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Jusqu'à ce que la mort nous sépare || Libre (terminé)
Dim 16 Mai 2021 - 17:04
TW : mort, dépression, deuil, enterrement et processus funéraire
Samedi 12 juin 2021, aux alentours de 10h du matin.
J'aurais préféré qu'il pleuve. C'est un détail stupide, mais c'est celui auquel je m'accrochais. Nous étions en juin, bien sûr que le temps était plus ensoleillé et chaud. Mais on était au Royaume-Uni, merde ! Il n'était pas censé ne jamais faire beau ici ?
J'aurais préféré qu'il pleuve. Peut-être que de cette façon, ça aurai ressemblé à une scène de film. J'aurais pu me croire sur un plateau de tournage, imaginer que tout ceci n'est pas réel, que le cercueil est factice.
J'aurais préféré qu'il pleuve. Parce que cette lumière me nargue. Elle me crache à la figure que la vie continue, le soleil continue de brûler. Il aurait dû s'éteindre.
J'aurais préféré qu'il pleuve, mais je n'avais pas eu le choix.
Rien. Nous ne sommes rien. Un grain de sable dont l'existence peut-être annihilée en quelques secondes. Rien que des assemblages complexes de chairs, d'os et que sais-je encore, dont le souffle de vie tenait d'un miracle qui pouvait être repris. Six jours. C'est le temps qu'il fallait pour que l'on passe administrativement de vie à trépas.
Il était un peu moins d'une heure du matin, dimanche dernier, quand ma vie avait basculée. Quand j'avais finalement décroché mon téléphone. Quand j'avais transplané sans un mot. Quand je m'étais effondré, impuissant, sur le bitume, devant notre maison.
Elle est morte. Je suis incapable de comprendre ce que veulent vraiment dire ces mots. Incapable d'accepter que je ne verrai jamais plus ses boucles rousses s'enflammer à la lueur du soleil matinal dans la cuisine. Que cet éclat de malice ne brillera plus dans ses yeux lorsqu'elle me taquinait. Que plus jamais la ligne de son sourire ne se dessinera sur son doux visage. Que la chaleur de ses lèvres contre les miennes est condamnée à rester un souvenir qui s'effacera avec le temps. Que le grain de sa peau ne rencontrera plus jamais le bout de mes doigts. Que plus jamais le temps ne se figera autour de son rire semblable à des milliers de grelots. Plus jamais. Jamais. JAMAIS !
Cette nuit là, j'avais hurlé comme jamais je ne l'avais fait. Mon âme c'était déchirée, un morceau de moi même m'avait été retiré. Je doutais de jamais le retrouver un jour. Jamais ...
@Aveleen O’Donnell avait pris les choses en main. Je vivais sous son toit, incapable de mettre les pieds dans ma demeure. Elle faisait à manger, s'occupait d'Emma, tandis que me lever du lit me demandais un effort surhumain. Je ne m'étais pas lavé depuis cinq jours, pas rasé non plus. Il avait fallu, ce matin, toute la force de @Ackley Wesson pour me traîner sous la douche. "Soit présentable pour elle" m'a t-il seriné. Alors difficilement, comme si chacun de mes muscles étaient ankylosé, j'avais frotté ma peau. Puis, comme un robot, j'avais passé la tondeuse dans l'amas de poils me servant de barbe. Lorsque je revenais dans la chambre, mon costume noir était là. Je ne sais pas qui avait été le chercher. Probablement Ava, lorsqu'elle avait récupérée une tenue à la demande du service funéraire. J'ignorais d'ailleurs qu'elle l'avait fait. Elle avait tout fait, pris le relais, alors que mon esprit était comme éteint.
Jamais ... Jamais je n'aurais cru me retrouver à cet endroit. J'avais soudain eut envie de jeter ce costume par la fenêtre, de courir loin, de m'enfuir. J'avais eu envie de me pincer encore et encore pour me réveiller, car ce ne pouvait être qu'un cauchemar de plus. Mais l'odeur de la terre fraichement retournée, encore humide, me ramenait à la réalité sans prendre de gants. Cette boite en bois venait de disparaître dans un trou semblant sans fond, dont elle ne ressortirait jamais.
Non ! Arrêtez ! Pourquoi vous faites ça ? Faut pas mettre de la terre sur maman ! Elle va faire comment pour sortir ? Non ! Je veux pas ! Non ! Les hurlements de ma fille, dans les bras de sa marraine, firent saigner mon cœur déjà à vif. Elle aurait quatre ans dans trois jours. Jamais plus son anniversaire ne sera synonyme de joie. Jamais. Je suis incapable de la regarder, j'ai trop peur de croiser son regard, d'y voir le reflet de ma propre souffrance, alors que je fuis le moindre miroir. Tout ce que j'arrive à faire, c'est me tenir droit. Enfin, je crois que c'est uniquement parce que Ackley et les frères Wakefield sont si proches de moi que c'est leurs corps qui me soutiennent. Sans eux, je n'y arriverai jamais.
L'éloge funéraire est des plus classiques. Quelques personnes parlent. Pleurent. Pas moi. Ni l'un, ni l'autre. Je suis comme dans un autre plan de réalité. Incapable de prononcer un mot. Incapable d'exprimer la moindre émotion. Le temps semble ne plus avoir d'emprise sur ce qu'il se passe ici. Comme si tout était figé et que j'allais rester devant ce trou béant à tout jamais. Jamais.
Les minutes passent malgré tout. Les gens se succèdent, puis petit à petit, il ne reste que les âmes des morts pour habiter ce lieu. De l'eau roule sur ma joue. Mais aucun nuage n'est venu cacher le soleil. Jamais.
J'aurais préféré qu'il pleuve.
- Hors jeu:
- Participez si vous le souhaitez, il n'est pas nécessaire que nous ayons défini un lien à l'avance. Mary travaillait à la librairie du Chemin de Traverse puis à la Griffe de l'hippo depuis 3 ans. Elle est originaire de Londres. Elle a fait ses études à Poudlard chez les Poufsouffle puis Hungcalf chez les Summerbee. Elle était de sang mêlé, avait 38 ans.
Il s'agit d'un sujet One Shot
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Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare || Libre (terminé)
Sam 22 Mai 2021 - 11:26
La chantilly n’avait pas prise.
Elle était restée tout au fond du bol, inerte, petite montagne neigeuse encore liquide, saupoudrée de sucre. Désespérément figée. Elle avait fini par se résigner : cela ne monterait pas. Cela resterait comme ça, tapi tout au fond du saladier, recroquevillé et elle n’en tirerait rien de plus.
Elle avait vraiment cru que ce matin là ne se solderait pas par un échec.
Pour le sixième matin consécutif.
Il lui semblait pourtant avoir tout essayé.
Elle avait commencé par remettre en question la qualité de la crème. L’idée lui était venue le deuxième jour, et elle était passée chez le crémier de la ville après avoir réglé quelques formalités administratives pour l’enterrement - la boutique était au centre ville, le détour ne lui avait pas pris beaucoup de temps, aussi se l’était elle accordé. Elle avait expliqué son problème, récolté quelques conseils supplémentaires : avait-elle pris soin de bien laisser refroidir tous les ingrédients ? Oui. Le sucre avait-il été ajouté petit à petit ? Oui. Avait-elle utilisé un batteur électrique ? Trop de personne surestimaient leur capacité, mais le montage de la chantilly a la main cela n'était pas simple. Aveleen avait acquiescé : elle pensait savoir ou en trouver un. Par précaution, elle avait acheté plusieurs petits pots de produit laitier, comme si elle pressentait que cela ne serait pas si simple.
Elle s’était arrêté au magasin qui vendait de tout et de rien, puisque c’était de ça dont elle avait besoin : d’un peu de rien et de beaucoup de tout, pour venir remplir le néant qu’il fallait combler. Entre le rayon des éponges et des serpillères, après avoir fait le plein de javel et de gants, elle avait déniché un robot batteur. Cela n’était pas la meilleure des qualités qui soit, mais c’était une simple chantilly après tout. Ensuite, elle était passée chez la fleuriste, avait fait un saut à la crèche pour remplir quelques autres nombreux papiers, s’était occupée de faire circuler les horaires de la cérémonie, avait tenté en vain de remplir les estomacs de ceux qui vivaient à présent chez elle.
Elle avait réessayé le soir. Quand la maison avait été plongée dans le noir et que le sommeil avait enfin décidé de s’offrir à sa petite filleule. Mais cela n’avait pas pris la non plus. C’était resté ratatiné au fond, tentative avortée qui refusait de prendre forme et qui gisait là, sans réussir à éclore. Quelque part, elle avait trouvé cela particulièrement injuste.
Pourquoi pouvait-on ainsi tout faire bien, et que cela échoue quand même ?
Durant toute la journée du nettoyage de la cuisine et de l’entrée, le quatrième jour, les yeux de la photographe n’avaient eu de cesse de filer vers le robot pâtissier de la famille Fastenburry. Peut-être qu’avec ça... oui, peut-être que c’était le robot le problème, avait-elle fini par se convaincre au fil des longues heures de nettoyage - le sang s’était immiscé partout : dans les rainures en bois du parquet, sur les portes des placards contre lequel il avait éclaboussé, autour des pieds des chaises. Cela avait coagulé et séché le temps qu’on l’autorise à entrer récupérer quelques affaires et maintenant, c’était un travail colossal que de tout retirer. Son cœur était un peu pareil : il avait coagulé. Il était comme la crème chantilly, aussi : figé, incapable de donner autre chose que cet état d’entre deux qui ne voulait pas atteindre une autre étape. Une mauvaise pensée avait fini par s’immiscer dans la tête de l’Irlandaise, alors qu’elle déversait un énième seau d’eau pourpre dans l’évier : elle s’était réjouit d’ignorer que Mary avait ce robot pâtissier. Elle n’avait jamais eu le plaisir de goûter à ses gâteaux. Tu verras, je fais un fraisier à la crème chantilly pour l’anniversaire d’Emma, lui avait-elle dit quelques jours avant. Une éternité avant. Mais elle n’en avait pas eu le temps et ainsi elle ignorait donc tout des talents culinaires sucrés de Mary. Ils étaient morts avec elle. Alors cette cuisine, aussi sale soit elle en cet instant, était peut être la seule pièce de cette maison dénuée de souvenirs insupportables. Elle n’y avait jamais vu sa meilleure amie louper une pâte à crêpe, se saisir d’une manique pour récupérer un plat dans le four, monter des œufs en neiges, étaler une bavaroise, pocher de la crème. Elle ne se souvenait même pas de l’y avoir vu faire la vaisselle. Ou si peu. C’était un royaume dont elle pouvait conserver les clés sans s’y effondrer. Il n’y avait pas de souvenir ici : cela n’était pas comme le salon où elle avait mangé de nombreuses fois, pas comme les escaliers avec leurs lots de photos placardées, pas comme la chambre d’Emma, ni celle qu’elle partageait avec son mari. Elle avait évité ces pièces, ne s’y attardant que le temps nécessaire pour récupérer quelques affaires - mais peut être aurait-elle dû s’y attarder, justement, pour déclencher quelque chose. Mais la cuisine, paradoxalement, ne lui faisait rien éprouver de particulier : c’était une forme de lâcheté, mais elle s’y était réfugiée et acharnée dans une sorte d’hystérie maniaque. Pendant des heures, elle y était restée cloîtrée. Seule. Pourtant, cette cuisine était le lieu de l’horreur : mais tout avait séché. Et puis l’horreur, elle pouvait même la faire disparaître : il suffisait de frotter, éponger, javelliser, aérér. Recommencer. Alors que les souvenirs - surtout les bons souvenirs - ils ne disparaissaient pas comme ça. Ils restaient là, tout en sourires éclatants et regards en coins, images de la maternité et photos de couple jeune marié et d’anniversaires, enfermés dans leur cadre sur du papier glacé. Tous ces clichés étaient des charognes en embuscade, qui étalaient un bonheur révolu dont elle ne savait pas quoi faire. Elle avait détourné les yeux. C’était concentrée sur la cuisine. Et en partant, elle avait soigneusement débranché le robot et l’avait glissé dans le sac, entre le costume qu’elle avait choisi, la robe bleue et les chaussures assorties. Elle était passée au pressing en partant.
Mary était morte un dimanche. Elle était morte un dimanche et Aveleen, en ce Samedi, à quelques heures de l’enterrement, avait obstinément fixé ce robot pour lequel elle avait fini par faire une place sur le plan de travail, parce qu’il était particulièrement imposant du reste. Elle avait lu la notice la veille et réuni tous les ingrédients : le dernier pot de crème, le sucre, le bol en acier qu’elle avait sorti du réfrigérateur avec le fouet tout aussi glacé. La maison dormait encore, ou du moins, la souffrance dans les yeux de William et l’incompréhension dans ceux de la petite fille n’étaient pas encore attablés. Il n’y avait qu’elle, le silence, et cette foutue crème qui ne voulait pas prendre. Après un instant de flottement, les mains de la photographe s’étaient enfin décidées. Elle avait fait couler la crème dans bol, lequel avait été adapté dans le réceptacle, avait enclenché le fouet avant de le faire plonger dans la crème, avait tourné le bouton. Vitesse trois. Rajouté le sucre petit a petit. Les yeux rivés tout au fond, elle avait deviné l’échec avant même qu’il n’advienne. Il ne se passait rien : le fouet battait la crème dans tous les sens, irrémédiablement, fouettant sans relâche une matière qui se refusait à se transformer. C’était inerte. C’était fichu, ça ne marchait pas, elle avait beau augmenté la vitesse, la ralentir, rien n’y faisait. Deux mains lui avait alors semblé fouiller dans sa poitrine pour tordre son cœur : elle n’y arriverait pas. Elle était comme cette chantilly qui refusait de monter, bloquée dans une stase pour toujours, malmenée d’un côté comme de l’autre sans réussir à devenir quelque chose. Elle n’allait pas y arriver.
A faire cette chantilly.
A pleurer Mary.
A lui dire au revoir.
A la faire perdurer dans les yeux d’Emma.
Comment était-elle sensé monter un fraisier pour l’anniversaire si elle n’était même pas capable de réaliser la préparation la plus simple du gâteau ?
C’était à cela, qu’elle pensait toujours quelques heures après, tandis que le cercueil de Mary descendait dans sa tombe sous un soleil cuisant. Des gens reniflaient tout autour, elle entendait des sanglots, mais les principaux concernés semblaient errer avec apathie dans le cimetière. Les larmes des autres tapissaient le silence, matelassaient la douleur de ceux qui n’arrivaient pas à l’exorciser. C’était ça qu’elle voulait, encore plus que réussir cette maudite crème.
Elle voulait pleurer.
Lâcher ce masque de circonstance, et laisser venir ce flot, accorder à l’émotion le droit de s’emparer d’elle. Parce qu’elle savait très bien que cela n’avait rien à voir avec une quelconque chantilly ratée : c’était son cœur, le problème. C’était le deuil qui refusait de prendre. Elle était comme la crème au fond du bol, bloquée dans un état d’inertie totale, ne parvenant pas à se résoudre à autre chose qu’à une humeur qui avait fini par coaguler dans le temps. Comme le sang qui avait glissé entre les lattes, qui persistait encore sous ses ongles, dans son cœur. Mary était un caillot coagulé quelque part dans son thorax, oppressant. Ça lui faisait mal. C’était bloqué. Elle allait manquer d’air. Il n’y avait pas assez de place à l’intérieur d’elle pour contenir ce sentiment qui enflait de jour en jour.
Elle n’allait pas y arriver.
Une petite main glissa pourtant dans la sienne, s’accrocha à son âme. Aveleen baissa les yeux sur Emma, qui venait de l’enlacer, nichant son petit visage tout contre son ventre. L’Irlandaise lui caressa les cheveux, ses yeux déviant vers William dont elle ne supporta la vue qu’une infime seconde, seulement le temps de voir perler le long de sa joue une unique larme qui sillonna ses traits. C’étaient eux, la priorité, et dans l’océan de détresse dans lequel ils risquaient tous de se noyer, Aveleen tenait le rôle de la bouée.
Sept jours sur sept.
Elle n’avait pas le droit de couler.
La chantilly, comme tout le reste, devrait attendre.
Elle était restée tout au fond du bol, inerte, petite montagne neigeuse encore liquide, saupoudrée de sucre. Désespérément figée. Elle avait fini par se résigner : cela ne monterait pas. Cela resterait comme ça, tapi tout au fond du saladier, recroquevillé et elle n’en tirerait rien de plus.
Elle avait vraiment cru que ce matin là ne se solderait pas par un échec.
Pour le sixième matin consécutif.
Il lui semblait pourtant avoir tout essayé.
Elle avait commencé par remettre en question la qualité de la crème. L’idée lui était venue le deuxième jour, et elle était passée chez le crémier de la ville après avoir réglé quelques formalités administratives pour l’enterrement - la boutique était au centre ville, le détour ne lui avait pas pris beaucoup de temps, aussi se l’était elle accordé. Elle avait expliqué son problème, récolté quelques conseils supplémentaires : avait-elle pris soin de bien laisser refroidir tous les ingrédients ? Oui. Le sucre avait-il été ajouté petit à petit ? Oui. Avait-elle utilisé un batteur électrique ? Trop de personne surestimaient leur capacité, mais le montage de la chantilly a la main cela n'était pas simple. Aveleen avait acquiescé : elle pensait savoir ou en trouver un. Par précaution, elle avait acheté plusieurs petits pots de produit laitier, comme si elle pressentait que cela ne serait pas si simple.
Elle s’était arrêté au magasin qui vendait de tout et de rien, puisque c’était de ça dont elle avait besoin : d’un peu de rien et de beaucoup de tout, pour venir remplir le néant qu’il fallait combler. Entre le rayon des éponges et des serpillères, après avoir fait le plein de javel et de gants, elle avait déniché un robot batteur. Cela n’était pas la meilleure des qualités qui soit, mais c’était une simple chantilly après tout. Ensuite, elle était passée chez la fleuriste, avait fait un saut à la crèche pour remplir quelques autres nombreux papiers, s’était occupée de faire circuler les horaires de la cérémonie, avait tenté en vain de remplir les estomacs de ceux qui vivaient à présent chez elle.
Elle avait réessayé le soir. Quand la maison avait été plongée dans le noir et que le sommeil avait enfin décidé de s’offrir à sa petite filleule. Mais cela n’avait pas pris la non plus. C’était resté ratatiné au fond, tentative avortée qui refusait de prendre forme et qui gisait là, sans réussir à éclore. Quelque part, elle avait trouvé cela particulièrement injuste.
Pourquoi pouvait-on ainsi tout faire bien, et que cela échoue quand même ?
Durant toute la journée du nettoyage de la cuisine et de l’entrée, le quatrième jour, les yeux de la photographe n’avaient eu de cesse de filer vers le robot pâtissier de la famille Fastenburry. Peut-être qu’avec ça... oui, peut-être que c’était le robot le problème, avait-elle fini par se convaincre au fil des longues heures de nettoyage - le sang s’était immiscé partout : dans les rainures en bois du parquet, sur les portes des placards contre lequel il avait éclaboussé, autour des pieds des chaises. Cela avait coagulé et séché le temps qu’on l’autorise à entrer récupérer quelques affaires et maintenant, c’était un travail colossal que de tout retirer. Son cœur était un peu pareil : il avait coagulé. Il était comme la crème chantilly, aussi : figé, incapable de donner autre chose que cet état d’entre deux qui ne voulait pas atteindre une autre étape. Une mauvaise pensée avait fini par s’immiscer dans la tête de l’Irlandaise, alors qu’elle déversait un énième seau d’eau pourpre dans l’évier : elle s’était réjouit d’ignorer que Mary avait ce robot pâtissier. Elle n’avait jamais eu le plaisir de goûter à ses gâteaux. Tu verras, je fais un fraisier à la crème chantilly pour l’anniversaire d’Emma, lui avait-elle dit quelques jours avant. Une éternité avant. Mais elle n’en avait pas eu le temps et ainsi elle ignorait donc tout des talents culinaires sucrés de Mary. Ils étaient morts avec elle. Alors cette cuisine, aussi sale soit elle en cet instant, était peut être la seule pièce de cette maison dénuée de souvenirs insupportables. Elle n’y avait jamais vu sa meilleure amie louper une pâte à crêpe, se saisir d’une manique pour récupérer un plat dans le four, monter des œufs en neiges, étaler une bavaroise, pocher de la crème. Elle ne se souvenait même pas de l’y avoir vu faire la vaisselle. Ou si peu. C’était un royaume dont elle pouvait conserver les clés sans s’y effondrer. Il n’y avait pas de souvenir ici : cela n’était pas comme le salon où elle avait mangé de nombreuses fois, pas comme les escaliers avec leurs lots de photos placardées, pas comme la chambre d’Emma, ni celle qu’elle partageait avec son mari. Elle avait évité ces pièces, ne s’y attardant que le temps nécessaire pour récupérer quelques affaires - mais peut être aurait-elle dû s’y attarder, justement, pour déclencher quelque chose. Mais la cuisine, paradoxalement, ne lui faisait rien éprouver de particulier : c’était une forme de lâcheté, mais elle s’y était réfugiée et acharnée dans une sorte d’hystérie maniaque. Pendant des heures, elle y était restée cloîtrée. Seule. Pourtant, cette cuisine était le lieu de l’horreur : mais tout avait séché. Et puis l’horreur, elle pouvait même la faire disparaître : il suffisait de frotter, éponger, javelliser, aérér. Recommencer. Alors que les souvenirs - surtout les bons souvenirs - ils ne disparaissaient pas comme ça. Ils restaient là, tout en sourires éclatants et regards en coins, images de la maternité et photos de couple jeune marié et d’anniversaires, enfermés dans leur cadre sur du papier glacé. Tous ces clichés étaient des charognes en embuscade, qui étalaient un bonheur révolu dont elle ne savait pas quoi faire. Elle avait détourné les yeux. C’était concentrée sur la cuisine. Et en partant, elle avait soigneusement débranché le robot et l’avait glissé dans le sac, entre le costume qu’elle avait choisi, la robe bleue et les chaussures assorties. Elle était passée au pressing en partant.
Mary était morte un dimanche. Elle était morte un dimanche et Aveleen, en ce Samedi, à quelques heures de l’enterrement, avait obstinément fixé ce robot pour lequel elle avait fini par faire une place sur le plan de travail, parce qu’il était particulièrement imposant du reste. Elle avait lu la notice la veille et réuni tous les ingrédients : le dernier pot de crème, le sucre, le bol en acier qu’elle avait sorti du réfrigérateur avec le fouet tout aussi glacé. La maison dormait encore, ou du moins, la souffrance dans les yeux de William et l’incompréhension dans ceux de la petite fille n’étaient pas encore attablés. Il n’y avait qu’elle, le silence, et cette foutue crème qui ne voulait pas prendre. Après un instant de flottement, les mains de la photographe s’étaient enfin décidées. Elle avait fait couler la crème dans bol, lequel avait été adapté dans le réceptacle, avait enclenché le fouet avant de le faire plonger dans la crème, avait tourné le bouton. Vitesse trois. Rajouté le sucre petit a petit. Les yeux rivés tout au fond, elle avait deviné l’échec avant même qu’il n’advienne. Il ne se passait rien : le fouet battait la crème dans tous les sens, irrémédiablement, fouettant sans relâche une matière qui se refusait à se transformer. C’était inerte. C’était fichu, ça ne marchait pas, elle avait beau augmenté la vitesse, la ralentir, rien n’y faisait. Deux mains lui avait alors semblé fouiller dans sa poitrine pour tordre son cœur : elle n’y arriverait pas. Elle était comme cette chantilly qui refusait de monter, bloquée dans une stase pour toujours, malmenée d’un côté comme de l’autre sans réussir à devenir quelque chose. Elle n’allait pas y arriver.
A faire cette chantilly.
A pleurer Mary.
A lui dire au revoir.
A la faire perdurer dans les yeux d’Emma.
Comment était-elle sensé monter un fraisier pour l’anniversaire si elle n’était même pas capable de réaliser la préparation la plus simple du gâteau ?
C’était à cela, qu’elle pensait toujours quelques heures après, tandis que le cercueil de Mary descendait dans sa tombe sous un soleil cuisant. Des gens reniflaient tout autour, elle entendait des sanglots, mais les principaux concernés semblaient errer avec apathie dans le cimetière. Les larmes des autres tapissaient le silence, matelassaient la douleur de ceux qui n’arrivaient pas à l’exorciser. C’était ça qu’elle voulait, encore plus que réussir cette maudite crème.
Elle voulait pleurer.
Lâcher ce masque de circonstance, et laisser venir ce flot, accorder à l’émotion le droit de s’emparer d’elle. Parce qu’elle savait très bien que cela n’avait rien à voir avec une quelconque chantilly ratée : c’était son cœur, le problème. C’était le deuil qui refusait de prendre. Elle était comme la crème au fond du bol, bloquée dans un état d’inertie totale, ne parvenant pas à se résoudre à autre chose qu’à une humeur qui avait fini par coaguler dans le temps. Comme le sang qui avait glissé entre les lattes, qui persistait encore sous ses ongles, dans son cœur. Mary était un caillot coagulé quelque part dans son thorax, oppressant. Ça lui faisait mal. C’était bloqué. Elle allait manquer d’air. Il n’y avait pas assez de place à l’intérieur d’elle pour contenir ce sentiment qui enflait de jour en jour.
Elle n’allait pas y arriver.
Une petite main glissa pourtant dans la sienne, s’accrocha à son âme. Aveleen baissa les yeux sur Emma, qui venait de l’enlacer, nichant son petit visage tout contre son ventre. L’Irlandaise lui caressa les cheveux, ses yeux déviant vers William dont elle ne supporta la vue qu’une infime seconde, seulement le temps de voir perler le long de sa joue une unique larme qui sillonna ses traits. C’étaient eux, la priorité, et dans l’océan de détresse dans lequel ils risquaient tous de se noyer, Aveleen tenait le rôle de la bouée.
Sept jours sur sept.
Elle n’avait pas le droit de couler.
La chantilly, comme tout le reste, devrait attendre.
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Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare || Libre (terminé)
Mer 26 Mai 2021 - 8:59
Jusqu'à ce que la mort nous sépare
Un cauchemar, il n'arrivait pas à avoir un autre terme en tête pour définir ce qui se déroulait sous ses yeux impuissants depuis quelques jours. Ce n'"était pas tant revivre la période la plus sombre et la plus violente de sa vie qui se rejouait qui était le plus dure, mais de voir cette scène se dérouler dans la vie de William les laissant tous les deux impuissants.
Il avait déjà vécu cela, il avait déjà reçu ce message funeste, ce grand blanc dans son esprit alors que son corps est en pilotage automatique, la sensation que tout tourne autour de vous comme si le monde continuait de tourner mais que vous étiez là tel un simple spectateur. Il connaissait ce gout du vide, de la douleur, cette éternelle question du pourquoi qui n'aura jamais de réponse et la peur de l'avenir. Avec, pour William, le poids en plus d'avoir un enfant qui grandira sans mère et dont la tristesse et le désespoir à brisé instantanément le coeur d'Ackley.
Il sait aussi qu'aucun mot ne soulagera jamais la peine, qu'à part être là, présent, être le bras qui soutien et qui guide silencieusement pour continuer de faire un pas après l'autre jusqu'au jour où le quotidien reprendre un peu le dessus, il n'y a rien de plus à apporter car la perte est trop immense, la faille trop profonde et la douleur trop vive.
Avec Avaleen ils ont tenté de garder William debout, de faire ce qui devait être fait encore plus aujourd'hui, jour des funérailles de Mary. Il sait très bien que dans quelques temps il s'en voudra si il n'a pas été à la hauteur, alors oui, Ackley est là pour le guider vers la salle de bain pendant qu'Ava s'occupe de son costume. Ils ont passé l'information, organisés les choses pour que tout soit au mieux pour la femme qu'était leur amie.
Depuis combien de temps se tient-il là, debout, presque coller à son frère de coeur pour ne pas le sentir sombrer devant lui ? Il l'ignore, il entend à peine les mots de l'hommage, seule la voix d'Emma qui brise soudainement le silence et le fait tressaillir tant sa douleur le fouette le fait sortir de sa stupeur. Il faudra du temps, beaucoup de temps, il le sait, pourtant cela ne facilite pas l'acceptation de voir ceux auxquels il tient souffrir à ce point.
Le temps semble encore figé quand tour à tour les personnes présentes viennent témoigner de leur soutien au veuf qu'est devenu William. A aucun moment Ackley ne bouge ou ne dit mot, mais au terme de cet étrange ballet, sa main vient se poser sur l'épaule de l'auror.
@William Fastenburry
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