Je ris avec légèreté. J’avoue que du peu que j’ai pu connaître Diane par le passé, elle ne s’est jamais démarqué par son impulsivité, c’est un qualificatif qui s’applique plutôt à moi. Plus jeune, j’étais comme dit l’expression un chien fou. Bagarreur, fêtard, indiscipliné, je ne tenais jamais en place, toujours prêt à faire les quatre cent coups, d’abord à Poudlard avec Sasha, Duncan ou encore Oswald, puis à Hungcalf, où j’étais connu justement pour le feu qui m’habitait. Diane elle avait été beaucoup plus sage.

Il n’est jamais trop tard pour se lâcher tu sais. Si tu en ressens le besoin …

Mais je dois l’avouer, je vois mal Diane se lâcher tant elle me semble tranquille. Ou en tout cas je ne l’imagine pas débridée comme j’ai pu l’être par le passé ou comme le sont d’ordinaire les adolescents. Mais malgré ces mots légers et les rires nostalgiques qui les accompagnent, je ne parviens pas à cacher l’inquiétude qui m’habite, ni dans ma voix ni dans mes traits. Finalement, je m’aperçois que j’ai besoin de parler, et même si je ne connais pas beaucoup Diane, c’est peut-être plus facile de le faire, justement parce qu’on se connait peu et que je n’ai ainsi pas peur d’être jugé par elle. Je me confie donc, sur les absences, sur sa déconnexion avec la réalité, sur cette brume que je lis dans son regard, mais aussi son acharnement sportif, comme si elle cherchait à évacuer un trauma dont je ne sais rien. J’écoute Diane avec attention, et elle confirme mes craintes, même si elle prend des pincettes pour ce faire.

Cela fait plusieurs mois que ça dure maintenant… Ca date de ces quelques jours où elle a disparu pour aller voir son frère. Son absence avait été assez impromptue, elle ne m’avait pas prévenue, mais je ne lui ai jamais demandé aucun compte. Depuis ce jour-là, elle a l’air ailleurs. Même dans notre quotidien, dans nos gestes, je la sens frileuse et j’ai pu la sentir sur la défensive… Nous n’en avons jamais parlé…. C’est délicat et comme je te l’ai dit, j’ai peur d’y être pour quelque chose… Alors consulter un spécialiste, encore moins…

Je marque une pause, profondément ému.

C’est ma famille qui serait contente de voir que notre mariage n’est pas si parfait que ça, eux qui ont tous fait une grimace quand je l’ai épousé…

Diane était une femme que je connaissais peu, mais que je respectais. Mère célibataire, ce n’était pas facile tous les jours, je le voyais bien maintenant que j’étais moi-même père. Mais je le savais aussi, sûrement pour l’avoir vécu quand j’étais plus jeune, cela fait du bien souvent de se lâcher. Je l’avais largement fait dans ma jeunesse, je pouvais me ranger désormais. Mais pour Diane, je ne pouvais pas en dire autant, parfois il arrive un moment où l’on souhaite rattraper le temps perdu. Si elle le souhaitait, je pouvais lui montrer comment faire. Mais l’heure n’est pas à la fête, et je me surprends à me confier auprès de l’abeille. Peut-être est-ce leur côté généreux et attentif, qui pousse à se confier auprès d’eux ? Chez les Wright, on préférait les poings et la bière plutôt que la parole et l’écoute, mais chacun ses manières de faire. Et une fois que je commence à parler pourtant, les mots ne cessent de couler, comme s’ils ne pouvaient s’arrêter. Si j’avais essayé de les retenir, ils m’auraient coulé entre les doigts comme autant de flots sauvages. Diane ne m’interrompt pas, ce qui m’incite à lui parler de tout, en détails. La disparition de Niamh, son retour étrange, son comportement depuis lors. Comme si mon épouse n’était plus la même, comme si elle avait vécu quelque chose d’inconcevable, ou comme si elle me cachait quelque chose. Niamh avait vécu des épisodes bien assez dures dans sa vie. La perte de ses parents. Son ordure de frères. Le mépris des sang-pur pour son sang. Son agression. La perte d’un enfant. Bien trop d’épreuves quand on a à peine trente ans, et pourtant, elle avait toujours été forte. Sauf ces derniers mois.

Se perdre dans l’enclos des hippogriffes, oh ça j’aimerais bien les y voir, voir Octave se débattre contre un hippogriffe en furie essayant d’envoyer quelque sombre maléfice pour ne pas finir en charpies, ou encore Lilith, cette peste, qui hurlerait sûrement sur les créatures, ou même Calliope, qui perdrait enfin de sa suffisance…

Non, je ne lui ai pas fait part de mes doutes, j’ai peur que Niamh perçoive cela comme un manque de confiance tu comprends ? En même temps, son voyage n’était pas prévu, alors je t’avoue que je n’ai pas voulu creuser cette piste, j’ai supposé à l’époque qu’elle avait besoin d’un peu de solitude et de prendre du temps pour elle. Je n’ai pas eu d’explications à son retour et je n’en ai pas demandé… J’espère juste ne pas être en faute …. Elle me l’aurait dit si j’avais fait quelque chose de mal ou si elle ne m’aimait plus n’est-ce pas ?

Oui, j’étais inquiet. Inconsciemment, j’étais vraiment accro à Niamh, et c’est sûrement ce qui expliquait ma mue à son contact. Mais aujourd’hui, j’étais perdu. Peut-être que je m’inquiétais pour rien. Mais peut-être avait-elle raison, je devrais sûrement écrire à Aedan pour en savoir plus. C’est alors que je me serais rendu compte de l’horrible et mystérieuse vérité : le fait que Niamh ne soit jamais allé chez son frère, et que c’était un souvenir implanté par l’auteur du méfait, mon propre cousin Caliban Muller…

Je t’embête avec mes histoires, alors que tu es là à profiter d’un moment tranquille avec ton fils… Je suis sincèrement désolé.