Les jours raccourcissent. Keir prend une grande inspiration. Il n’aime pas toquer à cette porte. La dernière fois qu’il l’a fait, son secret a été découvert mais maintenant qu’il y pense, c’est peut-être mieux ainsi. Le poids de ses transformations ne peut pas toujours reposer sur les épaules de la Blackthorn qui a bien plus urgent à gérer : sa famille et son avenir. Charlie ne veut plus être ce fardeau que toute la bande se trimballe constamment en montrant des sourires qui ne cachent pas l’évidence : ils sont fatigués de ce rôle. Il ne connaît personne d’autre d’assez fort pour endosser cette peau et la vérité lui échappe encore. Il a on ne peut plus raison.

Les trois coups résonnent contre la porte jusque dans le couloir menant à la salle de cours de Runes, où est supposé se trouver Andrew à cette heure-ci. Il l’imagine, car tout n’est que supposition à ce stade. Il n’attend que peu de temps avant que la porte ne s’ouvre sur le visage fermé du l’Éclairé et il ne parvient pas à lire l’expression qui s’y trouve, si tant est qu’il y en ait une. Keir recule d’un pas, baisse la tête et se demande une dernière fois si l’idée est bonne ou s’il n’est pas en train de complexifier sa vie, en plus de faire de la peine à sa très bonne amie, presque sœur. Barghest et elle ont toujours été à ses côtés, est-ce vraiment légitime de se débarrasser de leur aide comme ça ? Sans consultation préalable ? Il a l’impression de leur mettre un couteau dans le dos alors qu’ils ont tant fait pour lui ces derniers mois… Tant pis, le mal est fait. Il est là, maintenant.

« Bonjour, Andrew. J’ai besoin de ton aide. On peut discuter en privé ? » Son ton n’est ni trop ferme, ni trop faible. Celui d’un homme qui hésite tout en sachant qu’il n’a pas d’autre choix que celui-là.

@Andrew Hill

La journée a été longue et la nuit serait sûrement courte. Encore. @Isabelle D'Essenault avait insisté, vraiment, pour qu’ils se retrouvent après leurs cours respectifs. N’y voyez rien de scabreux, c’est que la Lufkin avait de grandes ambitions pour le tournoi de duels auquel ils participaient tout les deux le lendemain. De grandes ambition ou le stress d’avoir l’air ridicule… Qu’importe, il se trouve que le lycan ne pouvait pas lui refuser grand-chose.

Dix sept heures s’affichaient sur le cadran de sa montre et il avait plusieurs heures à tuer avant que le dernier cours de métamorphose ne s’achève. Rejoignant ses appartements, plusieurs dizaines de rouleaux de parchemin sous le bras, il ne savait pas s’il aurait le courage de corriger les âneries des premières années. Ni même celles des dixième années.

Pas de café mais un whisky servi dans une quantité qui frôle le déraisonnable. Une lampée d’avalée avant de s’installer sur la table ronde qui jouxte une bibliothèque chargée. Etalant devant lui un parchemin, il reconnait l’écriture d’une étudiante brillante bien que pénible (poke @Cataleya Blackthorn ) et celui qui ne croit pas au destin se demande pourtant s’il doit y voir un bon ou mauvais présage.

Trois coups se font entendre par l’ouïe aiguisée du britannique. Ce n’est pas à la porte de son appartement mais à celle de sa salle de classe que l’on frappe. Hésitant un instant à faire le mort, après tout, le demandeur n’avait qu’à frapper à la bonne porte, il finit par boire une nouvelle gorgée et se lever pour ouvrir.

De dos, la silhouette menue de Charlie Keir est reconnaissable entre tous. Comme a chaque fois qu’il croise le Keir, il essaye de dissimuler l’inquiétude dans son regard mais la vérité c’est qu’il paierait cher pour entrer dans sa tête et savoir ce qu’il s’y passait. Est-ce qu’il avait envisagé d’y pénétrer de force ? Evidemment. Et il n’avait pas complètement abandonné cette option. « J’ai besoin de ton aide. » Peut-être n’en aurait-il pas besoin finalement…

- Entre.

Joignant le geste à la parole, il ouvre grand la porte puis la referme avant que le Keir ne change d’avis.

- Tu veux boire quelque-chose ?

Il marque une pause avant de préciser d’une voix neutre.

- Sans aconit.

Il n’attend pas longtemps avant d’entrer dans le bureau et, une fois à l’intérieur, sans qu’il ne peut plus vraiment faire demi-tour. Pour le bien de tous, il n’en a pas envie. Laisser à ses amis le poids de gérer sa nouvelle nature n’est plus supportable mentalement. C’est une charge impossible à soutenir si longtemps. Keir ne peut se résoudre à continuer, pendant des années, à donner cette responsabilité aux Chauffe-Plats, quand bien même elle découle de leur bêtise.

Boire quelque chose ? Il manque de rire nerveusement. La dernière fois qu’il a accepté un breuvage de la part d’Andrew, ça n’a pas été à son avantage… Et il le sait, vu qu’il ajoute une petite précision à sa question. Conscient que le Hill ne s’amuserait pas à jouer au même jeu deux fois et que, par conséquent, il ne risquait pas de l’empoisonner à nouveau, il serait logique d’accepter. Ce qu’il ne fait pas.

« Mmh ça ira, merci. » De toute façon, il risquerait de s’étrangler avec tant son stress est grand et sa gorge bloquée. Marmonner ces quelques mots lui demande déjà un grand effort. Keir s’approche du bureau mais ne s’assied pas tout de suite. Il réfléchit aux mots qu’il va choisir pour formuler à Andrew l’aide dont il a besoin, sans savoir s’il est réellement la personne de confiance vers qui se tourner. Il finit par s’asseoir et attend qu’Andrew soit dans sa ligne de mire pour s’exprimer.

« Je ne peux plus donner la charge des Pleines Lunes aux autres et je ne peux pas m’en charger seul. Je suis un clandestin à Hungcalf car le directeur ignore que tout ceci s’est produit… Je me demandais alors… si tu pourrais t’en occuper. Après tout, les Capes Noires ne manquent pas de ressources non ? » Le plus logique serait qu’il aille se confesser à MacArthur, bien sûr. Mais face à ses dissimulations pendant de longs mois, comment le directeur le prendrait-il ? Il pourrait le virer. Et même si les cours sont difficiles et que Keir a déjà pensé à tout abandonner plus d’une fois, il ne s’en sent pas encore capable.

@Andrew Hill

Andrew était de ceux qui pouvaient penser que peu importaient les moyens, seul justifiait la fin. Il n’hésitait jamais à payer le prix nécessaire quand il s’agissait d’obtenir ce qu’il voulait. Ca avait été le cas avec le subterfuge du café dissimulé dans l’aconit. Et s’il avait fallu forcer l’esprit de Charlie, il aurait fini par le faire. Mais pas de gaieté de coeur… Aussi, il était soulagé que ce soit l’Ethelred qui vienne à lui… Malgré tout, il n’est pas surpris qu’il refuse la boisson proposée. Malgré tout, le britannique lui sert une lichette de whisky, ridicule en comparaison avec son propre verre.

Même si Keir reste debout, Andrew s’installe comme pour lui montrer l’exemple. La réalité, c’est que boire un spiritueux est plus agréable le cul enfoncé dans un confortable voltaire, mais avant ça, il pose le verre de son interlocuteur sur la table sans un mot. Il pourrait boire si l’envie le prenait. Il pourrait laisser le verre, Andrew n’en serait pas contrarié pour autant.

« Je ne peux plus donner la charge des Pleines Lunes aux autres et je ne peux pas m’en charger seul. Je suis un clandestin à Hungcalf car le directeur ignore que tout ceci s’est produit… Je me demandais alors… si tu pourrais t’en occuper. Après tout, les Capes Noires ne manquent pas de ressources non ? ». Il n’a pas cillé le temps qu’à duré la déclaration. Le visage résolument neutre, le regard posé sur Charlie dont il devine facilement les angoisses pour les avoir vécues lui-même.

- Ta clairvoyance t'honore Charlie et je dois avouer que je suis soulagé que tu te décides à faire appel à moi.

Avec les sous-titre ça donnait quelque-chose comme “ je suis bienheureux que tu comprennes enfin que tes petits copains sont des idiots notoires”. Adapte de la langue de bois quand c’était necessaire. Mais avant que le Keir ne se rende compte de l’insulte mesurée faite à ses proches, il enchaîne.

- Il est évident que tu peux compter sur toute l’aide que je pourrais t’apporter. La condition de loup-garou n’a rien d’enviable mais on peut en atténuer les mauvais aspects et profiter des autres.

Il marque une pause, boit finalement une gorgée de son verre comme pour laisser au Gris le temps d’intégrer ces affirmations.

- Mais avant toute-chose, je pense qu’il va falloir parler statut et paperasse. Comptes-tu demeurer non déclaré ?

Andrew lui avait plus ou moins prémâché le travail en lui avouant, après leur dernière entrevue, sa condition similaire. Keir y a longuement réfléchit et même s’il peut paraître parfois trop lunaire, il sait bien qu’un autre loup-garou est plus à même de comprendre sa situation et de l’aider. Les Chauffe-Plats, malgré leur bonne volonté et leur grande gentillesse, ne sauront jamais ce que cela coûte. Ils ne pourront lui prodiguer les conseils qu’il a besoin d’entendre. Il n’en est pas moins reconnaissant du sacrifice qu’ils ont fait pour lui : des mois à se soucier de son bien-être, le faisant passer devant des occupations plus ordinaires mais source de bonheur. Tout ce stress infligé, cette angoisse permanente et ces nuits interminables, à se demander si tout se passera bien… Il n’est plus à même d’endosser le rôle du poids mort. Non, pas que mort : dangereux. Le chevreau du groupe est devenu un loup.

Il soupire de soulagement de façon peu discrète. L’idée d’un refus lui retournait les boyaux jusqu’à en faire des nœuds marins. Andrew a des choses à lui apprendre, il le sent. C’est le mot “atténuer” qui lui donne le plus d’espoir. Une vie normale, c’est possible non ?

« Bien sûr que non. Je ne sais juste pas comment faire et ce que ça va me coûter. Je ne suis peut-être pas l’élève le plus brillant de l’université, mais j’ai encore envie de m’accrocher. » Cela va à l’encontre de toutes ces nuits, seul dans son lit, à se demander ce qu’il fait de sa vie et pourquoi il s’impose des disciplines qu’il ne parviendra jamais à maîtriser. Il est bon en outillage, en chimie, en bricolage et en expérimentations bizarres - pas en runes, sortilèges et autres matières très intellectuelles qui le perdent et le rendent confus. Quand la professeure Rosebury parle, il ne comprend qu’un mot sur soixante-dix.

« Est-ce qu’on va me virer ? Et à qui puis-je en parler ? »


@Andrew Hill

Andrew n’avait pas fait de secret longtemps. Enfin pas auprès de ceux qui représentaient l’autorité : Le ministère, le conseil d’administration de l’université et surtout Blackwood. Il se souvenait comme hier de la main immatérielle qui s’était posée sur son épaule. Il se souvenait des milles et uns formulaires et entretiens qu’il avait du passer. C’était difficile. Mais c’était loin d’être le plus difficile.

La gorgée de whisky semble le soulager mais pas autant que d’entendre que le Keir n’a pas l’intention de rester dans l’illégalité. Il aurait pu le convaincre, voir le contrainte, mais ça n’aurait vraiment pas donné le bon ton pour commencer leur collaboration. Et Andrew n’était que trop conscient qu’il aurait besoin de toute la bonne volonté de Charlie pour la suite…

- On ne va pas te virer Charlie. Tu n’es pas le premier étudiant loup-garou de cette université et tu ne seras sûrement pas le dernier.

Il marque une nouvelle pause nécessaire à l’absorption d’une nouvelle gorgée de spiritueux avant de répondre.

- Il va falloir prévenir le doyen et le ministère. Les deux vont te faire promettre tout un tas de choses qui sont presque impossible à mettre en place si on a pas l’aide nécessaire ou les bons contacts. Tu auras des entretiens à passer avec des gens forts peu sympathiques... Mais je vais faire de mon mieux pour t’accompagner sur cette voix. J’ai déjà prévenu Blackwood, n’en prend pas ombrage. Je ne savais pas si tu ferais appel à moi et il n’était pas envisageable que je cache aux capes noires une telle information.

Il cherche dans le regard de son interlocuteur la colère ou la compréhension face à cet état de fait avant de dire.

- J’ai mille questions a te poser mais visons large dans l’espoir que tu puisses répondre à certaines d’entres elles. Comment se sont passées tes pleines-lunes, Charlie ?

Il est vraiment étrange de s’entendre dire cela car, jusqu’à présent, et tout en sachant que ce n’était pas vraiment le cas, Charlie s’est senti très seul. Il ne remet pas en question l’implication des Chauffe-Plats dans son processus de guérison mais a parfaitement conscience qu’ils ne sauront jamais ce qu’il vit au quotidien. Ce que cela veut dire, être lycanthrope. Et ces choses-là, il n’en parle pas toujours, il se tait mais pas pour se faire plaindre… pour ne pas y penser tous les jours. Seulement, cela l’enfonce dans une solitude qu’il ne maîtrise pas, qu’il n’accepte pas. Oui, il est donc vraiment particulier d’entendre Andrew lui dire cela comme s’il n’était qu’un parmi une masse. Pas le dernier… cette idée le terrifie. Il pense à ces âmes et corps brisés futurs, ce qu’ils devront vivre et accepter pour continuer à avancer.

« Je comprends tout à fait. Tu as sûrement eu raison. » Charlie n’est pas du genre à taper sur la table, à s’exclamer, à s’esbroufer comme pourrait le faire Cataleya - pour ne citer qu’elle. Il a un pincement en s’imaginant la réaction de Blackwood et ce qu’on a pu dire de lui. Le jugement lui fait peur alors qu’il essaye pourtant de s’en détacher. C’est plus fort que lui. Il ne croise pas son regard pour ne pas y voir les réflexions qui doivent ravager ses pensées et se concentrer sur la surface de son bureau, le liquide dans son verre qui ne sera bientôt plus là, sur ce que veut dire “aller au Ministère”. Et c’est effrayant. Son cœur bat vite et fort alors qu’il sait bien que c’est obligatoire. Que c’est ce qu’il faut faire. Keir ne peut pas vivre dans l’illégalité toute sa vie, ce n’est pas une voie qu’il veut suivre. L’idée d’être accompagné par Andrew le rassure.

Il relève la tête vers lui, hésite quelques secondes. Il n’est pas question de mentir ici, d’ailleurs Charlie ne l’envisage même pas. Il prend son temps pour chercher ses mots car aucun ne semble vraiment correspondre à ce qu’il ressent. À ce qu’il vit. Comme si la langue n’avait pas prévu qu’un tel drame puisse arriver à quelqu’un. Le silence est pressant jusqu’à ce qu’il ouvre enfin la bouche.

« Hum… C’était dur. Éprouvant physiquement mais aussi mentalement. Chaque fois, je n’arrête pas de penser à ce qui pourrait arriver de mal et ça me hante. Les autres ont fait ce qu’ils ont pu et je pense qu’on a eu de la chance d’avoir dès le début un dosage pas trop mauvais de la potion Tue-Loup. Tout aurait pu être pire. Tout pourrait l’être encore car… » Il s’arrête. Non, pas question de cacher quoi que ce soit. Après tout, c’est à cause de ça qu’il est là non ? Qu’il a choisi de les abandonner, de faire le lâche. Ou peut-être, de leur sauver la vie ? Allez savoir.

« Je n’ai eu qu’un seul incident, en août dernier. J’ai blessé Cataleya et Lewis. Je ne sais pas pourquoi, la potion n’a pas fonctionné, j’ai eu un trou noir presque toute la nuit jusqu’au petit matin. À vrai dire, c’est… à cause de ça que j’ai décidé de venir te voir aujourd’hui. Je ne peux plus jouer leur vie en pensant faciliter la mienne. » Il fronce les sourcils, baisse la tête de honte.

@Andrew Hill

Andrew se veut aussi patient que possible. Pourtant sous le bois de la table, ses doigts tapotent en rythme et silencieusement de quoi l’occuper en attendant que Charlie ne puisse s’exprimer. Poser des mots. Peser les mots. Andrew à l’impression de s’entendre quand il n’était qu’un jeune lycan. Il lui semble reveiller de vieilles cicatrices qu’il pensait disparues à jamais. La réalité, c’était le le traumatisme se glissait dans l’ombre mais ne disparaissait jamais. Cette douleur, personne ne pouvait vraiment l’oulier.

- Physiquement, ça peut s’arranger. Ca va demander beaucoup d’efforts de ta part mais on peut apprendre à gérer la douleur et à limiter l’impact qu’elle aura sur toi.

Ca demandait une hygiène de vie adéquate. Contraignante diraient certains. Mais c’était comme tout, on s’y faisait. Du sport régulièrement pour mieux appréhender son corps. De la médiation, pour savoir lâcher prise. Une alimentation saine et équilibrée, pour satisfaire ses besoins et mieux gérer ses pulsions. La seule chose qu’il n’avait pas su abandonner, c’était le café…

Le reste de la déclaration du Keir lui extirpa un frisson qui venait de loin. Très loin. Il inspira par le nez, comme il le faisait pour ne pas s'énerver quand ces bougies lui mettaient les nerfs à vif par leur bêtise et leur inconséquence. Il n’était pas surpris que Cataleya et Lewis aient pu rester auprès de Charlie. C’était aussi loyal que stupide de leur part. Il était encore moins surprise d’apprendre qe ca ne s’était pas bien passé.

- C’est normal. La potion tue-loup est une des potions les plus difficile à maitriser. Il n’y a pas un dosage unique pour un lycan unique. Tout comme le lycan change, la potion doit changer aussi… Le processus est long pour obtenir une potion correcte et il faut sans cesses l’adapter. Je connais une spécialiste dans le domaine. Une fois que tu auras ta propre composition, tu sauras garder le contrôle du loup les soirs de pleine lune et tu seras inoffensif.

Andrew se lève et rejoint son bureau. Tirant sur la poignet d’un tiroir, il extirpe un petit carnet à la reliure de cuir bleu marine et aux pages parcheminés entourées d’un lacet. Un achat compulsif réalisé en thaïlande l’été dernier dont il n’avait jamais su trouver d’usage. Revenant à sa place, carnet et plume à la main, il ouvrit une page sur laquelle il commença à écrire une liste des choses à faire.

- Mais avant cela, il va falloir sécuriser l’endroit où tu te transformes. Et je vais insister lourdement… la potion en elle même ne suffira pas. Jamais. Une nuit tu peux être un chiot qui dort jusqu’au lever du soleil et la nuit prochaine, sans qu’on sache pourquoi, tu devient un monstre assoiffé de sang. Ne soit jamais négligent, Charlie, et tu ne tueras personne.

Il marque une pause, comme pour s’assurer que le louveteau ait bien compris :

- Ou te transformais-tu ? Pourrais-tu me décrire l’endroit ?

Il est rassurant de savoir que la douleur peut s’atténuer, car Keir ne rêve que de ça. Il est presque assez naïf pour croire qu’elle peut disparaître, avant de se raviser. Aucune transformation de loup-garou ne sera jamais sans peine, il ne sert à rien d’espérer le contraire. Ce qu’Andrew peut lui apporter suffira amplement à alléger le poids dans son cœur. Il est pourtant forcé de lui dire la vérité sur ce qui s’est passé en août avec les Chauffe-Plats et qui fait des va-et-vient dans sa tête depuis lors. Il ne cesse de penser au mal qu’il aurait pu leur faire, au sang supplémentaire qui aurait pu couler cette nuit-là s’ils n’avaient pas eu de la chance. Son esprit divague aisément vers ses amis et la culpabilité le grignote à nouveau, inlassable.

« Inoffensif… » Le mot le laisse rêveur car c’est tout ce qu’il souhaite. Et pourtant, il précède une complexité qui s’intensifie dans la bouche du Hill. Il sait cette magie tordue et les dosages pernicieux, si bien qu’il a toujours eu une franche admiration pour les capacités de Cataleya. Elle aurait pu abandonner plus d’une fois mais son côté “Blackthorn” en a décidé le contraire et pour une fois, il est soulagé qu’elle soit ainsi. Incapable de lâcher le morceau. Mais tout cela ne vaut que s’il reste bien à l’abri dans sa prison. Il suffirait de sortir un peu trop tôt pour que la potion cesse son effet et qu’il devienne ce qu’il redoute le plus… un monstre sanguinaire. La pensée le fait frissonner des pieds à la tête et le professeur de Runes ne s’enquiquine pas à ménager ses sentiments à ce sujet. Ne pas être négligent et, ainsi, ne tuer personne.

Son regard s’accroche à la plume qui s’ajoute sous l’impulsion des doigts d’Andrew et il donnerait cher pour parvenir à lire les mots qu’elle dépose dans le carnet avec une souplesse étonnante. Lorsque celle-ci se met en pause, suspendue dans le vide, c’est le signal qu’il attendait pour lever les yeux vers son mentor.

« Au Yarn Manor, près du cimetière du même nom. C’était au sous-sol, la cave. Pas de fenêtres vers l’extérieur, que des murs en pierre. La pièce n’était pas très grande, une table et une chaise, un seau et les chaînes incrustées dans le mur. Infestées de runes, tout comme la porte menant au couloir pour remonter au rez-de-chaussée. Il y fait toujours sombre et un peu humide. » Il ne sait pas quoi dire d’autre. Charlie ne s’est jamais vraiment attardé sur cette pièce pour la simple et bonne raison qu’il a toujours fait confiance à Cataleya et Barghest pour ce qui était des détails techniques, ne sachant lui-même comment s’y prendre ou quelle règle suivre. Ils savaient quels sortilèges lancer, quelles runes tracer, quelle distance respecter et quand se mettre à paniquer. Lui ne faisait que hurler de douleur et passer une nuit épouvantable dans le corps d’un autre.

« Est-ce que je vais devoir aller ailleurs ? »

@Andrew Hill

« Inoffensif… » Andrew hoche gravement la tête. C’était une lourde promesse mais Andrew se savait capable de la tenir à long terme. S’il avait su devenir ce lycan, il ne voyait pas pourquoi Charlie n’en serait pas capable. Cela lui demanderait des efforts, peserait tout les jours ou presque sur sa charge mentale à l’image d’une maladie chronique dont on ne peut se débarrasser. Et même si le Keir doutait de tout et surtout de lui, ce n’était pas le cas de son mentor qui allait s’assurer personnellement de sa réussite.

Les mots s’alignent soigneusement mais rapidement sur les pages parcheminées au fil des pensées de l’Eclairé. Il ne peut pas penser à tout aujourd’hui mais il peut jeter sur le papier les premières pistes qui aideront Charlie à protéger le monde de lui-même. Suspendant son geste ainsi que la plume, il écoute les confessions du louveteau non sans froncer le nez à l’utilisation du mot “infesté”. Connotation malheureuse pour celles qui avaient pourtant essayé vainement de maintenir le loup en cage.

- Yarn Manor. Hum. Chez Cataleya.

Il comprenait mieux l’engagement de celle-ci. Même s’il était prêt à mettre sa main au feu que toute cette histoire ne serait jamais arrivée sans elle, il devait au moins reconnaître qu’elle n’était pas si mauvaise en runes et qu’elle avait sûrement fait de son mieux pour sécuriser l’endroit. Elle était égocentrique mais pas stupide. « Est-ce que je vais devoir aller ailleurs ? »

- J’aimerais bien oui.

En réalité, il ne lui laisserait pas le choix. Plus maintenant. Mais s’il avait appit quelque-chose au contact des chandelles, c’est que la suggestion était toujours plus efficace que l’injonction.

- Dans les anciens cachots d’Hungcalf, il y a plusieurs cellules. L’une d’elle a été mise en condition par mes soins. Ainsi que par d’autres collègues Professeurs à l’époque où il y avait un autre enseignant atteint de lycanthropie. J’ai connu bien des transformations, mais c’est dans celles-ci que j’ai été le plus serein. De loin.

Et ne lui laissant pas vraiment le temps de donner son avis, il ajouta presque pour lui même à mi-voix.

- Il va falloir que je me procure du diméritium et de l’argent pour tes chaines.

Il ajoute une ligne sur le carnet comme s’il craignait plus que tout que cette pensée ne lui échappe…

Il y a des choses qui ne se cachent et il aurait tout aussi bien pu dire « chez Cataleya » directement, mais Keir se refuse à évoquer ce prénom de peur qu’il ne prenne toute la responsabilité de cette tragédie. La Blackthorn n’a pas acheté ce Manoir uniquement pour combler les manques du lycanthrope les soirs de pleine lune, mais bien pour son propre bonheur. Le reste n’est que providence.

La moue se forme, les épaules s’affaissent. Ce n’est pas un ordre mais c’est reçu comme tel. Il va devoir en changer et l’idée de décevoir la jeune femme un peu plus encore le déprime. Elle a pourtant fait tout ce qu’il faut pour qu’il se sente à l’aise là-bas et il viendrait encore lui cracher à la figure que ce n’est pas assez ? Qu’il y a mieux pour lui ailleurs que sous son regard et sa protection ? Sa propre salive a un goût amer dans sa bouche. Charlie se sent monstrueusement traître.

Il pense à ces cachots, à ces élèves qui vont le voir descendre vers cet étage tôt ou tard, et qui soupçonneront forcément quelque chose. Il se demande comment les autres font pour préserver aussi longtemps leur secret car il sait que sa maladresse lui vaudra d’être découvert bien vite. Or, Charlie ne veut ni inquiéter ses camarades, ni être le fruit de leur médisance. Au moins, chez Cataleya, personne ne pouvait se douter de ce qu’il s’y passait à part les principaux concernés. Même Ofelia n’a jamais posé de question. Keir devrait se fier au jugement d’Andrew, bien évidemment. Seulement, la vie ne serait pas amusante si elle était si simple.

« Qu’est-ce que ces cellules ont de différent ? » questionne-t-il enfin et le mot le fait frissonner d’effroi. Chez Cataleya, il se contentait d’aller « dans la cave », pas dans « une cellule » tel un prisonnier d’Azkaban. Il trouve le terme mesquin et peu engageant. On s’imagine rarement un quatre étoiles en se le répétant dans la tête. Charlie ne possédant aucun esprit positif pour le moment, difficile pour lui de ne pas élaborer les pires théories sur l’aspect des cachots d’Hungcalf. Il regrette de ne pas y être allé faire un tour plus tôt…

« Et toi, ça fait combien de temps ? » La question lui trotte dans la tête depuis qu’il sait et qu’il a reçu l’ordre de ne rien révéler. Bien qu’il comprenne l’objet de ce secret, Charlie a l’impression qu’on lui a refilé un cadeau empoisonné. Ravi de décrypter un peu mieux l’homme qu’est Andrew, il se voit obligé de mentir par omission aux Chauffe-Plats et c’est un bien cruel sort qu’il lui impose de vivre. À se demander si la confidence n’a pas été faite dans cet unique but… Les fragiliser pour qu’ils lui résistent un peu moins, tous autant qu’ils sont. Le Hill doit savoir qu’il tient Charlie par le collier et qu’il peut se servir de cette information pour liguer les autres contre lui – ou, au mieux, créer de la méfiance entre eux. La simple idée que Lewis puisse lui tourner le dos glace sa colonne vertébrale.

@Andrew Hill

Prétendument affairé à sa prise de note qui prend des allures de cahier des charges dantesque, le britannique glisse un regard vers Charlie qui semble s’enfoncer dans son fauteuil au point de vouloir y disparaître. Il n’était pas vraiment surpris que la prétendue proposition ne lui plaise pas plus que ça. Ca avait déjà dû être un effort conséquent pour l’Ethelred de demander de l’aide auprès de celui qu’ils appelaient “Mum” mais si en plus il fallait abandonner le peu de ce qui nourrissait l’égo de Cataleya Blackthorn.

« Qu’est-ce que ces cellules ont de différent ? » Vaste sujet. S’il n’était pas lui-même en ancien enchanteur, il aurait tout aussi bien pu hausser les épaules mais être convaincu du bien fondé des installations mises en places. La réalité, c’est que dès les premières années suite à sa transformation, il s’était largement intéressé à tout ce qui pouvait mieux contenir un loup-garou et qu’il pouvait se targuer d’être devenu un spécialiste en la matière.

- Je peux t’y emmener, si tu veux. Pour que tu puisses voir par toi-même…

Ca serait bien plus efficace que de se perdre en détails que le jeune loup risquait de ne pas comprendre. Il allait avoir beaucoup à apprendre et Andrew ne voulait pas l’étouffer d’informations inutiles. Puisque le silence c’était installé, lourd de sens, le Professeur s’interrompt un instant pour boire une gorgée de son verre et préciser.

- Elle s’en remettra, tu sais.

C’est qu’il commençait à comprendre les interactions entre les quatre membres du cercle qu’il supervisait. Ca avait pris du temps, tant elles étaient différentes de celles qu’avait connu Andrew au sein de sa propre promotion. Il était sur le point de lui rendre le livre lorsqu’arriva le moment qu’il redoutait particulièrement. « Et toi, ça fait combien de temps ? »

- 21 décembre 2010.

Son ton avait légèrement changé. Il y avait comme une nostalgie qui traînait dans sa voix. Une nostalgie de cette époque… Avant cette nuit décisive, il n’aimait pas spécialement sa vie pourtant. La seule chose qui lui manquait vraiment de cette époque, c’était Alexei. Pour le reste… La lycanthropie l’avait réveillé.

- C’était un loup-garou déclaré, natif de sa condition. Un étudiant de 1ere année qui a mal supporté le changement de ses conditions de pleine lune. Un autre lieu, une autre potion… Parfois ça ne tient à pas grand chose, tu vois.

Il opine du chef. Visiter et voir les cellules de ses propres yeux est sûrement bien mieux que de l’écouter en parler et psychoter sur ce à quoi cela ressemble vraiment. Il se pose beaucoup de questions, Keir. La plupart concernent les Chauffe-Plats, évidemment. Il pense à leur réaction, leurs sentiments et tout ce qui n’a plus tourné rond depuis neuf mois. Charlie relève la tête pour regarder Andrew, fronçant d’abord les sourcils avant de comprendre. S’en remettra-t-elle vraiment ? Vu comment vont les choses, elle risque surtout de se jeter dans les bras de ses monstres de parents et il se sent entièrement responsable. S’il l’avait gardée comme manager de pleine lune, elle n’aurait pas été aussi blessée. Elle ne le dit pas comme tel mais il peut le voir sur son visage, l’entendre dans les inflexions de sa voix lorsqu’elle mentionne le sujet. Elle s’en remettra oui, mais elle ne comprend pas ce qu’elle a fait de mal. Rien lui répète-t-il suffisamment pour que ce soit entendu, mais l’est-ce vraiment ? Elle a beau chercher à le rassurer, cela ne fonctionne pas. Qu’on ne le lance pas sur le sujet Lewis… Que de déception il sème autour de lui !

Charlie compte les années, puis les mois et enfin les jours. Tant d’années… à être un loup-garou, à l’écart de la nature « normale » des hommes, à manager les nuits avec un autre être plus sanguinaire. Il n’arrive même pas à envisager l’avenir. À se dire « en 2036, je me sentirai enfin à l’aise avec cette malédiction au point qu’elle ne me gênera presque plus ». Non. Il se voit à peine faire face au mois suivant, pour tout dire… Alors oui, il est pleinement admiratif du professeur et ne s’en cache pas.

« Ce que tu dis, c’est que ça peut arriver à n’importe qui alors… Toi ? Tu as déjà causé ce genre d’incident ? Où as-tu été mordu ? » Des questions qui déboulent, inarrêtables. Il ne s’attend même pas à ce qu’Andrew y réponde, bien qu’il aimerait savoir. Lui-même ne sait pas s’il saurait révéler une information aussi personnelle. Sa morsure, personne n’y touche. Lui encore moins. Pas à mains nues, en tout cas. Il n’ose même pas la regarder tant cette cicatrice lui fait honte et l’humilie. Quel sorcier peut se targuer dans être un tout en affichant une telle faiblesse ? Charlie ne se sent ni guerrier ni combattant rescapé. Plutôt comme une âme flottante n’arrivant à se raccrocher à rien.

« Pardon, c’est indiscret. T’es le premier que je rencontre qui soit… comme moi. Alors forcément… »

@Andrew Hill

L’accord implicitement donné par l’Ethelred qui hoche la tête satisfait le Hill. La visite des cellules du Château devraient attendre puisqu’ils avaient beaucoup à faire avant que ce soit leur priorité. L’urgence en l’état était de préparer Charlie à un entretien musclé avec un agent de la brigade de régulation les lycans. Un vaste programme s’il en était.

Mais l’heure en était aux confidences et Andrew avait bien comprit que s’il voulait gagner la confiance de Charlie, il fallait qu’il se livre sur sa propre condition. Ce a quoi le Britannique n’était guère habitué. Aujourd’hui, il n’y avait qu’avec Murphy qu’il était parfaitement transparent, pour des raisons éminemment médicales. Même @Isabelle D'Essenault n’était pas destinataire des confidences liées à sa nature, épousée quatorze année auparavant.

« Ce que tu dis, c’est que ça peut arriver à n’importe qui alors… Toi ? Tu as déjà causé ce genre d’incident ? Où as-tu été mordu ? » Il hoche la tête mais c’est seulement pour confirmer l’affirmation de son protégé. Pour ce qui est du reste, il prend quelques secondes avant de répondre en essayant d’être le plus rassurant possible :

- Je n’ai mordu personne, mais il m’est arrivé d’être dangereux. Il y a bien des années.

Ses pensées s’égarent vers @Brunelle Dans , alors adolescente, qui aurait pu être blessée plus d’une fois à l’époque où les pas du Britannique l’avaient poussés vers les Etats-Unis. Et ce faisant, il défait son bouton de manchette sur le bras gauche, dévoilant la cicatrice d’une morsure demeurant plus clair que sa peau, entourée de glyphes ébènes.

« Pardon, c’est indiscret. T’es le premier que je rencontre qui soit… comme moi. Alors forcément… » Un pauvre sourire apparait sur les lèvres de l’enseignant. Il se demande comment il aurait été s’il avait rencontré un lycan comme lui durant ses jeunes années.

- Je n’ai pas eu cette chance. J’aurais sûrement aimé ça. Alors crois moi quand je te dis que je suis prêt à tout pour t’accompagner sur ce chemin. Alors si tu as des questions… N’importe lesquelles. N’hésite pas.

Il imagine mal Andrew en tueur sanguinaire mais, encore une fois, même lui aurait pu l’être si les runes et autres enchantements ne l’avaient pas tenu à distance des Chauffe-Plats ce soir-là. Et cette idée que n’importe qui puisse succomber à ces pulsions dévorantes le terrifie. Charlie est pourtant soulagé d’apprendre que son mentor n’a jamais tué ou transformé un autre être humain, une lueur d’espoir dans le tunnel sombre de son quotidien. Il est plus facile de le concevoir en tant que danger – ils le sont tous – qu’en tant que meurtrier ou maillon de la chaîne des loup-garou. Le sorcier suit ses gestes et découvre une cicatrice qu’il n’a jusque-là jamais vue et à raison : elle en dit beaucoup trop sur la nature de son porteur. Charlie est presque soulagé que la sienne se trouve sur un endroit plus intime de sa peau, là où l’accès est limité. Il ne saurait pas gérer ce secret avec une morsure à même le bras. Adieu les baignades et les chaudes journées d’été… Il irait se tapir au Groenland où il est accessible d’être en parka toute l’année ! Est-ce qu’Andrew pense obtenir la même chose que lui ? Car il peut se brosser pour qu’il retire son pantalon dans son bureau… Avec sa chance, Lewis entrera au même moment. Ou pire : Cataleya ET Alexander. Ils se ficheront de son cul tout plat et de son caleçon devant Mom, avant d’être pétri de honte en comprenant le but de cette dépoilade. Et même si la cicatrice se trouvait sur un endroit plus accessible à l’œil, le résultat serait le même. Charlie ose à peine la regarder, ce n’est pas pour la montrer à quelqu’un d’autre. La toucher lui donne des hauts le cœur.

« Merci. Pour… l’accompagnement, tout ça quoi. » Des questions, il en a plein. Elles lui font mal à la tête. Et même s’il a reçu l’autorisation formelle de les poser, il n’y parvient pas. Il a pourtant envie de demander à Andrew s’il a déjà pensé à se jeter du haut d’un toit pour endiguer la violence de la Bête. Si sa nouvelle alimentation à base de viande saignante l’a déjà gêné. S’il a réussi à trouver et garder des amis et des amours fiables tout au long de sa vie… Cette question est la pire qui soit puisque la réponse pourrait le détruire. Pour finir, il se positionne sur quelque chose de plus simple.

« Quels avantages as-tu tiré de cette… ce… du fait d’être cette nouvelle personne ? Il doit y’en avoir non ? » Là encore, il attend un signe d’espoir. Il a peur. Peur de n’avoir rien d’autre que des obstacles dans sa vie à cause de cette nature lupine. S’il y a des avantages, il veut les connaître, se rassurer, se dire que ça pourrait être pire. Même si ça ne l’est pas vraiment à ses yeux…

@Andrew Hill

C’était indiscret de la part du louveteau, mais il était évident que la notion d’intimité avait radicalement changé entre eux le jour où Charlie s’était étouffé sous l’effet de l’aconit. Keir, qu’il regardait à peine à l’époque, était désormais le centre de toute son attention. Le centre de ses préoccupations. Il se devinait bien meilleur mentor lupin qu’Eclairé pour le jeune Ethelred qui avait beaucoup à apprendre.

Ainsi, concernant la lycanthropie, il n’y aurait pas de mauvaise question. Pas de question indiscrète. Pas de tabous, pas de secrets. Tout ce qu’il avait apprit, tout ce qu’il avait subi, il était prêt à le partager avec Charlie dans l’espoir que sa transition soit la moins chaotique possible. Comme il aurait aimé qu’on le fasse pour lui. C’est que le Hill avait été désespérément seul durant ses premières années… Comme condamné à vivre en marge de cette société sorcière qu’il avait tant aspiré d’intégrer.

Les remerciements de l’étudiant semblent être sincères mais aucune question ne s’ajoute durant de longues secondes. Andrew devine aisément qu’elles doivent être nombreuses et tandis qu’il fait son choix, le Britannique referme le petit carnet de cuir bleu et enroule la ficelle destinée à le maintenir fermé. « Quels avantages as-tu tiré de cette… ce… du fait d’être cette nouvelle personne ? Il doit y’en avoir non ? »

- Il y en a. Mais elles sont longues à trouver.

Reconnaît il en posant sur la table qui les sépare, le carnet.

- La force physique qui se décuple m’a souvent donné l’impression d’être tout puissant. Presque invincible. Je suis plus endurant, plus résistant. Ça finit par gonfler la confiance en soi, ce qui permet de jouir d’une certaine légitimité quand on a besoin de s’imposer dans l’un ou l’autre des aspects de notre vie.

Poussant de deux doigts le carnet vers Charlie, il ajoute.

- C’est pour toi. Voit le comme un guide. On y mettra toutes les étapes que tu devras traverser et tout ce dont tu auras besoin pour y arriver. Et puis tu pourras noter les questions qui te passent par la tête et me les poser quand tu voudras.

Ah, super… Les épaules de Charlie s’affaissent. Il aurait voulu une réponse différente, un grand oui sans ‘mais’. Et le ‘mais’ est gros, trop gros pour son morale chancelant. S’il le dit, il va passer pour un garçon dramatique qui en fait des caisses juste pour se faire chouchouter, rassurer. Pas du tout. Il peine déjà à parvenir au lendemain alors oui, ce ‘mais’ est conséquent dans la vie du louveteau. La patience, il n’est pas certain de la posséder. La faute à la jeunesse, sans doute.

« Ouai, s’imposer c’est pas trop mon truc. J’sais pas si ça me servira. »

Ce n’est pas ça qui le rendra plus légitime aux yeux d’Alexander, aka les muscles des Chauffe-Plats. Il ne se voit pas user de la force contre qui que ce soit, même si on lui en donnait l’opportunité. La seule fois où il a fait du mal à quelqu’un et ce volontairement, il s’est juré de ne plus jamais recommencer. C’est probablement pour cela qu’il est devenu la cible d’un loup-garou en folie, d’ailleurs. Ou se fait-il des illusions ? Charlie pose les yeux sur le carnet posé entre eux et ne le touche pas tout de suite. Il réfléchit à toutes les questions qu’il pourrait y noter et craint de voir le parcours qu’il lui reste à mener pour, enfin, être en paix avec sa nature lupine. Long, il le sait. Ce sera long. Et il sera seul avec Andrew, qu’il a l’impression de ne pas connaître en fin de compte, en qui ses camarades n’ont pas toujours confiance. Lewis ça va encore, mais Alexander et Cataleya sont constamment en conflit avec ce mentor. Un mentor à qui il devra prendre la main et accepter de suivre, dont il boira les paroles et le moindre conseil parce qu’il est le seul, au final, à réellement comprendre ce qu’il traverse. Et ça le tue de se dire que Lewis, malgré tous ses efforts, ne sera jamais dans cette position. Qu’aucun de ses mots, aussi beaux et réconfortants soient-ils, ne sauront totalement maîtriser ce sujet.

« Merci, je vais faire de mon mieux. »

Il prend le carnet, le feuillette rapidement et le pose sur ses genoux. Il y a vu les annotations mais a choisi de ne pas toutes les lire tout de suite. Il le fera une fois seul dans son lit, avec ses pensées, ses doutes et ses craintes. Quand il ne sera pas épié par un autre loup qui attend de lui qu’il réussisse et ne soit un danger pour personne. Car tout ne tient qu’à ça n’est-ce pas ? C’est le résultat que tout le monde veut, lui y compris.

« Quand veux-tu qu’on se voit la prochaine fois ? Que je le note… là-dedans. »

Avant de partir à la découverte des cellules pour loup-garou d’Hungcalf. Celles dont on parle sans savoir où elles se trouvent ou à quoi elles ressemblent.

@Andrew Hill

Il n’avait pas l’intention de lui mentir. Même si la vérité était terrible à entendre. Même si elle n’était pas ce qu’il attendait, ce qu’il espérait. Il était prêt à prendre Charlie sous son aile mais ce ne serait pas lui rendre service que de lui materner. Il allait passer les pires mois, les pires années de sa vie même… Et il fallait qu’il soit prêt. Sinon il rejoindrait la longue liste des jeunes loups-garous qui avaient mis fin à leurs jours… Andrew ne pouvait envisager une telle issue. Non seulement il avait ce gosse sous sa responsabilité, mais en plus il devait s’avouer qu’il s’était attaché à ceux qu’il avait longtemps considérés comme des boulets. N’attendez pas à ce qu’il dise ça à voix haute un jour…

« Ouai, s’imposer c’est pas trop mon truc. J’sais pas si ça me servira. » Il ne répond pas même s’il a beaucoup à dire sur le sujet. L’heure n’était pas vraiment aux remises en questions pour Charlie qui avait déjà beaucoup à faire dans ce domaine actuellement, il n’en doutait pas. Mais le Hill savait que Keir était capable de s’imposer. Il l’avait vu, dans son bureau, il y a quelques semaines de cela alors qu’il avait encore la gorgée brûlée par l’aconit. Il n’avait pas encore conscience que ce nouvel état allait forger d’acier son mental. Mais d’abord, il fallait le détruire, le mettre en miette. La re-construction ne venait que dans un second temps.

Et Andrew se promettait d’être toujours disponible pour le guider. En témoignait ce petit carnet qu’il lui remettait comme un symbole. Si le Professeur s’attendait à ce que le jeune lycan se plonge dans la lecture de ses notes, c’était raté. Parce que c’était qu’il aurait fait, lire frénétiquement chaque ligne et sortir une plume pour compléter les pages. Mais il allait devoir faire avec le fait qu’ils étaient très, très différents et que malgré les apparences, Charlie n’avait rien de l’Andrew adolescent qu’il avait été autrefois. « Quand veux-tu qu’on se voit la prochaine fois ? Que je le note… là-dedans. »

- Demain, à 21 heures. Nous irons au sous-sol et je t’expliquerais ce que tu peux faire pour rendre la nuit moins risquée.

La question, néanmoins, lui avait arraché un pauvre sourire. Et il ajouta, comme pour s’excuser.

- On va beaucoup se voir dans les prochains mois.