Vendred 13 septembre – Début de soirée

Le royal fessier de l’héritière s’était échoué sans précaution aucune sur l’amoncèlement de cartons aussi hideux que décourageant. Il n’y avait là aucune harmonie puisque les contenants aux formes et tailles hétéroclites ne s’imbriquaient que par miracle -ou talent, si on osait le lui demander. Indétrônable, l’impérieuse sorcière jouait de sa baguette pour maintenir un semblant d’harmonie dans cette journée dédiée au chaos. D’ici quelques instants, elle défilerait pour la toute dernière fois devant la roseraie capricieuse et ses habitants et troquerait l’étendard de la divine perturbatrice pour celui de colocataire affirmée. Les jambes croisées -dont l’une particulièrement agitée, elle se montrait monstrueusement patiente. Ou, du moins, feignait de l’être. L’imbécile accuserait sans aucun doute le grincement sordide des grilles entrouvertes du manoir, ou le paysage hautement chaotique qui dessinait alentour. Le marbre d’innombrables pierres tombales ressortaient à faire peur grâce aux chutes régulières de feuilles, marquant les prémices de l’automne. Derrière elle, deux vaillants gnomes semblaient prêt à partir en guerre et pourfendre de leur bâton de bois aiguisé les mollets de la princesse s’il tant est qu’elle se montrait mal avisée. Aubépines et prunelliers remuaient sans cesse, au gré du vent ou du capharnaüm provoqué par les botrucs hébergés. Au loin, l’immense bâtisse se dressait, plantant son sommet dans un nuage si épais qu’il tenait plutôt du rêve que du concret. La faute, sans doute, aux volutes de fumée opalescente que vomissait la cheminée tortueuse. Le vitrail qui dominait la structure improbable, digne d’Howard Phillips Lovecraft, paraissait vibrer à un rythme régulier. Pulser serait sans doute le terme le plus adapté puisque tout en cet bâtisse invitait l’heureux observateur à la penser vivante. Elle-même avait eu l’occasion d’expérimenter quelques bizarreries enchanteresses comme une pile de vêtements miraculeusement pliés et prêt à être rangés ou une boisson chaude aux notes boisées déposées avec bienveillance alors qu’aucune âme qui vive ne siégeait à ses côtés. Les apparitions du genre s’étaient d’ailleurs faites plus vivaces à mesure que ses visites s’éternisaient, comme si la demeure elle-même cherchait à la mettre à son aise. Rocco, chaton coincé dans un corps d’adulte, avait également trouvé un nombre faramineux de souris à chasser dont toutes, étrangement, portaient la même tache violette au bout de la queue. En parlant de lui, ce fieffé félin s’était carapaté sitôt la voie dégagée et sans un regard pour elle. Qu’importe. Elle avait toute confiance en son sixième sens. Sitôt Paige à proximité, le tacheté bondirait à leur rencontre. Il appréciait la jeune femme et le montrait de façon nettement plus douce qu’Aela.

Entre elles, c’était l’amour vache. Quiconque les rencontrait pour la première fois était en droit de se demander quand elles allaient passer à l’attaque, tant elles se plaisaient à sortir les griffes et se feuler au visage. Il existait pourtant un amour sincère entre elles et nul individu ne pourrait espérer maudire la sorcière à la peau d’ébène de la même façon sans craindre de se faire énucléer par ses bons soins. Elle seule pouvait être odieusement affectueuse, et inversement. Naturellement, la princesse se montrait tout à fait impatience à l’idée de la voir arriver. La perspective de terminer -enfin- cette transition hautement stressante avant que la pleine lune ne vienne lui pourrir l’humeur tout en passant une soirée entre fille la ravissait démesurément. Un mètre plus loin, une rose bien trop colorée tentait d’approcher sa tête. Toutes dents dehors, l’odieuse plante s’imaginait déjà goûter à la nuque gracile de la sorcière. Bien essayé ! Aucune créature sur terre ne pouvait espérer décoiffer une chevelure consciencieusement plaquée sans craindre de représailles. Un grognement remonta le long de la gorge de la louve mais, contre toute attente, celle-ci choisit de privilégier la paix des ménages. Elle jeta un bout de bœuf séchée à l’affamée sous le regard de la nouvelle arrivée.

« Tu as toujours eu l’art de te faire désirer, Piggy. »

Les grands yeux de la rouquine se plissèrent à peine, dessinant à leur extrémisant quelques ridicules disgracieuses communément appelées sillons de joie. Sous la couronne auburn pétillaient deux perles marines en tout point charmées par leur cible désignée. Un sourire ravissant ajoutait une touche de lumière à la face tachetées d’éphélides. Aela était heureuse de retrouver sa plus proche amie et accueillît sereinement l’accolade. L’instinct la fit glisser une main pâle entre leurs silhouettes afin de préserver un espace ridiculement mince. L’autre main se secoua un instant en l’air pour faire reculer une breloque hors de prix de son poignet puis trouva naturellement sa place sur l’omoplate. Ses lèvres n’étant couverte que d’une fine couche de baume à la pêche, elle s’autorisa à déposer deux bises délicates sur chacune des joues tendues. Les Dieux en soient remerciés, elle avait poudré son teint. Il n’y aurait donc pas d’affreux trous nécessitant de perdre du temps pour quelques retouches nécessaires.

« Oh je t’en prie. Tu sais bien que je ne le pensais pas. » Osait-elle dire en croisant ostensiblement les doigts sur le devant de sa robe ivoire. « Je serais un amour pour la prochaine heure, ça te va ? » L’index se dressa soudainement entre elles, plus impérieux que jamais. « Attention ! Ne tombe pas sous mon charme. Ça pourrait faire mal. » L’oreille lui hurla de se méfier de l’odieuse rosa pimpinellifolia dont les racines semblaient vouloir s’extraire de terre.

« Il parait oui. C’est moins affreux que tu ne le crois. Pas touche ! » Eructa-t-elle avant d’abattre sa main au sommet d’une plante hybride. Cette dernière, affreusement vexée, poussa un grognement de loutre furieuse. « Tu veux bien m’aider à monter tout ça au premier ? Je te préparerais un café délicieux en échange de ton aide inestimable.» Les cils papillonnèrent exagérément sous le nez de la Moonfall, puis elle se saisit de sa baguette et tapota la moitié des cartons. Un sortilège fut soufflé du bout des lèvres et ces derniers lévitèrent à sa suite. « On s’occupera de l’aménagement après. Comme ça on se posera comme il faut. » Un rictus moqueur s’étira à droite de ses lèvres sur cette fin de phrase. Un peu de tentacula inhalée en bonne compagnie apaiserait à coup sûr la nervosité persistante.

Nul besoin d’appliquer une politesse d’usage puisque la porte bleue s’ouvra d’elle-même. La princesse avança en tête de peloton tout en tendant l’oreille aux différents grincements. Le manoir semblait être habitée d’une forme de vie particulière et elle avait appris à s’en méfier. Elle ressentait même un curieux respect pour la bâtisse ancienne. L’esprit torturé du premier propriétaire devait être en grande partie impliqué, elle y mettrait sa main à couper. Une fois l’étage gagné, elle laissa les cartons pénétrer une chambre au style aussi confortable que révolue. Un petit coup de frais ne ferait pas de mal. Elle prévoyait déjà d’y suspendre plusieurs créations florales de sa conception.

« Préfères-tu poser ton délicat fessier sur mes cartons ou dans la cuisine ? Je pourrais aussi te faire visiter mais j’ai peur que tu ne m’abandonnes à mon triste sort. » L’ongle manucuré se fit à tracer quelques arabesques sur la rambarde de l’escalier. Certaines rainures semblèrent y réagir. Le bois était-il chatouilleux ? « Peut-être que tu croiseras mes colocataires. @Cataleya Blackthorn et @Cygnus Dubellâtre . Plutôt charmants. Célibataires également… Et l’un des deux essaient de se faire pousser la barbe. Je te laisse le plaisir de découvrir lequel. »          

« Tu es un ange ma douce. » Un ange poutré hors du paradis mais était-ce nécessaire de le préciser ? Aela adorait cette détestable peste et serait bien triste si, un jour, cette dernière s’appliquait à devenir doucereuse. Cette simple idée suffisait à lui donner envie de s’enfoncer deux doigts au fond de la gorge. Quelle horreur !

Déjà habituée aux affreux végétaux rampant autour de l’imposante demeure, la sorcière ne broncha pas lorsqu’elle entendit l’une des racines fouetter l’air dans leur direction. Chacun de ses index s’étaient unis pour venir s’abattre au sommet d’un bourgeon grognon. Grande sœur émérite d’une affreuse tête de pioche, elle maitrisait l’art de la claque comme personne. @Maël de Lusignan pouvait en témoigner puisque l’arrière de son crane s’en était vu odieusement gratifié des années durant.

Soumis à un sort de lévitation, les nombreux cartons voletèrent à leur suite. Les personnages difformes des tableaux décorant l’escalier interminable les suivirent dans ce dangereux périples. Ils étaient faméliques, émaciés ou désincarnés selon l’angle dans lequel ils choisissaient de se présenter et témoignaient de l’âme torturée du peintre. Fort heureusement pour eux, ils avaient compris que pénétrer dans l’antre de la louve reviendrait à condamner leurs toiles au bucher. Aucun n’osa apparaitre dans le cadre décroché par ses bons soins. La faute, sans doute, à la flamme bleutée enfermée dans le bocal juxtaposé.

Les fesses de la rouquine s’écrasèrent contre le matelas dont le blanc étincelait presque dans la tristesse de l’endroit. Cette chambre avait pourtant du potentiel, elle en était persuadée. Qui de mieux qu’une personne aux gouts avisés tel que Paige pour la mettre en valeur ? Main tendue devant son visage, elle inspectait ses doigts peinturlurés et grimaça à l’idée de détruire le travail minutieux fait en amont.

« Ses tailleurs sont peut-être aussi stricts qu’elle mais cette femme a une de ces classes ! In-dé-ni-able. C’est bien l’une des rares à marcher en talons sans avoir l’air de s’enfoncer un cactus dans le rectum -en dehors de nous, évidemment. »

Elle tira à elle l’un des cartons et perfora de la pointe de son ongle le scotch qui le maintenait fermé.

« @Cataleya Blackthorn a un sérieux travail à faire sur elle-même, mais elle est intéressante. Canon aussi, si tu oublies que ses tenues iraient à merveille à la fiancée de Nosferatu. »

Une collection impressionnante de sac en tout genre trouva bientôt place à ses côtés, puis au bas du lit.

« @Cygnus Dubellâtre est un homme de goût. Il est craquant aussi. J’ai cru entendre qu’il était aussi bon cuisinier. C’est un petit plus intéressant. »

Un autre carton fut ouvert. Il s’agissait cette fois-ci de mobiliers neufs en pièce. Merlin en soit loué, l’usage de la magie sauverait les deux jeunes femmes d’une prise de tête affreuse. Baguette en main, elle ensorcela le tout pour que les pièces s’emboitent les unes aux autres. La coiffeuse -élément vital de cette pièce- fut placée en priorité pour profiter des derniers rayons de lumière naturelle.

« Si tes grands pieds rentrent dedans, je veux bien t’en faire cadeau. Elle date de l’année dernière déjà. » L’avait-elle seulement porté ? Elle ne s’en souvenait plus. Qu’importe. Ce serait là une raison supplémentaire de sortir en virée shopping.

Un intense, immense, gargantuesque soupir s’échappa de ses lèvres tandis que le revers de sa main se portait avec dramatisme contre son front.

« Je n’ai que cette vulgaire armoire pour l’heure. Je vais être contrainte de m’étaler dans les pièces voisines… »

Les grands yeux bleus glissèrent le long de la pièce, rebondissant de temps à autre sur sa vipère préférée.

« Attention à ces cartons. Y'a mes bébés dedans.»

L'intitulé "Faculté" était élégamment écrit sur le premier. Un "-18. Pas toucher." laissait à l'imaginaire le loisir de travailler pour trouver le contenu du second.