"Hé mec tu fumes !"

Sur l'instant, j'entends a peine cet autre étudiant m'interpeller dans le couloir, je suis bien trop perturbé par mes tracas urgents du moment : les avancées incertaines de ma thèse. Cela fait des mois que je travaille d'arrache pied de dessus, et même si je ne cesse de cumuler les expériences, je ne parviens à rien de concluant. Pourtant je suis parvenu à enfermer une émotion dans un flacon, mais le fluide obtenu était tellement instable que cela avait abouti à une explosion retentissante au moment où j'avais voulu procéder a la décantation pour cristalliser les fluides. L'extraction n'était déjà pas des plus faciles, il fallait une émotion pure, une émotion stable sur la durée, et j'étais parvenu à un protocole précis, laissant penser d'ailleurs a la technique utilisée pour extraire des souvenirs, mais le fluide était bien trop instable, j'avais du créer un piège alchimique pour rapidement enfermer l'émotion dans un polyèdre transmutatoire, un accessoire coûteux qui permettait de créer une bulle où l'instabilité émotionnelle était ralentie, suffisamment pour la conserver. Mais la décantation était compliquée, sans compter la phase ultime de catalyse hémostatique. Si j'y parvenais, j'obtiendrais un véritable aimant ou foyer émotionnelle, mais j'en étais loin.

Je pensais à tout cela alors que l'on m'interpellait dans le couloir. Mon sac fumait. En réalité, la formulation était inexacte. C'était justement le polyèdre transmutatoire qui fumait, je l'avais rangé rapidement après une dernière expérience et il n'avait pas fini de refroidir, il était encore en phase d'extinction, et a cette occasion il expulsait la chaleur sous forme d'une fumée blanche qui pouvait, je le concède, paraitre inquiétante. Mais j'ai a peine le temps de raccrocher les wagons que je sens une puissante attraction prendre ma besace d'assaut tandis qu'un intervenant adulte sort comme un Indiana Jones de sa salle pour suspendre mon sac et sa précieuse cargaison dans les airs, à plusieurs mètres des murs de l'université. Je m'affole, et me précipite presque. Le sac, et son contenu, sous l'effet de la magie, réagit et fume de plus en plus. Un beau fumigène.

Excusez moi,c'est juste mon matériel alchimique ! Il faut que je le récupère il vaut extrêmement cher, et toute manipulation magique ajouté de l'instabilité pendant l'extinction du polyedre transmutatoire. C'est comme si vous veniez de craquer une allumette au dessus d'un charnier qui dégage une quantité gigantesque de méthane, il faut éviter l'introduction de magie pendant la phase de stabilisation sinon ça pourrait exploser. Il doit rester des fragments de peur dans le polyèdre, ça pourrait être désastreux.

Amplification sectorielle d'une émotion non contrôlée a l'état pur, c'est comme si un Philtre d'Affolement se répandait dans une salle de classe, ricochant sur chaque émotion. En vérité, j'ignorais ce qu' il pouvait vraiment se passer, ce n'était qu'une théorie mais je voulais éviter de la vérifier. La panique me rendait volubile alors que je ne connaissais même pas cet homme.

Est-ce que je me suis emballé pour empêcher l’homme près de moi de faire exploser tout mon matériel alchimique et le résultat de mes expérimentations de ces dernières semaines ? Peut-être, car toute personne normale n’aurait pas compris un traître mot de ce que je venais de dire, beaucoup trop de termes techniques à vrai dire. Mais je ne voyais pas quoi dire d’autre. Mais mes mots font leur effet car le sorcier ramène mon sac dans la salle de classe pour le poser sur le bureau, faisant sortir l’étudiant qui se trouvait avec eux.

Je pense oui, il faut que je vérifie que les réglages n’ont pas été perturbées par l’apport de magie externe, les interférences sont fréquentes avec ce genre de magie, c’est comme si vous agitiez un aimant à côté d’une boussole, ça dérègle tout.

Quant au risque d’explosion… Normalement ça devrait aller. Je dis bien normalement. Je sors délicatement le polyèdre transmutatoire, et je vois très rapidement que l’altération est déjà entamée, la peur contenue dans le polyèdre semble déchaînée, elle veut sortir, et les parois de verre semblent sur le point d’exploser. J’ai à peine le temps d’y toucher qu’une première fissure apparaît, et l’instant d’après, explosion. Explosion de fumée avec une émotion pure qui s’échappe dans la pièce en s’enflammant presque immédiatement. J’ai le réflexe de me protéger le visage mais je n’ai pas le temps de prévenir l’homme à mes côtés. Je tousse bruyamment, regardant ce qu’il reste de mon appareil. Il est réparable, mais par contre j’ai perdu mon émotion … J’ai à peine fait attention que mon pull a pris des étincelles et a brûlé. Tout comme les sourcils de Roman… Chose que je ne vois qu’en me tournant vers lui. Je déglutis.

Je… j’ai essayé d’arranger les choses, mais le polyèdre avait accumulé trop de magie, et la vôtre a fragilisé la structure arcano-dynamique et les runes ont été altérées… je suis désolé…

Quand la paroi en verre s’est fissuré, je savais qu’il était déjà trop tard pour agir. Le sortilège de lévitation avait été suffisant pour dénaturer les réglages que j’avais appliqué au polyèdre transmutatoire, suffisamment pour rompre l’équilibre fragile nécessaire au maintien de l’émotion sous sa forme pure. J’étais toujours impressionné de voir à quel point une émotion peut être puissante et instable, à l’inverse des souvenirs d’ailleurs. L’homme devant moi a tout juste le temps de lever un bras pour se protéger le visage des éclats de verre éventuels mais ce n’est pas suffisant pour sauver ses sourcils, qui eux y sont passés. Heureusement, la magie fait des miracles, alors je croise les doigts pour qu’il puisse les retrouver sans trop de difficultés. Je sens que je vais recevoir une leçon de morale du siècle, et je me confonds déjà en excuse, faisant tous les efforts possibles pour ne pas devenir un moulin à paroles comme à chaque fois. Je suis live quand il me répond enfin. Une lettre au doyen ? Carrément ? Mais je n’ai rien fait, je veux dire, ce n’est pas de ma faute s’il a choisi volontairement d’interagir avec mon expérience. Ok, l’appareil fumait, mais c’était normal, s’il en avait fait de même avec un crabe de feu, l’animal l’aurait sûrement attaqué, pourtant, on n’allait pas tuer le crabe parce qu’un sorcier l’a sorti de sa cachette pour l’ennuyer ? Et bien c’était pareil pour le polyèdre transmutatoire. Pour autant, bien qu’animé par ce sentiment d’injustice, je ne dis rien.

Néanmoins, il me laisse une chance de m’expliquer. Vivre juste pour trouver l’émotion. Si je suis sincère, il ne pourra que croire en mon innocence effective n’est-ce pas ?

Je travaille sur la distillation des émotions par la méthode alchimique. Mon but est simple, j’extrais des émotions et sentiments purs, à l’état brut, de mes cobayes, pour ensuite les catalyser et les distiller, voire même pour les cristalliser. Ainsi, je pourrais potentiellement créer des pierres d’émission de joie par exemple, ou absorbante de colère, pour aider les sorciers à mieux gérer leurs émotions.  Un peu comme les souvenirs mais avec les émotions. Imaginez un cristal capable d’atténuer la dépression ! ou de canalyser la colère !