Tu traînes en ville, déambulant sans réel but un cappuccino à la main, mais ça fait déjà un moment qu’il est froid. Tu t’es obligée à sortir pour te faire faire autre chose que de travailler le samedi. Tu passes beaucoup de temps à l’atelier depuis la rentrée, t’as du mal à rentrer à la maison, la solitude te pèse, et tu vas souvent squatter ailleurs. En temps normal tu serais aller voir Ym, mais ça fait un moment que tu n’as plus de nouvelles. Pas étonnant en même temps. C’est toi qui a demandé du temps, de l’espace. Ca devait t’aider à y voir plus clair, à aller de l’avant, comprendre ce que tu veux vraiment.

Si on va dans les faits, on pourrait dire qu’elle te manque, sa présence te manque, vous n’avez jamais passé autant de temps sans vous adresser la parole, et sans vous voir. Elle n’est pourtant pas la seule à te manquer, c’est aussi le cas de Mat. L’un comme l’autre tu les as évité au maximum, Mat ce n’était sans doute pas bien difficile, il semble faire de même depuis longtemps. Tu as appris de la bouche de bien trop de gens, qu’il avait l’air de passer facilement à autre chose alors que toi tu te sens juste misérables avec tes sentiments, une décision à prendre, et la mort dans l’âme. Tu sais ce que ça t’as fait de le savoir avec d’autres, c’est pour ça que tu n’as pas repris contact avec la jolie De Booij. La culpabilité qui te ronge toujours, tu sais que tu n’arriveras pas à passer au dessus du mal que ça te fait, peu importe que Ym te manque pour des raisons honnêtes, tu sais qu’il y a une part de vérité dans cette histoire de bouche trou. C’est facile d’être avec elle, quand tu es avec elle tu oublies le reste, mais tu sais que ce n’est pas juste. Comme tu lui as déjà dit, elle mérite mieux que ça. Tu le sais tout ça, mais tu repousses la fatalité, faisant la sourde oreille, ferme les yeux devant le temps qui passe et qui ressemble à une malédiction. Tu ne veux pas que ce soit fini, tu ne veux pas la perdre, tu veux la garder pour toi. C’est égoïste, mais t’as jamais caché que tu l’étais.

Tu marches écouteurs aux oreilles pour éviter de réfléchir quand on te retient par la manche. Sursaut, et tu te retournes rapidement les yeux écarquillés de la biche qui se fait surprendre par un chauffard en pleine nuit. Le coeur qui bat fort sous l’effet de surprise, mais ça ne change pas quand tu croises le regard de celle qui t’as surprise. “Ym ? ” Tu bredouilles pas sereine. Tu portes tes mains à tes oreilles pour venir déloger les écouteurs sans fil et les glisser rapidement dans ton sac à main. Elle semble avoir des achats dans ses sacs, elle est chargée. Vous êtes arrêtées en plein milieu de la rue, tu es bousculée par un passant pressée, alors en faisant quelques pas sur le côté tu l’entraînes en dehors de la foule. “Tu vas bien ?” T’es pas vraiment à l’aise pourtant tant bien que mal tu tentes de la prendre dans tes bras pour la serrer contre toi. Un demi sourire sur le visage, un peu pâle, t’es quand même contente de la voir malgré la surprise. Vous ne vous êtes que croisées, jamais de réelles conversations qui pourraient s’avérer…. dangereuses?

A l’aise tu ne l’es pas, c’est le moins qu’on puisse dire. Prise au dépourvu, tu as une réaction singulière face à Ymkje qui ne doit pas tout à fait capter ton désarroi. On ne peut pas dire que tu sois mécontente de la voir. Ça va au-delà de ça. Tu savais qu’au moment même où tu lui parlerais franchement en dehors des salutations classiques quand vous vous croisés devant les salles de cours il y aurait un tournant définitif qui serait pris. Est ce que ça va être aujourd’hui ?

Elle te dit qu’elle va bien, elle ne semble pas mentir. L’emménagement lui, tu ne l’as pas oublié, mais tu n’y as pas participé comme tu aurais pu le faire si vous aviez encore été “ensemble”.

“Ca va ! Je pensais pas te croiser là !”

Tu essaies de rattraper le coup comme tu peux. Comme si dans ta chute t’essayais de te rattraper aux lianes mais que l’impact lui, est inexorable. Et maintenant quoi ? Évidemment, tu peux toujours compter sur elle pour avoir une idée de quoi faire ensuite. Aller boire quelque chose. Allez dans un café en somme. Oui ça semble être une bonne idée.
T’es clairement rigide, coincée, crispée. Vu ce qu’elle rajoute tu te doutes que ça doit se voir comme le nez au milieu du visage. Il faut avouer que tu ne fais pas beaucoup d'efforts pour cacher ce que tu ressens.

“Euh… Oui ? Pourquoi pas ? On peut aller à celui ci ?”

Tu fais un quart de tour pour désigner le café à côté de vous.

“Ils font des supers brownies.”

Le flot de paroles commence à être plus important, à défaut de redevenir “normale” tu reprends un peu de poil de la bête, mais là tu ne parles que de choses sans grand intérêt. Une fois qu’elle a acquiescé tu prends le chemin dudit café. Tu fourres les mains dans les poches de ta veste.

“Quoi de neuf ?”

Tu ne peux pas rester silencieuse ça fait monter ton stress davantage.

Le destin. Tu n’es pas sûre de croire à ce genre de chose, tu dirais que c’est plutôt un dès de hasard qui a été tiré et que parmi les différents scénarios possibles, c’est celui ci qui se joue sous vos yeux. Tu es de la partie malgré toi. Bien sûr, tu savais que ça devrait arriver à un moment où un autre. Il fallait que tu donnes une réponse à Ymkje, et pourtant, chaque jour tu repousses la décision à demain comme si il allait enfin se passer quelque chose qui t'indiquera une voie moins douloureuse que celle que tu veux prendre. En soit, c’est ce qu’il s’est passé non ? Si Mat n’avait pas joué sur la corde sensible tu n’aurais jamais eu ce déclic.

Tu meubles comme tu peux le temps de vous installer dans le café. C’est étrange de parler de la pluie et du beau temps avec Ym. Ca fait des années que vous vous connaissez, jamais vous n’avez été mal à l’aise, enfin tu ne saurais dire si elle est à son aise ou non. Elle en a l’air, mais l’est elle vraiment ? Pas sûr que tu t'aventure à poser la question, tu as trop peur de la réponse potentielle à cette question. Tu sais que si elle te disait que non, et qu’en réalité elle va plutôt mal, ça serait de ta faute. Tu ne veux pas que ça soit de ta faute. On a pas toujours ce qu’on veut dans la vie.

“Tant mieux alors. T’as pu choisir la plus grande chambre ?”

Tu souris de ton air malicieux habituel, mais il manque un degré de chaleur dans ce dernier. Tu sais notamment que parmi ses colocs, il y a son cousin. Qu’elle se réjouissait de cela. C’est bien normal, toi même tu n’es pas restée seule si longtemps finalement. Enfin c’est une autre histoire qui n’a pas sa place ici.

La serveuse arrive, tu laisses la blonde commencer la première.

“La même chose s’il vous plait.”

Une fois seules à nouveau, il ne reste plus qu’un drôle de silence rapidement comblé. Quoi de neuf ? Est ce que tu peux dire: rien ? Parce qu’en l'occurrence, il n’y a rien de vraiment nouveau dans ta vie.

“J’ai déménagé aussi. A Inverness, ça change.”

T’as presque envie de lui demander de t’achever tout de suite au lieu de faire durer le suspens plus longtemps.

“J’suis désolée de pas avoir essayé de te contacter plus tôt.”

Et c’est vrai, tu es désolée. Tu pensais pas que ça serait si dur. La serveuse revient, elle est rapide comme l’éclair celle là. Elle installe sur la table les deux cafés et les brownies et vous laisse à nouveau. T’es vraiment pas douée pour ces trucs là, tu avais besoin de temps pour réfléchir, du temps pour toi, tu l’as eu. Il est temps de parler non ? Pourtant c’est comme si ça ne voulait pas sortir de ta bouche, tu sais même pas par quoi commencer.

Toi non plus tu ne savais pas que tu cherchais à déménager finalement. Les chose se sont faite “comme ça” si on peut dire. A force de traîner au milieu, Leo a bien dû finir par accepter ta présence même si ce n’était pas gagner de prime abord. C’était mieux d’avoir une clef que de traîner sur le paillasson à attendre qui t’ouvre. Théoriquement tu étais bien censée avoir des colocs, mais dans la pratique après le départ du dernier le proprio ne semblait pas avoir à coeur de le remplacer et toi tu n’en pouvais plus d’être seule. Le choix s'est vite fait, et tes affaires ont fini par apparaître dans l’appartement d’Inverness, dans un endroit somme toute plus calme que là où tu étais avant. Ça ne te dérange pas, ce n’est pas comme si la magie ne rendait pas capable les trajets rapides à divers endroits, l’endroit où on habite ne dépend que de la fréquence dont on veut se servir de ses pieds.

Votre discussion est pour le moins étrange. C’est tout coincé, vous balancez des banalités à mourir d’ennuie. Ca ne vous ressemble pas,vous n’avez jamais été de ce genre là. D’habitude tu ne réfléchis pas à ta prochaine phrase quand tu parles avec elle, déjà que ça ne t’arrive pas souvent, là il est clair que c’est tout sauf naturel. Pourtant, il faut que tu parles parce que tu ne redoutes rien de plus que le silence qui pourrait s’installer. [/size]

Bien évidemment, tu peux compter sur Ymkje pour mettre les pieds dans le plat quand toi tu n’as pas le courage de le faire. Elle est plus courageuse que toi, assume plus que toi, tu le sais. Pourtant ce n’est pas non plus agréable de se faire reprendre à l’ordre comme ça. Tu aimerais pouvoir lui dire simplement les choses, ou du moins que ça vienne de ta propre initiative et non pas qu’elle t’y oblige par son discours

“Je t’écoute me dire ce que j’ai déjà compris.”

Ton coeur se serre. Elle sait. Bien sûr qu’elle sait. N’importe qui saurait. Pourquoi aurais tu fait la morte pendant si longtemps sinon ? Il est clair que tu as pris ta décision Pourtant tu n’es pas sûre qu’elle sache laquelle déjà. 

“Ym… je...”

Pas où commencer ? Tes yeux se perdent sur la surface de la table. Tu essaies de faire place nette dans ton esprit. Tu relèves finalement les yeux vers elle. 

“Je t’aime.”

C’est vrai. C’est sans doute pour ça que c’est aussi triste.

“J’vous aime tous les deux, et c’est pour ça que ça n’est juste pour personne qu’on continue comme ça. Si je reste avec toi, il y aura toujours ce doute qui va planer au-dessus de nous et tout gâcher. Je veux pas te faire ça. ”

Tu l’as regardé en parlant. Tu as la boule au ventre, et tu sens que les larmes ne sont pas si loin même si pour l’instant tu les tiens en respect. T’as l’impression qu’on a parlé à ta place, que quelqu’un a finalement réussi à sortir tout ce que tu avais sur le coeur.

“...Je t’aime mais je te quitte…”

oui elle a raison c’est bien à ça que ça ressemble, c’est bien ce que tu lui as dit la mort dans l’âme. Tu as les yeux baissés mais quand tu les relèves tu tombes sur le spectacle déchirant d’un visage sur lequel roulent les larmes inévitables qui cherchent un écho sur ton propre visage. Tu ne peux pas y échapper, peu importe à quel point tu luttes pour les retenir de ton côté. Ca fait longtemps que tu tentes de les cacher, pleurer en public avec une audience qui plus est, ce n’est pas quelque chose que tu apprécies outre mesure, au contraire.

Ce qui est d’autant plus critique, c’est que sa relation avec Victor avait finalement pris une tournure similaire, tragique… Que peux tu dire de plus ? Tu lui as résumé la vérité sur tes sentiments, ce que tu ressens au plus profond de toi. Tu les aimes tous les deux, pour des raisons diverses, et pourtant avec un résultat similaire. Tu sais ausi que tu ne peux être ni avec l’un ni avec l’autre peu importe ce que tu désires, et encore moins avec les deux, cette éventualité ne t’a même pas traversé l’esprit. Tu ne veux pas te servir d’elle comme d’un pansement, tu ne veux pas que Mat te serve de pansement, et tu dois guérir toute seule. L’ennuie c’est que comme tu ne peux rien promettre à personne sur la finalité des décisions que tu n’arrives pas à prendre, tu ne peux pas leur demander de t’attendre. Ym a déjà fait plus qu’elle n’aurait dû sans doute, pour une relation qui devait être comme vous l’aviez convenu “sans prise de tête”... Vous voilà toutes les deux en train de pleurer dans un café.

Entre vous ce petit déjeuner auquel personne ne va toucher sans doute. Tu essaies de reprendre contenance alors que tu ne sais pas quoi dire. De ton sac tu prends quelques pièces et poses sur la table sans doute beaucoup plus que ce qu’il ne faut pour régler l’addition.

“Viens.”

Tu attrapes sa main, pour la forcer à se lever, à te suivre, tu ne sais pas encore où, mais ailleurs, vous avez besoin d’être toutes les deux pour discuter, ou pour vous dire au revoir, pour passer le moment déchirant qui semble vouloir montrer le bout de son nez. Juste ailleurs pour la prendre dans tes bras, juste être toutes les deux sans que les yeux curieux ne se posent sur vous.
Elle n’est pas obligée de te suivre, elle a compris ce que tu lui as dit, tu le sais. Mais vous avez le droit à mieux que ça.

“S’il te plait.”

Peu importe où, peu importe tant que vous êtes toutes les deux non ?

Tu ne pouvais plus rester là bas dedans, il fallait que tu partes, et que tu l’emmènes avec toi. C’est pas le genre de discussions qu’on a dans un lieu public avec des gens autour, et des oreilles attentives. Non, il aurait fallu que vous soyez seules pour ça. Le mieux que tu puisses vous offrir c’est une ruelle plus tranquille.

Elle pleure, tu pleures aussi.

Comment l’éviter ? Comment faire pour que ça se passe autrement, que vous ne soyiez pas séparées, que vos chemins continuent à se mêler comme ils l’ont fait pendant plusieurs mois ? Ca fait un moment maintenant que les choses ne tournent plus vraiment rond, plus d’un mois en réalité. C’est peut être une décision qu’il aurait fallu prendre avant, une décision douloureuse, mais correcte pour vous deux. Au lieu de ça, vous vous êtes enfoncées dans ce bien qui fait mal. Parce que vous ne vouliez pas vous séparer, aujourd’hui vous en payez le prix fort… Ne pas s’attacher. C’est raté. C’est tout le contraire. Tu sais que ce n’est pas juste. Vous auriez pu rester ensemble, vous auriez pu si jamais il n’y avait pas eu Mat. Aujourd’hui, tu ne veux choisir entre personne, tu veux te choisir toi.

Voir Ymkje dans cet état par ta faute… C’est déchirant.

“Ym… J’ai pas… Enfin je voulais pas…”

Qu’est ce que tu veux dire ? Tu ne sais pas. La seule chose qui te vient à l’esprit c’est de l’attraper pour la serrer contre toi. Sans doute joues tu trop sur la corde sensible, tu sais que ce n’est pas dans ses habitudes de te repousser.

“Je voulais pas que ça se passe comme ça. Ca pouvait pas être… Lui ou toi. J’arriverais jamais à choisir entre vous deux, et je peux pas vous infliger ça… ”

Tu continues à pleurer, ton fil de mot est quelque peu décousue, c’est comme si tu parlais dans le vide, sans savoir où aller avec ton discours.

“Je suis désolée.”

Un sanglot te secoue.

Tu ne voulais pas que ça se finisse comme ça. Peut-être même, sans doute, tu ne voulais pas que ça se termine tout court. Tu as pourtant l’impression que ce n’est plus un choix qui soit à ta portée. Il faut que ça se termine, ça sera mieux pour elle, pour toi, la chose la moins égoïste que tu peux faire, car tu ne peux faire de promesse Ca ne veut pas dire que ça soit plus simple pour autant, que ton coeur n’ait pas cette impression de se briser pendant une tempête. Ce n’est pas simple, ça ne le sera plus jamais maintenant. Tu sais que tu as brisé quelque chose dans votre relation avec Ymkje. Pourrait-elle redevenir un jour comme avant ? Et c’était quoi avant seulement? Aujourd’hui tu n’as plus aucune certitude, juste une plaie béante à la place de ton palpitant.

Pendant une longue seconde vous partagez un dernier câlin, une dernière étreinte, celle des adieux, elle est douce alors qu’elle fait si mal. Tu ne veux pas qu’elle soit compréhensive, ou indulgente avec toi. Tu préfèrerais largement qu’elle te crie dessus en définitive. Tu as l’impression de mériter des cris, pas sa gentillesse. Elle ne doit pas être gentille avec toi, ça n’est pas juste. Toi tu pleures. Parce que tu n’arrives pas à retenir cette eau qui semble absolument vouloir s’échapper de tes yeux. C’est débile de pleurer. T’as pas le droit de pleurer, c’est toi qui met fin à votre relation. Pourtant tu ne peux pas faire autrement. Tu arrêtes de parler, tu ne sais plus quoi dire, et tu as l’impression de ne jamais avoir su. Elle s’écarte de toi, sèche les larmes sur tes joues, mais elles redoublent et ça ne sert à rien. Tu essaies de respirer calmement, mais l’air sur son visage au moment où elle te dit que tu vas lui manquer… La réciproque est tellement vraie que tout le reste semble absolument faux.

“Toi aussi… ”

C’est une petite voix qui sort de tes lèvres pour prononcer ces deux mots. Tu baisses les yeux finalement, tu ne veux pas lui imposer la vision de ton visage inondé davantage. Tu sais que faire traîner les choses c’est égoïste. Tu voudrais la garder encore pour toi, mais ne l’as tu pas fait assez longtemps déjà ? Tu ne lui as rien épargné.

“A bientôt.”

Tu ne peux pas te résoudre à dire au revoir. Tu ne peux partir sans accorder un dernier regard en arrière à la jolie blonde qui compte autant pour toi.

terminé pour Cat