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'Cause you're beautiful, it's true.
Mar 2 Nov 2010 - 19:16
« Déborah, dépêche toi ! » soufflais-je avec impatience à travers la porte de la salle de bain. Ma correspondante et colocataire, la belle et douce Joséphine de Beaulieu était aussi, de manière bien ponctuelle ma cavalier en ce soir d’Halloween. A vrai dire, au début, je ne voulais pas me rendre à ce bal. Je n’aspirai point à regarder les jeunes gens s’amuser et danser, se peloter et s’embrasser à longueur de temps, pourtant, j’avais vu ma correspondante bien esseulée ces derniers temps, et, ne souhaitant en aucun cas là voir rester seule en ce soir funeste, j’avais décidé de l’inviter. Je ne savais si elle en avait vraiment envie, mais finalement, elle avait accepté, et nous avions plaisanté du fait que les deux âmes solitaires que nous étions se fusionneraient l’espace d’une soirée pour se montrer un peu plus sociales qu’elles ne l’étaient habituellement. La soirée avait déjà du commencer, car le réveil dans ma chambre affichait déjà une heure tardive. Mais qu’importait si nous arrivions en retard après tout, sans doute notre arrivée ne serait que très vaguement remarquée. Inutile de se précipiter, mais la jeune femme avait le don de rester longtemps dans la salle de bain, et d’en ressortir plus éblouissante et plus naturelle que jamais. Je la soupçonnais d’utiliser des sorts pour se rendre plus belle encore, mais je savais pourtant que jamais la délicieuse Joséphine n’aurait fait cela. Non, elle était divine naturellement, et pour cela, je n’étais pas peu fier d’en être le cavalier. Quelques minutes s’écoulèrent durant les quelles j’entendis l’eau couler dans la salle de bain, les flacons de parfums et de crèmes se bousculer. J’étais impatient de découvrir quel déguisement elle allait porter ce soir, mais s’il y avait bien une chose dont j’étais sûr c’était que la douce jeune femme serait éblouissante, même dans le pire des costumes.
Je trouvais cette fête d’Halloween assez étrange cependant. Je m’étais longuement penché sur l’histoire de cette célébration, pour en apprendre ses origines, celtiques et même gauloises, et étonné même de voir que les moldus le fêtaient aussi. N’était-ce pas une fête purement sorcière ? Les petits moldus s’amusaient à se déguiser en sorciers, vampires ou morts vivants pour aller réclamer des bonbons à toutes les portes de leur quartier, sinon quoi les heureux propriétaires verraient leur maison recouverte d’œufs et de papier toilette. Ces petits garnements ne manquaient pas d’imagination, je me devais de l’avouer. Sans doute les moldus n’étaient jamais aussi proches du nous qu’en ce soir d’Halloween, car ils n’imaginaient pas, les bien heureux, qu’un mal rôdait en cette nuit bien funeste. Ne voyaient-ils pas les mages noirs sillonner le ciel sur leurs balais ? Ni les harpies au rire stridents et aux ongles sanglants ? Ni les vampires assoiffés qui ne voulaient qu’une chose, mordre leur chair fraîche et aspirer tout le sang que contenait leur pauvre petit organisme ? Les naïfs. Ils ne croyaient ni en la magie, ni en des forces maléfiques, et pourtant, tous les 31 octobre, ils revêtaient les costumes les plus effrayants. Il est des coutumes qui restent bien ancrées dans les peuples, la magie semblait en faire partie. Ils appelaient cela de vieilles légendes, mais pour exister, ces légendes étaient bien fondées sur l’existence de ces monstres…
Enfin, j’entendis le verrou de la porte céder sous les doigts fins de la belle Joséphine. Elle apparut sous mes yeux telle une apparition divine, Merlin en personne m’aurait moi éblouit. Elle était splendide dans ce costume, et ciel que je n’avais pas imaginé une seule seconde la voir si charmante. La mystérieuse et discrète correspondante ne passerait pas inaperçue ce soir, c’était certain. Muet, je laissais mes yeux l’observer de haut en bas. Cette tenue de danseuse de cabaret était une pure merveille, et rappelait avec brio ses origines françaises. Le souffle coupé, je murmurai, hébété « Tu es magnifique ». Je m’attardais encore sur les moindres détails, de ses longues jambes à sa gorge dégagée et opaline. J’avais beau être profondément amoureux de Meteora, je ne pus m’empêcher de me délecter de cette vue que m’offrait Joséphine. La belle jeune femme si naturelle, ni discrète, était devenue une véritable danseuse de french cancan, diaboliquement divine, dangereusement tentatrice. Les mâles ne feraient qu’une bouchée d’elle ce soir, c’en était certain, et je me promis de me faire défenseur de la douce damoiselle. A côté d’elle, j’étais bien ridicule dans ma tenue de cannibale. J’avais dernièrement regardé un film moldu à la télévision moldue, Hannibal Lecter, un film d’angoisse à la limite de l’horreur quand on voyait ce que faisait Lecter à ses pauvres victimes. Le cannibale était un monstre psychopathe et Ô combien intriguant qui m’avait bien inspiré pour mon costume. J’avais donc revêtu la tenue simple, un jean et un tee shirt noir, qu’Hannibal portait, ainsi que la sorte de muselière intrigante que les médecins lui faisaient porter contre son gré pour qu’il ne dévore personne. J’étais laid, il fallait l’avouer, mais le but d’Halloween n’était-il pas d’effrayer ? D’un air chevaleresque je m’inclinais devant elle, un sourire aux lèvres, volant sa main pour y déposer un baiser.
« Prête à les faire tous chavirer, belle Déborah ? »
Lui adressant mon plus beau sourire, je l’entrainais doucement vers la sortie de notre appartement, et l’entraînait dehors, n’oubliant point de lui tendre une veste pour mettre sur ses épaules, je ne voulais point qu’elle ait froid. Nous n’avions pas l’utilité d’y aller en transplannant, puisque la fête se déroulait à Norwich même et que notre appartement se trouvait juste à côté de la grande place. La musique était entraînante et la fête battait déjà son plein lorsque nous arrivons. Déborah accroché à mon bras, je l’entraînais doucement vers le centre de la place. « Tu m’accordes ta première danse ? », un sourire charmeur, un regard de loup perdu, je ne savais pas vraiment ce qu’il m’arrivait, mais j’avais l’étrange besoin de plaire ce soir, peut être pour m’assurer que je pourrais encore plaire à Météora un jour ou l’autre…
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Re: 'Cause you're beautiful, it's true.
Mer 3 Nov 2010 - 23:31
Lentement je fis tourner le tube de rouge à lèvres afin de m’en mettre un peu. J’étais assise à la coiffeuse, et j’achevais de me préparer. Devant moi étaient étalés brosses et nécessaire à maquillage. Me maquiller de façon outrancière m’avait paru sur le moment assez étrange, moi qui ne me fardais que trop rarement. Mais ce soir n’était pas comme tous les autres jours. Si d’ordinaire je me préoccupais peu de mon apparence, n’était pas de ces filles superficielles qui ont la hantise de se casser un ongle à chaque mouvement un peu trop brusque, il n’en allait pas de même en ce jour d’Halloween, où j’avais consenti à faire des efforts afin de paraître la plus présentable possible. Je me demandais encore ce qui m’avait poussée à accepter l’invitation de Leodagan, étant peu fêtarde de nature. J’avais toujours vécu recluse, dans le secret de mes souvenirs et mon confort fictif, et je redoutais d’ores et déjà ma première vraie sortie officielle, la première rencontre avec mes camarades anglais tous neufs. Cela ne faisait pas longtemps que j’étais à Hungcalf, et j’avais déjà décrété que je détestais Norwich. Voir dans quel état de délabrement était la jeunesse m’avait tout simplement atterrée. Croiser des junkies aux pupilles anormalement dilatées au tournant des couloirs était monnaie courante, de même que les couples qui s’enlaçaient fougueusement et sans aucune pudeur. En arrivant ici, en comprenant dans quel merdier j’étais tombée, je me suis jurée que jamais, au grand jamais, mon fils mettrait les pieds dans un tel taudis. Peut-être était-ce dû au fait que j’étais une jeune mère, mais je portais un autre regard sur la jeunesse d’aujourd’hui, et plus cela allait, et plus je la trouvais décadente. Je finis par soupirer, tout en donnant un coup de brosse dans mes longs cheveux châtain clair. Jules. Mon fils me manquait, je ne m’étais jamais éloignée de lui trop longtemps. Mais c’était un mal nécessaire. Tout du moins, c’est ainsi que j’essayais de me donner bonne conscience.
Et à mesure que j’achevais de me farder, j’hésitais de plus en plus à annuler, à prétexter un début de migraine pour retourner me coucher. Je culpabilisais à l’idée de m’amuser alors qu’il était si loin de moi. Ma lâcheté et mon égoïsme reprenaient encore une fois le dessus. Je me sentais cloche. D’autant plus que Jules n’était pas la seule raison à mon désir subit de désistement. Il y avait d’autres motifs, tous aussi étranges les uns que les autres. Je n’avais pas besoin d’y penser, je devais ramener les fantômes d’entre les tombes et ne plus jamais les évoquer. « Déborah, dépêche toi ! » Je venais de poser ma brosse sur la coiffeuse, tout en attendant que le fer à boucler soit chaud. Mes cheveux étaient toujours lâchement lâchés sur mes épaules, seule quelques mèches insignifiantes étaient attachées au moyen d’une pince. Je me mordillai la lèvre inférieure, prenant conscience du temps nécessaire à tant de coquetterie. Néanmoins, je savais que le résultat en valait la peine. « J’arrive, j’en ai plus pour longtemps! » C’était vite dit. J’étais loin d’être prête. Et c’était d’autant plus ironique que je n’aimais pas perdre mon temps dans de telles futilités, j’avais tellement mieux à faire. Et à mesure que je commençais à boucler mes cheveux, m’appliquant avec une minutie presque ridicule, je persistais à douter, ne sachant toujours pas si j’allais sortir ce soir. Je n’aimais pas les fêtes. J’étais assez casanière, vivant toujours recluse, appréciant peu la compagnie des gens. Rares étaient les personnes capables de me distraire, un ennui profond m’avait saisie, un ennui presque blasé. Mon monde était dépourvu de couleurs, et ma mauvaise humeur permanente n’était pas sans déteindre sur les autres. La dernière fois que j’avais été à une fête, j’avais dix-sept ans. Je m’en souviendrai toute ma vie, c’est une soirée qui avait changé mon existence. C’était une fête sans laquelle Jules ne serait même pas là. Tout en me laissant aller à mes sombres divagations et à mes doutes perpétuels, j’avais enfin achevé de boucler mes cheveux. Je n’étais plus Deb’, celle qu’on ne remarquait jamais et qui ne faisait jamais rien pour. Je trouvais mon rouge trop outrageux, trop voyant. Mon maquillage était trop sombre pour une peau diaphane comme la mienne. Me déguiser en danseuse de french-cancan avait été une très mauvaise idée. J’avais réellement l’air d’une traînée. Mais c’était un mal pour un bien. Ce soir, Joséphine était de retour.
Ce n’était plus le moment de reculer. Mon destin était de toute manière scellé. J’irais à cette fête, je n’avais pas fait tout ça pour des prunes. Néanmoins, j’étais toujours réticente à me montrer dans cet accoutrement. Je me demandais ce que mon cavalier et accessoirement correspondant allait en penser. Moi qui lui avais toujours dépeint le portrait d’une jeune femme trop réservée pour son propre bien, détestant par-dessus tout se faire remarquer. J’étais sans fard ni artifices, j’étais fade et insipide, j’étais un fantôme, une âme condamnée à errer au purgatoire jusqu’à la fin des temps. Un bien sinistre destin. « Tu es magnifique ». Mon cœur tressauta à l’ouïe d’un tel compliment, auquel j’étais au demeurant peu habituée. J’étais revenue des années en arrière, j’entendais encore la voix grave et sensuelle d’Etienne, rendue rauque par l’alcool, je sentais encore son souffle brûlant sur ma peau. Ces mots murmurés, cette ivresse qui me gagnait sans jamais décroître, m’étourdissant toujours plus. Une larme trembla du côté de mon cœur, bien que mon visage restât impassible. J’osai même insulter mon souvenir en dédiant au Lufkin un sourire sincère. J’étais de toute manière incapable d’en dire plus, trop émue pour ce faire. Je repris néanmoins ma contenance, droite et altière comme jamais. Je m’autorisai même à esquisser un sourire en coin pour finalement murmurer à la française « vous n'êtes pas mal non plus. » Euphémisme. En dire moins pour en exprimer le plus. Je ne pus m’empêcher de noter l’ironie du couple étrange que nous formions à présent. Jack l’éventreur et une prostituée. Cette nuit des morts-vivants allait être des plus prometteuses, cela ne faisait aucun doute. J’en fus d’autant plus étonnée qu’il se baissa pour me baiser la main, comme on avait pu le faire dans une époque reculée. Des bas-fonds des rues londoniennes j’étais à présent à la cour du roi de France, telle Marie-Antoinette, reine à la fois honnie et admirée. Toute aussi étrange la situation puisse être, cela faisait néanmoins du bien de voir que de nos jours, la galanterie ne s’était pas encore totalement perdue. C’est à croire que tous n’étaient pas comme Etienne, certains jeunes hommes étaient tout à fait respectables. « Prête à les faire tous chavirer, belle Déborah ? » Pour toute réponse, un rire cristallin et sincère s’échappa de mes lèvres carmin. Il fallait dire que je ne me sentais pas vraiment l’âme séductrice.
Enfin, nous étions sortis, ce qui me soulagea un tant soit peu, je n’avais désormais plus cette sensation d’étouffement, ce sentiment perpétuel d’oppression. Norwich ne remonta pas dans mes bonnes grâces pour autant. J’avais beau habiter dans un endroit plutôt fréquenté, n’empêche qu’à mes yeux cela craignait. Montmartre me manquait, Paris et son rythme de vie infernal également. J’esquissai une légère moue boudeuse en voyant la décoration sinistre qui habillait les lieux, n’ayant jamais vraiment aimé les festivités d’Halloween. J’affichais néanmoins le sourire de circonstances, j’avais un certain standing à supporter. Je voulais oublier la Deborah dépressive et timorée, de toute manière celle-ci ferait une bien piètre danseuse. N’étaient-elles pas censées avoir confiance en elles, ne pas avoir peur du regard des autres? Je prêtais une oreille distraite à la musique, mes yeux papillonnant de mon cavalier aux autres personnes, espérant peut-être croiser un ou deux étudiants d’Hungcalf. Mais les masques et autres costumes terrifiants ne faisaient que de compliquer une tâche déjà ardue, qui était celle de mettre des noms sur les visages, n’étant guère physionomiste. Mes lèvres se tordirent en une énième moue boudeuses, pour ensuite s’étirer en un large sourire, spécialement dédié à mon correspondant. « Tu m’accordes ta première danse ? » un instant plus tard, j’étais en train de le jauger du regard. Ses prunelles céruléennes me fixaient d’un air suppliant, son sourire me fit un instant chavirer. J’éclatais à nouveau de rire, brièvement, nerveusement. « Mh. J’attendais mon cavalier, vois-tu, mais il me semble fort bien qu’il m’a abandonnée. Je crois que tu feras plus que l’affaire. » Je lui dédiai un clin d’œil, joueuse, tandis que mon sourire s’élargissait. J’étais à présent parfaitement dans mon rôle, espiègle fugitive, à la fois charmeuse et sensuelle. Sensation ô combien étrange, c’était comme si le costume inspirait aussi bien mes actions que mes paroles. Joséphine était présente, maintenant plus que jamais. « Danse accordée, cela va de soi. » Cette fois-ci, c’était une musique traditionnelle qui se jouait. Nous étions revenus en arrière, à l’ère des fêtes de villages populaires. J’étudiais un instant la foule ci présente, tentant de comprendre le mécanisme de leur danse. J’arquai un sourcil tout en me tournant vers le Lufkin, perplexe. « Tu sais comment ça se danse toi? En fait… » un air dépité s’invita sur mon visage d’albâtre, souligné de couleurs autant sombres que sensuelles. « Je n’y connais vraiment rien. » Était-ce un crime pour une jeune fille de bonne-famille de ne pas savoir danser? Cela y ressemblait fort bien, mais qu’y pouvais-je dans le fond si mes parents ont fait l’impasse sur ces leçons, préférant obéir du même fait aux désidératas d’une troublante adolescente qui avait toujours voulu être un garçon?
Et à mesure que j’achevais de me farder, j’hésitais de plus en plus à annuler, à prétexter un début de migraine pour retourner me coucher. Je culpabilisais à l’idée de m’amuser alors qu’il était si loin de moi. Ma lâcheté et mon égoïsme reprenaient encore une fois le dessus. Je me sentais cloche. D’autant plus que Jules n’était pas la seule raison à mon désir subit de désistement. Il y avait d’autres motifs, tous aussi étranges les uns que les autres. Je n’avais pas besoin d’y penser, je devais ramener les fantômes d’entre les tombes et ne plus jamais les évoquer. « Déborah, dépêche toi ! » Je venais de poser ma brosse sur la coiffeuse, tout en attendant que le fer à boucler soit chaud. Mes cheveux étaient toujours lâchement lâchés sur mes épaules, seule quelques mèches insignifiantes étaient attachées au moyen d’une pince. Je me mordillai la lèvre inférieure, prenant conscience du temps nécessaire à tant de coquetterie. Néanmoins, je savais que le résultat en valait la peine. « J’arrive, j’en ai plus pour longtemps! » C’était vite dit. J’étais loin d’être prête. Et c’était d’autant plus ironique que je n’aimais pas perdre mon temps dans de telles futilités, j’avais tellement mieux à faire. Et à mesure que je commençais à boucler mes cheveux, m’appliquant avec une minutie presque ridicule, je persistais à douter, ne sachant toujours pas si j’allais sortir ce soir. Je n’aimais pas les fêtes. J’étais assez casanière, vivant toujours recluse, appréciant peu la compagnie des gens. Rares étaient les personnes capables de me distraire, un ennui profond m’avait saisie, un ennui presque blasé. Mon monde était dépourvu de couleurs, et ma mauvaise humeur permanente n’était pas sans déteindre sur les autres. La dernière fois que j’avais été à une fête, j’avais dix-sept ans. Je m’en souviendrai toute ma vie, c’est une soirée qui avait changé mon existence. C’était une fête sans laquelle Jules ne serait même pas là. Tout en me laissant aller à mes sombres divagations et à mes doutes perpétuels, j’avais enfin achevé de boucler mes cheveux. Je n’étais plus Deb’, celle qu’on ne remarquait jamais et qui ne faisait jamais rien pour. Je trouvais mon rouge trop outrageux, trop voyant. Mon maquillage était trop sombre pour une peau diaphane comme la mienne. Me déguiser en danseuse de french-cancan avait été une très mauvaise idée. J’avais réellement l’air d’une traînée. Mais c’était un mal pour un bien. Ce soir, Joséphine était de retour.
Ce n’était plus le moment de reculer. Mon destin était de toute manière scellé. J’irais à cette fête, je n’avais pas fait tout ça pour des prunes. Néanmoins, j’étais toujours réticente à me montrer dans cet accoutrement. Je me demandais ce que mon cavalier et accessoirement correspondant allait en penser. Moi qui lui avais toujours dépeint le portrait d’une jeune femme trop réservée pour son propre bien, détestant par-dessus tout se faire remarquer. J’étais sans fard ni artifices, j’étais fade et insipide, j’étais un fantôme, une âme condamnée à errer au purgatoire jusqu’à la fin des temps. Un bien sinistre destin. « Tu es magnifique ». Mon cœur tressauta à l’ouïe d’un tel compliment, auquel j’étais au demeurant peu habituée. J’étais revenue des années en arrière, j’entendais encore la voix grave et sensuelle d’Etienne, rendue rauque par l’alcool, je sentais encore son souffle brûlant sur ma peau. Ces mots murmurés, cette ivresse qui me gagnait sans jamais décroître, m’étourdissant toujours plus. Une larme trembla du côté de mon cœur, bien que mon visage restât impassible. J’osai même insulter mon souvenir en dédiant au Lufkin un sourire sincère. J’étais de toute manière incapable d’en dire plus, trop émue pour ce faire. Je repris néanmoins ma contenance, droite et altière comme jamais. Je m’autorisai même à esquisser un sourire en coin pour finalement murmurer à la française « vous n'êtes pas mal non plus. » Euphémisme. En dire moins pour en exprimer le plus. Je ne pus m’empêcher de noter l’ironie du couple étrange que nous formions à présent. Jack l’éventreur et une prostituée. Cette nuit des morts-vivants allait être des plus prometteuses, cela ne faisait aucun doute. J’en fus d’autant plus étonnée qu’il se baissa pour me baiser la main, comme on avait pu le faire dans une époque reculée. Des bas-fonds des rues londoniennes j’étais à présent à la cour du roi de France, telle Marie-Antoinette, reine à la fois honnie et admirée. Toute aussi étrange la situation puisse être, cela faisait néanmoins du bien de voir que de nos jours, la galanterie ne s’était pas encore totalement perdue. C’est à croire que tous n’étaient pas comme Etienne, certains jeunes hommes étaient tout à fait respectables. « Prête à les faire tous chavirer, belle Déborah ? » Pour toute réponse, un rire cristallin et sincère s’échappa de mes lèvres carmin. Il fallait dire que je ne me sentais pas vraiment l’âme séductrice.
Enfin, nous étions sortis, ce qui me soulagea un tant soit peu, je n’avais désormais plus cette sensation d’étouffement, ce sentiment perpétuel d’oppression. Norwich ne remonta pas dans mes bonnes grâces pour autant. J’avais beau habiter dans un endroit plutôt fréquenté, n’empêche qu’à mes yeux cela craignait. Montmartre me manquait, Paris et son rythme de vie infernal également. J’esquissai une légère moue boudeuse en voyant la décoration sinistre qui habillait les lieux, n’ayant jamais vraiment aimé les festivités d’Halloween. J’affichais néanmoins le sourire de circonstances, j’avais un certain standing à supporter. Je voulais oublier la Deborah dépressive et timorée, de toute manière celle-ci ferait une bien piètre danseuse. N’étaient-elles pas censées avoir confiance en elles, ne pas avoir peur du regard des autres? Je prêtais une oreille distraite à la musique, mes yeux papillonnant de mon cavalier aux autres personnes, espérant peut-être croiser un ou deux étudiants d’Hungcalf. Mais les masques et autres costumes terrifiants ne faisaient que de compliquer une tâche déjà ardue, qui était celle de mettre des noms sur les visages, n’étant guère physionomiste. Mes lèvres se tordirent en une énième moue boudeuses, pour ensuite s’étirer en un large sourire, spécialement dédié à mon correspondant. « Tu m’accordes ta première danse ? » un instant plus tard, j’étais en train de le jauger du regard. Ses prunelles céruléennes me fixaient d’un air suppliant, son sourire me fit un instant chavirer. J’éclatais à nouveau de rire, brièvement, nerveusement. « Mh. J’attendais mon cavalier, vois-tu, mais il me semble fort bien qu’il m’a abandonnée. Je crois que tu feras plus que l’affaire. » Je lui dédiai un clin d’œil, joueuse, tandis que mon sourire s’élargissait. J’étais à présent parfaitement dans mon rôle, espiègle fugitive, à la fois charmeuse et sensuelle. Sensation ô combien étrange, c’était comme si le costume inspirait aussi bien mes actions que mes paroles. Joséphine était présente, maintenant plus que jamais. « Danse accordée, cela va de soi. » Cette fois-ci, c’était une musique traditionnelle qui se jouait. Nous étions revenus en arrière, à l’ère des fêtes de villages populaires. J’étudiais un instant la foule ci présente, tentant de comprendre le mécanisme de leur danse. J’arquai un sourcil tout en me tournant vers le Lufkin, perplexe. « Tu sais comment ça se danse toi? En fait… » un air dépité s’invita sur mon visage d’albâtre, souligné de couleurs autant sombres que sensuelles. « Je n’y connais vraiment rien. » Était-ce un crime pour une jeune fille de bonne-famille de ne pas savoir danser? Cela y ressemblait fort bien, mais qu’y pouvais-je dans le fond si mes parents ont fait l’impasse sur ces leçons, préférant obéir du même fait aux désidératas d’une troublante adolescente qui avait toujours voulu être un garçon?