Tout était noir. La sensation familière me comprimait de toute part, comme si j’étais pris dans un étau. J’avais appris à ne pas respirer le temps du voyage, c’était de toute façon impossible de faire autrement. C’était comme si l’on était plongé dans les profondeurs abyssales d’un lac obscure. La pression était si intense que mes yeux voulaient sortir de leur cavité et mes tympans cherchaient à s'enfoncer plus profondément dans mon crâne. D’un coup je remontais finalement à la surface, pantelant, étourdi pendant quelques instants.

Des étoiles dansaient devant mes yeux alors que je retrouvais la lumière. Les lampadaires qui éclairaient la rue devant moi brillaient de mille feux. Après avoir cligné des yeux quelques fois, leur intensité diminua pour laisser place à l’édifice qui me faisait face. Transplaner était de loin le moyen de transport que je détestais le plus, mais c’était également le plus prudent et le plus rapide. J'aurais probablement pu marcher depuis le chemin de traverse jusqu'à ma destination. Mais j'était impatient. Il m'avait fallu du temps pour rentrer depuis le Brésil jusqu'à Londres. Cela faisait bien longtemps que je n’étais plus venu dans la capitale. J’aurais préféré éviter. Mais cela faisait également bien longtemps que je n’avais plus vu ma mère et il était temps de lui rendre visite.

Une fois le mal de mer passé, je traversais la rue sombre, ajustant mon sac de voyage sur mon épaule et recoiffant mes cheveux qui n’avaient jamais été aussi longs. L'hôpital était juste en face. Ancien et magnifique, il tranchait avec le style plus récent des bâtiments de la rue. Je me demandais ce que les Moldus devaient voir en passant devant l’édifice. Et si jamais l’un d’eux s’était aventuré par mégarde à l'intérieur, qu'aurait-il pensé de ces murs éclairés par des torches enflammées, et de ce plafond masqué par un voile de fumée dans lequel des symboles runiques se matérialisaient et se volatilisaient à la volée. Pour ma part, je ne m'arrêtais plus pour les contempler et filai jusqu’au bureau au bout du hall d’entrée. Un sorcier dans une robe vert émeraude m'accueillit en me voyant arriver.

- Bienvenue à l'hôpital Sainte Mangouste pour les maladies et blessures magiques. Comment puis-je vous aider ?
- Bonjour. Je viens rendre visite à ma mère, Amandine Narré.

Le sorcier m’indiqua le chemin à suivre jusqu’au pavillon Janus Thickey où était la chambre de ma mère. C’était quelque étages plus haut, là où était recueilli les sorcier atteint de lésion permanentes au cerveau. Je m’y rendais rapidement, évitant de m’attarder trop longtemps dans les couloirs de l'hôpital. Je n’y étais pas à mon aise et préférais arriver rapidement à la chambre que l’on m’avait indiquée.

- Bonjour Maman.

Elle tourna la tête, assise dans un canapé qui faisait face à une fenêtre donnant sur la rue. M'avait-elle vu arriver ? Elle ne m’aurait probablement pas reconnu. Je m’approchais d’elle, un grand sourire au lèvre. Quand je fus suffisamment proche, elle me reconnut enfin et son visage s'illumina. Je la pris dans mes bras, la serrant fortement contre moi. Je ne l’avais pas vu depuis bientôt un an. Elle m’avait manqué…

- Mon chéri… Je suis contente de te voir. Comment était ton voyage… Est ce que… euh… tu étais… hum… Quand es-tu venu la dernière fois ? C’était il y a un mois…

Je retenais le moindre réflexe qui pouvait me faire perdre mon sourire. J’avais l’habitude à présent. Cela faisait 5 ans maintenant que ma mère était atteinte d’amnésie. Personne ne savait pourquoi ou comment elle était tombée malade. Les symptômes suggéraient qu’on lui avait lancé une malédiction. Et les médecins n’en avaient pas encore trouvé la cause. Depuis, elle souffrait de perte de mémoire chronique. Elle se souvenait toujours de qui j’étais, de qui elle était, mais elle oubliait les événements les plus récents comme un chaudron bouillant dans lequel tournait son repas depuis bientôt 24h et qui finissait par exploser dans la cuisine… Elle oubliait aussi régulièrement mes histoires. Je voyais mes nombreuses lettre sur son bureau et pourtant, elle était incapable de se souvenir où j’étais et depuis combien de temps j’étais parti. Je ne savais jamais à partir de quand reprendre mon récit. Mais je faisais comme s’il n’en était rien, reprenant depuis le début autant de fois qu’il le fallait.

A priori, cette fois, elle se souvenait que j’étais partie en voyage. Pas besoin de lui rappeler pourquoi et quand j’étais parti. Ce n’était pas le moment le plus glorieux de mes études… Je me souvenais encore de mon arrivée à Hungcalf et du regard fière de ma mère alors que je quittais la France pour les Highlands. L’université magique était bien différente de Beauxbâtons. Elle paraissait plus… Humble que l’école française. Et plus adaptée également. Le respect était le mot d’ordre de l’école où j’avais grandi. Nous étions nombreux et de nationalités et origines européennes variées. Mais il m’avait toujours manqué ce petit quelque chose pour que je m’y sente à ma place. Et ce quelque chose était à Hungcalf. Arriver dans la maison des Ethelred avait été libérateur. Mais ce n’était qu’une partie de mon problème. Trois ans d’étude en sport m’avaient démoralisé. J’étais totalement perdu, et j’avais eu bien du mal à expliquer à ma mère ma motivation à partir loin de tout. Malgré sa maladie, elle m’avait comprise. Elle était mon premier soutien. Je n’aurais pas réussi sans elle. Avec son approbation, j’avais tout abandonné en début de quatrième année, pour partir en voyage. Et j’en revenais enfin. J’avais tellement à lui raconter. J’avais beau avoir tenu une correspondance avec elle, être revenu la voir régulièrement, j’étais prêt à reprendre du début pour qu’elle n’en rate rien.

- Je t’ai raconté mon arrivée à New York ? Ça avait été ma première destination lors de mon voyage.
- Je ne suis plus sûre…
- Ne t’en fais pas, je vais tout te raconter. C’était assez impressionnant. Je n’avais jamais voyagé dans une ville aussi grande… Et pourtant Paris ou Londres sont assez impressionnantes à leur manière. Mais ce qui m’a surpris, ce sont les traces de magie un peu partout dans la ville. On est très discret en Europe, et ils le sont aussi, mais je n’ai eu aucun mal à trouver mon chemin et une communauté de sorciers. Heureusement d’ailleurs, parce que je n’avais pas un sous en poche et il allait bien falloir que je trouve de quoi me loger et me nourrir. J’ai réussi à tenir avec le peu que j’avais et j’ai finalement trouvé un travail. J’ai été embauché par un fabricant de baguettes pour tenir sa boutique, ranger et l’aider dans ses tâches les plus ingrates. Si tu savais à quel point la poussière peut s’accumuler dans des étagères pleines de baguettes… Le propriétaire était adorable. Et sa femme encore plus. Ils m’ont trouvé une chambre à louer pas loin de la boutique et ils se sont occupés de moi comme si j’étais de leur famille. C’était génial, et apprendre comment sont fabriquées les baguettes est particulièrement intéressant. Je ne m’y connaissais pas vraiment, mais avec le temps, j’ai pu devenir son assistant. Je serais incapable de fabriquer une baguette mais c’est passionant. Tu savais qu’un des fondateurs d’Ilvermorny était un fabricant de baguettes ? Leur école est assez impressionnante. Moins que Beauxbâtons, enfin plus sobre. Mais impressionnante quand même.
- Et tu as pu voyager un peu, ou es-tu resté à New York ? Le visage de ma mère était rayonnant en écoutant mes histoires. Assis à côté d’elle, lui tenant la main, je sentais la chaleur qui s’en échappait et ses doigts se resserrer en écoutant mon récit.
- Je suis resté seulement 6 mois aux États Unis. Je n’ai pas voyagé autant que je l’aurais voulu. J’ai eu l'occasion d’aller en Louisiane et au Canada, mais pas beaucoup plus. C’est pourquoi je sentais que j’avais besoin de bouger et début avril 2018 je suis arrivé au Japon. C’est un pays magnifique… Mais j’étais complètement perdu. Alors j’ai été au seul endroit où j’étais sûr de trouver des sorciers, l’école Mahoutokoro. Mes camarades de Hungcalf m’en avaient parlé, et ils n’avaient pas menti. C’est splendide et leurs entraînements de Quidditch sont aussi terrifiants que ce qu’ils laissent entendre. J’aurais bien aimé jouer avec eux mais je n’y été pas autorisé évidemment. Par contre j’ai joué avec quelques petites équipes locales, principalement des jeunes qui passent le temps le week end. Et c’est comme ça que j’ai rencontré un fabricant de balais Japonais. Ce sont de vrais artistes. Je savais que la menuiserie japonaise était reconnue, mais c’est bluffant. J’ai passé du temps à travailler le bois avec lui et j’ai probablement gâché un bon nombre de balais… Mon premier vol sur un de ses balais fait avec mon travail s’est fini dans cerisier. Mais j’y ai pris beaucoup de plaisir. Avant de devoir partir. Là aussi je suis resté 6 mois.

Je continuais mon récit, ma mère me regardant passionnément en silence. Je lui racontais mes 3 mois suivants, d’abord en Russie puis dans les pays de l’Est de l’Europe. Je n’en avais pas un aussi bon souvenir que ma première année de voyage. Il faisait trop froid et j’y avais été moins bien accueilli. J’avais évidemment fait un passage à Durmstrang. Mais je n’avais pas grand chose à en dire. J’avais été oubliété pour ne pas révéler sa position et ça n’avait pas été une visite des plus chaleureuses. Mais je devais bien reconnaître que leur passion pour les duels étaient enivrantes. J’y avais appris quelque petit tour bien sympathique que j’avais hâte de pouvoir ressortir. Peut être que je pourrais m’inscrire au club de duel une fois de retour à l’université.

J’avais ensuite continué mon chemin en scandinavie. Les communautés de sorciers y avaient été plus difficiles à trouver. Et j’avais passé beaucoup de temps auprès des moldus. Bien qu’ayant grandi dans un village de sorciers, j’avais toujours aimé en apprendre plus sur le monde. Paris était une ville intéressante sous toutes ses formes, pas uniquement pour sa magie. Et le reste du monde également. C’était finalement en Mai 2020 que je retournais en Angleterre. Je connaissais déjà le pays et savait surtout quels endroits éviter si je ne voulais pas croiser mon père. Mais j’allais avoir besoin de travailler à nouveau si je voulais continuer mon voyage. Les restes de ma paie avaient totalement disparu après l’Est et le Nord. Je m’installais donc dans un petit village de Sorcier en bord de mer et y trouvais un travail de barman avant de finalement décider de revenir en France.

Je connaissais bien ses villages de sorciers et de nombreux membres de ma famille vivaient disséminés un peu partout. C’était un retour à mes origines plus qu’une recherche de ce que je voulais être. Je finissais finalement par m’installer à Marseille en novembre 2020 chez une cousine éloignée de la famille. Elle m’hébergea et me proposa un travail dans sa boutique. Elle s'occupait de soigner des créatures magiques et avait bien besoin d’un assistant. C’est là que je découvris qu’elle ne faisait pas que soigner des créatures. Elle luttait également contre le braconnage en Afrique.

J’étais particulièrement dévoué à cette cause et partit donc avec elle et son groupe en mars 2021. Ce continent vierge et sauvage était incomparable à tout ce que j’avais vu jusqu’à présent. Plein de vie, de coutume, de créatures si variées… Je tombais doucement amoureux de ces dizaines de pays que nous parcourions à la recherche de créatures à protéger et de braconniers à déloger. Pendant 6 mois, je décidais de rester en expédition, revoyant ma cousine régulièrement alors qu’elle retournait et revenait de Marseille pour tenir sa boutique. 6 mois jusqu’à découvrir Uagadou où notre équipe fit un arrêt pour se ravitailler.

Là encore, c’était un coup de foudre. L’école résonnait en moi. Elle était tout ce que je recherchais depuis le début de mon voyage. Elle respirait la liberté et la vie. J’avais la sensation que c’était dans ses murs que je pourrais me reposer et trouver un échappatoire à mes conflits internes. Je m’y arrêtais donc et devenais l’un des garde-chasse de l’école. C’était le lieu où je restais le plus longtemps. Une année scolaire entière durant laquelle j'apprenais plus que je ne l’aurais imaginé. J’embrassais également leur coutume, découvrant la magie sans baguette et l’Animagie. A la fin de l’année, c’était comme si le temps que j’y avais passé m’avait peu à peu guéri. Je me sentais plus entier, et prêt à trouver ma voie. J’envoyais alors une lettre à Hungcalf pour leur demander de revenir étudier à l’université mais en changeant de cursus. Les options que j’avais étudiées étaient compatibles avec ma réorientation et j’attendais donc une confirmation de la part de l’école.

Mais il me restait encore un pays à visiter et une école. Cela tombait bien, à la fin de l’année scolaire, ma cousine vient me rendre visite et j’eu l’occasion de participer à une dernière expédition avec elle. Durant cette dernière, nous avions sauvé un petit Focifère et ma cousine me demanda de faire le voyage jusqu’au Brésil pour lui envoyer les plantes nécessaires à le soigner. Je me rendais donc en Amérique du Sud pour récupérer ce dont elle avait besoin et les lui envoyer à Marseille. C’était l'occasion pour moi de découvrir Castelobruxo et sa faune resplendissante. C’est sur place que je reçus la lettre de Hungcalf me confirmant mon inscription en quatrième année, non plus en Sport mais en Sciences Occultes. Il était temps pour moi de rentrer, et c’est ainsi que j’arrivais à Londres pour voir ma mère avant le début de l’année dans quelques jours.

Le récit de mes voyages avait finalement épuisé ma mère. Sa tête reposait lourdement sur le bord de son fauteuil et un ronflement subtil avait suivi la fin de mon discours. Il valait mieux que je la laisse se reposer. Je me levais de mon siège et venais poser un baiser sur son front.

- Ne t’en fais pas maman. Tout ira bien pour moi. Je finirais pas trouver ma voie, j’en suis sûr.

Je réajustais le coussin sous sa tête et son plaid sur ses épaules. Puis je m'apprêtais à partir, rangeant mes affaires quand la porte de la chambre s’ouvrit. Un homme un peu plus petit que moi, les cheveux sombres en batailles et une moustache se tenait dans l’embrasure, comme figé. Il ne s’était probablement pas attendu à me voir ici. Quant à moi j’avais pris le risque en sachant que je risquais de tomber nez à nez avec mon père. C’était la seule raison qui me faisait éviter Londres.

- Bonjour Isaac… Alors tu es de retour.
- Ça tombe bien, je m’en allais.
- Attends, on pourrait peut-être discuter un instant. J’ai vu dans ton courrier que tu retournais à Hungcalf ?
- Ce courrier est pour ma mère, pas pour toi. Il est un peu tard pour prendre de mes nouvelles.
- J’essaie simplement de…
- Eh bien n’essaie pas. Nous nous en sortions très bien avant que maman ne tombe malade et que tu réapparaisses dans sa vie. Elle a peut-être oublié que tu nous as abandonné mais pas moi. La seule chose qui importe aujourd’hui c’est elle. Tant qu’elle se sent mieux je ne lui dirais rien. Mais on sait tous les deux que tu es mieux en dehors de nos vies.

Sur ces mots chaleureux d’un fils à son père, je m’en allais finalement, le laissant seul au milieu du couloir. J’étais peut être dur. Peut-être était-il sincère et voulait-il se racheter ? Mais je n’avais pas eu de père quand je grandissais, ma mère n’avait pas eu son mari pour l’aider. Et il n’avait pas été là quand elle était tombée malade. Il était réaparu plus tard en apprenant qu’elle était à Sainte Mangouste. Je n’aurais jamais dû la faire transférer en Angleterre. L'hôpital étant plus proche de Hungcalf, je pensais avoir pris une bonne décision. J’en doutais à présent. D'autant plus que le coût des soins étaient exorbitant... Le coffre de ma mère se vidait à vue d'oeil. Quelque part, je me demandais si je n'étais pas un peu hypocrite en acceptant que mon père participe à financer ces soins. Mais sans son argent, je n'aurais jamais pu continuer de payer. Surtout maintenant que j'allais reprendre l'université. Elle aussi allait nous couter un rein. Mais ce n’était pas le moment d’avoir des pensées sombres. J’avais passé un bon moment en compagnie de ma mère et j'avais réussi à obtenir une bourse pour payer mes frais d'enseignements. Ce n'était pas suffisant pour payer toute l'année scolaire quand on devait ajouter le logement ou les fournitures. Mais il n'était plus question de piocher dans les reserves limités de ma mère. Par contre, il allait définitivement falloir que je me trouve un bouleau à la rentrée si je voulais espérer survivre à mon année à venir. Encore plus si je voulais en profiter. Il était temps pour moi de retourner à l’université et de trouver toutes ces réponses que je cherchais. Dans un claquement, je disparaissais de la même façon que j’étais apparu devant l'hôpital. Après un saut de plusieurs centaines de kilomètres, je n’étais plus à Londres, mais loin de mon père. Et devant moi, au loin s’étendait mon ancien et nouveau foyer : Hungcalf.