Je lis et relis ces mots de la part de ma cousine Sophie. Il est vrai, cela faisait bien longtemps que vous n’aviez pas pris le temps de prendre le thé, à croire que vos vies respectives sont si occupées qu’il est difficile de prendre du bon temps, mais la réalité est toute autre. Vous n’êtes pas une famille classique. Vous ne vous aimez pas d’un amour inconditionné, vous avez été élevés dans une idée bien précise de la famille : la famille c’est la réputation, c’est un apparat, c’est une loyauté, mais ce n’est pas de l’amour, et pourtant, avec Sophie vous êtes à la fois très semblables – par votre goût pour la médicomagie, comme les membres les plus respectés de la famille, votre érudition, votre force de caractère – mais aussi très différentes – Sophie n’ayant pas cette obsession pour Grindelwald comme je peux l’avoir. Là où ma cousine a un rapport difficile avec l’alimentation, j’ai mes propres addictions. Le sport. Les études. Le sexe. Deux cousines avec leurs failles, leurs faiblesses, leurs fêlures mais avec une éducation presque commune. C’est la fin du mois de juin. Je viens de fêter mon anniversaire, et ma cousine m’invite pour le thé. C’est parfait, cela nous permettra de passer du temps toutes les deux pensais-je alors que j’accrochais de délicates boucles d’oreilles pendantes couleur or, de quoi rehausser mon teint et mes yeux clairs. Il fait déjà chaud pour la saison, alors j’ai mis une robe somme toute estivale, d’un beau jaune pastel, monté sur des stilletos noirs.

L’elfe de maison pathétique de ma cousine m’accueille et accourt prévenir sa maîtresse. Cette créature dénote avec la beauté des lieux. Ma cousine a du goût. Je me demande si son époux sera là. Leur mariage a été arrangé, mais je dois avouer qu’il est particulièrement charmant. Un homme à croquer, aux boucles blondes et aux yeux aussi clairs que les miens. Mes talons claquent sur le marbre blanc. Ma cousine est vêtue bien plus simplement, une robe bohème et une absente criante de chaussures. Comme quoi on peut habiter une belle maison et y vivre avec simplicité et négligence. Notre grand-mère aurait sûrement trouvé à redire sur cette tenue. Je dévoile toutes mes dents. Je suis réellement ravie de la voir, j’aime les gens, et j’apprécie ma cousine, mais notre éducation donne toujours cet accent surfait de la haute société à chacun de nos échanges.

Cousine Sophie, je suis ravie de te voir, cela fait si longtemps.

Je la prends dans mes bras, avec amitié et élégance. Même quand nous ne sommes que deux, nos corps semblent se répondre en concurrence. Je suis légèrement plus grande qu’elle.

Mais tout me convient ma chère, je suis certaine que tu as su bien arranger la véranda et le jardin attenant, tu as du goût pour l’aménagement c’est évident. Nous y serons à l’aise, j’en suis certaine. Nous avons tant de choses à nous raconter toutes les deux ! Ton mari n’est pas là ?

Je l’ai prise par le bras, et nous nous dirigeons vers cette véranda que cousine Sophie semble ravie de m’exposer, comme pour montrer toute la beauté de sa demeure. Notre famille semble obsédée par la démonstration de notre bon goût et de notre richesse. Je sais que lorsque viendrait mon tour de l’accueillir chez moi, tout devra être parfait, de la disposition des œuvres d’art à la texture de la crème au beurre sur les cupcakes que je ne manquerai pas de mettre en compagnie du thé. Ou des macarons, je ne sais encore.

Nous ne nous attardons pas dans le hall, que déjà cousine Sophie m’indique la direction. Elle sait se montrer directive, ce qui est peut-être dû à ce manque d’amour familial qui nous a tous rendu si dysfonctionnel dans cette famille, mais c’est là le lot de toutes les familles sang-pur me semble-t-il. La pureté a un prix. Pourtant, j’étais sincère en la complimentant sur son intérieur, elle a du goût, mais j’en ai aussi, et il me tarde de pouvoir également mettre en avant mon intérieur plus tard, me contentant actuellement d’un simple duplex, certes bien agencé, mais mon mariage à venir indiquera l’achat d’un manoir – obligatoire vu nos lignées – avec plusieurs chambres pouvant accueillir des enfants, et je ne manquerai pas alors de faire construire une véranda encore plus belle que celle de ma cousine. Je suis néanmoins déçue, il manque la plus belle plante de cette maison, Roman. Le mari de Sophie est particulièrement séduisant, Passer l’après-midi ici en sa compagnie aurait été d’autant plus plaisant. Mais je me contenterai de ma cousine.

Je m’installe sous cette véranda qui bénéficie il est vrai d’un ensoleillement magnifique, je ne peux que le reconnaître, mais je fais mine de ne pas trop m’ébahir devant cette pièce, il ne faudrait pas que cousine Sophie s’enorgueillisse trop. Je m’installe, jambes croisées, dos droit, observant d’un œil pétillant le nécessaire à thé et les différentes assiettes de porcelaine accueillant des mignardises sur la table. Nous sommes à peine installées et pourtant les hostilités commencent déjà…

Je vais très bien je t’en remercie, l’été s’annonce radieux. Je vais d’ailleurs sûrement passer quelques jours chez bonne maman, avant de continuer par la côte d’azur.

Ma voix reste constante même si j’ai bien conscience du sarcasme de sa question.

En effet, j’ai pu faire sa connaissance, mais à vrai dire je le connaissais déjà un peu, c’est le petit frère de Calliope, alors je l’ai déjà aperçue à quelques reprises, et j’ai déjà côtoyé les aînés de la famille. Père a jugé que cette union pourrait être bénéfique pour nos familles, je ne doute pas de sa clairvoyance.

Sophie aussi avait été contrainte pour son mariage, mais avait hérité d’un joli lot et -en tout cas de manière extérieure- elle avait l’air épanouie. Je n’avais pas encore pu discuter en tête à tête avec mon fiancé, mais je comptais bien mettre les choses au point très rapidement.

Mais il me semble que c’est ton voisin non ?

Un Lacroix averti en vaut toujours deux…

La montagne, c’était d’un barbant. Non pas que je n’aime pas nos chères Alpes, mais je préférais de loin y aller l’hiver, quand on pouvait faire la fête dans notre chalet, et danser dans la neige en répandant le champagne de nos coupes un peu partout, avant de se plonger dans l’intimité d’un bain bouillonnant sous les étoiles. J’aimais peut-être beaucoup plus le luxe que ma cousine et son mari, mais le luxe m’allait bien mieux. Je ne sais pas comment est Hélios, mais il allait devoir s’habituer à mes goûts luxueux. Et à mes goûts tout court. Vu son âge et le peu d’expérience qu’il devait avoir, j’allais devoir l’éduquer dans bien des domaines, quelle plaie. A croire que les hommes sont toujours en retard sur nous. Un gentil garçon ? Boring. Si seulement père avait eu la bonne idée de me fiancer à un homme plus intéressant et expérimenté, mais soit, ce sera le bébé Muller ;

Un gentil garçon, sans doute, mais j’espère qu’il a hérité du caractère d’une partie de sa famille. Peut-être sera-t-il une bonne surprise, comme Roman…

Je ne le cachais pas, je trouvais le mari de ma cousine vraiment charmant. Et c’était peut-être le fait qu’il soit marié à ma cousine qui me le rendait si charmant d’ailleurs, comme si l’alliance a son doigt signifiait plus que son propre physique. J’étais tout aussi surprise que Sophie, je ne m’attendais pas à une alliance avec les Muller, je pensais même que j’allais pouvoir choisir moi-même mon époux, mais apparemment je n’aurai pas cette joie, cela aurait été trop beau. Mais elle a raison, les Muller ont été à l’origine de nombreux scandales, un des frères d’Hélios a épousé une sang-de-bourbe et lui a fait des bâtards, un de ses cousins a des enfants hors mariage, et une de ses sœurs est mariée à un semi-vampire … Pourtant, dans cette même famille se trouvait Calliope, que je chérissais vraiment. Il fallait savoir distinguer le bon grain de l’ivraie.

Qu’il soit à la hauteur ou non ne changera pas grand-chose. Nous avons des rôles à tenir, et je saurai lui faire tenir le sien.

Je sais très bien que je vais devoir porter la culotte dans cette future relation, mais cela ne me dérangeait pas, tant qu’il me laissait vaquer à mes occupations secrètes sans mot dire, on s’entendrait convenablement. Un mariage n’avait pas besoin d’amour pour fonctionner, ce n’était qu’un accord de convenance. Alors que Sophie m’observe le nez dans sa tasse, j’entends du bruit derrière moi. Ce charmant Roman. Toujours aussi élégant et distingué. Je lui tends ma main avec plaisir, les joues un peu roses.

Si j’avais su que tu serais là, j’aurais fait un effort pour me faire belle Roman…

Ca serait oublier le fait que je mettais « toujours » du temps pour m’apprêter. Mais répondre à la flatterie par de la flatterie, c’est ce qu’il y avait de mieux à faire, surtout pour agacer ma cousine. Roman était inaccessible, je le savais, mais je ne perdais pas espoir. Mon ambition était presque plus grande que ma libido. Je détourne légèrement les yeux devant toute cette mièvrerie. Je coupe court à cette effusion de sentiments.

Roman, tu tombes bien, nous prenions le thé, tu te joins à nous ? Tu sais à quel point ta compagnie est agréable…

Je ne peux m’empêcher d’embêter ma cousine quant à son mari. Roman a quelque chose qui le rend extrêmement attirant à mes yeux : il me résiste. Vous connaissez le dicton, suis moi je te fuis, fuis-moi je te (pour)suis. C’est exactement ce petit jeu-là qui me mène à être aussi assidu dans mes assauts contre Roman. Le fait de pouvoir l’avoir me frustre et le rend encore plus désirable. Alors je ne peux m’empêcher de faire une référence au bon blond, alors même que l’on parlait de mon fiancé. Je suis sans gêne. D’ailleurs, quand on parle du loup, on en voit la queue (ou presque), et à peine parle-t-on de lui que Roman apparaît dans la pièce. Je ne manque alors pas de minauder pour que le bel homme reste avec nous. Sophie se joint à ma demande, pour que Roman reste avec nous. Cela peut être marrant, voir le malaise de l’un et la gêne de l’autre, alors que pour moi ça ne sera qu’un divertissement bien venu pour l’heure du thé. Et bien entendu, il se joint à la conversation sur Hélios. Tout le monde en parle tellement depuis l’annonce des fiançailles que publier les bans ne sera peut-être pas nécessaire. Il ne manquerait plus que d’avoir le Chineur qui écrit sur nous et toute l’université sera au courant. Cela ne me dérange pas, au contraire, j’aime être au centre de l’attention. Roman se joint à nous, et prend une tasse de thé également. Je suis pourtant légèrement piqué par une de ses phrases.

Ne t’inquiète pas, notre mariage fera oublier à tous le pseudo-faste du mariage Wakefield-Hangbé. Les Lacroix aiment briller pendant ces événements, et Grand-Mère mettra tous les moyens nécessaires pour nous, j’en suis persuadée. En effet, c’est le benjamin, non pas que je m’attendais à être proposé en fiançailles à ce gamin, mais Siegliede doit avoir ses raisons…

Je bois à mon tour une gorgée de thé.

Je ne suis pas encore assez familière de leur famille, mais j’ai l’impression qu’il y a un certain manque d’autorité chez eux. Sur les trois branches, j’ai l’impression qu’il n’y a que celle venant du Japon qui reste droit dans ses bottes. J’aurais mille fois préféré Octave ou Caliban, ou même Sytry, ils sont plus mûrs et semblent savoir ce qu’ils veulent. Mais j’ai l’impression que ce sont aussi les moins malléables, peut-être que Kenneth a voulu s’assurer la docilité du fiancé ? ou qu’Octave a certaines « difficultés » que les Muller préfèrent cacher…

Stérilité ? Homosexualité ? Impuissance ? Il est vrai que ce fils Muller n’était toujours pas marié, là où Hélios le serait bientôt, les rumeurs ne feront que courir s’ils n’y trouvent pas une solution… déjà que les trois aînés semblent eux aussi avoir des problèmes avec le mariage, il devait y avoir veracrasse sous roche. L’un avait eu trois enfants hors mariage, l’autre s’était marié à une sang-de-bourbe et le dernier faisait traîner ses fiançailles depuis trois ans. Curieux.

Toi qui es journaliste, tu n’aurais pas quelques ragots sur leur famille à nous révéler ?