtes épidermiques veinées de noir, se demandant s’il rentabilisait véritablement le temps universitaire comme n’importe qui ici. Les époques avaient abîmé le parquet à de nombreux endroits, mais des accidents plus barbares avaient arrachés le vernis et parfois même des couches entières de bois, laissant des tâches plus ou moins claires. Avec une surprise suspicieuse, Nathanael avait découvert que les sorciers utilisaient du thé pour l’ébonisation, chose qu’il avait tenté de reproduire sans grande conviction cependant. Le thé manquait de tanins et très vite, il passa à l’acétate de fer pour rendre au chêne usagé sa belle robe sombre, compensant tout de même avec une couche de thé noir pour les planches moins tanniques. La robe sombre avait également voilé ses mains et, après une nuit passée à genoux pour ne pas gêner la vie moyennement active d’un mois d’août, le concierge était sorti prendre l’air pour dissiper le vinaigre lui étant monté à la tête.
« Nathanael. » Vivement, il s’était retourné, toujours prêt à esquiver une interaction sociale indésirable : la professeur de métamorphoses, que son esprit avait solidement associé à Ovide pour des raisons purement superficielles.
« Vous êtes un homme surprenant, je ne m’attendais nullement à vous trouver ici en la saison estivale. »
Ah bon ? Les yeux du concierge s’arrondirent, car il n’était ni un homme de surprise, ni un homme de sédition, et ne voyait pas pourquoi il aurait dû être ailleurs. C’était sa présence à elle qui était suspecte, car si les professeurs n’avaient rien à professer sans élèves, le concierges eux continuaient à concierger.
« Vous… Avez omis quelques documents lors de mon dernier cours, je les ai conservés en attendant la rentrée, ils sont dans mon bureau. Je vous offre une boisson chaude ?
- Je… euh... »
Des documents ? Les yeux de Nathanael perdirent leur rondeur au profit de sourcils froncés : il pouvait prétendre connaître tous ses documents comme il pouvait n’en connaître aucun. Son scrupule n’aurait jamais oublié des documents importants, susceptibles de justifier une boisson chaude, et en même temps sa présence au cours de métamorphose n’avait été qu’une succession de brouillons discontinus.
« Ca sera l’occasion pour vous de les récupérer et pour nous de casser la monotonie des couloirs plus occupé par les fantômes que les vivants en ces temps de fête. »
Chacun son remède à la monotonie, se dit-il en toisant la tenue de la jeune femme, quoi qu’après quelques rumeurs de couloir jamais réfutées par la concernée, il doutait même de l’utilisateur de termes tels que « jeune » ou « femme » pour… cette créature. Elle le troublait par son inachèvement et en même temps son temporaire aboutissement, comme une chrysalide, sans genre, sans âge, sans enveloppe. Elle pouvait en vérité avoir vingt comme soixante ans, selon ce qu’il en avait lu ; il pouvait même l’avoir déjà connue sous deux, trois, mille apparences différentes au courant de sa vie sans le savoir. Il ne restait plus que le caractère, qu’il espérait inchangé, un peu comme le centre d’une roue de vélo aux rayons sans cesse changeants, et pour le moment elle lui rappelait une hippie bohème abonnée au Burning Man. Ou à un des magasines de tricot.
Longuement, et comme à chaque fois qu’il la voyait dans sa salle de classe, Nathanael l’observa du menton aux pieds en essayant de comprendre où elle voulait en venir avec sa verbosité. Puis finalement, se rendant compte que c’était impoli, qu’il fallait au moins répondre quelque chose, hérissant davantage encore ses sourcils bas, il répondit avec une hésitation monotone :
« Euh, merci. C’est… gentil de votre part. Et en s’engageant à ses côtés, un peu en retrait, pour rejoindre son bureau, il réfléchit très sérieusement avant de rajouter, puisqu’on lui proposait déjà une collation : Je veux bien de l’Indica Grape Ape si vous en avez. Ou… toute autre… variété. » hacha-t-il la fin de sa phrase, l’odeur qu’il avait sentie sur la jeune femme l’ayant mis un peu trop en confiance vis à vis de son nouveau lieu de travail. Cela dit, elle ne pouvait pas nier et lui n’avait encore techniquement rien fait à part demander un joint.
@eden sykes
Il avait récemment pris pour objectif le perfectionnement d’un quelconque sortilège de nettoyage, car quitte à se spécialiser, autant le faire de façon utile ; tactique qui avait temporairement mais solidement relégué les Protego totalum, Portus, Oscuro et autre latinismes au second plan. Cependant, il en vint à se demander comment une profession, si ciselée dans l’absolu, pouvait encore être valorisée lorsqu’elle ne demandait aucun effort et un minimum de temps. Car une fois tous les Reparo, Recurvite, Lumos, Levicorpus maîtrisés, que restait-il ? Une heure de travail par jour pour un salaire minimum de croissance tout au plus ?
La valeur d’un service, tout comme d’une marchandise, représentait une dépense de travail humain en général, mais comment faire subsister une économie ou une multitude de services se faisaient réduire à un quantum de temps risible dans leur exécution ? Que la tâche fut accomplie par un moldu ou un sorcier ne changeait pas la valeur d’usage en soi, mais l’on se retrouvait quand même avec une baisse de la grandeur de valeur de la richesse matérielle, alors même que la masse de celle-ci était en augmentation. Ces mouvements contraires provenant du caractère bifide du travail, dont l’utilité était une source plus ou moins généreuse, étaient mis en exergue dans l’opposition entre travail magique et manuel. Pourtant, l’on ne pouvait pas dire que le travail magique était beaucoup plus complexe pour pouvoir être exprimé en quantum égal de travail simple. Un tisserand sorcier et moldu produisaient toujours le même tissu, mais le sorcier avait l’avantage du temps et donc de la force de production. Dans un même laps de temps et simultanément pourtant, ce travail donnait la même grandeur de valeur indépendamment de la force productive, mais tout en fournissant des quanta différents de la valeur d’usage. Le problème pour les sorciers, et que Nathanael ne parvenait pas encore à résoudre, c’était qu’une telle augmentation de la force productive couplée à l’augmentation de la masse de valeur d’usage fourni diminuait la grandeur de valeur de cette masse globale accrue, puisqu’elle raccourcissait la somme de temps de travail nécessaire à l’exécution de celle-ci. Un déséquilibre qui se compensait chez les hommes par une interdépendance entre le travail complexe exprimé par du travail simple, mais qui demeurait bancal dans la communauté sorcière, où la dépense de force humaine était disproportionnellement distribuée entre plusieurs secteurs sans aucune équivalence commune.
Bref, Natanael regardait ses doigts, les plis et les crêtes épidermiques veinées de noir, se demandant s’il rentabilisait véritablement le temps universitaire comme n’importe qui ici. Les époques avaient abîmé le parquet à de nombreux endroits, mais des accidents plus barbares avaient arrachés le vernis et parfois même des couches entières de bois, laissant des tâches plus ou moins claires. Avec une surprise suspicieuse, Nathanael avait découvert que les sorciers utilisaient du thé pour l’ébonisation, chose qu’il avait tenté de reproduire sans grande conviction cependant. Le thé manquait de tanins et très vite, il passa à l’acétate de fer pour rendre au chêne usagé sa belle robe sombre, compensant tout de même avec une couche de thé noir pour les planches moins tanniques. La robe sombre avait également voilé ses mains et, après une nuit passée à genoux pour ne pas gêner la vie moyennement active d’un mois d’août, le concierge était sorti prendre l’air pour dissiper le vinaigre lui étant monté à la tête.
« Nathanael. » Vivement, il s’était retourné, toujours prêt à esquiver une interaction sociale indésirable : la professeur de métamorphoses, que son esprit avait solidement associé à Ovide pour des raisons purement superficielles.
« Vous êtes un homme surprenant, je ne m’attendais nullement à vous trouver ici en la saison estivale. »
Ah bon ? Les yeux du concierge s’arrondirent, car il n’était ni un homme de surprise, ni un homme de sédition, et ne voyait pas pourquoi il aurait dû être ailleurs. C’était sa présence à elle qui était suspecte, car si les professeurs n’avaient rien à professer sans élèves, le concierges eux continuaient à concierger.
« Vous… Avez omis quelques documents lors de mon dernier cours, je les ai conservés en attendant la rentrée, ils sont dans mon bureau. Je vous offre une boisson chaude ?
- Je… euh... »
Des documents ? Les yeux de Nathanael perdirent leur rondeur au profit de sourcils froncés : il pouvait prétendre connaître tous ses documents comme il pouvait n’en connaître aucun. Son scrupule n’aurait jamais oublié des documents importants, susceptibles de justifier une boisson chaude, et en même temps sa présence au cours de métamorphose n’avait été qu’une succession de brouillons discontinus.
« Ca sera l’occasion pour vous de les récupérer et pour nous de casser la monotonie des couloirs plus occupé par les fantômes que les vivants en ces temps de fête. »
Chacun son remède à la monotonie, se dit-il en toisant la tenue de la jeune femme, quoi qu’après quelques rumeurs de couloir jamais réfutées par la concernée, il doutait même de l’utilisateur de termes tels que « jeune » ou « femme » pour… cette créature. Elle le troublait par son inachèvement et en même temps son temporaire aboutissement, comme une chrysalide, sans genre, sans âge, sans enveloppe. Elle pouvait en vérité avoir vingt comme soixante ans, selon ce qu’il en avait lu ; il pouvait même l’avoir déjà connue sous deux, trois, mille apparences différentes au courant de sa vie sans le savoir. Il ne restait plus que le caractère, qu’il espérait inchangé, un peu comme le centre d’une roue de vélo aux rayons sans cesse changeants, et pour le moment elle lui rappelait une hippie bohème abonnée au Burning Man. Ou à un des magasines de tricot.
Longuement, et comme à chaque fois qu’il la voyait dans sa salle de classe, Nathanael l’observa du menton aux pieds en essayant de comprendre où elle voulait en venir avec sa verbosité. Puis finalement, se rendant compte que c’était impoli, qu’il fallait au moins répondre quelque chose, hérissant davantage encore ses sourcils bas, il répondit avec une hésitation monotone :
« Euh, merci. C’est… gentil de votre part. Et en s’engageant à ses côtés, un peu en retrait, pour rejoindre son bureau, il réfléchit très sérieusement avant de rajouter, puisqu’on lui proposait déjà une collation : Je veux bien de l’Indica Grape Ape si vous en avez. Ou… toute autre… variété. » hacha-t-il la fin de sa phrase, l’odeur qu’il avait sentie sur la jeune femme l’ayant mis un peu trop en confiance vis à vis de son nouveau lieu de travail. Cela dit, elle ne pouvait pas nier et lui n’avait encore techniquement rien fait à part demander un joint.
@eden sykes
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Ven 28 Aoû 2020 - 23:28
Un demi-tour vif, qui en indiquait probablement plus qu’il ne le souhaitait entendre sur la volonté d’être dérangé, vraisemblablement bien affairé. Déranger n’est pas dans l’ordre des choses qui viennent soulever un quelque problème de conscience. Bousculer le quotidien est à mes yeux une bonne chose tant qu’il n’est pas entièrement brusqué.
Au fil de mes mots, ses action laissaient témoigner la surprise, il semblait exprimer l’air dubitatif de celui qui semble presque abasourdis par ma propre surprise. D’un œil extérieur, ce doit être comique. Moi qui le prenais pour un simple élève échelonné sur la bohème, il semble que je fais erreur. Tant mieux, en un sens. C’est l’occasion d’en apprendre plus sur un visage familier. J’ai pour habitude de mémoriser les visages et les noms de chacun de mes élèves assidument. Trop assidument, peut-être, mais notre identité, c’est ce que nous avons de plus précieux. Et pour avoir la possibilité, et avoir déjà exercé, le fait de pouvoir en changer en tout temps, en tout lieu, n’a fait que renforcer cette certitude à travers les âges.
- Je… euh... »
Une pause dans l’un de mes habituels monologues lui a laissé le temps visiblement d’exprimer du doute, ou manifester de manière claire son incompréhension. Ce n’est pas là pour moi l’occasion de m’attendrir, mais de préciser mon propos. Bien qu’en réalité, je me reproche bien souvent d’être trop tendre. Trop maternante. A juste ou injuste titre, peut-être, qu’en sais-je ? Trop généreuse sur ma notation, trop impliquée dans les projets de mes élèves, jusque dans leur développement personnel et extra-scolaire, je me dis qu’il en faut bien une poignée.
La fermeté est une bonne chose, mais elle nécessite d’être rééquilibrée avec un brin de douceur. Ironiquement, il a fallu que je me place en messie et m’attribut ce rôle. Dans le fond, c’est probablement simplement parce que j’en ai besoin… Besoin de graver une part de moi dans les souvenirs, besoin d’exister par l’action puisque la présence ne suffit pas.
Après un temps, un silence, mon regard plongé en le sien, je m’amusais presque de le voir me détailler, pieds nus foulant le sol froid sans réellement le ressentir malgré une matinée non des plus douces. Mes muscles étaient encore vaguement raides, trahissant une activité sportive récente, ma peau légèrement humide et l’odeur de savon d’Alep, indiquant la poursuite par une douche. A s’y méprendre, on aurait pu faire une lecture peu convenable de mon état actuel et l’identifier à un post-coït. Mais il n’en est rien.
« Euh, merci. C’est… gentil de votre part.
Je battais des cils un instant en le voyant s’engager à mes côtés. Voix hésitante, mais geste plus déterminé.
« Je vous en prie, c'est normal. »
En évoluant, je remarquais sa posture de retrait, et si paradoxal que ce soit, je m’écartais de manière à toujours être en mesure de garder un œil sur le jeune homme. Les vieilles habitudes ont la vie dure, je ne supporte toujours pas de ne pas avoir quelqu’un dans mon champ de perception immédiat. Le pas léger, légèrement plus appuyé sur mon pied fort porte un appui prononcé sur la pointe. C’est un détail tant flagrant que discret qu’il accompagne un dos parfaitement droit non pas pour un motif d’allure, mais de posture, chaque pas semble contrôlé, environnement maîtrisé, et je n’ai pas pour habitude de laisser quoi que se soit au hasard.
En regagnant le lieu susmentionné, je grimpais sur une étagère de l’une des multiples bibliothèques du bureau, stabilisées au pied par un renfort à l’avant, démontrant une certaine habitude à aller chercher les choses à la main alors qu’un sort si simple qu’accio pourrait suffire. C’était une habitude, que je défendais corps et âmes lors de mes cours. La magie est un outil, apprendre la magie, c’est apprendre à prendre des raccourcis dans la vie, cependant, ils ne sont pas toujours tous bons à emprunter, loin de là. A trop se précipiter, on devient impatient, négligeant, et plus grand-chose n’a de valeur.
C’est donc perché de la plus simiesque des manières en fouinant dans une étagère que je clignais des yeux en posant mon regard vers lui en l’entendant reprendre.
Je veux bien de l’Indica Grape Ape si vous en avez. Ou… toute autre… variété. »
Quelques secondes. Longues. Paraissant interminables, probablement, avant que je ne me mette à ricaner, discrètement en tirant un carton pour faire un bond précis en arrière pour revenir au sol, geste militaire, le déposant sur le marbre pour fouiner dans l’un des tiroirs et sortir un pot en verre fumé fermé hermétiquement et y dégainer une petite sphère ronde de plantes séchées.
« Un homme surprenant, à nouveau. Vous venez de vous arracher le bénéfice du doute. »
Par habitude, je disposais les différents ustensiles nécessaires sur le plan pour l’inviter à prendre place où il le souhaitait en désignant les quelques fauteuils du bout des doigts avant de m’asseoir en tailleur sur mon siège pour fouiner dans les papiers méthodiquement organisés.
« Je mentirais en disant que je n’y ai pas jeté un œil, j’espère que vous ne m’en tiendrais pas rigueur. J’ignorais que vous vous intéressiez à la physique. A un niveau bien pointilleux d’ailleurs, si j’ai saisi l’essentiel, des détails techniques m’échappent à bien des égards. Les écoles de magie ont un retard très certain sur les sciences. »
Sortant les quelques feuilles d’une enveloppe en laquelle est inscrite le jour, la date, l’heure, la thématique du cours abordé, le nom de la personne -qui me fait face- occupant le siège en fonction de l’emplacement des trouvailles ainsi que, listé par des probabilités assez précises pour ne pas être des approximations, la probabilité d’appartenance pour chaque personne du rang ainsi que de l’antérieur.
A l’instar d’un bureau toujours impeccable et rangé de manière précise, malgré l’accoutrement et les mauvaises habitudes en termes de tabac et de cannabis, mes années de service au ministère m’ont laissé la fâcheuse habitude de ne jamais rien laisser au hasard. Ainsi, si cette rencontre n’était pas calculée pour se trouver ici et maintenant dans le temps, c’est bien son nom qui était entouré, en haut de la liste des probabilités.
D’ailleurs, du sommet du petit carton des « objets trouvés », le même processus était effectué. L’affect, l’attachement aux choses est propre à chacun. Si ce garçon s’intéresse à la physique, peut-être ces feuilles étaient des éléments importants de révisions d’un examen, de notes pour la présentation d’une découverte ou qu’en sais-je ? Ou peut-être était-ce de simples documents de cours comme d’autres. Toujours est-il que je n’avais pas à juger de leur importance. Ma salle, ma responsabilité.
« Vous… Savez rouler au fait ? N’y allez pas trop fort, ce sont des croisements effectués après plusieurs années de recherches, un procédé… Tant médical que récréatif à vrai dire, riais-je, avant de reprendre les effets désinhibants sont un peu plus forts, les bienfaits médicaux un peu plus optimaux et les effets indésirables limités, pour autant, je préférerais éviter de vous voir faire la sieste dans mon bureau toute la matinée. Surtout si vous ronflez. »
Au fil de mes mots, ses action laissaient témoigner la surprise, il semblait exprimer l’air dubitatif de celui qui semble presque abasourdis par ma propre surprise. D’un œil extérieur, ce doit être comique. Moi qui le prenais pour un simple élève échelonné sur la bohème, il semble que je fais erreur. Tant mieux, en un sens. C’est l’occasion d’en apprendre plus sur un visage familier. J’ai pour habitude de mémoriser les visages et les noms de chacun de mes élèves assidument. Trop assidument, peut-être, mais notre identité, c’est ce que nous avons de plus précieux. Et pour avoir la possibilité, et avoir déjà exercé, le fait de pouvoir en changer en tout temps, en tout lieu, n’a fait que renforcer cette certitude à travers les âges.
- Je… euh... »
Une pause dans l’un de mes habituels monologues lui a laissé le temps visiblement d’exprimer du doute, ou manifester de manière claire son incompréhension. Ce n’est pas là pour moi l’occasion de m’attendrir, mais de préciser mon propos. Bien qu’en réalité, je me reproche bien souvent d’être trop tendre. Trop maternante. A juste ou injuste titre, peut-être, qu’en sais-je ? Trop généreuse sur ma notation, trop impliquée dans les projets de mes élèves, jusque dans leur développement personnel et extra-scolaire, je me dis qu’il en faut bien une poignée.
La fermeté est une bonne chose, mais elle nécessite d’être rééquilibrée avec un brin de douceur. Ironiquement, il a fallu que je me place en messie et m’attribut ce rôle. Dans le fond, c’est probablement simplement parce que j’en ai besoin… Besoin de graver une part de moi dans les souvenirs, besoin d’exister par l’action puisque la présence ne suffit pas.
Après un temps, un silence, mon regard plongé en le sien, je m’amusais presque de le voir me détailler, pieds nus foulant le sol froid sans réellement le ressentir malgré une matinée non des plus douces. Mes muscles étaient encore vaguement raides, trahissant une activité sportive récente, ma peau légèrement humide et l’odeur de savon d’Alep, indiquant la poursuite par une douche. A s’y méprendre, on aurait pu faire une lecture peu convenable de mon état actuel et l’identifier à un post-coït. Mais il n’en est rien.
« Euh, merci. C’est… gentil de votre part.
Je battais des cils un instant en le voyant s’engager à mes côtés. Voix hésitante, mais geste plus déterminé.
« Je vous en prie, c'est normal. »
En évoluant, je remarquais sa posture de retrait, et si paradoxal que ce soit, je m’écartais de manière à toujours être en mesure de garder un œil sur le jeune homme. Les vieilles habitudes ont la vie dure, je ne supporte toujours pas de ne pas avoir quelqu’un dans mon champ de perception immédiat. Le pas léger, légèrement plus appuyé sur mon pied fort porte un appui prononcé sur la pointe. C’est un détail tant flagrant que discret qu’il accompagne un dos parfaitement droit non pas pour un motif d’allure, mais de posture, chaque pas semble contrôlé, environnement maîtrisé, et je n’ai pas pour habitude de laisser quoi que se soit au hasard.
En regagnant le lieu susmentionné, je grimpais sur une étagère de l’une des multiples bibliothèques du bureau, stabilisées au pied par un renfort à l’avant, démontrant une certaine habitude à aller chercher les choses à la main alors qu’un sort si simple qu’accio pourrait suffire. C’était une habitude, que je défendais corps et âmes lors de mes cours. La magie est un outil, apprendre la magie, c’est apprendre à prendre des raccourcis dans la vie, cependant, ils ne sont pas toujours tous bons à emprunter, loin de là. A trop se précipiter, on devient impatient, négligeant, et plus grand-chose n’a de valeur.
C’est donc perché de la plus simiesque des manières en fouinant dans une étagère que je clignais des yeux en posant mon regard vers lui en l’entendant reprendre.
Je veux bien de l’Indica Grape Ape si vous en avez. Ou… toute autre… variété. »
Quelques secondes. Longues. Paraissant interminables, probablement, avant que je ne me mette à ricaner, discrètement en tirant un carton pour faire un bond précis en arrière pour revenir au sol, geste militaire, le déposant sur le marbre pour fouiner dans l’un des tiroirs et sortir un pot en verre fumé fermé hermétiquement et y dégainer une petite sphère ronde de plantes séchées.
« Un homme surprenant, à nouveau. Vous venez de vous arracher le bénéfice du doute. »
Par habitude, je disposais les différents ustensiles nécessaires sur le plan pour l’inviter à prendre place où il le souhaitait en désignant les quelques fauteuils du bout des doigts avant de m’asseoir en tailleur sur mon siège pour fouiner dans les papiers méthodiquement organisés.
« Je mentirais en disant que je n’y ai pas jeté un œil, j’espère que vous ne m’en tiendrais pas rigueur. J’ignorais que vous vous intéressiez à la physique. A un niveau bien pointilleux d’ailleurs, si j’ai saisi l’essentiel, des détails techniques m’échappent à bien des égards. Les écoles de magie ont un retard très certain sur les sciences. »
Sortant les quelques feuilles d’une enveloppe en laquelle est inscrite le jour, la date, l’heure, la thématique du cours abordé, le nom de la personne -qui me fait face- occupant le siège en fonction de l’emplacement des trouvailles ainsi que, listé par des probabilités assez précises pour ne pas être des approximations, la probabilité d’appartenance pour chaque personne du rang ainsi que de l’antérieur.
A l’instar d’un bureau toujours impeccable et rangé de manière précise, malgré l’accoutrement et les mauvaises habitudes en termes de tabac et de cannabis, mes années de service au ministère m’ont laissé la fâcheuse habitude de ne jamais rien laisser au hasard. Ainsi, si cette rencontre n’était pas calculée pour se trouver ici et maintenant dans le temps, c’est bien son nom qui était entouré, en haut de la liste des probabilités.
D’ailleurs, du sommet du petit carton des « objets trouvés », le même processus était effectué. L’affect, l’attachement aux choses est propre à chacun. Si ce garçon s’intéresse à la physique, peut-être ces feuilles étaient des éléments importants de révisions d’un examen, de notes pour la présentation d’une découverte ou qu’en sais-je ? Ou peut-être était-ce de simples documents de cours comme d’autres. Toujours est-il que je n’avais pas à juger de leur importance. Ma salle, ma responsabilité.
« Vous… Savez rouler au fait ? N’y allez pas trop fort, ce sont des croisements effectués après plusieurs années de recherches, un procédé… Tant médical que récréatif à vrai dire, riais-je, avant de reprendre les effets désinhibants sont un peu plus forts, les bienfaits médicaux un peu plus optimaux et les effets indésirables limités, pour autant, je préférerais éviter de vous voir faire la sieste dans mon bureau toute la matinée. Surtout si vous ronflez. »
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Mar 22 Sep 2020 - 13:55
Avec le temps, Nathanael avait fini par comprendre la notion de secret – concept qui s’était heurté à la certitude que rien ne devait ni ne pouvait se soustraire au monde tangible, que ce fut sensibilités ou faiblesses. Principalement parce que la gêne était un sentiment qu’il avait éprouvé de façon quasi constante pendant une bonne partie de son existence : gêne d’autrui et gêne vis-à-vis d’autrui. Si la présence physique de certaines personnes pouvait l’irriter, ce qui l’avait réconcilié avec la subjectivité de chacun fut l’embarras qu’on lui avait fait ressentir pour exclure sa différence. Cela avait été longtemps du donnant donnant cependant, car si les secrets appartenaient à la sphère de l’invisible, ils cessaient de l’être dans l’esprit de Nathanael lorsque son entendement s’en emparait : s’il l’avait remarqué, ce n’était plus un secret et donc plus un sujet de tact. Il savait pourtant que l’odeur de chanvre ne spécifiait pas nécessairement l’outrecuidance ou la désinvolture d’en discuter librement, plutôt et même souvent une maladresse à en dissimuler la consommation. Ceux qui sentaient l’alcool n’étaient pas les plus enclins à en parler, mais le savoir avait longtemps constitué une raison suffisante pour ignorer les bêtises et les erreurs de calcul, car si Nathanael était parvenu à le remarquer, c’était que les efforts pour travestir la réalité n’avaient pas été suffisants, que la honte n’était pas assez conséquente pour s’appliquer davantage. Aussi s’était-il attiré les foudres de jeunes filles au mascara mal mis, au fond de teint plâtré à la truelle, et de jeunes garçons qui mentaient grossièrement sur la qualité d’un bijou, sur leur fortune ou sur le prestige de leur voiture. La drogue était peut-être la seule honnêteté dans laquelle il fallait persévérer si l’on ne s’en faisait pas offrir. La drogue, ou tout mensonge qu’il valait mieux découvrir. C’était une question d’un peu de culot et d’audace, deux choses facilement accessibles pour une personne qui ne concevait pas toujours la notion de honte comme autrui, se laissant facilement aller à un courage ou à une insolence parfois inconsciente, parfois calculée. Cette fois, elle avait été vaguement calculée, parce que l’intérêt de la détente avait surpassé celui des prérogatives de son poste et il avait seulement espéré que ça ne se retourne pas contre lui.
Quelque chose dans son allure lui avait instinctivement suggéré l’impertinence : elle était loin d’être enchaînée par la timidité à l’instar de certains élèves. Caractère acquis en-dehors de l’adage du professorat, très certainement – elle n’en avait tout simplement pas la solennité. Elle avait la force pour se permettre l’excentricité, ça se sentait dans sa façon de marcher, sa façon d’être, de le toiser… et en même temps de la méfiance. Nathanael connaissait ces attitudes-là : ceux qui habillaient leur soupçon d’une complaisance facile suscitaient sa curiosité comme toute contradiction. Cette femme était comme l’horizon : il avait beau paraître accessible, personne ne s’en approchait jamais. Cette odeur, elle s’en foutait, elle la portait comme un parfum dont on pouvait lui demander la marque et la composition à tout instant. Cette odeur était comme ses pieds nus et ses cheveux lâchés : des miettes qui la décrivaient tout autant qu’elle ne disaient absolument rien.
Elle avait beau se donner l’apparence du flegme joyeux, le silence prouva qu’il y avait encore des choses capables de la surprendre et que sa nature sauvage observait des codes, une sorte de bordel organisé. Nathanael avait levé le menton et s’était contenté de regarder ses jambes, son jean, les fentes noires qui engloutissaient ses cuisses. Agile comme une enfant et composée comme une adulte. Elle ricana à son impudence, chose que certains faisaient parfois lorsqu’ils rencontraient un semblant de pensée unique, puis descendit de son perchoir comme un fameux corbeau. Le concierge accompagna sa cascade des yeux pour retrouver leur hauteur habituelle ; il attendait, que ce fut sermon ou audace, en silence.
« Un homme surprenant, à nouveau. Vous venez de vous arracher le bénéfice du doute. »
Commenta-t-elle non sans avoir accédé à son caprice. Il ne savait pas de quoi elle parlait exactement, ni de quel condamnation il avait été le sujet pour soudain mériter le doute, mais s’en contenta gracieusement en s’asseyant par mimétisme dans un fauteuil, pas tout à fait en face mais pas en biais non plus pour avoir le loisir de regarder ailleurs. Agréablement conquis par son hospitalité, Nathanael la regarda aligner les ustensiles comme un médecin aurait aligné les siens, reconnaissant là un certain goût pour le protocole frôlant une habitue dans la soleneité.
Le désordre lui parut aimable, tout comme les teintes de bois, chêne et acacia mat ou verni, que zébraient de rectilignes monticules de papier et de boîtes, baignés par une couleur pâle de lumières voilées. Cela lui donna plus encore le goût du plaisir tranquille, un peu bas, inspiré par une certaine forme de snobisme, l’esprit de bravade, une curiosité affectée d’autant plus ménagée que la raison de sa présence fut une feuille perdue dont il n’avait plus le souvenir mais qui avait suscité la convivialité de la jeune professeur.
« Je mentirais en disant que je n’y ai pas jeté un œil, j’espère que vous ne m’en tiendrais pas rigueur... »
Il secoua de la tête en guise de négation, confortablement plongé dans un canapé qui encourageait un mutisme paisible en cette matinée avancée, s’étonnant seulement en silence de son érudition toute moldue. Depuis un certain temps, il constatait avec un fond d’ébahissement proche de la consternation que la marginalité parmi les sorcier était parfois connotée par un trop grand intérêt envers la culture moldue. La professeur était indéniablement quelqu’un que l’on pouvait qualifier d’original pour sa trempe et son rang, mais plus encore à présent qu’elle avait spécifié ses connaissances dans une matière que les sorciers dédaignaient. Nathanael battit lentement de ses lourdes paupières : la blancheur qui les enveloppait comme une nimbe eût pu engloutir les meilleures volontés. Puis, il se pencha tout aussi oisivement afin de récupérer son bien, qu’il parcourut d’un regard circonspect. Bah ! Elle aurait pu les jeter. Il faillit le faire d’ailleurs, mais se retint par égard pour le soin avec lequel elle les avait conservées. Et comme il n’avait pas entendu de question, il en profita pour ne rien commenter, attendant seulement une sorte d’invitation pour ne pas paraître impoli ; invitation qui constata ses doigts immobiles :
« Vous… Savez rouler au fait ?... »
Le concierge se redressa nerveusement, comme s’il tentait de rattraper un temps perdu et ayant hoché de la tête, il s’empara d’un broyeur et pinça environ cent grammes d’herbe sèche. Après avoir fait tourner le cylindre entre ses paumes, méthodiquement et le regard dans le vague, Nathanael huma l’odeur en ouvrant le couvercle. Les terpènes s’usaient à force de temps et d’usage, mais l’herbe sentait fort et les trichomes piquaient le regard. Tout en écoutant, il émietta de sa gestuelle languide une moitié de chanvre au creux d’un papier translucide courbé contre ses doigts puis lentement, dans un mouvement se répétant, il roula la feuille pour lui donner sa forme proverbiale de pétard. Avec convenance, il offrit sa création à la professeur avant d’entamer une réponse, quand bien-même venait-il de répondre au seul point d’interrogation qui avait figuré dans l’inflexion de la voix féminine.
« Je dors peu, tenta-t-il de la rassurer d’un ton traînant, puis se rendit compte que ça ne faisait que trois mots, ce qui était peu quand l’on se faisait ainsi accueillir. Vous savez… reprit-il, si on compare les effets du chanvre sérieusement, ses conséquences indésirables latentes rendent son aspect récréatif proprement insignifiant. Non bon, ce n’était pas exactement la chose à dire très probablement, alors il se corrigea en fermant brièvement les yeux : Je… je me contente de la récréation. »
Expliqua-t-il avec un léger sourire qu’il voulut agréable. Pour affermir sa pensée, il s’occupa les mains en roulant un deuxième petit tube pellucide, songeant avec une sorte de distanciation indifférente qu’il était homme dont la parole mettait facilement dans l’embarras. Ce qui n’était pas nécessairement un mal, mais pas un bien non plus d’un point de vue purement sociétal. Il fallait cependant dire qu’il avait usé de toute son infatigable nature depuis ce matin, alors après un soupir, il considéra la professeur en biais :
« C’est pour ça qu’on fume, non ? Le plaisir. Le plaisir d’oublier qu’on a mal, qu’on est seul, qu’on n’a plus rien, qu’on est désabusé, qu’on réfléchit trop ou au contraire pas assez ; le plaisir d’oublier les responsabilités ou leur absence, le manque d’originalité aussi... Son œil brilla, perçant sous sa paupière en abat-son, oblique, sagace : Et vous alors, vous fumez pourquoi ? »
@eden sykes
Quelque chose dans son allure lui avait instinctivement suggéré l’impertinence : elle était loin d’être enchaînée par la timidité à l’instar de certains élèves. Caractère acquis en-dehors de l’adage du professorat, très certainement – elle n’en avait tout simplement pas la solennité. Elle avait la force pour se permettre l’excentricité, ça se sentait dans sa façon de marcher, sa façon d’être, de le toiser… et en même temps de la méfiance. Nathanael connaissait ces attitudes-là : ceux qui habillaient leur soupçon d’une complaisance facile suscitaient sa curiosité comme toute contradiction. Cette femme était comme l’horizon : il avait beau paraître accessible, personne ne s’en approchait jamais. Cette odeur, elle s’en foutait, elle la portait comme un parfum dont on pouvait lui demander la marque et la composition à tout instant. Cette odeur était comme ses pieds nus et ses cheveux lâchés : des miettes qui la décrivaient tout autant qu’elle ne disaient absolument rien.
Elle avait beau se donner l’apparence du flegme joyeux, le silence prouva qu’il y avait encore des choses capables de la surprendre et que sa nature sauvage observait des codes, une sorte de bordel organisé. Nathanael avait levé le menton et s’était contenté de regarder ses jambes, son jean, les fentes noires qui engloutissaient ses cuisses. Agile comme une enfant et composée comme une adulte. Elle ricana à son impudence, chose que certains faisaient parfois lorsqu’ils rencontraient un semblant de pensée unique, puis descendit de son perchoir comme un fameux corbeau. Le concierge accompagna sa cascade des yeux pour retrouver leur hauteur habituelle ; il attendait, que ce fut sermon ou audace, en silence.
« Un homme surprenant, à nouveau. Vous venez de vous arracher le bénéfice du doute. »
Commenta-t-elle non sans avoir accédé à son caprice. Il ne savait pas de quoi elle parlait exactement, ni de quel condamnation il avait été le sujet pour soudain mériter le doute, mais s’en contenta gracieusement en s’asseyant par mimétisme dans un fauteuil, pas tout à fait en face mais pas en biais non plus pour avoir le loisir de regarder ailleurs. Agréablement conquis par son hospitalité, Nathanael la regarda aligner les ustensiles comme un médecin aurait aligné les siens, reconnaissant là un certain goût pour le protocole frôlant une habitue dans la soleneité.
Le désordre lui parut aimable, tout comme les teintes de bois, chêne et acacia mat ou verni, que zébraient de rectilignes monticules de papier et de boîtes, baignés par une couleur pâle de lumières voilées. Cela lui donna plus encore le goût du plaisir tranquille, un peu bas, inspiré par une certaine forme de snobisme, l’esprit de bravade, une curiosité affectée d’autant plus ménagée que la raison de sa présence fut une feuille perdue dont il n’avait plus le souvenir mais qui avait suscité la convivialité de la jeune professeur.
« Je mentirais en disant que je n’y ai pas jeté un œil, j’espère que vous ne m’en tiendrais pas rigueur... »
Il secoua de la tête en guise de négation, confortablement plongé dans un canapé qui encourageait un mutisme paisible en cette matinée avancée, s’étonnant seulement en silence de son érudition toute moldue. Depuis un certain temps, il constatait avec un fond d’ébahissement proche de la consternation que la marginalité parmi les sorcier était parfois connotée par un trop grand intérêt envers la culture moldue. La professeur était indéniablement quelqu’un que l’on pouvait qualifier d’original pour sa trempe et son rang, mais plus encore à présent qu’elle avait spécifié ses connaissances dans une matière que les sorciers dédaignaient. Nathanael battit lentement de ses lourdes paupières : la blancheur qui les enveloppait comme une nimbe eût pu engloutir les meilleures volontés. Puis, il se pencha tout aussi oisivement afin de récupérer son bien, qu’il parcourut d’un regard circonspect. Bah ! Elle aurait pu les jeter. Il faillit le faire d’ailleurs, mais se retint par égard pour le soin avec lequel elle les avait conservées. Et comme il n’avait pas entendu de question, il en profita pour ne rien commenter, attendant seulement une sorte d’invitation pour ne pas paraître impoli ; invitation qui constata ses doigts immobiles :
« Vous… Savez rouler au fait ?... »
Le concierge se redressa nerveusement, comme s’il tentait de rattraper un temps perdu et ayant hoché de la tête, il s’empara d’un broyeur et pinça environ cent grammes d’herbe sèche. Après avoir fait tourner le cylindre entre ses paumes, méthodiquement et le regard dans le vague, Nathanael huma l’odeur en ouvrant le couvercle. Les terpènes s’usaient à force de temps et d’usage, mais l’herbe sentait fort et les trichomes piquaient le regard. Tout en écoutant, il émietta de sa gestuelle languide une moitié de chanvre au creux d’un papier translucide courbé contre ses doigts puis lentement, dans un mouvement se répétant, il roula la feuille pour lui donner sa forme proverbiale de pétard. Avec convenance, il offrit sa création à la professeur avant d’entamer une réponse, quand bien-même venait-il de répondre au seul point d’interrogation qui avait figuré dans l’inflexion de la voix féminine.
« Je dors peu, tenta-t-il de la rassurer d’un ton traînant, puis se rendit compte que ça ne faisait que trois mots, ce qui était peu quand l’on se faisait ainsi accueillir. Vous savez… reprit-il, si on compare les effets du chanvre sérieusement, ses conséquences indésirables latentes rendent son aspect récréatif proprement insignifiant. Non bon, ce n’était pas exactement la chose à dire très probablement, alors il se corrigea en fermant brièvement les yeux : Je… je me contente de la récréation. »
Expliqua-t-il avec un léger sourire qu’il voulut agréable. Pour affermir sa pensée, il s’occupa les mains en roulant un deuxième petit tube pellucide, songeant avec une sorte de distanciation indifférente qu’il était homme dont la parole mettait facilement dans l’embarras. Ce qui n’était pas nécessairement un mal, mais pas un bien non plus d’un point de vue purement sociétal. Il fallait cependant dire qu’il avait usé de toute son infatigable nature depuis ce matin, alors après un soupir, il considéra la professeur en biais :
« C’est pour ça qu’on fume, non ? Le plaisir. Le plaisir d’oublier qu’on a mal, qu’on est seul, qu’on n’a plus rien, qu’on est désabusé, qu’on réfléchit trop ou au contraire pas assez ; le plaisir d’oublier les responsabilités ou leur absence, le manque d’originalité aussi... Son œil brilla, perçant sous sa paupière en abat-son, oblique, sagace : Et vous alors, vous fumez pourquoi ? »
@eden sykes
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Dim 6 Déc 2020 - 17:59
Il est des individus témoignant d’un néant profond. Toiser leurs regards revient à contempler le plus profond des vides. Songes insignifiants, stimulus faibles… En un sens, l’être qui me faisait face en faisait parti tout en jouissant d’être tout l’opposé. Celui qui sait observer apprends à reproduire. Celui qui sait reproduire sait faire, et celui qui sait faire, devient apte à créer… Et celui qui crée n’a plus de limite que la physique, la magie et ses propres moyens. Un véritable maître est un éternel étudiant, et c’est, je dirais par ces bribes d’échanges l’adage qui lui correspond le mieux.
Nos similitudes se fondent là, nos regards ne cherchent pas la bienséance, ni à jauger un adversaire. Mais simplement à obtenir des informations dans la matrice complexe qu’est la mémoire et la mettre à profit au mieux possible. C’est une démarche de recherche. Ironique, mais pas improbable que le concierge de l’université s’intéresse à la recherche universitaire, voir l’ait lui-même été. Un cracmol ? Ce n’est pas comme si la métamorphose universitaire était la matière la plus pratique possible. Il est rare que je vois mes élèves à l’œuvre et que j’ai le temps d’observer la pratique de chacun.
C’est en cela que j’embrassais volontiers le silence. N’importe quel professeur mentirait en disant qu’il n’apprécie pas qu’on l’écoute en silence… Quelque part, nous sommes les êtres les plus narcissiques que cette Terre a engendré. Derrière les influenceurs.
Alors sous mes derniers mots, je le voyais comme reprendre le fil, reprendre constance avec le monde qui l’entoure et rompre la bulle en son esprit. Un sourire en demi-teinte de ma part, avec un léger signe de tête indiquait que je n’accordais pas d’intention à ce décalage. J’étais de celles qui n’étaient pas déranger à passer la matinée à regarder quelqu’un dans le blanc des yeux sans rien faire. Seul mon emploi du temps me contraignait à agir autrement. La science ne prend pas de congés estivaux.
Observant quelques instants l’exercice appliqué, je fouinais dans mon sac pour dégainer ma thermos de café, puis dans mon bureau, le « cling » symptomatique de bouteilles s’entrechoquant annonçant les deux verres à whisky déposés sur le plan de travail pour servir le café encore brûlant, tout en attrapant le joint du bout des doigts.
« Merci bien. »
Repris-je avant de lui laisser reprendre le fil un instant.
« Je dors peu,
Vous savez… si on compare les effets du chanvre sérieusement, ses conséquences indésirables latentes rendent son aspect récréatif proprement insignifiant.
Je… je me contente de la récréation. »
Courtes nuits, hein… ? C’est un mal que je ne connais que trop bien. L’entraînement du ministère… L’entraînement militaire… Les terreurs nocturnes… Dormir plus de sept heures de suite relève de l’exploit pour moi, et la demi-douzaine est ma moyenne haute.
« C’est pour ça qu’on fume, non ? Le plaisir. Le plaisir d’oublier qu’on a mal, qu’on est seul, qu’on n’a plus rien, qu’on est désabusé, qu’on réfléchit trop ou au contraire pas assez ; le plaisir d’oublier les responsabilités ou leur absence, le manque d’originalité aussi... Et vous alors, vous fumez pourquoi ? »
« N’est-ce pas là une allégorie de la vie ? Les conséquences indésirables latentes rendent son aspect récréatif proprement insignifiant, pour vous paraphraser. Pour autant, on continue de se tenir sur nos deux jambes, avancer et pour bon nombre d’entre nous, nous tentons désespérément de limiter les dégâts et retarder l’échéance finale. Vieillir, mourir. Probablement seul. Probablement dans la souffrance. C’est une finalité qui orchestre nos choix de vie et chacun tente de s’en protéger à sa manière. Optimisme, pessimisme, déni, confrontation… L’essentiel, je le pense, c’est de faire de la récréation quelque chose de bien plus important que les conséquences, justement. »
Un temps, une gorgée de café brûlant, allumant mon joint avant de faire glisser mon briquet le long de la table du bureau, expirant la fumée vers le plafond en me laissant basculer en arrière, ramenant mes jambes sur le grand fauteuil.
« Je fume pour combler la douleur et par hommage. »
Haussant les épaules, je me redressais vaguement pour me mettre en tailleur.
« J’ai commencé à fumer avec la première personne pour laquelle j’ai eu des sentiments. Puis… Il y a eu le poste d’Auror. Puis… »
Un instant, bref, en tendant la main, celle-ci changeait de texture, plus masculine, légèrement moins pâle, avant de reprendre rapidement son apparence.
« Mes recherches et mes prédispositions m’ont fait m’aventurer en des domaines… Marquants. L’armée moldue. Le monde de la guerre. Imaginez l’atout en tant que représentant de la justice, d’avoir en vos rang un individu dont le sens moral a été brisé par le sang, capable de changer en tout instant d’apparence ? J’ai vu et fait des choses que je n’ai pas le courage d’oublier, de peur de me les remémorer un jour. Je ne dors pas beaucoup non plus. Mon corps entier porte les stigmates de lourds traumatismes, et malgré mes efforts pour mener une vie saine, la douleur est toujours présente. »
Tirant une nouvelle latte, je gloussais, vaguement. Anecdote pouvant paraître triste, mais si je prenais soin d’en parler si ouvertement, c’est parce que j’avais bien lu qu’il ne serait émotionnellement réceptif. Ou que j’en étais du moins persuadée. Et tant mieux.
« Il s’agit ni plus, ni moins que de pouvoir tenir debout. Pour ce qui est du plaisir, je le trouve ailleurs, en des choses plus saines, une fois anesthésiée. »
Un temps, mince, assez long pour une gorgée de café et une nouvelle taffe, mais pas suffisamment pour considérer que je n’étais pas une adepte du monologue.
« Enfin. Je n’aurais pas eu l’indélicatesse de vous faire déplacer pour un cours d’Eden Sykes. Je suis curieuse, comment une même personne se retrouve à balayer, assister à des cours de métamorphose et étudier la physique en même temps ? Vous me semblez bien jeune et pourtant bien composite. »
[Désolée pour le temps de réponse ]
Nos similitudes se fondent là, nos regards ne cherchent pas la bienséance, ni à jauger un adversaire. Mais simplement à obtenir des informations dans la matrice complexe qu’est la mémoire et la mettre à profit au mieux possible. C’est une démarche de recherche. Ironique, mais pas improbable que le concierge de l’université s’intéresse à la recherche universitaire, voir l’ait lui-même été. Un cracmol ? Ce n’est pas comme si la métamorphose universitaire était la matière la plus pratique possible. Il est rare que je vois mes élèves à l’œuvre et que j’ai le temps d’observer la pratique de chacun.
C’est en cela que j’embrassais volontiers le silence. N’importe quel professeur mentirait en disant qu’il n’apprécie pas qu’on l’écoute en silence… Quelque part, nous sommes les êtres les plus narcissiques que cette Terre a engendré. Derrière les influenceurs.
Alors sous mes derniers mots, je le voyais comme reprendre le fil, reprendre constance avec le monde qui l’entoure et rompre la bulle en son esprit. Un sourire en demi-teinte de ma part, avec un léger signe de tête indiquait que je n’accordais pas d’intention à ce décalage. J’étais de celles qui n’étaient pas déranger à passer la matinée à regarder quelqu’un dans le blanc des yeux sans rien faire. Seul mon emploi du temps me contraignait à agir autrement. La science ne prend pas de congés estivaux.
Observant quelques instants l’exercice appliqué, je fouinais dans mon sac pour dégainer ma thermos de café, puis dans mon bureau, le « cling » symptomatique de bouteilles s’entrechoquant annonçant les deux verres à whisky déposés sur le plan de travail pour servir le café encore brûlant, tout en attrapant le joint du bout des doigts.
« Merci bien. »
Repris-je avant de lui laisser reprendre le fil un instant.
« Je dors peu,
Vous savez… si on compare les effets du chanvre sérieusement, ses conséquences indésirables latentes rendent son aspect récréatif proprement insignifiant.
Je… je me contente de la récréation. »
Courtes nuits, hein… ? C’est un mal que je ne connais que trop bien. L’entraînement du ministère… L’entraînement militaire… Les terreurs nocturnes… Dormir plus de sept heures de suite relève de l’exploit pour moi, et la demi-douzaine est ma moyenne haute.
« C’est pour ça qu’on fume, non ? Le plaisir. Le plaisir d’oublier qu’on a mal, qu’on est seul, qu’on n’a plus rien, qu’on est désabusé, qu’on réfléchit trop ou au contraire pas assez ; le plaisir d’oublier les responsabilités ou leur absence, le manque d’originalité aussi... Et vous alors, vous fumez pourquoi ? »
« N’est-ce pas là une allégorie de la vie ? Les conséquences indésirables latentes rendent son aspect récréatif proprement insignifiant, pour vous paraphraser. Pour autant, on continue de se tenir sur nos deux jambes, avancer et pour bon nombre d’entre nous, nous tentons désespérément de limiter les dégâts et retarder l’échéance finale. Vieillir, mourir. Probablement seul. Probablement dans la souffrance. C’est une finalité qui orchestre nos choix de vie et chacun tente de s’en protéger à sa manière. Optimisme, pessimisme, déni, confrontation… L’essentiel, je le pense, c’est de faire de la récréation quelque chose de bien plus important que les conséquences, justement. »
Un temps, une gorgée de café brûlant, allumant mon joint avant de faire glisser mon briquet le long de la table du bureau, expirant la fumée vers le plafond en me laissant basculer en arrière, ramenant mes jambes sur le grand fauteuil.
« Je fume pour combler la douleur et par hommage. »
Haussant les épaules, je me redressais vaguement pour me mettre en tailleur.
« J’ai commencé à fumer avec la première personne pour laquelle j’ai eu des sentiments. Puis… Il y a eu le poste d’Auror. Puis… »
Un instant, bref, en tendant la main, celle-ci changeait de texture, plus masculine, légèrement moins pâle, avant de reprendre rapidement son apparence.
« Mes recherches et mes prédispositions m’ont fait m’aventurer en des domaines… Marquants. L’armée moldue. Le monde de la guerre. Imaginez l’atout en tant que représentant de la justice, d’avoir en vos rang un individu dont le sens moral a été brisé par le sang, capable de changer en tout instant d’apparence ? J’ai vu et fait des choses que je n’ai pas le courage d’oublier, de peur de me les remémorer un jour. Je ne dors pas beaucoup non plus. Mon corps entier porte les stigmates de lourds traumatismes, et malgré mes efforts pour mener une vie saine, la douleur est toujours présente. »
Tirant une nouvelle latte, je gloussais, vaguement. Anecdote pouvant paraître triste, mais si je prenais soin d’en parler si ouvertement, c’est parce que j’avais bien lu qu’il ne serait émotionnellement réceptif. Ou que j’en étais du moins persuadée. Et tant mieux.
« Il s’agit ni plus, ni moins que de pouvoir tenir debout. Pour ce qui est du plaisir, je le trouve ailleurs, en des choses plus saines, une fois anesthésiée. »
Un temps, mince, assez long pour une gorgée de café et une nouvelle taffe, mais pas suffisamment pour considérer que je n’étais pas une adepte du monologue.
« Enfin. Je n’aurais pas eu l’indélicatesse de vous faire déplacer pour un cours d’Eden Sykes. Je suis curieuse, comment une même personne se retrouve à balayer, assister à des cours de métamorphose et étudier la physique en même temps ? Vous me semblez bien jeune et pourtant bien composite. »
[Désolée pour le temps de réponse ]
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Mer 3 Fév 2021 - 14:12
Il n’en avait pas eu l’intention, mais manifestement, quelque chose dans ses paroles ou son attitude avait percé un trou dans la tête de la jeune femme pour en déverser tout le contenu dans un long flot uniquement interrompu par une suave envie de fumer. Parfois, curieusement, souvent sans préméditation, il suffisait de bien peu pour que quelqu’un se révèle loquace. Le bavardage était habituellement l’usage de la vanité ou de l’orgueil : c’était on ne peut plus vrai dans le monde de la recherche et des sciences, où de nombreux prétendus savants, sous prétexte d’une moindre réussite, finissaient par ne plus se sentir pisser. Comportement qui portait le doux nom de syndrome de Galilée. Outre la prétention, certains jouissaient du monologue et de la capacité à s’écouter parler presque indéfiniment. Une pratique courante parmi les pairs, dont Nathanael avait pu apprécier la suffisance lorsqu’il s’était agi de constituer la liste de ses sources ou de passer l’interrogatoire immanquable à toute thèse. Il suffisait de frôler une corde sensible, comme le disait la proverbiale expression, pour dénouer les langues, selon une autre expression tout aussi barbare.
Mais ce qui l’avait frappé, voir vaguement gêné dans cette dissertation, ce fut son caractère intime, prompt à dévoiler une vie entière pour illustrer un propos. Nathanael, pris en étau par le premier aveu personnel, cessa de bouger dans l’attente de savoir s’il s’agissait d’une maladresse bientôt regrettée ou non. Mais la jeune professeur ne cessa pas de parler, se plongeant même davantage dans sa fresque intimiste. Sachant alors qu’elle lui livrait son contenu volontairement, le concierge se détendit sensiblement en l’absence de représailles et se mit à écouter, ses yeux sans fond plongés dans le vague.
Elle avait un discours qu’il pouvait qualifier de libéral, et qui se heurtait péniblement à son apprentissage imprégné par la métaphysique occidentale. Dans son vocabulaire, la récréation était une forme de déni, ou plus précisément comme l’avait statué Pascal, tout divertissement était une façon de ne pas penser à la mort. Sans aller jusque-là, néanmoins, préférer les réjouissances aux conséquences était la même chose que d’encourager les phases maniaques d’un bipolaire. Et de façon involontaire peut-être, la jeune femme en était naturellement revenue à l’essentiel : la distraction était de toute façon éphémère et la vie n’était souvent que souffrances. Du reste, la métaphore se prêtait assez mal à son mode de pensées : le bonheur était davantage un cadeau qu’un but à poursuivre, aussi ne cherchait-il pas à occulter le malheur ou à s’inventer des bénéfices, et encore moins à sacrifier le futur en ne songeant qu’au présent dans un désir de négliger les conséquences. La précondition fondamentale, enseignée par tant de religions, était que la vie n’était que tragédie ; l’erreur était de penser que le bonheur était son Némésis.
Nathanael jeta un lent mais timide coup d’oeil à la professeur. Il avait l’impression de contempler quelqu’un qui n’avait pas encore trouvé de sens à toutes les sombres épreuves que lui avait imposé la vie, s’abandonnant inconsciemment à une forme d’injustice fatale tout en manipulant maladroitement de plaisirs qui n’aboutissaient pas toujours, ou auxquels il fallait, à eux aussi, donner du sens. A chaque étape de sa vie, quelque chose lui avait donné raison dans la chercher de cette « récréation », les évènements se succédant inlassablement les uns aux autres avec à chaque fois, leur lot de dénégation.
Absorbé dans des réflexions sur les convenances, car il ne savait jamais s’il fallait relancer la conversation ou pas, Nathanael avait failli manquer l’illustration du don entre deux phrases. Un changement fluide et pourtant désolidarisé du reste du corps : la métamorphose d’une main. Cette furtive observation le laissa plus interdit qu’il ne l’avait été, car tout comme l’alcool, le chanvre n’avait sur les mécanismes de son intellect qu’une influence limitée. Tout en l’écoutant, il réfléchit longuement, comme quelqu’un d’absent. Pendant ce temps, à des considérations plus conceptuelles étaient venues se mêler des pensées toujours plus mornes, au point de rendre la justification de cette récréation obsolète : comme quelqu’un tentant de faire un garrot avec une ficelle. Nathanael releva quelque peu son regard vers la frêle figure à ses côtés, mue par le besoin de parler et de dédramatiser en racontant sa vie comme un négligeable bavardage, et se demanda si c’était une façon de se sentir mieux. De dénigrer sa douleur en l’offrant facilement et avec légèreté, comme si elle avait trop peu d’importance pour être protégée.
«Enfin. Je n’aurais pas eu l’indélicatesse de vous faire déplacer pour un cours d’Eden Sykes. Je suis curieuse, comment une même personne se retrouve à balayer, assister à des cours de métamorphose et étudier la physique en même temps ? Vous me semblez bien jeune et pourtant bien composite.
- Merci, dit-il machinalement sans savoir s’il s’agissait d’un véritablement compliment, se laissant ainsi le temps d’abandonner sa contemplation. Mais la physique n’est pas une compétence particulièrement viable ici, chez vous, ce qui me laisse le loisir de tâches qui ne demandent aucune aptitude à priori, quoi qu’à mon avis, toute activité devrait requérir une qualification minimale. Quant à la métamorphose, elle comble mes très nombreuses lacunes. » répondit-il d’une traite, mais avec une voix suffisamment traînante et languide pour n’essouffler ni son interlocuteur, ni sa propre endurance.
Il savait ce qu’elle voulait dire, mais de son point de vue personnel, il avait eu un parcours relativement classique quoi que plus poussé que la majorité, et de son point de vue à elle, il aurait du en réalité être moins composite que tout simplement en retard sur sa génération de ce monde-ci. Alors, il se débarrassa de ses cendres et compléta :
«Je suis aussi composite qu’un moldu peut l’être dans un monde moldu ou qu’un sorcier l’est dans un monde sorcier. C’est quand on va dans des endroits auxquels on n’est pas préparés qu’on trouve des doctorants en train de balayer le sol. Quoi que c’est un phénomène qui, tragiquement, se généralise : il faut croire que les études ne valent plus grand-chose. » conclut-il sur sa situation avec un ton toujours aussi détaché et pourtant rendu terriblement indolent par une mâchoire paresseuse.
Parler de lui ne l’avait que très rarement intéressé, le processus revenant à raconter à des gens ce qu’il savait déjà, mais sa désaffection était surtout motivée par une curiosité qui le pressait à finir sa réponse pour revenir à ce qui l’intriguait lui. Ce qu’il fit : il jeta un regard songeur à la main de la jeune femme, se débarrassa de ses cendres et, après avoir tiré sur son joint jusqu’à rendre sa voix gutturale, il demanda :
«Ca peut rendre dingue ? Ce qui était l’aboutissement d’une pensée ne s’expliquant nulle part, alors il spécifia après un succinct silence :Ce qui revient dans les récits de ceux ayant eu une transplantation du visage, ou ceux ayant abusé de la chirurgie, c’est qu’ils ne savent plus qui ils sont. Vous, vous changez de forme à votre guise. Après tout ce temps, cette « anesthésie » et cette facilité à ne plus ressembler à la personne qui a souffert, vous savez encore qui vous êtes ? »
@Eden Sykes Mille excuses pour ce délais
Mais ce qui l’avait frappé, voir vaguement gêné dans cette dissertation, ce fut son caractère intime, prompt à dévoiler une vie entière pour illustrer un propos. Nathanael, pris en étau par le premier aveu personnel, cessa de bouger dans l’attente de savoir s’il s’agissait d’une maladresse bientôt regrettée ou non. Mais la jeune professeur ne cessa pas de parler, se plongeant même davantage dans sa fresque intimiste. Sachant alors qu’elle lui livrait son contenu volontairement, le concierge se détendit sensiblement en l’absence de représailles et se mit à écouter, ses yeux sans fond plongés dans le vague.
Elle avait un discours qu’il pouvait qualifier de libéral, et qui se heurtait péniblement à son apprentissage imprégné par la métaphysique occidentale. Dans son vocabulaire, la récréation était une forme de déni, ou plus précisément comme l’avait statué Pascal, tout divertissement était une façon de ne pas penser à la mort. Sans aller jusque-là, néanmoins, préférer les réjouissances aux conséquences était la même chose que d’encourager les phases maniaques d’un bipolaire. Et de façon involontaire peut-être, la jeune femme en était naturellement revenue à l’essentiel : la distraction était de toute façon éphémère et la vie n’était souvent que souffrances. Du reste, la métaphore se prêtait assez mal à son mode de pensées : le bonheur était davantage un cadeau qu’un but à poursuivre, aussi ne cherchait-il pas à occulter le malheur ou à s’inventer des bénéfices, et encore moins à sacrifier le futur en ne songeant qu’au présent dans un désir de négliger les conséquences. La précondition fondamentale, enseignée par tant de religions, était que la vie n’était que tragédie ; l’erreur était de penser que le bonheur était son Némésis.
Nathanael jeta un lent mais timide coup d’oeil à la professeur. Il avait l’impression de contempler quelqu’un qui n’avait pas encore trouvé de sens à toutes les sombres épreuves que lui avait imposé la vie, s’abandonnant inconsciemment à une forme d’injustice fatale tout en manipulant maladroitement de plaisirs qui n’aboutissaient pas toujours, ou auxquels il fallait, à eux aussi, donner du sens. A chaque étape de sa vie, quelque chose lui avait donné raison dans la chercher de cette « récréation », les évènements se succédant inlassablement les uns aux autres avec à chaque fois, leur lot de dénégation.
Absorbé dans des réflexions sur les convenances, car il ne savait jamais s’il fallait relancer la conversation ou pas, Nathanael avait failli manquer l’illustration du don entre deux phrases. Un changement fluide et pourtant désolidarisé du reste du corps : la métamorphose d’une main. Cette furtive observation le laissa plus interdit qu’il ne l’avait été, car tout comme l’alcool, le chanvre n’avait sur les mécanismes de son intellect qu’une influence limitée. Tout en l’écoutant, il réfléchit longuement, comme quelqu’un d’absent. Pendant ce temps, à des considérations plus conceptuelles étaient venues se mêler des pensées toujours plus mornes, au point de rendre la justification de cette récréation obsolète : comme quelqu’un tentant de faire un garrot avec une ficelle. Nathanael releva quelque peu son regard vers la frêle figure à ses côtés, mue par le besoin de parler et de dédramatiser en racontant sa vie comme un négligeable bavardage, et se demanda si c’était une façon de se sentir mieux. De dénigrer sa douleur en l’offrant facilement et avec légèreté, comme si elle avait trop peu d’importance pour être protégée.
«Enfin. Je n’aurais pas eu l’indélicatesse de vous faire déplacer pour un cours d’Eden Sykes. Je suis curieuse, comment une même personne se retrouve à balayer, assister à des cours de métamorphose et étudier la physique en même temps ? Vous me semblez bien jeune et pourtant bien composite.
- Merci, dit-il machinalement sans savoir s’il s’agissait d’un véritablement compliment, se laissant ainsi le temps d’abandonner sa contemplation. Mais la physique n’est pas une compétence particulièrement viable ici, chez vous, ce qui me laisse le loisir de tâches qui ne demandent aucune aptitude à priori, quoi qu’à mon avis, toute activité devrait requérir une qualification minimale. Quant à la métamorphose, elle comble mes très nombreuses lacunes. » répondit-il d’une traite, mais avec une voix suffisamment traînante et languide pour n’essouffler ni son interlocuteur, ni sa propre endurance.
Il savait ce qu’elle voulait dire, mais de son point de vue personnel, il avait eu un parcours relativement classique quoi que plus poussé que la majorité, et de son point de vue à elle, il aurait du en réalité être moins composite que tout simplement en retard sur sa génération de ce monde-ci. Alors, il se débarrassa de ses cendres et compléta :
«Je suis aussi composite qu’un moldu peut l’être dans un monde moldu ou qu’un sorcier l’est dans un monde sorcier. C’est quand on va dans des endroits auxquels on n’est pas préparés qu’on trouve des doctorants en train de balayer le sol. Quoi que c’est un phénomène qui, tragiquement, se généralise : il faut croire que les études ne valent plus grand-chose. » conclut-il sur sa situation avec un ton toujours aussi détaché et pourtant rendu terriblement indolent par une mâchoire paresseuse.
Parler de lui ne l’avait que très rarement intéressé, le processus revenant à raconter à des gens ce qu’il savait déjà, mais sa désaffection était surtout motivée par une curiosité qui le pressait à finir sa réponse pour revenir à ce qui l’intriguait lui. Ce qu’il fit : il jeta un regard songeur à la main de la jeune femme, se débarrassa de ses cendres et, après avoir tiré sur son joint jusqu’à rendre sa voix gutturale, il demanda :
«Ca peut rendre dingue ? Ce qui était l’aboutissement d’une pensée ne s’expliquant nulle part, alors il spécifia après un succinct silence :Ce qui revient dans les récits de ceux ayant eu une transplantation du visage, ou ceux ayant abusé de la chirurgie, c’est qu’ils ne savent plus qui ils sont. Vous, vous changez de forme à votre guise. Après tout ce temps, cette « anesthésie » et cette facilité à ne plus ressembler à la personne qui a souffert, vous savez encore qui vous êtes ? »
@Eden Sykes Mille excuses pour ce délais
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Sam 20 Mar 2021 - 11:44
- Merci,
D’un hochement de tête, puisque nous nous sommes visiblement compris fluidement sur l’intention de mes mots, je lui indiquais que le compliment était tout naturel. Soulever le bon chez autrui, c’est une manière peut-être de rassurer, mettre en sécurité, mais surtout de stimuler un sentiment positif, sans qu’il ne faille pourtant tomber dans l’excès.
Mais la physique n’est pas une compétence particulièrement viable ici, chez vous, ce qui me laisse le loisir de tâches qui ne demandent aucune aptitude à priori, quoi qu’à mon avis, toute activité devrait requérir une qualification minimale. Quant à la métamorphose, elle comble mes très nombreuses lacunes. »
Des mots sages, bien qu’un peu pessimistes à mon goût, mais qui suis-je pour parler de pessimisme, franchement ? Je prenais un temps pour songer à ses mots, avant qu’il ne décide de reprendre pour compléter.
«Je suis aussi composite qu’un moldu peut l’être dans un monde moldu ou qu’un sorcier l’est dans un monde sorcier. C’est quand on va dans des endroits auxquels on n’est pas préparés qu’on trouve des doctorants en train de balayer le sol. Quoi que c’est un phénomène qui, tragiquement, se généralise : il faut croire que les études ne valent plus grand-chose. »
J’acquiesçais vaguement en intégrant son cheminement de pensée. Il est vrai que mes propres études étaient loin de mon domaine d’activité professionnelle, lors de ma première expérience et en un sens, c’est toujours le cas. Mais en bonne pratiquante de la métamorphose que je suis, je m’adapte, et je pense que tout est question de ça. Savoir s’adapter. Obtenir un savoir théorique ou technique permet de combler une lacune dans une situation donnée, plus le savoir est vaste et s’applique à nombre de milieux, plus on devient un agent efficient.
« Je ne vous infligerais pas l’affront de dire qu’il n’y a pas de sous-métier, se serait au mieux faux, au pire terriblement insultant. Mais je ne peux que vous souhaiter de parvenir à combler vos lacunes, renforcer vos forces pour atteindre vos objectifs et la porte de ma salle vous est bien évidemment grande ouverte. »
En redressant mes jambes, mes pieds nus vinrent s’embrasser dans une position qui pourrait en un premier temps paraître bien inconfortable sans avoir un minimum de flexibilité, tirant quelques lattes en battant des cils en l’observant regarder ma main.
«Ca peut rendre dingue ?
Mon regard s’alourdissait un instant. A quoi fait… Oh.
Ce qui revient dans les récits de ceux ayant eu une transplantation du visage, ou ceux ayant abusé de la chirurgie, c’est qu’ils ne savent plus qui ils sont. Vous, vous changez de forme à votre guise. Après tout ce temps, cette « anesthésie » et cette facilité à ne plus ressembler à la personne qui a souffert, vous savez encore qui vous êtes ? »
Je penchais la tête en arrière, comme pour fuir son regard. Je n’ai aucune pudeur en ce qu’il est du factuel concernant mon passé, hormis pour ce que je ne peux dévoiler, en revanche, dès qu’il s’agit de ce que je ressens, ça devient plus compliqué. Objectiver des sensations, c’est une fuite viable, mais trop futile pour que cela ne sonne pas comme un mensonge. Et un professeur qui transmet de faux savoirs, quels qu’ils soient, n’a selon moi pas sa place dans un amphithéâtre.
« C’est une manière de voir les choses. J’ai mis un temps long à l’admettre, mais l’apparence, c’est surtout un reflet de l’inconscient collectif. Vous n’êtes pas perçu de la même manière pour votre physique ici, dans un petit village, à l’étranger ou sur un autre continent. La culture apporte la notion de norme, d’attractivité, de rejet.
En ce qui me concerne, je répondrai à votre question avec pudeur. Je ne me souviens plus de mon vrai visage. Je l’ai oublié il y a bien longtemps. Alors en ce sens non, je ne me souviens plus de qui j’étais. Mais je sais ce que je veux être, et mon apparence évolue en fonction de ça. L’Eden solitaire et introvertie s’illustrait par une apparence simple, sobre et extrêmement oubliable, l’Eden enseignante, directrice de maison, s’attachant à la bienveillance et à la réussite de ses élèves, elle, rentre dans les codes de la beauté féminine standards en arborant des traits lumineux. Mais demain, je pourrais bien être un homme, un enfant, une personne âgée.
J’ai décidé de concevoir mon apparence par un prolongement de moi. Ou plutôt de mon moi idéal. C’est à nouveau peut-être une forme de déni, mais se donner les moyens de devenir ce qu’on veut être est à mon sens bien plus important que de savoir qui on est, à défaut de pouvoir concilier les deux. »
Battant des cils, je pouffais de rire en tirant une latte avant de secouer la tête.
« Désolée. Je n’ai jamais eu un esprit très synthétique. J’imagine que mes innombrables laïus en cours doivent être au moins aussi soporifiques que cette explication. »
D’un hochement de tête, puisque nous nous sommes visiblement compris fluidement sur l’intention de mes mots, je lui indiquais que le compliment était tout naturel. Soulever le bon chez autrui, c’est une manière peut-être de rassurer, mettre en sécurité, mais surtout de stimuler un sentiment positif, sans qu’il ne faille pourtant tomber dans l’excès.
Mais la physique n’est pas une compétence particulièrement viable ici, chez vous, ce qui me laisse le loisir de tâches qui ne demandent aucune aptitude à priori, quoi qu’à mon avis, toute activité devrait requérir une qualification minimale. Quant à la métamorphose, elle comble mes très nombreuses lacunes. »
Des mots sages, bien qu’un peu pessimistes à mon goût, mais qui suis-je pour parler de pessimisme, franchement ? Je prenais un temps pour songer à ses mots, avant qu’il ne décide de reprendre pour compléter.
«Je suis aussi composite qu’un moldu peut l’être dans un monde moldu ou qu’un sorcier l’est dans un monde sorcier. C’est quand on va dans des endroits auxquels on n’est pas préparés qu’on trouve des doctorants en train de balayer le sol. Quoi que c’est un phénomène qui, tragiquement, se généralise : il faut croire que les études ne valent plus grand-chose. »
J’acquiesçais vaguement en intégrant son cheminement de pensée. Il est vrai que mes propres études étaient loin de mon domaine d’activité professionnelle, lors de ma première expérience et en un sens, c’est toujours le cas. Mais en bonne pratiquante de la métamorphose que je suis, je m’adapte, et je pense que tout est question de ça. Savoir s’adapter. Obtenir un savoir théorique ou technique permet de combler une lacune dans une situation donnée, plus le savoir est vaste et s’applique à nombre de milieux, plus on devient un agent efficient.
« Je ne vous infligerais pas l’affront de dire qu’il n’y a pas de sous-métier, se serait au mieux faux, au pire terriblement insultant. Mais je ne peux que vous souhaiter de parvenir à combler vos lacunes, renforcer vos forces pour atteindre vos objectifs et la porte de ma salle vous est bien évidemment grande ouverte. »
En redressant mes jambes, mes pieds nus vinrent s’embrasser dans une position qui pourrait en un premier temps paraître bien inconfortable sans avoir un minimum de flexibilité, tirant quelques lattes en battant des cils en l’observant regarder ma main.
«Ca peut rendre dingue ?
Mon regard s’alourdissait un instant. A quoi fait… Oh.
Ce qui revient dans les récits de ceux ayant eu une transplantation du visage, ou ceux ayant abusé de la chirurgie, c’est qu’ils ne savent plus qui ils sont. Vous, vous changez de forme à votre guise. Après tout ce temps, cette « anesthésie » et cette facilité à ne plus ressembler à la personne qui a souffert, vous savez encore qui vous êtes ? »
Je penchais la tête en arrière, comme pour fuir son regard. Je n’ai aucune pudeur en ce qu’il est du factuel concernant mon passé, hormis pour ce que je ne peux dévoiler, en revanche, dès qu’il s’agit de ce que je ressens, ça devient plus compliqué. Objectiver des sensations, c’est une fuite viable, mais trop futile pour que cela ne sonne pas comme un mensonge. Et un professeur qui transmet de faux savoirs, quels qu’ils soient, n’a selon moi pas sa place dans un amphithéâtre.
« C’est une manière de voir les choses. J’ai mis un temps long à l’admettre, mais l’apparence, c’est surtout un reflet de l’inconscient collectif. Vous n’êtes pas perçu de la même manière pour votre physique ici, dans un petit village, à l’étranger ou sur un autre continent. La culture apporte la notion de norme, d’attractivité, de rejet.
En ce qui me concerne, je répondrai à votre question avec pudeur. Je ne me souviens plus de mon vrai visage. Je l’ai oublié il y a bien longtemps. Alors en ce sens non, je ne me souviens plus de qui j’étais. Mais je sais ce que je veux être, et mon apparence évolue en fonction de ça. L’Eden solitaire et introvertie s’illustrait par une apparence simple, sobre et extrêmement oubliable, l’Eden enseignante, directrice de maison, s’attachant à la bienveillance et à la réussite de ses élèves, elle, rentre dans les codes de la beauté féminine standards en arborant des traits lumineux. Mais demain, je pourrais bien être un homme, un enfant, une personne âgée.
J’ai décidé de concevoir mon apparence par un prolongement de moi. Ou plutôt de mon moi idéal. C’est à nouveau peut-être une forme de déni, mais se donner les moyens de devenir ce qu’on veut être est à mon sens bien plus important que de savoir qui on est, à défaut de pouvoir concilier les deux. »
Battant des cils, je pouffais de rire en tirant une latte avant de secouer la tête.
« Désolée. Je n’ai jamais eu un esprit très synthétique. J’imagine que mes innombrables laïus en cours doivent être au moins aussi soporifiques que cette explication. »
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Mer 31 Mar 2021 - 11:07
Le tétrahydrocannabinol avait entamé sa lente modification du rythme cérébral. Comme ceux qui prétendaient entendre les couleurs ou voir les sons, Nathanael était frappé par l’étrange synesthésie de sentir l’impalpable. D’un point de vue holistique, il était apparemment simplement à l’écoute de son corps, mais son médecin était moins à l’aise quant à sa capacité à entendre les battements de son coeur, la circulation de son sang, ou les variations de ses cellules. Fantasme qui était comme les bruits parasites d’un électroencéphalogramme, mais qu’il se plaisait à entretenir dans un esprit de poésie purement nombriliste. Il allait même jusqu’à avoir l’illusion de sentir le THC se déposer dans ses graisses et la racine de ses cheveux, fasciné par le temps considérable qu’il fallait pour éliminer complètement de l’organisme toute trace de cette substance après une seule utilisation. Plus d’un mois. Ou peut-être ne s’agissait-il que des propriétés psychoactives qui exagéraient une sensibilité accrue à sa propre chair. En scrupuleux observateur, avide scientifique, Nathanael se demandait toujours quel message son inconscient tentait-il de lui communiquer à travers les rêves et les trips hallucinatoires. Et comment distinguer tout ceci d’un début de psychose ou de schizophrénie ? Techniquement, il fumait bien trop peu pour subir les effets à long terme, mais hypothétiquement sa paranoïa lui avait déjà suggéré que son manque de compassion et ses difficultés cognitives sociales étaient le fruit d’un effet secondaire probable. Rien que ses interactions chimiques mystérieuses avaient de quoi le rendre obsessionnel, alors il peinait à s’imaginer l’esprit de quelqu’un qui n’avait pas vraiment de visage, pas vraiment de corps, pas vraiment d’identité. La métamorphose, c’était chouette sur le papier, mais entre Kafka et Ovide, l’allégorie était vaste sur ce que l’apparence pouvait dire de nous et la manière dont le changement était invariablement intriqué dans l’existence.
Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle fut sincère, ni particulièrement scrupuleuse dans les détails. Les réponses étaient souvent évasives par manque de temps et d’élaboration, si ce n’était simplement par pure fainéantise. L’évocation de Jung lui arracha néanmoins le léger haussement de sourcils d’un étonnement presque convenu. Il s’étonna tout autant que l’inconscient collectif fut réduit dans son explication pour servir d’une certaine façon sa motivation protéiforme en lui accordant une existence plus locale que globale. Jung plaçait cet inconscient parmi les héritiers d’une même espèce plutôt que d’une semblable culture, mais Nathanael envisageait en quoi la micro-gestion de ce principe cherchait à expliquer les différences fondamentales entre les grandes entités d’une même espèce.
Les yeux dans le vague et probablement déjà dilatés, Nathanael écouta tout en réfléchissant à l’idée que cet inconscient collectif avait induit en lui et qui, d’une certaine façon, se confirmait à mesure que la jeune femme s’illustrait. Sans prêter attention à ses excuses inutiles, les refermant dans la parenthèse de sa propre pensée, Nathanael enchaîna d’une voix devenue d’autant plus blanche et grave qu’il se sentait progressivement asthénique.
« Mais vous ne serez jamais vraiment un homme, un enfant ou une personne âgée, ni totalement l’Eden solitaire, ni totalement l’Eden enseignante. Et pourtant vous serez tout cela un peu à la fois, un peu comme une blague qui dissimule un fond de vérité. Comme un sarcasme » commenta-t-il avec le parfait sérieux réfléchi du professeur qu’il avait un jour été. Puis il se retourna soudain vers la jeune femme, sans vraiment la regarder comme à son habitude, mais fixant vaguement une spécificité quelconque de son visage. « Je crois que vous savez qui vous êtes. Sans point de repère, on ne peut pas avancer, sans comparaison, on n’a pas d’idéal. Si vous avez un idéal, c’est que vous savez que vous ne l’êtes pas aujourd’hui. Votre apparence semble suivre votre trait prédominant, votre ambition, comme une robe. C’est une forme d’honnêteté ? Ou de mensonge… peut-être même les deux. »
Il se tut longuement et parut réfléchir, la cigarette roulée main pendant lâchement entre ses lèvres étroites, sèches. Bizarrement, presque tout ce qui altérait l’esprit déshydratait le corps… Et puis soudain il regarda la jeune femme dans les yeux, fixement.
« Vous êtes un livre ouvert bien plus que n’importe qui d’autre. Chaque forme est susceptible de révéler quelque chose à votre sujet. Vous vivez peut-être même votre identité bien plus librement que quiconque... »
Nathanael parut comme subjugué par sa propre découverte. C’était comme essayer de disséquer son propre rêve, de communiquer avec l’inconscient. Il ne savait pas pourquoi cette révélation le troublait, d’autant qu’il l’avait en l’état déduit lui-même en sachant parfaitement que la psyché était une science volatile. Ses yeux demeurèrent un instant sur « Eden » dans une veine tentative de desceller cette vérité supputée, mais dut rapidement abandonner ce projet à une cécité passagère de l’esprit, adage des neuroleptiques. Paresseusement, il renversa la tête sur le dossier de son fauteuil, délaissant la vue de ce corps blanc pommelé de rouille qui ne lui dévoilait rien d’autre que sa grâce.
« Et même, en prenant l’apparence de quelqu’un d’autre, ça peut vous révéler des vérités à leur sujet… c’est terrifiant » conclut-il dans un chuchotement sifflant, les deux bras lovés contre la rondeur des accoudoirs, regrettant de n’avoir aucun fume-cigare pour éviter que la cendre n’échoue sur son visage.
« Ca vous dirait de prendre ma place pour passer un examen de vie civique au Ministère ? » Demanda-t-il soudain, sa voix atone donnant comme toujours peu d’informations quant au degré de sa requête.
Il aurait pu plaisanter comme être parfaitement sérieux ; même lui ne savait pas exactement d’où ce désir lui était venu. Ses yeux languides, bas et tranquillement tristes demeurèrent immobiles ; son cou se déployait longuement dans la confiance blanche et placide d’une matinée oisive, pleine de songes. Comme jamais, Nathanael était tout en longueur, tout en torpeur savourée. Il releva néanmoins son poignet vers son visage pour constater une montre qui n’existait pas :
« C’est dans deux semaines. C’est une lacune que je n’ai que médiocrement réussi à dissimuler dans le monde moldu, alors dans celui des sorciers… Je vous paye. En liquide, en kilos de carottes, en antiquités, en nature, en services, comme vous voulez. »
Le doute demeura… peut-être était-ce son inconscient qui lui rappelait à quel point l’intégration avait été pour lui une affaire de bluff.
Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle fut sincère, ni particulièrement scrupuleuse dans les détails. Les réponses étaient souvent évasives par manque de temps et d’élaboration, si ce n’était simplement par pure fainéantise. L’évocation de Jung lui arracha néanmoins le léger haussement de sourcils d’un étonnement presque convenu. Il s’étonna tout autant que l’inconscient collectif fut réduit dans son explication pour servir d’une certaine façon sa motivation protéiforme en lui accordant une existence plus locale que globale. Jung plaçait cet inconscient parmi les héritiers d’une même espèce plutôt que d’une semblable culture, mais Nathanael envisageait en quoi la micro-gestion de ce principe cherchait à expliquer les différences fondamentales entre les grandes entités d’une même espèce.
Les yeux dans le vague et probablement déjà dilatés, Nathanael écouta tout en réfléchissant à l’idée que cet inconscient collectif avait induit en lui et qui, d’une certaine façon, se confirmait à mesure que la jeune femme s’illustrait. Sans prêter attention à ses excuses inutiles, les refermant dans la parenthèse de sa propre pensée, Nathanael enchaîna d’une voix devenue d’autant plus blanche et grave qu’il se sentait progressivement asthénique.
« Mais vous ne serez jamais vraiment un homme, un enfant ou une personne âgée, ni totalement l’Eden solitaire, ni totalement l’Eden enseignante. Et pourtant vous serez tout cela un peu à la fois, un peu comme une blague qui dissimule un fond de vérité. Comme un sarcasme » commenta-t-il avec le parfait sérieux réfléchi du professeur qu’il avait un jour été. Puis il se retourna soudain vers la jeune femme, sans vraiment la regarder comme à son habitude, mais fixant vaguement une spécificité quelconque de son visage. « Je crois que vous savez qui vous êtes. Sans point de repère, on ne peut pas avancer, sans comparaison, on n’a pas d’idéal. Si vous avez un idéal, c’est que vous savez que vous ne l’êtes pas aujourd’hui. Votre apparence semble suivre votre trait prédominant, votre ambition, comme une robe. C’est une forme d’honnêteté ? Ou de mensonge… peut-être même les deux. »
Il se tut longuement et parut réfléchir, la cigarette roulée main pendant lâchement entre ses lèvres étroites, sèches. Bizarrement, presque tout ce qui altérait l’esprit déshydratait le corps… Et puis soudain il regarda la jeune femme dans les yeux, fixement.
« Vous êtes un livre ouvert bien plus que n’importe qui d’autre. Chaque forme est susceptible de révéler quelque chose à votre sujet. Vous vivez peut-être même votre identité bien plus librement que quiconque... »
Nathanael parut comme subjugué par sa propre découverte. C’était comme essayer de disséquer son propre rêve, de communiquer avec l’inconscient. Il ne savait pas pourquoi cette révélation le troublait, d’autant qu’il l’avait en l’état déduit lui-même en sachant parfaitement que la psyché était une science volatile. Ses yeux demeurèrent un instant sur « Eden » dans une veine tentative de desceller cette vérité supputée, mais dut rapidement abandonner ce projet à une cécité passagère de l’esprit, adage des neuroleptiques. Paresseusement, il renversa la tête sur le dossier de son fauteuil, délaissant la vue de ce corps blanc pommelé de rouille qui ne lui dévoilait rien d’autre que sa grâce.
« Et même, en prenant l’apparence de quelqu’un d’autre, ça peut vous révéler des vérités à leur sujet… c’est terrifiant » conclut-il dans un chuchotement sifflant, les deux bras lovés contre la rondeur des accoudoirs, regrettant de n’avoir aucun fume-cigare pour éviter que la cendre n’échoue sur son visage.
« Ca vous dirait de prendre ma place pour passer un examen de vie civique au Ministère ? » Demanda-t-il soudain, sa voix atone donnant comme toujours peu d’informations quant au degré de sa requête.
Il aurait pu plaisanter comme être parfaitement sérieux ; même lui ne savait pas exactement d’où ce désir lui était venu. Ses yeux languides, bas et tranquillement tristes demeurèrent immobiles ; son cou se déployait longuement dans la confiance blanche et placide d’une matinée oisive, pleine de songes. Comme jamais, Nathanael était tout en longueur, tout en torpeur savourée. Il releva néanmoins son poignet vers son visage pour constater une montre qui n’existait pas :
« C’est dans deux semaines. C’est une lacune que je n’ai que médiocrement réussi à dissimuler dans le monde moldu, alors dans celui des sorciers… Je vous paye. En liquide, en kilos de carottes, en antiquités, en nature, en services, comme vous voulez. »
Le doute demeura… peut-être était-ce son inconscient qui lui rappelait à quel point l’intégration avait été pour lui une affaire de bluff.
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Jeu 8 Avr 2021 - 12:54
« Mais vous ne serez jamais vraiment un homme, un enfant ou une personne âgée, ni totalement l’Eden solitaire, ni totalement l’Eden enseignante. Et pourtant vous serez tout cela un peu à la fois, un peu comme une blague qui dissimule un fond de vérité. Comme un sarcasme »
Comme un sarcasme… Battant des cils, et comme je n’avais guère l’intention de l’interrompre, j’attrapais un carnet pour noter quelques mots. C’est toujours plus constructif de voir comment les autres nous perçoivent et finalement, je trouve une certaine scientificité à cet entretien. Peut-être un peu trop centré pour moi, mais ça lui permet une bonne illustration de ce qu’il peut arriver de pire à un métamorphomage.
« Je crois que vous savez qui vous êtes. Sans point de repère, on ne peut pas avancer, sans comparaison, on n’a pas d’idéal. Si vous avez un idéal, c’est que vous savez que vous ne l’êtes pas aujourd’hui. Votre apparence semble suivre votre trait prédominant, votre ambition, comme une robe. C’est une forme d’honnêteté ? Ou de mensonge… peut-être même les deux. »
Nos regards se croisaient un instant, plissant vaguement les yeux alors que mes pupilles prenaient peu à peu une couleur gris pâle, émettant une douce lumière. Il faut dire que je commence à être sacrément atteinte… D’habitude je fume en travaillant alors je suis un peu plus lente. Il semblait se perdre dans ses pensées. Au moins sur ce point, nous sommes deux. Malgré tout, je continuais de griffonner d’une main, fumant de l’autre de temps à autres, mon carnet posé contre l’une de mes cuisses, faisant de temps à autres rouler mon stylo entre mes doigts.
Après un temps, il se replongeait sur moi. J’avais hésité à reprendre la parole pour parler de mes conjectures à ses dires, mais j’imaginais bien que tout comme moi, il commençait à… Ralentir.
« Vous êtes un livre ouvert bien plus que n’importe qui d’autre. Chaque forme est susceptible de révéler quelque chose à votre sujet. Vous vivez peut-être même votre identité bien plus librement que quiconque... »
Un livre ouvert, hein… Mais de quel genre… ? La mise en abîme d’un absurde exquis dont seul Beckett avait le secret ? Un roman fantastique d’un style banal suivant bêtement le saint cycle narratif du héro ? Un roman d’horreur ? D’amour ? Je gloussais vaguement avant de reprendre.
« Une belle ironie, n’est-ce pas ? Comment savoir qui on est, quand on est à la fois tout et rien ? Les vêtements sont un mensonge. L’habit fait le moine en ce qu’il est un indicateur de l’échelle social et de plusieurs stéréotypes. ‘elle met trop de couleurs, c’est une excentrique’ ‘il s’habille tout en noir, c’est quelqu’un de triste’, nous ne sommes définis que par le regard que nous porte autrui.
Pour paraphraser Sartre, l’Enfer, c’est les autres. Nous sommes d’une manière ou d’une autre conditionnés par la façon dont on nous perçoit. L’homo sapiens sapiens est un animal social après tout. Ceux qui sont à la frontière de tout cela sont vus comme des fous. Ceux qui représentent au mieux l’idéal de la société sont vus comme des rois. Et ceux qui peuvent enfiler n’importe quelles capes sont des dieux, avec le paradoxe qui leur incombe : à la fois tout puissant, à la fois insaisissables et dont le pouvoir qui lui est conféré ne dépends que de la croyance qu’on lui porte. »
En me redressant pour aller faire bouillir de l’eau, marchant d’un pas lent après avoir mollement posé mon carnet sur la table mettant en lien différents mots clés reliés les uns aux autres d’une manière très graphique, mais surtout très codifiée, attrapant l’un des nombreux bocaux de verre rangés sur une étagère. Il marmonnait, au loin, sans que je n’en saisisse réellement l’essence. En me retournant pour disposer deux mugs sur la table et préparer deux infusions, je me laissais mollement choir sur mon fauteuil.
« Ca vous dirait de prendre ma place pour passer un examen de vie civique au Ministère ? »
Je battais des cils avant de pouffer de rire, un temps, avant que mon visage ne se bloque un instant, penchant la tête sur le côté. Ce n’était… Pas une blague ?
« C’est dans deux semaines. C’est une lacune que je n’ai que médiocrement réussi à dissimuler dans le monde moldu, alors dans celui des sorciers… Je vous paye. En liquide, en kilos de carottes, en antiquités, en nature, en services, comme vous voulez. »
En nature ? Sérieusement ! Quel culot ! Je pouffais de rire en passant ma main dans mes cheveux avant d’allumer une cigarette avec la fin de mon joint pour l’écraser dans le cendrier, buvant une gorgée de l’infusion encore brûlante de plantes maison.
« Vous ne manquez pas de culot. J’aurais presque été tentée d’accepter, si je n’étais pas professeure à l’université. Ca serait d’un manque d’intérêt pédagogique considérable. Un temps. Non, évidemment que non. En revanche, je peux vous donner quelques conseils. Votre réflexion est portée sur la connaissance et les faits et vous avez en prime la chance de sembler être un individu brillant. Ne le gâchez pas avec des lacunes qui n’en sont pas. Les sciences sociales sont une matière que l’on peut aborder avec un regard scientifique tant pour les sorciers que les moldus.
Ce n’est pas parce que vous connaissez les normes de vie civique que vous devez les comprendre, ça serait là transformer une information en émotion. Prenez le temps de donner une perception scientifique à tout ce que vous observez : les romans sorciers les plus clichés sont une mine d’or d’information en ce que par les stéréotypes ils retranscrivent des faits de la société sorcière et permettent de mieux les appréhender.
Comme un sarcasme… Battant des cils, et comme je n’avais guère l’intention de l’interrompre, j’attrapais un carnet pour noter quelques mots. C’est toujours plus constructif de voir comment les autres nous perçoivent et finalement, je trouve une certaine scientificité à cet entretien. Peut-être un peu trop centré pour moi, mais ça lui permet une bonne illustration de ce qu’il peut arriver de pire à un métamorphomage.
« Je crois que vous savez qui vous êtes. Sans point de repère, on ne peut pas avancer, sans comparaison, on n’a pas d’idéal. Si vous avez un idéal, c’est que vous savez que vous ne l’êtes pas aujourd’hui. Votre apparence semble suivre votre trait prédominant, votre ambition, comme une robe. C’est une forme d’honnêteté ? Ou de mensonge… peut-être même les deux. »
Nos regards se croisaient un instant, plissant vaguement les yeux alors que mes pupilles prenaient peu à peu une couleur gris pâle, émettant une douce lumière. Il faut dire que je commence à être sacrément atteinte… D’habitude je fume en travaillant alors je suis un peu plus lente. Il semblait se perdre dans ses pensées. Au moins sur ce point, nous sommes deux. Malgré tout, je continuais de griffonner d’une main, fumant de l’autre de temps à autres, mon carnet posé contre l’une de mes cuisses, faisant de temps à autres rouler mon stylo entre mes doigts.
Après un temps, il se replongeait sur moi. J’avais hésité à reprendre la parole pour parler de mes conjectures à ses dires, mais j’imaginais bien que tout comme moi, il commençait à… Ralentir.
« Vous êtes un livre ouvert bien plus que n’importe qui d’autre. Chaque forme est susceptible de révéler quelque chose à votre sujet. Vous vivez peut-être même votre identité bien plus librement que quiconque... »
Un livre ouvert, hein… Mais de quel genre… ? La mise en abîme d’un absurde exquis dont seul Beckett avait le secret ? Un roman fantastique d’un style banal suivant bêtement le saint cycle narratif du héro ? Un roman d’horreur ? D’amour ? Je gloussais vaguement avant de reprendre.
« Une belle ironie, n’est-ce pas ? Comment savoir qui on est, quand on est à la fois tout et rien ? Les vêtements sont un mensonge. L’habit fait le moine en ce qu’il est un indicateur de l’échelle social et de plusieurs stéréotypes. ‘elle met trop de couleurs, c’est une excentrique’ ‘il s’habille tout en noir, c’est quelqu’un de triste’, nous ne sommes définis que par le regard que nous porte autrui.
Pour paraphraser Sartre, l’Enfer, c’est les autres. Nous sommes d’une manière ou d’une autre conditionnés par la façon dont on nous perçoit. L’homo sapiens sapiens est un animal social après tout. Ceux qui sont à la frontière de tout cela sont vus comme des fous. Ceux qui représentent au mieux l’idéal de la société sont vus comme des rois. Et ceux qui peuvent enfiler n’importe quelles capes sont des dieux, avec le paradoxe qui leur incombe : à la fois tout puissant, à la fois insaisissables et dont le pouvoir qui lui est conféré ne dépends que de la croyance qu’on lui porte. »
En me redressant pour aller faire bouillir de l’eau, marchant d’un pas lent après avoir mollement posé mon carnet sur la table mettant en lien différents mots clés reliés les uns aux autres d’une manière très graphique, mais surtout très codifiée, attrapant l’un des nombreux bocaux de verre rangés sur une étagère. Il marmonnait, au loin, sans que je n’en saisisse réellement l’essence. En me retournant pour disposer deux mugs sur la table et préparer deux infusions, je me laissais mollement choir sur mon fauteuil.
« Ca vous dirait de prendre ma place pour passer un examen de vie civique au Ministère ? »
Je battais des cils avant de pouffer de rire, un temps, avant que mon visage ne se bloque un instant, penchant la tête sur le côté. Ce n’était… Pas une blague ?
« C’est dans deux semaines. C’est une lacune que je n’ai que médiocrement réussi à dissimuler dans le monde moldu, alors dans celui des sorciers… Je vous paye. En liquide, en kilos de carottes, en antiquités, en nature, en services, comme vous voulez. »
En nature ? Sérieusement ! Quel culot ! Je pouffais de rire en passant ma main dans mes cheveux avant d’allumer une cigarette avec la fin de mon joint pour l’écraser dans le cendrier, buvant une gorgée de l’infusion encore brûlante de plantes maison.
« Vous ne manquez pas de culot. J’aurais presque été tentée d’accepter, si je n’étais pas professeure à l’université. Ca serait d’un manque d’intérêt pédagogique considérable. Un temps. Non, évidemment que non. En revanche, je peux vous donner quelques conseils. Votre réflexion est portée sur la connaissance et les faits et vous avez en prime la chance de sembler être un individu brillant. Ne le gâchez pas avec des lacunes qui n’en sont pas. Les sciences sociales sont une matière que l’on peut aborder avec un regard scientifique tant pour les sorciers que les moldus.
Ce n’est pas parce que vous connaissez les normes de vie civique que vous devez les comprendre, ça serait là transformer une information en émotion. Prenez le temps de donner une perception scientifique à tout ce que vous observez : les romans sorciers les plus clichés sont une mine d’or d’information en ce que par les stéréotypes ils retranscrivent des faits de la société sorcière et permettent de mieux les appréhender.
- InvitéInvité
Re: Flâneries | Edenael
Mer 14 Avr 2021 - 23:47
Nathanael ferma les yeux et se frotta le visage d’une longue main pâle, et s’absorba plus intensément dans le flot doré de sa tranquillité montante, alors que plus rien ne paraissait enfin pouvoir l’atteindre. Dans cet état, les choses pouvaient enfin se dispenser de toute logique et la vie pouvait se perpétrer sans la moindre explication. Un instant de grâce éphémère qui ne lui demandait aucune interprétation du carnet dont s’était munie la professeure pour gribouiller l’inconnu sur ces pages, qui lui faisait même oublier la raison de sa présence, l’incongruité de leur activité, de leur intimité étrange, quoi que commune dans les milieux de la récréation vaguement illégale. Lieu parfait pour se faire des connaissances, vomir derrière un rideau et s’endormir dans un lit de coussins au fond de la baignoire. Un instant, il en vint même à aviser la pièce pour voir quel endroit se prêtait au mieux à chacune de ces activités. Moins préoccupé, son flot de pensées demeura néanmoins identique et il n’eut pas l’excuse de se dire que son niveau de verbiage était dû uniquement à un psychotrope. Sa péniche dérivait sans l’aide d’aucun courant contraire et sa verbosité était bel et bien innée, surtout lorsqu’il s’agissait de toutes les potentielles digression qu’offrait n’importe quel sujet usé jusqu’à la corde. Avec le bruit du stylo, qui l’aurait déjà énervé en temps normal, Nathanael avait l’impression d’être un écrivain célèbre interviewé dans sa maison de campagne dans les montagnes, avec vue sur un lac ; il ne manquait plus qu’un peignoir, mais il portait au moins un châle d’excentricité paresseuse. Ou le patient d’un psychiatre au taux horaire exorbitant que parce qu’il comptait Paris Hilton parmi ses clients réguliers. C’étaient toujours les psychiatres qui parlaient le moins, enfoncés dans leur fauteuil comme une taupe à l’entrée du terrier, calligraphiant d’une écriture presque rectiligne un quelconque charabia en monosyllabes.
« Une belle ironie, n’est-ce pas ?... »
Il aurait sursauté si son système nerveux le lui avait permis. Pourtant, étonnamment et à son éternelle surprise, son esprit demeurât alerte, prêt à broder chaque fil offert dans la toile de sa pensée. Il eut du mal à distinguer Sartre à cause de ses laborieux souvenirs de lecture, mais dégagea assez vite une ironie pour soi dans cette élaboration sociétale capable de vivre dans la communion, y tendant ardemment même. Il s’était longuement imaginé marginal, comme tout adolescent désirant réinventer le monde et s’y trouver une place par la révolution, mais l’âge adulte rappela durement à ses illusions qu’il n’était pas moins assoiffé par le toucher humain que les autres. Il avait simplement plus de mal à l’obtenir et à le négocier.
A couvert de son bras porté en auvent sur son front, Nathanael jeta un long regard à travers ses tout aussi longs cils à la jeune femme, porteuse de capes, folle, reine, personnification de chaque stéréotype, qu’elle paraissait du reste bien connaitre et surtout s’y référer sans cesse. Car pour qui d’autre, sinon pour une métamorphe, le monde pouvait-il être un agglomérat de clichés facilement reconnaissables ? Il songea brièvement à l’intelligence artificielle, qui était bien plus archaïque au fond que les mystères d’un talent artistique dans la véracité de sa reproduction. L’intelligence artificielle fonctionnait en cherchant, parmi des images semblables, un concept unique, réduit à un état numérique, jusqu’à tomber dans l’absolue banalité de l’objet observé. Un triangle avait trois angles, un moine portait une soutane, un héro portait une cape, une monarchie portait la couronne… Il devait y avoir un peu de cela en elle : la recherche du poncif typique pour illustrer au mieux un individu, car même en étant marginal, on n’échappait pas aux trois angles si on voulait devenir un triangle.
Elle rigola. Nathanael crut entendre une réponse, mais se rendit compte qu’il n’avait fait que penser et n’avait rien dit. Ou plutôt si, mais autre chose. Sans surprises, elle refusa sa proposition, non sans l’avoir vaguement évaluée en amont. Malgré cela, Nathanael éprouva une vive et désagréable déception, démesurée par rapport à son ambition préalable. Il fit la moue, pinça ses lèvres déjà suffisamment fines et soupira, se rendant compte par la même occasion que son joint n’était plus qu’un mégot éteint en équilibre sur sa bouche. La vérité n’était pas tant qu’il redoutât absolument cet examen, mais plutôt qu’il avait commencé à s’ennuyer depuis un certain temps. Comprenez : sa vie n’était plus aussi bien rangée qu’avant le monde magique et il espérait que quelque chose vint le bousculer. L’ennui de l’homme désabusé et perdu qui, à force de ne plus savoir à quel problème accorder son attention, finissait par ne plus en accorder à aucun. Peut-être était-il naïvement un peu déçu que ce monde fut semblable à celui qu’il avait quitté. S’il avait étudié ici, comme n’importe quel sorcier, il aurait certainement choisi le métier le plus terre à terre possible : potionniste. A cause de son exaspération lasse, sa réponse fut involontairement sarcastique, et pourtant inspirée :
« Dois-je comprendre que vos vampires ont les traits d’Edward Cullen et que vos elfes de maison cachent bien leur ressemblance avec Orlande Bloom ? suggéra-t-il à la mention des livres abordant l’incommensurable folklore magique. J’ai essayé de bouger mon nez comme Samantha, et je n’ai jamais réussi à convaincre ma cafetière de me faire un Nespresso, alors concernant la littérature sorcière, vous voyez, je n’ai pas franchement réussi à séparer le vrai du faux. »
Et si la professeure ne comprenait pas non plus ses références, il aura au moins marqué deux points en les reléguant tous deux dans leurs mondes respectifs. Nathanael rejeta ses bras croisés derrière la tête et observa le plafond de son expression naturellement blasée ; peut-être un peu plus que d’habitude.
« Peut-être pourriez-vous m’indiquer quelques bars dans lesquels je pourrai simultanément découvrir un florilège d’expressions sorcières alcoolisées, des commentaires sportifs enflammés et des façons toutes sorcières de faire des rencontres, cela dit ? »
Malgré son introversion, il avait toujours eu un rapport très différent avec les bars, les fêtes étudiantes, les clubs… On n’était pas obligé d’être ami, on pouvait rentrer sans se faire inviter et devenir l’instantanée connaissance d’un Jean-Edward ou d’une Marie-Eve en acceptant de jouer au bière-pong. On pouvait même coucher sans connaitre le prénom du partenaire. On n’avait pas besoin d’être profond, intéressant et triste, on pouvait être superflu et frivole. Et en parlant de frivolités, Nathanael décida d’inclure le Marvel à son champ de possibilités. Après tout, il y avait bien la sorcière Wanda et le Docteur Strange...
« Vous devez être un skrull, en fait ! » dit-il en extirpant son smartphone de sa poche avant de pianoter dessus. Quelques micro secondes plus tard, une image d’alien flottait près du visage de la métamorphe.
« Peut-être c’est votre vrai visage ? » souffla-t-il d’un ton de convivence. Puis il récupéra assez rapidement son téléphone dans la poche, s’épanchant d’un avare rire de gorge. A son aise, il s’avachit sur le côté dans ce fauteuil assez profond pour l’accueillir comme une chaise longue, cigarette éteinte à la lèvre, une mèche sur le sourcil, le repos dans un regard engourdi, mais brillant d’une malice singulière.
« Puisque vous tenez à votre dignité de professeur pour délaisser celui de vagabonde cavalière et arlequine, vous ne feriez pas l’honneur d’une démonstration à un élève ingénu ? »
Et dans son imaginaire, il y avait Zeus, Jupiter, Io, Mercure, Daphné, Apollon… des capes et des couronnes.
« Une belle ironie, n’est-ce pas ?... »
Il aurait sursauté si son système nerveux le lui avait permis. Pourtant, étonnamment et à son éternelle surprise, son esprit demeurât alerte, prêt à broder chaque fil offert dans la toile de sa pensée. Il eut du mal à distinguer Sartre à cause de ses laborieux souvenirs de lecture, mais dégagea assez vite une ironie pour soi dans cette élaboration sociétale capable de vivre dans la communion, y tendant ardemment même. Il s’était longuement imaginé marginal, comme tout adolescent désirant réinventer le monde et s’y trouver une place par la révolution, mais l’âge adulte rappela durement à ses illusions qu’il n’était pas moins assoiffé par le toucher humain que les autres. Il avait simplement plus de mal à l’obtenir et à le négocier.
A couvert de son bras porté en auvent sur son front, Nathanael jeta un long regard à travers ses tout aussi longs cils à la jeune femme, porteuse de capes, folle, reine, personnification de chaque stéréotype, qu’elle paraissait du reste bien connaitre et surtout s’y référer sans cesse. Car pour qui d’autre, sinon pour une métamorphe, le monde pouvait-il être un agglomérat de clichés facilement reconnaissables ? Il songea brièvement à l’intelligence artificielle, qui était bien plus archaïque au fond que les mystères d’un talent artistique dans la véracité de sa reproduction. L’intelligence artificielle fonctionnait en cherchant, parmi des images semblables, un concept unique, réduit à un état numérique, jusqu’à tomber dans l’absolue banalité de l’objet observé. Un triangle avait trois angles, un moine portait une soutane, un héro portait une cape, une monarchie portait la couronne… Il devait y avoir un peu de cela en elle : la recherche du poncif typique pour illustrer au mieux un individu, car même en étant marginal, on n’échappait pas aux trois angles si on voulait devenir un triangle.
Elle rigola. Nathanael crut entendre une réponse, mais se rendit compte qu’il n’avait fait que penser et n’avait rien dit. Ou plutôt si, mais autre chose. Sans surprises, elle refusa sa proposition, non sans l’avoir vaguement évaluée en amont. Malgré cela, Nathanael éprouva une vive et désagréable déception, démesurée par rapport à son ambition préalable. Il fit la moue, pinça ses lèvres déjà suffisamment fines et soupira, se rendant compte par la même occasion que son joint n’était plus qu’un mégot éteint en équilibre sur sa bouche. La vérité n’était pas tant qu’il redoutât absolument cet examen, mais plutôt qu’il avait commencé à s’ennuyer depuis un certain temps. Comprenez : sa vie n’était plus aussi bien rangée qu’avant le monde magique et il espérait que quelque chose vint le bousculer. L’ennui de l’homme désabusé et perdu qui, à force de ne plus savoir à quel problème accorder son attention, finissait par ne plus en accorder à aucun. Peut-être était-il naïvement un peu déçu que ce monde fut semblable à celui qu’il avait quitté. S’il avait étudié ici, comme n’importe quel sorcier, il aurait certainement choisi le métier le plus terre à terre possible : potionniste. A cause de son exaspération lasse, sa réponse fut involontairement sarcastique, et pourtant inspirée :
« Dois-je comprendre que vos vampires ont les traits d’Edward Cullen et que vos elfes de maison cachent bien leur ressemblance avec Orlande Bloom ? suggéra-t-il à la mention des livres abordant l’incommensurable folklore magique. J’ai essayé de bouger mon nez comme Samantha, et je n’ai jamais réussi à convaincre ma cafetière de me faire un Nespresso, alors concernant la littérature sorcière, vous voyez, je n’ai pas franchement réussi à séparer le vrai du faux. »
Et si la professeure ne comprenait pas non plus ses références, il aura au moins marqué deux points en les reléguant tous deux dans leurs mondes respectifs. Nathanael rejeta ses bras croisés derrière la tête et observa le plafond de son expression naturellement blasée ; peut-être un peu plus que d’habitude.
« Peut-être pourriez-vous m’indiquer quelques bars dans lesquels je pourrai simultanément découvrir un florilège d’expressions sorcières alcoolisées, des commentaires sportifs enflammés et des façons toutes sorcières de faire des rencontres, cela dit ? »
Malgré son introversion, il avait toujours eu un rapport très différent avec les bars, les fêtes étudiantes, les clubs… On n’était pas obligé d’être ami, on pouvait rentrer sans se faire inviter et devenir l’instantanée connaissance d’un Jean-Edward ou d’une Marie-Eve en acceptant de jouer au bière-pong. On pouvait même coucher sans connaitre le prénom du partenaire. On n’avait pas besoin d’être profond, intéressant et triste, on pouvait être superflu et frivole. Et en parlant de frivolités, Nathanael décida d’inclure le Marvel à son champ de possibilités. Après tout, il y avait bien la sorcière Wanda et le Docteur Strange...
« Vous devez être un skrull, en fait ! » dit-il en extirpant son smartphone de sa poche avant de pianoter dessus. Quelques micro secondes plus tard, une image d’alien flottait près du visage de la métamorphe.
« Peut-être c’est votre vrai visage ? » souffla-t-il d’un ton de convivence. Puis il récupéra assez rapidement son téléphone dans la poche, s’épanchant d’un avare rire de gorge. A son aise, il s’avachit sur le côté dans ce fauteuil assez profond pour l’accueillir comme une chaise longue, cigarette éteinte à la lèvre, une mèche sur le sourcil, le repos dans un regard engourdi, mais brillant d’une malice singulière.
« Puisque vous tenez à votre dignité de professeur pour délaisser celui de vagabonde cavalière et arlequine, vous ne feriez pas l’honneur d’une démonstration à un élève ingénu ? »
Et dans son imaginaire, il y avait Zeus, Jupiter, Io, Mercure, Daphné, Apollon… des capes et des couronnes.
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