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saisir le destin à la gorge. (jazz)
Ven 3 Nov 2017 - 15:17
Après le repas, alors que son organisme avait pour objectif d'émettre les hormones propices au repos, une envie irrépressible lui avait enserré le coeur. Son ami, la musique, l'appelait inlassablement -même lorsqu'elle avait pour ordre de se trouver au dortoir. Mais, malgré son désir de balader ses mains au-dessus des touches noires et blanches, elle savait qu'elle ne pouvait quitter sa chambre de si bonne heure. Ce n'était pas la fatigue qui allait la clouer au lit, mais seulement le sentiment que les couloirs n'étaient pas encore vides. Elle devait permettre au temps de s'échapper, avant de pouvoir s'évader de sa pension. Elle était alors calme, assise sur son lit, les doigts tapotant sur son propre genou en imaginant les mélodies que ce geste minime produirait sur un clavier. Les minutes lui paraissaient des heures, comme si les aiguilles de la pendule refusaient de la laisser s'en aller.
Elle devait se faire discrète, afin d'arriver jusqu'à l'objet de son plaisir sans alerter personne. Ce soir, tout particulièrement, elle n'avait pas envie de parler. Si par malheur elle venait à croiser un de ses camarades dans un des couloirs, elle saurait être stratège afin de lui échapper. Aucune voix, seulement la musique. Cette belle entité qui savait lui redonner le sourire, et du baume au coeur par un procédé miraculeux. Lorsqu'elle n'allait pas bien, et que son sourire ne reflétait qu'une hypocrisie qu'elle n'aimait pas, elle venait prendre son remontant. Quelques instants lui suffisaient pour voir le monde avec des couleurs chatoyantes. Alors, elle redevenait souriante, heureuse, le bonheur sous la poulpe de ses doigts.
Le pas décidé, bien qu'hasardeux, voilà la belle Lou qui se fraie un chemin le long des couloirs. De légers faisceaux lumineux filtrent à travers les jointures de la porte de chacun des dortoirs. Juste assez pour lui agencer son chemin, sans avoir à formuler de sortilèges lumineux qui risqueraient de la faire repérer. Ses yeux se plissent parfois pour mieux distinguer dans l'obscurité ambiante. Son coeur palpitait de plus en plus vite alors qu'elle se savait de plus en plus proche de la salle de musique où son amour de toujours l'attendait patiemment. Elle avait hâte d'enfin pouvoir se cajoler à ses côtés. Rien n'était trop beau pour ces instants-là.
Et, elle ne met que quelques minutes de plus à atteindre la porte presque fermée de la salle aux merveilles. L'entrebâillement de la porte laissait apercevoir de la lumière vive. Lou s'arrêta alors à quelques mètres, déçue. Elle ne voulait pas faire demi-tour, refusant de renoncer à son moment de plaisir nocturne. Alors, s'approchant doucement de l'appel à la lumière, elle se tient contre le mur, juste à côté de la porte la séparant du piano. Une mélodie en sort, douce, presque romantique -bien que le romantisme n'ait été inventé qu'un siècle après la composition de cette belle oeuvre. Ses yeux se ferment presque automatiquement pour apprécier les sons que crachent gracieusement le piano entraîné par une personne aux doigts de maître. Moonlight Sonata. Elle se sentait émue, presque chamboulée. La mélodie offrait à son esprit une libération émotionnelle, sorte de pérégrination mentale. Elle ne savait pas qui était l'auteur de cette merveille, qui avait eu l'audace de reprendre avec autant de brio le chef d'oeuvre de Ludwig van Beethoven.
La curiosité l'avait piquée fortement. Elle se devait d'apprendre quel élève de Hungcalf avait pour ambition de s'approprier le piano à la même heure qu'elle, et surtout, avait un talent aussi particulier pour la musique. Alors, de son oeil averti, elle passe la tête par l'entrebâillement en se pinçant légèrement les lèvres à l'idée de voir un visage inconnu. Et, en plus de son âme de musicienne, c'est son coeur de femme qui se retourne. L'homme est de dos, s'affairant sur son morceau, mais Lou le reconnaît tout de même. Elle n'est alors plus très sûre d'avoir la force d'entrée dans cette salle pour lui présenter ses félicitations. Ne devraient-elles pas faire demi-tour et le laisser dans sa bulle ?
Elle ne fait aucun bruit quand sa main s'empare d'un pan de la porte pour l'ouvrir avec douceur. Il ne faut pas qu'elle se fasse remarquer, ne voulant pas interrompre cette symphonie d'émotions. Elle referme derrière elle, sans claquer -ce qui aurait pu être entendu de cet homme. Elle est là, dans son dos, comme absorbée à la fois par lui, et pas ce qui en émane. St-James. Ce putain de St-James. Comme d'un commun accord avec son coeur meurtri, elle baisse la tête. Paupières closes, alors que son corps entier s'affaisse légèrement sous la pression du charisme de cet homme. Elle le savait doué pour beaucoup de chose, mais n'avait pas entendu parler de son talent pour la musique savante.
Elle croise ses bras sur sa poitrine, comme une protection contre lui, et toutes les émotions qu'il pourrait lui susciter. Elle en a peur, et ce jeu qu'elle s'impose en le gardant loin d'elle, n'est qu'une combine pour ne pas tomber dans ses bras trop forts pour elle. Il avait une réputation sulfureuse, qui lui empêchait tout attachement. Elle en souffrirait, un jour où l'autre, c'était écrit. En gardant ses distances avec lui, et son être appelant à la luxure, elle se crée une coquille de protection qu'il ne pourra transpercer.
Elle aimerait attendre qu'il ait terminé, pour enfin lui parler. Ou, mieux, elle aimerait avoir la force de faire demi-tour, et s'éviter ainsi des ennuis. Mais, au lieu de cela, elle fait quelques pas vers lui, laissant toutefois quelques mètres de sécurité. Comme une limite, donnant le loisir à son coeur de ne pas s'emballer trop vite. Elle ne sait quoi lui dire, persuadée que n'importe quelle phrase serait la mauvaise. « Vous savez pourquoi cette sonate est si belle ? » Sa voix s'est élevée au-delà des notes, afin d'être entendue. Elle retrouve son sourire, ne pouvant se montrer déstabilisée face à lui. Ses pas la mène vers les instruments, qu'elle effleure de ses paumes afin d'avoir une excuse pour ne pas regarder le professeur dans les yeux. Elle appuie sur la corde d'une guitare trônant fièrement contre le mur. La corde vibre, et émet un son particulier. Son sourire s'amplifie. « Elle a été composée avec le coeur, par un homme fou d'amour. » Savait-il ce qu'était l'amour ? Des bruits courraient dans l'établissement, moins encourageants les uns que les autres. Parfois des rumeurs, des "on dit", qui brisait peu à peu les espérances de Lou. Son aptitude à toujours attendre plus, à vouloir au-delà du possible. Et, quand son regard oval se dardait sur l'enseignant, elle comprenait pourquoi elle avait tant de mal à expliquer les émotions qui lui dévoraient les tripes.
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Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Sam 4 Nov 2017 - 22:56
we left a life. that's ordinary from the start. we looked for stranger things. cause that's just who we are. found me the edge of something beautiful and loud. like I'm picturing now. castles glitter under spanish skies. but I'm just looking after you tonight. snow white mountains in a foreign state. tell me someday we'll get there.
Ce ne fut pas soudain, après le repas. Il fallut attendre encore quelques heures, la digestion n’opérant pas comme un charme comme la logique de l’anatomie aurait voulu le prédire, pour que le calme tombe peu à peu sur le château. Le déroulement nocturne de l’homme aux mèches argentées était toujours assez aléatoire. Chaque seconde était différente de la précédente, comme de la suivante, et il aimait se laisser porter par le rythme unique de chaque soirée qui s’ouvrait devant lui. Comme si l’une était un chemin dans une forêt en plein automne, ou alors un pont qui joignait deux rives tristement et poétiquement séparées, amoureuses-transi, ou même encore un labyrinthe sinueux qui criait danger, mais qui n’était encore plus qu’attirant à cause des problèmes qu’il promettait. Ce n’était pas seulement errer dans les couloirs, un pas après l’autre, voir où la magie de la sorcellerie l’amènerait de plus belle, le faire tomber par hasard sur des merveilles encore plus splendides et éblouissantes que les dernières, qu’il n’avait pas encore découvertes, même après toutes ces années. Peut-être avait-il grandi, vieilli, pris quelques rides par-ci et par-là – et pas de cheveux blancs, puisque sa chevelure argentée bleutée était telle depuis sa naissance –, cependant, cela ne restait que physique. Certes, il avait quelque peu mûri aussi, même si cela ne se voyait pas forcément en apparences, toutefois, ce n’était pas mentir que de dire qu’il avait gardé une âme d’enfant, les yeux grands ouverts, cherchant inconsciemment à être toujours plus émerveillé et abasourdi.
Peut-être qu’il n’allait pas sortir avec des élèves, ou d’anciens élèves, ce soir. Boire des pintes, des alcools plus fort, pas nécessairement jusqu’à inhiber tous ces sens mais au point de délier sa langue, en paroles et physiquement. Non, très plausiblement pas. Et, aussi fêtard qu’il était, il ne le déplorait pas. Jazz, il apprécia le calme qui tomba sur le château, alors qu’ils étaient tous rentrés dans leur salle commune après leur digestif secret, ou ce qui leur faisait office. Silence soudain, comme si un manteau de neige était tombé tout autour d’eux, sur eux, et qu’il avait insonorisé toutes les pièces, leurs âmes hyperactives en détresse. Le professeur n’était pas propice aux migraines, et pourtant, plus fatigué qu’à l’accoutumé, en cette soirée, il souffla, soupira, accueillant le repos à bras ouverts. Malheureusement, ceux de Morphée ne lui étaient pas si expansifs, et alors qu’il était dans ses propres appartements, entrain d’essayer de s’assommer avec un joint, drogue moldue – et il devait avouer qu’ils savaient plus y faire que les sorciers voulaient bien se l’admettre –, il réalisa assez vite qu’une autre nuit d’insomnie pointait le bout de son nez, comme une promesse taquine et impertinente. Il soupira une nouvelle fois, et cette fois-ci pas de soulagement. Il aimait profiter de chaque minute de sa vie, certes, cependant une part de lui, plus si infime que cela alors que le froid hivernal fatiguait son organisme, se disait qu’il aurait probablement apprécié également de bonnes heures de sommeil réparatrices. Il écrasa sa fausse clope roulée dans une coupelle qui lui servait de cendrier, en attendant qu’il en rachète un après avoir brisé le dernier il ne savait trop comment, expira cette fumée odorante, au parfum bien trop reconnaissable, avant d’enfiler un t-shirt au hasard, abandonnant clairement sa tenue de sorcier pour des vêtements plus confortables, et sortit de sa chambre aménagée.
Arlequin, il adulait la nuit. Oh, bien sûr il aimait énormément le jour aussi, toutefois il avait ce sentiment que tout était différent sous la perception nocturne. La lune, bien que moins aveuglante que le soleil qui adorait être sous le feu des projecteurs, au centre de toutes les attentions, illuminait l’existence sous un angle nouveau, bien plus mélancolique. Univers parallèle dans une même réalité. Peut-être, qu’au fond de lui, il avait cherché à être insomniaque. Arpenter les couloirs sombres de Poudlard, et puis de Hungcalf, pendant que tous les autres dormaient. Découvrir un monde que personne, autre que lui, ne verrait. Sauf qu’à faire le con, c’était resté après tout ce temps, et à quarante ans, il devait encore gérer ses rébellions d’adolescent.
L’université, ce n’était pas comme le collège, bien évidemment les élèves avaient le droit de se balader la nuit. Ils étaient adultes, après tout. Néanmoins, il était quelque peu étonné de voir que les couloirs étaient aussi dénués de vie. Quelques âmes humaines qui vivaient, sans compte les chats noirs qui ne devaient absolument pas porter malheur, il les salua à peine d’un hochement de tête, laissant ses pieds le diriger où bon ils voulaient. Il n’alla pas très loin. Il aurait pensé que son inconscient aurait voulu sortir, que son surmoi l’aurait amené à l’extérieur, se perdre dans la fraicheur de la forêt qui avait rougi en cette saison automnale. Non. À la vérité, il ne quitta même pas le même étage. Ses épaisses phalanges poussèrent la porte du petit théâtre aux rideaux de velours rouges, pièce vide et abandonnée, et pourtant il y régnait toujours une âme dense et charismatique. Aux faisceaux lunaires, le professeur resta sur le pas de la porte pour observer les instruments seuls mais bien vivants, qui n’attendaient que d’être joués, à la lumière nouvelle. Et il sourit. Il sourit, parce que tout cela sembla juste, soudainement. Morphée qui lui fermait ses bras pour pousser sa carcasse vieillissante, et pourtant toujours bien infantile, vers une certaine poésie qui l’élèverait peut-être au dessus des autres, plèbe de l’ignorance. Ou du moins, selon certains philosophes qui aimaient à croire qu’ils valaient mieux que les autres.
Les pas résonnèrent doucement dans la salle qui pouvait sembler vide aux yeux d’un aveugle du cœur et de l’esprit, alors que celle-ci était bien vivante, animée, de tout cet art théâtral et musical qui attendait d’être réveillé. Ses pas résonnaient, et pourtant le son était sourd, il s’écrasait rapidement, comme s’il avait peur de déranger les beaux et imposants instruments. Jazz, qui portait bien son prénom durant ce moment éphémère, caressa les instruments sur son passage, s’arrêtant quelques secondes pour admirer la harpe, qui lui était encore bien inconnue, avant que ses pieds le guident logiquement jusqu’au piano. Souriant de plus belle, tendrement, il s’assit sur le petit siège noir en velours du piano, touchant une première fois les touches du clavier, de manière presque hésitante, comme s’il avait peur de briser les articulations du bel instrument. S’il avait laissé ses jambes l’amener jusqu’à cet endroit, lieu de leurs désirs, de manière mimétique, il laissa également ses doigts s’activer sur le clavier, choisir leur mélodie préférée. C’était ce qui était bien avec Jazz, il connaissait assez bien son corps, et lui faisait assez confiance, pour le laisser agir à sa guise, belle représentation parfaite de ce que son inconscient voulait réellement.
Il ne fut presque pas étonné lorsque Moonlight Sonate du merveilleux Beethoven retentit dans le petit théâtre seulement éclairé par les faisceaux luminescents de la lune.
Son cœur s’emballa aux notes que ses oreilles percevaient, comme s’il comprenait la signification du choix d’un tel morceau, alors que son cerveau ne voulait pas réaliser l’évidence. Et pourtant, si son corps commença à se balancer au rythme que les notes créaient, si son âme vibra de toute sa vigueur à la mélodie harmonieuse qui s’empara de son myocarde, c’était peut-être parce que ce morceau lui parlait un peu trop. Alors que le piano s’élevait dans les airs de la pièce, prenant possession de manière hypnotique l’espace en huis clos, c’était bien des opales d’un mélange de biche et de serpent qu’il voyait derrière ses paupières à demies fermées alors qu’il se laissait emporter par la musique et les sentiments.
Le sportif, qui s’improvisait soudainement et de manière éphémère musicien, était tellement pris dans l’émotion de son art, qu’il reprenait seulement, n’ayant rien créé, qu’il ne sentit pas la présence de cette personne qui hantait sans cesse ses pensées, même lorsqu’elle n’était pas à ses côtés. Il continua de faire couler ses doigts, pourtant loin d’être aussi fins et beaux qu’un véritable pianiste, sur le clavier, quelque peu poussiéreux comme si l’instrument avait été abandonné des décennies dans le but qu’il le trouve, jusqu’à ce que sa douce voix féminine, et presque aussi sensuelle que son regard s’élève derrière lui, et que, dans son sursaut de surprise, il fit une mauvaise note, en même temps que ses cheveux devinrent encore plus jaune qu’un tournesol. Le palpitant qui tambourinait à tout rompre dans sa poitrine, lui faisant presque mal comme s’il était sur le point d’imploser, il tourna la tête vers elle, et il fallut quelques longues secondes avant que ses cheveux ne reprennent leurs couleur argentée bleutée normale. Il n’avait pas eu besoin de poser ses opales sur la personne, pour savoir de qui il s’agissait. Elle était proche, bien trop proche. Comment avait-il fait pour ne pas l’entendre, la sentir, alors qu’elle se tenait à quelques centimètres de lui ? Il déglutit, discrètement, alors qu’il essayait d’avoir un air posé, presque nonchalant, prétendant ne pas être perturbé par sa présence, son regard, son parfum.
Il sourit, alors que la corde de la guitare résonna, sur une note fausse mais pleine d’harmonies. Il sourit, parce qu’elle était belle. Il sourit, parce qu’il se laissa, une nouvelle fois, bien volontiers transporter par cette mélodie soudaine et brève qu’elle avait déclenchée. Il sourit, parce que, puisqu’il était un ancien joueur de Quidditch reconnu, beaucoup le prenaient pour un illettré, alors qu’il était tout aussi cultivé que les autres. Voire plus. Oui, il connaissait les origines de cette belle et mélancolique sonate, toutefois, il la laissa l’instruire. Il la laissa, parce qu’en réalité, face à elle, il était sans voix. Il la laissa, parce qu’en réalité, il aimait beaucoup sa voix. Son sourire s’agrandit, cette fois-ci plus directement adressé à la jeune Lufkin. Il tourna sur lui-même, dirigeant son corps vers elle, à mesure qu’elle se déplaçait dans la pièce, et pourtant sans jamais quitter son siège. Pour le moment. « N’est-ce pas les seules œuvres qui valent la peine ? Celles écrites par des hommes fous d’amour… » Et pas seulement l’amour comme la société actuelle l’entendait. Cela pouvait être tout aussi bien la colère, la vengeance, la rêverie, l’utopie, la déception… Tout sentiment fort, tant qu’il engendrait une certaine passion. Oui, la vie ne valait pas d’être vécue, si elle n’était qu’une carcasse vide, et cela se représentait dans les œuvres artistiques.
S’en fichant complètement d’être en intérieur, et même que la jeune Nabokov puisse le réprimander, il sortit une cigarette, avant d’en brûler le bout à l’aide d’un sort prononcé dans un doux murmure. Inspirant, recrachant, il plongea une nouvelle fois ses pupilles lagons dans les siennes. « Vous semblez vous y connaître. » En Beethoven ? En amour ? Il ne savait pas trop où il voulait en venir avec sa question. Question à double tranchant. Il connaissait vraiment rien de la jeune bleue. Il savait, qu’en tant que professeur excentrique, des rumeurs couraient sur lui. Ce n’était pas bien compliqué de le deviner, et d’en entendre au détour d’un couloir. Par contre, elle, elle restait un mystère. Et pourtant, depuis quelques semaines, inconsciemment, il ne faisait que la chercher du regard.
Un silence hypnotisant planait entre les deux protagonistes. Jazz, habituellement hyperactif, perdait tous ses moyens en sa compagnie. Cela le déroutait, mais il n’en semblait pas gêné. Silence seulement brisé par le grésillement de sa cigarette à chaque fois qu’il tirait dessus. Silence aussi intense que ses prunelles sur son corps.
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Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Dim 5 Nov 2017 - 19:49
Il n'était pas dans les habitudes de Lou de parler d'amour. Si son coeur était assez grand pour accueillir la bonté d'un autre, elle ne voulait pas s'y risquer pour des raisons évidentes. Ce n'étaient que des bagatelles qui n'avaient aucun sens dans son plan de l'existence. Pire encore, elle pensait que le meilleur moyen d'être heureux était de nier toute forme d'attachement envers quiconque pouvant troubler son caractère. Pour se protéger de cela, elle s'était -elle-même, par la force des choses- peu à peu façonné une barrière derrière laquelle elle résistait paisiblement. En tant que passionnée d'art, elle ne pouvait pourtant nier que ce sentiment tant chéri existait. Et surtout, qu'il savait perdurer au fils des siècles. Mais, son pouvoir était bien trop puissant pour le genre humain, d'après elle. Des auteurs admirables avaient pris cette incarnation soit-disant doucereuse comme muse des plus belles créations. Dans la littérature, avec les éternelles figures de jeunes femmes éperdues, abaissant la femme à un statut de potiche amourachée du premier venu. Dans leurs représentations théâtrales, avec ces beaux visages enfarinés de Marivaux -entre autre- qui n'avait pour seul but concret de se dégoter un mari respectable. La peinture, et son abstraction sensorielle n'avait évidemment pas échappé à ce processus d'élévation courageuse, en permettant à des représentants illustres de badigeonner de rouge et de rose, des toiles faisant rêver la ménagère avertie. Mais alors, qu'en était-il de la musique ? Cet art créé pour satisfaire les muses, chanté par des dieux pour calmer les océans, était le summum de l'expansion amoureuse. De nombreux noms pouvaient alors être cités dans l'esprit de Lou, qui se faisait ce chemin de pensée pour se persuader de la véracité de ses propos. Ce mouvement romantique, dont seules les mains agréées pouvaient retranscrire l'émotion juste. Celle qui touche. Celle qui force un homme à se mettre à genoux devant sa sublime pour lui avouer ses instincts primaires. Lou avait appris à apprivoiser toutes les mélodies de ce monde, afin de les mettre à ses pieds, sous son joug. Et, ce soir-là, elle se rendait compte que cet homme, à l'allure peu banale, avait su faire de même.
Elle s'était retrouvée bien sotte, face à une telle maîtrise passionnée de ce morceau de légende. Elle en aurait presque rougi si sa volonté de faire bonne figure ne lui avait dicté de rester tête haute. Prête à l'éventualité d'être bouleversée par les paroles de son professeur, quel qu'elles soient. Jusqu'alors, elle avait pu rester droite et consciente de ses gestes pour la simple et bonne raison qu'elle ne l'avait vu que de dos. Malheureusement, elle n'était pas certaine de pouvoir en faire autant lorsqu'elle serait à la merci de son regard. Plongée dans ses yeux d'un bleu profond, il ne lui resterait plus qu'à rendre les armes avant même d'avoir engagé le combat.
Elle ignorait si sa décision de rester, plutôt que de prendre ses jambes à son cou pour retourner dans son dortoir, avait été la bonne. Après tout, elle ne pouvait que se blâmer d'avoir écouté son zèle plutôt que sa raison. Maintenant, elle était dans l'obligation de rester, et affronter Jazz St-James. Les enfants faisaient quotidiennement des cauchemars, rêvant de monstres cachés sous leur lit -ou dans leur armoire-, alors que le réel danger était bien plus visible. Et, le cauchemar que vivait Lou, était éveillé. Son cauchemar avait un nom, et pire que tout, un beau visage. Alors, lorsque l'enseignant se retourne et lui fait face un instant, elle ne peut arrêter son regard sur ses traits. C'est comme une zone de déminage à ne pas atteindre sous peine de lourdes sanctions. Ses pas se font de plus en plus languissants dans la salle de musique, alors que ses doigts frôlent de leur pulpe les instruments à l'abandon. Elle ne peut se départir de son sourire.
Surprise qu'il joue ce morceau en particulier, elle n'a pu s'empêcher la remarque concernant sa provenance. Il devait la connaître, pour maîtriser ce chef d'oeuvre avec tant d'exactitude. Et, conformément à ceux à quoi elle s'attendait, sa réponse ne se fit pas attendre. Il avait raison. L'amour offrait à l'artiste une palette incroyable de couleurs et d'émotions. Alors, pourquoi cet amour se trouvait si difficilement apprivoisable. Une moue tordit légèrement ses lèvres, lui donnant l'air d'un enfant réfléchissant à la couleur qu'il allait ajouter à son dessin déjà explosif. Puis, comme prise d'un courage inqualifiable, elle fit chemin inverse pour revenir vers lui en parlant à voix distincte. « Vous avez raison, l'amour est une source d'inspiration inépuisable. » Elle s'attarde alors sur une harpe trônant à l'entrée de la pièce, non loin du piano où est installé l'objet de ses confusions. « Cependant, vous devez également savoir que les plus belles compositions sont celles motivées par la rupture ... » Elle semble rêveuse en s'asseyant prêt de la harpe aux milles cordes. « ... ou bien, les amours impossibles, interdits. » Elle place une main contre la dernière corde, et la fait revenir vers elle doucement. Bien que ses connaissances envers cet instrument ne soient limitées, elle avait appris quelques mélodies bien simple. La musique était son rayon, elle avait eu pour désir d'en connaître un peu de chaque instrument afin de ne jamais être dépassée. Il y avait pourtant la guitare, et certains instruments à vent dont elle avait fait durablement l'impasse. Elle avait le souffle, mais ne retrouvait pas en ces machines la poésie qui lui plaît tant dans cet art.
Paupières closes, elle commence à jouer. Rien de bien impressionnant, simplement une petite mélodie agréable à l'oreille, qui avait pour effet de la plonger dans une mélancolie qui lui coutait sa barrière d'esprit. Cette sérénade ne dure qu'un bref instant, quelques minutes tout au plus. Il n'y a rien à ajouter, et elle aurait pu quitter la pièce sans répondre à sa question, si elle n'avait pas été forcée par son audace de rester auprès de cet homme. Restée assise à côté de la harpe, elle croise les jambes, faisant retomber les pans de sa jupe. Elle avait pris le temps de se changer, ne portant plus son uniforme bien aimé. Une sorte de chemise de nuit en soie recouvrait ses épaules lumineuses. Un duvet de douceur retombait alors en cascade sur son corps, épousant parfaitement ses jolies formes. « J'ai la prétention de connaître la musique, il est vrai. J'ai, cependant, la modestie de me foutre de toute forme d'amour. Et le commun des mortels devrait en faire autant, ça leur éviterait de souffrir inutilement. » Elle lui adressa un sourire irrésistible, dévoilant une mince rangée de dents éblouissantes. Ses lèvres, surplombant ces magnifiques perles éclatantes, se pinçaient souvent en des rictus délicieux. Elle n'était pas complètement franche dans ses propos. En effet, elle aimerait n'avoir cure de l'amour, et des épanchements qu'il amène. Malheureusement, son âme était bien souvent la proie d'un bouleversement affreux, qui lui rappelait que sa barrière de glace ne lui servait qu'à se convaincre elle-même de sa propre froideur.
Elle se relève, des gestes minutieux entraînant sa démarche à la fois féline et chaste. Un paradoxe qui recouvre son aura toute entière. Cela lui donne un charme ancien, quelque chose de moins palpable que les femmes aux paroles redoutables qui pensent régir le monde. Mystérieuse, d'un secret particulier. Arrivée près de Jazz, elle s'empare de son bâton de nicotine de ses doigts fins, et le coince entre ses propres lèvres pour tirer dessus. Un nuage épais, opaque, l'entoure de sa couleur grisâtre. Un certain aplomb dans ce geste qui pourrait paraître insignifiant. Elle tire dessus une nouvelle fois et lève légèrement la tête pour recracher la vapeur. « Beethoven n'aimait pas cette sonate, il trouvait qu'elle n'était pas aussi extraordinaire que ce que son public voulait bien penser. Personnellement, je pense qu'il était simplement frustré de n'être pas parvenu à retranscrire l'amour qu'il éprouvait pour cette femme. » Le voile gris de nicotine -semblable à l'argent de ses cheveux- se dissipe devant leurs yeux. Il est presque douloureux de retrouver derrière celle-ci, le visage de cet être lui causant milles tracas.
Ses doigts retrouvent une fois de plus le chemin de ses lèvres pour y redéposer la cigarette. Le mélange douteux entame une viré dans la bouche de Lou, alors qu'elle persiste à en garder l'arôme jusqu'au bout. Ce n'est qu'une fois le goût usé, qu'elle recrache sa fumée, en un fin filet, en direction du professeur de vol. Comme une manière de l'ensorceler, d'un pouvoir qu'elle s'est offert en plongeant ses yeux amandes contre lui. « L'amour peut faire perdre la tête, monsieur St-James, tout comme le désir. Il faut s'en méfier. » Elle retire, avec une douceur calculée, le cylindre vaporeux de ses lèvres fines. Puis, comme pour restituer à César ce qui était à César, elle remet la cigarette devant les lèvres de Jazz, ces lèvres qui lui offre des battements d'ailes dans le ventre, afin qu'il la récupère.
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Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Mar 7 Nov 2017 - 16:31
we left a life. that's ordinary from the start. we looked for stranger things. cause that's just who we are. found me the edge of something beautiful and loud. like I'm picturing now. castles glitter under spanish skies. but I'm just looking after you tonight. snow white mountains in a foreign state. tell me someday we'll get there.
Ironie poétique de la situation et tachycardie des sentiments. Saint-James n’avait pas la pire des réputations, énormément apprécié de ses élèves dans leur grande majorité, pourtant les rumeurs, souvent plus avérées qu’on ne le savait ou pensait même, couraient à son sujet. Ce n’était pas dans ses habitudes de se retrouver victime des propres pulsions de son myocarde déclenchées par un désir suscité par une certaine beauté. Maturité ou nonchalance assumées, il passait outre les règles sous-entendues, pas écrites noir sur blanc mais bien imprégnées dans l’esprit de tout un chacun, pour continuer dans son petit monde bien à lui, route qu’il construisait de son propre chef, sans aucun bouleversement extérieur impromptu – ou en tout cas il voulait le croire –, des détours qui pouvaient sinuer son chemin personnel, toutefois seulement parce qu’il l’avait bien voulu et l’avait laissé faire. Non, que la personne soit élève, professeur ou simple sorcière, si elle lui plaisait, il n’hésitait pas à l’aborder et faire le premier pas, jouer de son charme singulier et addictif. Sans se prendre pour le roi du monde, ou piétiner ce monde qui s’étendait sous lui à chacun de ses pas, il s’était peut-être toujours vu comme un pégase, mignon, facétieux et surtout très indépendant. Néanmoins, dans toute sa maturité spirituelle, qui ne transparaissait pas nécessairement dans son comportement loufoque au quotidien, il se révélait être parfois encore un petit gamin. Lui qui pensait avoir une certaine maîtrise, même lorsqu’il laissait le contrôle lui échapper de bon cœur, il commençait à réaliser petit à petit que le jeu pouvait se retourner contre lui, même son jeu préféré dont il était le magister. Face à Lou, les rapports de force étaient inversés, et ce n’était pas lui qui hypnotisait qui bon il voulait à travers ses opales, mais c’était bien lui qui était noyé dans son regard envoûtant, mi biche, mi serpent. Une fascination qu’il combattait encore sereinement avec brio, mais qui commençait sévèrement à l’emmener vers les abysses, chute sans fin qu’il ne venait pas – encore – à regretter.
Quelle ironie que ses propres doigts, son corps trahissait son cœur, dans son inconscience la plus fourbe et vicieuse qui était, aient joué cette fameuse sonate, sonate spéciale qui lui rappelait le parfum unique de la jeune Lufkin, et qu’elle apparaisse bel – belle – et bien derrière lui. Incantation encore plus forte et intense, dangereuse, que les enchantements qu’ils apprenaient à l’école. Quelle ironie, aussi, qu’ils en viennent à parler de l’amour, alors qu’elle était le nouvel objet de ses désirs, fantasmes, secrets et à moitié inavoués à sa bonne conscience, qui ne demandaient, au fond, qu’à être assouvis. À cet instant présent, et pas si éphémère qu’on pourrait le penser, il était bien trop semblable à Beethoven au moment où il avait composé cette sonate pour son élève dont il était amoureux. Non, ce n’était qu’arrogance que de se comparer à cet artiste culte et historique. Lui, il ne lui arrivait bien sûr pas à la cheville. Il n’avait pas écrit ce morceau de piano somptueux, il ne faisait que le reprendre. Imposteur. Dans le meilleur des cas, son reflet, dans un miroir moqueur d’une vérité qu’il montrerait néanmoins, prendrait l’apparence de Ruy Blas. Ce simple valet qui se costume en noble pour pouvoir séduire la reine, déjà promise de corps à un autre, mais pas de cœur. Pathétiquement romantique. Sans le savoir, il avait déclenché une guerre passionnée et passionnelle lorsqu’il avait joué les premières notes, prenant subtilement et inconsciemment le dessus dès la première chevauchée. Malheureusement pour lui, c’était une guerre en une seule bataille, et qu’il ne pouvait décemment pas gagner.
Alors qu’elle prenait possession de l’espace, ambiance qui les regardait avec des yeux grands ouverts en attendant de voir la suite de l’acte, de manière presque paresseuse, il était encore cloué à son siège, petite banquette rectangulaire pas si confortable que cela dans le fond, bien incapable de bouger. Selon les idées reçues, celui qui était assis avait le pouvoir sur celui qui se tenait encore debout. Cependant, ce n’était actuellement pas la vérité. Il avait cette sensation, qui ne devait pas être exclusivement liée à sa paranoïa, que s’il essayait de se tenir sur ses jambes, celles-ci trembleraient de faiblesse, au point qu’il devrait prendre appui sur un meuble, pour ne pas prendre le risque de s’effondrer. Oh bordel. Depuis quand était-il retombé en préadolescence où il ne pouvait pas gérer un – petit – béguin ?
L’amour, quoique l’on puisse en dire, était le plus fort des sentiments. Il était fort, parce qu’il était également bien abstrait. Il était différent pour tous les individus, selon qui le ressentait, et pour qui il le ressentait. C’était un mélange de passion, de tendresse, de désir, souvent de jalousie et d’égoïsme, et même parfois une dose diffuse de mélancolie. L’amour ne devait que son nom, sa définition approximative, à la société actuelle, puisque ce n’était pas un sentiment qui existait. Elle n’était que pure féérie d’esprits plus malades – d’amour – les uns que les autres. Et c’était bien pour cela que c’était un état bien dangereux. Et c’était bien pour cela qu’on essayait tant bien que mal de le retranscrire à travers des œuvres qui nous faisaient frissonner de l’intérieur. « N’est-ce pas parce que tous les amours, les vrais, les passionnels, sont voués à l’échec ? » Évidemment, la preuve irréfutable de ce qu’il avançait n’existait pas. Certains se plairaient à lui rétorquer qu’il n’était qu’un putain de pessimiste. Ce n’était pas vrai, pas à ses yeux. Au contraire, bien que cela rendait le sentiment encore plus triste et désespéré, c’était aussi ce qu’il le rendait beau à ses yeux. Il était intimement persuadé que l’amour ne pouvait qu’être malheureux, ce malheur amoureux qui poussait les artistes à créer. Lorsque l’amour était heureux, il était plat, et l’homme s’ennuyait pour finalement aller chercher le drame ailleurs. Il avait besoin de tragédie pour se sentir exister, et l’amour, qu’il soit beau ou malsain, n’était qu’un prétexte à ce comportement inconsciemment autodestructeur. « L’amour, par définition, n’est-il pas une source inépuisable parce qu’il est un puits impossible à être comblé ? Comme le désir qui n’existe que par le manque… » La fatalité de l’existence humaine. Si certains y voyaient un désespoir tragique, lui il y voyait une poésie pleine d’espoir, et de toujours plus belles choses.
Se rendant subitement compte qu’il ne l’avait pas quitté une seule fois des prunelles intenses, il relâcha sa respiration, dont il ne savait même pas qu’il retenait encore, clignant consécutivement des yeux, alors qu’elle s’installait derrière la harpe. Un sourire bien rêveur, et presque niais, étira ses fines lèvres, alors que l’image promettait de bien rester gravée dans sa mémoire, son esprit pour longtemps, alors qu’il se disait que l’instrument lui allait à la perfection. Une certaine rareté, et pourtant que tout le monde connaissait à cause de sa beauté poétique sans nom. Il secoua intérieurement la tête, se trouvant de plus en plus ridicule, comme si sa présence seule avait ce don d’inhiber ses sens, comme la plus douce et forte des drogues. S’il n’était pas foncièrement étonné qu’elle ait choisi cet instrument parmi tous les autres, il était cependant quelque peu agréablement abasourdi de constater qu’elle savait effectivement en jouer. Il ne dit mot, de peur de briser le moment, laissant la mélodie envahir son palpitant à rude épreuve depuis qu’elle lui signalé sa présence près de lui. Il l’observait, la contemplait plus qu’il ne l’écoutait, avouant à lui-même son petit péché – mignon. Elle était encore plus belle, si c’était bien possible, les paupières closes, ses doigts bougeant d’eux-mêmes, un peu à son image alors qu’il jouait au piano quelques minutes plus tôt, allant de paire avec la lumière lunaire. À un tel point, que dans sa contemplation, il en oublia sa cigarette qui chauffait toujours entre ses doigts. Alors que jusqu’à présent il avait été trop obnubilé par sa voix, il prenait à présent le temps de réellement la regarder. Et il déglutit, se sentant idiotement rougir, les pommettes légèrement en feu alors qu’il se concentra pour faire partir la sensation, lorsqu’il se rendit compte qu’elle ne portait qu’une simple nuisette de soie, tenue pour traîner dans son lit. La mélodie s’arrêtant à ce même moment, évidemment, il détourna la tête pour ne pas être pris entrain de scruter un peu trop intensément.
Il rit un peu, à sa remarque, trouvant le courage de reposer ses opales sur sa forme, digne d’une vélane. Elle avait peut-être cessé de stimuler les cordes le harpe, et pourtant l’atmosphère magique perturbait, comme si elle jouait encore. « Est-ce vraiment une modestie de votre part ? » Il haussa un sourcil. Outre ce qu’elle dégageait, ses paroles n’avaient rien de modeste, bien au contraire. Et si habituellement Jazz exécrait ses personnes prétentieuses, qui prétendaient avoir la sagesse infuse et pouvoir s’élever au dessus de la plèbe, avec la jeune Nabokov, c’était tout l’effet contraire qui se produisit. Elle le fascinait, il voulait toujours en savoir plus sur elle, son histoire, et ce qu’il se tramait entre les parois de son esprit. Plus il apprenait à la connaître, bien qu’ils avançaient encore plus lentement qu’une horde d’escargots, et plus elle devenait son exception à toutes ses règles. Elle était dangereuse. « Peut-être que vous avez une sagesse innée, cependant je ne peux me défaire de la sensation que ces sages paroles viennent d’expériences vécues. » Sa réflexion n’attendait pas nécessairement de réplique, et lui-même éviterait bien de se prononcer sur le sujet. La vie valait-elle d’être vécue sans amour ? En théorie, il dirait bien que oui, qu’il n’y avait que les fous ignorants qui recherchaient une existence à travers l’amour. Et pourtant, l’amour n’était-ce pas la condition sine qua non du bonheur ?
Il lui fut impossible de pousser la réflexion plus loin, alors que son myocarde rata un battement au sourire qu’elle lui lança. Il ne put s’empêcher de se dire que celui-ci était tout à fait calculé, et malgré cette conscience loin d’être naïve, il eut l’effet escompté. Simple pantin dont la volonté et le libre arbitre n’étaient pas assez puissants sous ses propres charmes. Le palpitant qui battait jusque dans sa gorge et ses tympans, il la regarda se déplacer, attendant avec appréhension et hâte la prochaine scène de l’acte, comme s’il était un simple spectateur de cette représentation, et non un des comédiens, tenant en plus l’un des rôles principaux. Si son myocarde tambourinait déjà à tout rompre dans son corps, normalement épais mais à l’instant fragile, il s’arrêta complètement, son cerveau court-circuitant également, lorsqu’elle vint se tenir entre ses jambes légèrement écartées de sa position toujours assise, le surplombant de toute sa petite hauteur par rapport à lui, pour attraper sa cigarette décidément et définitivement oubliée. Incapable de réagir, il essaya de déglutir alors que sa bouche était soudainement sèche, et que ses pupilles suivaient d’elles-mêmes le geste, pourtant simple et anodin, mais bien trop sensuel dans une telle situation. Il ne savait que répondre à ceux-là. Son moteur bien incapable de réfléchir dans de telles circonstances, alors que les seules pensées qui tournaient, et retournaient, dans son esprit était qu’il pouvait sentir son parfum envahir ses narines, et qu’il n’avait qu’à lever la main pour toucher la soie de la chemise de nuit, ou pire encore, la douce peau prometteuse cachée derrière le fin bout de tissu.
Ce ne fut que lorsqu’elle lui recracha la fumée au visage, piquant au passage ses yeux mais ignorant complètement la petite douleur impromptue, alors qu’il se leva enfin, se redressant de toute sa hauteur et la surpassant d’au moins une bonne tête. Il avança d’un pas, réduisant encore un peu la distance, déjà inexistante, entre eux, son torse la touchant presque, sensations fantômes qui le caressaient dans un frôlement. Il reprit sa cigarette, déjà bien consumée, caressant de manière presque anodine les doigts fins de la jeune étudiante, finissant le bâton de nicotine en une seule et derrière latte, avant de souffler tout doucement sa fumée au visage, réfléchissant son propre mouvement, mais cette fois-ci d’une lenteur exagérée, créant un brouillard entre eux et autour d’eux, comme s’il voulait que le moment dur. Puis d’une petite incantation murmurée de manière à peine audible, il fit disparaître la cigarette. Comme si son corps avait décidé de reprendre le dessus, sur la situation, il posa tendrement un index sous son menton, la forçant doucement à relever la tête vers lui. « Quelle douce ironie qu’autant de maîtrise vienne d’une personne qui s’appelle Nabokov. » Œuvre moldue bien connue, qui traitait d’un désir qui avait fait perdre toute raison à un homme, les consciences du bien et du mal.
Cédant finalement à ses envies, il déposa une main sur sa taille, caressant d’un pouce discret la soie probablement pas aussi suave que sa peau, alors que l’autre se plaçait dans la sienne. Alors qu’il chuchota de nouveau, quelques instruments se mirent à émettre d’eux-mêmes des mélodies, et Jazz emporta la jeune fille, partenaire fortuite et inespérée pour la soirée, dans une lente et douce danse. « Encore une fois, c’est une question de point de vue, mais les personnes saines ne sont-elle pas celles qui ont perdu la tête ? » Des questions qu’il posait. Plein de questions qu’il posait. Des questions dont il n’avait pas les réponses. Des questions dont il ne voulait pas les réponses. C’était peut-être cliché. C’était peut-être le comportement d’un adolescent en perpétuelle tendre rébellion, ou d’un homme mature qui avait appris de son propre vécu, mais Jazz pensait sincèrement qu’à être trop sain, à se restreindre et sans cesse de plier aux règles, quelles qu’elles soient, c’était ces gens qui perdaient la tête, et leurs âmes. Il fit doucement tourner Lou sur elle-même, avant de la récupérer, un peu trop brusquement, dans ses bras, la tenant encore plus proche qu’ils ne l’étaient il y avait quelques secondes. « Tous les désirs ne sont pas faits pour être comblés, mais tous les désirs ne sont pas mauvais non plus. Il faut parfois savoir se laisser aller, sinon tout notre être en est dévoré. » Et parfois le contrôle venait justement du fait que l’on ne l’avait pas, pendant un bref moment, il en était persuadé. Il ne savait pas ce qu’elle avait vécue, la gamine. Toutefois, il n’avait pas du tout cette sensation d’être en face d’une de ses élèves, une des plus jeunes d’ailleurs. Il était peut-être métamorphomage, mais c’était bien elle qui possédait ce don inné, intérieur, de transformation. Le tempo de la chanson composée sur le moment par les divers instruments, et Jazz ralentit le pas déjà paresseux, ses doigts venant inconsciemment, non plus la soie de sa tenue, mais les mèches de cheveux qui tombaient en cascade dans sa nuque. Avant de se reculer, à regret, lorsque la dernière note fut émise.
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Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Mer 8 Nov 2017 - 12:04
Ses yeux faisaient preuve d'une dureté exemplaire, en s'accrochant avec tant d'acharnement au visage masculin. Un air quelque peu sévère éclairait les traits de la belle Lou, alors qu'elle adoucissait son aura d'un sourire céleste. Elle irradiait de confiance, quand son tambour thoracique ratait un battement. Entre ses mains, le monde entier périclitait d'hardiesse. Et, lorsqu'elle n'en avait que faire du sort de cette terre, elle se laissait aller à des pérégrinations psychiques. Dans cet établissement aux milles visages, il était rare qu'elle puisse ainsi délier sa langue pour des sujets plus profonds que ceux liés à sa profession. Les élèves qui l'entouraient avaient beau pour la plupart posséder une capacité d'analyse impressionnante, elle s'ennuyait très vite de leurs propos hasardeux, presque insensés. Il n'en était rien avec Jazz. C'était sûrement cette capacité aux bons mots, qui l'attirait inlassablement vers lui. Elle s'aimait à débattre ainsi sur des factions émotionnelles, et rien au monde ne pouvait la tirer de ses rêveries lorsqu'elle s'y enfermait à double tour. Il n'y avait rien de pis pour elle, que de conclure. L'inachevé la faisait rêver. Et, dans le cas présent, elle ne pourrait compromettre avec cet homme, sous peine de se voir bien vite hors d'état d'exprimer toute chose trop virulente. Elle ne serait donc plus elle-même, sans cette obsession de toucher à son but du bout des doigts, mais sans ne jamais l'atteindre. Si certains pensaient que le meilleur moyen d'avoir tort, était d'être persuadé d'une chose. Elle, de son côté, pensait que le meilleur moyen de se défaire d'un objet désiré, était justement de le posséder, ou seulement de l'approcher. Alors, loin de lui, installée près de la harpe poétique, elle gardait une distance résolue avec ce professeur. Il était comme une source d’eau, intangible, que des hommes du désert voyaient en mirage. Une vision paradisiaque, qui pouvait vite s’évaporer si l’on venait à s’en approcher de trop près.
La peur de se brûler perdurait. En amont, elle avait pris le souci de ne point adresser la parole à monsieur St-James, en dehors des cours. C'était une règle qu'elle s'était elle-même imposée afin de rester le plus neutre possible à son égard. Lorsque son regard le repérait, elle n'avait de cesse de le contourner pour n'avoir à affronter son charisme. Mais, en cette soirée réchauffée par leurs êtres s'aimantant l'un à l'autre, elle avait pris le risque d'entrouvrir les lèvres pour lui parler de sa voix suave. Il y avait fort à parier qu'elle n'en sortirait pas indemne. Tel un papillon causant sa perte sur une lampe rutilante, elle allait en quelques instants s'écraser lamentablement contre son propre ressenti. Il était trop tard pour se défiler, elle avait engagée la partie et se devait d'y prendre part jusqu'au dénouement. Et, si pour cela elle devait y laisser sa peau, en plus de son honneur, au moins en son fond intérieur une instance la persuaderait que la bataille n'avait pas été vaine. Elle avait une vision bien à elle concernant l'amour, et si son coéquipier musical était du même avis, leur relation risquait de rester au point mort.
Et, contre toute attente, sa riposte équivalente était en accord parfait avec les futilités que Lou accordait à l'amour. Ils étaient, l'un et l'autre, les comédiens désenchantés de la seule force qui les unissait. Sans cet amour qu'ils dénigraient tout deux -ou élevés peut-être trop, justement-, ou plutôt accusait de bagatelles, ils ne seraient pas face à face à se répandre en banalités. « Il est vrai que la beauté des choses vient de leur vanité. Ce ne sont que des morceaux de tissu éphémères qui se décomposent à vue d'oeil. » Une moue qui lui est si caractéristique se peint sur ses lèvres, à la manière d'une belle aquarelle. Un scepticisme. « Mais, c'est le propre de l'homme de périr un jour. Les traits se creusent, la peau se flétrie, et les organes perdent de leur vigueur. Pourtant, au-delà de ces contraintes, certains hommes parviennent à garder une beauté éternelle. Pourquoi l'amour n'aurait pas le loisir de connaître les même exceptions ? »L'allusion était forte, de la même intensité que son regard sur lui. Persistant, presque accablant. Elle avait scruté ses traits, en énonçant ces dernières paroles. Elle parlait de lui, cela ne faisait aucun doute. Malgré l'âge qui se lisait sur son visage -très peu marqué par les années- elle le trouvait d'une beauté spectaculaire, qui lui coupait le souffle. Ses yeux étaient une rivière dans laquelle elle aimerait se noyer. C'était là, la mort à laquelle elle souhaitait s'abandonner à jamais. Pourtant, elle n'y croyait pas réellement à cette exception amoureuse, ce n'était qu'une chimère qu'elle avait souhaité partager avec son élu. Elle avait pour ambition, de décrocher un sentiment plus humble qui saurait lui faire oublier ce visage qui la tourmentait. Et, si ils disaient vrai, et que l'amour ne faisait que passer à travers l'âme, elle serait en mesure de le faire en peu de temps. L'occasion d'un battement de cils. Le temps de remettre son moteur en marche, pour une nouvelle histoire.
La mélodie qu'exerçait les instruments que nous frôlions de nos brins, avait un arrière goût de classique. Des airs canoniques venant percuter les comédiens, de cette scène digne des plus grandes tragédies antiques. Les mensonges laissant place aux révélations. Son propre masque d'une modestie ébranlée venait de tomber. Non, elle n'était pas modeste. « Un grand homme d'un siècle passé disait : Une modestie d'emprunt n'est que le masque d'un orgueil secret, d'autant plus blâmable qu'on cherche à le déguiser sous les apparences d'une vertu aimable. » Elle passa sa langue sur ses lèvres, juste un instant pour les humecter. Ce muscle resta alors coincé entre ses dents un instant, à la manière d'un serpent décidant de vie ou de mort sur sa proie. « Je vous laisse donc le loisir de me blâmer, de me punir même. Venez ainsi rivaliser avec ces "expériences vécues" dont vous me parlez. » Un sourire odieux par son charme, qui mériterait d'être entravé par l'autorité, se faisait roi sur son visage. Une invitation bien trop implicite qu'elle se blâmait elle-même d'avoir encouragée. Elle secoua la tête, comme pour chasser cela de son esprit. Entraînée par son propre jeu, bien trop proche du corps de cet homme pour raisonner convenablement jusqu'au bout, elle n'avait pu garder son rôle. Elle pouvait mettre cet instant d'étourdissement sur le compte de la fumée qui les avait enveloppés, et qui avait joué sur son esprit ravagé. C'était l'explication la plus valable, si ce n'est la seule. Et, en un instant, comme si le ciel voulait la foudroyer d'avoir ainsi failli à sa tâche, le doigt de Jazz s'empara de son menton. Fracas. Tonnerre dans son coeur embué. Ses défenses ne se baissent pas pour autant, retrouvant un aplomb certain dans ce geste qui devait être pour lui tout à fait anodin, mais qui éveillait en elle une électricité particulière. Son visage se lève de lui-même vers l'homme, pourtant incapable de réellement le regarder dans les yeux sans se sentir affaiblie. Elle garde son air supérieur, en plissant les yeux comme elle sait si bien le faire. « Vous êtes alors de ceux que cette oeuvre font devenir Procuste ? Je n'en attendais pas moins de vous. » Malice dans sa voix cristalline. Les yeux revolver planqués derrière son espièglerie.
Elle garde le contrôle de la situation, à peine quelques secondes encore. Toute cette sûreté qu'elle ressentait, s'effondra en un claquement de doigts. Finalement, il eu suffit d'une main sur sa taille pour qu'elle perde son équilibre et dégringole de l'escalier de sa confiance. Ne comprenant pas ce qu'il faisait, elle restait sur ses gardes, malgré l'envie pressante de se serrer fort contre lui pour ressentir sa chaleur irradier sur tout son être. Même lorsqu'elle tournait, son esprit restait en effroi. La pièce passait devant ses yeux à une vitesse singulière. La tête lui tournait légèrement, et ce n'était pas à cause de la danse languissante qu'ils entreprenait l'un avec l'autre. Mais bien la proximité immédiate qu'elle entretenait alors avec le corps de son professeur. Ce qu'il disait n'avait plus d'importance, elle avait le souffle coupé par cet instant insolite. Elle ne savait même pas ce qu'il avait dit, ne l'ayant écouté que d'une oreille -très distraite.
Les mélodies se taisent, comme bâillonnées par l'atmosphère lourde qui planent sur leurs têtes. Lou a l'impression que le temps s'est suspendu, à deux doigts de les changer à jamais en statue de sel. Il s'est reculé d'elle, a osé la laissé ainsi, seule au milieu de cette grande pièce. Elle ne pouvait détacher son regard du sien, toujours aussi pénétrant. Presque froide, ainsi laissée à l'abandon. Ses bras viennent se croiser sur sa poitrine, comme pour se réchauffer et rétablir le bouclier entre eux. Couverte d'une simple nuisette, elle n'avait pourtant jamais froid, c'était donc cet homme qui la rendait ainsi frileuse. Ce vêtement qu'elle portait, lui allait à merveille. Il ne s'agissait que d'un morceau de soie, simple tissu qui n'avait rien de particulier, il n'avait en aucun cas pour rôle d'aguicher. Pourtant, sur le corps de Lou, il prenait un air tout autre. Sur le joli corps de cette nymphe, ce morceau de soie devenait un appel à la luxure. On voulait le toucher, le palper, connaître chaque courbe qu'il cachait de son voile. Ce n'était pas la nuisette qui habillait le corps de Lou, mais le corps de Lou qui habillait la nuisette. Elle avait connaissance de ce pouvoir qu'elle exerçait sur les hommes. Et, elle ne comptait pas en rester là avec celui-ci. Si son corps désirait Jazz passionnément, ce n'était rien à côté de son coeur qui pleurait à chaudes larmes de ne pouvoir le posséder en son sein. « Vous me troublez, monsieur. » De ses doigts adroits, elle replace une de ses propre mèches de cheveux derrière son oreille en baissant les yeux d'un air enfantin. L'innocence dans l'attitude, percuté par l'énergie de son regard.
Elle avait cette faculté d'inspirer autant de tendresse que de passion. Et, elle ne savait se départir de cet ascendant qu'elle exerçait avec esprit. Elle s'approche alors légèrement de lui, elle ne sait s'il restera ainsi jusqu'à l'avoir près de lui, ou reculera, acculé contre le piano. De petits pas, elle continue alors son avancé. « Vous maîtrisez le vol, la musique, la danse et à en croire le nombre de vos conquêtes, vous êtes également bon comédien. » Elle faisait allusion aux bruits de couloirs, ceux érigeant Monsieur St-James au statut de tombeur, même envers ses propres élèves. Persuadée alors qu'il avait déjà eu des liaisons avec plusieurs étudiants, il était pour elle inconcevable qu'il ait été honnête avec tous. Il devait y avoir une part de jeu dans l'équation, le conduisant dans un rôle de comédien. Jouer. Porter un masque pour arriver à ses fins. N'était-il pas précisément en train de se jouer d'elle, à cette heure précise ? « Existe-t-il un domaine pour lequel vous n'excellez pas ? » La proximité se faisait de plus en plus sentir. Elle allait bientôt arriver devant lui, presque contre son torse.
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Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Mar 14 Nov 2017 - 16:26
we left a life. that's ordinary from the start. we looked for stranger things. cause that's just who we are. found me the edge of something beautiful and loud. like I'm picturing now. castles glitter under spanish skies. but I'm just looking after you tonight. snow white mountains in a foreign state. tell me someday we'll get there.
Il était un de ces rares moments où il aurait voulu qu’il dure éternellement. Jazz, petit enfant mature et quelque peu hédoniste à sa manière, profitait pleinement de chaque instant. Il s’en délectait, et c’était peut-être pour cela qu’il n’avait aucun mal à les voir et laisser filer. Chaque souvenir en créait un autre, et si pour certains cela rendait la vie mélancolique, à titre presque juste, pour lui c’était un des arguments dont elle tirait sa beauté poétique. Lou, elle était son exception à un peu toutes ses règles tacites, sous-entendues, qu’il s’était faites au fur et à mesure de sa propre existence, de sa propre aventure. Alors qu’il n’arrivait pas à défaire ses opales de son regard intense et transperçant, malgré le malaise chaud qui se diffusait dans tout son corps et qu’il ressentait, comme si elle sondait effectivement son âme, il n’arrivait pas à la cerner. Il n’arrivait pas à la lire, imaginer les pensées qui pouvaient bien traverser sa tête, son esprit si mystérieux et fascinant. Assurance perdue, chose qui en étonnerait plus d’un et dont ils se feraient une probable joie de se moquer, il se contentait de l’observer, la contempler de loin. Et lorsqu’il était dans l’obligation de s’approcher d’elle physiquement, rentrer dans son espace vital et s’empêcher tant bien que mal de s’enivrer rien qu’à la douce odeur de son parfum si particulier à ses sens aiguisés, il se concentrait pleinement, oubliant presque ses autres élèves, pour ne pas trembler à son contact. Oui, les vrais moments avec elle étaient d’une certaine rareté, qu’il imposait lui-même, de peur de se retrouver bégayant ou, bien pis, de faire une gaffe qu’il ne devrait plus faire à son âge, et c’était bien pour cela, que pour une fois, il aimerait pouvoir immortaliser de tels instants. Il savait bien que c’était chose impossible. Même avec un retourneur de temps, vivre des minutes pour toujours n’était qu’absurdité. Alors, il fermait les yeux. Ou plutôt, il les ouvrait bien grand, s’imprégnant de la beauté de la jeune femme et du moment, pour pouvoir le revivre encore et encore dans son esprit. Comme un photographe qui emprisonnerait des personnes dans un cliché, c’était sa manière à lui de chérir cette petite soirée secrète.
Comme pour embaumer son myocarde encore un peu plus, comme s’il n’était pas déjà mis à dure épreuve, la conversation était presque aussi poétiquement sensuel que l’atmosphère magique, féérique qui s’installait entre eux. Le niveau intellectuel était à la hauteur de ses attentes, à la hauteur de ses fantasmes, à la hauteur de ce qu’il pouvait bien imaginer de la jeune femme. Elle ne cessait de le surprendre constamment, et sa soif de connaissances, de curiosité, pour elle, ne cessait de s’agrandir, lui laissant la bouche sèche. Sécheresse pas nécessairement désagréable. Sécheresse qui promettait d’autres belles choses inattendues. Elle chamboulait de plus en plus son monde, ne s’en apercevant presque pas puisqu’elle le faisait toujours élégamment, repoussait ses réflexions encore plus dans leurs retranchements, rien qu’en élevant le son de sa voix pour traduire ses pensées. Elle était mature, il ne pouvait nier l’évidence même, cette évidence que toute personne lambda était bien capable de constater dès le premier regard posé sur elle. Toutefois, cette moue qui revenait souvent sur son joli minois rappelait sa juvénilité, et il ne pouvait s’empêcher de penser que si elle avait une vieille âme, ses réflexions étaient bien celles d’une très jeune femme. « Amour et beauté, vous faîtes un parallèle facile et pas nécessairement vrai. De plus, c’est bien réducteur de penser ainsi. Comme Freud qui mettait toutes les névroses sur les frustrations sexuelles, quelles qu’elles soient. » Il était impossible de savoir qui pouvait bien avoir raison. L’amour n’était pas une chose belle, elle n’était pas obligée de l’être. Si l’amour était beau, c’était seulement parce que les hommes fantasmaient sur un idéal fictif. Même si la conversation était des plus intéressantes, c’était en partie pour cela qu’il n’était généralement pas un grand fervent des discussions philosophiques. Les arguments se tenaient, et la découverte de la vérité n’était encore que subjective. Elle n’était donc pas vérité, par définition. Il comprenait le point de vue de Lou, un point de vue maintenu par beaucoup. Seulement, il ne pouvait être d’accord. Il ne pouvait se réduire à pensée que la beauté était perçue comme beauté seulement parce qu’elle était éphémère. Non, certaines beautés existaient sur la longue durée, même après leur mort, ou même après la sienne, son esprit se souviendrait de la beauté froid et envoûtante des opales de la jeune Nabokov. C’était une chose certaine, et si on liait tout cela à la vanité, c’était bien parce que la plus grande peur de l’homme avait toujours été la grande faucheuse.
Oh oui, la grande faucheuse. Quelle connerie d’en avoir la phobie, alors que le sentiment le plus dévastateur était bien entendu le désir. Sa propre réflexion était peut-être influencée par les pulsions qui l’animaient, qui faisaient vibrer tout son être lorsqu’il était en sa présence, néanmoins c’était bien la première fois que leur cœur et le cerveau travaillaient aussi bien à l’unisson. Il sourit doucement, en connaissance de cause. C’était exactement ce qu’il avait pensé, dit. Confondre amour et beauté était une chose facile, et dangereuse. Les attentes devenaient trop grandes, trop fantasmées et utopiques, et les gens manquaient un amour qui pourrait être tout aussi véritable, réel par rapport au fruit de l’imagination de l’esprit. Il le savait, Jazz. Il le savait, et pourtant sa curiosité, son désir envers la Lufkin n’étaient que le résultat de ses propres fantasmes. « Parce que l’amour est idéalisé, l’amour est conceptualisé. Il est dans nos esprits ce qu’il n’est pas véritablement. Parce qu’on préfère rêver que vivre, mais je pense que l’amour peut être éternel, pas comme notre corps qui se décompose ; comme vous le dites… » Parce que lui, il avait envie de vivre ses rêves. Parce que c’était toujours ce qu’il avait fait. Il avait rêvé, et il avait toujours fait en sorte que ces rêves deviennent réalité. Il ne rêvait pas de l’impossible, contrairement à ce que beaucoup pensaient et ce qu’il pouvait laissé croire, Jazz était loin d’être un fou immature. Non, il n’avait jamais compris pourquoi les deux concepts devaient être dissociables, dissociés, alors il les avait mis dans le même sac. Jusqu’à Lou, encore une fois. Elle était ce fantasme, ce rêve, qu’il n’osait pas approcher. S’il comprenait à moitié, pas franchement sûr, qu’elle parlait à demi-mots de lui, sa réponse était évidemment elle aussi tournée à son égard. Réponse à réponse, les sous-entendus fusaient, et ils étaient bien les seuls capables à les suivre. Il se sentit frissonner à son regard intense sur lui, comme si elle essayait véritablement de scruter les tréfonds de son âme, comme si elle essayait de mémoriser chaque trait qui faisait son unicité, et il combattit l’envie de se racler la gorge, s’obligeant à garder une posture neutre, impassible.
Les instruments qui trônaient fièrement dans la pièce, et pourtant toujours dans le silence, étaient une représentation directe de leurs propres âmes. Comme s’ils avaient été prédestinés à se confronter dans la salle de musique. Lorsqu’ils étaient frôlés, caressés du bout des doigts, ils s’activaient soudainement en émettant des sons, des notes mélodieuses qui captaient toutes les attentions, vibrations qui prouvaient que s’ils étaient silencieux ils n’étaient pas moins éteints. Ils étaient atteints par cette rencontre, autant qu’eux. Les prunelles de Jazz furent automatiquement attirées par cette langue baladeuse et joueuse, bloquant ainsi sa propre réflexion pendant quelques secondes, alors que des images non contrôlées passaient dans son esprit – esprit que Freud lui-même aurait catégorisé de névrosé. Il fut rapidement rappelé à l’ordre, avant que la névrose ne devienne réellement psychose, alors que le son de sa voix s’élevait de nouveau, brisant ce silence lunaire entre eux. Quoi de mieux que de combattre une obsession par une autre ? Alors qu’il était sur le point d’ouvrir la bouche pour lui répondre, comme n’importe quel gentleman le ferait, son geste s’arrêta subitement, alors qu’il capta très nettement la dernière partie de sa phrase. Si la conversation s’était faite par à-coups de sous-entendus, elle avait encore fait un pas en avant en laissant derrière elle cette étape. Son invitation était on ne peut plus claire. Et il fallut quelques secondes au cerveau de Jazz pour réussir à traiter ces quelques paroles, pourtant presque innocentes. Il soupira, et commença à parler, tout en se redressant et se levant, réduisant la distance déjà bien minime entre eux. « Pourquoi vous blâmerais-je ? Voudriez-vous que je vous blâme ? Et est-ce réellement pour les raisons énoncées ? » Il avait du mal à comprendre le jeu qu’elle jouait, le jeu qu’ils jouaient ensemble. Tout cela, il n’y avait rien de naturel dans cet échange. Ce magnétisme qu’avaient leurs interactions, il ne l’avait jamais connu auparavant. Il ne comprenait pas. Et pourtant, s’il n’y avait rien de naturel, ce n’était pas non plus forcé. Non, les paroles, les gestes, tout était bien spontané, et il ne savait plus où donner de la tête. Sa tête, il l’avait perdue. Abandonnée, après une décapitation passionnelle. La blâmer ? Non, il ne le voulait pas, cela ne lui avait même pas traversé l’esprit. Cependant, si c’était bien ce qu’elle voulait, ce qu’elle attendait de sa part pour quelconque raison, il se damnerait à lui donner ce qu’elle voulait, lui offrir ses volontés sur un plateau d’argent. Fou.
Toutefois, le petit manège avait assez duré, et s’il lui avait laissé gagner du terrain sur son propre espace – vital –, il était bien décidé à reprendre la main. La surplombant de toute sa hauteur, ne lui laissant pas le choix que de bien lever la tête pour affronter son regard, et ne lui laissant pas non plus le choix de fuir alors qu’il lui soulevait doucement mais fermement le menton, il ne put empêcher un petit sourire en coin apparaître, alors que ses pupilles brillaient toujours d’un certain sérieux. Était-elle véritablement entrain de perdre pied ? Lou, cette personne mystérieuse, presqu’intouchable, et qui avait carapace inébranlable. Ce qui le rendait réellement Procuste, c’était de réaliser qu’il était bien capable, qu’il était entrain, de s’introduire sous sa carapace, et découvrir qui elle était. Son sourire s’agrandit, alors qu’il surprit son ton malicieux. Lolita. Évidemment qu’elle l’était. « Vous me sexualisez beaucoup, je trouve, Lolita. » Le surnom qui avait roulé sur sa langue comme une fatalité et une évidence. Le surnom qui n’était que l’apogée de leur jeu dangereux. Pente dangereuse qu’ils auraient dû éviter, qu’ils auraient pu éviter alors que d’autres chemins s’offraient et s’ouvraient à eux, toutefois bien évidemment ils s’étaient empressés de dévaler cette pente sinueuse et glissante. Il ne savait pas que réellement penser de sa remarque, du fait que cette œuvre particulière le rendait apparemment Procuste. Il ne sut pas non plus ce qu’elle devait penser de sa petite appellation, toutefois il ne lui laissa pas le temps de se pencher dessus alors que les premières notes montèrent, et qu’il emporta son corps avec le sien, en rythme avec la mélodie.
S’il sentit son âme défaillir – ou alors était-ce le sien ? –, il put au moins tenir, maintenir son corps, en équilibre contre le sien. Main dans la main, chaleur contre chaleur, il pouvait sentir son myocarde palpiter à tout rompre dans sa frêle poitrine, jusqu’à se diffuser dans ses propres membres, comme s’il ne pulsait pas seulement son sang, mais le sien aussi. Ou alors était-ce son tambour qu’il ressentait aussi fortement ? Et non pas celui de Lou, comme il le pensait ? Les ressentis se confondaient. Les sensations se confondaient. Les corps se confondaient. Les âmes se confondaient. Et s’il n’avait pas la tête qui tournait comme la bleu qui perdait pied, sans qu’il ne le sache réellement, lui n’arrivait plus à contrôler sa respiration qui était soudainement lourde et laborieuse. Comme s’il avait couru un marathon, comme s’il venait d’apprendre une nouvelle bouleversante. Oui, c’était un de ces moments où il aurait voulu qu’il dure éternellement, et pourtant heureusement que la musique prit fin d’elle-même, puisque s’ils avaient continué à danser l’un contre l’autre quelques minutes de plus, probablement que l’un aurait rendu l’âme. La tension était palpable, et Jazz avait besoin de respirer.
S’il se laissait griser par le courant électrique addictif qui passait entre lorsqu’ils étaient physiquement en contact, il savait que s’il continuait à la tenir dans ses bras après que la vibration de la dernière note entre et contre ces murs qui abritaient leur secret pour le moment, il ne pourrait jamais la lâcher, et il avait bien peur de cela. Alors oui, il se recula, à contre cœur, son palpitant pleurant, saignant, à cette perte. Drogue, drogue douce et dure à la fois, en une seule prise. Il avait peur d’elle, elle était dangereuse.
Mettant quelques mètres entre eux, sa première réaction fut de tourner son corps de la présence de Lou, comme pour réguler cette respiration sifflante en essayant d’ignorer qu’elle était près de lui. Cependant, bien trop conscient de son parfum unique, qu’il avait senti de bien trop près, son regard, bien malgré lui, revenait sans cesse sur elle. Et lorsqu’il la vit frissonner, essayer de se réchauffer tant bien que mal, l’envie subite de la prendre dans ses bras, et peut-être même de l’embrasser, le reprit soudainement, brusquement, violemment, comme un désir irrépressible qu’il devait assouvir s’il ne voulait pas devenir aussi fou que Freud, ou bien Humbert Humbert. Malheureusement, il fut coupé dans son élan, par cette même personne qui le rendait effectivement Procuste.
Son corps tout entier se figea, lui-même promptement très raide, ne sachant pas comment réagir à ces quelques paroles. Il la laissa approcher, il la laissa approcher sans avancer ni reculer. Mais s’il ne recula pas, son attitude n’était pas des plus invitantes. Quelques secondes avant, l’énergie qui émanait de lui appelait, de manière évidente, cette étrange jeune femme. À présent, son énergie était chaotique, alors que son cerveau – sale con – devenait mitigé. Elle le flattait. C’était présenté comme des compliments, à l’évidence. Mais seulement présenté. Parce que Jazz décelait autre chose, encore des sous-entendus, derrière ses paroles. Pas forcément une insulte, mais une vérité qu’elle cherchait à savoir, ou à moquer. Il fronça les sourcils, son regard devenu un peu plus sombre, sans qu’il ne le veuille. « Est-ce ainsi que vous me voyez ? Un… comédien aux nombreuses conquêtes ? » Professeur proche de ses élèves, il savait que des rumeurs couraient à son sujet. Certaines vraies, certaines fausses. Il le savait, et tant que cela ne lui portait pas préjudice, de manière directe, il s’en était toujours foutu. Cela faisait partie du jeu, et le jeu, il aimait en être. Il en avait déjà parlé, de ces rumeurs. Avec Sullivan, Iain, Ethan, ou bien d’autres. Et il en avait toujours ri. Alors, il comprenait encore moins pourquoi, à cet instant, cela l’agaçait pleinement. Un comédien ? Non, il n’était pas sans cœur. Il ne l’avait jamais été. Peut-être que cela l’énervait parce qu’il ne voulait pas qu’elle pense cela de lui. Cela l’énervait surtout, parce qu’il ne pensait pas qu’elle serait le type à écouter les bruits de couloir. « Alors que faîtes-vous ici, Lou ? Vous avez entendu le professeur aux conquêtes jouer cette sonate destinée à un amour impossible pour une élève, et vous avez décidé de faire tomber le masque ? » Première fois qu’il prononçait son prénom. Pourquoi était-il entrain de s’énerver ? Comme à chaque fois qu’il était en sa présence, qu’il était question de Lou, il se métamorphosait, sans son consentement. Son irritation était palpable, malgré le fait que sa voix ne soit toujours pas plus forte qu’un murmure, malgré le fait que son ton soit toujours placide, peut-être trop. Non, il ne comprenait pas ce qu’elle cherchait, le jeu auquel elle jouait. Pendant un instant, il avait réellement cru que l’attirance entre eux était sincère, honnête. Mais si c’était ce qu’elle pensait de lui, pourquoi lui avait-elle dit toutes ces choses. Cette fois-ci, ce fut lui qui fit un pas en avant, leur corps se touchant, comme s’ils ne voulaient faire plus qu’un. « Ou alors vous portez magnifiquement bien votre nom, et vous voulez être une nymphette. » Plus que Lolita elle-même. L’éphémère, contre la beauté réelle. Déclaration à demi-mots, qu’il s’empresserait bien de fuir.
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Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Mar 21 Nov 2017 - 23:51
Une petite mélodie raisonnait dans son esprit, à longueur de temps. Elle vivait musique depuis toujours, et ne pouvait respirer sans que ses doigts battent en rythme contre sa cuisse, même lorsqu'elle conversait avec une personne -quelle qu'elle soit. Et, lorsque ses yeux se posaient -non par hasard- sur les lèvres de son professeur, c'était un rythme à la fois soutenu et irrégulier qui battait contre ses tempes. La pulpe de ses doigts percutaient alors la soie recouvrant sa propre cuisse. Elle le regardait, l'écoutait, mais sa voix se mêlait à une chansonnette inoffensive gagnant son coeur. Si elle avait pu fermer les yeux, sans qu'il ne lui en tienne rigueur, elle aurait très certainement pu déceler des ombres derrière ses paupières. Cet homme, sans le savoir, lui inspirait des personnages, des fêtes, des gloires. Et, le fait qu'ils n'étaient d'accord sur aucun point, et qu'ils constituaient l'un et l'autre des dichotomies remarquables, ne faisait qu'accentuer le besoin qu'avait l'un et l'autre de se découvrir. Ils avaient besoin de leur némésis, de leur dopplegänger différemment genré, pour se recentrer. Au milieu de mots plus intéressants les uns que les autres, Lou perd son oreille attentive pour réinvestir sa contemplation. Elle se sentait comme défaite de ses armes les plus fatales. Ils s'engageaient tous deux sur un terrain glissant. L'amour, la vanité, le désir, le rêve. Des factions échappant à la compréhension humaine. Lou ne voulait pas en débattre plus longuement, elle se sentait d'humeur taquine mais non philosophe. Certes, elle avait amené le sujet et précisé bien trop sévèrement ses pensées et son avis sur la question, mais l'idée de déballer ainsi des savoirs illégitimes lui déplaisait.
Elle aurait pu passer des heures ainsi, à le regarder, à écouter le son de sa voix qu'elle trouvait si suave. Mais, ce désir ne devait pas transparaître dans ses yeux, elle avait peur de trahir ainsi les replis de son coeur. Consciente de l'importance d'un air neutre et impartial, elle s'avise de détourner son attention de lui. Elle arrête donc ses pas à quelques centimètres de son corps, et ne répond qu'à certaines de ses paroles. Balayant le reste d'un hochement de tête, ou bien d'un revers de main ample. « Je me blâme moi-même de vous avoir fait une pareille demande. Elle était inconvenante, n'en parlons plus. » Elle n'en pensait rien, et son regard en était la preuve. Si ses mots étaient emprunt d'une certaine sagesse mêlée à des remords, ses yeux énonçaient tout le contraire. Ses mots disaient "pardon monsieur", mais son regard exprimait un désir perçant qui pénétrait l'âme. La poupée sage laissait apparaître dans ses prunelles une âme furibonde à la recherche d'une attention toute particulière. Les bras de l'homme contre son corps, et son être contre son torse. C'est ça qu'elle voulait. Lorsqu'elle parlait de blâme, c'était le châtiment qu'elle interprétait comme acte de barbarie sensuel. Comme la fessée déclinée en jeu charnel, son souhait reposait sur la dispute d'une confrontation vibrante. Abîme-moi. Laisse ta marque sur ma peau. Imprime-moi de tes mains pour mieux me posséder. Ses yeux en amande avaient ses injonctions-ci dans le noir de leur prunelle. Lou voulait que son professeur le ressente, qu'il soit percuté par ces envies-là.
Elle se surprend alors à espérer une réaction exagérée de sa part. N'importe quel coup de sang qui justifierait tant d'acharnement. Il devait s'emporter, de désir ou de rage. Il devait se mettre en colère d'être ainsi la cible d'une élève au coeur -et au corps- le désirant si passionnément. Il devait s'accommoder de sa situation, ou bien d'autant plus la blâmer pour son comportement. Après tout, n'importe quelle réaction serait convenable, pourvu qu'il y ait réaction. Un coup d'éclat, coup de sang lui explosant aux tempes. Lou avait besoin de déceler les terminaisons nerveuses de l'organisme de l'enseignant à travers sa peau. Elle voulait voir ses veines s'entrechoquer, son sang bouillir à sa vue. Son corps se met à surchauffer à cette idée. Et, lorsqu'ils s'entraînent l'un et l'autre dans une danse provoquant des émotions contraires, toutes les envies s'amplifient. Lou ne veut plus le voir mourir de désir pour elle, elle veut qu'il lui en fasse une preuve, une manifestation physique. La belle en est toute chamboulée. Retournée par la proximité, et désireuse d'un geste intime de sa part, elle ne peut s'empêcher de se rapprocher de lui en reprenant ses esprits toutefois. Puis, elle répond ensuite à sa remarque. Evidemment qu'elle le sexualise, depuis le premier regard posé sur lui. Mais, en faisait-elle la démonstration ? Elle n'en était pas certaine jusqu'à maintenant. « Je ne suis pas certaine d'être flattée ou non de ce surnom. » Mitigée. Elle voyait évidemment où il voulait en venir, et ce surnom était alors une évidence pour eux. Mais, elle ne voulait certainement pas qu'il le sache. Il ne fallait pas qu'il comprenne que dans son esprit, elle était une Lolita consentante concernant leur relation.
Une relation à laquelle elle aurait aimé pouvoir mettre un terme. Si seulement elle en avait eu la possibilité. Malheureusement, rien que l'idée de ne plus le croiser, ne plus lui lancer ses regards énigmatiques et rêver ensuite d'une nouvelle proximité entre eux, lui était insupportable. Alors, elle se forçait à souffrir de l'impossible amour qu'ils n'assumaient pas. Pour elle, croire aux bruits de couloirs était une manière de se défaire de son attirance pour le professeur. Elle faisait tout pour le rabaisser dans sa propre estime afin de déchanter doucement. Lorsqu'une rumeur parvenait à ses oreilles, elle s'empressait d'y croire avec la force de sa volonté, tentant -en vain- de ne plus ressentir le besoin obsessionnel d'aller plus loin avec lui. Elle avait particulièrement du mal à se tenir loin de Jazz, ces derniers temps. Elle n'avait personne à qui parler véritablement, personne ne connaissait l'histoire de la belle Lou, et cela commençait à peser sur son coeur solitaire. Les amis qu'elle pensait avoir n'étaient pas des oreilles assez attentives. Populaire sur l'étiquette, mais incroyablement seule dans les faits. Le grand drame de son existence.
Alors, oui, elle se plaisait à penser que ce professeur, qu'elle aimait tant, avait des choses à se reprocher. Cela lui donnait l'impression d'avoir une résistance contre le magnétisme qu'il exerçait sur elle. Et, qu'elle exerçait sur lui en retour. Elle comprenait qu'il soit légèrement déboussolé par cette attaque si singulière. Mais, Lou ne dévie pas de ses positions et reste ainsi proche de lui en le regardant de son regard de provocation. « Je ne sais comment vous voir. Je ne sais que penser de vous. Comprenez-moi. » Légèrement perdue, elle se demande si elle doit ajouter quelque chose, ou en rester là. Ils ont beau être proches, et nullement occuper l'espace autour d'eux, Lou a l'impression de le toucher. C'est d'ailleurs ce qui arrive lorsqu'il fait un pas vers elle, et appose alors son torse contre sa poitrine vibrante. Elle tente de calmer alors sa respiration, grinçant légèrement des dents pour garder une certaine contenance. Elle ne sait plus quoi répondre, les mots refusent de se former dans son esprit. Elle avait peur de bégayer, de bafouiller, de s'écrouler en milieu de phrase. Le regard bleuté de l'homme est bien trop pressant, elle se sent crouler sous son poids. Incapacité de réfléchir. Incapacité de former une phrase correcte. Pourtant, elle ne peut fuir, n'ayant le droit d'entacher sa réputation. Que penserait-il d'elle, si elle prenait la fuite ? Rien de glorieux. Pourtant, elle sent son corps battre, percutant, contre le sien et son regard changer de couleur. Il semble en colère, une colère plus horrible que n'importe quelle rage, puisqu'elle n'est pas expressive.
Pour ne pas se montrer trop déstabilisée, elle fait comme si elle avait décidé elle-même ce contact entre eux, et se presse un peu plus contre lui pour lui montrer qu'elle n'est pas intimidée, et ne ressent pas de malaise face à ce toucher si particulier. « J'ai été attirée par cette mélodie, il est vrai. Mais, je ne savais pas que c'était vous. Même si j'imagine qu'une partie de moi l'espérait secrètement ... » Elle lève légèrement la tête pour avoir un contact direct avec ses yeux. L'évocation de la nymphette la faisait revenir peu à peu sur terre.
Il lui faut garder le contrôle. Ne jamais perdre l'objectif de vue. Ne jamais baisser sa garde. Toujours être au top. Elle reprend une teinte particulière dans le fond de ses prunelles. Elle se rattrape, dans son élément, pour reprendre le taureau par les cornes. Restant ainsi contre lui, elle se fait languissante, souple, cambrée contre lui en faisant grimper sa main sur le haut de son torse, vers le col de son tee-shirt. D'un geste ferme, elle tire dessus pour le faire se pencher sur elle, se mettant elle-même sur la pointe des pieds afin d'être à son niveau, pour ne plus avoir à le regarder de si bas. Elle redresse une de ses épaules, rejetant la seconde en arrière pour faire stratégiquement tomber la bretelle de sa nuisette, comme si de rien n'était. Son épaule, nue, laissait entrevoir le début de la courbe de son sein. Cette technique laissait voir trop de son corps, ou alors justement pas assez. Ainsi appuyée contre le torse de son professeur, la main agrippée à lui, elle lui souffle. « Peut-être, mais que serait une nymphette sans son nympholepte ? » Elle rapproche son visage du sien, le frôlant, sans jamais le toucher réellement. Très proche de ses lèvres cependant, des mots susurrés. « Acceptez-vous d'être le mien, professeur ? » Elle desserre peu à peu l'emprise sur le col de son tee-shirt, recule ses lèvres mais garde son corps pressé contre celui du professeur.
- InvitéInvité
Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Mer 29 Nov 2017 - 14:17
we left a life. that's ordinary from the start. we looked for stranger things. cause that's just who we are. found me the edge of something beautiful and loud. like I'm picturing now. castles glitter under spanish skies. but I'm just looking after you tonight. snow white mountains in a foreign state. tell me someday we'll get there.
Mélodie sensuelle et hypnotique qui planait autour d’eux, créant une bulle d’intimité dont ils étaient les prisonniers, fascinés par l’aura que l’autre dégageait, âme éprouvée avec plaisir. Elle était cette apparition divine à laquelle il n’avait jamais crue, et à présent qu’il l’avait sous les yeux, il devait se faire violence pour y croire et ne pas perdre la raison, peu de raison déjà menée à mal depuis toutes ces années. Jeune étudiante, elle était venue une première fois. Regards ignorés, attention non attrapée. Elle était partie, et elle était revenue. Revenue en succube qui torturait dans une douce addiction son myocarde drogué à son insu, diffusion de sensations chimiques dans la moindre parcelle de son corps. Elle était partie, pour il ne savait quelles raisons. Elle était revenue, et si la raison précise lui échappait également, une part de lui ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle était revenue pour enivrer son esprit, pénétrer son âme et son cœur. La petite fille était devenue femme – fatale – en un an à peine, ne cessant de se demander ce qui avait bien pu changer dans sa vie pour que l’ange se transforme en succube tant apprécié. Jeu éternel du chat et de la souris, jeu perpétuel de séduction inconsciente. Ce n’était pas seulement des regards échangés au détour d’un couloir. Ce n’était pas seulement lorsque le professeur discutait avec des élèves, qu’elle passait près de lui, les cheveux libres et aériens à chacun de ses mouvements, l’enivrant de son parfum bien trop tentateur, ses opales sur lui, à tel point que les mots mourraient dans sa gorge et qu’il n’entendait plus que les paroles de ces élèves en sourdine. Ce n’était pas seulement un toucher un peu trop appuyé dans une discrète caresse lorsqu’elle avait cours avec lui. C’était véritablement une danse passionnée, où il faisait un pas en avant pour deux pas en arrière. Des discussions à double sens, qui leur échappaient parfois. Qu’ils venaient à regretter, mais probablement pas autant qu’ils le devraient. Sa demande était-elle inconvenante ? Fort possiblement, et pourtant il se doutait qu’elle n’en pensait pas un mot. Lui non plus, d’ailleurs. Elle n’avait pas dit cela par hasard, non, elle n’était pas ainsi. Aussi mystérieuse qu’elle était, ses gestes et paroles étaient calculés, cela il ne le savait que trop bien. Elle voulait être blâmée. Elle cherchait à être blâmée. Elle – le – provoquait pour être blâmée. Et pourtant, maintenant qu’elle avait exprimé sa demande secrète, qui brûlait et tordait ses entrailles, elle reculait de nouveau. Éternel jeu du chat et de la souris. Un pas en avant, pour deux pas en arrière. Drôle de danse sensuelle. Et autant ses mots étaient posés, autant ils étaient en décalage avec son regard bien trop intense, ce regard qui le faisait s’embraser sur place à chaque fois qu’il se posait sur lui. Jazz, il était perdu. Perdu entre ses paroles, entre son regard, entre les désirs de la jeune fille, mais aussi ses propres désirs. Il avait envie de se mettre à genoux devant elle et lui dire d’enflammer son âme, faire de lui ce qu’elle voulait, comme l’étrange pacte de Faust au diable. Alors que sa raison lui dictait, lui criait de s’enfuir, le plus loin possible. Le cœur en émoi et en désarroi, il ne sut se décider. Âme emportée, raison envolée, il la fit doucement virevolter dans une danse lente et pourtant intense. Intense de l’énergie qu’ils irradiaient et qui s’entrechoquaient.
L’incapacité de réfléchir, alors qu’une nouvelle fois ils se faisaient et se laissaient emporter par la musique, par la mélodie. Celle des instruments, celle de leurs cœurs, celle de leurs désirs qui résonnaient l’un dans l’autre. Le monde aurait pu s’écrouler autour d’eux, incendie déclarait et l’entraînant dans des abysses apocalyptiques, ce n’était même pas sûr qu’ils s’en seraient rendus compte, complètement absorbé par l’hypnose de l’autre. Comme s’ils avaient pu danser éternellement l’un contre l’autre, fascinant assez la grande faucheuse pour qu’elle ne vienne pas trancher leurs âmes vivantes, mais plutôt divertie à les regarder, Jazz se sentit peu à peu perdre pied, et le corps tremblant, tremblements qu’il cachait avec une élégance déloyale, il fut celui qui brisa leur ballet. Il sourit doucement. La conversation n’était plus sous le charme des sous-entendus, la séduction était visible, palpable entre les deux, et pourtant ni l’un ni l’autre semblait vouloir craquer. Comme s’ils venaient à autoriser et à accepter le désir intense, celui-ci serait leur fin, fatalité trop accélérée. « Elle est celle qui charme les hommes, et non l’inverse. » Le surnom était ambigu. Très clair, mais ambigu. Bien sûr, il comprenait qu’elle soit perdue sur le fait si elle devait être flattée ou non. Une Lolita, dans cette société, à l’esprit fermé à cause des éthiques trop cadrées et hypocrites, si on appelait une jeune femme une Lolita, c’était toujours mal vu. Cependant, il ne fallait pas oublier les hommes qui tombaient pour elle, c’était eux les vils. Et c’était elle qui avait le pouvoir. Humbert Humbert, il avait tout mis en place pour la séduire, alors que c’était lui qui avait été séduit, contrôlé et manipulé jusqu’à la fin de ses jours. Ainsi, le professeur avouait à demi-mots le pouvoir qu’elle exerçait sur lui. À contre cœur ou non, il en était néanmoins conscient.
Un pas en avant, deux pas en arrière. Lou et Jazz ne s’étaient autant rapprochés que depuis ces derniers jours. Un jeu qui durait depuis des semaines, si ce n’était des mois maintenant, et pourtant ils n’avaient jamais osé venir toucher – métaphoriquement – l’autre. Toutefois, en une simple brève nuit, ils étaient venus à se connaître et à se révéler plus que durant tout ce temps. Depuis qu’elle était revenue, il était venu à chercher ses iris colorées sans cesse, en y rêvant la nuit, se disant que si elle devait disparaître de nouveau il aurait un sentiment profond de manque. Maintenant qu’elle était collée à lui, torse contre poitrine, magnétisme indéniable, il se disait qu’il pourrait souffrir de sa disparition. Il voulait qu’elle fasse partie de sa vie, et il ne voulait plus jamais avoir à faire avec elle. La dure réalité de l’addiction.
Énervement disproportionné et absolument non contrôlé, ses paroles, sans le blesser vraiment, le touchèrent en plein cœur. Il n’en avait rien à foutre de ce qu’on pouvait dire de lui au détour d’un couloir, ou à l’ombre d’un chêne en fleurs. Il se savait apprécié, et même outre que cela, il savait ce qu’il valait. Cependant, que ces mots puissent sortir de la bouche de Lou… Malgré lui, une grimace désabusée et sans joie vint se frayer un chemin sur son pourtant beau visage. Oh, non, il ne la comprenait. Et il ne voulait pas la comprendre. Il ne cherchait pas à la comprendre. Piqué au vif par son béguin, le professeur se transformait subitement en petit gamin infantile et capricieux. Toutefois, il n’était pas encore dépourvu de toute raison. « Et si vous me voyiez à travers vos yeux, et non ceux des autres ? » Alors elle se ferait son propre avis. Un avis qui ne changerait pas de ceux qu’elle avait très bien entendre, et qu’elle entendrait probablement encore. Toutefois, si c’était le sien, et non celui des autres, peut-être qu’il l’accepterait. Acceptation dans la douleur, mais il l’accepterait, il la comprendrait. Et alors, il la laisserait tranquille.
Cela faisait bien des années que Jazz ne s’était pas senti aussi intense et transporter. Constant combat, assez malsain, entre les deux protagonistes, pour savoir qui aurait le pouvoir et le dessus à la fin. Toutefois, si ni l’un ni l’autre ne lâchait un peu de lest, l’un des deux, si ce n’était les deux, finirait par être blessé. Non, l’ancien Wright, malgré son fort caractère, n’avait jamais un réel dominateur, et c’était bien la première fois qu’il avait ce besoin, cette nécessite illusoire de posséder une autre personne. Le contact de ses yeux au fond des siens firent tambouriner son palpitant douloureusement jusque dans ses tympans, sa respiration mourut dans ses poumons éprouvés. Elle espérait que ce soit lui derrière cette mélodie, comme si le choix inconscient de cette sonate particulière avait été un signe, un signe moqueur du destin. « Vous attendez quoi de moi ? » Il était perdu, il ne savait plus du tout ce qu’elle voulait, ce que lui voulait, et comment se comporter. Lui qui était toujours si naturel, il était dans une situation qui le troublait, et paradoxalement il adorait cela.
Surpris, il haleta lorsqu’elle vint attraper le col de son t-shirt, ayant déjà du mal à inspirer lorsqu’il avait senti sa main glissait contre son torse, et sa tête retrouva subitement à la même auteur que la sienne. Merde. Très nettement plus grand qu’elle, il venait de perdre l’avantage de sa taille plus imposante. Figé comme paralysé, malgré tous ses sens en alerte et exacerbés, ses yeux suivirent le mouvement de ses épaules, la chute de la bretelle de sa nuisette, plus importante que jamais à ce moment précis, caressant de ses pupilles la peau nue qui se révélait petit à petit. Il souffla, doucement, lourdement, son souffle chaud venant faire voler les quelques mèches de cheveux qui tombaient le long de son visage. Reprenant peu à peu ses esprits, le contrôle de lui-même, une main vint caresser son épaule dénudée, le dos de ses doigts touchant l’intouchable, alors que son autre main, bien plus osée, remonta doucement la nuisette pour toucher la peau brûlante extérieure de sa cuisse. Ces simples caresses électrisèrent tout son corps, et il ne lui laissa pas le temps de reculer ses lèvres qui les attrapa dans un contact exquis avec les siens. Un simple baiser, simplement une bouche contre une autre, une caresse simple et sensuelle qui dura quelques secondes à peine, et Jazz se recula abruptement, soudainement, mettant très nettement de la distance entre eux, leurs corps ne se touchant plus du tout. Il mit les mains dans les poches de son pantalon, les bras collés contre tout le long de son propre corps, redevenant subitement le petit garçon qu’il était toujours. « Non. » La fondamentale négation sortit promptement de ses lèvres en émoi, faisant vibrer son âme, l’air autour d’eux, dans une violence diffuse. Oui, cela avait été brutal de sa part, et pourtant il se sentait bien que de le dire à haute voix. Il se répéta, prenant le temps de savourer. « Non. Si je suis un nympholepte, je ne veux pas être le votre. » Peut-être qu’il l’était, finalement. Et il n’en avait même pas honte. Il séduisait des élèves, et était séduit par certaines. Il s’amusait, c’était un fait certain, gamin irrécupérable malgré sa maturité cachée, toujours en essayant de ne pas blesser les gens autour de lui. Alors oui, peut-être qu’il était un nympholepte. Mais elle, elle était bien plus que toute cette histoire Nabokovienne. « Vous n’êtes pas une nymphette, ce n’est pas ce que vous êtes. » À choisir, elle était plus une Lolita qu’une nymphette. À choisir, elle était même encore plus. Une femme fatale, une reine. Et s’il devait finir par s’adonner et s’abandonner à elle, il devait s’assurer qu’elle n’était pas une nymphette.
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Re: saisir le destin à la gorge. (jazz)
Dim 3 Déc 2017 - 17:16
Elle avait l'envie de se fondre en lui. Une attirance électrique lui donnant l'esprit de celle ayant besoin d'une attention toute particulière. Ses gestes étaient emprunt d'une langueur qui la faisait vibrer de l'intérieur. Jazz la faisait valser contre son corps, bloqués âme contre âme. Elle ne pouvait se libérer de cette emprise qui la faisait chavirer minute après minute. Une teinte étrange armée ses yeux d'espièglerie. Symboliquement, la danse qu'ils avaient entrepris se répercutait sur la relation qu'ils tentaient en vain de fonder. Ils ne savaient communiquer, se plaçant en vainqueur à coups de sous-entendus. Il était trop tard pour repartir comme si rien ne s'était passé. Ils ne pouvaient plus se contenter de regards appuyés au détour d'un couloir. Leurs corps s'étaient rapprochés, créant une réaction d'atomes. Des aimants s'attirant inlassablement, mais se repoussant à l'infini lorsqu'ils sont dans le sens contraire. Voilà ce qu'ils étaient. Des aimants qui n'arrivaient pas à trouver le sens adéquat à leur plaisir. Il y avait dans leur relation, un combat tortueux, étrangement malsain. Lorsque l'un avait l'ascendant sur l'autre, ce n'était que le temps que l'adversaire charge son arme et tire à nouveau. Lou connaissait le pouvoir de son regard sur les hommes, elle savait que balader ainsi ses iris était une arme dont elle pouvait bien souvent se servir. Un sourire adressé aimablement, et les prunelles qui attrapent la proie. La voilà reine de toute une vie.
Son corps brûlait d'envie, de désir. Il lui fallait, pour avancer, une dose permanente de contact. Maintenant que la danse avait eu lieu, et qu'elle avait pu sentir le souffle du professeur sur elle, elle ne pouvait plus se défaire de l'envie de retourner contre son torse et de se perdre à jamais dans ses yeux bleus. Elle ne pourrait le lui avouer sous aucun prétexte, incapable de céder sa couronne à quiconque, surtout pas lui. Lui qui avait su comment la toucher en plein coeur. Lui qui savait qu'il pouvait en un instant la faire dégringoler de son piédestal. Lui qui avait la possibilité de lui faire baisser les yeux, et mordre la poussière. Il était tout ce que son coeur fuyait. Un homme beau, au regard envoutant, au sourire perforant le coeur. Et, pourtant, elle savait qu'elle parvenait bien souvent à garder le dessus sur lui. Elle était celle qui tirait les ficelles, celle qui pouvait le faire fléchir. Une fois à genoux, prisonnier de l'amour de la belle, elle n'aura qu'à asséner le coup fatal pour qu'il soit accro à sa présence, et à son aura. Ce beau professeur qu'elle aimait regarder, cet homme admirablement charmant qu'elle ne cessait d'envier. Sa prestance. Ses cheveux argents. Ses grandes mains qui doivent offrir de somptueuses caresses. Lorsqu'elle ferme les yeux, elle peut presque sentir le frôlement, l'effleurement de sa peau contre la paume de sa main. Elle en rêve, mais tente de chasser ces sensations de son esprit pour ne pas perdre le contrôle.
Peu étonnée d'avoir été qualifiée de lolita, elle ne peut s'empêcher de faire part de son doute à Jazz. Sans méchanceté, sans agressivité, juste une demande liée à l'envie de savoir exactement ce qui était derrière la tête de cet homme. L'idée d'être vue comme une de ses jeunettes inspirant désir et effroi ne lui déplaisait pas, et elle saurait en jouer à l'avenir. Cela dit, elle ne savait pas si dans l'esprit de Jazz, l'idée était mauvaise, ou bonne. « Ravie de me voir si charmante à vos yeux. » Un sourire, toujours le même. Celui qu'elle rejette pour reprendre ensuite. Ce sourire que peu apprécie, qui enserre les tripes. Il orne ses jolies lèvres pulpeuses. Douce. Tendre. Les lèvres que l'on rêve d'embrasser, de maltraiter de dents acérées.
Et, si le sourire était à l'origine de l'énervement ? Lou n'en savait rien, elle n'avait aucun indice sur lequel s'accrocher. Mais, elle ne voulait pas plier l'échine devant cet agacement qui semblait envelopper le professeur. Elle passe furtivement sa langue sur ses propres lèvres, en le regardant. Elle veut le comprendre, connaître ses réactions. Le besoin d'avoir un coup d'avance sur l'adversaire, comme lors d'une partie d'échec. Et, que le meilleur gagne. Elle prit alors le temps de le laisser finir de parler. Juste de quoi alimenter ses pensées pour mieux contrattaquer. Elle ne savait pas elle-même ce qu'elle attendait de lui. Alors, en un sourire, elle murmure. « Cette main, sur mes traits qu’elle rêve effleurer. Distraitement docile à quelque fin profonde, attend de ma faiblesse une larme qui fonde. » Elle semble émue. Paul Valéry. Indéniable poète.
D'un geste brusque, elle s'empare de lui. Son col entre ses doigts, son destin avec. Elle le fait prisonnier de sa main, alors à la même taille que lui. Leurs regards ne peuvent se croiser, les yeux de l'homme se baladant avec gourmandise sur les formes de la beauté froide se tenant contre lui. Elle se sent comme dévorée, et elle aime ça. Voulant se faire de plus en plus séduisante contre son corps, elle ondule presque contre lui. Le but était simple, le faire chavirer. Malheureusement, elle était prise à son propre jeu. Son propre souffle se faisait rare, elle avait mal d'être ainsi absorber par son aura. Elle aurait aimé reculé après sa question, par peur de ne pouvoir se reculer. Mais, le drame arrive. Les lèvres percutent les siennes. Un peu trop soudainement. Son coeur n'y tient plus. Elle semble tremblante face à ce baiser qu'elle avait pourtant tant espéré. Elle est bouleversée. Presque perturbée. Alors, serrant les dents, elle écoute ce qu'il a à lui dire. Ce "non" qu'elle ne peut entendre. Elle fait quelques pas pour arriver près de lui, et se mettant sur la pointe des pieds, lui lâche à l'oreille. « Je ne sais pas pour qui vous vous prenez. Mais, personne ne me dit non. » Elle recule la tête, et lui jette son regard si singulier, de ses yeux de vipère. Puis, d'un geste vif, presque trop brusque, elle se retourne et se traîne vers la porte, de petits pas silencieux. Elle le regarde alors. « Passez une bonne soirée, monsieur. » La colère est palpable dans la voix, et cette dernière phrase n'a d'ailleurs rien d'anodin.THE END.
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