1978 - 2002 ━ enfant de la Lune.

Votre obligé est un cadet, une demi douzaine d’années le séparant de son ainé, Blake Gold. Dorothy Morgan et Piers Gold étaient déjà les heureux et épuisés parents de Blake, la nuit de sa naissance. De leur écart d’âge, une relation courtoise, mais assez peu fusionnelle, naquit dans la fratrie. King n’a que très peu de souvenirs d’enfance avec son frère, en internat à l’année à Poudlard une grande majorité du temps. Mais c’est à l’adolescence que leurs chemins se séparèrent vraiment, quand la lycanthropie du plus jeune se déclencha, là où l’ainé du se rendre à l’évidence: le gène, considéré comme une marque de virilité, de puissance et de pouvoir au sein du clan, ne s’était pas activé chez lui. Blake avait du, par la force des choses, céder à son frère l’hypothétique place de successeur à la tête du clan des Gold. Hypothétiquement, parce qu’à quatorze ans, il est bien difficile de savoir ce que l’on compte faire de sa vie, entre deux pleines lunes...

2002 ━ Kingsley aux mains d’argent. Vingt quatre ans, des idées plein la tête, des dents pointues qui rayent le parquet. Cela fait déjà des mois qu’il a quitté l’université après sa cinquième année réussit sans la moindre difficulté, quand l’encore jeune Gold décide de s’expatrier quelques temps aux Etats-Unis. Exit les bureaux ennuyeux du ministère, où il a œuvré quelques mois dans les Forces des tâches invisibles chargées de trouver des solutions pour la mise en discrétion d’évènements magiques, qui au final, ne l’enchantait pas. Sans véritable réseau à impliquer dans sa décision, réfusant l’aide pourtant désintéressée de son argenté paternel, il avait commencé comme n’importe quel jeune actif, ou presque, à faire les petites mains dans une boutique de conception de vêtements pour joueurs de quidditch. Mais quand on a pas l’argent, on a les idées : rapidement, le jeune et très énergique Gold souffle ses idées au créateur, sur le choix des matières, l’aerodynamisme accru par un savant jeu de coutures, ou encore la méthode de tissage pour résister au tentative de déchirement de maillot. Il propose une, deux, dix solutions à des problématiques diverses et variées, et c’est à vingt six ans qu’il se décide à travailler à son propre compte, offrant ses services de modéliste et spécialiste de Recherche et Développement textile pour les activités magiques particulières. Avec les dragonniers, il conçoit des gants en galuchat de dragon d’eau, matière protégeant du feu le plus agressif, celui des magyars à pointe et des boutefeux chinois. Avec les botanistes, il extrait du noyau du fruit de Métarisier une huile essentielle permettant de faire varier la couleur d’un textile au gré de l’humeur de son propriétaire, sans usage de la magie. A force d’un travail acharné et une fréquentation assumé des bars d’hôtel toujours mieux fréquenté, il s’est fait un nom dans le monde de la mode comme auprès des forces spéciales de plusieurs gouvernements magiques. Parce ce qu’il préfère, Kingsley, ce sont les tenues de combat, trouver le moyen de déjouer chaque sort, de prémunir le porteur de chaque maléfique. Et si pour cela, il doit écorcher quelques pauvres bestioles ou s’approprier les matières les plus nobles pour un usage exclusif, il n’avait pas la moindre once de remord. Il dormait fort bien la nuit, le Gold, quand il ne les occupait pas à autre chose…

juillet 2003 ━ Certains hommes n’ont que ce qu’ils méritent. Les autres sont célibataires. Elle s’appelait Dolores, n’aurait il pas du se douter dès le début ? Et pourtant, il avait foncé, tête baissée, le cœur de loup. Elle était une des toutes premières femmes qu’il avait rencontrées à New York. Une immigrée, comme lui, avec la rage au ventre, un sourire à dévorer le monde, et un applomb qui flattait son égo autant que son esprit de compétition : la brésilienne était mannequin, mais pas que. Elle était passionnée de communication, de marketing, et il n’en fallut pas plus pour que leur collaboration, d’abord  professionnelle et amicale, se transforme en relation sulfureuse, mondaine et passionnée. Un an après leur rencontre, ils se fiançaient. Deux ans après, ils avaient leur premier enfant, Rouge, qui fit du jeune homme fêtard et séducteur un père passionnément énamouré de sa fille. Le tandem infernal ne s’en tint pas là, et les phases de succès triomphant et de démonstrations d’affection au grand jour succédaient à des périodes de doute et de repli sur eux même, les soupçons sur les infidélités de l’un comme de l’autre occupant les conversations du gratin magique new yorkais, qui s’amusait de ce couple d’expatriés haut en couleur comme en talent. Quatre ans plus tard, l’arrivée d’August signa la fin du couple presque princier. Dolores prit ses cliques, ses claques et leurs gosses pour se réfugier chez ses parents, à tout juste trente ans, non loin de Brasilia. Kingsley, rentré en Angleterre, dut batailler près de six mois pour convaincre son ex femme de s’installer à Londres, lui cédant probablement bien plus que ce qu’il lui devait dans leur divorce, avec un seul but en tête : que ses enfants ne vivent pas de l’autre coté de la planète, et que la garde partagée puisse se faire de manière équitable entre eux. Pour le reste, tout était encore négociable.

mars 2007 ━ Make no mistake, the beast inside is sleeping, not dead Il n’aurait pas du se trouver de l’autre coté de la frontière hollandaise. Il s’était laissé distraire par son instinct, par le fond de l’air un peu frais, les effluves animales et celles de la térébenthine, du pétrichor de la forêt de Zoom-Kalmthoutse Heide. La lune était encore basse dans le ciel, mais dans sa plénitude, elle offrait au Gallois ses premières heures de liberté sauvage, sur des terres bien éloignées de celles que ses pattes foulaient à l’ordinaire, à cette période du mois. Il n’avait pas eu le choix, ce voyage s’était imposé à lui dans son agenda professionnel. Il avait simplement pris la peine de se renseigner sur les lieux les plus éloignés de la civilisation et, confiant dans ses capacités de contrôle, avait abandonné sa peau d’homme un peu avant les neuf heures du soir. La nuit aurait pu, aurait du, se passer comme toutes les autres. Il aurait couru, chanté avec la lune, peut être même croisé un ou deux confrères. Après tout, il savait qu’il y avait quelques spécimens de lycans qui évoluaient entre l’Allemagne, la Belgiques et les Pays Bas.
Au lieu de ça, il se retrouva nez à nez avec un petit garçon. Un môme, un garçonnet, avec encore du lait qui coule du nez. Que faisait ce gamin là dehors, en pleine nuit, non loin de la lisière de la forêt ? Pendant des semaines, des mois après cela, Kingsley chercha une réponse valable, une excuse, en vain. Ce petit garçon était là, au mauvais endroit, au mauvais moment, il s’était surement soustrait une poignée de minutes à l’attention de ses parents, dans la maison, non loin. Il avait résisté, de longues minutes, grognant, renaclant, luttant contre ses instincts les plus bas, les plus sanguinaires. Il voyait sa vision se teinter d’incarnat, de vermillon, il s’était imaginé enfoncé des crocs effilés dans la chair si tendre, les muscles encore un peu mou, les veines si fines, comme de minuscules chemins de vie qu’il transformerait en impasses. Pourtant le lupin s’était opposé à lui-même bravement, au moins un temps, allant jusqu’à mâcher des aconits à pleine dents pour que la douleur calme ses appétits, en vain, encore. Quand il avait senti le corps du tout petit pulser sous ses coussinets, il n’avait pas pu faire autrement. Il avait mordu. Fort. Une morsure brulante, incandescente, viciée par les plantes qui l’empoisonnaient un peu. Il avait entendu le hurlement de terreur qui s’était éteint dans un sanglot, et puis plus rien. Il ne se souvenait pas de comment il était parvenu à se contenir, mais il l’avait fait. Il n’avait pas tué l’enfant, il en était sur,  il avait guetté les nécrologies, à distance, pendant des mois. Néanmoins, il avait mordu. Un petit garçon. Il n’en avait parlé à personne, ni à sa famille, qui voyait d’un mauvais œil ses loups « au rabais », ersatz des lignées pures et sélectives, ni à sa femme, enceinte de plusieurs mois, et qui ne comprit pas. Que son mari se renferme sur lui, s’isole dans son travail, ombrageux, maussade, taiseux comme il ne l’avait jamais été auparavant, alors qu’elle attendait leur deuxième enfant. Elle avait besoin de lui, et il n’était pas au rendez vous. Absent, la tête ailleurs, dans un petit jardin d’une banlieue belge, son regard dans celui terrorisé d’un enfant dont il ignorait jusqu’au prénom, et qu’il avait marqué, à vie, à défaut de l’avoir dévoré jusqu’au plus près des os.