Eté 2023

Si la période estivale rime avec vacances scolaires pour mon fils, il faut bien admettre qu'à mon niveau, c'est loin d'être une période calme. Comme chaque année, l'été a commencé par le bal de Litha, et donc le gala des Nymphes, autant dire que ça donnait le ton. Roses rouges et tournesols ont fleuri le lieu des festivités,  chêne et houx se sont symboliquement battus pour la souveraineté de la prochaine saison, et de délicates amulettes ornées de symboles mordorés représentant la Terre-Mère ont été offertes à chaque participant convié par un délicat origami en forme de rose en guise d'invitation. Le conflit des rois a-t-il été symbolique de celui, plus discret, qui nous oppose pour la direction du club, @Verena Lacroix-Muller et moi ? Peut-être, mais les apparences lors du bal ont été sauves au moins, et l'association oeuvrant pour venir en aide aux mères célibataires d'Inverness dotée d'une belle somme à la fin de la soirée.

Puis alors même que Faolán terminait tout juste son année scolaire, nous avons eu une demande urgentissime à l'agence, de cette dame un peu... spéciale, dirais-je, souhaitant impérativement organiser la célébration de fin d'études de son fils alors que le soleil était à son aphélie - rapport à un thème astrologique, et je ne sais plus trop quoi concernant ses ascendances astrales, lunaires ou... que sais-je encore ? Je dois bien avouer ne pas avoir été très attentives sur les justifications données, ce qui m'importait surtout, c'est que tout ça, ça tombait le 6 juillet, et qu'elle ne nous laissait qu'une semaine pour tout gérer, avec bien évidemment des demandes spécifiques pointues qu'elle payait rubis sur l'ongle et que donc ma patronne s'empressait d'accepter. Encore fallait-il réussir à contenter cette cliente, et soyons honnêtes, j'ai parfois dû me faire violence pour ne pas laisser la Furie l'emporter.

Et puis le mois d'août a célébré le mariage de @Verena Lacroix-Muller et Hélios Muller, la première fête des moissons, et les nuits des étoiles. Trois événements en une quinzaine de jours qui ont également demandé maintes préparations, qu'elles soient personnelles ou professionnelles pour ce qui me concerne.

Heureusement, Mère et Grace se relaient pour m'assister dans la garde de Fao, Adrian et @"Victoria Blackthorn" viennent régulièrement et avec le plus grand plaisir nous proposer des séances de cuisine ou nous apporter des repas, et nous recevons aussi régulièrement ceux de @James Blackthorn, ce qui soulage grandement mon organisation à la maison. Et puis... Et puis... Et puis il y a ces moments que je partage avec @"Fergus Laugharne", et qui, avouons-le, adoucissent même les plus lourdes de mes journées. Alors certes, je mets un point d'honneur à ne pas mettre de mot sur notre relation mais... Je ne peux pas dire que ce soit parfaitement anodin, tout ça, et à l'évidence, je suis plus attachée au Wright que je ne veux bien l'admettre, quand bien même je tiens - tout autant que lui sans doute - à mon indépendance actuelle.

Aujourd'hui, c'est à la Volière des Nymphes que j'oeuvre, et quoi qu'ait pu en dire ma consoeur au cours de l'année, je me fais un devoir de redorer le blason de notre si chère sororité. Parce qu'il faut dire ce qui est, ces cachettes mal dissimulées de flacons de spiritueux et autres alcools divers n'avaient vraiment pas leur place ici ! Ma langue a claqué quelque fois, alors que je m'efforçais de réorganiser notre refuge, profitant que la nouvelle année étudiante n'ait pas encore commencé pour mettre de l'ordre avant la rentrée. Mais je crois avoir fini par redonner à l'endroit ses lettres de noblesses, et j'apporte une dernière touche florale en disposant ça et là quelques pots d'héliotropes blancs, roses et violacés, ainsi qu'un délicat carillon mordoré à l'entrée.

Satisfaite, je prends le temps de souffler, et de m'octroyer une tasse de thé... Mais j'ai à peine le temps de mettre l'eau à chauffer que le son cristallin de la suspension que je viens d'installer retentit, me faisant faire volte-face. Et quelle n'est pas ma surprise de voir pénétrer dans la volière le professeur de runes, @Andrew Hill. Je lui offre pourtant un sourire aimable en m'approchant, malgré mon étonnement.

- Bonjour professeur Hill. En quoi puis-je vous être utile ? Je suis navrée, mes camarades ne sont pas ici pour l'heure, vous cherchez une de vos élèves ?

Je ne me doute pas un instant que c'est bel et bien moi qu'il est venu trouver...

Le regard du professeur arpente les lieux, et je m'interroge sur ce qu'il cherche ici. Les runes ne sont pas forcément présentes dans notre volière, et mes camarades non plus, que peut-il bien vouloir ici déceler ?

- Vous êtes bien Miss De Launay ? Ou dois-je dire Robinson ? Si c’est bien le cas, alors c’est vous que je viens rencontrer.

La surprise se dépeint sans doute sur mes traits, mais je m'efforce de ne pas faire attendre ma réponse et hoche la tête, confirmant mon identité.

- C'est bien moi. Ma soeur a repris le nom de notre mère, mais je porte toujours celui qui m'a vu naître, en lien avec celui que porte mon fils.

Si je suis étonnée qu'il soit à ma recherche, je le suis tout autant qu'il se soit penché ne serait-ce qu'un minimum sur nos histoires familiales pour s'inquiéter du patronyme qu'il lui faut employer. A moins que la question ne vienne de la lecture de cette feuille de chou notoire qu'est le Chineur ? En tous les cas, sa présence ici est inédite.

- Je vous en prie, installez-vous, lui proposé-je en désignant le fauteuil de lourd velours vert émeraude non loin. Je vous offre une tasse de thé ? Je viens juste de mettre l'eau à chauffer justement...

Je m'écarte légèrement pour m'occuper du breuvage, tout en maintenant la conversation entre nous.

- Il ne me semble pas que nous ayons jamais eu l'occasion de converser jusqu'à présent. En quoi puis-je vous être utile ?

- Miss De Launay, donc.

Je hoche la tête. Miss, oui. De Launay toujours. Probablement ajouterai-je celui de ma mère, prochainement. Je n'ai pas fait la démarche encore, là où ma soeur a déjà plus largement sauté le pas, mais l'idée reste présente dans un coin de mon esprit. Je sais cependant que je ne me séparerai jamais complètement du nom que porte mon enfant.

Prenant mon rôle d'hôtesse en main, je lui propose divan et boisson chaude, sans me douter un instant de la crispation ainsi générée, quoi que je le sente peut-être un peu tendu sans en déterminer la raison.

- Non merci. Un café peut-être ?
- Ah ! Oui bien sûr.

Pour ma part, le breuvage amer ne fait guère partie de mes habitudes, mais je ne suis pas seule ici, et si j'ai pris le parti de me débarrasser des spiritueux dissimulés ça et là, la machine à café n'a pas fait l'objet du grand ménage estival effectué. J'achève donc les préparatifs de cette collation impromptue avant de prendre place face au professeur, un café et un thé, ainsi que lait, sucre et biscuits - non pas préparés de ma main à l'évidence - entre nous.

- Eh bien j’ai entendu dire que les Nymphes étaient douées pour l’organisation de bals et de rencontres en tout genre… Est-ce que vous louez vos services pour des évènements plus privés ? Vos services d’organisatrices, j’entends.

Si la tournure de sa phrase a arqué un sourcil chez moi, le fait qu'il précise sa pensée afin d'écarter tout doute menant sur un terrain quelque peu graveleux génère un léger rire qui monte de ma gorge.

- Précision importante, j'en conviens fais-je sur un ton badin en hochant légèrement la tête.

Humant un instant mon thé fleuri, je reste songeuse un petit instant quant à sa requête avant de secouer légèrement la tête.

- Les Nymphes oeuvrent dans le but de défendre les droits des femmes et de soutenir des associations caritatives. Chacun des événements que nous avons organisé a permis de collecter des fonds pour soutenir une oeuvre ou une autre, mais nous n'intervenons pas dans un cadre plus personnel.

Je ponctue mon refus premier d'une gorgée de thé avant de reprendre assez rapidement.

- Cependant...

Posant délicatement ma tasse dans sa soucoupe, je cherche davantage son regard, comme si je pouvais y lire le but précis de sa demande.

- Au-delà de mon cursus universitaire et de mon activité au sein des Nymphes, je travaille également pour une agence événementielle et il est fort probable que votre demande entre dans le cadre de nos attributions. Qu'auriez-vous précisément pour but d'organiser ?

Je suis évidemment assez loin d'imaginer l'objectif précis de sa présence ici...

Hôtesse jusqu'au bout des ongles, je le laisse s'emparer de sa tasse et profiter de son breuvage, attendant paisiblement la suite de ses explications, avant de répondre le plus calmement et honnêtement du monde quant à ce qu'il est possible ou non de faire pour accéder à sa demande. Et si mon rôle de Nymphe ne me le permet pas, mon travail d'organisatrice entre alors parfaitement en jeu.

- Fort bien.

Qu'il ne s'offusque pas de ce léger changement de plan est une bonne chose. Après tout, je reste en charge, simplement avec une autre casquette, dirons-nous. Et en réalité, il est bien possible que je puisse trouver davantage de contacts et moyens en tant qu'organisatrice qu'en tant que Nymphe pour une demande somme toute personnelle. C'est d'autant plus vrai lorsque le sujet est avancé, esquissant un sourire attendri sur mes lèvres.

- Une demande en mariage. C'est un événement envisageable ? Je mettrais le prix qu'il faut.
- C'est tout à fait envisageable, il me faudra simplement des précisions sur ce que vous souhaiteriez mettre en place et peut-être sur les goûts et préférence de la personne en question. Qu'est-ce qu'elle aime particulièrement ? Y a-t-il des choses qui au contraire lui font horreur et qu'il faut absolument éviter ? Un cadre particulier qui éveille un souvenir spécial pour vous deux ? Aviez-vous des idées en tête, déjà, une date peut-être, ou pas du tout ? Ce sont des points sur lesquels je vous demanderai de réfléchir afin que nous puissions organiser cela au mieux.

Je laisse une seconde de silence, le temps d'avaler à mon tour une gorgée de thé parfumé.

- Quant à la question du tarif, tout dépendra des détails de l'organisation, bien sûr, mais de manière générale, ce type de demande tourne entre 100 et 150 gallions en fonction des requêtes plus ou moins poussées des clients. Parfois un peu plus lorsque les demandes requièrent des prestataires extérieurs. Encore une fois, tout dépendra de la complexité de la demande.

Nulle hésitation ni gêne dans ma voix, je retrouve l'attitude que j'ai à l'agence, avenante tout en restant professionnelle. Même si je dois bien admettre être assez curieuse des désirs du professeur face à moi, et de l'identité de l'heureuse élue...

J'imagine sans peine que venir verbaliser une envie aussi prégnante n'est pas évident. Dès lors qu'on touche à un sujet aussi intime que l'amour porté à un autre être, on entre dans une sphère ultra-privée, que la pudeur rechigne souvent à évoquer. Des points qui ne concernent que soi et l'être aimé, et qu'on se doit de dévoiler à une ou des inconnu.e.s. L'avantage sur ce point, c'est que cela fait à présent plusieurs années que j'oeuvre pour ce wedding planner, et que je n'en suis pas à mon coup d'essai. Je reste donc avenante, mais laisse le professionnel s'exprimer, de sorte de ne surtout pas empiéter sur ce qui ne doit pas me concerner, mais de lui laisser le loisir d'évoquer ce qui lui semble pertinent et partageable.

- En ce qui concerne la date, elle n’est pas encore fixée. Disons qu’elle ne dépend pas totalement de ma volonté propre.
- Je comprends.

Réellement. Les impératifs de chacun font souvent qu'il est difficile de trouver le bon créneau, y compris quand toutes les personnes concernées sont parties intégrantes de l'organisation. Alors lorsqu'il s'agit d'une surprise, c'est d'autant plus délicat encore. Je ne pose pas davantage de question en ce sens, me contentant simplement de noter ce point en suspens.

- Vous me tiendrez informée quand vous pourrez.

Le reste représente un autre sujet on ne peut plus important, et toute mon attention est portée aux réponses que l'homme face à moi veut bien formuler. Et quelle description ! Douce Viviane, si ce n'était les deux charmantes filles, l'origine allemande et cette rencontre à BeauxBâtons, j'aurais pu être décrite de la sorte moi-même. Un sourire s'inscrit davantage sur mon visage.

- Il semble que cette jeune femme ait des goûts exquis. Peut-être connaissez-vous ses oeuvres préférées ? Ses fleurs ou couleurs favorites, si elle en a, également ?

Quelques idées germent doucement dans mon esprit alors, autour des symboles français que je chéris particulièrement, et je note d'ores et déjà de me mettre en quête de lieux intimistes évoquant mon pays d'origine ou les arts chéris par la demoiselle en question.

C'est peut-être un peu tôt, mais à choisir, je préfère un client que je dois faire patienter un peu pour établir un devis correct, que celui qui voulait tout pour avant-hier sans avoir la moindre idée de ce qu'il souhaite exactement. Cela nous laissera le temps d'affiner les détails, on n'est jamais trop prudents. Et voir le sourire qui pointe un tant soit peu sur le visage de mon interlocuteur a quelque chose de gratifiant. Il est rare de voir le professeur Hill avec ce type d'expression sur le visage, semble-t-il... Evoquer les goûts de celui ou celle qu'on aime a cet effet sur beaucoup de gens.

- Elle aime beaucoup Mayfield. Et en auteur… Yseult Marshal.

Je hoche la tête, prenant quelques notes, visualisant sans trop de peine les univers concernés. Quelques idées se forment dans ma tête, cherchant à mêler le champêtre et l'épique, mais il faudra que tout ça décante un peu, avant que je puisse proposer un projet un minimum ficelé.

- Et elle affectionne particulièrement le bleu ciel. Quand aux fleurs, je suis navré, mais je n’en ai aucune idée…
- Ce n'est rien, j'ai déjà une base avec ses oeuvres et couleur favorites. Je pourrais commencer à jeter quelques idées sur papier, et vous me direz ce qui vous semble le plus pertinent et je pourrai commencer à établir une grille tarifaire. Où préférez-vous que je vous contacte une fois que j'aurai les premières ébauches ?

Quelques notes sur les modalités de contact à venir et ma carte professionnelle remise en sa main, nous prenons congé et après quelques dernières gorgées de thé, je m'attèle à terminer la tâche que je m'étais assignée à l'origine à savoir redonner à la Volière une allure digne de ce nom...

– Terminé –