- InvitéInvité
(mariage evalice) La modestie des orgueilleux
Jeu 10 Mar 2022 - 16:17
Ca suffit, songea l'Irlandaise alors que la coupe en Crystal se brisait malencontreusement dans la paume de sa main. Avec des gestes agacés, elle contempla les morceaux brisés sur le sol, puis les petites gouttes de sang qui nervuraient sa peau opaline de leurs sillons pourpres. Cela n'était pas douloureux. Pas aussi douloureux que le regard acéré qui lui torpillait la nuque depuis le début de la soirée. Et certainement pas aussi douloureux que le sourire de sultan satisfait qu'elle percevait sur le visage d'Oscar en cet instant. Il semblait fier comme un paon d'avoir ainsi réussi à la troubler. Agacée, elle détourna la tête, ramassant les morceaux de verre en songeant qu'il aurait été bien aisé de pouvoir ainsi ramasser son orgueil, ou piétiner celui d'Oscar sous la plante de ses pieds. Au choix. Sa voix sonna trop sèchement lorsqu'un des serveurs s'enquerra de son état avec une mine soucieuse :
—Tout va très bien, mentit-elle un peu trop brusquement, avant d'attraper une des serviettes aux initiales des mariés pour venir l'enrouler autour de son doigt légèrement meurtri.
Une flamme de colère s'était allumée à l'intérieur de son ventre. Le terme technique était : Nuage Sombre. Elle était comme un orage, soudainement, et tout crépitait autour d'elle. L'ambiance électrique ne demandait qu'à ce que l'on donne l'impulsion pour que la foudre ne s'abatte. Relevant son petit menton obstinément vers l'avant, l'Irlandaise attrapa une autre coupe de champagne avant de traverser la piste de danse de sa démarche la plus assurée. Les yeux rivés vers sa cible, elle évita les convives en jouant des hanches et des épaules. Quelques secondes après, elle se plantait devant Oscar. Et parce que tous ces regards à couverts avaient écorché sa patience, l'Irlandaise affronta son regard sans lui donner l'occasion d'attaquer le premier.
— Le spectacle te plait ?
Sa voix avait claquée, exigeante. Elle aurait fait une médicomage affreuse. De celles qui arracheraient les pansements d'un coup sec, se moquant bien de l'état de la cicatrisation et prête à venir en faire sortir tout le pus en pinçant la peau. Il fallait nettoyer les blessures, les aseptiser avant que cela ne gangrène. Parce qu'elle ne supportait plus la situation. Ils ne s'étaient pas parlé depuis Halloween et depuis le début de la cérémonie, Aveleen pouvait sentir le poids des non-dits picorer sa peau comme autant de petites aiguilles que l'on planterait dans une poupée vaudou. C'était désagréable, inquisiteur, lâche aussi, d'une certaine façon. C'était une lente promesse de conflit qui n'aboutissait pas. Mais Oscar était comme ça : provoquant et rancunier. Il l'avait enfermée dans un bocal de reproches silencieux, et à coup de sourire, il allumait le gaz pour voir à quel moment le tout imploserait.
Et bien voilà, Oscar. J'explose, songea-t-elle en croisant ses bras le long de son corps. Elle le dévisagea en silence, une petite veine palpitant au niveau de son nez donnant l'impression qu'elle avait une légère ecchymose à cet endroit. Elle ne savait par où commencer, pesant et soupesant des excuses qu'elle avait à peu près autant de mal à formuler qu'elle doutait également de savoir correctement s'expliquer. Alors, elle le cartographia du regard, lui et son costume trois pièces parfaitement ajusté et toute cette assurance dont chacun de ses gestes transpiraient. Rarement il ne l'avait autant agacé qu'en cette journée. Etant donné la façon dont leur dernière entrevue s'était achevée, il y avait de quoi penser que ce qu'il restait de leurs douces confidences avaient disparu en même temps que @Leonardo Moreno n'était apparu. Mais les choses étaient plus complexes que ça : en repensant à cette soirée, l'Irlandaise n'avait pu s'empêcher, à travers toute cette colère, d'identifier d'autres émotions. Des choses qu'elle n'aurait pas cru voir apparaître sur la liste des sentiments les concernant : de la jalousie, de la déception, un brin de possessivité et derrière toute cela, une douceur mal dissimulée. De l'impulsivité, aussi. Un cocktail détonnant et étonnant.
Mais en cet instant, la seule chose dont elle avait envie, c'était de lui envoyer sa coupe de champagne en pleine tête. Très mature, tout ça.
— Allez vas-y, crache ta verve, explicita-t-elle avec un énervement teinté de provocation. Tu vas finir par t'étouffer avec, sinon.
Elle aurait dû mettre des talons. Perchée sur plusieurs centimètres elle aurait peut-être eu l'illusion d'avoir un semblant de contrôle sur tout ça. Au lieu de ça, elle était contrainte de le regarder légèrement en contre bas. C'était pathétique, en un sens : cette façon de lui tomber dessus sans réussir à ravaler sa colère pour aller dans le fond des choses. Pourtant, elle savait pertinemment que derrière toutes les couches de vernis, s'ils grattaient suffisamment, il y avait d'autres choses. Quelque chose d'infiniment plus précieux. Des années d'amitié qu'elle avait mises à mal, de la confiance qu'elle avait trahie, une fierté qu'elle avait sans doute piétinée. Et puis des secrets. Tellement de secret qu'il n'y avait plus rien à cacher sous le tapis, tant le petit tas ressemblait à présent à une montagne qu'il était difficile de feindre ne pas voir. Mais voilà : des amis, elle n'en avait pas beaucoup. Et des aussi vieux qu'Oscar, encore moins. Elle lui devait des explications, mais elle ne savait pas par où commencer.
C'était plus facile d'être en colère.
Plus facile que de lui expliquer que contrairement à ce qu'il croyait, elle n'était pas comme les tableaux qu'il aimait accrocher sur les murs immaculés de son loft Londonien. Elle n'était pas un des portraits à la luminosité savamment contrôlée, à l'angle parfait que l'on pouvait enfermée sagement dans un cadre orné de fioritures. Elle faisait partis de tous les autres clichés de la pellicule : ceux un peu flous, mal cadrés, avec trop de bruits et des contres jours. Comment était-elle sensée lui expliquer que ce qu'il avait vu en cette soirée, c'était peut-être la vraie Aveleen ? Celle qui prenait les mauvaises décisions et qui disparaissait sur un coup de tête ? Celle qui détestait qu'on l'accroche dans une pièce pour ne plus jamais en sortir, comme le mécène qu'il était probablement aimé pouvoir le faire. Comme lorsqu'il avait envoyé ses portraits dans ce foutu magasine, décidant pour elle où était la place qui lui convenait. Au fond, elle ne lui avait pas menti qu'en cette soirée.
Elle lui avait menti pendant des années, ou bien c'était lui qui n'avait voulu voir que ce qu'il avait sous les yeux et qui lui plaisait. Son amitié avec le Moreno était certes, surprenante, mais pas si étonnante que ça. Aveleen avait toujours eu une attirance démesurée pour ce qui était imprévisible : voilà pourquoi elle adorait le jeu, aussi. Ce qui pouvait la mettre en danger l'avait toujours attiré. Mais depuis la mort de Marie, cette simple caractéristique était devenue obsessionnelle.
Alors, comment lui expliquer que cette soirée là, elle n'avait pas su résister à cette part d'elle qu'il n'avait jamais vu mais qu'il avait toujours pourtant eu sous les yeux ?
— Si tu espères des excuses, prévient-elle finalement, d'une voix dégoulinante de défi, ses yeux pâles fermement ancrés dans les siens, alors j'espère que tu aimes attendre.
@Oscar Hangbé
—Tout va très bien, mentit-elle un peu trop brusquement, avant d'attraper une des serviettes aux initiales des mariés pour venir l'enrouler autour de son doigt légèrement meurtri.
Une flamme de colère s'était allumée à l'intérieur de son ventre. Le terme technique était : Nuage Sombre. Elle était comme un orage, soudainement, et tout crépitait autour d'elle. L'ambiance électrique ne demandait qu'à ce que l'on donne l'impulsion pour que la foudre ne s'abatte. Relevant son petit menton obstinément vers l'avant, l'Irlandaise attrapa une autre coupe de champagne avant de traverser la piste de danse de sa démarche la plus assurée. Les yeux rivés vers sa cible, elle évita les convives en jouant des hanches et des épaules. Quelques secondes après, elle se plantait devant Oscar. Et parce que tous ces regards à couverts avaient écorché sa patience, l'Irlandaise affronta son regard sans lui donner l'occasion d'attaquer le premier.
— Le spectacle te plait ?
Sa voix avait claquée, exigeante. Elle aurait fait une médicomage affreuse. De celles qui arracheraient les pansements d'un coup sec, se moquant bien de l'état de la cicatrisation et prête à venir en faire sortir tout le pus en pinçant la peau. Il fallait nettoyer les blessures, les aseptiser avant que cela ne gangrène. Parce qu'elle ne supportait plus la situation. Ils ne s'étaient pas parlé depuis Halloween et depuis le début de la cérémonie, Aveleen pouvait sentir le poids des non-dits picorer sa peau comme autant de petites aiguilles que l'on planterait dans une poupée vaudou. C'était désagréable, inquisiteur, lâche aussi, d'une certaine façon. C'était une lente promesse de conflit qui n'aboutissait pas. Mais Oscar était comme ça : provoquant et rancunier. Il l'avait enfermée dans un bocal de reproches silencieux, et à coup de sourire, il allumait le gaz pour voir à quel moment le tout imploserait.
Et bien voilà, Oscar. J'explose, songea-t-elle en croisant ses bras le long de son corps. Elle le dévisagea en silence, une petite veine palpitant au niveau de son nez donnant l'impression qu'elle avait une légère ecchymose à cet endroit. Elle ne savait par où commencer, pesant et soupesant des excuses qu'elle avait à peu près autant de mal à formuler qu'elle doutait également de savoir correctement s'expliquer. Alors, elle le cartographia du regard, lui et son costume trois pièces parfaitement ajusté et toute cette assurance dont chacun de ses gestes transpiraient. Rarement il ne l'avait autant agacé qu'en cette journée. Etant donné la façon dont leur dernière entrevue s'était achevée, il y avait de quoi penser que ce qu'il restait de leurs douces confidences avaient disparu en même temps que @Leonardo Moreno n'était apparu. Mais les choses étaient plus complexes que ça : en repensant à cette soirée, l'Irlandaise n'avait pu s'empêcher, à travers toute cette colère, d'identifier d'autres émotions. Des choses qu'elle n'aurait pas cru voir apparaître sur la liste des sentiments les concernant : de la jalousie, de la déception, un brin de possessivité et derrière toute cela, une douceur mal dissimulée. De l'impulsivité, aussi. Un cocktail détonnant et étonnant.
Mais en cet instant, la seule chose dont elle avait envie, c'était de lui envoyer sa coupe de champagne en pleine tête. Très mature, tout ça.
— Allez vas-y, crache ta verve, explicita-t-elle avec un énervement teinté de provocation. Tu vas finir par t'étouffer avec, sinon.
Elle aurait dû mettre des talons. Perchée sur plusieurs centimètres elle aurait peut-être eu l'illusion d'avoir un semblant de contrôle sur tout ça. Au lieu de ça, elle était contrainte de le regarder légèrement en contre bas. C'était pathétique, en un sens : cette façon de lui tomber dessus sans réussir à ravaler sa colère pour aller dans le fond des choses. Pourtant, elle savait pertinemment que derrière toutes les couches de vernis, s'ils grattaient suffisamment, il y avait d'autres choses. Quelque chose d'infiniment plus précieux. Des années d'amitié qu'elle avait mises à mal, de la confiance qu'elle avait trahie, une fierté qu'elle avait sans doute piétinée. Et puis des secrets. Tellement de secret qu'il n'y avait plus rien à cacher sous le tapis, tant le petit tas ressemblait à présent à une montagne qu'il était difficile de feindre ne pas voir. Mais voilà : des amis, elle n'en avait pas beaucoup. Et des aussi vieux qu'Oscar, encore moins. Elle lui devait des explications, mais elle ne savait pas par où commencer.
C'était plus facile d'être en colère.
Plus facile que de lui expliquer que contrairement à ce qu'il croyait, elle n'était pas comme les tableaux qu'il aimait accrocher sur les murs immaculés de son loft Londonien. Elle n'était pas un des portraits à la luminosité savamment contrôlée, à l'angle parfait que l'on pouvait enfermée sagement dans un cadre orné de fioritures. Elle faisait partis de tous les autres clichés de la pellicule : ceux un peu flous, mal cadrés, avec trop de bruits et des contres jours. Comment était-elle sensée lui expliquer que ce qu'il avait vu en cette soirée, c'était peut-être la vraie Aveleen ? Celle qui prenait les mauvaises décisions et qui disparaissait sur un coup de tête ? Celle qui détestait qu'on l'accroche dans une pièce pour ne plus jamais en sortir, comme le mécène qu'il était probablement aimé pouvoir le faire. Comme lorsqu'il avait envoyé ses portraits dans ce foutu magasine, décidant pour elle où était la place qui lui convenait. Au fond, elle ne lui avait pas menti qu'en cette soirée.
Elle lui avait menti pendant des années, ou bien c'était lui qui n'avait voulu voir que ce qu'il avait sous les yeux et qui lui plaisait. Son amitié avec le Moreno était certes, surprenante, mais pas si étonnante que ça. Aveleen avait toujours eu une attirance démesurée pour ce qui était imprévisible : voilà pourquoi elle adorait le jeu, aussi. Ce qui pouvait la mettre en danger l'avait toujours attiré. Mais depuis la mort de Marie, cette simple caractéristique était devenue obsessionnelle.
Alors, comment lui expliquer que cette soirée là, elle n'avait pas su résister à cette part d'elle qu'il n'avait jamais vu mais qu'il avait toujours pourtant eu sous les yeux ?
— Si tu espères des excuses, prévient-elle finalement, d'une voix dégoulinante de défi, ses yeux pâles fermement ancrés dans les siens, alors j'espère que tu aimes attendre.
@Oscar Hangbé
- InvitéInvité
Re: (mariage evalice) La modestie des orgueilleux
Jeu 7 Avr 2022 - 20:16
Oscar avait laissé Junior au bon soin du patriarche Hangbé et nul doute qu’après les émois d’une attraction organisée, le jeune héritier s’était envolé vers le pays des rêves, bercé par les conversations graves et sérieuses des plus anciens. Libéré pendant quelque temps des responsabilités de père qu’il portait avec fierté, il s’était glissé entre les convives, avait échangé quelques mots polis avec certains, quelques traits d’humour avec d’autres. Il avait accepté les félicitations des membres les plus éloignés du cercle familial avec une fierté non dissimulée et avait vidé verre de champagne sur verre de champagne. Une chose était restée constante dans le tourbillon de ses rencontres et de ses discussions. Une paire d’aile en moins, un agacement qui lui ravissait les prunelles et des lèvres pincées qui ne manquaient pas de venir satisfaire son égo mal placé.
Malgré les années de polissage professionnel et personnel, malgré les années d’apprentissage et d’évolution, Oscar n’était jamais complètement parvenu à garder en place cette fierté. Avait-il seulement déjà essayé ? Peut-être, mais tempérer son égo s’associait bien trop à certaines choses qu’il n’osait pas envisager. Le pardon, la faiblesse de concéder du terrain. Le diplomate n’était pas en mesure de ravaler l’amertume de la déception qu’il hissait au rang de blessure avec, semblait-il, une propre remise en question ignorée et nié. Pas pour lui la raison, l’explication du pourquoi, l’évidence du comment. Peu pour lui le pardon aveugle, la confiance rapiécée pour la charité. L’orgueil de l’Américain avait été malmené, sa confiance avait été trahis et la déception qui découlait de ses deux états de fait était aussi difficile à avaler qu’un oursin dont les pics n’avaient pas été retiré.
L’objet de sa déception, cependant, ne quittait jamais son esprit. Elle s’y promenait, ravivant à chaque souvenir, à chaque mot, à des intonations similaires, l’âpreté de la situation. Peu désireux de se noyer dans ce qui semblait être un égo malmené mais qu’il aurait décrit comme une tout autre chose, Oscar avait insisté de ces prunelles d’obsidienne, guettant les pas de la photographe, hantant presque sa présence de son regard brillant. Un sourire amplement satisfait n’avait pas manqué d’éclairer son visage lorsque le verre fragile de la jeune femme s’était effondré sous la pression de ses doigts. Dans une autre situation, il serait aller la voir, lui demander si elle ne s’était pas faite mal, s’assurer par lui-même de l’absence de catastrophe. La fierté, cependant, lui rongeait le cœur et l’esprit s’alignait sur cette ligne directrice maladroite et mal placée. Le mécène était un homme parfois compliqué, mais l’ami prenait plus personnellenement encore les attaques qu’on pouvait lui porter. Et l’association de l’ange avec le diable qu’était Jesus Moreno lui restait encore au travers de la gorge.
Alors il provoquait, se délectait de chaque pas qu’elle faisait bravement vers lui. Sans un mot, il avait réussi à l’agacer, à piquer son propre orgueil. Car l’ange qu’il avait cru voir en Aveleen semblait bien plus nuancé qu’il ne l’avait d’abord envisagé. Elle arriva à sa hauteur, bravache, sûre d’elle, piquante. Elle lança l’attaque verbale la première mais ne tira qu’un haussement de sourcils amusé à Oscar. La provocation, sa plus belle arme, celle qui rendait fou les sages, celle qui les exaspérait qui s’insinuait, aussi vicieuse qu’une odeur désagréable. Le Hangbé, à défaut de maîtriser son égo et sa fierté, savait user de ses nombreux talents pour s’en arranger. Il enfermait la fragilité de son palpitant, la faiblesse de son esprit et provoquait, chatouillait, piquait les âmes qui le tourmentait. Il attaquait, silencieusement, pour mieux se protéger et gardait pour lui-même les affres de l’après, les regrets, l’envie parfois soudaine de recoller les morceaux.
« Le spectacle te plait ? », avait-elle sifflé, avec hargne. Une question qui tira un sourire plus éclatant encore à Oscar, alors qu’il glissait l’une de ses mains dans la poche de pantalon. « Ma foi, j’ai connu plus angélique mais je m’en contenterais, » répondit-il, sa voix vibrante d’inflexions graves et veloutées. Malgré la situation, malgré la complexité actuelle de leur relation, le diplomate était étrangement calme. Sa voix ne trahissait pas sa colère et ses gestes, lorsqu’il en faisait, étaient tout aussi gracieux qu’à l’ordinaire. Il souriait peut-être un peu trop, bien trop ravi de voir l’état dans lequel se trouvait l’Irlandaise. Il ne répondit alors pas à sa deuxième injonction, se contant d’un petit rire et de la laisser reprendre, d’avancer quelque chose qu’il pourrait potentiellement quémander. Des excuses. Quel bien cela leur ferait ? Serait-ce seulement suffisant ? Le regard sombre du sorcier s’éloigna quelques secondes des prunelles froides de la photographe, se perdant dans la foule qui les entouraient. Certains dansaient mais la plupart étaient attroupés autour d’un bar ou de quelques tables et profitaient des délicates attentions que les hôtes de la soirée leur proposaient. Ses prunelles s’ancrèrent ensuite de nouveau dans le bleu de celles d’Aveleen et la dernière phrase de celle-ci lui fit perdre de son éclatant sourire. « Je crains, dans tous les cas, qu’elles ne suffisent pas, » souffla-t-il.
Sans plus détourner son regard, il se saisi avec délicatesse du verre qu’enserraient les doigts fins de la photographe. « Il ne faudrait pas que tu en casse un deuxième, » dit-il, autant pour la provoquer que pour regagner un semblant de contrôle sur la conversation qu’elle avait initié. Une conversation piquante et dangereuse mais qui lui ravissait pour l’instant trop bien l’esprit pour la stopper. Sans un mot de plus, il termina le verre d’une traite, se délectant des bulles fines du champagne et le déposa sur un plateau qui passait là. Toute son attention fut reportée sur la photographe, sur cet air bravache, cet agacement qui brûlait dans le fond de ses yeux et qui la faisait se pincer les lèvres. Elle était dans tous ses états, et bon sang que cela lui faisait du bien ! Il ne s’en sentirait pas coupable avant le lendemain et c’était bien assez tard pour s’en contenter.
Sans quitter Aveleen des yeux, sa main droite s’approcha de celle que la photographe avait emmitouflé dans une serviette blanche. « Permets-moi pendant que j’attends…, » souffla-t-il, son regard piquant de provocation glissa le long de son visage, puis de ses épaules et se posa finalement sur la blessure qu’il avait dévoilé, la serviette brodée de quelques fils d’or posée sur son épaule. Une tentative de l’Irlandaise pour se libérer n’entraînerait qu’une pression au niveau de son poignet et un ronflement contrarié du diplomate qui observa la plaie d’un œil avisé. « Ma foi, cela ne devrait pas t’empêcher de corriger tes copies, » affirma-t-il avant de silencieusement passer la paume de sa main sur celle de la trentenaire. Ferula. La formule était pensée et après la caresse délicate de sa peau sur la main endommagée, le sang cessa de couler et seul un trait d’une couleur vive demeurait. La douleur était réduite et d’ici quelques semaines cela deviendrait un mauvais souvenir. Il traîna un peu à lui rendre la souveraineté de sa main et fini par soupirer. « A défaut de t’excuser, est-ce qu’une danse serait envisageable ? », s’enquit-il, échauffé par quelques pas précédemment effectués et bien déterminé à rendre cette conversation piquante plus magique encore. « Si tu en as la possibilité, bien évidemment, je ne voudrais pas prendre la place de ton idiot. » A la mention du Moreno, le ton du diplomate se fit plus grinçant et dans son regard s’alluma un mélange de rancœur et de colère, des flammes qui vives qui animaient encore son palpitant et l’empêchait de faire ce qu’il devait pourtant. S’excuser. Ecouter. Accepter de comprendre. « Peut-être devrais-je m’attendre à la voir débarquer, d'ailleurs ? » demanda-t-il, appuyant sur la réalité qui lui faisait mal, accompagnant sa question d’un regard curieux envers la foule.
Malgré les années de polissage professionnel et personnel, malgré les années d’apprentissage et d’évolution, Oscar n’était jamais complètement parvenu à garder en place cette fierté. Avait-il seulement déjà essayé ? Peut-être, mais tempérer son égo s’associait bien trop à certaines choses qu’il n’osait pas envisager. Le pardon, la faiblesse de concéder du terrain. Le diplomate n’était pas en mesure de ravaler l’amertume de la déception qu’il hissait au rang de blessure avec, semblait-il, une propre remise en question ignorée et nié. Pas pour lui la raison, l’explication du pourquoi, l’évidence du comment. Peu pour lui le pardon aveugle, la confiance rapiécée pour la charité. L’orgueil de l’Américain avait été malmené, sa confiance avait été trahis et la déception qui découlait de ses deux états de fait était aussi difficile à avaler qu’un oursin dont les pics n’avaient pas été retiré.
L’objet de sa déception, cependant, ne quittait jamais son esprit. Elle s’y promenait, ravivant à chaque souvenir, à chaque mot, à des intonations similaires, l’âpreté de la situation. Peu désireux de se noyer dans ce qui semblait être un égo malmené mais qu’il aurait décrit comme une tout autre chose, Oscar avait insisté de ces prunelles d’obsidienne, guettant les pas de la photographe, hantant presque sa présence de son regard brillant. Un sourire amplement satisfait n’avait pas manqué d’éclairer son visage lorsque le verre fragile de la jeune femme s’était effondré sous la pression de ses doigts. Dans une autre situation, il serait aller la voir, lui demander si elle ne s’était pas faite mal, s’assurer par lui-même de l’absence de catastrophe. La fierté, cependant, lui rongeait le cœur et l’esprit s’alignait sur cette ligne directrice maladroite et mal placée. Le mécène était un homme parfois compliqué, mais l’ami prenait plus personnellenement encore les attaques qu’on pouvait lui porter. Et l’association de l’ange avec le diable qu’était Jesus Moreno lui restait encore au travers de la gorge.
Alors il provoquait, se délectait de chaque pas qu’elle faisait bravement vers lui. Sans un mot, il avait réussi à l’agacer, à piquer son propre orgueil. Car l’ange qu’il avait cru voir en Aveleen semblait bien plus nuancé qu’il ne l’avait d’abord envisagé. Elle arriva à sa hauteur, bravache, sûre d’elle, piquante. Elle lança l’attaque verbale la première mais ne tira qu’un haussement de sourcils amusé à Oscar. La provocation, sa plus belle arme, celle qui rendait fou les sages, celle qui les exaspérait qui s’insinuait, aussi vicieuse qu’une odeur désagréable. Le Hangbé, à défaut de maîtriser son égo et sa fierté, savait user de ses nombreux talents pour s’en arranger. Il enfermait la fragilité de son palpitant, la faiblesse de son esprit et provoquait, chatouillait, piquait les âmes qui le tourmentait. Il attaquait, silencieusement, pour mieux se protéger et gardait pour lui-même les affres de l’après, les regrets, l’envie parfois soudaine de recoller les morceaux.
« Le spectacle te plait ? », avait-elle sifflé, avec hargne. Une question qui tira un sourire plus éclatant encore à Oscar, alors qu’il glissait l’une de ses mains dans la poche de pantalon. « Ma foi, j’ai connu plus angélique mais je m’en contenterais, » répondit-il, sa voix vibrante d’inflexions graves et veloutées. Malgré la situation, malgré la complexité actuelle de leur relation, le diplomate était étrangement calme. Sa voix ne trahissait pas sa colère et ses gestes, lorsqu’il en faisait, étaient tout aussi gracieux qu’à l’ordinaire. Il souriait peut-être un peu trop, bien trop ravi de voir l’état dans lequel se trouvait l’Irlandaise. Il ne répondit alors pas à sa deuxième injonction, se contant d’un petit rire et de la laisser reprendre, d’avancer quelque chose qu’il pourrait potentiellement quémander. Des excuses. Quel bien cela leur ferait ? Serait-ce seulement suffisant ? Le regard sombre du sorcier s’éloigna quelques secondes des prunelles froides de la photographe, se perdant dans la foule qui les entouraient. Certains dansaient mais la plupart étaient attroupés autour d’un bar ou de quelques tables et profitaient des délicates attentions que les hôtes de la soirée leur proposaient. Ses prunelles s’ancrèrent ensuite de nouveau dans le bleu de celles d’Aveleen et la dernière phrase de celle-ci lui fit perdre de son éclatant sourire. « Je crains, dans tous les cas, qu’elles ne suffisent pas, » souffla-t-il.
Sans plus détourner son regard, il se saisi avec délicatesse du verre qu’enserraient les doigts fins de la photographe. « Il ne faudrait pas que tu en casse un deuxième, » dit-il, autant pour la provoquer que pour regagner un semblant de contrôle sur la conversation qu’elle avait initié. Une conversation piquante et dangereuse mais qui lui ravissait pour l’instant trop bien l’esprit pour la stopper. Sans un mot de plus, il termina le verre d’une traite, se délectant des bulles fines du champagne et le déposa sur un plateau qui passait là. Toute son attention fut reportée sur la photographe, sur cet air bravache, cet agacement qui brûlait dans le fond de ses yeux et qui la faisait se pincer les lèvres. Elle était dans tous ses états, et bon sang que cela lui faisait du bien ! Il ne s’en sentirait pas coupable avant le lendemain et c’était bien assez tard pour s’en contenter.
Sans quitter Aveleen des yeux, sa main droite s’approcha de celle que la photographe avait emmitouflé dans une serviette blanche. « Permets-moi pendant que j’attends…, » souffla-t-il, son regard piquant de provocation glissa le long de son visage, puis de ses épaules et se posa finalement sur la blessure qu’il avait dévoilé, la serviette brodée de quelques fils d’or posée sur son épaule. Une tentative de l’Irlandaise pour se libérer n’entraînerait qu’une pression au niveau de son poignet et un ronflement contrarié du diplomate qui observa la plaie d’un œil avisé. « Ma foi, cela ne devrait pas t’empêcher de corriger tes copies, » affirma-t-il avant de silencieusement passer la paume de sa main sur celle de la trentenaire. Ferula. La formule était pensée et après la caresse délicate de sa peau sur la main endommagée, le sang cessa de couler et seul un trait d’une couleur vive demeurait. La douleur était réduite et d’ici quelques semaines cela deviendrait un mauvais souvenir. Il traîna un peu à lui rendre la souveraineté de sa main et fini par soupirer. « A défaut de t’excuser, est-ce qu’une danse serait envisageable ? », s’enquit-il, échauffé par quelques pas précédemment effectués et bien déterminé à rendre cette conversation piquante plus magique encore. « Si tu en as la possibilité, bien évidemment, je ne voudrais pas prendre la place de ton idiot. » A la mention du Moreno, le ton du diplomate se fit plus grinçant et dans son regard s’alluma un mélange de rancœur et de colère, des flammes qui vives qui animaient encore son palpitant et l’empêchait de faire ce qu’il devait pourtant. S’excuser. Ecouter. Accepter de comprendre. « Peut-être devrais-je m’attendre à la voir débarquer, d'ailleurs ? » demanda-t-il, appuyant sur la réalité qui lui faisait mal, accompagnant sa question d’un regard curieux envers la foule.
- InvitéInvité
Re: (mariage evalice) La modestie des orgueilleux
Lun 11 Avr 2022 - 22:00
Sur une échelle de 1 à 5, Aveleen était au moins à son septième niveau d'agacement. Pieds joints, bras étroitement croisés, doigts enserrant sa coupe, menton obstinément relevé vers son interlocuteur, l'Irlandaise le fixait avec toute l'ardeur de son désappointement. A son encontre à lui, à son encontre à elle-même également. Elle regrettait déjà de ne pas avoir su dompter ses ardeurs : aucune explosion de ressentiment n'était jamais à la hauteur de la colère qu'on avait pourtant dûment macérée. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle même, néanmoins. Sans doute aura-t-elle dû faire preuve d'un caractère plus lisse et protéiforme : de ceux capables d'encaisser toutes les provocations sans ne jamais bouger d'un iota, visage de marbre et lèvres exemptes du moindre tressautement.
Elle en avait été incapable.
Chacun des regards d'Oscar lui avait donné l'impression d'une flèche encochée pour aller se ficher directement dans les failles de son armure d'argile. Chacune de ses œillades lui avait soufflé des reproches au moins aussi silencieux qu'il ne s'étaient faits finalement limpides. Elle avait perçu sa colère comme s'il la lui avait murmuré dans le creux de l'oreille, sa déception enrobant chacun de ses détournements. Comme l'on regardait de loin un enfant capricieux dans un restaurant, sans rien dire, mais n'en pensant pas moins. Il s'était joué d'elle sans un mot, tirant ses propres conclusions, la laissant dans cet entre deux à mi-chemin entre la certitude de savoir ce qu'il pensait et l'incertitude de ne pas en connaître toutes les nuances. Et elle détestait ça. Elle détestait vraiment ça.
— Ma foi, j’ai connu plus angélique mais je m’en contenterais, avait-il répondu avec cet insupportable sourire en coin toujours vissé sur le creux de son visage.
Elle aurait préféré qu'il ne la giffle, sans doute. Le mot résonna dans sa tête, comme la promesse informulée d'un combat qui promettait d'être plus compliqué que tous ceux qu'ils avaient menés jusque-là. Contenterait, comme pour dire que ses espérances avaient été ré-étudiées à la baisse et qu'à défaut d'espérer mieux, Oscar s'était résolu à moins, si vite qu'Aveleen le trouva particulièrement injuste. Il avait tant d'attentes à son encontre, et si peu d'indulgence lorsque la réalité se faisait autre. L'Irlandaise déglutie en silence, se faisant violence pour conserver sa stature de glace, intimant à chacun de ses muscles de rester au garde-à-vous. Elle n'avait pas le droit de baisser sa garde alors qu'il agissait comme le fauve régnant tout en haut de la chaîne alimentaire.
— Je crains, dans tous les cas, qu’elles ne suffisent pas, fit-il, implacable.
— Inutile de les gaspiller, donc, fit-elle du tac au tac, intransigeante.
Par miracle, elle avait eu suffisamment de contenance pour que sa voix ne tremble pas. Ainsi, rien ne déborda en surface. Elle fixait pourtant le politicien comme l'on fixait un étranger, désarçonnée malgré elle de la rudesse des propos qu'il lui tenait. Comme si elle constituait l'unique pièce fautive du puzzle, celle un peu écornée sur les bords et qui refusait de prendre sa place. Sans doute aurait-il préféré qu'elle ne s'incline et ne lui lèche ses souliers vernis ? songea-t-elle avec mauvaise humeur.
Ses yeux s'équarquillèrent quand la main d'Oscar vînt lui ravir impunément sa coupe de champagne. Comme pour dire : je prends ce que je veux. Il était comme ces Rois qui, installés dans leur trône tout forgé d'orgueil et de vanités, n'avaient qu'à tendre la main pour s'emparrer de ce qu'ils pensaient être à eux. Ses yeux se froncèrent imperceptiblement alors qu'il avalait le champagne sans la quitter des yeux. A quinze ans, elle aurait eu envie de le gifler. A vingt-cinq ans, de tourner les talons. Mais à presque trente-cinq, Aveleen resta de marbre. Tout juste pinça-t-elle sa bouche, comme s'il s'était agi de retenir entre ses lèvres une petite cocinelle, alors qu'elle fixait la pomme d'adam du politicien qui roulait rondement le long de sa gorge. Tout juste, lorsqu'il se détourna d'elle pour se débarasser du verre, pensa-t-elle avec mauvaise humeur qu'il était dommage qu'il ne se soit pas ettoufé avec toute sa mauvaise foi. Tout juste sursauta-t-elle, lorsqu'il tendit sa main pour s'emparer de la sienne.
—Permets-moi pendant que j’attends… s'autorisa-t-il de lui-même.
Elle ne parvînt pas à retenir un sursaut de recul. Qu'Oscar balaya de la même manière qu'il s'était comporté avec tout le reste : sans se préoccuper de son état, aveuglé qu'il semblait être de ses propres blessures sans s'imaginer piétiner les siennes. Elle blémit en sentant les doigts de son mécène s'enrouler plus fermement autour de son poignet, avant de s'exhorter à lui abandonner un peu plus de terrain qu'elle n'en aurait dû. Trop se dérober aurait pu être interprêté comme une marque de faiblesse, et de cette terre là, Aveleen ne souhaitait surtout pas en céder la moindre parcelle. Toute cette mièvre douceur agissait comme un trompe l'oeil : de la tendresse dans une dispute, comme du miel saveur de sel dont elle ne savait que faire.
Avec minutie, il examina sa main et avec la même minutie, Aveleen le regarda faire tout en se demandant si, comme elle, il faisait le parallèle malheureux entre cette plaie et ce qui restait de leur rapprochement de la dernière fois. De leurs doigts qui s'étaient noués, cherchés, trouvés, ne restait-il donc que cela ? Un plaie ensanglantée et une poigne de fer ?
— Ma foi, cela ne devrait pas t’empêcher de corriger tes copies, finit-il d'élaborer son diagnostic.
A peine sentit-elle la caresse de sa main contre la sienne que les picotements de son épidermes se muèrent en quelque chose d'autre. Aveleen fut surprise de ressentir du soulagement : elle ne s'était pas réellement rendu compte de souffrir jusque-là. Cette idée, pourtant simple et évidente, lui creva soudainement le ventre.
Elle avait imaginé de nombreuses fois ce face à face. Elle avait imaginé des lieux, des dates, des excuses qu'il lui aurait fallu formulées. Elle avait supposé la colère d'Oscar, ses reproches, ses réticences. Elle avait fantasmé sur leur altercations, leur joute verbale, les différentes manches qu'il faudrait remporter, puis perdre, avant qu'un accord ne soit enfin trouvé. Mais aucun scénario n'avait prévu qu'elle ne se sente finalement aussi pleine d'espoir que lorsqu'il poursuivit, à contre sens de tout le reste de leur conversation :
— A défaut de t’excuser, est-ce qu’une danse serait envisageable ?
Un tremblement agita le haut de l'une des pommettes de l'Irlandaise. Ca lui paraissait trop simple, tout d'un coup. Après tant d'effort investi pour lui faire comprendre à quel point elle était décevante, il s'adoucissait ? S'il y avait bien un autre scénario qu'elle n'avait pas prévu, c'était également celui dans lequel Oscar abdiquerait le premier.
— Si tu en as la possibilité, bien évidemment, je ne voudrais pas prendre la place de ton idiot.
Evidemment, pensa-t-elle en se félicitant intérieurement de ne pas avoir immédiatement accepté sa proposition. Se moriginant par la même occasion d'avoir, un instant fugace, caressé du doigt l'idée surréaliste qu'Oscar soit capable de passer à autre chose tout en lui laissant le bénéficie du doute. L'espoir, le traitre espoir, avait néanmoins brièvement flirté dans l'esprit de l'irlandaise, suffisamment pour que la colère ne lui délie enfin la langue, alors qu'il renchérissait, branché sur la seul chose qui omnibulait son cerveau :
— Peut-être devrais-je m’attendre à la voir débarquer, d'ailleurs ?
— Qui sait ? cingla-t-elle, reine du vague, avant d'amorcer un demi-tour pour contempler à son tour l'assemblée comme si elle admettait l'idée hypothétique que @Leonardo Moreno ne surgisse soudain au milieu des convives. Tu parles de l'idiot qui passe son temps à être déçu de la personne que je suis, des choix que je fais et des fréquentations que j'ai ? Ou bien de l'idiot qui pendant les quatre mois les plus solitaires de mon existence, a accepté tous mes caprices sans se contenter, appuya-t-elle lourdement sur sa propre blessure, de la version angélique de moi-même ? De quel idiot parles-tu, exactement, Oscar ? Histoire que l'on soit bien sûrs, siffla-t-elle en arrêtant de sonder la foule pour le crucifier de son regard d'Azur.
La petite veine qui trônait sur le haut de son nez palpitait furieusement. Comme il était facile pour lui de se présenter devant elle en soutenant mordicus, sans jamais se remettre en question, qu'il possédait l'intégralité de la fresque alors qu'il n'en avait même pas vu la moitié. Et alors, soudain, elle comprit.
— Ce n'est pas avec moi, que tu veux danser, lâcha-t-elle abruptement après l'avoir gratifié d'un long regard contemplatif.
Puis, elle détourna les yeux, retournant à la contemplation moins dangereuse de la foule. A trop le regarder, elle n'avait peur qu'il ne décèle la douleur abyssale qui s'inscrivait à présent dans ses yeux. Elle était peinée de devoir sans cesse s'excuser de ne pas correspondre aux expectatives qu'il se faisait de sa personne. Et peut-être, surtout, n'était-elle pas désolée de ne pas être cette personne qu'il voulait qu'elle soit : lisse, sans aspérité, comme un galet qui n'éclabousserait jamais aucune surface.
Comme un bijou que l'on range sagement dans un boîte.
— Tu veux danser avec un déguisement d'Halloween, continua-t-elle alors que ses yeux passaient toujours les convives en revue. Tu veux la robe, les ailes, l'auréole, le cœur pur et tout le tintouin. Alors je t'en pris, vas-y, fit-elle en lui désignant du menton sa cavalière au divin visage qui ondulait sagement sur la piste de danse dans sa grande robe moirée. Ne te contente pas de cette version de moi que tu n'aimes pas.
Et c'est vrai qu'elle était sublime, @Isabelle D'Essenault. Aussi sublime qu'Aveleen n'était blessée, à présent.
— Va retrouver ton petit chaperon-rouge, cracha-t-elle. Peut-être que si tu surveilles celui-ci de suffisamment prêt, cette fois, aucun vilain méchant loup n'ira planter ses crocs dans ce que tu estimes être ta propriété privée.
@Oscar Hangbé
Elle en avait été incapable.
Chacun des regards d'Oscar lui avait donné l'impression d'une flèche encochée pour aller se ficher directement dans les failles de son armure d'argile. Chacune de ses œillades lui avait soufflé des reproches au moins aussi silencieux qu'il ne s'étaient faits finalement limpides. Elle avait perçu sa colère comme s'il la lui avait murmuré dans le creux de l'oreille, sa déception enrobant chacun de ses détournements. Comme l'on regardait de loin un enfant capricieux dans un restaurant, sans rien dire, mais n'en pensant pas moins. Il s'était joué d'elle sans un mot, tirant ses propres conclusions, la laissant dans cet entre deux à mi-chemin entre la certitude de savoir ce qu'il pensait et l'incertitude de ne pas en connaître toutes les nuances. Et elle détestait ça. Elle détestait vraiment ça.
— Ma foi, j’ai connu plus angélique mais je m’en contenterais, avait-il répondu avec cet insupportable sourire en coin toujours vissé sur le creux de son visage.
Elle aurait préféré qu'il ne la giffle, sans doute. Le mot résonna dans sa tête, comme la promesse informulée d'un combat qui promettait d'être plus compliqué que tous ceux qu'ils avaient menés jusque-là. Contenterait, comme pour dire que ses espérances avaient été ré-étudiées à la baisse et qu'à défaut d'espérer mieux, Oscar s'était résolu à moins, si vite qu'Aveleen le trouva particulièrement injuste. Il avait tant d'attentes à son encontre, et si peu d'indulgence lorsque la réalité se faisait autre. L'Irlandaise déglutie en silence, se faisant violence pour conserver sa stature de glace, intimant à chacun de ses muscles de rester au garde-à-vous. Elle n'avait pas le droit de baisser sa garde alors qu'il agissait comme le fauve régnant tout en haut de la chaîne alimentaire.
— Je crains, dans tous les cas, qu’elles ne suffisent pas, fit-il, implacable.
— Inutile de les gaspiller, donc, fit-elle du tac au tac, intransigeante.
Par miracle, elle avait eu suffisamment de contenance pour que sa voix ne tremble pas. Ainsi, rien ne déborda en surface. Elle fixait pourtant le politicien comme l'on fixait un étranger, désarçonnée malgré elle de la rudesse des propos qu'il lui tenait. Comme si elle constituait l'unique pièce fautive du puzzle, celle un peu écornée sur les bords et qui refusait de prendre sa place. Sans doute aurait-il préféré qu'elle ne s'incline et ne lui lèche ses souliers vernis ? songea-t-elle avec mauvaise humeur.
Ses yeux s'équarquillèrent quand la main d'Oscar vînt lui ravir impunément sa coupe de champagne. Comme pour dire : je prends ce que je veux. Il était comme ces Rois qui, installés dans leur trône tout forgé d'orgueil et de vanités, n'avaient qu'à tendre la main pour s'emparrer de ce qu'ils pensaient être à eux. Ses yeux se froncèrent imperceptiblement alors qu'il avalait le champagne sans la quitter des yeux. A quinze ans, elle aurait eu envie de le gifler. A vingt-cinq ans, de tourner les talons. Mais à presque trente-cinq, Aveleen resta de marbre. Tout juste pinça-t-elle sa bouche, comme s'il s'était agi de retenir entre ses lèvres une petite cocinelle, alors qu'elle fixait la pomme d'adam du politicien qui roulait rondement le long de sa gorge. Tout juste, lorsqu'il se détourna d'elle pour se débarasser du verre, pensa-t-elle avec mauvaise humeur qu'il était dommage qu'il ne se soit pas ettoufé avec toute sa mauvaise foi. Tout juste sursauta-t-elle, lorsqu'il tendit sa main pour s'emparer de la sienne.
—Permets-moi pendant que j’attends… s'autorisa-t-il de lui-même.
Elle ne parvînt pas à retenir un sursaut de recul. Qu'Oscar balaya de la même manière qu'il s'était comporté avec tout le reste : sans se préoccuper de son état, aveuglé qu'il semblait être de ses propres blessures sans s'imaginer piétiner les siennes. Elle blémit en sentant les doigts de son mécène s'enrouler plus fermement autour de son poignet, avant de s'exhorter à lui abandonner un peu plus de terrain qu'elle n'en aurait dû. Trop se dérober aurait pu être interprêté comme une marque de faiblesse, et de cette terre là, Aveleen ne souhaitait surtout pas en céder la moindre parcelle. Toute cette mièvre douceur agissait comme un trompe l'oeil : de la tendresse dans une dispute, comme du miel saveur de sel dont elle ne savait que faire.
Avec minutie, il examina sa main et avec la même minutie, Aveleen le regarda faire tout en se demandant si, comme elle, il faisait le parallèle malheureux entre cette plaie et ce qui restait de leur rapprochement de la dernière fois. De leurs doigts qui s'étaient noués, cherchés, trouvés, ne restait-il donc que cela ? Un plaie ensanglantée et une poigne de fer ?
— Ma foi, cela ne devrait pas t’empêcher de corriger tes copies, finit-il d'élaborer son diagnostic.
A peine sentit-elle la caresse de sa main contre la sienne que les picotements de son épidermes se muèrent en quelque chose d'autre. Aveleen fut surprise de ressentir du soulagement : elle ne s'était pas réellement rendu compte de souffrir jusque-là. Cette idée, pourtant simple et évidente, lui creva soudainement le ventre.
Elle avait imaginé de nombreuses fois ce face à face. Elle avait imaginé des lieux, des dates, des excuses qu'il lui aurait fallu formulées. Elle avait supposé la colère d'Oscar, ses reproches, ses réticences. Elle avait fantasmé sur leur altercations, leur joute verbale, les différentes manches qu'il faudrait remporter, puis perdre, avant qu'un accord ne soit enfin trouvé. Mais aucun scénario n'avait prévu qu'elle ne se sente finalement aussi pleine d'espoir que lorsqu'il poursuivit, à contre sens de tout le reste de leur conversation :
— A défaut de t’excuser, est-ce qu’une danse serait envisageable ?
Un tremblement agita le haut de l'une des pommettes de l'Irlandaise. Ca lui paraissait trop simple, tout d'un coup. Après tant d'effort investi pour lui faire comprendre à quel point elle était décevante, il s'adoucissait ? S'il y avait bien un autre scénario qu'elle n'avait pas prévu, c'était également celui dans lequel Oscar abdiquerait le premier.
— Si tu en as la possibilité, bien évidemment, je ne voudrais pas prendre la place de ton idiot.
Evidemment, pensa-t-elle en se félicitant intérieurement de ne pas avoir immédiatement accepté sa proposition. Se moriginant par la même occasion d'avoir, un instant fugace, caressé du doigt l'idée surréaliste qu'Oscar soit capable de passer à autre chose tout en lui laissant le bénéficie du doute. L'espoir, le traitre espoir, avait néanmoins brièvement flirté dans l'esprit de l'irlandaise, suffisamment pour que la colère ne lui délie enfin la langue, alors qu'il renchérissait, branché sur la seul chose qui omnibulait son cerveau :
— Peut-être devrais-je m’attendre à la voir débarquer, d'ailleurs ?
— Qui sait ? cingla-t-elle, reine du vague, avant d'amorcer un demi-tour pour contempler à son tour l'assemblée comme si elle admettait l'idée hypothétique que @Leonardo Moreno ne surgisse soudain au milieu des convives. Tu parles de l'idiot qui passe son temps à être déçu de la personne que je suis, des choix que je fais et des fréquentations que j'ai ? Ou bien de l'idiot qui pendant les quatre mois les plus solitaires de mon existence, a accepté tous mes caprices sans se contenter, appuya-t-elle lourdement sur sa propre blessure, de la version angélique de moi-même ? De quel idiot parles-tu, exactement, Oscar ? Histoire que l'on soit bien sûrs, siffla-t-elle en arrêtant de sonder la foule pour le crucifier de son regard d'Azur.
La petite veine qui trônait sur le haut de son nez palpitait furieusement. Comme il était facile pour lui de se présenter devant elle en soutenant mordicus, sans jamais se remettre en question, qu'il possédait l'intégralité de la fresque alors qu'il n'en avait même pas vu la moitié. Et alors, soudain, elle comprit.
— Ce n'est pas avec moi, que tu veux danser, lâcha-t-elle abruptement après l'avoir gratifié d'un long regard contemplatif.
Puis, elle détourna les yeux, retournant à la contemplation moins dangereuse de la foule. A trop le regarder, elle n'avait peur qu'il ne décèle la douleur abyssale qui s'inscrivait à présent dans ses yeux. Elle était peinée de devoir sans cesse s'excuser de ne pas correspondre aux expectatives qu'il se faisait de sa personne. Et peut-être, surtout, n'était-elle pas désolée de ne pas être cette personne qu'il voulait qu'elle soit : lisse, sans aspérité, comme un galet qui n'éclabousserait jamais aucune surface.
Comme un bijou que l'on range sagement dans un boîte.
— Tu veux danser avec un déguisement d'Halloween, continua-t-elle alors que ses yeux passaient toujours les convives en revue. Tu veux la robe, les ailes, l'auréole, le cœur pur et tout le tintouin. Alors je t'en pris, vas-y, fit-elle en lui désignant du menton sa cavalière au divin visage qui ondulait sagement sur la piste de danse dans sa grande robe moirée. Ne te contente pas de cette version de moi que tu n'aimes pas.
Et c'est vrai qu'elle était sublime, @Isabelle D'Essenault. Aussi sublime qu'Aveleen n'était blessée, à présent.
— Va retrouver ton petit chaperon-rouge, cracha-t-elle. Peut-être que si tu surveilles celui-ci de suffisamment prêt, cette fois, aucun vilain méchant loup n'ira planter ses crocs dans ce que tu estimes être ta propriété privée.
@Oscar Hangbé
- InvitéInvité
Re: (mariage evalice) La modestie des orgueilleux
Dim 17 Avr 2022 - 12:39
((mood))Il aurait été trop aisé pour Oscar de conserver la main endommagée de la photographe entre ses doigts, de sourire, de s’excuser. Il aurait trop facile de souffler, de retrouver l’impression agréable qui l’avait traversé à leurs retrouvailles au bal d’halloween de l’université, ce besoin de s’excuser, de s’expliquer, cette envie pressante de se confier. Il aurait été de bon ton de faire tout ça, d’oublier les pas de travers d’un passé pas si lointain. Après tout, que se devaient-ils, l’un à l’autre ? Le diplomate pouvait-il vraiment avoir un droit de regard sur les personnes dont son artiste s’entourait ? Avait-il le monopole de l’amitié ou de tout ce qui pouvait bien les relier ? Le mécène avait toujours été sûr de lui lorsqu’il s’était agi de ses investissements et de la confiance qu’il portait à la photographe, mais l’ami de cette dernière était plus compliqué, plus tourmenté. Il aurait été trop aisé de balayer la trahison, celle de fricoter avec le diable même, et Oscar, malgré l’opportunité qu’il avait eu entre ses doigts de boxeur, ne l’avais pas saisie. Pire encore, il avait relancé la machine, provoquant à coup de sourires et de piques qui ne souffraient d’aucune subtilité.
Son cœur manqua un battement alors qu’Aveleen se pliait à ses bêtises, cherchant de son regard céruléen la présence hypothétique de Jesus. Ses yeux d’obsidiennes se plissèrent et son visage s’obscurcit plus encore à l’idée même que le Moreno soit présent. Evidemment, ce n’était pas possible puisqu’il avait longuement discuté avec Ekwensu et leur paternel sur la façon de garder ce mariage écarté du moindre drame possible. Après la mort de la matriarche Hangbé, les membres de la famille étaient sur le qui-vive pour chaque soirée qui ressemblaient, de près ou de loin, à une soirée mondaine. Ils ne baissaient réellement leur garde que dans l’intimité de leur foyer, au sommet de la Tribe Tower et si la confiance qui les reliaient aux Wakefield ne souffrait d’aucun doute, la crédulité aveugle n’était tout de fois pas dans leur tempérament.
Mais elle provoquait, l’Irlandaise. Elle piquait avec autant de verve qu’un serpent du Nigéria, dangereuse, bravache. Elle osait, soutenait le regard sombre du diplomate dont les lèvres se muaient en des moues contrariées. La douceur dont il avait fait preuve pour soigner la plaie de la photographe s’était faite minuscule dans un coin de son esprit et de son être tout entier et le discours de l’enseignante, les reproches qu’elle trouvait juste de lui faire lui hérissaient l’échine. Pour se contenir, pour la laisser cracher sa hargne et se garder de faire une scène trop évidente à la riche populace, Oscar se concentra sur la façon qu’avait sa chevalière de tourner sur son doigt. Il se fixa sur les quelques aspérités de l’argent, sur la douceur des pierres précieuses qu’il y avait fait sertir. Chaque détail devenait une façon de parquer son agacement et sa propre verve. Il put ainsi l’écouter, silencieux, l’observer. La colère déformait quelques-uns de ses traits, le sang palpitait sous sa peau si claire et son regard si froid lançait des éclairs aussi douloureux que ces mots. Sans qu’un mot ne vienne interrompre le flot de la photographe, Oscar l’écoutait. Et elle continuait, l’insultait sans visiblement se soucier des répercussions que cela pourrait avoir, sans visiblement se souvenir de ce qu’elle lui avait fait, elle aussi.
Elle refusait d’être vu comme l’ange dont elle avait porté les ailes à cette fameuse soirée d’Halloween, pourtant elle s’évertuait à trouver en l’Américain le coupable idéal. Il provoquait. Il contrôlait. Certes. Oscar ne se souvenait cependant pas d’avoir pousser la jeune femme dans le bras de l’hispanique. Oscar ne se souvenait pas l’avoir poussé à s’échapper, à fuir alors même qu’il se confiait, qu’il laissait une partie de ses doutes s’exprimer, qu’un résidu de fragilité perçait enfin cette armure brillante et polie derrière laquelle il se cachait.
Le diplomate retint un roulement de ses yeux alors qu’Aveleen continuait, lui expliquant finalement ce qu’il voulait réellement, comme s’il n’était pas assez grand pour se décider lui-même, comme si leur dispute et leurs différents étaient une manière de lui agiter sous le museau une nouvelle petite sourie brillante et dont le grelot ne manquerait pas de l’attirer. Elle détourna son regard et après quelques secondes de recherche pointa du bout de son menton la cavalière du diplomate, accompagnant son geste de quelques mots qui ne pouvaient pas être plus éloigné de la réalité. Le regard sombre de l’américain se détacha un instant de la chevelure dorée de la photographe pour se poser sur le sourire charmant mais non moins polie qu’arborait sa cavalière. Il était vrai qu’à cette distance, @Isabelle D'Essenault avait tout de l’ange. Et pourtant, Oscar n’avait pas besoin de beaucoup s’approcher pour voir le vrai visage de son ancienne compagne de maison. La Française n’avait rien de la description dont la gratifiait Aveleen et cet état de fait eut le mérite de tirer un sourire éclatant au Hangbé. Il y avait autre chose également, l’évidence qui se dégageait des paroles de l’Irlandaise, une petite pointe d’amour propre piétiné, une déception cachée sous la colère et la rancœur.
Le regard brillant, Oscar soutint celui bien plus courroucé d’Aveleen. « Isabelle est certainement la femme que tu décris. Les ailes, le cœur pur et l’auréole. » assura-t-il, réprimant un petit rire, parce qu’elle était évidemment tout le contraire. Oh, elle était brillante, déterminée et possédait bien d’autres qualités mais nul doute qu’Aveleen ignorait les vraies raisons qui avait poussé l’Américain à s’afficher avec la D’Essenault à son bras, et c’était tout à son avantage, à lui. « Une dame de haute qualité, si tu veux réellement mon avis. » ajouta-t-il, comme pour remuer le couteau dans une plaie qui ne se faisait que s’agrandir.
Puis, après quelques secondes d’observation minutieuse, d’un sourire chatoyant qui finit par s’effacer, le sorcier posa un regard brillant sur le visage de la photographe. « Dis donc, Aveleen, serait-ce de la jalousie ? » s’enquit-il, le ton un peu plus provocateur qu’il n’était judicieux. « Si c’est la robe à la française, qui te fait de l’œil, cela pourrait tout à fait s’arranger. » Il était sûr de lui, l’américain. Sa voix grave et suave ne se destinait qu’à elle, qu’à cet air effronté, qu’à se visage bravache. « Ou bien tu cherches un moyen de te débarrasser de l’idiot pour qui tu me fais passer, » soupira-t-il, avant de s’avancer d’un pas vers elle, d’envahir son espace vital. Il s’imposait, le sorcier. Après la hargne du discours de la photographe, c’était à son tour de piquer, de souligner ce qui faisait mal, de rappeler la réalité de la situation. « Tu parles de l’idiot qui aurait manqué à tous ses devoirs, » souffla-t-il, avant d’avancer plus encore, de frôler son épaule frêle et de se placer dans son dos et continuer son discours dans le creux de son oreille. « Mais qu’en est-il de l’idiot qui, prêt à se confier, s’est retrouvé d’une seconde à l’autre seul au milieu d’étudiants ? » Il n’y avait plus de provocation dans le ton de sa voix, qu’une hargne similaire à celle de la photographe, un sentiment qui se propageait jusqu’à son regard, dans lequel quelques pépites dorées s’étaient ajoutées. « Qu’en-est-il de la douche que cet idiot s’est pris ? » continua-t-il, faisant à la fois référence au torrent d’eau froide qu’Aveleen avait fait apparaitre ce soir là et la déception qui n’avait fait que croître. « De ta baguette ? » termina-t-il, dans un souffle, avant d’attraper le bras de la sorcière et de la faire se tourner vers lui.
Son regard paré d’or se fixa dans celui de l’Irlandaise et sans la lâcher, il reprit. « Tu n’es effectivement pas qu’un déguisement d’Halloween à l’auréole brillante et si je suis profondément navré de m’être trompé à ce sujet, peut-être qu’il serait également de bon ton que tu admettes tes propres erreurs. L’idiot que je suis à bon dos, mais ne te fourvoie pas, la réalité est bien différente des contes. Ici, il n’existe pas qu’un seul vilain méchant loup et certains ont la main bien plus longue que d’autres. » Il avait terminé dans un grognement, agacé d’en être arrivé là. Il se noierait dans le whisky dès l’instant où il serait rentré chez lui et viendrait accueillir le regret d’avoir parlé de la sorte comme un ancien ami. Pour l’instant, la colère ne se camouflait plus et ses prunelles dorées en étaient toutes la représentation.
Son cœur manqua un battement alors qu’Aveleen se pliait à ses bêtises, cherchant de son regard céruléen la présence hypothétique de Jesus. Ses yeux d’obsidiennes se plissèrent et son visage s’obscurcit plus encore à l’idée même que le Moreno soit présent. Evidemment, ce n’était pas possible puisqu’il avait longuement discuté avec Ekwensu et leur paternel sur la façon de garder ce mariage écarté du moindre drame possible. Après la mort de la matriarche Hangbé, les membres de la famille étaient sur le qui-vive pour chaque soirée qui ressemblaient, de près ou de loin, à une soirée mondaine. Ils ne baissaient réellement leur garde que dans l’intimité de leur foyer, au sommet de la Tribe Tower et si la confiance qui les reliaient aux Wakefield ne souffrait d’aucun doute, la crédulité aveugle n’était tout de fois pas dans leur tempérament.
Mais elle provoquait, l’Irlandaise. Elle piquait avec autant de verve qu’un serpent du Nigéria, dangereuse, bravache. Elle osait, soutenait le regard sombre du diplomate dont les lèvres se muaient en des moues contrariées. La douceur dont il avait fait preuve pour soigner la plaie de la photographe s’était faite minuscule dans un coin de son esprit et de son être tout entier et le discours de l’enseignante, les reproches qu’elle trouvait juste de lui faire lui hérissaient l’échine. Pour se contenir, pour la laisser cracher sa hargne et se garder de faire une scène trop évidente à la riche populace, Oscar se concentra sur la façon qu’avait sa chevalière de tourner sur son doigt. Il se fixa sur les quelques aspérités de l’argent, sur la douceur des pierres précieuses qu’il y avait fait sertir. Chaque détail devenait une façon de parquer son agacement et sa propre verve. Il put ainsi l’écouter, silencieux, l’observer. La colère déformait quelques-uns de ses traits, le sang palpitait sous sa peau si claire et son regard si froid lançait des éclairs aussi douloureux que ces mots. Sans qu’un mot ne vienne interrompre le flot de la photographe, Oscar l’écoutait. Et elle continuait, l’insultait sans visiblement se soucier des répercussions que cela pourrait avoir, sans visiblement se souvenir de ce qu’elle lui avait fait, elle aussi.
Elle refusait d’être vu comme l’ange dont elle avait porté les ailes à cette fameuse soirée d’Halloween, pourtant elle s’évertuait à trouver en l’Américain le coupable idéal. Il provoquait. Il contrôlait. Certes. Oscar ne se souvenait cependant pas d’avoir pousser la jeune femme dans le bras de l’hispanique. Oscar ne se souvenait pas l’avoir poussé à s’échapper, à fuir alors même qu’il se confiait, qu’il laissait une partie de ses doutes s’exprimer, qu’un résidu de fragilité perçait enfin cette armure brillante et polie derrière laquelle il se cachait.
Le diplomate retint un roulement de ses yeux alors qu’Aveleen continuait, lui expliquant finalement ce qu’il voulait réellement, comme s’il n’était pas assez grand pour se décider lui-même, comme si leur dispute et leurs différents étaient une manière de lui agiter sous le museau une nouvelle petite sourie brillante et dont le grelot ne manquerait pas de l’attirer. Elle détourna son regard et après quelques secondes de recherche pointa du bout de son menton la cavalière du diplomate, accompagnant son geste de quelques mots qui ne pouvaient pas être plus éloigné de la réalité. Le regard sombre de l’américain se détacha un instant de la chevelure dorée de la photographe pour se poser sur le sourire charmant mais non moins polie qu’arborait sa cavalière. Il était vrai qu’à cette distance, @Isabelle D'Essenault avait tout de l’ange. Et pourtant, Oscar n’avait pas besoin de beaucoup s’approcher pour voir le vrai visage de son ancienne compagne de maison. La Française n’avait rien de la description dont la gratifiait Aveleen et cet état de fait eut le mérite de tirer un sourire éclatant au Hangbé. Il y avait autre chose également, l’évidence qui se dégageait des paroles de l’Irlandaise, une petite pointe d’amour propre piétiné, une déception cachée sous la colère et la rancœur.
Le regard brillant, Oscar soutint celui bien plus courroucé d’Aveleen. « Isabelle est certainement la femme que tu décris. Les ailes, le cœur pur et l’auréole. » assura-t-il, réprimant un petit rire, parce qu’elle était évidemment tout le contraire. Oh, elle était brillante, déterminée et possédait bien d’autres qualités mais nul doute qu’Aveleen ignorait les vraies raisons qui avait poussé l’Américain à s’afficher avec la D’Essenault à son bras, et c’était tout à son avantage, à lui. « Une dame de haute qualité, si tu veux réellement mon avis. » ajouta-t-il, comme pour remuer le couteau dans une plaie qui ne se faisait que s’agrandir.
Puis, après quelques secondes d’observation minutieuse, d’un sourire chatoyant qui finit par s’effacer, le sorcier posa un regard brillant sur le visage de la photographe. « Dis donc, Aveleen, serait-ce de la jalousie ? » s’enquit-il, le ton un peu plus provocateur qu’il n’était judicieux. « Si c’est la robe à la française, qui te fait de l’œil, cela pourrait tout à fait s’arranger. » Il était sûr de lui, l’américain. Sa voix grave et suave ne se destinait qu’à elle, qu’à cet air effronté, qu’à se visage bravache. « Ou bien tu cherches un moyen de te débarrasser de l’idiot pour qui tu me fais passer, » soupira-t-il, avant de s’avancer d’un pas vers elle, d’envahir son espace vital. Il s’imposait, le sorcier. Après la hargne du discours de la photographe, c’était à son tour de piquer, de souligner ce qui faisait mal, de rappeler la réalité de la situation. « Tu parles de l’idiot qui aurait manqué à tous ses devoirs, » souffla-t-il, avant d’avancer plus encore, de frôler son épaule frêle et de se placer dans son dos et continuer son discours dans le creux de son oreille. « Mais qu’en est-il de l’idiot qui, prêt à se confier, s’est retrouvé d’une seconde à l’autre seul au milieu d’étudiants ? » Il n’y avait plus de provocation dans le ton de sa voix, qu’une hargne similaire à celle de la photographe, un sentiment qui se propageait jusqu’à son regard, dans lequel quelques pépites dorées s’étaient ajoutées. « Qu’en-est-il de la douche que cet idiot s’est pris ? » continua-t-il, faisant à la fois référence au torrent d’eau froide qu’Aveleen avait fait apparaitre ce soir là et la déception qui n’avait fait que croître. « De ta baguette ? » termina-t-il, dans un souffle, avant d’attraper le bras de la sorcière et de la faire se tourner vers lui.
Son regard paré d’or se fixa dans celui de l’Irlandaise et sans la lâcher, il reprit. « Tu n’es effectivement pas qu’un déguisement d’Halloween à l’auréole brillante et si je suis profondément navré de m’être trompé à ce sujet, peut-être qu’il serait également de bon ton que tu admettes tes propres erreurs. L’idiot que je suis à bon dos, mais ne te fourvoie pas, la réalité est bien différente des contes. Ici, il n’existe pas qu’un seul vilain méchant loup et certains ont la main bien plus longue que d’autres. » Il avait terminé dans un grognement, agacé d’en être arrivé là. Il se noierait dans le whisky dès l’instant où il serait rentré chez lui et viendrait accueillir le regret d’avoir parlé de la sorte comme un ancien ami. Pour l’instant, la colère ne se camouflait plus et ses prunelles dorées en étaient toutes la représentation.
- InvitéInvité
Re: (mariage evalice) La modestie des orgueilleux
Mer 20 Avr 2022 - 16:53
Les yeux de l'Irlandaise suivaient les mouvements indolents de la robe d'Isabella. Il y'avait quelque chose d'assez hypnotique dans cette danse, ou du moins y'avait-il quelque chose d'assez hypnotique dans le fait de s'échapper, pendant quelques secondes, des yeux sombres d'Oscar. Il y avait un océan de reproche niché au fond de son regard, une tempête faites de vagues qui meurtrissaient les naufragés sur les ressacs escarpés des falaises qu'il dressait entre eux. Elle ne doutait même pas du bouclier dont il armerait son bras : sa rage envers le portoricain était quelque chose de tellement tangible que cela en devenait presque une constante inéluctable. Il le haïssait et, visiblement, cette haine était de celles qui, dévastatrice, surplombait tout les autres sentiments. Y compris l'affection du politicien à son encontre, visiblement. A quoi bon débattre avec un buffle, qui, de toute façon, ne voyait que le drapeau rouge que l'on agitait devant sa carcasse, comme si c'était la seule chose que sa rétine était conditionnée à distinguer correctement. De la haine partout, pour tout le monde, tout le temps.
Elle l'écouta vanter les mérites de sa cavalière tout en se demandant à quel point la colère était capable d'enfler de la même manière qu'un corps liquide : en prenant toute la place à sa disposition et il fallait dire que pour cela, la carrure d'Oscar permettait effectivement de s'expandre dans un grand volume. Cette pensée à la fois puérile et de bien mauvaise foi compte tenue de son propre caractère l'empêcha de voir arriver le crochet verbal d'Oscar :
— Dis donc, Aveleen, serait-ce de la jalousie ?
Les doigts de l'Irlandaise tressaillirent imperceptiblement, la forçant à raffermir sa prise sur ses propres bras croisés. Par chance, Oscar était de ces natures loquaces qui ne se contentaient pas de simplement lancer des piques mais tenaient en honneur de développer leur théorie en plusieurs chapitres, sous-chapitres, alinéas et retour à la ligne. Soit assez de détails pour rebondir là où cette simple question lui aurait clairement coupé l'herbe sous le pied, mettant le feu au reste du sol et calcinant toute chance que quelque chose d'autre ne daigne repousser. Parce que s'il ne lui était resté que l'honnêteté, elle aurait été bien forcée d'admettre que oui, elle avait ressenti quelque chose en voyant le bras gracile de la française s'enrouler autour de celui de son ami.
— Si c’est la robe à la française, qui te fait de l’œil, cela pourrait tout à fait s’arranger, poursuivit-il, alors que la photographe s'autorisait enfin une respiration plus ample, gorgeant ses poumons d'air tout autant qu'elle reprenait consistance. Ou bien tu cherches un moyen de te débarrasser de l’idiot pour qui tu me fais passer ?
Quelque chose prit feu dans la poitrine de l'enseignante. Depuis la première fois que leur regard s'étaient croisés, Oscar et elle avaient incarné à la perfection les rôles d'amis aux conversations houleuses et pleines de désaccords. Au début de leur collaboration, chaque entrevue avait pris des allures de négociation acharnée à peine entrecoupées de quelques rares moments d'accalmie aux airs de simples haltes par manque d'argument. Elle avait maudit sa hargne a peu près autant qu'elle ne l'avait admirée, tout en disant à qui voulait l'entendre qu'il était le personnage le plus têtu qu'il lui ait été donné de rencontrer, non sans s'être délectée en silence d'avoir quelqu'un sur qui affuter ses meilleures réparties. Mais leurs vives altercations concernaient alors la photographie, le choix de la pièce maîtresse d'un vernissage ou bien le refus catégorique de l'un de céder du terrain à l'autre concernant une direction artistique.
Jusqu'à ces derniers mois.
A présent, leurs disputes glissaient vers des pentes plus personnelles et les longs argumentaires professionnelles se voyaient remplacés par des critiques bien plus intimes contre lesquelles Aveleen doutait d'être finalement suffisamment bien taillée pour en supporter le choc. Elle avait toujours cru que leurs désaccords étaient des sortes d'hyperboles : une relation vue et revue d'un artiste et de son mécène sempiternellement en train de se crêper le chignon mais finissant inlassablement par tomber d'accord. Mais à présent qu'il s'agissait de débattre de ce quelque chose qui ne concernant plus une galerie d'art ou la possibilité d'un gros financement, Aveleen découvrait que leurs orgueils respectifs peinaient à trouver une porte de sortie, comme si chacun d'eux campait sur ses positions avec la rigidité d'un général sur un champ de bataille. Ils creusaient les tranchées respectives de leurs blessures, listaient les raisons pour lesquelles l'autre avait plus tord que l'un et il s'en fallait de peu qu'ils ne commencent à se répartir les territoires de la piste de danse, n'établissement un no-man's land et ne tentent des percées dans le camps adverse.
Ce fut Oscar qui lança le premier assaut. Elle pouvait sentir sa haute silhouette envahir son espace personnel, comme si les frontières n'étaient pas suffisamment floues entre leurs désaccords pour venir ne les brouiller encore plus. D'une certaine façon, Aveleen avait presque envie de rire jaune : parce qu'en s'approchant ainsi d'elle comme un lion rodant auprès de sa proie, sa voix veloutée cherchant le creux de son oreille pour venir y murmurer tout le miel perfide de ses vexations, il ressemblait à s'y méprendre à celui qu'il haïssait pourtant. Même façon insupportable de sourire en coin tout en débitant des accusations, même tendance tout aussi insupportable à juger qu'il vaut mieux distiller son venin comme un serpent charmeur, même manie insupportable là encore de chercher son regard pour y ficher le sien avec suffisance. Sa respiration léchait le creux de son cou. Alors, elle retînt la sienne.
— Mais qu’en est-il de l’idiot qui, prêt à se confier, s’est retrouvé d’une seconde à l’autre seul au milieu d’étudiants ? énumérait-il toujours.
Aveleen gardait ses lèvres closes, malmenant la peau fine de ses lèvres sous l'émail de ses dents, son regard fixant obstinément Isabelle, comme un point d'ancrage pour ne pas sombrer.
— Qu’en-est-il de la douche que cet idiot s’est pris ?
Il était comme un avis d'orage : il valait mieux rester sagement cloitrée le temps qu'il ne se calme. Peu importait que les volets ne tremblent, que les tuiles ne menacent de partir en même temps que la charpente, que l'eau ne s'infiltre sous les portes.
— De ta baguette ? continua-t-il en lui saisissant le bras.
Il lui imposa un volte face, mais la violence n'était pas moins dans le geste, au demeurant bien doux, que dans son regard moucheté de cercles dorés qui ne promettaient qu'un peu plus de colère se surajoutant à encore et toujours de la colère. Il la regardait comme un juge prêt à déclarer la sentence et, malgré-elle, Aveleen se surprit à la deviner avant même qu'il ne la prononce.
—Tu n’es effectivement pas qu’un déguisement d’Halloween à l’auréole brillante et si je suis profondément navré de m’être trompé à ce sujet, peut-être qu’il serait également de bon ton que tu admettes tes propres erreurs.
La gorge de l'Irlandaise se noua d'émotion. C'était une chose d'envisager qu'il ne soit à ce point déçu mais qu'importe la préparation et l'anticipation, cela faisait tout de même un mal de chien. Finalement, la maison résistait bien mal à l'orage et elle avait l'impression que les murs menaçaient de s'écrouler. Elle resta néanmoins immobile, alors qu'il continuait à déverser sur elle l'immense gâchis qu'elle représentait à ses yeux.
— L’idiot que je suis à bon dos, mais ne te fourvoie pas, la réalité est bien différente des contes. Ici, il n’existe pas qu’un seul vilain méchant loup et certains ont la main bien plus longue que d’autres.
L'ironie méprisante d'Oscar lui fit l'effet d'un ongle crissant sur une plaque de métal. Un frisson glacial d'une colère soudainement brûlante la parcouru et elle serra les mâchoires jusqu'à en avoir mal, avant qu'un éclair rougeoyant ne s'empare totalement d'elle. Elle retira sa main de la sienne, approchant son visage blême de sa peau sombre.
— Je n'aurai pas dû partir pendant que l'on discutait, concéda-t-elle. Mais tu devras te contenter de ça, parce que je ne m'excuserai pas du reste.
Elle expira profondément, emplit ensuite ses poumons.
— Mes sentiments envers d'autres personnes m'appartiennent, Oscar. Les gens que je fréquente, ceux que je décide d'aimer, d'haïr, d'admirer, de suivre ou de fuir : ce sont mes choix et je dénie à quiconque le droit d'y trouver à redire, objecta-t-elle d'une voix aussi limpide que ses mots ne lui semblaient évident. Pas même à toi, pas même si ce choix te contrarie et quand bien même tu es important. A quiconque, tu entends Oscar ? répéta-t-elle en le fixant intensément.
Dans sa poitrine, son cœur battait toujours à lui en rompre la cage thoracique. C'était douloureux, mais pas autant que le poison insidieux de la colère qui avait pris possession de son ami au point de lui grignoter l'âme, petit morceau par petit morceau. Et peut-être que cela avait commencé comme ça : à un moment donné, ils avaient fini par suffisamment s'apprécier pour que les disputes prennent une toute autre dimension.
— Tu as tort, la réalité n'est pas bien différente des contes : là bas ou ici, les mères meurent et les meilleures amies se font trancher la gorge. C'est injuste et cruel, fit-elle de manière abrupte. Tu veux savoir ce qui est injuste et cruel également ? Toi. Parce que tu subies ta vie au lieu de la vivre tellement tu en veux à l'Univers de t'avoir rendu malheureux à en crever. T'es incapable de faire confiance à qui que ce soit pour partager ton fameux fardeau, pas même tes frères et sœurs, alors tu fais le vide à grands coups de déceptions, parce qu'haïr et fuir en solitaire, c'est beaucoup moins dangereux que d'être vulnérable et de rester auprès de ceux pour qui tu comptes. Mais tu veux que je te dise ? Leo n'a pas assassiné ta mère et si tu n'avais pas été si désireux de l'étrangler, je serais restée avec toi. Bien sûr que je serai restée avec toi.
Elle secoua la tête, un petit sourire triste sur les lèvres.
— Voilà pourquoi tu t'es jeté sur Léo quand il a surgit à cette soirée. Cela n'avait rien à voir avec moi, cela n'avait même rien à voir avec lui. C'était juste toi. T'es tellement rempli de colère que cela suinte de partout. Tu n'as de cesse de chercher excuses pour détester tout le monde alors que la seule personne que tu n'exècres, c'est toi, acheva-t-elle sa tirade tout près de son visage, presque à bout de souffle. Alors pourquoi il t'importe tant que je sois partie, puisque de toute façon, tu ne me laisseras jamais restée avec toi ?
Cités : @Oscar Hangbé @Leonardo Moreno, @Isabelle D'Essenault
Elle l'écouta vanter les mérites de sa cavalière tout en se demandant à quel point la colère était capable d'enfler de la même manière qu'un corps liquide : en prenant toute la place à sa disposition et il fallait dire que pour cela, la carrure d'Oscar permettait effectivement de s'expandre dans un grand volume. Cette pensée à la fois puérile et de bien mauvaise foi compte tenue de son propre caractère l'empêcha de voir arriver le crochet verbal d'Oscar :
— Dis donc, Aveleen, serait-ce de la jalousie ?
Les doigts de l'Irlandaise tressaillirent imperceptiblement, la forçant à raffermir sa prise sur ses propres bras croisés. Par chance, Oscar était de ces natures loquaces qui ne se contentaient pas de simplement lancer des piques mais tenaient en honneur de développer leur théorie en plusieurs chapitres, sous-chapitres, alinéas et retour à la ligne. Soit assez de détails pour rebondir là où cette simple question lui aurait clairement coupé l'herbe sous le pied, mettant le feu au reste du sol et calcinant toute chance que quelque chose d'autre ne daigne repousser. Parce que s'il ne lui était resté que l'honnêteté, elle aurait été bien forcée d'admettre que oui, elle avait ressenti quelque chose en voyant le bras gracile de la française s'enrouler autour de celui de son ami.
— Si c’est la robe à la française, qui te fait de l’œil, cela pourrait tout à fait s’arranger, poursuivit-il, alors que la photographe s'autorisait enfin une respiration plus ample, gorgeant ses poumons d'air tout autant qu'elle reprenait consistance. Ou bien tu cherches un moyen de te débarrasser de l’idiot pour qui tu me fais passer ?
Quelque chose prit feu dans la poitrine de l'enseignante. Depuis la première fois que leur regard s'étaient croisés, Oscar et elle avaient incarné à la perfection les rôles d'amis aux conversations houleuses et pleines de désaccords. Au début de leur collaboration, chaque entrevue avait pris des allures de négociation acharnée à peine entrecoupées de quelques rares moments d'accalmie aux airs de simples haltes par manque d'argument. Elle avait maudit sa hargne a peu près autant qu'elle ne l'avait admirée, tout en disant à qui voulait l'entendre qu'il était le personnage le plus têtu qu'il lui ait été donné de rencontrer, non sans s'être délectée en silence d'avoir quelqu'un sur qui affuter ses meilleures réparties. Mais leurs vives altercations concernaient alors la photographie, le choix de la pièce maîtresse d'un vernissage ou bien le refus catégorique de l'un de céder du terrain à l'autre concernant une direction artistique.
Jusqu'à ces derniers mois.
A présent, leurs disputes glissaient vers des pentes plus personnelles et les longs argumentaires professionnelles se voyaient remplacés par des critiques bien plus intimes contre lesquelles Aveleen doutait d'être finalement suffisamment bien taillée pour en supporter le choc. Elle avait toujours cru que leurs désaccords étaient des sortes d'hyperboles : une relation vue et revue d'un artiste et de son mécène sempiternellement en train de se crêper le chignon mais finissant inlassablement par tomber d'accord. Mais à présent qu'il s'agissait de débattre de ce quelque chose qui ne concernant plus une galerie d'art ou la possibilité d'un gros financement, Aveleen découvrait que leurs orgueils respectifs peinaient à trouver une porte de sortie, comme si chacun d'eux campait sur ses positions avec la rigidité d'un général sur un champ de bataille. Ils creusaient les tranchées respectives de leurs blessures, listaient les raisons pour lesquelles l'autre avait plus tord que l'un et il s'en fallait de peu qu'ils ne commencent à se répartir les territoires de la piste de danse, n'établissement un no-man's land et ne tentent des percées dans le camps adverse.
Ce fut Oscar qui lança le premier assaut. Elle pouvait sentir sa haute silhouette envahir son espace personnel, comme si les frontières n'étaient pas suffisamment floues entre leurs désaccords pour venir ne les brouiller encore plus. D'une certaine façon, Aveleen avait presque envie de rire jaune : parce qu'en s'approchant ainsi d'elle comme un lion rodant auprès de sa proie, sa voix veloutée cherchant le creux de son oreille pour venir y murmurer tout le miel perfide de ses vexations, il ressemblait à s'y méprendre à celui qu'il haïssait pourtant. Même façon insupportable de sourire en coin tout en débitant des accusations, même tendance tout aussi insupportable à juger qu'il vaut mieux distiller son venin comme un serpent charmeur, même manie insupportable là encore de chercher son regard pour y ficher le sien avec suffisance. Sa respiration léchait le creux de son cou. Alors, elle retînt la sienne.
— Mais qu’en est-il de l’idiot qui, prêt à se confier, s’est retrouvé d’une seconde à l’autre seul au milieu d’étudiants ? énumérait-il toujours.
Aveleen gardait ses lèvres closes, malmenant la peau fine de ses lèvres sous l'émail de ses dents, son regard fixant obstinément Isabelle, comme un point d'ancrage pour ne pas sombrer.
— Qu’en-est-il de la douche que cet idiot s’est pris ?
Il était comme un avis d'orage : il valait mieux rester sagement cloitrée le temps qu'il ne se calme. Peu importait que les volets ne tremblent, que les tuiles ne menacent de partir en même temps que la charpente, que l'eau ne s'infiltre sous les portes.
— De ta baguette ? continua-t-il en lui saisissant le bras.
Il lui imposa un volte face, mais la violence n'était pas moins dans le geste, au demeurant bien doux, que dans son regard moucheté de cercles dorés qui ne promettaient qu'un peu plus de colère se surajoutant à encore et toujours de la colère. Il la regardait comme un juge prêt à déclarer la sentence et, malgré-elle, Aveleen se surprit à la deviner avant même qu'il ne la prononce.
—Tu n’es effectivement pas qu’un déguisement d’Halloween à l’auréole brillante et si je suis profondément navré de m’être trompé à ce sujet, peut-être qu’il serait également de bon ton que tu admettes tes propres erreurs.
La gorge de l'Irlandaise se noua d'émotion. C'était une chose d'envisager qu'il ne soit à ce point déçu mais qu'importe la préparation et l'anticipation, cela faisait tout de même un mal de chien. Finalement, la maison résistait bien mal à l'orage et elle avait l'impression que les murs menaçaient de s'écrouler. Elle resta néanmoins immobile, alors qu'il continuait à déverser sur elle l'immense gâchis qu'elle représentait à ses yeux.
— L’idiot que je suis à bon dos, mais ne te fourvoie pas, la réalité est bien différente des contes. Ici, il n’existe pas qu’un seul vilain méchant loup et certains ont la main bien plus longue que d’autres.
L'ironie méprisante d'Oscar lui fit l'effet d'un ongle crissant sur une plaque de métal. Un frisson glacial d'une colère soudainement brûlante la parcouru et elle serra les mâchoires jusqu'à en avoir mal, avant qu'un éclair rougeoyant ne s'empare totalement d'elle. Elle retira sa main de la sienne, approchant son visage blême de sa peau sombre.
— Je n'aurai pas dû partir pendant que l'on discutait, concéda-t-elle. Mais tu devras te contenter de ça, parce que je ne m'excuserai pas du reste.
Elle expira profondément, emplit ensuite ses poumons.
— Mes sentiments envers d'autres personnes m'appartiennent, Oscar. Les gens que je fréquente, ceux que je décide d'aimer, d'haïr, d'admirer, de suivre ou de fuir : ce sont mes choix et je dénie à quiconque le droit d'y trouver à redire, objecta-t-elle d'une voix aussi limpide que ses mots ne lui semblaient évident. Pas même à toi, pas même si ce choix te contrarie et quand bien même tu es important. A quiconque, tu entends Oscar ? répéta-t-elle en le fixant intensément.
Dans sa poitrine, son cœur battait toujours à lui en rompre la cage thoracique. C'était douloureux, mais pas autant que le poison insidieux de la colère qui avait pris possession de son ami au point de lui grignoter l'âme, petit morceau par petit morceau. Et peut-être que cela avait commencé comme ça : à un moment donné, ils avaient fini par suffisamment s'apprécier pour que les disputes prennent une toute autre dimension.
— Tu as tort, la réalité n'est pas bien différente des contes : là bas ou ici, les mères meurent et les meilleures amies se font trancher la gorge. C'est injuste et cruel, fit-elle de manière abrupte. Tu veux savoir ce qui est injuste et cruel également ? Toi. Parce que tu subies ta vie au lieu de la vivre tellement tu en veux à l'Univers de t'avoir rendu malheureux à en crever. T'es incapable de faire confiance à qui que ce soit pour partager ton fameux fardeau, pas même tes frères et sœurs, alors tu fais le vide à grands coups de déceptions, parce qu'haïr et fuir en solitaire, c'est beaucoup moins dangereux que d'être vulnérable et de rester auprès de ceux pour qui tu comptes. Mais tu veux que je te dise ? Leo n'a pas assassiné ta mère et si tu n'avais pas été si désireux de l'étrangler, je serais restée avec toi. Bien sûr que je serai restée avec toi.
Elle secoua la tête, un petit sourire triste sur les lèvres.
— Voilà pourquoi tu t'es jeté sur Léo quand il a surgit à cette soirée. Cela n'avait rien à voir avec moi, cela n'avait même rien à voir avec lui. C'était juste toi. T'es tellement rempli de colère que cela suinte de partout. Tu n'as de cesse de chercher excuses pour détester tout le monde alors que la seule personne que tu n'exècres, c'est toi, acheva-t-elle sa tirade tout près de son visage, presque à bout de souffle. Alors pourquoi il t'importe tant que je sois partie, puisque de toute façon, tu ne me laisseras jamais restée avec toi ?
Cités : @Oscar Hangbé @Leonardo Moreno, @Isabelle D'Essenault
- InvitéInvité
Re: (mariage evalice) La modestie des orgueilleux
Ven 22 Avr 2022 - 22:41
Jesus. Il avait fallu que ce soit lui. Peut-être que si la personne vers laquelle Aveleen avait fuis avait été autre, Oscar aurait pu ravaler sa fierté. Jesus, cela dit, c’était trop. Dès le premier jour ou l’Américain avait croisé la route du Moreno, la rivalité avait été flagrante, flamboyante. Comme une évidence qui s’était révélée aux deux hommes, alors seulement des jeunes adolescents. Il y avait eu le mépris du Hangbé, incontenable face à tout ce que représentait l’hispanique. Le jeune homme confiant et impétueux qu’avait été Oscar à cette époque n’avait pas eu la finesse d’esprit d’accorder le moindre doute au Moreno, le catégorisant avant même qu’il n’ouvre la bouche. A cause de ses chaussures. A cause de son air, quinteux, âpre. A cause du milieu sociable duquel il venait. Tout ce qui avait fait et faisait encore l’homme que Leonardo était n’était qu’un argument de plus pour le mépris qu’Oscar lui portait. Ce mépris c’était mue avec le temps en quelque chose de plus fort, de plus viscérale. Une rivalité sauvage dénouée de toute la diplomatie dont il avait pourtant appris les ficelles avec le temps. Croiser le chemin du Moreno c’était retrouver ces émotions vives de jeunesses, c’était renouer avec l’impulsivité, le mépris et la haine gratuite. Le croiser, c’était retrouver ses instincts les plus fous. Le voir, c’était un peu s’imaginer à sa place, douter de sa propre situation. Faire face à Leonardo, c’était un peu faire face à ce qu’Oscar était réellement. Sombre, mystérieux, dangereux, tourmenté par les affres d’une vie qui n’était pas juste.
Et cette vie, qui ne cessait de tirer sur les ficelles du destin semblait bien décider à se faire croiser les deux hommes. Les circonstances différaient à chaque fois, mais elles se rejoignaient. La plus douloureuse restait l’échappée bravache d’Aveleen, la fuite ponctuée de provocations salées et blessante de la part du Moreno. Il avait eu la désagréable sensation de revivre une autre situation de son passé. Dans le regard du portoricain, ce soir d’Halloween, il avait revu les mêmes flammes qui avait éclairé ses obsidiennes lorsque, des années plus tôt, Luna Florez s’était accrochée à son bras. Oh, le diplomate ne se souvenait que trop bien de l’enserrement de son palpitant à cette vue, comme si le messie avait attendu son tour pour prendre au Hangbé ce qui lui avait un tant soit peu appartenu.
Comment ne pouvait-il pas être en colère contre Leonardo ? Contre Aveleen ? Contre lui-même, peut-être un peu ? En colère d’avoir manqué de se confier, d’avoir été vulnérable, chamboulé par les affres de son esprit et les maux de son cœur. Tant obnubilé par ses tourments qu’il avait initié l’abaissement d’un mur de brique gardant jusqu’alors les sensibilités de son être à ses plus proches parents. Comment, alors qu’il avait ressenti l’irrépressible besoin de se confier à Aveleen, pouvait-il ne pas éprouver l’humiliation qui accompagnait l’abandon soudain ? Et la colère était une amie si proche, un sentiment si connu de l’Américain qu’elle en devenait parfois rassurante. D’une dangereuse ennemie, elle se muait en une motivation puissante, déterminée, incapable de plier. Sans elle, Oscar se serait effondré à la mort de sa mère. Sans elle, Oscar aurait été enfoui sous la culpabilité d’avoir entraîné le sacrifice de la matriarche Hangbé pour avoir la vie sauve. La colère était devenue le squelette avec la force nécessaire de le porter et de le faire avancer. Et chacun pouvait y aller de son avis, mais il en avait besoin. Il en dépendait, complètement.
La rage brûlait ainsi sous son épiderme et la petite concession que daigna faire Aveleen sur ses actions n’eut absolument aucun effet dessus. Il était remarquable qu’il soit capable de paraître aussi calme, aussi en contrôle sur ses émotions, confinées à l’intérieur d’un corps qui ne demandait qu’à s’en débarrasser. Comme un nuage sombre et lourd, chargé d’une électricité mortelle, Oscar ne souhaitait qu’une chose : exploser, tonner, s’exprimer en liberté. Mais ruiner le mariage de sa cadette d’un coup d’éclat ne serait jamais une possibilité pour le peu de raison qui tenait encore l’animal dans sa cage. Noyé dans une fureur qui se faisait silencieuse, Oscar écoutait les répliques d’Aveleen, ces cris de liberté qu’elle lui lançait. Ses yeux roulèrent une ou deux fois dans leurs orbites, agacé du raccourci que faisait la jeune femme et ce retournement de situation. Elle semblait bien décidée à lui donner le mauvais rôle, à lui coller sur le front un post-it de « méchant ». Qu’aurait-elle fait, elle, si les rôles avaient été inversés ? Qu’aurait-elle fait si, au lieu de la prendre dans ses bras le jour ou Oscar l’avait retrouvé au Styx, il ne s’était pas reculé, disparaissant dans une sombre ruelle, attiré par les bras plus chaleureux de quelqu’un d’autre ? Sourirait-elle ? Serait-elle conciliante, prête au pardon ? Ne ressentirait-elle pas la colère ? L’humiliation ?
Il ne put répondre à sa question que par un grognement sourd, presque lointain. Et elle continua, se permettant une nouvelle fois de l’analyser, de parler pour lui, pour son esprit, pour son cœur lourd. Elle ne comprenait pas. Elle ne savait pas. Elle avait eu à faire au mécène pendant des années, mais l’ami était bien différent. Et la vulnérabilité qu’il avait ressenti au bal d’Halloween n’était plus là. Il n’était pas prêt à se confier, il n’était pas disposé à se confier. Il n’avait pas confiance. Il avait été blessé une fois, il ne se laisserait pas aller à une autre plaie. Jamais. Elle continuait, sûre d’elle, ne cessait de se rapprocher, à mesure de son analyse. Elle s’approchait de lui, se hissait surement sur le bout de ses pieds, tant et si bien qu’Oscar pouvait sentir son souffle chaud sur sa peau. Il y avait un mélange d’arômes, de saveurs. Des relents sucrés d’un alcool pétillant, les résidus d’une fraîcheur de dentifrice ou d’un chewing-gum qu’elle aurait mâchonné pendant le mitraillement de la soirée.
Sans un mot, sans un mouvement parasite, le diplomate posa sa main sur l’avant-bras de la sorcière puis le fit doucement remonter le long de son vêtement. Il fit glisser ses doigts jusqu’à les caler sous le menton de l’Irlandaise, avec douceur et fermeté. « Et bien.. C'est presque amusant de se voir analyser par quelqu'un qui perds pied. » souffla-t-il, mêlant son haleine chaude à l’arôme d’un whisky vieillis en fus de bois à celle de son amie. « Parce que c’est bien de cela dont tes caprices s’agissent. Un appel à l’aide. Tu t’agites comme un poisson hors de l’eau, tu peines à respirer. Tu fuis. » Il parlait d’un souffle, la voix grave. Il était si près de son visage qu’il n’avait pas besoin de hausser le ton. « Il se passait quelque chose entre nous ce soir-là. Tu l’as senti. Et pourtant tu es partie. Parce que tu avais peur. » Il était étrangement calme, le regard félin clairsemé de pépites dorées fixé dans celui glacé de la jeune femme. « Tu dis que je suinte de colère, mais de ton côté c’est la peur qui te guide. La peur qui te tord les trippes face au monde injuste dans lequel nous vivons, dans lequel nos proches sont tués. Tu me reproche d’être aveuglé par la rage, mais elle me fait avancer. Elle me tient debout, me retiens de chanceler. Que fait-elle, ta peur, hormis créer des caprices, te faire rechercher un demi-danger pour te donner l’impression que tu respires ? » s’enquit-il, sans réellement attendre une réponse de sa part. Tout en parlant, sa main s’était fait caresse sur la pommette droite de la jeune femme. La mort de Marie avait changé beaucoup de chose chez Aveleen et celle de Pearl en avait fait de même chez Oscar. Malgré les épreuves, malgré les doutes, les tourments, les pas du diplomate l’avaient toujours mené vers l’Irlandaise, comme une ancre nécessaire à la stabilité d’un bateau à quai. Il était revenu, régulièrement, jamais très longtemps mais toujours certains de son cap. Et elle n’avait fait que fuir. Les cafés, fuis. La soirée au styx, la tentative avait été avortée. La soirée d’Halloween, le Moreno s’était amusé. La fuite, la colère, deux manières de panser des plaies qui ne se refermeraient pas avant des années, qui restaient à vifs, libérant de temps à autres des perles vermillon. « Comment pourrais-je espérer te garder près de moi si tu es si prône à fuir ? » demanda-t-il finalement, le regard légèrement adouci, gagné par une mélancholie saisissante.
Et cette vie, qui ne cessait de tirer sur les ficelles du destin semblait bien décider à se faire croiser les deux hommes. Les circonstances différaient à chaque fois, mais elles se rejoignaient. La plus douloureuse restait l’échappée bravache d’Aveleen, la fuite ponctuée de provocations salées et blessante de la part du Moreno. Il avait eu la désagréable sensation de revivre une autre situation de son passé. Dans le regard du portoricain, ce soir d’Halloween, il avait revu les mêmes flammes qui avait éclairé ses obsidiennes lorsque, des années plus tôt, Luna Florez s’était accrochée à son bras. Oh, le diplomate ne se souvenait que trop bien de l’enserrement de son palpitant à cette vue, comme si le messie avait attendu son tour pour prendre au Hangbé ce qui lui avait un tant soit peu appartenu.
Comment ne pouvait-il pas être en colère contre Leonardo ? Contre Aveleen ? Contre lui-même, peut-être un peu ? En colère d’avoir manqué de se confier, d’avoir été vulnérable, chamboulé par les affres de son esprit et les maux de son cœur. Tant obnubilé par ses tourments qu’il avait initié l’abaissement d’un mur de brique gardant jusqu’alors les sensibilités de son être à ses plus proches parents. Comment, alors qu’il avait ressenti l’irrépressible besoin de se confier à Aveleen, pouvait-il ne pas éprouver l’humiliation qui accompagnait l’abandon soudain ? Et la colère était une amie si proche, un sentiment si connu de l’Américain qu’elle en devenait parfois rassurante. D’une dangereuse ennemie, elle se muait en une motivation puissante, déterminée, incapable de plier. Sans elle, Oscar se serait effondré à la mort de sa mère. Sans elle, Oscar aurait été enfoui sous la culpabilité d’avoir entraîné le sacrifice de la matriarche Hangbé pour avoir la vie sauve. La colère était devenue le squelette avec la force nécessaire de le porter et de le faire avancer. Et chacun pouvait y aller de son avis, mais il en avait besoin. Il en dépendait, complètement.
La rage brûlait ainsi sous son épiderme et la petite concession que daigna faire Aveleen sur ses actions n’eut absolument aucun effet dessus. Il était remarquable qu’il soit capable de paraître aussi calme, aussi en contrôle sur ses émotions, confinées à l’intérieur d’un corps qui ne demandait qu’à s’en débarrasser. Comme un nuage sombre et lourd, chargé d’une électricité mortelle, Oscar ne souhaitait qu’une chose : exploser, tonner, s’exprimer en liberté. Mais ruiner le mariage de sa cadette d’un coup d’éclat ne serait jamais une possibilité pour le peu de raison qui tenait encore l’animal dans sa cage. Noyé dans une fureur qui se faisait silencieuse, Oscar écoutait les répliques d’Aveleen, ces cris de liberté qu’elle lui lançait. Ses yeux roulèrent une ou deux fois dans leurs orbites, agacé du raccourci que faisait la jeune femme et ce retournement de situation. Elle semblait bien décidée à lui donner le mauvais rôle, à lui coller sur le front un post-it de « méchant ». Qu’aurait-elle fait, elle, si les rôles avaient été inversés ? Qu’aurait-elle fait si, au lieu de la prendre dans ses bras le jour ou Oscar l’avait retrouvé au Styx, il ne s’était pas reculé, disparaissant dans une sombre ruelle, attiré par les bras plus chaleureux de quelqu’un d’autre ? Sourirait-elle ? Serait-elle conciliante, prête au pardon ? Ne ressentirait-elle pas la colère ? L’humiliation ?
Il ne put répondre à sa question que par un grognement sourd, presque lointain. Et elle continua, se permettant une nouvelle fois de l’analyser, de parler pour lui, pour son esprit, pour son cœur lourd. Elle ne comprenait pas. Elle ne savait pas. Elle avait eu à faire au mécène pendant des années, mais l’ami était bien différent. Et la vulnérabilité qu’il avait ressenti au bal d’Halloween n’était plus là. Il n’était pas prêt à se confier, il n’était pas disposé à se confier. Il n’avait pas confiance. Il avait été blessé une fois, il ne se laisserait pas aller à une autre plaie. Jamais. Elle continuait, sûre d’elle, ne cessait de se rapprocher, à mesure de son analyse. Elle s’approchait de lui, se hissait surement sur le bout de ses pieds, tant et si bien qu’Oscar pouvait sentir son souffle chaud sur sa peau. Il y avait un mélange d’arômes, de saveurs. Des relents sucrés d’un alcool pétillant, les résidus d’une fraîcheur de dentifrice ou d’un chewing-gum qu’elle aurait mâchonné pendant le mitraillement de la soirée.
Sans un mot, sans un mouvement parasite, le diplomate posa sa main sur l’avant-bras de la sorcière puis le fit doucement remonter le long de son vêtement. Il fit glisser ses doigts jusqu’à les caler sous le menton de l’Irlandaise, avec douceur et fermeté. « Et bien.. C'est presque amusant de se voir analyser par quelqu'un qui perds pied. » souffla-t-il, mêlant son haleine chaude à l’arôme d’un whisky vieillis en fus de bois à celle de son amie. « Parce que c’est bien de cela dont tes caprices s’agissent. Un appel à l’aide. Tu t’agites comme un poisson hors de l’eau, tu peines à respirer. Tu fuis. » Il parlait d’un souffle, la voix grave. Il était si près de son visage qu’il n’avait pas besoin de hausser le ton. « Il se passait quelque chose entre nous ce soir-là. Tu l’as senti. Et pourtant tu es partie. Parce que tu avais peur. » Il était étrangement calme, le regard félin clairsemé de pépites dorées fixé dans celui glacé de la jeune femme. « Tu dis que je suinte de colère, mais de ton côté c’est la peur qui te guide. La peur qui te tord les trippes face au monde injuste dans lequel nous vivons, dans lequel nos proches sont tués. Tu me reproche d’être aveuglé par la rage, mais elle me fait avancer. Elle me tient debout, me retiens de chanceler. Que fait-elle, ta peur, hormis créer des caprices, te faire rechercher un demi-danger pour te donner l’impression que tu respires ? » s’enquit-il, sans réellement attendre une réponse de sa part. Tout en parlant, sa main s’était fait caresse sur la pommette droite de la jeune femme. La mort de Marie avait changé beaucoup de chose chez Aveleen et celle de Pearl en avait fait de même chez Oscar. Malgré les épreuves, malgré les doutes, les tourments, les pas du diplomate l’avaient toujours mené vers l’Irlandaise, comme une ancre nécessaire à la stabilité d’un bateau à quai. Il était revenu, régulièrement, jamais très longtemps mais toujours certains de son cap. Et elle n’avait fait que fuir. Les cafés, fuis. La soirée au styx, la tentative avait été avortée. La soirée d’Halloween, le Moreno s’était amusé. La fuite, la colère, deux manières de panser des plaies qui ne se refermeraient pas avant des années, qui restaient à vifs, libérant de temps à autres des perles vermillon. « Comment pourrais-je espérer te garder près de moi si tu es si prône à fuir ? » demanda-t-il finalement, le regard légèrement adouci, gagné par une mélancholie saisissante.
|
|