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Ses épines (Rosalia)
Mer 14 Juil 2021 - 18:52
Thomas avait quitté son appartement londonien pour l'un des nombreux repaires du clan Cioban, au cœur du quartier sorcier d'Inverness. La communauté magique avait le don de s'éparpiller à travers tout le pays, ce qui impliquait, dès lors que l'on se rendait dépendant de certaines rencontres, d'avoir à se déplacer beaucoup. L'efficacité des modes de transport sorciers rendaient néanmoins la chose parfaitement banale et insignifiante, même avec un emploi du temps chargé. Plusieurs affaires urgentes attendaient en effet le dhampire, dont une en lien direct avec l'une des enquêtes en cours. Il avait donc prévu de passer quelques jours dans les Highlands.
Une perspective relativement banale pour Thomas, mais qui s'accompagnait toujours d'un arrière goût d'autrefois : il n'en appréciait qu'à moitié la saveur. Le vieux manoir lui rappelait ses années estudiantines. Il y avait effectivement logé jusqu'à l'obtention de son MAGIC en sciences occultes, en 2006. C'était il y a quinze ans.
La mémoire était une chose complexe, mais pour Thomas c'était devenu le nerf d'une guerre intérieure sans merci. Quand il songeait au passé et à ses jeunes années, le trouble se mêlait toujours à des images écornées, parfois partielles, voire carrément manquantes. Il ne savait plus distinguer le vrai des fantasmagories issues de ses rêveries quotidiennes. Des fragments surgis de l'ombre teintaient les souvenirs authentiques d'un voile gris menaçant. Plus il tendait la main vers eux, plus ils se dérobaient, ou bien revenaient en bancs furieux lui torturer l'esprit.
Si le dhampire fuyait les situations propices à l'introspection, il ne pouvait pas toujours éviter les lieux chargés de souvenirs.
La demeure était, comme de coutume chez les sorciers, beaucoup plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. La petite façade étriquée, semblant coincée entre deux immeubles, cachait en réalité un domaine labyrinthique, doté d'une multitude de chambres (certaines secrètes d'accès) et de couloirs.
A ce titre, l'architecture et la décoration évoquaient directement l'imagerie des vampires, avec des boiseries noires et des tapisseries rouges (le propriétaire des lieux, Vladek Cioban, était connu pour son caractère ostentatoire, parfois peu subtil).
Il fallait néanmoins souligner la finesse et la beauté des finitions qui, bien qu'un peu passées de mode, avaient de quoi impressionner l'œil averti : les ornements de pierre et la marqueterie tenaient de la dentelle. Chaque support accueillait son lot d'objet bizarre, à la croisée entre œuvre d'art et artefact maudit. En outre, les murs dégueulaient de tableaux (dont pas mal de portraits) et de suspensions anciennes. Des gargouilles animées de pierre sombre gardaient la porte des pièces importantes. Le tout murmurait dans une demi douzaine de dialectes différents, ce qui ajoutait à l'aspect étrange et inquiétant de l'endroit une dose de pittoresque.
Le bureau de Thomas était situé au le sous-sol, à côté des réserves, car il servait également de laboratoire. Conformément à la personnalité du dhampire, l'endroit était ordonné et propre. La décoration était beaucoup plus sobre (et de meilleur goût) qu'aux étages. Cependant, elle comptait aussi son lot d'objets baroques et d’œuvres d'art suintant la magie.
Thomas était en train de concocter une potion. Son bureau disparaissait sous les fioles et les alambics, les pots d'ingrédients, les poudres, les huiles et les extraits. Il paraissait totalement absorbé par cette activité, oscillant entre la préparation en elle-même et un feuillet de notes qu'il annotait religieusement, à l'aide d'une longue rémige de corbeau.
Son costume noir et émeraude de couturier lui donnait des allures entre dandy et savant. Il incarnait d'ailleurs fort bien les deux concepts à la fois, sans compter l'ombre inquiète qui survolait ses traits à intervalle régulier. Il paraissait y avoir plus sur ce visage que le sinistre propre aux vampires. Thomas se laissait parasiter par des considérations inutiles. Il avait pourtant beaucoup à faire : un hibou venait d'ailleurs de se poser sur le perchoir prévu à cet effet, juste à côté du bureau.
Le dhampire échangea le petit paquet qu'il portait avec deux ou trois missives à livrer, le tout assorti d'une pièce de bronze. L'oiseau s'envola aussitôt par un conduit qui se trouvait juste à côté de la cheminée (l'endroit ne comportait aucune fenêtre), permettant à Thomas de se replonger dans son étude.
Quelques minutes plus tard, ce fut au tour d'un elfe de maison incroyablement laid et rachitique d'entrer dans la pièce.
« Maître... Dit-il d'une voix grinçante. Miss de Luca.
Le part-vampire, toujours penché sur son feuillet, signifia à l'elfe qu'il pouvait la faire entrer d'un geste vague de la main. Un soupir silencieux s'échappa de son nez. Son rendez-vous avec Rosalia, jeune héritière déchue : il l'avait presque oublié.
Une perspective relativement banale pour Thomas, mais qui s'accompagnait toujours d'un arrière goût d'autrefois : il n'en appréciait qu'à moitié la saveur. Le vieux manoir lui rappelait ses années estudiantines. Il y avait effectivement logé jusqu'à l'obtention de son MAGIC en sciences occultes, en 2006. C'était il y a quinze ans.
La mémoire était une chose complexe, mais pour Thomas c'était devenu le nerf d'une guerre intérieure sans merci. Quand il songeait au passé et à ses jeunes années, le trouble se mêlait toujours à des images écornées, parfois partielles, voire carrément manquantes. Il ne savait plus distinguer le vrai des fantasmagories issues de ses rêveries quotidiennes. Des fragments surgis de l'ombre teintaient les souvenirs authentiques d'un voile gris menaçant. Plus il tendait la main vers eux, plus ils se dérobaient, ou bien revenaient en bancs furieux lui torturer l'esprit.
Si le dhampire fuyait les situations propices à l'introspection, il ne pouvait pas toujours éviter les lieux chargés de souvenirs.
La demeure était, comme de coutume chez les sorciers, beaucoup plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. La petite façade étriquée, semblant coincée entre deux immeubles, cachait en réalité un domaine labyrinthique, doté d'une multitude de chambres (certaines secrètes d'accès) et de couloirs.
A ce titre, l'architecture et la décoration évoquaient directement l'imagerie des vampires, avec des boiseries noires et des tapisseries rouges (le propriétaire des lieux, Vladek Cioban, était connu pour son caractère ostentatoire, parfois peu subtil).
Il fallait néanmoins souligner la finesse et la beauté des finitions qui, bien qu'un peu passées de mode, avaient de quoi impressionner l'œil averti : les ornements de pierre et la marqueterie tenaient de la dentelle. Chaque support accueillait son lot d'objet bizarre, à la croisée entre œuvre d'art et artefact maudit. En outre, les murs dégueulaient de tableaux (dont pas mal de portraits) et de suspensions anciennes. Des gargouilles animées de pierre sombre gardaient la porte des pièces importantes. Le tout murmurait dans une demi douzaine de dialectes différents, ce qui ajoutait à l'aspect étrange et inquiétant de l'endroit une dose de pittoresque.
Le bureau de Thomas était situé au le sous-sol, à côté des réserves, car il servait également de laboratoire. Conformément à la personnalité du dhampire, l'endroit était ordonné et propre. La décoration était beaucoup plus sobre (et de meilleur goût) qu'aux étages. Cependant, elle comptait aussi son lot d'objets baroques et d’œuvres d'art suintant la magie.
Thomas était en train de concocter une potion. Son bureau disparaissait sous les fioles et les alambics, les pots d'ingrédients, les poudres, les huiles et les extraits. Il paraissait totalement absorbé par cette activité, oscillant entre la préparation en elle-même et un feuillet de notes qu'il annotait religieusement, à l'aide d'une longue rémige de corbeau.
Son costume noir et émeraude de couturier lui donnait des allures entre dandy et savant. Il incarnait d'ailleurs fort bien les deux concepts à la fois, sans compter l'ombre inquiète qui survolait ses traits à intervalle régulier. Il paraissait y avoir plus sur ce visage que le sinistre propre aux vampires. Thomas se laissait parasiter par des considérations inutiles. Il avait pourtant beaucoup à faire : un hibou venait d'ailleurs de se poser sur le perchoir prévu à cet effet, juste à côté du bureau.
Le dhampire échangea le petit paquet qu'il portait avec deux ou trois missives à livrer, le tout assorti d'une pièce de bronze. L'oiseau s'envola aussitôt par un conduit qui se trouvait juste à côté de la cheminée (l'endroit ne comportait aucune fenêtre), permettant à Thomas de se replonger dans son étude.
Quelques minutes plus tard, ce fut au tour d'un elfe de maison incroyablement laid et rachitique d'entrer dans la pièce.
« Maître... Dit-il d'une voix grinçante. Miss de Luca.
Le part-vampire, toujours penché sur son feuillet, signifia à l'elfe qu'il pouvait la faire entrer d'un geste vague de la main. Un soupir silencieux s'échappa de son nez. Son rendez-vous avec Rosalia, jeune héritière déchue : il l'avait presque oublié.
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Re: Ses épines (Rosalia)
Mer 14 Juil 2021 - 20:36
-- (tholia 1).
La douleur l’avait saisi, comme un éclair. Vif, intense, surprenant, à déchirer son enveloppe charnelle de sueurs froides et de douleurs multiples. Elle s’était arrêtée, l’air de rien, en se recoiffant, pour pouvoir reprendre son souffle. Reine des illusions, l’on ne dirait pas à ses épaules droites et son air impassible qu’elle souffrait le martyre, Rosalia, consciente qu’elle ne pourrait pas assurer la représentation de ce soir sans potion. Elle les usait d’une vitesse fulgurante, voire impressionnante, les précieuses, en temps de spectacles et longues répétitions, si bien qu’elle sentait le vent tourner, Rosalia. La gratuité ne durait peut-être pas, alors elle en abusait, juste le temps de trouver une solution et d’aller mieux, sans jamais prendre le temps de reposer la blessée. Rosa, elle poussait, insistait, en n’en faisant qu’à sa tête, au lieu d’assumer et de prendre soin d’elle, le temps d’aller mieux. Bornée, la poupée ignorait les avertissements, les mots que l’on lui glissait, pour ceux étant dans la confidence, de son pas boiteux, de canard malheureux. Les doigts enfouis dans la longue tignasse ébène, elle attendait d’être seule pour laisser s’échapper sans détour le souffle saccadé. Ses doigts tremblaient, se refermaient sur la barre horizontale, tandis qu’elle fermait violemment les paupières, l’air de croire que cela suffirait à effacer la douleur d’une gambette comprimée. En vain. Elle traînait difficilement sa carcasse jusqu’aux vestiaires, où le corps se vêtait d’étoffes luxueuses, la tenue poudrée laissée au fond du sac. Elle savait où se rendre, Rosalia, habituée des lieux, lorsqu’elle s’en venait, récupérer ses commandes, aussi précieuses que les chaussons poudrés. Cachée sous ses larges lunettes de soleil, Rosa se faufilait dans les ruelles de la ville, s’abritant de temps à autre pour que le souffle ne la quitte pas précipitamment. Elle souffrait depuis une longue année, en dépit des soins, rien ne passait, tant s’acharnait-elle, ballerine défaite. Il lui était impossible d’arrêter les vrilles et pas de chassés, aussi douloureux soient-ils, ces affamés. Ce n’était plus qu’un sinistre compte à rebours, jusqu’au jour où elle s’effondrerait, le corps refusant de la supporter, d’être si maltraité, par ses caprices d’enfant pourri-gâté. Le bruit de ses talons claquaient le bitume, s'efforçant de garder sa démarche parfaite, en dépit de la douleur, remontant dans son dos. Électricité. Elle peinait, s’essoufflait et manquait de s’effondrer plusieurs fois, tant forçait-elle, en puisant dans ses réserves mutilées. Le trajet fut une succession de frayeurs et de sueur, ruisselant le long de ses tempes. Visage rougi, humide, en face de cet elfe de maison hideux. Elle le massacrait de ses mirettes ténèbres et il ne s’attardait pas, conscient que la gamine pouvait éclater à tout moment. Gamine qui n’en avait que faire de l’endroit et du respect. Esprit obsédé par sa souffrance, le dos s’appuyait contre le mur, en soulageant la fauchée de son poids. Malgré l’apparence chétive, parfois juvénile, un rien suffisait à la faire grimacer, Rosalia. Après quelques brèves secondes d’attente, elle prenait le chemin jusqu’au bureau de Thomas, insultant les ancêtres de l’univers à chaque marche. Canard boiteux se dévoilait, dans sa belle robe fluide, camouflant l’amochée, l’essouflée. « Où sont mes potions ? » Désagréable, Rosalia, qu’elle soit de bonne comme de mauvaise humeur, elle foutait les pieds dans le plat, en se laissant tomber de tout son être, sur le fauteuil face au bureau. Lunettes retirées, nichées sur le dessus du crâne, l’épiderme était rouge, moite, l’expression de douleur bien réelle, ancrée sur les traits colériques. « Je n’ai pas tout mon temps. » Qu’elle ajoutait, Rosalia, devant se préparer pour le spectacle à venir et essayer de retrouver contenance, maintenant que la force s’effritait, qu’il ne restait que des miettes d’énergie.
(c) BRAINDEAD.
- InvitéInvité
Re: Ses épines (Rosalia)
Jeu 15 Juil 2021 - 22:36
Parmi les nombreux éléments de décors se trouvait un modeste cadre doré. Il reposait sur une petite console murale ornée d'un croissant de lune, à côté de la grande bibliothèque qui courrait le long du mur. Ce petit cadre était enchanté de telle sorte que, lorsqu'un invité pénétrait dans la pièce, la photographie présentée s'accordait en rapport avec la personne, ou la situation. Jusqu'alors, le petit cadre n'affichait qu'une ombre noire indéfinie, mais dès l'instant où Rosalia s'assit sur le fauteuil, l'ombre évolua en silhouettes de plus en plus distinctes. Après quelques secondes, le visage du couple de Luca apparut. Ils posaient en compagnie de Vladek, Thomas et quelques autres vampires affiliés au clan Cioban, dans un décor d'opéra.
Thomas ne prêta aucune attention à ce changement infime de décors, mais s'il avait eu à commenter cette photographie, il aurait évoqué sa première rencontre avec la famille déchue. C'était il y a quelques années : il ne savait plus (cette maudite mémoire défaillante). Une soirée de gala précédée d'une représentation classique, avec son lot d'invités de marque, les familles de sang-pur, des artistes en vogue.
À ce titre, les de Luca avaient de quoi être fiers : leur progéniture était un véritable prodige. Tout le gratin du monde sorcier (et moldu, cela dit en passant) se pressait pour admirer l'étoile montante. Rosalia était jeune, mais déjà redoutable. Une volonté de fer, dans une enveloppe à se damner. Elle avait tout. Un avenir radieux lui tendait les bras... Tout du moins, sur le papier.
Car entre temps, le rêve s'était noirci. Le chaos s'était invité à la fête.
Fin du rêve : que restait-il ?
Thomas poursuivit ce qu'il était en train de faire sans ciller.
« Rosalia... Dit-il. Depuis quand as-tu les moyens de te payer de l'impatience ?
Il y avait de la raillerie dans son propos, même si cela ne s'entendait pas. son intonation était d'une neutralité tellement pleine qu'elle en devenait immédiatement agaçante. Après un moment, il posa néanmoins sa plume de corbeau et releva la tête en direction de la jeune femme. La pâleur cadavérique de son visage était aggravée par l'aigue-marine dilué de ses yeux. Il l'observa un court instant sans mot dire, puis claqua des doigts.
Aussitôt, une dalle de pierre d'environs une coudée de long sortie de la pénombre et glissa jusqu'au bureau. Un nécessaire à potion s'y trouvait, en particulier un petit chaudron, qui bouillonnait tranquillement sur un feu magique.
« Quatre minutes. Fit le dhampire d'un ton définitif. Bois quelque chose en attendant.
Elle était encore essoufflée et son parfum, avivé par l'effort, embaumait à présent toute la pièce (à condition d'avoir des sens de vampire).
Thomas eut un vague signe de tête en direction de l'elfe de maison qui venait de réapparaître les bras chargé d'un plateau. La créature tenait à faire les choses comme il fallait, quand-bien même ne lui aurait-on rien demandé.
Le dhampire, pour sa part, avait reporté son attention sur la préparation en cours. La potion destinée à Rosalia était de composition unique et très difficile à préparer. Elle exigeait, en outre, d'être bue tout de suite, ce qui ajoutait encore à la rareté du produit. Dans ces conditions, il était aisé d'en imaginer le prix.
Un bienfait que Thomas n'offrait pas gratuitement, mais bien à crédit. Un crédit qui devait faire écho à la fleur, puisque ses parents eux-mêmes s'étaient rendus débiteur du clan Cioban par le passé. Le remboursement de leur dette participa d'ailleurs au déclin de la jeune femme, qui dilapida son héritage dans le processus.
Il y avait donc de l'ironie à ce qu'elle vienne chercher de l'aide auprès de ceux-là même qui l'avaient vu chuter. Cela dit, la nature humaine était ainsi faite : pleine d'ironie, de mauvais arrangements et de douleur auto-infligée.
Thomas ne prêta aucune attention à ce changement infime de décors, mais s'il avait eu à commenter cette photographie, il aurait évoqué sa première rencontre avec la famille déchue. C'était il y a quelques années : il ne savait plus (cette maudite mémoire défaillante). Une soirée de gala précédée d'une représentation classique, avec son lot d'invités de marque, les familles de sang-pur, des artistes en vogue.
À ce titre, les de Luca avaient de quoi être fiers : leur progéniture était un véritable prodige. Tout le gratin du monde sorcier (et moldu, cela dit en passant) se pressait pour admirer l'étoile montante. Rosalia était jeune, mais déjà redoutable. Une volonté de fer, dans une enveloppe à se damner. Elle avait tout. Un avenir radieux lui tendait les bras... Tout du moins, sur le papier.
Car entre temps, le rêve s'était noirci. Le chaos s'était invité à la fête.
Fin du rêve : que restait-il ?
Thomas poursuivit ce qu'il était en train de faire sans ciller.
« Rosalia... Dit-il. Depuis quand as-tu les moyens de te payer de l'impatience ?
Il y avait de la raillerie dans son propos, même si cela ne s'entendait pas. son intonation était d'une neutralité tellement pleine qu'elle en devenait immédiatement agaçante. Après un moment, il posa néanmoins sa plume de corbeau et releva la tête en direction de la jeune femme. La pâleur cadavérique de son visage était aggravée par l'aigue-marine dilué de ses yeux. Il l'observa un court instant sans mot dire, puis claqua des doigts.
Aussitôt, une dalle de pierre d'environs une coudée de long sortie de la pénombre et glissa jusqu'au bureau. Un nécessaire à potion s'y trouvait, en particulier un petit chaudron, qui bouillonnait tranquillement sur un feu magique.
« Quatre minutes. Fit le dhampire d'un ton définitif. Bois quelque chose en attendant.
Elle était encore essoufflée et son parfum, avivé par l'effort, embaumait à présent toute la pièce (à condition d'avoir des sens de vampire).
Thomas eut un vague signe de tête en direction de l'elfe de maison qui venait de réapparaître les bras chargé d'un plateau. La créature tenait à faire les choses comme il fallait, quand-bien même ne lui aurait-on rien demandé.
Le dhampire, pour sa part, avait reporté son attention sur la préparation en cours. La potion destinée à Rosalia était de composition unique et très difficile à préparer. Elle exigeait, en outre, d'être bue tout de suite, ce qui ajoutait encore à la rareté du produit. Dans ces conditions, il était aisé d'en imaginer le prix.
Un bienfait que Thomas n'offrait pas gratuitement, mais bien à crédit. Un crédit qui devait faire écho à la fleur, puisque ses parents eux-mêmes s'étaient rendus débiteur du clan Cioban par le passé. Le remboursement de leur dette participa d'ailleurs au déclin de la jeune femme, qui dilapida son héritage dans le processus.
Il y avait donc de l'ironie à ce qu'elle vienne chercher de l'aide auprès de ceux-là même qui l'avaient vu chuter. Cela dit, la nature humaine était ainsi faite : pleine d'ironie, de mauvais arrangements et de douleur auto-infligée.
- InvitéInvité
Re: Ses épines (Rosalia)
Dim 25 Juil 2021 - 18:55
-- (tholia 1).
Elle tentait de ne pas perdre trop de temps, Rosalia, quand bien même était-elle parcourue de douleur. Une souffrance vive, coupant le souffle, plaquant des mèches de sueur sur son front, qu’elle épongeait, en veillant à toujours avoir l’air impeccable. Cheveux lâchés, parfaitement lisses. Maquillage léger ajusté d’un coup de baguette. Tenue somptueuse, camouflant sa funèbre boiterie. Larges lunettes de soleil sur le nez, cachant ce regard vitreux, abritant tant de malheur, qu’elle préférait le cacher, le temps de son excursion. Elle tremblait, Rosalia, affaiblie et en mauvais état : la belle finirait par ne plus pouvoir marcher si elle continuait de se tuer à la tâche et à ne pas se reposer. Ne pouvant se permettre de faiblir et de ne pas travailler, elle valsait sur le fil tendu de sa vie, déjà bien bancale. Un jour, l’étoile s’écraserait pour de bon sur la scène publique et l’on comprendrait que la dernière année ne fut qu’une vaste mascarade, drôlement bien menée par la fleur aux ronces aiguisées. Immense supercherie, duperie à la grandeur de sa renommée, Rosalia en sourirait, même si elle serait plus ruinée qu’à l’heure actuelle. Elle n’aurait plus rien, qu’un joli minois à vendre, dans l’espoir de pouvoir rebondir. Il lui arrivait de s’imaginer le pire, la fatalité qui l’attendait - la sentait au plus profond de son être. Là, dans cette ruelle, où le souffle était si court qu’elle fermait férocement les paupières, voyant une multitude de couleurs. Cela ne pouvait plus durer, pas vrai ? Sortir sans avoir de quoi la requinquer, la remettre sur pieds, risquant de s’effondrer à chaque pas. C’en était un spectacle désolant, lorsque l’insolente poussait les portes et s’invitait, sans la moindre politesse. L’urgence la rendait bien plus agressive et irrespectueuse, la gamine lunaire, habituée à ce que l’on lui obéisse au doigt et à l’œil. Tyran du bac à sable, se croyant dirigeante de l’univers, alors qu’elle n’avait qu’un trop gros excès de zèle, Rosalia. Les marches descendues, le bruit de ses talons sonnait différemment : démarche bancale qu’elle ne cachait plus. Visage rougie d’effort et corps qui ne pouvait plus la supporter, elle s’effondrait presque sur le siège, sans perdre de vue son objectif. Les potions, puis la représentation. En quelques minutes, tout serait bouclé et elle pourrait enfiler ses chaussons, ses tissus vaporeux, en jetant l’usuelle poudre illusoire aux prunelles des admiratifs. « Depuis ma naissance. » Qu’elle ripostait, de ce même venin. Pas une once de sympathie envers Thomas - savait-elle l’être, d’ailleurs ? Rosalia, elle soupirait en le regardant faire. « Plus vite serait appréciable. » Elle n’aimait pas être entre ces murs, parce qu’elle savait ne pas être maîtresse des lieux, ne pas avoir le contrôle qu’elle aimait tant avoir et cela la rongeait, la bouffait de s’attarder. Son regard perçant glissait sur l’elfe de maison, déposant un plateau de vivres face à eux. Rosa le remerciait d’un geste de visage, à croire qu’un merci lui arracherait la gorge, vipère. Elle se penchait, donc, pour se servir un verre de jus de fruits. « Sans sucres ajoutés, j’espère. » Rosalia était de celles et ceux qui mangeaient sans âme : pas de sel, matières grasses, sucres. Juste de la verdure, des produits bruts, pour garder une ligne hypnotisante. Lorsque l’elfe affirmait qu’il se souvenait de son régime alimentaire des plus tristes, elle détournait le visage et noyait ses lippes dans le liquide épais rosé, se rafraîchissant de cette terrible avancée. Le dos maintenant redressé, elle s’enfonçait dans le siège, en croisant ses jambes ensemble, malgré la douleur. Mirettes rivées, désormais, elle avait le regard insistant, détaillant le visage sérieux et figé de Thomas. « Tu fais sacrément vieux. » Délicate raillerie, d’une femme piquante, désirant le dernier mot coûte que coûte et d’un rictus en coin, elle se mettait à analyser la pièce, détaillant des objets dont elle n’avait que faire, Rosalia.
(c) BRAINDEAD.