News is only the first rough draft of history ft. @Roman Duvall | 09.11.22

L’aiguille de la pendule accrochée au mur indiquant l’heure à tous les employés de la Chouette Enchaînée semble faire demi-tour. Voire s’arrêter. Maximilien a les yeux rivés dessus depuis plus de cinq minutes maintenant. Des minutes qui lui paraissent être des heures. L’attente est interminable, en témoigne son genou qui n’arrête pas de s’ébranler sous le coup de son stress. Stress ? On peut dire anxiété, à ce stade. Arrêtant de mordiller l’ongle de son pouce, il jette un œil à sa propre montre, comme pour vérifier que l’heure sur l’horloge est exacte. Elle l’est, bien évidemment. Voilà quelques jours qu’il a rendu son article sur le vieux MacArthur au reporter en chef de son lieu de stage et ne pas avoir de nouvelle n’équivaut pas à une bonne nouvelle, dans ce métier. L’étudiant sait avoir fait son maximum pour délivrer un papier cohérent et vendeur, sans qu’il ne se repose sur des mensonges. La vérité, c’est tout ce qu’il souhaite. Mais plusieurs fois, il a dû revoir certaines de ses phrases, qu’il a jugé lui-même trop faibles ou bancales. Des tournures regrettables qu’il a su corriger à temps, et d’autres non. Il y pense à cet instant, visualisant sur son smartphone l’article en question qu’il a pris soin de récupérer sur l’objet moldu afin de ne pas le perdre. Alors qu’il le relit, il se taperait la tête contre les murs. Plus ses yeux parcourent les mots et plus il trouve ça nul. Qu’est-ce qu’il fait encore à la Chouette Enchaînée ? Il ne risque pas d’y rester très longtemps après avoir rendu une telle daube. Roman, dont il attend l’heure de rendez-vous avec impatience et peur, va tout simplement lui dire de s’en aller. Que leur collaboration s’arrête ici. Qu’il ne sera jamais journaliste avec un si maigre talent - voire pas du tout. Toutes les réponses du rédacteur en chef lui viennent en tête et bien sûr, aucune n’est positive. L’optimisme de Maximilien a bien du mal à éclore dans cette situation. Le Français soupire une nouvelle fois, sourit à un reporter qui passe devant et lui assure, avec une confiance qu’il ne possède pas, qu’il a forcément fait du bon boulot. Personne ne se plaint jamais de lui. Il n’est pas insolent, ni arrogant et exécute les tâches même les plus minimes et insignifiantes sans broncher. C’est un travailleur, oui… mais cela ne suffit pas.

Voilà, il est quatorze heures. L’heure de vérité, à proprement dit. La ponctualité de Roman, semblable à la sienne, ne se fait pas attendre et la porte de son bureau s’ouvre à la seconde près. Maximilien quitte la chaise sur laquelle il s’était installé pour patienter et entre dans la pièce avec plus de fébrilité que la dernière fois. La porte se referme magiquement derrière lui et il s’approche du bureau de Roman, dont le visage ne lui indique pas les propos qu’il va bientôt lui tenir et sa conclusion sur son futur à la Chouette Enchaînée.

« Bonjour, Roman » Il doit se forcer à l’appeler par son prénom car c’est ce qu’il souhaite, même si cela lui paraît étrange et peu respectueux. Après invitation, il s’installe à la même place que lors de leur dernière entrevue et lie ses doigts entre eux pour ne pas en laisser voir le tremblement. « Encore merci de m’avoir donné cette opportunité. Avant que vous ne fassiez votre conclusion sur mon article, je tiens à dire que j’ai réellement donné le meilleur de moi-même - ou de mes connaissances et capacités actuelles en tout cas - et que peu importe le résultat, c’était très enrichissant pour moi. » Il aime à croire que même s’il doit quitter le Journal aujourd’hui, il aura appris quelque chose.

News is only the first rough draft of history ft. @Roman Duvall | 09.11.22

Maximilien fait partie de ces gens qui pensent qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre, que l’on passe toute sa vie à affûter ses connaissances et ses capacités dans des domaines qui nous plaisent, ou qui ont de l’importance à nos yeux. Qu’il ait fait un mauvais article en ayant assuré avoir donné le meilleur de lui-même ne veut pas dire qu’il ne peut pas faire mieux, au contraire. S’il le souhaite, s’il s’en donne les moyens, il peut devenir meilleur et surpasser ses travaux précédents. Mais pour cela, il faut que Roman lui donne une chance. En croisant son regard, il ne sait dire si le rédacteur en chef est satisfait ou non par le papier qui se trouve devant lui, bien à plat sur le bois de son bureau. L’étudiant s’installe et cherche aussitôt à cacher l’hésitation qui secoue ses membres inférieurs à un rythme presque frénétique, mais régulier. Malgré toutes ses tentatives, il ne parvient pas à déchiffrer l’expression de Roman et décide donc de laisser tomber. Peu importe ce qu’il pense voir, c’est ce qu’il dira qui va réellement compter dans cet échange. Maximilien redresse le menton, essaye d’adopter une posture confiante quand bien même ce n’est pas le sentiment dominant en lui. Il a en mémoire les conseils de son grand-père sur la faiblesse qu’il ne faut pas montrer face à un adversaire. S’il n’est pas certain de trouver cela juste, sur le moment, le Français ne voit pas d’autre solution que de l’appliquer.

Plutôt que de lui faire ses conclusions, Roman débute par un état des lieux de son expérience en tant que journaliste. Il aurait dû s’y attendre et pourtant, la question le désarçonne. Elle n’est pas compliquée, cependant. Maximilien n’a aucun mal à se plonger dans les souvenirs et les sentiments qu’il a ressenti lorsqu’il a été autorisé à entrer dans le bureau du Doyen et Directeur de l’Université Hungcalf. Une pression à nulle autre pareille. Il en a sué.

« C’était intéressant, bien entendu. MacArthur est un personnage très impressionnant, qui a beaucoup accompli depuis sa prise de poste. C’est aussi quelqu’un de méfiant et j’ai bien vu qu’il se retenait de dire certaines choses lors de ses réponses à mes questions. » Il hésite un moment à faire part de son extrême inconfort à l’idée d’obtenir du directeur des aveux qu’il n’était pas prêt à entendre de la part d’un tel homme. Et du fait que sa présence l’impressionnait tant qu’il a failli, une ou deux fois, perdre ses moyens. Ce ne sont pas ces commentaires qui pousseront Roman à le prendre dans son équipe, donc Maximilien se tait. Au fond, il sait que le blond se doute de quelque chose.

« Un peu plus d’expérience dans le domaine m’aurait permis de l’amener à se confier à moi mais il me voit essentiellement comme l’un de ses étudiants. Le respect qu’il avait pour moi s’arrêtait là. Néanmoins, je suis plutôt satisfait de la conduite de mon interview. Il n’y a pas eu de blanc gênant lors de la discussion et dans les faits, j’ai obtenu ce que j’étais venu chercher. Qu’en avez-vous pensé ? »

News is only the first rough draft of history ft. @Roman Duvall | 09.11.22

La prise de rendez-vous n’a pas été des plus faciles. Maximilien se dit que c’est parce qu’il est plutôt bon élève malgré la difficile année passée et que MacArthur connaît son grand-père qu’il a accepté de le recevoir dans son bureau. Mais n’est-ce pas là les avantages dont doit tirer un journaliste ? Ses connexions, ses relations… tout ce qu’il faut pour obtenir une interview de la personne désirée. Il ne dira pas que ça a été facile mais ça aurait pu être beaucoup plus complexe pour lui. Il se sait chanceux d’avoir eu ce statut plutôt qu’un autre.

Maximilien veut savoir ce qu’il en a pensé, s’il estime ou non que son papier est bon. Surtout, il veut connaître son sort mais Roman ne semble pas disposé à lui donner cette information. La même histoire qu’avec le doyen se répète face au rédacteur en chef. C’est à lui d’apprendre à soutirer de l’autre les informations qu’il recherche. L’anglais est plutôt doué à ce jeu-là, il doit bien l’admettre (sinon, comment aurait-il pu arriver jusqu’à ce poste ? Cela coule de source.) Il ne laisse rien paraître et la seule chose qui fait encore espérer Maximilien, c’est le temps. Plus Roman lui pose de questions sur sa méthode, plus il se laisse penser qu’il a apprécié ce qu’il a lu et que, de ce fait, son poste est assuré dans l’entreprise. C’est encore à confirmer, cependant… Gagner son respect est déjà une grande étape et il ne veut pas mettre la charrue avant les bœufs. Les compliments que Roman a pour lui ne sont peut-être qu’une façade. La caresse avant le coup de couteau.

« Il ne m’a rien dit à ce sujet mais j’ai senti qu’il était attendu ailleurs et qu’il voulait partir honorer son rendez-vous. Ayant terminé de poser toutes mes questions depuis quelques minutes, j’ai tout simplement conclu sur des remerciements pour sa disponibilité. Je me suis dit que lui faire sentir qu’il était important le rendrait plus confiant à l’avenir envers moi, si je devais l’interviewer de nouveau. » Une bonne tactique ? Pas avec tout le monde, Maximilien le sait bien. MacArthur a dû comprendre que ses questions n’étaient pas vraiment méchantes et qu’elles n’avaient pas pour but de l’humilier publiquement. Le Français préférait la manière douce et subtil à la manière forte. Prendre en considération les réactions du doyen quant à sa façon de procéder lui paraît essentiel s’il veut, à l’avenir, reproduire ce schéma avec une interview un petit peu plus engagée (politiquement, notamment).

« Ses derniers mots à mon égard ont été des compliments. Il m’a félicité d’avoir choisi ce cursus qui, selon lui et avec un peu de travail pratique, me correspond vraiment. » Inutile de dire qu’il a été surpris par les propos de MacArthur, persuadé d’être invisible à ses yeux, comme tant d’autres. Un étudiant dans l’océan de l’université qu’est Hungcalf. À se demander s’il n’a pas un œil attentif sur chacun des élèves passant par cette école, ce qui représente un travail conséquent. Mais Maximilien n’est pas là pour faire l’éloge du doyen.

« Je pense qu’il sait que vous êtes derrière cette initiative. »

News is only the first rough draft of history ft. @Roman Duvall | 09.11.22

Et il ne doute pas un seul instant de l’intelligence de MacArthur. Pour diriger une université de cette ampleur dont la réputation est quasiment irréprochable, il faut savoir faire preuve d’une incroyable perspicacité et avoir l’esprit le plus aiguisé possible. Il commence de plus en plus à penser que Roman fait partie de ces personnes-là, à l’ambition rondement menée et à l’œil attentif. Il est donc naturel de penser que la Chouette Enchaînée est entre de bonnes mains, même si celles-ci ne sont pas encore totalement connues. Patient, il est venu le temps d’aborder le résultat de son interview et Maximilien se tend, prêt à entendre l’avis et les potentielles corrections du rédacteur en chef sur son papier. “En l’état c’est publiable” ; le Summerbee relâche son souffle, presque soulagé. Ce n’est pas le Nirvana - ce ne peut pas l’être si vite - mais le résultat est prometteur et il ne peut en être plus fier. Il a réussi. Il a rendu quelque chose de viable, de cohérent et surtout, signe de se retrouver dans un journal aussi répandu que celui-ci. Maximilien cache mal la joie que cela lui procure d’être reconnu par Roman comme un partenaire de travail méritant. Il obtient enfin d’un professionnel la reconnaissance qu’il recherche tant et cela n’a pas de prix. Son sourire se fait discret mais le sentiment qui se dissimule derrière, lui, est immense, presque trop imposant pour son caractère.

« Vraiment ? » Il ne devrait pas paraître étonné. Un personne confiante dans son travail ne le serait pas et en posant cette question inutile, Maximilien fait preuve de son manque de confiance en lui. Chassez le naturel, il revient au galop… « J’en suis vraiment honoré, Roman. Merci. » Il doit au moins le remercier, c’est la moindre des choses. Après tout, il le prend sous son aile et lui donne l’opportunité de devenir quelqu’un dans le métier. Ce n’est pas à prendre à la légère. Désormais, le Summerbee ne prend plus rien pour acquis. Il suit du regard les mouvements du journaliste et son cœur bat un peu plus vite à la vision du lot de quelques feuilles qu’il sort de son tiroir. Il sait ce que c’est. Il l’attendait. Il a travaillé pour ça.

« Toujours, oui. » Patiemment, il attend que Roman lui tende le contrat afin qu’il puisse le lire dans ses grandes largeurs. Maximilien, férocement entraîné par son grand-père, porte particulièrement attention à certaines clauses importantes telles que la rémunération, pour n’en citer qu’une. Lorsqu’il a suffisamment inspecté le document, il prend son stylo, paraphe chaque page et appose sa signature à la fin.

« Le temps de m’organiser avec mon précédent travail, je pourrais commencer à partir de la semaine prochaine, dans les faits. Est-ce que cela vous va ? »

News is only the first rough draft of history ft. @Roman Duvall | 09.11.22

Il ne peut pas quitter la Moufette comme ça, sans crier gare et au dernier moment. Cette opportunité, il en a parlé avec la gérante De Booij et elle sait pertinemment qu’il est susceptible de partir d’un jour à l’autre. Et ce jour est arrivé. Une fois quitté la Chouette Enchaînée, il ira directement la prévenir pour prendre ses dispositions. Maximilien ne mentira pas : il est stressé. Anxieux de ne pas avoir fait le bon choix, de ne pas avoir suffisamment lu le contrat ou de faire confiance à un homme qui ne lui veut pas de bien. Il a de gros doutes pour la dernière. Le problème, c’est qu’il est connu pour être assez crédule et si Roman s’en sert contre lui, il ne saura pas le deviner avant des mois. Des années, si l’homme est doué. Avoir le titre de journaliste reste tout de même très positif aux oreilles du Français qui récupère sa copie du contrat, qu’il garde ensuite sous ses mains nouées pour entendre les prochains propos du rédacteur en chef. Ses demandes sont claires et nettes : Maximilien va devoir apprendre à s’imposer lors des réunions et, comme il le dit si bien, faire entendre sa voix. Il sait d’avance qu’il va devoir plancher à fond sur cette partie du métier qui lui fait défaut. Il ne sait pas couper la parole ou parler plus haut qu’une autre personne. La simple pensée de voler les idées d’un autre lui donne des boutons. Ce sont pourtant des choses qu’il devra potentiellement faire s’il veut obtenir le respect de Roman dans le métier. Il hoche de la tête aux exigences du sorcier, bien que cette idée le tracasse. S’il finit par être identifié par le personnel d’Hungcalf comme “l’étudiant qui pose plein de questions”, plus aucun d’entre eux ne lui montrera de la sympathie ou ne voudra être en sa compagnie. Il va falloir qu’il s’y prenne correctement pour que ces interviews soient consentantes et éclairées, et que les retombées sur lui ne soient pas catastrophiques. Il s’imagine bien que Roman, de son côté, n’en a probablement rien à faire de sa réputation estudiantine. Ce dernier, néanmoins, a été plutôt généreux. Une interview par trimestre, c’est plus que raisonnable pour monter un papier correct sans se précipiter, tout en lui laissant le temps de bosser ses cours, sa thèse et de participer aux multiples réunions de la Chouette. Un emploi du temps qui ne risque pas de s’alléger dans les mois à venir.

Le Maire ? C’est une sacrée affaire. Une grande responsabilité surtout et il se sent aussitôt honoré de pouvoir l’assister dans la préparation de l’interview. Cela lui permettra de comprendre la psychologie de Roman et son mode de fonctionnement. Il sera plus à même de faire des articles qui lui conviendront s’il sait ce qu’il attend exactement de ceux-ci.

« Très bien, tout ça me convient parfaitement. Vous aurez le premier jet de mon prochain article d’ici février. » Maximilien réfléchit déjà à qui proposer cette interview et prend la direction du corps professoral. Il passe en revue les enseignants qui l’ont à la bonne et qui sont les plus à même d’accepter de lui parler et de répondre à ses questions. Il pense notamment à Miss D’Essenault, française expatriée dans un pays très différent du sien et dont le point de vue pourrait être intéressant à mettre en avant. Pourquoi Hungcalf ? Pourquoi l’Écosse alors qu’elle avait un emploi plus que stable et prestigieux à Beauxbâtons ? Les questions fusent dans sa tête.

« Avez-vous besoin d’autre chose ? »