Kerr ne se sent bien que dans le plus grand des silences, comme si sa vie avait déjà été trop marquée par le bruit, la folie et le désordre. Il avait eu son lot d’aventures, élever des dragons n’est pas de tout repos, et depuis son accident, il appréciait tout particulièrement le calme de la nature. Un calme tout relatif tant la nature était emplie de sons doux à l’oreille, le bruit du vent dans les feuilles, la rosée du matin qui s’écoule goutte par goutte des feuilles en hauteur, mais aussi les bruits plus discrets de certains petits animaux ou de certaines plantes dans les fourrés. Kerr n’aimait rien de plus que cela, se ressourcer au centre de la nature, sentir l’air frais et humide d’une matinée printanière contre sa peau. Certes, le vent est frais, et il peut le ressentir au plus profond de son âme, les herbes folles affolent ses mollets, à peine cachés par son kilt à carreaux, il marche sans but, il se promène, il profite. L’homme vert au cœur de la nature. Se ressourcer. Faire battre son cœur au rythme de la terre. Loin des hommes, loin de la vie urbaine, loin de l’empressement d’une société en ébullition. Kerr aimait enseigner, il aimait confier des plantes à des clients, ou même voir sa famille, mais il avait besoin de ces pauses essentielles dans sa vie. Parfois, il lui suffisait de s’installer dans son gros fauteuil au cuir usé, dans un brouillard bleuté créé par sa pipe à bulle. D’autres fois, en jardinant le potager au-dessus de sa maison. Ou d’autres fois comme aujourd’hui en sa baladant dans les bois. Le soleil était en train de se lever, il avait toujours été un lève-tôt, et il avait ainsi le privilège de découvrir les premiers rayons du soleil. Les couleurs étaient magnifiques, et la nature se réveillait devant ses yeux.

Mais ce matin, il sentait que quelque chose était différente. La nature semblait attentive, comme si un intrus se trouvait là. Autre lui, tant la faune et la flore étaient habituées à ses déambulations. Il n’était pas seul dans ces bois, et il fronça les sourcils quand il entendit des pas pressés non loin de lui. Mais il ne voulait pas rompre le silence de cette matinée, alors il laissa l’inconnu venir à sa rencontre, sans mot dire, quitte à le surprendre. Au détour d’un ruisseau, il tomba ainsi sur l’inconnu, accroupi pour sans doute renouer ses lacets. Kerr le connaissait. Ian McCavish, il l’avait vu peu de temps avant dans sa boutique, un homme mystérieux au comportement étrange. Mais le mystère a toujours son attrait.  Un mot, un seul, suffirait.

Bonjour.

Il n’était pas courant de tomber sur un autre promeneur de si bonne heure dans les bois, et pourtant, le regard clair, étonnamment clair, de Kerr venait de se poser sur un intrus, mais celui-là, il le connaissait. Il n’avait pas cherché à se cacher, ni à faire le moins de bruit possible, il était naturellement silencieux. Il ne voulait pas non plus surprendre l’homme qu’il savait auror, cela pouvait être dangereux, même s’il n’avait pas de baguette en main. Mais il ne rencontra pas de réaction défensive, au contraire, l’homme solidement bâti s’était simplement relevé et affichait déjà un large sourire. Auquel l’homme silencieux répondait par un sourire bien plus discret. Il n’était pas expansif. Il n’était plus expansif. L’accident qu’il avait eu voilà des années l’avaient rendu bien plus discret. Kerr n’était pas un homme bavard, il n’en était pas asocial ou désagréable, mais il aimait sa tranquillité, sa routine, le bruit de la nature. Ce qui était plutôt détonnant avec le caractère bien plus franc d’Ian. Mais il devait prendre sur lui, il devait essayer d’être un peu plus sociable, parler davantage, ne serait-ce que par politesse. Quand il s’agissait de fleurs, il n’y avait aucune difficulté, Kerr savait vendre ses plantes avec éloquence, il ne faisait pas qu’enseigner, il était aussi vendeur, et parfois il lui arrivait de parler plus longuement avec un client. Cela avait été le cas avec Spencer il y a des mois maintenant, et aujourd’hui avec Ian. Les deux avaient ce même trait commun : l’extraversion. La transparence des sentiments et des émotions. Les deux hommes se tenaient ainsi, en chiens de faïence, comme si ni l’un ni l’autre ne savait comment agir, comment réagir. L’un aurait volontiers donner sa main pour une poignée franche, l’autre lui aurait fait une accolade. Il faudrait du temps pour que les deux se mettent sur la même onde. Mais Kerr devait briser le silence avant qu’il ne devienne gênant.

J’ai l’habitude de me lever avec le soleil. Voir avant. Je suis tout aussi surpris de te trouver là. Mais c’est un plaisir.

Kerr l’a tutoyé. Et c’est quelque chose d’étonnant chez lui, mais il se sent en confiance. Ils ont presque le même âge, et ils ne sont pas dans la boutique, alors il peut se montrer plus « amical ». Mais Kerr ne comptait pas s’imposer, chacun avait ses motivations pour se balader ici dans ces bois. Lui le faisait pour prendre pied avec la nature, il en avait profondément besoin de cette nature. Si cela n’avait tenu qu’à lui, il aurait marché pieds nus, pour sentir la terre sous ses pieds. Ian avait peut-être d’autres motifs plus personnels, et peut-être aimait-il cette solitude naturelle que lui donnaient ces bois. Et pourtant…

Si tu veux, je ne veux surtout pas m’imposer. La nature écossaise est magnifique oui. Inspirante.

Kerr se penche alors qu’ils passent à côté d’un arbre épais comme un dragon. Il cueille une feuille d’une plante qu’il connait bien, aux reflets argentés. Cette feuille sent le poivre. La nature est toujours surprenante.

Et les odeurs sont impressionnantes… Tu te balades souvent tôt le matin ?

Kerr n'avait pas l'habitude d'être dérangé lors de ses balades matinales dans les bois. Il s'était habitué à la solitude, et quelque part c'était une compagne fidèle et silencieuse qu'il avait appris à apprécier et même parfois à regretter quand le bruit autour de lui venait à être trop fort. Il ne supportait pas, plus, les conversations bruyantes. Il aimait le silence, il aurait pu vouloir fuir la monotonie après son accident, tout le monde aurait compris qu'il souhaitait désormais profiter de la vie de manière pleine et entière, mais ce n'était définitivement pas son genre. Peut être que cela faisait partie de son évolution naturelle. Certains arbres se déploient de manière effrénée avant de se calmer et de se stabiliser, et l'écossais semblait être fait de ce bois-là. Il avait eu une jeunesse vivante et flamboyante, autant que le feu des dragons dont il s'occupait. Il n'avait pas non plus été le pire des fêtards mais il avait su profiter de la vie, de la bière de mauvaise qualité et de ses amis. Mais tout avait été chamboulé lors de son traumatisme, comme si au fond cette épisode lui avait rappelé l'essentiel, et ici l'essentiel c'était le retour à la nature. Il préférait la compagnie des arbres à celle des hommes, et l'odeur de la terre à celle d'une salle où le vin avait marqué de son odeur si caractéristique air ambiant. Kerr préférait la vigne au vin. Il préférait le bois vivant au bois mort. Pourtant, il ne prit pas l'irruption de l'autre homme avec hostilité. La nature ne lui appartenait pas. Il pouvait bien partager cette richesse avec un autre, tant que cet autre respecte la nature comme lui. Il n'exigeait pas des autres le même rapport moral et relationnel à la nature. Juste du respect. Les hommes se perdaient aujourd'hui dans le paraître social. Kerr préférait le naturel. A voir si l'australien saurait se montrer ainsi.

L'homme en tout cas était enthousiaste et semblait enclin à montrer ses sentiments. Plus que Kerr, mais ce serait demander à une pierre de rire ou à un arbre de pleurer.Kerr n'était pas un homme froid comme certains devaient sûrement le penser. Il avait simplement plus de mal que d'autres à se faire au rythme rapide des hommes là où il était plus à l'aise avec le rythme de la nature, bien plus lent. L'Écossais n'était pas bavard, alors il se contenta d'un hochement de tête avant que Ian ne le rejoigne pour qu'ils marchent côte à côte dans les chemins émeraudes du bois. Beaucoup de questions de la part de l'étranger, mais le rouquin avait l'habitude avec ses clients a l'Emporium.

Nous n'avons plus l'habitude de simplement contempler la nature, alors qu'il n'y a rien de plus apaisant. S'évader ici est bien plus sain qu'ailleurs. Cela permet de nous centrer sur le positif.

Kerr regarde un instant la feuille qu'il venait de cueillir, ses lèvres dessinent un fin sourire qu'il est rare de voir sur son visage

Oh cette feuille est commune. On en trouve énormément par ici. Elle a juste une odeur agréable. Je viens ici pour plusieurs raisons. Pour respirer l'air frais et humide de la première rosée. Pour éveiller mon esprit au rythme de la nature. Mais je connais déjà chaque plante ici, chaque arbre. Tous sont uniques.

L'Écossais n'avait pas besoin de faire ses preuves, il enseignait la botanique en plus de son emploi à l'Emporium, et avant cela il avait travaillé plusieurs années dans les cultures de sa famille. Ce qui était rare ici ce n'était pas la plante, c'était le lien avec elles. Un lien direct, d'égal à égal. Certains des mots résonnaient encore dans son esprit.

Tu fais souvent des cauchemars ? Il existe de nombreuses tisanes et infusions de plantes pour avoir le sommeil serein tu sais ?

Kerr n’était pas un homme expressif ni très démonstratif. Il fallait savoir interpréter ses sourires, ses rictus ou même tout simplement le froncement de ses sourcils, tout comme il est utile de savoir interpréter le jaunissement d’une feuille, ou la pâleur d’une fleur. Kerr est ainsi, il est plus végétal qu’animal, plus animal qu’humain. Son expérience de vie en ont fait l’homme qu’il est aujourd’hui, mais il faut savoir que s’il vous accepte dans son entourage, c’est qu’il a su voir en vous une étincelle qui lui plait et le rassure. Il l’avait trouvé avec Spencer, un homme qui était son exact opposé, un homme extraverti et qui revendiquait haut et fort son homosexualité. C’est cet homme qui avait poussé Kerr à l’accompagner à la Pride, mais suite à son départ précipité, l’écossais s’était de nouveau refermé sur lui-même et il faudrait la patience d’un homme compréhensif pour l’aider à refaire confiance. Trahi par les dragons, il avait désormais trop peur d’être trahi par les hommes. Mais il aura suffi s’un seul signe de tête pour qu’Ian se mette à marcher à son pas, à ses côté, sur ce sentier fait d’une terre fraîche et moelleuse. Leurs pas finissent par rentrer en cadence. Ils se coordonnent, comme leurs pensées peut-être. Kerr daigne accorder son premier sourire, car lorsqu’il s’agit de parler botanique, son cœur s’ouvre et son âme laisse entrevoir une faille dans laquelle il est conseillé de s’engouffrer. Pour toute réponse à Ian, l’écossais fait quelques pas vers lui, il en suffit que de deux vu l’écart qui les sépare, et plutôt que de poser la feuille dans la main de l’auror, il lui tend la sienne, avec la feuille dedans, directement à proximité de son visage, pour qu’il puisse sentir directement cette odeur si particulière.

Cette proximité semble mener à la confidence, car Ian lui confie le trouble de ses nuits, sous la forme de rêves et de cauchemars surtout. Pragmatique, le botaniste lui suggère des infusions ou des tisanes à base de plantes. Il aurait même pu suggérer d’en fumer certaines, qui apaisent l’esprit de manière extraordinaire, non pas qu’il en consomme lui-même, trouvant sa sérénité dans le travail de la terre, mais il a pu en avoir besoin dans le passé, quand son corps le retenait prisonnier dans un lit. Bien entendu, le vieux chêne ignorait l’origine des troubles de Ian, mais il pouvait toujours essayer de l’apaiser à sa façon.

Mais volontiers. Nous cherchons trop souvent le remède ailleurs alors qu’il est sous nos yeux.

Kerr dit cela en regardant le sol tout autour d’eux.

Parfois il suffit de se pencher pour trouver la solution à nos problèmes. Parfois même la solution est en nous, mais il faut nous aider à rentrer en communication avec ce nous, ce Dieu intérieur. Je pourrais te concocter certains mélanges intéressants si tu veux. On a tous nos démons, si je peux t’aider à vaincre les tiens, ça sera avec plaisir.

La sincérité, voilà ce qui faisait battre le cœur du botaniste, il était d’un naturel confondant, tant que cela pouvait parfois paraître étrange. Pourtant, chacun de ses mots est pesé, calculé. Rien n’est dit au hasard, car tout est naturel.

Kerr n’était pas habitué. La parole n’était pas, plus, naturelle chez lui. L’homme, qui un jour avait été un étudiant plutôt fêtard, bien que travailleur et attentif en cours, avait changé du tout au tout quand la vie avait failli lui échapper. Frôler de se près la grande chute dans l’inconnu sombre de la mort avait remué l’âme du sorcier. Les cicatrices de son dos qui le faisait tant souffrir aussi. Tout lui rappelait ce jour où il avait failli perdre la vie. D’autres en profitent pour par la suite la dévorer comme un ogre dévore des roches. Lui avait décidé de l’économiser et de se concentrer sur l’essentiel. Sa famille. Les plantes. La boutique de fleurs. Les cours. L’essentiel pour lui, c’était le strict minimum, et jamais il n’avait même osé penser trouver l’amour. C’était quelque chose d’inconcevable pour un homme qui avait mis si longtemps à accepter sa propre homosexualité. Un homme au visage dur et inexpressif, qui cachait tant qu’il le pouvait ses émotions, sa vie, ses sentiments, ses pensées. Il préférait passer des heures à nettoyer ses potirons que traîner dans les bars gays d’Inverness à la recherche d’un homme. Pourtant, le destin semblait en avoir décidé autrement avec Ian, en ce matin humide et frais dans la nature écossaise. Une agréable rencontre, même si l’esprit lucide de l’écossais le rendait aveugle à toute tentative de séduction de l’australien. Pourtant le contact entre leurs deux mains aurait dû l’interpeler. Alors que l’autre homme humait la plante qu’il venait de cueillir, leurs mains se touchaient, mais Kerr n’y voyait rien de confondant. Les choses de la vie lui étaient si étrangères. Les deux corps s’étaient rapprochés, leurs regards s’étaient percutés, et Kerr devait bien se l’avouer, Ian était particulièrement charmant, et au moins il n’était pas trop rentre dedans. Et heureusement, sinon le botaniste aurait sûrement fui. Ouvrir son âme n’était pas évident, il l’avait fait avec Spencer, jusqu’à sa disparition brutale. Il n’avait toujours pas compris ce qu’il s’était passé, mais l’expérience lui avait passé le goût de faire des efforts.

Kerr n’était pas potionniste, mais il savait les effets des plantes, et certaines infusions, certaines décoctions ou même certaines huiles essentielles avaient un effet plus que satisfaisant sans que l’on puisse parler de potions. Kerr n’était pas potionniste, il était botaniste. Il était souvent inutile de chercher dans le surnaturel ce que la nature pouvait guérir. Là était sa philosophie, qu’il proposa à Ian.

J’ai du temps libre dans les jours qui viennent, je peux regarder pour te faire un mélange assez rapidement si tu veux. Mais il faudrait que tu m’en dises plus sur ce qui te tourmente. La phytothérapie est comme la lithothérapie, il faut savoir se concentrer sur les nœuds pour les dénouer.  Ce sera gratuit voyons, pas de ça entre nous.

Par ça, Kerr parlait d’argent. Il ne faisait pas son métier par avidité pécuniaire. Mais par simple passion. Il n’avait besoin d’argent que pour ce qu’il ne pouvait cultiver. Pour le reste, la nature était assez généreuse.  La question du passé plongea le botaniste dans une réflexion si intense qu’il en perdit la parole quelques longues minutes. Ce n’est qu’arrivés près de la rivière qu’il choisit de s’y arrêter et de s’asseoir sur un rocher qui la surplombait, un rocher assez grand pour deux.

La vie m’a imposé certaines épreuves. Tu auras remarqué que je ne m’occupe plus de dragons désormais … je ne peux plus le faire.

La douleur psychique était trop intense pour qu’il puisse encore aujourd’hui se trouver proche d’un dragon sans avoir peur et le palpitant qui s’affole. Or, les dragons sentent la peur…

La curiosité de Kerr n’était pas malsaine, s’il posait une question à Ian, c’était par réel intérêt et soucis de sa personne. Kerr avait beau être un homme particulièrement peu sociable et volubile, cela ne l’empêchait pas d’être gentil et de se préoccuper des autres, même s’il trouvait qu’il était plus simple de prendre soin d’une plante que d’un homme, les relations sociales étant éminemment plus complexes à gérer à ses yeux. Son mutisme n’était pas une misanthropie, juste une pudeur qu’il affichait sans cesse, et il savait la quitter quand il jugeait cela nécessaire. Pourtant, l’australo-écossais évita la question, ou plutôt la reporta à plus tard, comme s’il s’agissait d’un très mauvais moment pour lui. Heureusement pour lui, l’écossais n’était pas du genre à insister, et il respectait la pudeur des autres. Lui-même n’avait jamais parlé de ses blessures et de son accident avec le dragon. Il avait mis sous silence cet épisode comme s’il était ainsi plus simple à gérer, même si c’était bien évidemment le contraire. Le silence parfois est plus simple à gérer que la parole. Kerr se contenta donc d’acquiescer, laissant le temps à son voisin de décider du moment le plus opportun. Le silence reprit alors ses droits et les enveloppa de nouveau, comme une fine brume enchantée suspendant l’instant présent tandis que les deux hommes s’avançaient entre les arbres jusqu’à atteindre la rivière en question. Kerr emmena Ian vers un coin de la rivière peu connu du commun des sorciers, un point de mire où ils auraient une belle vue pour continuer cette rencontre impromptue. Ian rejoint le botaniste sur le rocher, s’asseyant à côté de lui, cuisse contre cuisse, un contact qui déstabilisait Kerr même s’il refusait d’y lire quelque message que ce soit. Ses yeux gris voguaient à la surface de l’eau tandis qu’il expliquait certaines choses sensibles de sa vie.

J’avais une vraie passion pour les dragons … mais la vie m’a poussé à prendre un autre chemin, aujourd’hui je suis incapable de me confronter de nouveau à ces créatures. Alors je me suis réfugié dans mon autre passion, les plantes. Le contact avec la terre fertile, l’odeur de l’herbe, le bonheur de m’occuper de mon potager me suffisent désormais, je n’ai plus besoin de mettre ma vie en danger.

La vie, autrement dit cet événement si particulier où Kerr avait failli perdre la sienne, alors que les griffes d’un dragon femelle lui entaillaient profondément le dos, tandis que les flammes avaient failli le rôtir vivant. Ce n’est qu’après plusieurs mois de convalescence qu’il était sorti de son mutisme mais il avait gardé bien ancré en lui ce traumatisme, et désormais la simple odeur liée aux dragons réveillait sa douleur. Il avait fini par s’habituer à la bouse de dragon, mais il était incapable aujourd’hui encore d’utiliser des gants en cuir de dragon, y préférant des gants en cuir d’éruptif, tout aussi solide même si moins esthétique.

Sans rentrer dans les détails, j’ai eu un accident et … il m’est désormais impossible de les approcher de nouveau.

Kerr ne dirait rien de plus sur le moment. Il lui faudrait un peu plus de courage pour affronter ses propres démons, chose qu’Ian allait devoir faire. La mort d’un ancien fiancé. Les mots sont plein de sens. Rudes. Et importants. Kerr, en un instant, en apprenait bien plus sur Ian que jamais auparavant. Ainsi, l’homme à ses côtés aimait les hommes, suffisamment pour avoir failli en épouser un. Une audace que Kerr n’a jamais eu. Son expérience avec les hommes étant proche du néant. Les jambes de l’auror étaient comme prises de tremblement, tandis qu’il se confessait : c’est lui qui avait dû tuer son ancien fiancé. Kerr posa simplement une main réconfortante, une large main solide, sur le genou d’Ian, pour le ramener à la réalité.

Tu ne dois pas t’en vouloir. Le seul coupable c’est lui. Tu es la victime, pas le coupable. Aimer n’est pas des plus évidents… D’ailleurs, j’ignorais que tu étais ce type d’homme.

Comment être plus maladroit tout en restant gentiment naïf ?

Se remémorer le passé n’est pas toujours chose aisé, et il est parfois bien plus simple de suivre sa route sans se retourner, sans jeter un œil dans le rétroviseur de la vie, pour ne plus souffrir et seulement vivre en regardant en avant. Mais pour Kerr, cette chose-là est impossible, il est enfermé dans son passé, ce dernier lui colle à la peau comme une lichen vénéneux. Les cicatrices qu’il porte sur son corps sont le reliquaire maudit de son passé, cela lui rappelle également qu’il est en vie, et souffrir n’est pas un poids pour lui, c’est une preuve, la preuve qu’il a survécu, pourtant survivre ne fait pas tout, et aujourd’hui il a décidé de fuir définitivement le danger pour ne plus y être exposé. Pourtant, ce n’est pas ça qui l’empêche d’y penser. Kerr parle très peu de ce passé, de son passé, des dragons. C’est une douleur pire que ses cicatrices, car ce jour-là il a vraiment cru qu’il allait perdre la vie, de la part de ses amies, des dragons dont il s’occupait. Il n’avait jamais eu peur avant ça, au contraire, il se jouait de la peur des autres, comme celle de Ian à l’égard de ces reptiles. Ces créatures étaient incomprises, il suffisait de ne pas les brusquer, de ne pas représenter un danger et tout se passait extrêmement bien. Jusqu’à ce jour funeste. Mais l’écossais secoua la tête, comme pour dissiper d’invisibles nuages noirs autour de son esprit. Il avait quitté l’inquiétude pour se murer dans le calme paisible de la nature. La nature était réconfortante, et étonnamment la présence de l’autre homme aussi, même si ce réconfort avait davantage la saveur du feu et de la braise que de l’herbe couverte de rosée du matin. Il relève les derniers mots de l’auror.

On ne pense jamais être prêt jusqu’à ce que le choix ne nous soit plus permis.

Kerr n’avait pas eu le choix. Enfin, la vie ne lui en avait pas donné. Il aurait pu reprendre là où il s’était arrêté, suivre une thérapie de psychomagie, ou autre, mais il savait que rien ne réparerait cette blessure qu’il avait à l’âme. On peut soigner un corps, un esprit, mais une âme ? Un cœur ? Non, c’était impossible.

Mais je ne te souhaite pas d’y être confronté. Si tu aimes ton travail, et qu’il constitue pour toi un abri, profites-en. Même si ton métier est très dangereux. J’ai eu comme toi je pense l’amour du danger, de l’adrénaline. Mais cette soif m’est passée. A tous niveaux.

Même au niveau de ses relations Kerr est incapable d’aller au devant du danger. Nouer une relation est souvent source de danger, c’est se mettre en danger. Un cœur meurtri met du temps à panser. Kerr le savait bien, ainsi il comprenait la douleur intrinsèque d’Ian. Il pouvait le comprendre. C’était ainsi l’occasion rêvée de se confier sur autre chose. C’est le moment des confidences, et Kerr le sait, le contact humain peut aider à se relâcher, d’où cette main innocente sur la cuisse de son cadet.

Pardonne ma maladresse, je suis assez peu habitué à ces subtilités… Spencer a tenté de m’y initier, mais sans grand succès apparemment. Tu as l’air d’être un homme bien Ian, avec un grand cœur. C’est rare.

Kerr était sincère, il avait trop peu confiance en les hommes en général pour ne pas savoir apprécier ce genre de qualité humaine. Sans s’en rendre compte d’ailleurs, peut-être par le trouble causé par ces confidences, il s’est laissé allé à son propre aveu, Spencer. Une relation brève et intense, qui l’avait peut-être plus chamboulé qu’il ne voulait bien le laisser paraître.

Parfois, ce sont les gestes les plus simples qui ont le plus de signification, et c’est ce qu’avait fait Kerr par ce simple geste de la main sur la cuisse d’Ian, cela voulait lui dire qu’il était là, bien présent, et qu’il n’était pas complètement fermé aux rencontres. Un geste valait parfois mille mots, et cette expression était encore plus vrai dans cette situation. Kerr n’était pas habitué aux relations sociales, pas du tout. Il savait juste qu’à ce moment précis, il avait ressenti le besoin de poser cette main à cet endroit-là, et de nourrir un contact direct avec l’australo-écossais. C’était naturel, et le roux n’agissait que de cette façon : avec naturel. Il ne forçait jamais rien, il évoluait, il changeait, comme la nature. Un sourire naissait sur les lèvres de Ian, un sourire qui en provoqua un à son tour chez Kerr. De prime abord, l’écossais aurait juré que l’auror était un vrai diable, incapable de se poser calmement comme ils le faisaient actuellement. Et pourtant … À son tour, Ian posa une main sur la cuisse de Kerr, ce qui faillit provoquer son recul. Mais il prit sur lui et ne laissa rien transparaître. Ils étaient seuls, personne ne pouvait les voir, alors pourquoi pas ? Il ne sut comment réagir au compliment, alors il resta muet, préférant rebondir sur la dernière question, qui était pourtant très intime.

C’était le premier homme avec qui je tentais quelque chose oui… Aimer un homme n’a jamais été une évidence pour moi. L’amour tout court d’ailleurs. Il m’a sorti de ma zone de confort.

Et même s’il était parti sans laisser un mot, il ne pouvait que le remercier d’avoir ouvert cette brèche, pour éviter à Kerr une vie de solitude et de souffrance.

J’ai très peu d’expérience… beaucoup moins que toi en tout cas. Tu as eu beaucoup de relations sérieuses avant ton ancien petit ami ?

Etait-ce maladroit ? bien sûr, mais ces mots étaient surtout remplis de sincérité. Ces mots étaient sortis naturellement, comme la rosée du matin coule des pétales de rose. Kerr se doutait que Ian avait pû enchaîner les hommes, ce que lui n’avait jamais fait. Mais il ne lui en voulait pas, il était juste curieux, simplement curieux de voir comment on pouvait simplement vivre cette vie.

Ouvrir son cœur. Ouvrir ses pensées. Être un livre ouvert, ou tout simplement être naturel comme l’est toute plante à l’œil humain, ce n’était pas une évidence pour l’écossais. Lui préférait de loin les relations platoniques avec les fleurs plutôt que dévoiler son passé et ses émotions à un autre être humain. Peut-être parce qu’il n’avait jamais su communiquer avec les hommes, déjà étudiant, il parlait davantage avec les dragons. Et étonnamment la personne avec qui il avait été le plus proche hormis son ex petit ami n’était autre que Finnick Fraser, l’autre grand silencieux de la famille. L’un comme l’autre n’avaient jamais aimé l’exubérance. Kerr l’illustrait bien, et même s’il se dévoilait quelque peu à Ian, il le faisait du fait du contexte, de l’environnement et d’une confiance naturelle que l’australo-écossais déclenchait chez lui.

Les confidences n’étaient pas faciles, pourtant Kerr les faisait. Il n’avait rien à cacher à l’homme à ses côtés. Avouer n’avoir eu qu’un seul petit ami. Qu’aimer les hommes n’était pas une évidence. C’était beaucoup, et pourtant. Aujourd’hui, les sorciers pouvaient en parler librement, mais Kerr semblait sorti d’un autre siècle, alors même que sa famille était extrêmement tolérante. C’est lui, qui alors, n’avait pas été tolérant, envers lui-même. Alors il est plus facile de détourner la conversation vers l’autre, pour ne pas se séparer des dernières feuilles couvrant son intimité. Kerr écoute, attentif.

Avec Spencer… j’ai appris à ne plus avoir honte de moi. Ma famille n’a jamais eu aucune difficulté sur le sujet, mais moi oui. Je n’ai pas roulé ma bosse comme toi. L’amour n’était pas un intérêt à mes yeux jusqu’à récemment. Mais il faut croire que certaines expériences de vie démontrent que vieillir seul n’est pas la meilleure solution.

Kerr marque une pause, le regard jeté dans l’inconnu, dans un autre monde, comme s’il se perdait dans ses pensées. Pourtant, il reprend rapidement.

J’ai aussi appris à être ouvert aux relations humaines. Et pour te répondre, la naïveté aussi peut être mignonne, tant qu’elle ne fait pas souffrir. C’est ça le drame, une plante par exemple est simple à comprendre, alors qu’un homme, c’est bien plus complexe. Mais merci de ta franchise. Par rouler ta bosse, je suppose que tu veux dire que tu as eu plus de dix partenaires ?

La question ne cache rien, elle est naturelle, comme le reste de la conversation. Kerr n’a eu qu’un seul partenaire, il n’a jamais eu d’aventure légère. Alors il ne peut qu’imaginer la vie (de débauche) d’Ian. Mais il lui fait confiance, car il n'a jamais autant parlé qu'en cet instant.

Oui, plus intéressé par les dragons que par les filles. C’était l’explication que tous donnaient, Kerr le premier, lorsqu’il s’agissait d’expliquer pourquoi l’écossais restait célibataire. Il avait toujours été plutôt beau garçon, aimant travailler la terre et devant manipuler les dragons, il fallait une certaine forme physique. Même le plus calme des chênes a besoin de racines fortes pour ne pas tomber. Kerr avait grandi, il s’était fortifié, et longtemps la question de l’attirance physique n’en avait pas été une. Ou plutôt, il préférait ne pas se la poser, car il avait toujours eu du mal à accepter cette attirance qu’il avait pourtant vite ressenti envers les hommes. Cette sensation au début, parfois de honte, de donner la main à un homme, de le regarder comme un homme devrait regarder une femme. Il le savait aujourd’hui, tous ces préjugés étaient archaïques, mais il n’avait jusqu’à récemment peu ou pas été sensibilisé à cette question. Il était trop dans son monde pour cela. Spencer l’avait aidé. Sa famille l’avait aidé. Et il avait fini par s’écouter. Il n’était pas un homme expansif, et ne l’avait jamais été. Ses mots étaient rares mais justes. Tout se passait à l’intérieur, comme la sève qui nourrit l’arbre en dessous de l’écorce, c’est ainsi que ses pensées s’entrechevauchaient dans son âme. Vieillir accompagné certes est un idéal, un rêve, un objectif pour certains, mais pour Kerr ce n’était pas une évidence. Non, pour lui l’évidence c’était de vivre. Echapper à la mort redonne le sens aux priorités, et la solitude ne le gênait pas, il avait ainsi le temps de se consacrer à des plaisirs simples sans fioritures. Ce n’était pas lui qu’on trouverait à faire la fête dans une discothèque du centre-ville, il préférait passer la soirée devant un feu de cheminée à lire un livre ou juste à penser. Une sensibilité que son aspect physique rugueux ne laissait pas facilement deviner.

L’heure était à l’échange d’informations. La curiosité de l’écossais n’est pas perverse ou moralisatrice. Il ne juge pas les autres, chacun vit sa vie comme il la souhaite. Spencer, son ex, était un homme sexuellement très extraverti. Kerr se contentait d’écouter ce que voulait bien lui dire Ian. Il n’écoutait pas les rumeurs ou les ragots, il vaut mieux observer le roseau qu’écouter le vent qui se glisse entre ses tiges.

Dis-moi pourquoi cela devrait me déranger ? Ou être un frein ? Tu es libre de vivre ta vie comme tu le souhaites. Je n’ai eu qu’une seule vraie relation de mon côté. J’espère que ça n’est pas un frein pour toi non plus, que je vais rester sympathique.

Kerr était bienveillant, dans ses mots comme dans son visage qu’il offrait à Ian alors que le soleil se levait de plus en plus. L’heure bientôt pour ce dernier d’aller travailler. Pour Kerr aussi d’ailleurs, même si son cours n’était que dans l’après-midi.

Je te raccompagne oui. Il ne faudrait pas te mettre en retard. Je connais un raccourci si tu veux, mais fais attention, ça glisse un peu.

Kerr prend les devants, regardant fréquemment derrière lui pour vérifier que Ian le suive bien et ne glisse pas.

Kerr était comme un chêne face à la tempête. Il lui en fallait beaucoup pour le faire trembler et le déraciner de ses certitudes. Mais l’avantage était qu’il ne se formalisait pas de grand-chose. Il avait tellement l’habitude d’être différent des autres sorciers qu’il croisait, non pas asocial mais dans son monde, qu’il n’était pas choqué de ce que pouvait lui dire Ian sur son passé. Chaque être vivant a son passé. On peut deviner l’âge d’un arbre à ses nervures, à la qualité de sa sève, à la forme qu’ont pris ses branches. Pourquoi Kerr jugerait-il un arbre qui a décidé de laisser pousser ses branches dans un sens plutôt que dans un autre ? Chacun était différent, le rouquin était différent de l’australo-canadien, et c’était une bonne chose en soi. Ou en tout cas pas une mauvaise. Kerr le couvrait d’un regard doux, car la douceur faisait partie de son caractère. Il était une force tranquille, plus tranquille que le brouhaha des hommes, car son rythme était calqué sur celui de la nature, et il vivait sa vie ainsi depuis qu’il avait frôlé la mort. Pourquoi s’inquiéter pour si peu de choses qu’une vie sexuelle mouvementée quand certains frôlaient la mort tous les jours ? Kerr avait fui cette vie de danger, mais il se sentait en phase avec la nature et avec lui-même. Les deux hommes étaient différents, mais de la différence peut naître une grande richesse. Il suffisait de voir la délicatesse d’une orchidée qui poussait sur un arbre au tronc rugueux et aux racines noueuses pour comprendre que parfois la différence est le plus beau des mariages. En tout cas son manque d’expérience ne semblait pas non plus choquer l’homme. C’était entendu alors, il ne fallait pas s’arrêter à leurs fleurs, il fallait plonger au cœur des hommes pour en connaître la richesse. Kerr se contente de secouer légèrement la tête, tel un roseau sous une fine brise.

Avoir peur ou ne pas comprendre ne fait pas avancer. Je ne comprends pas tout, mais je veux avancer.

En parlant d’avancer, les deux hommes allaient devoir faire demi-tour et repartir de ce paradis boisé. Kerr se lève le premier, suivi de près par Ian, et ils choisissent de prendre son raccourci. Kerr l’avait prévenu, mais apparemment la prévention ne serait pas suffisante, et c’est en entendant un son étouffé derrière lui. Il se retourna tout naturellement pour voir ce qu’il se passait, et fut accueilli par un Ian qui lui tombait dessus. Kerr n’eut que le temps de l’attraper pour amortir leur chute, quitte à se retrouver dans une position extrêmement compromettante et intime. Leurs bouches n’étaient qu’à quelques millimètres l’une de l’autre. Le temps semblait s’interrompre pour les laisser profiter du moment. Ian finit par rougir violemment en essayant de s’excuser maladroitement. La tension était palpable. À tous moments ils auraient pu s’embrasser. Kerr en tout cas ne pouvait pas faire grand-chose, vu sa position. Mais il ne se passa rien. Rien car les deux étaient peut-être encore trop timides. Pourtant, l’envie était là, et elle était partagée par leurs regards. Ian finit par se relever en aidant le rouquin à en faire de même. Cette proximité a détendu Kerr.

Je n’ai rien de cassé ne t’inquiète pas, je ne suis pas en sucre. Ca arrive, il faut regarder où on met les pieds ici. Allez, tu me suis ?

Kerr tend la main à Ian pour continuer. Ainsi, il pourra le guider sur le chemin. Ainsi, leurs mains resteront en contact, paume contre paume. Peut-être même qu’un baiser sera possible avant la fin de cette promenade, pour souhaiter bon courage à Ian pour sa journée. Ils finissent par sortir du sentir et ils arrivent à l’entrée de la forêt. Kerr se retourne.

Bon et bien je crois que nos chemins se quittent là … mais on peut se refaire une balade bientôt si tu veux ?

Et là, alors même que Kerr n’avait plus eu cette audace depuis qu’il avait quitté l’enclos des dragons, sa main quitte celle du blond pour gagner sa joue et qu’enfin leurs lèvres se joignent avec douceur.

Ce n’était pas un matin comme un autre. Ce matin-là, Kerr avait rencontré un homme et apprit à le connaître, chose qu’il n’avait pas l’habitude de faire. Pourtant, il avait apprécié cette rencontre, Ian avait l’air d’un homme sachant ce qu’il voulait, et pourtant très respectueux. Les deux sorciers avaient leurs blessures, certes, mais ils avaient l’air de s’entendre, et de s’apprécier, ce qui était déjà un grand pas. Le rapprochement avait été accidentel pourtant, mais ni l’un ni l’autre n’en avaient semble-t-il été incommodé. Le soleil lui ne les attendait pas, et il se levait inexorablement, rappelant Ian à l’ordre. Il allait devoir s’éclipser pour aller travailler, et Kerr avait lui-même ses propres tâches à effectuer. Rapidement alors, ils quittèrent le sentier pour revenir à la vie normale, comme si cette promenade en forêt avait été une pause hors du temps et de l’espace pour qu’ils puissent apprendre à se connaître. A peu de choses près, on aurait pu se croire dans un film de Noël, même si ce n’était pas la période.

La balade avait vraiment été agréable, alors l’écossais proposa tout naturellement à Ian d’en faire une nouvelle, bientôt. Sans tomber cette fois-ci bien entendu. Une proposition que l’autre homme sembla envisager avec plaisir. Un plaisir qui était peut-être dû au baiser que Kerr venait de lui donner. C’était étonnant de sa part, et même sacrément audacieux, mais pourquoi pas après tout ? Il fallait bien se lancer parfois dans le vide, en se fiant à son instinct, ce qu’il avait fait et Ian ne l’avait pas repoussé fort heureusement. Mais il ne faudrait pas aller trop vite avec Kerr, il avait besoin de temps, il n’était pas habitué aux relations de couple, et Ian et lui étaient encore très loin d’en former un. Le baiser fut retourné, et l’australo-écossais se montra un peu plus téméraire. Mais Kerr ne protesta pas, au contraire.

Oui tu peux passer, je serai sûrement avec des clients, mais ça permettra de trouver une date. Nous avons le temps après tout. Je te souhaite une bonne journée également, à plus tard.

Surtout, ne pas se précipiter. Kerr ne voulait pas s’amouracher trop rapidement, après tout l’amour c’était comme une graine, il lui fallait un terreau fertile, des nutriments et de l’eau pour s’épanouir, grandir et se fortifier au fil du temps. Et le botaniste était de ces hommes qui aimaient prendre son temps. Jetant un dernier regard vers l’endroit où se trouvait Ian quelques instants plus tôt, l’homme de granit reprit son chemin pour rentrer tranquillement chez lui, où il alluma un bon feu de cheminée devant lequel il put fumer sa pipe en toute sérénité, l’air se teintant d’une fumée bleue habituelle. Puis ce fut à son tour de se préparer et il transplana pour se rendre à l’Emporium, où une longue journée l’attendait.

Fin.