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It's dark but just a game
Sam 19 Juin 2021 - 15:03
feat Aveleen
Parmi les sirènes et autres ligies aussi fascinantes qu’inquiétantes qui peuplaient le Styx à cette heure indue de la nuit tirant doucement vers le matin, Leonardo évoluait sans encombre. Il n’était pas maître en la demeure, ne se considérait pas comme tel, de toute façon : l’endroit appartenait à Vesper, Tiki et Althéa, et le triumviat se débrouillait bien, très bien même, sans qu’il eut besoin de s’approprier un morceau de la couronne. Néanmoins, quand il traversait l’une des grandes salles, les regards se tournaient facilement sur son passage, sa démarche féline et silencieuse, et les mouvements de tête ou de doigts discrets qui pouvaient circonscrire le destin de l’un ou de l’autre des clients pour le reste de la nuit. Au bar, il avait une place, sa place, tout au bout du comptoir, là où le néon ne l’éclairait qu’à demi, et ne faisait ressortir les traits que de la moitié de sa face, l’autre demeurant dans la pénombre. Les habitués savaient qu’il ne fallait pas s’installer là. Les nouveaux le découvraient bien vite. Il n’était pas rare de le voir rester là, le verre à la main, le regard supposément perdu dans le vide, un mouvement du poignet faisant ondoyer la surface de sa boisson. Le masque mat de son visage ne s’animait qu’à peine lorsque l’une des belles plantes employées par les patrons venait s’échouer dans ses bras, enroulant les leurs autour de son cou pour lui murmurer un secret au creux de l’oreille. C’était comme cela qu’il avait appris, quelques semaines plus tôt, pour William, Mary, et tout le reste. Ce soir-là, le masque s’était fendu, il fallait dire que Trixie savait ménager ses effets, et que ses ongles dans sa nuque lui avaient tiré un frisson fiévreux, alors qu’il lui faisait répéter une fois, deux, trois, son histoire, à l’affut de la moindre variation, du moindre défaut trahissant le mensonge. Mais Alice Hangbé de son vrai nom, n’était pas persifleuse débutante : elle était une fidèle des débuts des lieux, ils lui faisaient confiance. Tous, même Althea, et cela signifiait quelque chose. Et puis, il s’était lui aussi renseigné sur elle, et ils partageaient plus qu’une nationalité et un teint exotique : elle aussi, avait une fratrie à laquelle elle se dévouait corps et âme. Elle n’avait pas vécu la tragédie, mais elle devinait dans ses os ce qu’il pouvait ressentir, ce qu’il allait faire de ces informations … et les lui avait donné quand même. Il lui serait reconnaissant, un jour, quand il le faudrait.
Il avait fait ce qu’il devait faire. Il n’en avait pas spécialement tiré de plaisir, à peine un peu de satisfaction, celle du devoir fait, et encore, il n’avait pu aller au bout de sa démarche, interrompu par un gamin bizarre qui s’était interposé entre lui et la petite fille, qui ferait surement de lui le croque mitaine de tous ses cauchemars d’enfant. Il le regrettait un peu, mais ça ne l’empêcherait pas de dormir : il était trop occupé par ailleurs pour cela. Il y avait encore le cas @Oswald Burgess , et puis il y avait le quotidien, aussi, à assurer. Il n’avait personne pour le faire à se place. Et le quotidien, c’était aussi faire en sorte que le speak easy tourne bien, que la machine ronchonne sans jamais tousser, et c’était en partie ça, son rôle dans la petite entreprise : jouer avec les chiffres le jour, avec ses poings la nuit, et entre deux, les maraudes entre les tables de jeux et les banquettes de velours riche pour s’assurer que tout le monde restait à sa place. Il était connu pour ça, par les fidèles, il était sévère, mais juste. Violent, mais sans gratuité. Brutal, sans perversion. Et puis, à de rares occasions, on pouvait parfois le surprendre à se détendre, quand les étoiles sont alignées, quand les bonnes personnes traversent son champ de vision, quand il entend un trait d’esprit savoureux au détour d’une conversation épiée ou le cri de surprise ravie d’un joueur chanceux.
Ce n’était pas le cas, en ce soir de juillet. Six juillet, cela faisait un an qu’elle était partie, quelques jours avant la date de son anniversaire. (Tu n’auras jamais eu vingt trois ans, Magda). Il avait un peu de mal à se décider de ce qu’il ressentait, à cet instant précis, alors il essayait de ne pas y penser. Il avait évité Althéa, Catalina, toutes celles qui auraient pu lui prodiguer une once de compassion déplacée, douloureuse. Il ne voulait pas qu’on le plaigne. Il ne savait pas ce qu’il voulait. Boire, pas mal, sans doute, trouver de quoi s’occuper l’esprit, à défaut des poings, dès lors qu’il devait encore faire profil bas, au moins un temps. Diriger son esprit sur quelques sujets, des os à ronger, pour éviter de faire la moindre erreur. Tuer, c’était facile. Ne pas se faire attraper, beaucoup moins. A défaut d’autre chose, il avait jeté un dévolu aléatoire sur le dos nu d’une joueuse aux longs cheveux blonds, qui s’agitait un peu au dessus d’une des tables de jeu. Il l’avait déjà aperçu, une fois ou deux, elle ne faisait pas partie de la jeunesse argentée de la ville qui dilapidait son argent de poche en champagne hors de prix, en danse lascive et en paris stupides autour de roulette dont ils ne maitrisaient pas les codes. Elle semblait savoir ce qu’elle faisait. En tout cas la plupart du temps, parce que ce soir, sa main d’ordinaire sure tremblait. C’était pour cela qu’il l’avait choisi. Il se demandait bien pourquoi. Le temps de l’observation s’étira sur de longues minutes, avant qu’il ne devine qu’elle l’avait remarqué, aussi. Il ne pourrait plus l’épier ainsi sans passer pour un rustre bien longtemps, aussi il vint déposer un verre sur le bois de la table, à coté d’elle, réplique exacte de celui qu’elle avait vidé par deux fois déjà.
- Pas vraiment un soir de chance, hein ?
Il avait fait ce qu’il devait faire. Il n’en avait pas spécialement tiré de plaisir, à peine un peu de satisfaction, celle du devoir fait, et encore, il n’avait pu aller au bout de sa démarche, interrompu par un gamin bizarre qui s’était interposé entre lui et la petite fille, qui ferait surement de lui le croque mitaine de tous ses cauchemars d’enfant. Il le regrettait un peu, mais ça ne l’empêcherait pas de dormir : il était trop occupé par ailleurs pour cela. Il y avait encore le cas @Oswald Burgess , et puis il y avait le quotidien, aussi, à assurer. Il n’avait personne pour le faire à se place. Et le quotidien, c’était aussi faire en sorte que le speak easy tourne bien, que la machine ronchonne sans jamais tousser, et c’était en partie ça, son rôle dans la petite entreprise : jouer avec les chiffres le jour, avec ses poings la nuit, et entre deux, les maraudes entre les tables de jeux et les banquettes de velours riche pour s’assurer que tout le monde restait à sa place. Il était connu pour ça, par les fidèles, il était sévère, mais juste. Violent, mais sans gratuité. Brutal, sans perversion. Et puis, à de rares occasions, on pouvait parfois le surprendre à se détendre, quand les étoiles sont alignées, quand les bonnes personnes traversent son champ de vision, quand il entend un trait d’esprit savoureux au détour d’une conversation épiée ou le cri de surprise ravie d’un joueur chanceux.
Ce n’était pas le cas, en ce soir de juillet. Six juillet, cela faisait un an qu’elle était partie, quelques jours avant la date de son anniversaire. (Tu n’auras jamais eu vingt trois ans, Magda). Il avait un peu de mal à se décider de ce qu’il ressentait, à cet instant précis, alors il essayait de ne pas y penser. Il avait évité Althéa, Catalina, toutes celles qui auraient pu lui prodiguer une once de compassion déplacée, douloureuse. Il ne voulait pas qu’on le plaigne. Il ne savait pas ce qu’il voulait. Boire, pas mal, sans doute, trouver de quoi s’occuper l’esprit, à défaut des poings, dès lors qu’il devait encore faire profil bas, au moins un temps. Diriger son esprit sur quelques sujets, des os à ronger, pour éviter de faire la moindre erreur. Tuer, c’était facile. Ne pas se faire attraper, beaucoup moins. A défaut d’autre chose, il avait jeté un dévolu aléatoire sur le dos nu d’une joueuse aux longs cheveux blonds, qui s’agitait un peu au dessus d’une des tables de jeu. Il l’avait déjà aperçu, une fois ou deux, elle ne faisait pas partie de la jeunesse argentée de la ville qui dilapidait son argent de poche en champagne hors de prix, en danse lascive et en paris stupides autour de roulette dont ils ne maitrisaient pas les codes. Elle semblait savoir ce qu’elle faisait. En tout cas la plupart du temps, parce que ce soir, sa main d’ordinaire sure tremblait. C’était pour cela qu’il l’avait choisi. Il se demandait bien pourquoi. Le temps de l’observation s’étira sur de longues minutes, avant qu’il ne devine qu’elle l’avait remarqué, aussi. Il ne pourrait plus l’épier ainsi sans passer pour un rustre bien longtemps, aussi il vint déposer un verre sur le bois de la table, à coté d’elle, réplique exacte de celui qu’elle avait vidé par deux fois déjà.
- Pas vraiment un soir de chance, hein ?
Made by Neon Demon
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Dim 20 Juin 2021 - 23:02
Le déni était une chose extraordinaire.
Alors même que les jours passaient et que le manque grandissait jusqu’à l’étouffement, qu’elle sentait de plus en plus son estomac se révulser à la vue de celui qui habitait sa maison, qu’un froid glacial envahissait ses pensées lorsque qu’elle croisait - non, fuyait - le regard de @William Fastenburry, pour qui elle ravalait reproches et commentaires acides encore non aboutis, alors même que chaque matin une chape de plomb venait l’envelopper, elle réussissait encore à s’abstraire. Elle se levait, cajolait Emma, lui préparait son petit déjeuner, faisait poliment la conversation à William - des banalités, uniquement des banalités - planifiait les courses à faire, rangeait, organisait la maison, partait travailler, revenait. Rembobinait. Recommençait.
Elle n’avait pas encore pleuré. Elle n’avait pas encore craqué. Elle n’avait, pour ainsi dire, pas même évoqué à voix haute les horreurs qui s’étaient déroulées. Pas plus qu’elle n’y avait songé en silence. Elle s’était contenté de ne laisser aucune minute de répit à ses actions, afin qu’aucun temps mort ne vienne déliter ce qui restait des fondations. N’était-ce pas extraordinaire, donc, ce déni ? Il permettait, en tout cas, de rentrer chaque soir dans cette prison banlieusarde, dans cette parodie de normalité dans laquelle elle s’enchaînait chaque jour un peu plus. Le déni lui permettait de ne pas débuter des conversations à la finalité désastreuse, de mettre en mots des accusations grandissantes qui ouvriraient les fenêtres d’un deuil encore plus désastreusement grand. Le déni, c’était ce qui lui permettait d’être pragmatique. Mary était morte. C’était à peu près l’essentiel. Il n’y avait rien à en dire de plus.
Jusqu’à cette soirée. Là, devant la porte de sa maison, elle était restée longuement, pensive. Elle n’arrivait pas à toucher la poignée. Là, les clés en suspends, elle était restée longuement immobile. Quelque chose avait empli sa poitrine, quelque chose d’oppressant et d’insidieux, qui avait ceinturé ses poumons et rendu laborieuse chaque inspiration. Dans le jardin, elle percevait la voix cristalline d’Emma, qui carillonnait comme le faisait celle d’un enfant que l’on chatouillait. Ce rire l’avait transposée des mois auparavant : elle revoyait la cuisine, Mary assise sur l’une des chaises, sa petite fille installée sur les genoux, se trémoussant sous les doigts coquins de sa mère qui malmenaient ses hanches, ses bras, son cou. Puis William passant derrière, glissant un baiser le long de la joue.
Mary était morte.
Et son mari avait mis des heures à répondre au téléphone.
Aveleen avait eu l’impression d’émerger, comme si quelqu’un avait cherché à la réveiller d’un trop lointain sommeil. Et si le déni était une chose extraordinaire, il ne tiendrait même pas la comparaison avec la colère. L’hideuse colère, celle qui remodelait les souvenirs pour travestir les coupables en monstres sans coeur, celle qui anéantissait les liens pour tisser des condamnations sans retour possible, celle qui parlait trop vite et poussait trop loin des explications qu’il fallait parfois mieux ne pas entreprendre. Quelque chose de désagréable s’était alors niché quelque part dans son ventre, les prémices d’une fureur pleine d’incompréhension et de frustration formant un magma qu’elle ne se sentait pas encore la force d’affronter.
Une omission supplémentaire à rajouter à toutes celles des semaines écoulées.
Elle avait eu subitement besoin d’air. Alors, elle avait fini par faire demi-tour. Les rues de la maison dans laquelle elle avait fait acquisition d’une propriété en catastrophe pour venir héberger les Fastenburry - le père, la fille, et le fantôme de Mary qui grandissait de jours en jours - étaient une succession de pelouses savamment entretenues et d’arrosages automatiques. Le spectacle et les bruits de la banlieue lui tendaient une embuscade. Cela l’encerclait de partout : les gamins qui faisaient du vélo, le ronronnement des tondeuses, l’odeur du savon de la voiture que l’on lavait, les bruits de ballons tapés du pieds. Les effluves du barbecue. Cette overdose d’urbanité, ce soir, lui paraissait sans merci : elle lui rappelait les cris, l’horreur, le glissement sordide de la fermeture éclaire du sac mortuaire. Et puis du rouge. Du rouge, partout, en flaque diffuse — une quantité idéale pour ne plus jamais avoir l’impression d’être totalement débarrassée de sang. Le sourire plein de vie de Mary - son sourire de femme et de mère heureuse - avait surgi devant ses yeux. Aveleen l’avait chassé en transplanant.
Une fuite supplémentaire, là aussi, à rajouter à toutes les autres.
Sans surprise - même si elle aurait refusé de l’admettre - elle s’était retrouvée devant le Styx. Depuis que la mort s’était invitée, une force invisible l’y entraînait. D’aucun pourrait qualifier ça d’un vice, qui traquait la moindre faiblesse pour prendre le contrôle. D’autres y verraient peut-être la preuve qu’elle n’allait pas si bien qu’elle n’en avait l’air. Mais, de l’avis d’Aveleen, cela n’était ni l’un, ni l’autre. C’était simplement un passe temps. Elle voulait juste une échappatoire : un lieu qui n’appartiendrait qu’à elle, sans obligations ni sourire de façade, sans arrosages automatiques et liste de courses, sans brochettes de barbecue et sac à glaçons. Certains disaient que c'étaient les souvenirs qui se révélaient le plus dur, dans le deuil. Ils se trompaient. Le plus dur, c’était ce foutu monde qui continuait de tourner comme si de rien n’était.
Alors, oui, le Styx. Le fleuve des enfers, c’était métaphoriquement un choix excellent : puisque c’était l’affluent de la haine, n’était-il pas évident qu’il fallait l’y déverser à cet endroit, précisément, sa haine ? Et puisqu’il y avait même les pièces à fournir au passeur sous forme de jetons colorés, c’était encore mieux. L’ambiance tamisée des lieux, le bruissement des cartes, les conversations feutrées, les corps qui ondulaient sur la scène, le bruit inimitable de la petite bille de la roulette tournoyant, tout cela avait un coté hypnotisant qui travestissait les heures en minutes. Il n’y avait pas d’horloges, dans ce genre d’endroit, ni de fenêtres : c’était un lieu hermétique au temps, dans lequel l’oubli et la perdition devenaient les seules variables de la dimension. Ça tombait ben : elle n’avait envie d’aller nulle part, ce soir. C’était bien ça, le problème, d’ailleurs : l’incapacité à trouver un endroit ou elle réussissait à disparaître totalement, à s’abstraire de ce qui menaçait de l’ensevelir. Elle n’aurait pas su dire depuis combien de temps elle était assise sur ce tabouret, ni même si elle avait recommandé plusieurs verres ou s’il s’agissait toujours du même scotch. Elle n’était pas saoule d’alcool : elle était saoule d’un trop plein d’émotions, et c’était comme mélanger les liqueurs, cela ne faisait pas bon ménage. Il valait mieux se contenter d’une seule saveur : sauf que ce soir, tout lui semblait désespérément fade. Avec un sentiment de malaise grandissant, elle avait pourtant continué à jouer, poursuivant sa noyade sans daigner agiter les pieds pour remonter à la surface. Le Styx était sensé être un fleuve, avec ses courants et ses ondulations, alors pourquoi n’arrivait-elle pas à louvoyer à la surface sans rien faire ? Ou peut-être était-elle déjà arrivée aux enfers. A force de filer tous ses jetons, elle avait de toute façon payer plus d’une fois la traversée. A moins que cela ne soit le passeur, justement, qui fixait intensément son dos depuis plusieurs minutes, son attention léchant la courbe de ses épaules jusqu’à éveiller un frémissement dans son cerveau reptilien ?
— Pas vraiment un soir de chance, hein ? Finit par l’interpeller le curieux en posant son verre à coté du sien.
Les yeux arctiques de l’enseignante longèrent le poignet, l’avant-bras couleur olive jusqu’au visage de l’homme qui venait de prendre place. Elle le fixa quelques secondes, suffisamment pour capter une lueur dans son regard qui lui paru faire invraisemblablement écho à ses émotions. Il y avait des choses qui ne s’expliquaient pas, comme les impressions de déjà vu : parfois, cela s’imposait, comme une évidence. C’était peut-être simplement son imagination, mais cela lui évoquait un chemin connu, des pavés déjà foulés et des fantômes en arrière plan.
— Pas vraiment un mois de chance, corrigea-t-elle en penchant la tête sur le coté, ses doigts saisissant son verre.
Certains deuils n’avaient pas de noms. Mais ils avaient tous un visage, en revanche. Sans vraiment savoir d’où lui venait cette certitude, Aveleen tourna ostensiblement son corps vers l’inconnu, creusant de ses yeux les siens quelques secondes supplémentaires. Elle n’aurait pas su dire ce qu’elle y cherchait ? Peut-être un miroir. Dans le temps, la coutume avait été de porter du noir pour désigner la période de deuil : c’était comme un brassard, permettant momentanément d’être excusé par la communauté pour les non-sourires, les non-rires, les larmes qui surgissaient de nulle part et la colère qui, tapie juste derrière, pouvait faire vriller pour une assiette fendue ou un plat cramé. Mais la mode était passée. Maintenant, pour se reconnaître, il fallait évoluer sur le même groupe de réseau sociaux ou bien se contenter de capter des signaux qui ne trompaient pas. Il fallait parier. Comble de chance, elle était au bon endroit pour les suppositions basées sur rien d’autres que le néant.
— Que dites-vous de porter un toast ? Intima-t-elle donc en levant son verre à mi-hauteur. Disons, réfléchit-elle tout en poussant le reste de jetons qu’il lui restait sur le chiffre du jour, le 6, à la fatalité ? Acheva-elle d’une voix charmeuse dans lequel on percevait sans mal un cynisme mal contenu.
Joyeux moisi-versaire de mort, Mary, songea-t-elle sombrement, en portant sans attendre son verre à ses lèvre pour l'avaler d'une traitre. Elle avait toujours trouvé l'expression idiote. Mais puisque là, il était question de décomposition, peut-être que l'affreux jeu de mot s'y prêtait ?
@Leonardo Moreno
Alors même que les jours passaient et que le manque grandissait jusqu’à l’étouffement, qu’elle sentait de plus en plus son estomac se révulser à la vue de celui qui habitait sa maison, qu’un froid glacial envahissait ses pensées lorsque qu’elle croisait - non, fuyait - le regard de @William Fastenburry, pour qui elle ravalait reproches et commentaires acides encore non aboutis, alors même que chaque matin une chape de plomb venait l’envelopper, elle réussissait encore à s’abstraire. Elle se levait, cajolait Emma, lui préparait son petit déjeuner, faisait poliment la conversation à William - des banalités, uniquement des banalités - planifiait les courses à faire, rangeait, organisait la maison, partait travailler, revenait. Rembobinait. Recommençait.
Elle n’avait pas encore pleuré. Elle n’avait pas encore craqué. Elle n’avait, pour ainsi dire, pas même évoqué à voix haute les horreurs qui s’étaient déroulées. Pas plus qu’elle n’y avait songé en silence. Elle s’était contenté de ne laisser aucune minute de répit à ses actions, afin qu’aucun temps mort ne vienne déliter ce qui restait des fondations. N’était-ce pas extraordinaire, donc, ce déni ? Il permettait, en tout cas, de rentrer chaque soir dans cette prison banlieusarde, dans cette parodie de normalité dans laquelle elle s’enchaînait chaque jour un peu plus. Le déni lui permettait de ne pas débuter des conversations à la finalité désastreuse, de mettre en mots des accusations grandissantes qui ouvriraient les fenêtres d’un deuil encore plus désastreusement grand. Le déni, c’était ce qui lui permettait d’être pragmatique. Mary était morte. C’était à peu près l’essentiel. Il n’y avait rien à en dire de plus.
Jusqu’à cette soirée. Là, devant la porte de sa maison, elle était restée longuement, pensive. Elle n’arrivait pas à toucher la poignée. Là, les clés en suspends, elle était restée longuement immobile. Quelque chose avait empli sa poitrine, quelque chose d’oppressant et d’insidieux, qui avait ceinturé ses poumons et rendu laborieuse chaque inspiration. Dans le jardin, elle percevait la voix cristalline d’Emma, qui carillonnait comme le faisait celle d’un enfant que l’on chatouillait. Ce rire l’avait transposée des mois auparavant : elle revoyait la cuisine, Mary assise sur l’une des chaises, sa petite fille installée sur les genoux, se trémoussant sous les doigts coquins de sa mère qui malmenaient ses hanches, ses bras, son cou. Puis William passant derrière, glissant un baiser le long de la joue.
Mary était morte.
Et son mari avait mis des heures à répondre au téléphone.
Aveleen avait eu l’impression d’émerger, comme si quelqu’un avait cherché à la réveiller d’un trop lointain sommeil. Et si le déni était une chose extraordinaire, il ne tiendrait même pas la comparaison avec la colère. L’hideuse colère, celle qui remodelait les souvenirs pour travestir les coupables en monstres sans coeur, celle qui anéantissait les liens pour tisser des condamnations sans retour possible, celle qui parlait trop vite et poussait trop loin des explications qu’il fallait parfois mieux ne pas entreprendre. Quelque chose de désagréable s’était alors niché quelque part dans son ventre, les prémices d’une fureur pleine d’incompréhension et de frustration formant un magma qu’elle ne se sentait pas encore la force d’affronter.
Une omission supplémentaire à rajouter à toutes celles des semaines écoulées.
Elle avait eu subitement besoin d’air. Alors, elle avait fini par faire demi-tour. Les rues de la maison dans laquelle elle avait fait acquisition d’une propriété en catastrophe pour venir héberger les Fastenburry - le père, la fille, et le fantôme de Mary qui grandissait de jours en jours - étaient une succession de pelouses savamment entretenues et d’arrosages automatiques. Le spectacle et les bruits de la banlieue lui tendaient une embuscade. Cela l’encerclait de partout : les gamins qui faisaient du vélo, le ronronnement des tondeuses, l’odeur du savon de la voiture que l’on lavait, les bruits de ballons tapés du pieds. Les effluves du barbecue. Cette overdose d’urbanité, ce soir, lui paraissait sans merci : elle lui rappelait les cris, l’horreur, le glissement sordide de la fermeture éclaire du sac mortuaire. Et puis du rouge. Du rouge, partout, en flaque diffuse — une quantité idéale pour ne plus jamais avoir l’impression d’être totalement débarrassée de sang. Le sourire plein de vie de Mary - son sourire de femme et de mère heureuse - avait surgi devant ses yeux. Aveleen l’avait chassé en transplanant.
Une fuite supplémentaire, là aussi, à rajouter à toutes les autres.
Sans surprise - même si elle aurait refusé de l’admettre - elle s’était retrouvée devant le Styx. Depuis que la mort s’était invitée, une force invisible l’y entraînait. D’aucun pourrait qualifier ça d’un vice, qui traquait la moindre faiblesse pour prendre le contrôle. D’autres y verraient peut-être la preuve qu’elle n’allait pas si bien qu’elle n’en avait l’air. Mais, de l’avis d’Aveleen, cela n’était ni l’un, ni l’autre. C’était simplement un passe temps. Elle voulait juste une échappatoire : un lieu qui n’appartiendrait qu’à elle, sans obligations ni sourire de façade, sans arrosages automatiques et liste de courses, sans brochettes de barbecue et sac à glaçons. Certains disaient que c'étaient les souvenirs qui se révélaient le plus dur, dans le deuil. Ils se trompaient. Le plus dur, c’était ce foutu monde qui continuait de tourner comme si de rien n’était.
Alors, oui, le Styx. Le fleuve des enfers, c’était métaphoriquement un choix excellent : puisque c’était l’affluent de la haine, n’était-il pas évident qu’il fallait l’y déverser à cet endroit, précisément, sa haine ? Et puisqu’il y avait même les pièces à fournir au passeur sous forme de jetons colorés, c’était encore mieux. L’ambiance tamisée des lieux, le bruissement des cartes, les conversations feutrées, les corps qui ondulaient sur la scène, le bruit inimitable de la petite bille de la roulette tournoyant, tout cela avait un coté hypnotisant qui travestissait les heures en minutes. Il n’y avait pas d’horloges, dans ce genre d’endroit, ni de fenêtres : c’était un lieu hermétique au temps, dans lequel l’oubli et la perdition devenaient les seules variables de la dimension. Ça tombait ben : elle n’avait envie d’aller nulle part, ce soir. C’était bien ça, le problème, d’ailleurs : l’incapacité à trouver un endroit ou elle réussissait à disparaître totalement, à s’abstraire de ce qui menaçait de l’ensevelir. Elle n’aurait pas su dire depuis combien de temps elle était assise sur ce tabouret, ni même si elle avait recommandé plusieurs verres ou s’il s’agissait toujours du même scotch. Elle n’était pas saoule d’alcool : elle était saoule d’un trop plein d’émotions, et c’était comme mélanger les liqueurs, cela ne faisait pas bon ménage. Il valait mieux se contenter d’une seule saveur : sauf que ce soir, tout lui semblait désespérément fade. Avec un sentiment de malaise grandissant, elle avait pourtant continué à jouer, poursuivant sa noyade sans daigner agiter les pieds pour remonter à la surface. Le Styx était sensé être un fleuve, avec ses courants et ses ondulations, alors pourquoi n’arrivait-elle pas à louvoyer à la surface sans rien faire ? Ou peut-être était-elle déjà arrivée aux enfers. A force de filer tous ses jetons, elle avait de toute façon payer plus d’une fois la traversée. A moins que cela ne soit le passeur, justement, qui fixait intensément son dos depuis plusieurs minutes, son attention léchant la courbe de ses épaules jusqu’à éveiller un frémissement dans son cerveau reptilien ?
— Pas vraiment un soir de chance, hein ? Finit par l’interpeller le curieux en posant son verre à coté du sien.
Les yeux arctiques de l’enseignante longèrent le poignet, l’avant-bras couleur olive jusqu’au visage de l’homme qui venait de prendre place. Elle le fixa quelques secondes, suffisamment pour capter une lueur dans son regard qui lui paru faire invraisemblablement écho à ses émotions. Il y avait des choses qui ne s’expliquaient pas, comme les impressions de déjà vu : parfois, cela s’imposait, comme une évidence. C’était peut-être simplement son imagination, mais cela lui évoquait un chemin connu, des pavés déjà foulés et des fantômes en arrière plan.
— Pas vraiment un mois de chance, corrigea-t-elle en penchant la tête sur le coté, ses doigts saisissant son verre.
Certains deuils n’avaient pas de noms. Mais ils avaient tous un visage, en revanche. Sans vraiment savoir d’où lui venait cette certitude, Aveleen tourna ostensiblement son corps vers l’inconnu, creusant de ses yeux les siens quelques secondes supplémentaires. Elle n’aurait pas su dire ce qu’elle y cherchait ? Peut-être un miroir. Dans le temps, la coutume avait été de porter du noir pour désigner la période de deuil : c’était comme un brassard, permettant momentanément d’être excusé par la communauté pour les non-sourires, les non-rires, les larmes qui surgissaient de nulle part et la colère qui, tapie juste derrière, pouvait faire vriller pour une assiette fendue ou un plat cramé. Mais la mode était passée. Maintenant, pour se reconnaître, il fallait évoluer sur le même groupe de réseau sociaux ou bien se contenter de capter des signaux qui ne trompaient pas. Il fallait parier. Comble de chance, elle était au bon endroit pour les suppositions basées sur rien d’autres que le néant.
— Que dites-vous de porter un toast ? Intima-t-elle donc en levant son verre à mi-hauteur. Disons, réfléchit-elle tout en poussant le reste de jetons qu’il lui restait sur le chiffre du jour, le 6, à la fatalité ? Acheva-elle d’une voix charmeuse dans lequel on percevait sans mal un cynisme mal contenu.
Joyeux moisi-versaire de mort, Mary, songea-t-elle sombrement, en portant sans attendre son verre à ses lèvre pour l'avaler d'une traitre. Elle avait toujours trouvé l'expression idiote. Mais puisque là, il était question de décomposition, peut-être que l'affreux jeu de mot s'y prêtait ?
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Mar 13 Juil 2021 - 13:53
feat Aveleen
« Pas vraiment un mois de chance » A la réplique, Leo avait levé sa boisson dans un mouvement de convenance tacite. Un mois que la paranoïa était plus forte, qu’il comptait les pas qu’il faisait dans la rue, qu’il s’efforçait de ne pas tourner la tête trop vite quand il avait l’impression d’être suivi dans la rue. Un mois à s’agripper à une routine à rendre déments ceux qui ne flirtent pas déjà avec la folie au quotidien. Se lever, déjeuner, aller au travail, à la salle de sport, courir, beaucoup, dormir, peu, esquivant les bras de Morphée à grand renfort d’insomnies, volontaires ou non. Et puis il y avait les Autres Les vivants, ou plutôt les vivantes, qui réclamaient son attention et le soustrayaient aux babillages intérieurs de Magdalena. La petite Catalina et ses problèmes de coeur, si légers, adulescents, tant qu’il songeait parfois que ses larmes devaient gouter la limonade tant les malheurs étaient doux. La sombre Althea et son regard de tempête et ses délires de grandeurs, Icare d’Hubris avides de hauteurs où ses jambes ne pouvaient plus la mener, et qu’il portait parfois sur son dos pour lui accorder le répit qu’elle méritait. Lui ne méritait plus rien, depuis longtemps. Il prenait, ne s’excusait pas. Tout juste tâchait il de ne pas extorquer plus que ce dont il avait vraiment besoin, sauf à vouloir rendre vraiment grimaud le propriétaire précédent. Mais ça, c’était une autre histoire.
Un mois donc, qu’il guettait les allers et venus des inconnus au bas de son immeuble, cherchait les patterns, les nouvelles habitudes, en vain. Personne, pour le moment, n’était venu l’interroger, ni lui, ni sa jeune colocataire, et les sirènes du Styx demeuraient silencieuses sur d’hypothétiques enquête en cours. Il ne savait pas si c’était bon signe ou non, se contentant de vivre sa vie comme si de rien n’était. Après tout, tuer n’avait pas changé la sienne. N’avait fait qu’en raccourcir une autre.
- La fatalité. Pourquoi pas. A Anarkia, fille du Chaos et mère d’Erèbe qui est votre hôte ce soir.
Tiki aimait s’imaginer en Dieu des Ténèbres, lui même ne s’affligeait pas d’un tel pédigree. Sa coupe s’approcha à peine de celle de la jeune femme qu’il la rapprochait plutôt de ses lèvres, la gorge sèche d’avoir ruminé une partie du début de sa soirée. Il lui fallait un peu de distraction, et les maigres kopecks de l’inconnue sur un chiffre pair. L’alcool tapisse son gosier, n’anesthésie que le bout de sa langue alors que de sa poche, il tire à son tour quelques jetons aux reflets moirés, sur le 23. Le croupier l’interrogea un instant du regard, presque inquiet de voir le boss s’avancer à la table qu’il gardait d’ordinaire comme un cerbère abstinent. Leo haussa les épaules, avança les pièces, le regard fixe sur la demoiselle à coté de lui. (« Tu devrais cligner les yeux plus souvent, c’est inquiétant quand tu fais ça » - et pourquoi donc ? « on ne sait pas si tu nous regardes les yeux ou les os » - Souvent, ni l’un ni l’autre. « C’est encore pire. Souris un peu, au moins ? » Dans tes rêves, ils me l’ont arraché quand ton coeur a laché. « ce que tu peux être dramatique, quand tu t’y mets »). Le croupier annonce les mises, ils perdront probablement tous les deux.
- Vous venez, souvent. Plus encore dernièrement. Pourquoi ?
Leo était toujours celui qui posait les questions, l’interrogation arquant parfois un sourcil, affectant une empathie qu’il ne dispensait qu’avec une parcimonie frôlant l’avarice. Quand il ne les posait pas, c’était pire encore : le jugement était rendu, et il n’attendait pas de témoignage concordant pour se faire bourreau. Devant eux, la bille avait entamé sa course folle autour de son arène rouge et noir, quelques curieux se penchaient au dessus, les gobilles grandes ouvertes, la bouche béante. Il s’en était déjà désintéressé, il n’était pas sensible aux jeux, uniquement aux secrets. A l’inconnu. A l’Inconnue, celle de ce soir, pour le moment. Il ne s’était même pas présenté, ne lui avait pas demandé son nom, non plus. Ce n’était pas là ce qui comptait, pas autant que l’éclat sombre, la lumière obscure, l’oxymore de ses prunelles en miroir des siennes. Le malheur s’aime en écho, s’appairait aisément en confrère. Ou consœur. (une de perdue… Une d’éperdue. )
Un mois donc, qu’il guettait les allers et venus des inconnus au bas de son immeuble, cherchait les patterns, les nouvelles habitudes, en vain. Personne, pour le moment, n’était venu l’interroger, ni lui, ni sa jeune colocataire, et les sirènes du Styx demeuraient silencieuses sur d’hypothétiques enquête en cours. Il ne savait pas si c’était bon signe ou non, se contentant de vivre sa vie comme si de rien n’était. Après tout, tuer n’avait pas changé la sienne. N’avait fait qu’en raccourcir une autre.
- La fatalité. Pourquoi pas. A Anarkia, fille du Chaos et mère d’Erèbe qui est votre hôte ce soir.
Tiki aimait s’imaginer en Dieu des Ténèbres, lui même ne s’affligeait pas d’un tel pédigree. Sa coupe s’approcha à peine de celle de la jeune femme qu’il la rapprochait plutôt de ses lèvres, la gorge sèche d’avoir ruminé une partie du début de sa soirée. Il lui fallait un peu de distraction, et les maigres kopecks de l’inconnue sur un chiffre pair. L’alcool tapisse son gosier, n’anesthésie que le bout de sa langue alors que de sa poche, il tire à son tour quelques jetons aux reflets moirés, sur le 23. Le croupier l’interrogea un instant du regard, presque inquiet de voir le boss s’avancer à la table qu’il gardait d’ordinaire comme un cerbère abstinent. Leo haussa les épaules, avança les pièces, le regard fixe sur la demoiselle à coté de lui. (« Tu devrais cligner les yeux plus souvent, c’est inquiétant quand tu fais ça » - et pourquoi donc ? « on ne sait pas si tu nous regardes les yeux ou les os » - Souvent, ni l’un ni l’autre. « C’est encore pire. Souris un peu, au moins ? » Dans tes rêves, ils me l’ont arraché quand ton coeur a laché. « ce que tu peux être dramatique, quand tu t’y mets »). Le croupier annonce les mises, ils perdront probablement tous les deux.
- Vous venez, souvent. Plus encore dernièrement. Pourquoi ?
Leo était toujours celui qui posait les questions, l’interrogation arquant parfois un sourcil, affectant une empathie qu’il ne dispensait qu’avec une parcimonie frôlant l’avarice. Quand il ne les posait pas, c’était pire encore : le jugement était rendu, et il n’attendait pas de témoignage concordant pour se faire bourreau. Devant eux, la bille avait entamé sa course folle autour de son arène rouge et noir, quelques curieux se penchaient au dessus, les gobilles grandes ouvertes, la bouche béante. Il s’en était déjà désintéressé, il n’était pas sensible aux jeux, uniquement aux secrets. A l’inconnu. A l’Inconnue, celle de ce soir, pour le moment. Il ne s’était même pas présenté, ne lui avait pas demandé son nom, non plus. Ce n’était pas là ce qui comptait, pas autant que l’éclat sombre, la lumière obscure, l’oxymore de ses prunelles en miroir des siennes. Le malheur s’aime en écho, s’appairait aisément en confrère. Ou consœur. (une de perdue… Une d’éperdue. )
Made by Neon Demon
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Ven 16 Juil 2021 - 23:36
L'inconnu n'avait pas sourcillé à l'annonce de son toast. Non, il avait levé son verre et enfoncé un peu plus le tragique qu'elle n'avait fait qu'énoncer du bout des lèvres, plus pour elle-même que dans l'espoir d'être réellement suivie. A la fatalité, il rajouta le chaos, à moins que cela ne soit ses yeux à elle qui lui eurent suggéré de s'égarer dans cette direction. Yeux qu'elle détourna bien vite pour venir s’intéresser à un tout autre hasard, un qui ne l'emmenait pas trop près d'un téléphone sonnant au milieu de la nuit et d'un trop plein de rouge jusqu'à l'overdose. Dans le même mouvement, elle descendit son verre sans grande conviction : le jeu, comme nombres de ses habitudes en ce moment, lui semblait être dénué d’intérêt. Gagner ne lui procurait pas plus d'euphorie que perdre. L'inconnu avança ses pions sans la quitter des yeux - elle le sentait. Le croupier allait pouvoir se frotter les mains : tant de désinvolture à jouer et si peu de conviction à s’intéresser à ce qu'il se passait autour de la roulette, c'était du pain béni. Perdre ou gagner, à ce stade, n'avait plus d'importance : lorsque le gain était fait de longues heures à échapper à sa propre réalité, il avait un coût dérisoire, et plus rien ne retenait la main. De toute façon, Aveleen aurait tout donné, juste pour oublier un instant ce qui se tramait en dehors. Le dehors, en ce moment, avait encore moins d'attraits que l'empire de faux semblant du Styx. Peut-être parce qu'elle aurait préféré vivre dans tous ces artifices tamisés que dans la réalité crue de l'extérieure.
-- Vous venez, souvent. Plus encore dernièrement. Pourquoi ? demanda-t-il.
Aveleen pencha la tête dans sa direction, un bref instant, avant de tourner de nouveau son cou. La petite bille poursuivit quant à elle sa course pour s'échouer sur le numéro 13. Elle soupira à peine quant à la perte d'un quart de son salaire, et oublia de s'offusquer de l'indiscrétion de son interlocuteur dans la même foulée.
-- La distraction, répondit-elle simplement en haussant ses fines épaules, le regard à présent fixé quelque part sur le tapis de la table de jeu, sans but précis.
Oui, la distraction. En petites billes blanches, en jetons sur leur gazon synthétique, en machines à sous colorées, en danseuses aux corps hypnotiques, en lumières tamisées. Ou en carte de piques, pour oublier que son cœur était meurtri et que tous les trèfles de la chance avait déserté sa main en même temps que Mary avait vu sa vie faire banqueroute. La distraction, c'était aussi pour cela qu'elle lui répondait, oubliant de souligner que cela ne le regardait pas, se gardant de remarquer que pour émettre une supposition telle que celle-ci, il fallait l'avoir observée à de nombreuses reprises. Une autre fois, elle aurait choisi de l'éconduire ou de s'y intéresser, mais cette conversation avait le mérite de la sortir de ce brouillard continu dans lequel elle se perdait un peu plus chaque jour. Elle avait multiplié ses venues au Styx comme un héroïnomane augmentait ses doses pour espérer ressentir toujours les effets : parce qu'elle avait la douloureuse impression que son esprit s'était habitué à ses vices jusqu'à ce que, même eux, deviennent une routine banalement ennuyante et affligeante. Et pendant qu'elle se perdait, le monde continuait à tourner en rond : un mois avait passé, et bientôt le soleil remplacerait la grisaille, à lui en faire cramer l'épiderme sans réussir à réchauffer le froid mordant qui avait pris naissance dans le creux de son ventre. Et qui congelait, jour après jour, chacune des choses qui lui avait jadis procuré de la joie.
Ses doigts firent le tour de son verre vide dans un mouvement lasse, puis avant que l'attention de l'homme ne se lasse, elle aussi, de ses silences, elle reprit la parole, désireuse d'alimenter ce grain de sel qui venait enfin pimenter cette trop longue soirée, dans cette trop longue semaine.
-- Disons que s'il fallait représenter mon esprit en ce moment,cela serait un quartier mal famé, philosopha-t-elle en se grattant légèrement le front.
Comme si ce simple mouvement aurait été capable de gommer toutes les mauvaises pensées qui s'y trouvaient, des prémices de la colère à la rage qu'elle sentait naître de jours en jours, de l'injustice de cette situation au manque grandissant qui lui donnait une vague idée de l'asphyxie que l'on pouvait ressentir une fois prisonnier du vide. Le néant et le trop plein, sans qu'elle n'arrive à se décider. L'implosion ou l'explosion et cet entre-deux encore plus désagréable, cette stase inerte piégée entre toutes les émotions.
-- Il vaudrait mieux éviter que je m'y promène seule, soupira-t-elle, tout en faisant un geste au serveur pour qu'il remplisse de nouveau son verre et celui du curieux à côté d'elle.
Rien de tout cela n'était dans sa nature, mais puisque son quotidien était devenu une succession de variables s'empilant les unes à la suite des autres, sans qu'elle n'en comprenne vraiment la formule ni l'aboutissement, pourquoi ne pas bousculer un peu ses équations. D'ordinaire, elle détestait ce genre de chose. Elle détestait l'intimité immédiate et avait en horreur les discussions qu'on lui imposait en entrant sans crier gare dans sa zone de sécurité. Elle était une solitaire, avare de mot et de présence, se complaisant dans les silences et les grands espaces. Mais en ce moment, sa personnalité était dysfonctionnelle : ses journées étaient devenues celles d'une mère célibataire tâchant de maintenir un foyer à flot, entre une enfant enchainant les cauchemars et un fantôme de père en carton qui errait dans la maison avec à peu près autant de vie qu'une planche à découper. Et pourtant, elle s'échinait à combler les silences, à saupoudrer de sourires ses interactions avec Emma, à abreuver les manques affectifs de la petite fille.
Mais elle n'était pas comme ça : elle n'était pas de celles qui attrapaient les mains en premier, de celles qui engageaient les conversations de manière avenante, ni de celles qui s'épanchaient sur leur vie auprès de la première oreille attentive ou du premier courtisant ramassé quelque part. Elle n'était pas Mary. Elle était le pâle écho qui essayait, en vain, de maintenir un peu de sa présence dans ce monde qui refusait de lui laisser une pause le temps qu'elle reprenne son souffle. Ce marathon lui demandait une endurance sociale qu'elle n'avait jamais eu, et aucune des haltes qu'elle ne s'accordait loin des Fastenburry n'en était vraiment une. Dans la maison, elle étouffait sous le poids de leurs chagrins. Mais seule, c'était ses propres sentiments qui l'étranglaient. Et puisque les silences avaient cessé d'être des refuges, la compagnie de l'inconnu lui semblait, ce soir, être une option beaucoup plus envisageable qu'une énième introspection dépourvue d'honnêteté.
Elle savait qu'elle se mentait.
Elle savait que le serpent, tapi dans son ventre, ne demandait qu'à s'agiter. Elle connaissait son nom, tout en évitant de le nommer, parce que lorsque cela serait fait, elle doutait de pouvoir maintenir le masque très longtemps.
Et tout ça avait des relents tellement misérables qu'elle redoubla d'intérêt pour son inconnu, sa distraction impromptue, lui renvoyant sa question comme l'on renvoyait la balle au tennis. Mieux valait rester dans le mouvement plutôt que de jongler dans son propre camps. Elle ne voulait pas de rebonds : elle n'avait pas l'énergie de jouer trop longtemps dans son périmètre personnel :
-- Et vous ? Qu'est-ce-qui vous pousse à arpenter mes quartiers ? Simple curiosité, ou fuyez-vous les votres également ? questionna-t-elle sans accusation, enfouissant son petit menton dans la paume de sa main et glissant un regard curieux celui dont elle ne connaissait toujours pas le nom.
Des mots pour camoufler ses propres maux.
C'était peut-être lui, le meilleur jeu de hasard que lui offrirait le Styx en cette soirée.
@Leonardo Moreno
-- Vous venez, souvent. Plus encore dernièrement. Pourquoi ? demanda-t-il.
Aveleen pencha la tête dans sa direction, un bref instant, avant de tourner de nouveau son cou. La petite bille poursuivit quant à elle sa course pour s'échouer sur le numéro 13. Elle soupira à peine quant à la perte d'un quart de son salaire, et oublia de s'offusquer de l'indiscrétion de son interlocuteur dans la même foulée.
-- La distraction, répondit-elle simplement en haussant ses fines épaules, le regard à présent fixé quelque part sur le tapis de la table de jeu, sans but précis.
Oui, la distraction. En petites billes blanches, en jetons sur leur gazon synthétique, en machines à sous colorées, en danseuses aux corps hypnotiques, en lumières tamisées. Ou en carte de piques, pour oublier que son cœur était meurtri et que tous les trèfles de la chance avait déserté sa main en même temps que Mary avait vu sa vie faire banqueroute. La distraction, c'était aussi pour cela qu'elle lui répondait, oubliant de souligner que cela ne le regardait pas, se gardant de remarquer que pour émettre une supposition telle que celle-ci, il fallait l'avoir observée à de nombreuses reprises. Une autre fois, elle aurait choisi de l'éconduire ou de s'y intéresser, mais cette conversation avait le mérite de la sortir de ce brouillard continu dans lequel elle se perdait un peu plus chaque jour. Elle avait multiplié ses venues au Styx comme un héroïnomane augmentait ses doses pour espérer ressentir toujours les effets : parce qu'elle avait la douloureuse impression que son esprit s'était habitué à ses vices jusqu'à ce que, même eux, deviennent une routine banalement ennuyante et affligeante. Et pendant qu'elle se perdait, le monde continuait à tourner en rond : un mois avait passé, et bientôt le soleil remplacerait la grisaille, à lui en faire cramer l'épiderme sans réussir à réchauffer le froid mordant qui avait pris naissance dans le creux de son ventre. Et qui congelait, jour après jour, chacune des choses qui lui avait jadis procuré de la joie.
Ses doigts firent le tour de son verre vide dans un mouvement lasse, puis avant que l'attention de l'homme ne se lasse, elle aussi, de ses silences, elle reprit la parole, désireuse d'alimenter ce grain de sel qui venait enfin pimenter cette trop longue soirée, dans cette trop longue semaine.
-- Disons que s'il fallait représenter mon esprit en ce moment,cela serait un quartier mal famé, philosopha-t-elle en se grattant légèrement le front.
Comme si ce simple mouvement aurait été capable de gommer toutes les mauvaises pensées qui s'y trouvaient, des prémices de la colère à la rage qu'elle sentait naître de jours en jours, de l'injustice de cette situation au manque grandissant qui lui donnait une vague idée de l'asphyxie que l'on pouvait ressentir une fois prisonnier du vide. Le néant et le trop plein, sans qu'elle n'arrive à se décider. L'implosion ou l'explosion et cet entre-deux encore plus désagréable, cette stase inerte piégée entre toutes les émotions.
-- Il vaudrait mieux éviter que je m'y promène seule, soupira-t-elle, tout en faisant un geste au serveur pour qu'il remplisse de nouveau son verre et celui du curieux à côté d'elle.
Rien de tout cela n'était dans sa nature, mais puisque son quotidien était devenu une succession de variables s'empilant les unes à la suite des autres, sans qu'elle n'en comprenne vraiment la formule ni l'aboutissement, pourquoi ne pas bousculer un peu ses équations. D'ordinaire, elle détestait ce genre de chose. Elle détestait l'intimité immédiate et avait en horreur les discussions qu'on lui imposait en entrant sans crier gare dans sa zone de sécurité. Elle était une solitaire, avare de mot et de présence, se complaisant dans les silences et les grands espaces. Mais en ce moment, sa personnalité était dysfonctionnelle : ses journées étaient devenues celles d'une mère célibataire tâchant de maintenir un foyer à flot, entre une enfant enchainant les cauchemars et un fantôme de père en carton qui errait dans la maison avec à peu près autant de vie qu'une planche à découper. Et pourtant, elle s'échinait à combler les silences, à saupoudrer de sourires ses interactions avec Emma, à abreuver les manques affectifs de la petite fille.
Mais elle n'était pas comme ça : elle n'était pas de celles qui attrapaient les mains en premier, de celles qui engageaient les conversations de manière avenante, ni de celles qui s'épanchaient sur leur vie auprès de la première oreille attentive ou du premier courtisant ramassé quelque part. Elle n'était pas Mary. Elle était le pâle écho qui essayait, en vain, de maintenir un peu de sa présence dans ce monde qui refusait de lui laisser une pause le temps qu'elle reprenne son souffle. Ce marathon lui demandait une endurance sociale qu'elle n'avait jamais eu, et aucune des haltes qu'elle ne s'accordait loin des Fastenburry n'en était vraiment une. Dans la maison, elle étouffait sous le poids de leurs chagrins. Mais seule, c'était ses propres sentiments qui l'étranglaient. Et puisque les silences avaient cessé d'être des refuges, la compagnie de l'inconnu lui semblait, ce soir, être une option beaucoup plus envisageable qu'une énième introspection dépourvue d'honnêteté.
Elle savait qu'elle se mentait.
Elle savait que le serpent, tapi dans son ventre, ne demandait qu'à s'agiter. Elle connaissait son nom, tout en évitant de le nommer, parce que lorsque cela serait fait, elle doutait de pouvoir maintenir le masque très longtemps.
Et tout ça avait des relents tellement misérables qu'elle redoubla d'intérêt pour son inconnu, sa distraction impromptue, lui renvoyant sa question comme l'on renvoyait la balle au tennis. Mieux valait rester dans le mouvement plutôt que de jongler dans son propre camps. Elle ne voulait pas de rebonds : elle n'avait pas l'énergie de jouer trop longtemps dans son périmètre personnel :
-- Et vous ? Qu'est-ce-qui vous pousse à arpenter mes quartiers ? Simple curiosité, ou fuyez-vous les votres également ? questionna-t-elle sans accusation, enfouissant son petit menton dans la paume de sa main et glissant un regard curieux celui dont elle ne connaissait toujours pas le nom.
Des mots pour camoufler ses propres maux.
C'était peut-être lui, le meilleur jeu de hasard que lui offrirait le Styx en cette soirée.
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Ven 30 Juil 2021 - 13:58
feat Aveleen
La distraction, voilà la réponse lapidaire de l’inconnue qui s’était désintéressée de lui pour suivre la course effrénée de la sphère de vif argent, à la poursuite du vide et d’une place, chanceuse ou non, où se loger enfin. Elle avait le mérite d’être honnête, pour ne pas dire lucide, sur les raisons qui l’emmenaient à revenir, inlassablement, se perdre dans les volutes délicieusement lancinantes du Styx. Certains parlaient de loisir simplement récréatif, d’autres de récompenses après de longues heures de labeur abrutissante, d’autres encore niaient tout cela pour hausser les épaules et lever la main dans un mouvement fat : ils étaient là parce qu’eux, en avaient le droit, ils l’avaient gagné, acquis, obtenu, à la force de leur charisme, de leur influence ou de leur argent, ou d’un savant mélange des trois. Au final, chacun venait pour la même chose, cette belle perdition temporaire, un bain de minuit dans le fleuve de Lethé, dans les bras des sirènes et des succubes, contre le revers des manches des croupiers aux risettes de chat.
(Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l'abîme de ta couche;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.)
Il avait laissé le silence s’immiscer dans le bruit ambiant, continuant de fixer les gestes lents de l’inconnue, le mouvement de balancier mécanique de son poignet qui faisait tourner l’alcool sur son verre, déposant ses larmes amères contre la paroi comme autant de gouttes de pluie d’une nuit d’orage. A son tour, il faisait rouler le contenu du sien contre sa langue, son palais, la caudalie de l’alcool se confondant avec celle de son chagrin pour ce soir. La comparaison de la demoiselle prêtait au sourire : avait-elle seulement vécu un jour dans une de ces cités à laquelle elle s’identifiait ? Lui, oui, il y avait grandi, cahin caha, jusqu’à devenir un frère, puis un homme. Il connaissait les quartiers mal famés , les préférait au velours vicieux des alcôves bourgeoises trompeuses. On sait pourquoi le loup maigre aboie et mord. Le chien gras et indolent est plus retors. Il étira le coté gauche de sa bouche, alors qu’un des garçons de salle chargeait à nouveau son verre en alcool, l’interrogeant du regard. Oui, il prendrait sur ses deniers personnels la deuxième tournée aussi. Il n’était pas à cela près.
- C’est pourtant dans les favelas que la fête est la plus belle. Les plus beaux élans de vie se trouvent au plus proche de la mort, paraît-il.
N’y avait il pas de véritable explosion de naissance après les guerres ? Des initiatives personnelles folles, en période de rémission d’une maladie grave ? Il l’avait guetté, cet élan, après Magda, mais rien n’y avait fait. La mort avait appelé la mort, le deuil, un autre voile plus noir encore. ("C’est que tu as pas l’air hyper motivé à être heureux, aussi. C’était peut être toi le grand frère, mais c’était moi, le pilier de ta vie". ). Il bougea à peine, tout juste un mouvement d’épaule de bas en haut, avant de répondre à la jeune femme, laconique en diable :
- Je travaille ici.
Il n’en avait pas l’air, bien sur, dès lors qu’il ne s’agitait pas autour d’une table, qu’il ne battait pas les cartes ni les glaçons au fond d’un verre n’attendant que de se voir emplir d’oubli et de jouissance liquide. Il n’était surement pas prêt à monter sur scène pour accompagner les danseuses de sa voix de velours, et heureusement pour les oreilles des clients, d’ailleurs. Leo était de ces types dont on ne pouvait deviner ce qu’ils faisaient vraiment, avant que le devoir ne les appelle. De loin, sagement au bar, il paraissait ailleurs, comptait les noises et les mornilles d’après service, s’assurait du réassort en produits légaux ou non en remplissant des feuillets de commande. De près, il coupait le souffle des resquilleurs d’un coup de genou dans le foie, il comprimait des trachées jusqu’à ce que les voix s’éteignent, il commandait à l’armée laissée sans général par un Tiki Tamaharu en cavale. De près, on pouvait voir l’ombre de la faux dans son dos, mais il était rare que qui que ce soit vienne s’approcher de lui, sans appréhension ni doute.
- Ces quartiers ont toujours été les miens. Je m’y sens bien.
Un rapide passage dans la lumière, les années de liberté un peu insouciantes, à courir après la gloire ou le risque rien que pour la beauté du geste. Las, il avait essayé de se ranger, un peu, pour elle, lui avait promis de faire un effort. A présent, il n’avait plus la moindre raison d’en faire, et les ténèbres avaient quelque chose de réconfortant, quand la morsure du froid devient une habitude, et la solitude une amie.
- Mais allez-y, si cela peut vous distraire, justement. Essayez donc de deviner. Supposez. On verra si votre imagination parvient à effleurer la réalité.
(Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l'abîme de ta couche;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.)
Il avait laissé le silence s’immiscer dans le bruit ambiant, continuant de fixer les gestes lents de l’inconnue, le mouvement de balancier mécanique de son poignet qui faisait tourner l’alcool sur son verre, déposant ses larmes amères contre la paroi comme autant de gouttes de pluie d’une nuit d’orage. A son tour, il faisait rouler le contenu du sien contre sa langue, son palais, la caudalie de l’alcool se confondant avec celle de son chagrin pour ce soir. La comparaison de la demoiselle prêtait au sourire : avait-elle seulement vécu un jour dans une de ces cités à laquelle elle s’identifiait ? Lui, oui, il y avait grandi, cahin caha, jusqu’à devenir un frère, puis un homme. Il connaissait les quartiers mal famés , les préférait au velours vicieux des alcôves bourgeoises trompeuses. On sait pourquoi le loup maigre aboie et mord. Le chien gras et indolent est plus retors. Il étira le coté gauche de sa bouche, alors qu’un des garçons de salle chargeait à nouveau son verre en alcool, l’interrogeant du regard. Oui, il prendrait sur ses deniers personnels la deuxième tournée aussi. Il n’était pas à cela près.
- C’est pourtant dans les favelas que la fête est la plus belle. Les plus beaux élans de vie se trouvent au plus proche de la mort, paraît-il.
N’y avait il pas de véritable explosion de naissance après les guerres ? Des initiatives personnelles folles, en période de rémission d’une maladie grave ? Il l’avait guetté, cet élan, après Magda, mais rien n’y avait fait. La mort avait appelé la mort, le deuil, un autre voile plus noir encore. ("C’est que tu as pas l’air hyper motivé à être heureux, aussi. C’était peut être toi le grand frère, mais c’était moi, le pilier de ta vie". ). Il bougea à peine, tout juste un mouvement d’épaule de bas en haut, avant de répondre à la jeune femme, laconique en diable :
- Je travaille ici.
Il n’en avait pas l’air, bien sur, dès lors qu’il ne s’agitait pas autour d’une table, qu’il ne battait pas les cartes ni les glaçons au fond d’un verre n’attendant que de se voir emplir d’oubli et de jouissance liquide. Il n’était surement pas prêt à monter sur scène pour accompagner les danseuses de sa voix de velours, et heureusement pour les oreilles des clients, d’ailleurs. Leo était de ces types dont on ne pouvait deviner ce qu’ils faisaient vraiment, avant que le devoir ne les appelle. De loin, sagement au bar, il paraissait ailleurs, comptait les noises et les mornilles d’après service, s’assurait du réassort en produits légaux ou non en remplissant des feuillets de commande. De près, il coupait le souffle des resquilleurs d’un coup de genou dans le foie, il comprimait des trachées jusqu’à ce que les voix s’éteignent, il commandait à l’armée laissée sans général par un Tiki Tamaharu en cavale. De près, on pouvait voir l’ombre de la faux dans son dos, mais il était rare que qui que ce soit vienne s’approcher de lui, sans appréhension ni doute.
- Ces quartiers ont toujours été les miens. Je m’y sens bien.
Un rapide passage dans la lumière, les années de liberté un peu insouciantes, à courir après la gloire ou le risque rien que pour la beauté du geste. Las, il avait essayé de se ranger, un peu, pour elle, lui avait promis de faire un effort. A présent, il n’avait plus la moindre raison d’en faire, et les ténèbres avaient quelque chose de réconfortant, quand la morsure du froid devient une habitude, et la solitude une amie.
- Mais allez-y, si cela peut vous distraire, justement. Essayez donc de deviner. Supposez. On verra si votre imagination parvient à effleurer la réalité.
Made by Neon Demon
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Ven 6 Aoû 2021 - 17:55
-- C'est pourtant dans les favelas que la fête est la plus belle, nuança-t-il. Aveleen le balaya du regard, s'attardant un instant sur le teint mordoré, les yeux sombres, le timbre velouté de sa voix. Elle se demanda si son inconnu n'aurait pas quelques origines d'Amérique Latine. Les plus beaux élans se trouve au plus proche de la mort, paraît-il.
Un soupire un brin désabusé, éclaboussé d'ironie, s'étala sur les lèvres de l'Irlandaise. Cette absurde contradiction lui donnait des élans nauséeux. Il s'agissait du genre de phrase toute faites qui venait faire crisser des nerfs dans une humeur trop cynique pour réussir à philosopher. Ce soir, particulièrement, elle trouvait la remarque absurde : toute cette désespérante vie qui s'exacerberait aux dernières minutes de la pellicule ? Allons. Il n'y avait que l'auteur dégoulinant de romance pour venir raconter que les dernières respirations étaient les plus douces, que la paix intérieure était trouvée dans les dernières lueurs d'agonie et que la mort étalait son linceul comme une couverture confortable, le tout bercé d'une mélodie larmoyante. Que quelqu'un tiendrait la main jusqu'à la fin, en apaisant les derniers reliefs d'un cœur en fin de course. La photographe se voulait plus pragmatique : à l'orée de la mort de Mary, il n'y avait rien eu d'autre que de la peur et de l'angoisse. Et personne. Quant à la beauté supposé de son esprit dans ses recoins les plus malfamés, Aveleen doutait qu'il y trouve quoi que ce soit de beau. Néanmoins, pour ravaler son humeur, elle déglutie une énième gorgée de son verre, grimaçant sous la brûlure de l'alcool tout autant que sous la consistance de ses pensées. Mais c'était plus fort qu'elle : elle n'arrivait pas à se défaire du marécage nauséabond dans lequel elle s'enfonçait depuis le matin. C'était comme marcher dans des sables-mouvants : elle ignorait si elle devait lutter ou bien se laisser lentement engloutir.
-- Je travaille ici.
-- Intéressant, fit-elle d’une voix pourtant atone, tout en reposant son verre contre la table de jeu.
Son doigt glissa sur le rebord, fit soigneusement le tour du cristal de manière indolente. Peut-être était-ce ce qu'elle avait trouvé de singulièrement familier chez lui : l'avait-elle déjà croisé quelque part au sein du club ? Malgré sa bonne physionomie, la photographe ne se souvenait pas l'avoir aperçu, néanmoins. Mais le Styx était aussi grand que sa curiosité avait été minuscule ces dernières semaines, aussi n'était-elle pas surprise de ne pas avoir su l'identifier. Et puis, le club était un dédale de couloirs tamisés, une fourmilières d’alcôves et de visage habillés de pénombre, qu'une ambiance de secret venait assaisonner de mystère et de non-dits. Les conversations se faisaient murmures, les regards se dérobaient tout autant que chacun, ici, essayait de se noyer dans les abysses plutôt que d'y briller comme un phare. C'était les danseuses qui évoluaient sous les lumières kaléidoscopiques, pas les clients, ni même les autres employés. D'ailleurs, jusqu'ici, le Styx lui était surtout apparu comme une entité évoluant seule, comme le fleuve s'écoulant sans qu'on lui ordonne vers où se jeter, telle une machine parfaitement huilée se passant d'ordres hiérarchiques, déjà rodée par une quelconque entité mystique dont le seul poids de son existence suffisait à tenir les rangs ordonnés.
-- Mais allez-y, si cela peut vous distraire, justement, renchérit-il.
Le ton n’était pas péremptoire, peu être un brin suffisant. L’aisance donc de celui qui venait de confier se sentir à l’aise dans les ruelles mal éclairées aux fréquentations douteuses. A moins qu’il n’ait parlé au sens métaphorique, celui des bas quartiers seulement peuplés de pensées noires, dont les fenêtres pleines de fantômes avaient parus se refléter dans ses yeux un peu plus tôt.
-- Essayez donc de deviner. Supposez. On verra si votre imagination parvient à effleurer la réalité.
Effleurer la réalité supposait qu’elle ne risquait pas de trouver. Dodelinant de la tête un instant, un pâle sourire sur les lèvres, la photographe fini par croiser ses longues jambes et se tourner résolument vers l’inconnu à ses côtés. Elle ancra l’un de ses bras sur la table de jeu, y nicha son menton délicat, puis chercha son regard pour y ficher le sien, ne s’embarrassant désormais plus d'une observation polie. Après tout, c’était lui qui venait de lancer le jeu des suppositions. Elle ne faisait que jouer, avec toute la finesse d’une curiosité pour les visages d’autrui finement peaufinée au fil de tous les portraits qu’elle avait honte de vouloir dresser. Mais puisqu’il était d’accord, elle le fixa avec toute l’intensité qu’il lui fallait contenir le reste du temps.
De grands tatouages parcouraient sa peau, comme une histoire en filigranes qu’il aurait fallu inscrire à même la chaire pour ne jamais la voir oublier. Les traits se glissaient sous son menton volontaire, venant esquisser la silhouette d’un aigle, symbole de puissance et de prestige. A moins que cela ne soit pour venir suggérer que rien ne pouvait échapper aux serres aiguisées, pas plus qu’à l’œil vif du volatile ? L’enseignante inclina la tête, songeuse et concentrée, laissant le bleu arctique de ses yeux remonter le long de la courbure de son visage, s’attardant sur le nez à l’arrête imparfaite, suggérant plusieurs jouxtes éventuelles où le fragile cartilage aurait pu goûter à celui, plus solide, d’un poing adversaire. Lentement, elle suivi ensuite l’arc de l’une de ses pommettes, cherchant d’éventuelles traces de fractures, s’attardant sur les petites aspérités de son visage, jusqu’à finir par trouver ses yeux. Elle y plongea sans ménagement : ils étaient noir comme du mazout, or liquide extrait des sols arides aux prix innombrables sacrifices et pillages. Leur ombre lui évoquèrent la masse compacte d’une nuit sans étoiles, une de ces soirées d’hiver dans laquelle une chape mélancolique venait gommer la moindre trace de clarté. Une nuit sans lune après une journée morne et triste, comme un début de semaine que l’on appréhendait de manière déjà harassée, le corps déjà alourdi par une fatigue persistante. Il avait le regard éteint de celui qui n’avait pas su retenir la lumière de son existence.
__ Vous êtes comme moi, finit-elle par lâcher. Vous êtes tout seul, asséna-t-elle d’une voix démesurément douce, ses doigts continuant de tourner le long de son verre. Vous venez ici pour voir les clients tout perdre, comme un malheureux au fond de votre puits qui regarde vers le haut en espérant égoïstement que quelqu’un finisse par tomber à vos côtés. Mais ça n’arrive jamais, poursuivit-elle, cette fois en le libérant du joug de son regard pour se perdre dans la couleur ambré de son propre verre, parce que l’on n’est jamais rejoint dans sa propre solitude. Chacun trébuche dans son propre gouffre et s’y noie toujours tout seul.
Elle s’autorisa un sourire laconique, qui cascada sur son visage à la peau de porcelaine sans s’insuffler de la moindre joie. Elle n’avait pas plus envie de feindre d’aller bien que de paraître saine d’esprit.
__ Alors ai-je assez d’imagination pour vous ? Questionna-t-elle naïvement en arquant l’un de ses jolis sourcils tandis qu’elle vrillait de nouveau ses orbres glacées dans celle de l’Inconnu.Par pitié, ne me dîtes pas que vous êtes seulement un de ces énièmes maris venant tromper votre femme, cette ville est déjà bien assez peuplée par ce genre d’individus pour que j’y trouve la moindre distraction.
@Leonardo Moreno (Il paraît que son premier prénom est Jésus ? quelqu'un m'a soufflé ça.... )
Un soupire un brin désabusé, éclaboussé d'ironie, s'étala sur les lèvres de l'Irlandaise. Cette absurde contradiction lui donnait des élans nauséeux. Il s'agissait du genre de phrase toute faites qui venait faire crisser des nerfs dans une humeur trop cynique pour réussir à philosopher. Ce soir, particulièrement, elle trouvait la remarque absurde : toute cette désespérante vie qui s'exacerberait aux dernières minutes de la pellicule ? Allons. Il n'y avait que l'auteur dégoulinant de romance pour venir raconter que les dernières respirations étaient les plus douces, que la paix intérieure était trouvée dans les dernières lueurs d'agonie et que la mort étalait son linceul comme une couverture confortable, le tout bercé d'une mélodie larmoyante. Que quelqu'un tiendrait la main jusqu'à la fin, en apaisant les derniers reliefs d'un cœur en fin de course. La photographe se voulait plus pragmatique : à l'orée de la mort de Mary, il n'y avait rien eu d'autre que de la peur et de l'angoisse. Et personne. Quant à la beauté supposé de son esprit dans ses recoins les plus malfamés, Aveleen doutait qu'il y trouve quoi que ce soit de beau. Néanmoins, pour ravaler son humeur, elle déglutie une énième gorgée de son verre, grimaçant sous la brûlure de l'alcool tout autant que sous la consistance de ses pensées. Mais c'était plus fort qu'elle : elle n'arrivait pas à se défaire du marécage nauséabond dans lequel elle s'enfonçait depuis le matin. C'était comme marcher dans des sables-mouvants : elle ignorait si elle devait lutter ou bien se laisser lentement engloutir.
-- Je travaille ici.
-- Intéressant, fit-elle d’une voix pourtant atone, tout en reposant son verre contre la table de jeu.
Son doigt glissa sur le rebord, fit soigneusement le tour du cristal de manière indolente. Peut-être était-ce ce qu'elle avait trouvé de singulièrement familier chez lui : l'avait-elle déjà croisé quelque part au sein du club ? Malgré sa bonne physionomie, la photographe ne se souvenait pas l'avoir aperçu, néanmoins. Mais le Styx était aussi grand que sa curiosité avait été minuscule ces dernières semaines, aussi n'était-elle pas surprise de ne pas avoir su l'identifier. Et puis, le club était un dédale de couloirs tamisés, une fourmilières d’alcôves et de visage habillés de pénombre, qu'une ambiance de secret venait assaisonner de mystère et de non-dits. Les conversations se faisaient murmures, les regards se dérobaient tout autant que chacun, ici, essayait de se noyer dans les abysses plutôt que d'y briller comme un phare. C'était les danseuses qui évoluaient sous les lumières kaléidoscopiques, pas les clients, ni même les autres employés. D'ailleurs, jusqu'ici, le Styx lui était surtout apparu comme une entité évoluant seule, comme le fleuve s'écoulant sans qu'on lui ordonne vers où se jeter, telle une machine parfaitement huilée se passant d'ordres hiérarchiques, déjà rodée par une quelconque entité mystique dont le seul poids de son existence suffisait à tenir les rangs ordonnés.
-- Mais allez-y, si cela peut vous distraire, justement, renchérit-il.
Le ton n’était pas péremptoire, peu être un brin suffisant. L’aisance donc de celui qui venait de confier se sentir à l’aise dans les ruelles mal éclairées aux fréquentations douteuses. A moins qu’il n’ait parlé au sens métaphorique, celui des bas quartiers seulement peuplés de pensées noires, dont les fenêtres pleines de fantômes avaient parus se refléter dans ses yeux un peu plus tôt.
-- Essayez donc de deviner. Supposez. On verra si votre imagination parvient à effleurer la réalité.
Effleurer la réalité supposait qu’elle ne risquait pas de trouver. Dodelinant de la tête un instant, un pâle sourire sur les lèvres, la photographe fini par croiser ses longues jambes et se tourner résolument vers l’inconnu à ses côtés. Elle ancra l’un de ses bras sur la table de jeu, y nicha son menton délicat, puis chercha son regard pour y ficher le sien, ne s’embarrassant désormais plus d'une observation polie. Après tout, c’était lui qui venait de lancer le jeu des suppositions. Elle ne faisait que jouer, avec toute la finesse d’une curiosité pour les visages d’autrui finement peaufinée au fil de tous les portraits qu’elle avait honte de vouloir dresser. Mais puisqu’il était d’accord, elle le fixa avec toute l’intensité qu’il lui fallait contenir le reste du temps.
De grands tatouages parcouraient sa peau, comme une histoire en filigranes qu’il aurait fallu inscrire à même la chaire pour ne jamais la voir oublier. Les traits se glissaient sous son menton volontaire, venant esquisser la silhouette d’un aigle, symbole de puissance et de prestige. A moins que cela ne soit pour venir suggérer que rien ne pouvait échapper aux serres aiguisées, pas plus qu’à l’œil vif du volatile ? L’enseignante inclina la tête, songeuse et concentrée, laissant le bleu arctique de ses yeux remonter le long de la courbure de son visage, s’attardant sur le nez à l’arrête imparfaite, suggérant plusieurs jouxtes éventuelles où le fragile cartilage aurait pu goûter à celui, plus solide, d’un poing adversaire. Lentement, elle suivi ensuite l’arc de l’une de ses pommettes, cherchant d’éventuelles traces de fractures, s’attardant sur les petites aspérités de son visage, jusqu’à finir par trouver ses yeux. Elle y plongea sans ménagement : ils étaient noir comme du mazout, or liquide extrait des sols arides aux prix innombrables sacrifices et pillages. Leur ombre lui évoquèrent la masse compacte d’une nuit sans étoiles, une de ces soirées d’hiver dans laquelle une chape mélancolique venait gommer la moindre trace de clarté. Une nuit sans lune après une journée morne et triste, comme un début de semaine que l’on appréhendait de manière déjà harassée, le corps déjà alourdi par une fatigue persistante. Il avait le regard éteint de celui qui n’avait pas su retenir la lumière de son existence.
__ Vous êtes comme moi, finit-elle par lâcher. Vous êtes tout seul, asséna-t-elle d’une voix démesurément douce, ses doigts continuant de tourner le long de son verre. Vous venez ici pour voir les clients tout perdre, comme un malheureux au fond de votre puits qui regarde vers le haut en espérant égoïstement que quelqu’un finisse par tomber à vos côtés. Mais ça n’arrive jamais, poursuivit-elle, cette fois en le libérant du joug de son regard pour se perdre dans la couleur ambré de son propre verre, parce que l’on n’est jamais rejoint dans sa propre solitude. Chacun trébuche dans son propre gouffre et s’y noie toujours tout seul.
Elle s’autorisa un sourire laconique, qui cascada sur son visage à la peau de porcelaine sans s’insuffler de la moindre joie. Elle n’avait pas plus envie de feindre d’aller bien que de paraître saine d’esprit.
__ Alors ai-je assez d’imagination pour vous ? Questionna-t-elle naïvement en arquant l’un de ses jolis sourcils tandis qu’elle vrillait de nouveau ses orbres glacées dans celle de l’Inconnu.Par pitié, ne me dîtes pas que vous êtes seulement un de ces énièmes maris venant tromper votre femme, cette ville est déjà bien assez peuplée par ce genre d’individus pour que j’y trouve la moindre distraction.
@Leonardo Moreno (Il paraît que son premier prénom est Jésus ? quelqu'un m'a soufflé ça.... )
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Mer 25 Aoû 2021 - 14:00
feat Aveleen
Tout en patience, Leo laissait l’inconnue le détailler sans fausse pudeur d’un coté, sans humilité factice de l’autre. Qu’elle observe, qu’elle scrute, qu’elle analyse si cela lui chantait, il n’avait pas grand-chose à cacher à ceux qui l’épiaient au sein du Styx, les volutes sombres qui l’enveloppaient ne dissimulant ni les cicatrices, les stigmates d’une vie qui n’avait pas été particulièrement clémente, bien que non dénuée d’éclaircies, courtes, fugaces, avant le retour à l’obscurité. Il suivait son regard du sien sans mot dire, la laissant disséquer chaque couche de son épiderme, à la recherche de ce qui pouvait bien se lover en dessous. A son tour, il la regardait, la regardait vraiment, se détachant de sa moue boudeuse pour embrasser du bout des prunelles son teint pâle, probablement trop pâle pour être sain, même pour une native des îles sans soleil. La longueur de ses cils et les minuscules ridules aux coins de ses yeux laissant deviner qu’il fut un temps, peut être pas si lointain, où elle souriait beaucoup. Et puis, enfin, les yeux. Clairs, aussi clairs que les siens étaient sombres, grands, avec ces paupières légèrement tombantes, oh, à peine, mais puisqu’il la regardait de près, il pouvait le remarquer, donnant à l’ensemble quelque chose de gracieux et mélancolique, tout à la fois. Il ne pouvait pas nier que la demoiselle était jolie, mais la plupart des sirènes du Styx l’étaient au moins tout autant. Cela étant, elle n’avait pas l’air de sortir d’un cours quelconque, ça le changeait un peu des beautés un chouïa trop juvéniles, parfois à peine pubères, des danseuses qui officiaient sur la scène.
Quand enfin, elle rouvrit la bouche, ses réflexions prêtèrent à sourire au portoricain, qui eut au moins l’éducation de ne pas l’interrompre. Au contraire, il avait penché un peu la tête vers elle, pour mieux entendre son filet de voix par dessus la musique jazzy qui résonnait dans leurs oreilles. Comme elle, donc : seul. Dans un coin de sa tête, c’est le fou rire spontané de Magdalena qui avait jailli, et il se l’imaginait se prendre les côtes et écraser une jolie larme au coin de son œil. Seul, si seulement. La remarque sur les clients malheureux n’étaient pas dénués de poésie, mais là encore, elle lui prêtait des aspirations bien trop empathiques pour son âme détraquée. Pour les âmes errantes du Styx, il n’était pas un Charon affable, ni un Hadès malévole : tous ces gens l’indifféraient, il n’était qu’un Cerbère, bestiole à la laisse bien attachée à la jarretière de la maitresse qu’il s’était choisi, Divine Althéa aux délires de grandeur et aux jambes incendiaires, buisson ardent qui se consumait pour mieux luire et souffrir. Non, il n’était pas solitaire, pas vraiment loup non plus, c’était d’ailleurs probablement pour cela qu’ils discutaient en ce moment même, attiré irrémédiablement pas la souffrance, comme un parfum aux phéromones pour papillon de nuit désœuvré.
- De l’imagination, à n’en pas douter. J’apprécie l’analyse, ça me change des tentatives de portraits astraux des danseuses qui s’ennuient. Il paraît que le fait d’avoir Mars en Scorpion fait de moi quelqu’un assez désagréable.
Le rictus était un peu moqueur, mais pas bien méchant : il les appréciait, au moins un peu, ses pimprenelles. Il n’avait pas bien le choix de toute façon.
- J’ai alors une bonne et une mauvaise pour vous. Je commence par la bonne, je ne suis pas marié, il n’y a personne qui se languit de mon retour tout le temps que je passe ici. La mauvaise en revanche, c’est que vous avez tout faux. Je ne suis pas comme vous. Je ne le serais probablement jamais, et c’est probablement ce qui me perdra un jour…
(« bah, tu serais encore plus malheureux sans moi. Je suis la part la plus intéressante de ta personnalité ». Je n’ai jamais dit le contraire, Hermanita)
Derrière le tapis vert, le croupier toussota, discrètement, juste assez fort pour que Leo l’interroge du regard : ils étaient toujours accoudés à la table, et depuis plusieurs tours, ne pariaient sur rien. Ce n’était pas bon pour les affaires de voir le chef de la sécurité si près des jetons, et le responsable des jeux du carré ne pouvait se permettre d’avoir un épouvantail à coté alors qu’il avait tant d’oiseaux à plumer.
- A mon tour, alors ? Si cela ne vous dérange pas, je préfère m’éloigner de la table avant que ce Monsieur ne me contraigne à créer une ardoise pour la soirée.
Le croupier contint une grimace, feignant de s’interesser plutôt aux rares joueurs encore présents et concentrés : il aurait préféré perdre la totalité de sa clientèle que d’essayer de contraindre le Moreno à quoi que ce soit. Il tenait, non seulement à sa vie, mais à sa simple intégrité physique de base. Avec un demi sourire et un mouvement du bras, sans la toucher, Leo avait invité Aveleen à migrer jusqu’au bord, où deux mange-debouts esseulés les attendaient et, sur le comptoir, deux verres étaient déjà remplis. Avant même de toucher au sien, il avait repris, comme si de rien n’était.
- Vous êtes l’héritière d’une famille de sang pur très fortunée. Une enfance froide mais heureuse, juste ce qu’il faut d’obligation pour vous apprendre les bonnes manières, mais un semblant de liberté au travers des activités extra scolaires dans le domaine de l’artistique. Des études longues parce que c’est ce qu’il faut pour trouver un bon mari et faire la conversation durant les diners, mais pas trop non plus pour ne pas lui voler la vedette. Puisqu’il est mortellement ennuyeux, et probablement un amant égoiste et décevant, vous avez eu d’autres amours, mais aucun qui ne vaille le coup de tout plaquer, d’où ce sentiment de solitude terrible. Alors, quoi ? Toute jeune veuve, vous ne savez que faire de toute cette liberté retrouvée ? J’espère que l’héritage a de quoi subventionner vos soirées ici, la maison ne fait pas crédit.
Il avait tout inventé au presque, parce que pourquoi pas, à un détail près : la mort, quelque part, dans le tableau. Un mari, un proche, n’importe qui, lui avait été arraché et c’était bien ce linceul qui voilait son regard clair. Ça, il savait ce que c’était.
- Je suis désolé pour votre perte.
Quand enfin, elle rouvrit la bouche, ses réflexions prêtèrent à sourire au portoricain, qui eut au moins l’éducation de ne pas l’interrompre. Au contraire, il avait penché un peu la tête vers elle, pour mieux entendre son filet de voix par dessus la musique jazzy qui résonnait dans leurs oreilles. Comme elle, donc : seul. Dans un coin de sa tête, c’est le fou rire spontané de Magdalena qui avait jailli, et il se l’imaginait se prendre les côtes et écraser une jolie larme au coin de son œil. Seul, si seulement. La remarque sur les clients malheureux n’étaient pas dénués de poésie, mais là encore, elle lui prêtait des aspirations bien trop empathiques pour son âme détraquée. Pour les âmes errantes du Styx, il n’était pas un Charon affable, ni un Hadès malévole : tous ces gens l’indifféraient, il n’était qu’un Cerbère, bestiole à la laisse bien attachée à la jarretière de la maitresse qu’il s’était choisi, Divine Althéa aux délires de grandeur et aux jambes incendiaires, buisson ardent qui se consumait pour mieux luire et souffrir. Non, il n’était pas solitaire, pas vraiment loup non plus, c’était d’ailleurs probablement pour cela qu’ils discutaient en ce moment même, attiré irrémédiablement pas la souffrance, comme un parfum aux phéromones pour papillon de nuit désœuvré.
- De l’imagination, à n’en pas douter. J’apprécie l’analyse, ça me change des tentatives de portraits astraux des danseuses qui s’ennuient. Il paraît que le fait d’avoir Mars en Scorpion fait de moi quelqu’un assez désagréable.
Le rictus était un peu moqueur, mais pas bien méchant : il les appréciait, au moins un peu, ses pimprenelles. Il n’avait pas bien le choix de toute façon.
- J’ai alors une bonne et une mauvaise pour vous. Je commence par la bonne, je ne suis pas marié, il n’y a personne qui se languit de mon retour tout le temps que je passe ici. La mauvaise en revanche, c’est que vous avez tout faux. Je ne suis pas comme vous. Je ne le serais probablement jamais, et c’est probablement ce qui me perdra un jour…
(« bah, tu serais encore plus malheureux sans moi. Je suis la part la plus intéressante de ta personnalité ». Je n’ai jamais dit le contraire, Hermanita)
Derrière le tapis vert, le croupier toussota, discrètement, juste assez fort pour que Leo l’interroge du regard : ils étaient toujours accoudés à la table, et depuis plusieurs tours, ne pariaient sur rien. Ce n’était pas bon pour les affaires de voir le chef de la sécurité si près des jetons, et le responsable des jeux du carré ne pouvait se permettre d’avoir un épouvantail à coté alors qu’il avait tant d’oiseaux à plumer.
- A mon tour, alors ? Si cela ne vous dérange pas, je préfère m’éloigner de la table avant que ce Monsieur ne me contraigne à créer une ardoise pour la soirée.
Le croupier contint une grimace, feignant de s’interesser plutôt aux rares joueurs encore présents et concentrés : il aurait préféré perdre la totalité de sa clientèle que d’essayer de contraindre le Moreno à quoi que ce soit. Il tenait, non seulement à sa vie, mais à sa simple intégrité physique de base. Avec un demi sourire et un mouvement du bras, sans la toucher, Leo avait invité Aveleen à migrer jusqu’au bord, où deux mange-debouts esseulés les attendaient et, sur le comptoir, deux verres étaient déjà remplis. Avant même de toucher au sien, il avait repris, comme si de rien n’était.
- Vous êtes l’héritière d’une famille de sang pur très fortunée. Une enfance froide mais heureuse, juste ce qu’il faut d’obligation pour vous apprendre les bonnes manières, mais un semblant de liberté au travers des activités extra scolaires dans le domaine de l’artistique. Des études longues parce que c’est ce qu’il faut pour trouver un bon mari et faire la conversation durant les diners, mais pas trop non plus pour ne pas lui voler la vedette. Puisqu’il est mortellement ennuyeux, et probablement un amant égoiste et décevant, vous avez eu d’autres amours, mais aucun qui ne vaille le coup de tout plaquer, d’où ce sentiment de solitude terrible. Alors, quoi ? Toute jeune veuve, vous ne savez que faire de toute cette liberté retrouvée ? J’espère que l’héritage a de quoi subventionner vos soirées ici, la maison ne fait pas crédit.
Il avait tout inventé au presque, parce que pourquoi pas, à un détail près : la mort, quelque part, dans le tableau. Un mari, un proche, n’importe qui, lui avait été arraché et c’était bien ce linceul qui voilait son regard clair. Ça, il savait ce que c’était.
- Je suis désolé pour votre perte.
Made by Neon Demon
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Ven 8 Oct 2021 - 19:13
Il avait au moins le mérite d'être suffisamment poli au milieu de toutes ses indiscrétions et entorses à la bienséance pour la laisser terminer ses suppositions sans venir y ajouter son grain de sel. Alors, Aveleen parlait, usant et abusant d'imagination et d'un brin d'agacement afin d'essayer de satisfaire au jeu qu'il avait pourtant initié, et dont à présent il récoltait avec un insupportable sourire en coin des graines que la photographe n'avait pas semées. La récolte était donc forcément médiocre. A moins qu'elle n'ait visé juste dans son analyse et que cela soit le jeu d'acteur qui soit particulièrement bon. Il ne flancha pas une seule fois et acheva de tourner en ridicule ce qu'elle avait avancé en usant d'un humour qui lui collait aussi mal au teint que la douceur était exempte de ses yeux d'asphalte.
Ainsi, les danseuses lui prêtaient un mauvais caractère ?
Aveleen haussa ses épaules à cette mention, se retenant de sauter sur un acquiescement trop facile et qui, pourtant, lui inspirait enfin un brin de vérité. Quoi que désagréable n'était pas le mot. Contradictoire, plutôt, avec cette volonté de venir ainsi troubler l'espace vitale des gens pour ensuite demander à en devenir le centre des curiosités. Peut-être aurait-elle dû insister sur l'ennui encore plus lourdement : sinon, comment expliquer sa présence à ses côtés et cette volonté à moitié dissimulée de vouloir que l'on parle de lui tout en se targuant ensuite d'être un coffre fort dont personne n'avait la clé ? Peut-être qu'à tant fanfaronner que personne ne devinerait le fond de ses pensées, il cherchait à oublier à quel point personne n'en avait rien à faire de le percer à jour ?
Alors qu'il annonçait la bonne nouvelle de son célibat, Aveleen lui adressa un regard aussi désolé qu'elle ne l'était avant de choisir de s’intéresser à son verre plutôt qu'à son insolence. C'était un mariage beaucoup plus intéressant, du reste : le liquide ambré avait le mérite d'être limpide et de faire exactement ce à quoi l'on pouvait s'attendre d'un alcool. Ce qui faisait deux bons points là où l'inconnu continuait à enchaîner les mauvais. Ce n'était pas que Mars, qui était en Scorpion, pensa-t-elle avec humeur alors qu'il continuait à lui expliquer là où elle s'était trompé tel le professeur fier de manier le stylo rouge jusqu'à rougir toutes les marges de la copie. Non, c'était toutes les planètes, les lunes, les satellites et même les astéroïdes composant sa ceinture, qui se trouvaient en scorpion.
Désagréable était un euphémisme.
-- A mon tour, alors ? suggéra-t-il.
Aveleen nicha son petit menton dans sa main, coude sur la table et poignet rompu vers sa tête, appliquant son verre sur son front pour s'apporter un peu de fraicheur supplémentaire, comme si elle cherchait à combattre une migraine. Il fallait dire qu'il constituait une tumeur particulièrement agaçante, comme une sorte de caillou dans sa chaussure dont elle ne pouvait pas se débarrasser et qui n'avait de cesse de rouler sous son talon. Elle haussa les épaules. Qu'il fasse donc, elle avait hâte qu'Akinator ne fasse des miracles.
Devine pourquoi je joue et tu devineras les échecs de ma vie était un vieil adage dont elle finissait par avoir l'habitude.
Mais, alors qu'elle plongeait dans les yeux de son vis-à-vis, qui suggérait qu'ils ne bougent, elle songea malgré elle que l'iceberg qui se nichait au fond des iris bruns exaltait d'un froid polaire suffisant pour rafraichir toute l'assemblée. Quoi qu'il soit, il était une tumeur maligne particulièrement agressive dont Aveleen saisissait soudain le danger, comme n'importe quel mammifère doté d'un cerveau reptilien pouvait le faire. Mais l'alcool l'ayant rendue plus insolente que méfiante, la photographe ouvrit la bouche et conjugua son agacement bien avant d'avoir correctement analysée la crainte sous-jacente :
-- Oh, je pensais que vous aviez suffisamment d'importance dans votre lieu de travail pour que l'on vous fasse grâce d'une ardoise, fit-elle remarquer, feignant une déception qui n'en était pas une. Comme quoi, je me suis vraiment trompée sur toute la ligne, souffla-t-elle en lui emboitant le pas, évoluant sur ses talons hauts avec aisance.
Ainsi, le loup travaillait ici mais n'était peut-être qu'une brebis parmi les autres, qu'un croupier tout en bas de la chaîne alimentaire pouvait contraindre à suivre le troupeau d'un simple regard. Sur ce point,elle aurait pourtant supposé qu'il était aussi important que suffisant - et ça faisait beaucoup d'importance. Et pourtant, il y avait ce quelque chose, cette aura qui émanait de lui et qui faisait frémir les fins cheveux sur sa nuque blonde, quelque chose d'inexplicable et dont elle ne pouvait se défaire. Un peu comme la sensation d'être épiée par dessus l'épaule sans réussir, en se retournant, à croiser le regard de l'importun. Et alors qu'il reprenait la parole, Aveleen se surprit à resserrer ses petits doigts autour de son verre, comme par crainte qu'il ne soit capable de lire au fond de son âme, piétinant des portes fermées à double tour sans se préoccuper d'arriver en terrain gardé. Quoi qu'elle ait pu penser, elle restait persuadée qu'il était un loup et non une brebis perdue au milieu du Styx.
Aveleen sentie un nœud se former dans son ventre alors qu'elle retenait sa respiration. Il lui fallu plusieurs phrases pour réussir à se détendre, puis plusieurs secondes supplémentaires pour se gifler intérieurement d'avoir autant craint d'un inconnu et de lui avoir prêté autant d'importance. Un sourire regagna son visage, puis ses yeux, s'étalant comme le soleil réapparaissant après une longue nuit. Il avait tout faux, et Aveleen exaltait déjà de lui renvoyer ses propres phrases au visage, cherchant déjà la meilleure façon de détourner ses mots pour les faire sien.
Aussi, lorsqu'il asséna la dernière phrase, ses défenses s'étaient bien trop abaissées pour qu'elle ne réussisse à redresser à temps les barricades.
-- Je suis désolé pour votre perte.
Prise au dépourvu, l'Irlandaise se décomposa, comme des flocons de neige fondant au soleil. Sa bouche s'ouvrit un instant et elle détourna les yeux : les mots avaient agis comme des flèches parfaitement aiguisées touchant des cibles trop à découverts. Elle avala péniblement, sa salive. Elle était tombée dans le panneau tellement de fois ces derniers temps qu'elle n'en revenait pas de se faire encore avoir de la sorte, et d'autant plus par un inconnu. Ses mains s'agitèrent autours de son verre, cherchant une emprise palpable à une perte d'équilibre. Mentir n'était pas envisageable : son visage avait été un livre ouvert, et même un aveugle aurait pu percevoir que les mots avaient fait mouche, tant la respiration de l'Irlandaise avait eu des ratés. C'était sûrement le moment de lui clouer le bec, de mettre fin à cette conversation qu'elle n'avait pas initiée, à cette intrusion qui n'avait pas plus de sens que de bénéfice. Elle avait à disposition tout un panel de banalité : on ne se connait pas, c'est gentils mais je vais y aller, au revoir, aller vous faire foutre... Du poli et du moins conventionnel, du préconçu et de l'indémodable, le genre de phrase bateau qui se place partout lorsque l'on a besoin de faire fuir.
Mais Aveleen ne disait rien.
Malgré ses efforts des derniers temps, elle avait l'impression de faire du surplace. Comme si la réalité pouvait imploser à tout moment, la dénicher dans le moindre instant de réconfort, toujours tapie dans l'ombre. Comme avec lui. Au fil des jours, elle avait pourtant cru qu'il serait plus facile de surmonter les rappels constant de ce qui n'était plus. Qu'elle serait capable de parler de son amie et de son décès sans que cela ne lui donne sans cesse l'impression qu'elle allait se déliter dans un courant d'air. Mais, comme à chaque fois que cela se rappelait de manière aussi tangible à elle, elle avait envie d'hurler. Et de constater qu'un parfait étranger pouvait à se point percevoir la souffrance en elle constituait un terrible échec, dont Aveleen tâchait à présent d'en ravaler l'amertume.
Il était hors de question qu'elle lui offre plus de vulnérabilité.
Elle tourna donc la tête et affronta son regard, s'attendant déjà à y lire toute la satisfaction d'une énigme résolue avec brio.
-- C'est gentils, articula-t-elle donc, polie jusqu'au bout de ses ongles qu'elle se retenait de venir porter à sa bouche.
Et puis, parce que l'honnêteté était toujours un manteau qui habillait plus convenablement que le mensonge, Aveleen rétablie la seule chose qui lui importait. Elle faisait beaucoup d'erreur, ces derniers temps, mais pas celle de faire comme si son amie n'existait pas.
-- Ce n'était pas mon mari. Il s'agissait de ma meilleure amie, précisa-t-elle en soutenant son regard avec toute la dignité dont elle était capable.
Sa voix avait au moins eu la délicatesse de ne presque pas flancher.
-- Mais merci, je me sens beaucoup plus distraite à présent, fit-elle remarquer simplement, en référence à la proposition initiale à l'origine de cette intrusion. J'espère en revanche que la maison vous fait crédit de de la délicatesse envers les clients, sinon vous risquez de vous endetter pour plusieurs vies, lança-t-elle ensuite, les yeux perdus dans le vague, quelque part au milieu de nulle part.
Elle refluait, du mieux qu'elle le pouvait, l'imbroglio de ses émotions qui se bousculaient à l'intérieur de sa tête.
-- Nous sommes dans un casino, j'imagine que la victoire vous donne droit à une récompense. Alors, que me voulez-vous ? demanda-t-elle finalement.
@Leonardo Moreno
Ainsi, les danseuses lui prêtaient un mauvais caractère ?
Aveleen haussa ses épaules à cette mention, se retenant de sauter sur un acquiescement trop facile et qui, pourtant, lui inspirait enfin un brin de vérité. Quoi que désagréable n'était pas le mot. Contradictoire, plutôt, avec cette volonté de venir ainsi troubler l'espace vitale des gens pour ensuite demander à en devenir le centre des curiosités. Peut-être aurait-elle dû insister sur l'ennui encore plus lourdement : sinon, comment expliquer sa présence à ses côtés et cette volonté à moitié dissimulée de vouloir que l'on parle de lui tout en se targuant ensuite d'être un coffre fort dont personne n'avait la clé ? Peut-être qu'à tant fanfaronner que personne ne devinerait le fond de ses pensées, il cherchait à oublier à quel point personne n'en avait rien à faire de le percer à jour ?
Alors qu'il annonçait la bonne nouvelle de son célibat, Aveleen lui adressa un regard aussi désolé qu'elle ne l'était avant de choisir de s’intéresser à son verre plutôt qu'à son insolence. C'était un mariage beaucoup plus intéressant, du reste : le liquide ambré avait le mérite d'être limpide et de faire exactement ce à quoi l'on pouvait s'attendre d'un alcool. Ce qui faisait deux bons points là où l'inconnu continuait à enchaîner les mauvais. Ce n'était pas que Mars, qui était en Scorpion, pensa-t-elle avec humeur alors qu'il continuait à lui expliquer là où elle s'était trompé tel le professeur fier de manier le stylo rouge jusqu'à rougir toutes les marges de la copie. Non, c'était toutes les planètes, les lunes, les satellites et même les astéroïdes composant sa ceinture, qui se trouvaient en scorpion.
Désagréable était un euphémisme.
-- A mon tour, alors ? suggéra-t-il.
Aveleen nicha son petit menton dans sa main, coude sur la table et poignet rompu vers sa tête, appliquant son verre sur son front pour s'apporter un peu de fraicheur supplémentaire, comme si elle cherchait à combattre une migraine. Il fallait dire qu'il constituait une tumeur particulièrement agaçante, comme une sorte de caillou dans sa chaussure dont elle ne pouvait pas se débarrasser et qui n'avait de cesse de rouler sous son talon. Elle haussa les épaules. Qu'il fasse donc, elle avait hâte qu'Akinator ne fasse des miracles.
Devine pourquoi je joue et tu devineras les échecs de ma vie était un vieil adage dont elle finissait par avoir l'habitude.
Mais, alors qu'elle plongeait dans les yeux de son vis-à-vis, qui suggérait qu'ils ne bougent, elle songea malgré elle que l'iceberg qui se nichait au fond des iris bruns exaltait d'un froid polaire suffisant pour rafraichir toute l'assemblée. Quoi qu'il soit, il était une tumeur maligne particulièrement agressive dont Aveleen saisissait soudain le danger, comme n'importe quel mammifère doté d'un cerveau reptilien pouvait le faire. Mais l'alcool l'ayant rendue plus insolente que méfiante, la photographe ouvrit la bouche et conjugua son agacement bien avant d'avoir correctement analysée la crainte sous-jacente :
-- Oh, je pensais que vous aviez suffisamment d'importance dans votre lieu de travail pour que l'on vous fasse grâce d'une ardoise, fit-elle remarquer, feignant une déception qui n'en était pas une. Comme quoi, je me suis vraiment trompée sur toute la ligne, souffla-t-elle en lui emboitant le pas, évoluant sur ses talons hauts avec aisance.
Ainsi, le loup travaillait ici mais n'était peut-être qu'une brebis parmi les autres, qu'un croupier tout en bas de la chaîne alimentaire pouvait contraindre à suivre le troupeau d'un simple regard. Sur ce point,elle aurait pourtant supposé qu'il était aussi important que suffisant - et ça faisait beaucoup d'importance. Et pourtant, il y avait ce quelque chose, cette aura qui émanait de lui et qui faisait frémir les fins cheveux sur sa nuque blonde, quelque chose d'inexplicable et dont elle ne pouvait se défaire. Un peu comme la sensation d'être épiée par dessus l'épaule sans réussir, en se retournant, à croiser le regard de l'importun. Et alors qu'il reprenait la parole, Aveleen se surprit à resserrer ses petits doigts autour de son verre, comme par crainte qu'il ne soit capable de lire au fond de son âme, piétinant des portes fermées à double tour sans se préoccuper d'arriver en terrain gardé. Quoi qu'elle ait pu penser, elle restait persuadée qu'il était un loup et non une brebis perdue au milieu du Styx.
Aveleen sentie un nœud se former dans son ventre alors qu'elle retenait sa respiration. Il lui fallu plusieurs phrases pour réussir à se détendre, puis plusieurs secondes supplémentaires pour se gifler intérieurement d'avoir autant craint d'un inconnu et de lui avoir prêté autant d'importance. Un sourire regagna son visage, puis ses yeux, s'étalant comme le soleil réapparaissant après une longue nuit. Il avait tout faux, et Aveleen exaltait déjà de lui renvoyer ses propres phrases au visage, cherchant déjà la meilleure façon de détourner ses mots pour les faire sien.
Aussi, lorsqu'il asséna la dernière phrase, ses défenses s'étaient bien trop abaissées pour qu'elle ne réussisse à redresser à temps les barricades.
-- Je suis désolé pour votre perte.
Prise au dépourvu, l'Irlandaise se décomposa, comme des flocons de neige fondant au soleil. Sa bouche s'ouvrit un instant et elle détourna les yeux : les mots avaient agis comme des flèches parfaitement aiguisées touchant des cibles trop à découverts. Elle avala péniblement, sa salive. Elle était tombée dans le panneau tellement de fois ces derniers temps qu'elle n'en revenait pas de se faire encore avoir de la sorte, et d'autant plus par un inconnu. Ses mains s'agitèrent autours de son verre, cherchant une emprise palpable à une perte d'équilibre. Mentir n'était pas envisageable : son visage avait été un livre ouvert, et même un aveugle aurait pu percevoir que les mots avaient fait mouche, tant la respiration de l'Irlandaise avait eu des ratés. C'était sûrement le moment de lui clouer le bec, de mettre fin à cette conversation qu'elle n'avait pas initiée, à cette intrusion qui n'avait pas plus de sens que de bénéfice. Elle avait à disposition tout un panel de banalité : on ne se connait pas, c'est gentils mais je vais y aller, au revoir, aller vous faire foutre... Du poli et du moins conventionnel, du préconçu et de l'indémodable, le genre de phrase bateau qui se place partout lorsque l'on a besoin de faire fuir.
Mais Aveleen ne disait rien.
Malgré ses efforts des derniers temps, elle avait l'impression de faire du surplace. Comme si la réalité pouvait imploser à tout moment, la dénicher dans le moindre instant de réconfort, toujours tapie dans l'ombre. Comme avec lui. Au fil des jours, elle avait pourtant cru qu'il serait plus facile de surmonter les rappels constant de ce qui n'était plus. Qu'elle serait capable de parler de son amie et de son décès sans que cela ne lui donne sans cesse l'impression qu'elle allait se déliter dans un courant d'air. Mais, comme à chaque fois que cela se rappelait de manière aussi tangible à elle, elle avait envie d'hurler. Et de constater qu'un parfait étranger pouvait à se point percevoir la souffrance en elle constituait un terrible échec, dont Aveleen tâchait à présent d'en ravaler l'amertume.
Il était hors de question qu'elle lui offre plus de vulnérabilité.
Elle tourna donc la tête et affronta son regard, s'attendant déjà à y lire toute la satisfaction d'une énigme résolue avec brio.
-- C'est gentils, articula-t-elle donc, polie jusqu'au bout de ses ongles qu'elle se retenait de venir porter à sa bouche.
Et puis, parce que l'honnêteté était toujours un manteau qui habillait plus convenablement que le mensonge, Aveleen rétablie la seule chose qui lui importait. Elle faisait beaucoup d'erreur, ces derniers temps, mais pas celle de faire comme si son amie n'existait pas.
-- Ce n'était pas mon mari. Il s'agissait de ma meilleure amie, précisa-t-elle en soutenant son regard avec toute la dignité dont elle était capable.
Sa voix avait au moins eu la délicatesse de ne presque pas flancher.
-- Mais merci, je me sens beaucoup plus distraite à présent, fit-elle remarquer simplement, en référence à la proposition initiale à l'origine de cette intrusion. J'espère en revanche que la maison vous fait crédit de de la délicatesse envers les clients, sinon vous risquez de vous endetter pour plusieurs vies, lança-t-elle ensuite, les yeux perdus dans le vague, quelque part au milieu de nulle part.
Elle refluait, du mieux qu'elle le pouvait, l'imbroglio de ses émotions qui se bousculaient à l'intérieur de sa tête.
-- Nous sommes dans un casino, j'imagine que la victoire vous donne droit à une récompense. Alors, que me voulez-vous ? demanda-t-elle finalement.
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Sam 23 Oct 2021 - 15:44
feat Aveleen
L’inconnue paraissait presque désappointée qu’il ne soit en mesure de jouer les grands princes pour elle ce soir. Il aurait pu, en réalité, mais le vouloir, ça c’était une autre chose. Et puis s’il y avait bien des choses dans lesquelles il se faisait économe, l’esbroufe en faisait partie. Il n’était pas escogriffe à s’ébrouer le plumage pour la première aurore de la nuit, et si c’était cela qu’elle cherchait, et bien tant pis. Alors il s’était contenté d’hausser les épaules, un peu, et de leur commander deux verres. La suite, en revanche, s’était faite plus inédite : il devina qu’il avait touché juste, avec cette perte, ce deuil sur lequel il avait appuyé de cette rhétorique fallacieuse, fantaisiste, qui n’avait pour but réel et inavoué que de mener aux quelques mots de la conclusion. Il dévora son expression hagarde, caressant du bout des cils l’écarquillement de ses yeux, le « O » parfait de sa bouche aux lèvres ourlées, qui s’était formé le temps d’une demi second, avant qu’elle ne se détourne, coupable d’un abandon de pudeur soudain. Elle s’était détournée bien vite, mais il avait eu le temps de saisir mille et unes émotions, et au moins autant de questions, dans ces prunelles couleur d’orage. Rien que pour cela, il n’avait pas perdu sa soirée.
Une meilleure amie, donc. Une âme jumelle. Une Presque Sœur. La perte d’une sœur de lait, c’était aussi douloureux que celle d’une sœur e sang, il n’en doutait pas une seule seconde. Ils n’étaient pas nombreux, les êtres vivants qui ne faisaient pas que passer dans une vie, mais qui la marquait au fer, tatouant le cuir et le cœur de leur empreinte sans douleur. Jusqu’à ce que le fer se retire, et ne nous tienne plus jamais chaud. Les amours passent, souvent. Les haines également, parait il. Mais la famille, celle que l’on cherit, celle que l’on se choisit, naturellement ou non, c’était autre chose. Les époux se jurent fidélité jusqu’à la mort. En amitié, point de serment solennel, jamais. Il n’y en a pas besoin, puisque l’on Sait. Les preuves, ce n’est rien que pour ceux qui doutent.
( « c’est pour ça que ça fait si mal, quand un meilleur ami nous trahit ? » Il y a même un mot, pour ça, Magda. Fratricide. Et c’est pire encore, quand un Frère vous prive d’une Sœur…)
A la remarque acerbe, il offrit un rictus abscons, et un mouvement de main proche de la courbette.
- Le plaisir est pour moi. Pour ce qui est de la délicatesse, il y a les aigrefins de tapis vert et les sirènes de la scène qui s’en chargent très bien, je ne suis qu’un modeste gardien de… L’intégrité physique de nos résidents. Pour ce qui est de l’émotionnel, je ne pourrais rien pour vous. Quant à la morale, n’en parlons même pas.
La trompette termina son pont musical en arrière plan de la conversation, comme un éclat de rire qui ne sortit pas de la gorge du sorcier. Il se pencha un peu pour qu’elle relève les yeux vers lui. Il n’avait pas songé un à gage, il n’avait jamais été très bon pour en trouver. C’était Magdalena, la créative des deux. Elle qui s’imaginait des mondes avec des cailloux et des bouts de bois, des personnages fabuleux à partir de bouts de chiffon ensorcelés. Il avait toujours cru qu’elle était la tête, et lui les jambes. Ce n’était pas tout à fait le cas. Elle n’était pas la tête. Elle était l’âme.
- Votre prénom, si vous voulez bien. Souffla t’il doucement.
Il y avait des choses bien plus précieuses que les services marchands ou charnels, dans les entrailles du Styx. Parmi eux, les secrets, du plus banal au plus intime. Dans les dédales où chacun portaient un masque, sur son visage, sur son identité, un prénom était la toute première clé, précieuse, pour entrer dans l’anti-chambre des révélations. Certains clients le balançaient vulgairement, comme une carte de visite. D’autres le dissimulaient comme le plus grand des trésors, pour des raisons qui n’appartenaient qu’à Eux. A quel groupe appartiendrait l’inconnue du soir ?
- J’ai perdu ma petite sœur, l’année dernière. Cela fera un an quand nous aurons passé six heures du matin. Elle n’a pas pu voir le jour se lever, le six juillet dernier.
Elle avait fait l’effort de le distraire, lui, consciemment ou non. Il pouvait bien lui faire grâce d’un peu de compassion et de compréhension, puisqu’ils étaient enveloppés du même linceul, dont l’étoffe moiré dans les yeux avait attiré son propre regard. Les gens comme nous s’attirent, invariablement, songea le sorcier en reprenant une gorgée de boisson, alors que du coin de l’œil, il croyait apercevoir la silhouette gracile de Magda bouger en rythme parmi les autres danseuses. C’était là où elle aurait du se trouver, à fêter la réussite de ses examens, et non six pieds sous terre, au dessous d’une tombe désincarnée, dans un cimetière de l’île de son enfance.
Une meilleure amie, donc. Une âme jumelle. Une Presque Sœur. La perte d’une sœur de lait, c’était aussi douloureux que celle d’une sœur e sang, il n’en doutait pas une seule seconde. Ils n’étaient pas nombreux, les êtres vivants qui ne faisaient pas que passer dans une vie, mais qui la marquait au fer, tatouant le cuir et le cœur de leur empreinte sans douleur. Jusqu’à ce que le fer se retire, et ne nous tienne plus jamais chaud. Les amours passent, souvent. Les haines également, parait il. Mais la famille, celle que l’on cherit, celle que l’on se choisit, naturellement ou non, c’était autre chose. Les époux se jurent fidélité jusqu’à la mort. En amitié, point de serment solennel, jamais. Il n’y en a pas besoin, puisque l’on Sait. Les preuves, ce n’est rien que pour ceux qui doutent.
( « c’est pour ça que ça fait si mal, quand un meilleur ami nous trahit ? » Il y a même un mot, pour ça, Magda. Fratricide. Et c’est pire encore, quand un Frère vous prive d’une Sœur…)
A la remarque acerbe, il offrit un rictus abscons, et un mouvement de main proche de la courbette.
- Le plaisir est pour moi. Pour ce qui est de la délicatesse, il y a les aigrefins de tapis vert et les sirènes de la scène qui s’en chargent très bien, je ne suis qu’un modeste gardien de… L’intégrité physique de nos résidents. Pour ce qui est de l’émotionnel, je ne pourrais rien pour vous. Quant à la morale, n’en parlons même pas.
La trompette termina son pont musical en arrière plan de la conversation, comme un éclat de rire qui ne sortit pas de la gorge du sorcier. Il se pencha un peu pour qu’elle relève les yeux vers lui. Il n’avait pas songé un à gage, il n’avait jamais été très bon pour en trouver. C’était Magdalena, la créative des deux. Elle qui s’imaginait des mondes avec des cailloux et des bouts de bois, des personnages fabuleux à partir de bouts de chiffon ensorcelés. Il avait toujours cru qu’elle était la tête, et lui les jambes. Ce n’était pas tout à fait le cas. Elle n’était pas la tête. Elle était l’âme.
- Votre prénom, si vous voulez bien. Souffla t’il doucement.
Il y avait des choses bien plus précieuses que les services marchands ou charnels, dans les entrailles du Styx. Parmi eux, les secrets, du plus banal au plus intime. Dans les dédales où chacun portaient un masque, sur son visage, sur son identité, un prénom était la toute première clé, précieuse, pour entrer dans l’anti-chambre des révélations. Certains clients le balançaient vulgairement, comme une carte de visite. D’autres le dissimulaient comme le plus grand des trésors, pour des raisons qui n’appartenaient qu’à Eux. A quel groupe appartiendrait l’inconnue du soir ?
- J’ai perdu ma petite sœur, l’année dernière. Cela fera un an quand nous aurons passé six heures du matin. Elle n’a pas pu voir le jour se lever, le six juillet dernier.
Elle avait fait l’effort de le distraire, lui, consciemment ou non. Il pouvait bien lui faire grâce d’un peu de compassion et de compréhension, puisqu’ils étaient enveloppés du même linceul, dont l’étoffe moiré dans les yeux avait attiré son propre regard. Les gens comme nous s’attirent, invariablement, songea le sorcier en reprenant une gorgée de boisson, alors que du coin de l’œil, il croyait apercevoir la silhouette gracile de Magda bouger en rythme parmi les autres danseuses. C’était là où elle aurait du se trouver, à fêter la réussite de ses examens, et non six pieds sous terre, au dessous d’une tombe désincarnée, dans un cimetière de l’île de son enfance.
Made by Neon Demon
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Dim 12 Déc 2021 - 21:37
Qu'il ne veuille pas parler de morale, Aveleen était tout à fait disposée à le croire sur parole. Rien, dans sa façon de s'adresser à elle depuis le début de la soirée n'avait ne serait-ce que suivi les principes même de la politesse élémentaire, alors de là à lui prêter un sens de la morale il y avait en effet de quoi être purement et simplement dubitative. D'un hochement de tête aussi vague que son esprit ne s'était égaré dans les confits sombres dans lesquelles elle s'embourbait dès qu'il était question de parler de Marie, la photographe lui signifia une déception surjouée. Pour être déçue, encore aurait-il fallu posséder des attentes et envers cet individu qui avait surgi à ses côtés sans crier gare et semblait y trouver une distraction motivant de s'y accrocher, Aveleen n'en possédait pas. Il maniait les mots avec une précision toute chirurgicale, s'entourant de tout un éventail de qualificatifs pour le moins paradoxal. Comme s'il y avait de la fierté à se montrer indélicat, de l'honneur à se garder d'être émotif et beaucoup de satisfaction à ainsi évincer des qualités morales. Pour se décrire ainsi, avec ce ton laconique, il fallait aimait la solitude au point où l'on venait à aduler que personne ne puisse vraiment nous apprécier.
Il y avait sûrement tout un monde de complexité à découvrir chez quelqu'un de la sorte, des tenants et des aboutissants à décortiquer jusqu'à la moelle, une histoire de vie tragique à mettre en lumière pour comprendre pourquoi un cœur avait pu s'assécher de la sorte. Remonter, goutte à goutte, jusqu'à la source qui avait dû se tarir à un moment précis, que cela soit dans l'enfance ou bien quelques années avant, comprendre comment il était devenu un désert aussi inhospitalier. Grain de sable par grain de sable. C'était toujours des histoires passionnantes, le genre d'épisode qui avait le don de lui donner envie de chercher, creusant toutes les sous-couches d'une carapace qui possédait toujours un point plus fragile et qui contenait à presque tous les coups quelque choses de rares et de précieux. Il était typiquement le genre de personnalité qu'une Aveleen plus entreprenante aurait voulu suivre en tapinois, jusqu'à réussir à lui arracher un cliché faisant aveu de faiblesse tout autant que de beauté, car c'était dans les secrets les mieux gardés des caractères contradictoires que la photographe aimer se nicher en pie voleuse.
Mais c'était lui, le voleur, en cette soirée. Ou peut-être avait-elle trop relâché ses défenses et était-elle devenue un territoire facile à piller, un livre ouvert sur un chapitre de tristesse sur lequel l'inconnu avait posé les yeux et dont il ne voulait plus en lâcher la lecture. Comme tout bon pilleur de tombe, il était à l'affut de ses secrets et chérissait de trouver un trésor, aussi ne se fit-il pas prier en réclamant son dû, faisant fi de son hostilité comme il faisait fi de tout le reste. Pour peu que la conversation continue, cela semblait lui convenir. Étrange, comme il adorait se décrire détestable mais persistait ainsi à vouloir créer du lien là où elle n'en voulait pas. Peut-être était-ce l'énervement, qu'il cherchait, ou bien qu'on le rejetât. Ses yeux clairs firent la navette vers son teint d'olive, remontant le long de l'arrête fine de son nez jusqu'à venir nicher un regard d'opale au fond de ses iris chocolat.
Il l'ennuyait à ne pas partir après avoir mis tant de soin à se montrer aussi détestable à coup de mot velouté, incisif même dans les inflexions faussement chaleureuses de sa voix. Il l'ennuyait, oui, avec ses yeux insistants et ses tâtonnements qui allaient finir par se rapprocher de ce qu'elle taisait depuis des mois. Il l'ennuyait, lui qu'elle ne connaissait pas et qui cherchait à la comprendre sans même s'embarrasser de prendre des gants. Oh oui, il l'ennuyait. Il était comme un petit caillou dans le fond de ses escarpins dont elle avait l'intuition qu'elle ne pourrait pas se débarrasser tout en restant ici, comme l'on ne retirait pas ses chaussures en plein milieu d'une réception. C'était pourtant de cette façon-là qu'il convenait de se débarrasser d'un tel intrus : on arrêtait de juste essayer de le confondre dans un coin et l'on en était rendu à carrément retirer la chaussure puis à secouer le tout pour qu'il tombe ailleurs. Peut-être que c'était ça : elle n'avait qu'à se lever, régler sa commande et partir en le plantant ici, laissant par la même occasion sa question en suspends sans lui donner la satisfaction d'y répondre. Mais il y avait de l'insolence dans sa façon de chercher son regard et cette insolence agaçait la photographe peut-être encore plus que tout le reste. Parfois, il fallait attendre de pouvoir retirer le caillou de sa chaussure de façon discrète et digne.
Et puis, elle n'aimait pas fuir, aussi agaçant soit-il. Aussi, ne détourna-t-elle pas les yeux lorsqu'il chercha une nouvelle fois son regard. Elle pencha la tête sur le côté, avisant le noyau noisette de ses yeux, songeant que les légères nuances dorées étaient comme de petites lueurs de bonté dans un océan de noirceur, prêtes à se faire engloutir à la prochaine tempête.
-- Aveleen, finit-elle par répondre pour justifier une si longue observation de son visage.
Presque aussitôt, elle regretta son aveu, comme si l'idée que ses lèvres ne prononce ensuite son prénom dans le sursaut d'une intimité qu'ils ne partageaient pas lui était dérangeant. Considérant qu'il était une des rares personnes à qui elle avait confié - comprenez : une des rares personnes qui avait réussi à lui arracher - la raison de sa tristesse, l'Irlandaise commençait à trouver cette conversation de plus en plus profonde. Trop, peut-être, pour une discussion amorcée sur d'aussi mauvaises bases et poursuivit pour d'aussi mauvaises raisons. Ils semblaient presque aussi orgueilleux l'un que l'autre et il n'y avait rien de bon dans ce genre de jeu où tous les coups bas semblaient permis. Hormis, peut-être, cette fameuse distraction qu'ils étaient venus chercher tous les deux et qui semblaient peu à peu converger vers la recherche du malheur d'autrui. Faire mal à quelqu'un d'autres était une manière efficace, mais bien peu convenable, de se détourner de son propre mal-être.
Elle fut surprise lorsque, dans cette partie d'échec qu'il avait entrepris, il lui sacrifia un pion sans qu'elle ne l'ait demandé.
-- J’ai perdu ma petite sœur, l’année dernière. Cela fera un an quand nous aurons passé six heures du matin. Elle n’a pas pu voir le jour se lever, le six juillet dernier.
Il venait de lui offrir les clés du désert et, pourtant, elle n'en ressenti aucune satisfaction particulière. Pas même le réconfort de savoir qu'une même douleur avait asséché leurs pensées respectives. Elle repensa aux grains d'or dans ses yeux qui semblaient se noyer, se demandant si les mêmes perles de givres se diluaient dans l'océan des siens. Un bref instant, Aveleen fut terrifiée qu'il l'ait choisi dans cette assemblée comme l'on choisit un miroir pour essayer de mieux se comprendre. Terrifiée à l'idée de lentement muter en ces êtres si particuliers qui marchent avec des yeux pleins de fantôme, ces êtres à qui l'on avait volé le soleil et qui arpentait le reste de leur existence avec ce quelque chose de gelé à la place des émotions.
Elle lui épargna les phrases condescendantes habituelles, les désolations à n'en plus finir et les excuses dépourvues de sens qui faisaient gage de politesse. Ce genre de phrases toutes faites qui glissent sans accroches, parce que les gens sont si mal à l'aise avec les défunts qu'ils se gardent bien de vouloir trop s'y attarder. Les "Je suis désolé" avaient le goût insipide des " Je ne sais pas quoi dire " et comme il n'y avait pas plus à dire qu'à être désolé, Aveleen se contenta de venir jouer avec l'une de ses bagues. Lentement, elle fit tourner le petit anneau d'or, une bague sans fioritures ni particularités qu'elle avait récupéré chez Marie et qu'elle ne quittait plus.
C'était ça, le plus dur. L'absence. L'absence de perspective, comme ce jour qui ne se lèverait jamais passé six heures du matin pour sa petite sœur. Et que chacun continuait à faire grandir en se gardant bien d'en aborder le sujet, comme s'il ne fallait pas venir soulever trop de souvenirs de peur qu'ils ne deviennent des petites bombes prêtent à faire imploser les survivants. C'était la pire erreur : éviter les souvenirs, comme si se rappeler était un crime et qu'y participer relevait de l'affront.
Ne pas en parler, c'était comme accepter que l'autre ne s'efface.
-- Quel est son nom ? Souffla Aveleen en tendant ses doigts fins vers la bouteille qui trônait encore entre eux.
Premier pas d'une paix tacite.
Elle avait conjugué au présent, volontairement, parce que conjuguer les noms des défunts au passé lui avait toujours paru être une négation de leur existence. Et comment pouvait-on nier quelque chose qui faisait autant mal encore à l'heure actuelle ?
Elle remplie leurs deux verres de façon équivalente, songeant avec poésie aux deux coupes pleines à égalité d'un même chagrin, avant de pousser d'un doigt l'une d'elle vers l'homme. De façon curieuse, elle n'avait plus très envie de se débarrasser du caillou.
-- Vous voulez bien me parler d'elle ? Dit-elle alors simplement, replaçant une mèche blonde le long de son oreille avant de venir de nouveau chercher son regard.
@Leonardo Moreno
Il y avait sûrement tout un monde de complexité à découvrir chez quelqu'un de la sorte, des tenants et des aboutissants à décortiquer jusqu'à la moelle, une histoire de vie tragique à mettre en lumière pour comprendre pourquoi un cœur avait pu s'assécher de la sorte. Remonter, goutte à goutte, jusqu'à la source qui avait dû se tarir à un moment précis, que cela soit dans l'enfance ou bien quelques années avant, comprendre comment il était devenu un désert aussi inhospitalier. Grain de sable par grain de sable. C'était toujours des histoires passionnantes, le genre d'épisode qui avait le don de lui donner envie de chercher, creusant toutes les sous-couches d'une carapace qui possédait toujours un point plus fragile et qui contenait à presque tous les coups quelque choses de rares et de précieux. Il était typiquement le genre de personnalité qu'une Aveleen plus entreprenante aurait voulu suivre en tapinois, jusqu'à réussir à lui arracher un cliché faisant aveu de faiblesse tout autant que de beauté, car c'était dans les secrets les mieux gardés des caractères contradictoires que la photographe aimer se nicher en pie voleuse.
Mais c'était lui, le voleur, en cette soirée. Ou peut-être avait-elle trop relâché ses défenses et était-elle devenue un territoire facile à piller, un livre ouvert sur un chapitre de tristesse sur lequel l'inconnu avait posé les yeux et dont il ne voulait plus en lâcher la lecture. Comme tout bon pilleur de tombe, il était à l'affut de ses secrets et chérissait de trouver un trésor, aussi ne se fit-il pas prier en réclamant son dû, faisant fi de son hostilité comme il faisait fi de tout le reste. Pour peu que la conversation continue, cela semblait lui convenir. Étrange, comme il adorait se décrire détestable mais persistait ainsi à vouloir créer du lien là où elle n'en voulait pas. Peut-être était-ce l'énervement, qu'il cherchait, ou bien qu'on le rejetât. Ses yeux clairs firent la navette vers son teint d'olive, remontant le long de l'arrête fine de son nez jusqu'à venir nicher un regard d'opale au fond de ses iris chocolat.
Il l'ennuyait à ne pas partir après avoir mis tant de soin à se montrer aussi détestable à coup de mot velouté, incisif même dans les inflexions faussement chaleureuses de sa voix. Il l'ennuyait, oui, avec ses yeux insistants et ses tâtonnements qui allaient finir par se rapprocher de ce qu'elle taisait depuis des mois. Il l'ennuyait, lui qu'elle ne connaissait pas et qui cherchait à la comprendre sans même s'embarrasser de prendre des gants. Oh oui, il l'ennuyait. Il était comme un petit caillou dans le fond de ses escarpins dont elle avait l'intuition qu'elle ne pourrait pas se débarrasser tout en restant ici, comme l'on ne retirait pas ses chaussures en plein milieu d'une réception. C'était pourtant de cette façon-là qu'il convenait de se débarrasser d'un tel intrus : on arrêtait de juste essayer de le confondre dans un coin et l'on en était rendu à carrément retirer la chaussure puis à secouer le tout pour qu'il tombe ailleurs. Peut-être que c'était ça : elle n'avait qu'à se lever, régler sa commande et partir en le plantant ici, laissant par la même occasion sa question en suspends sans lui donner la satisfaction d'y répondre. Mais il y avait de l'insolence dans sa façon de chercher son regard et cette insolence agaçait la photographe peut-être encore plus que tout le reste. Parfois, il fallait attendre de pouvoir retirer le caillou de sa chaussure de façon discrète et digne.
Et puis, elle n'aimait pas fuir, aussi agaçant soit-il. Aussi, ne détourna-t-elle pas les yeux lorsqu'il chercha une nouvelle fois son regard. Elle pencha la tête sur le côté, avisant le noyau noisette de ses yeux, songeant que les légères nuances dorées étaient comme de petites lueurs de bonté dans un océan de noirceur, prêtes à se faire engloutir à la prochaine tempête.
-- Aveleen, finit-elle par répondre pour justifier une si longue observation de son visage.
Presque aussitôt, elle regretta son aveu, comme si l'idée que ses lèvres ne prononce ensuite son prénom dans le sursaut d'une intimité qu'ils ne partageaient pas lui était dérangeant. Considérant qu'il était une des rares personnes à qui elle avait confié - comprenez : une des rares personnes qui avait réussi à lui arracher - la raison de sa tristesse, l'Irlandaise commençait à trouver cette conversation de plus en plus profonde. Trop, peut-être, pour une discussion amorcée sur d'aussi mauvaises bases et poursuivit pour d'aussi mauvaises raisons. Ils semblaient presque aussi orgueilleux l'un que l'autre et il n'y avait rien de bon dans ce genre de jeu où tous les coups bas semblaient permis. Hormis, peut-être, cette fameuse distraction qu'ils étaient venus chercher tous les deux et qui semblaient peu à peu converger vers la recherche du malheur d'autrui. Faire mal à quelqu'un d'autres était une manière efficace, mais bien peu convenable, de se détourner de son propre mal-être.
Elle fut surprise lorsque, dans cette partie d'échec qu'il avait entrepris, il lui sacrifia un pion sans qu'elle ne l'ait demandé.
-- J’ai perdu ma petite sœur, l’année dernière. Cela fera un an quand nous aurons passé six heures du matin. Elle n’a pas pu voir le jour se lever, le six juillet dernier.
Il venait de lui offrir les clés du désert et, pourtant, elle n'en ressenti aucune satisfaction particulière. Pas même le réconfort de savoir qu'une même douleur avait asséché leurs pensées respectives. Elle repensa aux grains d'or dans ses yeux qui semblaient se noyer, se demandant si les mêmes perles de givres se diluaient dans l'océan des siens. Un bref instant, Aveleen fut terrifiée qu'il l'ait choisi dans cette assemblée comme l'on choisit un miroir pour essayer de mieux se comprendre. Terrifiée à l'idée de lentement muter en ces êtres si particuliers qui marchent avec des yeux pleins de fantôme, ces êtres à qui l'on avait volé le soleil et qui arpentait le reste de leur existence avec ce quelque chose de gelé à la place des émotions.
Elle lui épargna les phrases condescendantes habituelles, les désolations à n'en plus finir et les excuses dépourvues de sens qui faisaient gage de politesse. Ce genre de phrases toutes faites qui glissent sans accroches, parce que les gens sont si mal à l'aise avec les défunts qu'ils se gardent bien de vouloir trop s'y attarder. Les "Je suis désolé" avaient le goût insipide des " Je ne sais pas quoi dire " et comme il n'y avait pas plus à dire qu'à être désolé, Aveleen se contenta de venir jouer avec l'une de ses bagues. Lentement, elle fit tourner le petit anneau d'or, une bague sans fioritures ni particularités qu'elle avait récupéré chez Marie et qu'elle ne quittait plus.
C'était ça, le plus dur. L'absence. L'absence de perspective, comme ce jour qui ne se lèverait jamais passé six heures du matin pour sa petite sœur. Et que chacun continuait à faire grandir en se gardant bien d'en aborder le sujet, comme s'il ne fallait pas venir soulever trop de souvenirs de peur qu'ils ne deviennent des petites bombes prêtent à faire imploser les survivants. C'était la pire erreur : éviter les souvenirs, comme si se rappeler était un crime et qu'y participer relevait de l'affront.
Ne pas en parler, c'était comme accepter que l'autre ne s'efface.
-- Quel est son nom ? Souffla Aveleen en tendant ses doigts fins vers la bouteille qui trônait encore entre eux.
Premier pas d'une paix tacite.
Elle avait conjugué au présent, volontairement, parce que conjuguer les noms des défunts au passé lui avait toujours paru être une négation de leur existence. Et comment pouvait-on nier quelque chose qui faisait autant mal encore à l'heure actuelle ?
Elle remplie leurs deux verres de façon équivalente, songeant avec poésie aux deux coupes pleines à égalité d'un même chagrin, avant de pousser d'un doigt l'une d'elle vers l'homme. De façon curieuse, elle n'avait plus très envie de se débarrasser du caillou.
-- Vous voulez bien me parler d'elle ? Dit-elle alors simplement, replaçant une mèche blonde le long de son oreille avant de venir de nouveau chercher son regard.
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Ven 24 Déc 2021 - 11:42
feat Aveleen
Aveleen. Le prénom roula comme une bille sur le bout de sa langue, mais il ne lui fit pas l’affront de le répéter à la voix basse, le regard par dessous, en dragueur à la petite semaine. Son écho du soir avait un nom doux, délicat, qui tranchait avec ses réactions crues, à vif. Elle était du genre écorchée, mais était-ce quelque chose d’innée chez elle, ou d’acquis à force du coup d’un destin indélicat avec ses flans fragiles ? Il aurait bien eu envie de lui demander, mais ce n’était peut être pas très délicat.
( « Et depuis quand tu es délicat, Leo ? » - Althea m’a dit de ne pas faire fuir les clients. « t’es le pire menteur de la Terre. ») .
Il l’avait laissé le détailler à nouveau, comme si elle l’avait fait un peu plus tôt, un sourcil haussé et l’ombre d’un sourire frémissant, pour la première fois, à l’orée de ses lèvres. Elle cherchait. Elle cherchait quelque chose, sur le grain de sa peau qu’elle labourait de ses prunelles acérées, dans les ombres projetées par les lumières tamisées. Avait elle trouvé, finalement, une réponse à ses questions, ou à l’inverse une nouvelle énigme dans laquelle s’abimer, qui justifiait qu’elle leur serve de nouveaux verres un peu trop remplis pour que les questions soient tout à fait désintéressées ? Il se saisit de la boisson, sans la boire d’abord. Un instant, il s’échappa de la conversation, son regard attiré par du mouvement derrière la jeune femme. Un client qui titubait entre une table et le comptoir, qui avait du abuser un chouilla des bonnes graces de l’un des dealers qui faisait ses affaires dans les entrailles dissimulées du speakeasy. De sa langue coincée entre ses dents, il avait émis un seul et unique sifflement, court, précis. Un molosse sembla apparaître de nul part, golem invoqué par une simple interjection sifflante, qui vint cueillir l’âme égarée pour la faire disparaître par dela une porte close. Ça n’avait duré qu’un instant, suspendu, avait que le bruit des verres et des machines à sous remplissent à nouveau l’air de leurs mélopées joyeuses et hypnotiques. Leo avait plissé le nez, avant de reposer son regard vers son interlocutrice, prenant une gorgée de boisson avant de reprendre.
- Magdalena. Magda, en général.
Magdalena, c’était le nom que leurs parents si pieux lui avaient donné le jour de son baptême. Une Madeleine confiée à leur Jesus, leur ainé qu’ils avaient voulu fils prodigue, le temps de quelques années de sobriété, avant de l’oublier à la faveur de l’alcool et de quelques drogues qui leur permettait d’occulter que la vie était dure, même quand elle était remplie de magie. Un feu follet qui avait réchauffé l’ambiance familiale, qui avait fait du taudis où ils vivaient tous un foyer. C’était pour elle qu’il revenait, à chaque vacance scolaire, alors qu’Ilvermorny lui offrait tout le soin et l’intention dont il avait besoin. C’était pour elle qu’il n’avait pas cédé aux sirènes si tentantes de la criminalité juvénile, quand il s’ennuyait, les soirs d’été. Parce qui s’occuperait de Magda, si il n’était plus là ?
Et qui s'occupait de lui, maintenant qu’elle était plus là ?
- Elle aimait chanter, mal, dans toutes les langues possibles et imaginables. Quand elle ne connaissait pas les paroles, elle les inventait. Elle aimait le billard, mais était imbattable aux fléchettes. Elle était capable de s’endormir n’importe où, pourvu qu’il y ait un endroit où poser sa tête sur ses bras. C’était la plus grosse tête de mûle sur Terre, et persuasive, par dessus le marché. Elle était brillante, dans tous les sens du terme.
Lumineuse, son étoile, la meilleure partie de lui-même. C’était pour elle qu’il était venu en Angleterre, pour qu’elle puisse poursuivre ses rêves. Avoir la vie qu’elle voulait, son diplôme, son cabinet, qu’elle puisse changer la vie de tous comme elle l’avait fait pour lui. Parce qu’elle n’était pas comme les autres, Magda, elle lisait dans les âmes jusqu’à y trouver le plus beau, même enfoui tout au fond. Chercheuse d’or, prospectrice acharnée, trouvait le bon même chez celui qui l’ignorait de lui-même. Ensemble, ils étaient invisibles.
Seul, il n’était plus que destructeur, sans but honorable autre que de venger une presque adolescente, que les dossiers appelaient pudiquement Dommage Collatéral. Une pauvre ligne raturée oubliée dans un casier d’archives, et la vie continuait, là où leurs existences avaient été lacérées, la sanité sanibroyée.
- On m’a déjà dit que j’avais l’air d’un veuf. Ce serait peut-être plus compréhensible pour la majorité, l’Amour, c’est si fort, on le choisit, on le battit, alors quand il disparaît… Mais c’était ma petite sœur. Ma meilleure amie. Mon sang. Elle était tout ce que j’avais, et on me l’a prise.
Il esquissa un nouveau petit sourire énigmatique, alors que Magda roulait des yeux dans le reflet de sa boisson. Si elle était là, elle lui dirait qu’il en fait trop, comme d’habitude. Qu’il est trop sensible, quoi qu’il en dise, que cela manquait de pragmatisme, tout ça. (Mais Magda, si tu étais encore là, je n’aurais pas cette conversation avec une inconnue, dans un bar. « C’est plus une inconnue, Leo, elle s’appelle Aveleen » C’est vrai. « C’est joli comme prénom, j’aime bien ». Oui, moi aussi. )
- A votre tour.
( « Et depuis quand tu es délicat, Leo ? » - Althea m’a dit de ne pas faire fuir les clients. « t’es le pire menteur de la Terre. ») .
Il l’avait laissé le détailler à nouveau, comme si elle l’avait fait un peu plus tôt, un sourcil haussé et l’ombre d’un sourire frémissant, pour la première fois, à l’orée de ses lèvres. Elle cherchait. Elle cherchait quelque chose, sur le grain de sa peau qu’elle labourait de ses prunelles acérées, dans les ombres projetées par les lumières tamisées. Avait elle trouvé, finalement, une réponse à ses questions, ou à l’inverse une nouvelle énigme dans laquelle s’abimer, qui justifiait qu’elle leur serve de nouveaux verres un peu trop remplis pour que les questions soient tout à fait désintéressées ? Il se saisit de la boisson, sans la boire d’abord. Un instant, il s’échappa de la conversation, son regard attiré par du mouvement derrière la jeune femme. Un client qui titubait entre une table et le comptoir, qui avait du abuser un chouilla des bonnes graces de l’un des dealers qui faisait ses affaires dans les entrailles dissimulées du speakeasy. De sa langue coincée entre ses dents, il avait émis un seul et unique sifflement, court, précis. Un molosse sembla apparaître de nul part, golem invoqué par une simple interjection sifflante, qui vint cueillir l’âme égarée pour la faire disparaître par dela une porte close. Ça n’avait duré qu’un instant, suspendu, avait que le bruit des verres et des machines à sous remplissent à nouveau l’air de leurs mélopées joyeuses et hypnotiques. Leo avait plissé le nez, avant de reposer son regard vers son interlocutrice, prenant une gorgée de boisson avant de reprendre.
- Magdalena. Magda, en général.
Magdalena, c’était le nom que leurs parents si pieux lui avaient donné le jour de son baptême. Une Madeleine confiée à leur Jesus, leur ainé qu’ils avaient voulu fils prodigue, le temps de quelques années de sobriété, avant de l’oublier à la faveur de l’alcool et de quelques drogues qui leur permettait d’occulter que la vie était dure, même quand elle était remplie de magie. Un feu follet qui avait réchauffé l’ambiance familiale, qui avait fait du taudis où ils vivaient tous un foyer. C’était pour elle qu’il revenait, à chaque vacance scolaire, alors qu’Ilvermorny lui offrait tout le soin et l’intention dont il avait besoin. C’était pour elle qu’il n’avait pas cédé aux sirènes si tentantes de la criminalité juvénile, quand il s’ennuyait, les soirs d’été. Parce qui s’occuperait de Magda, si il n’était plus là ?
Et qui s'occupait de lui, maintenant qu’elle était plus là ?
- Elle aimait chanter, mal, dans toutes les langues possibles et imaginables. Quand elle ne connaissait pas les paroles, elle les inventait. Elle aimait le billard, mais était imbattable aux fléchettes. Elle était capable de s’endormir n’importe où, pourvu qu’il y ait un endroit où poser sa tête sur ses bras. C’était la plus grosse tête de mûle sur Terre, et persuasive, par dessus le marché. Elle était brillante, dans tous les sens du terme.
Lumineuse, son étoile, la meilleure partie de lui-même. C’était pour elle qu’il était venu en Angleterre, pour qu’elle puisse poursuivre ses rêves. Avoir la vie qu’elle voulait, son diplôme, son cabinet, qu’elle puisse changer la vie de tous comme elle l’avait fait pour lui. Parce qu’elle n’était pas comme les autres, Magda, elle lisait dans les âmes jusqu’à y trouver le plus beau, même enfoui tout au fond. Chercheuse d’or, prospectrice acharnée, trouvait le bon même chez celui qui l’ignorait de lui-même. Ensemble, ils étaient invisibles.
Seul, il n’était plus que destructeur, sans but honorable autre que de venger une presque adolescente, que les dossiers appelaient pudiquement Dommage Collatéral. Une pauvre ligne raturée oubliée dans un casier d’archives, et la vie continuait, là où leurs existences avaient été lacérées, la sanité sanibroyée.
- On m’a déjà dit que j’avais l’air d’un veuf. Ce serait peut-être plus compréhensible pour la majorité, l’Amour, c’est si fort, on le choisit, on le battit, alors quand il disparaît… Mais c’était ma petite sœur. Ma meilleure amie. Mon sang. Elle était tout ce que j’avais, et on me l’a prise.
Il esquissa un nouveau petit sourire énigmatique, alors que Magda roulait des yeux dans le reflet de sa boisson. Si elle était là, elle lui dirait qu’il en fait trop, comme d’habitude. Qu’il est trop sensible, quoi qu’il en dise, que cela manquait de pragmatisme, tout ça. (Mais Magda, si tu étais encore là, je n’aurais pas cette conversation avec une inconnue, dans un bar. « C’est plus une inconnue, Leo, elle s’appelle Aveleen » C’est vrai. « C’est joli comme prénom, j’aime bien ». Oui, moi aussi. )
- A votre tour.
Made by Neon Demon
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Lun 27 Déc 2021 - 20:30
A mesure qu'il parlait, Aveleen se mit à penser que le trou béant que la mort laissait dans la poitrine n'était jamais aussi grand que lorsque l'on se mettait à évoquer des souvenirs. En particulier les bons souvenirs. Ceux que l'on venait chuchoter tout près de la vitre du réel et la buée d'émotions que cela créait. Des souvenirs éparpillés et sans grande logique, car comment dépeindre un caractère et toutes ces nuances lorsque l'on regrettait tout sans caprice. Parce que tout manquait. Les grandes qualités et les grands défauts. Le bon caractère comme le mauvais. Le manque de l'autre avait la faculté de vous faire adorer ce que vous détestiez avant. Pas parce que vous étiez moins exigeant, mais parce que vous auriez beaucoup donné pour ne serait-ce qu'une chamaillerie pour une broutille. C'était bien, les broutilles : c'était rassurant. C'était dans ce genre de petits détails aussi, que l'on pouvait le mieux décrire l'autre, comme une succession de particularités formant un tout. Et puis, parce que cela revenait comme ça, les souvenirs : par petites vagues, comme le ressac incessant de la mer venant lécher nos jambes en y laissant des bulles d'écumes. Un voile nacré, qui ne restait jamais longtemps et que l'on regardait disparaître en frissonnant, la peau glacée de plus rien avoir pour la réchauffer.
A mesure qu'il parlait, Aveleen se mit à penser que le trou béant que la mort laissait était aussi comme un trou noir, aspirant tout sur son passage. La mort de Magdalena lui avait tout volé : la douceur, la légèreté, les vrais sourires. Ce qu'elle voyait sur le visage de l'inconnu n'était en définitive que de pâles réminiscences de ce qu'il avait dû être : quelque chose qui essayait de brûler d'un feu définitivement éteint, et il avait beau souffler sur les braises à coup de souvenirs, le brasier ne repartirait pas. Plus elle le regardait et plus elle pouvait les voir : les fantômes qui dansaient derrière sa rétine et les petits sillons d'émotions que cette évocation faisait naître.
--Mais c’était ma petite sœur, expliqua-t-il. Ma meilleure amie. Mon sang. Elle était tout ce que j’avais, et on me l’a prise.
On me l'a prise. La phrase resonna dans la tête d'Aveleen, se nichant quelque part dans cette poche de colère qu'elle n'avait pas encore totalement explorée mais qu'elle savait bien présente. La syntaxe y était pour beaucoup : elle suggérait l'action d'un tiers, d'un tiers détestable. Si la mort jouait au Poker, elle avait abattu d'un coup ses quatre as sur la table et lui avait raflé sa sœur avec toute l'injustice qui en découlait encore. Et comme à ce petit jeu-là, Aveleen y avait aussi perdu l'une des mises les plus importantes de sa vie, elle sentit ses doigts se crisper autour de son verre. Du coin d'œil, elle capta un demi-sourire de la part de son interlocuteur. Mais ce fut dans le demi-sourire absent, celui qui fit miroiter un instant ses yeux noirs de colère qu'Aveleen se perdit, bien plus que dans la tentative infructueuse de sa bouche s'essayant à offrir un sursaut de joie là où il n'y avait rien d'autre que de l'amertume. Non. C'était plus que ça. C'était de la colère. Elle s'était trompée, un peu plus tôt : le brasier était bel et bien allumé, rougeoyant derrière les tentatives de calme et de légèreté et peut-être essayait-il en vain de l'éteindre depuis que sa sœur n'était plus. A moins qu'il ne l'entretienne, justement.
On me l'a prise, songea-t-elle de nouveau, les mots tournoyant dans sa tête dans un cocktail d'injustice et de colère. Il y avait eu cette inflexion particulière, ce petit quelque chose dans la façon dont ses lèvres s'étaient imperceptiblement tordues. Quelque chose qui détonnait après cette overdose de souvenirs sucrés et délicats, comme du bon miel.
"On" était un bel enfoiré.
-- A votre tour, lui retourna-t-il.
C'était prévisible. Cruellement prévisible, puisqu'elle avait elle-même fait le premier service et qu'il aurait été étonnant qu'il ne renvoie pas la balle dans son camp. Elle laissa courir ses yeux sur leur petite table, sur les verres encore pleins et la bouteille bientôt vide, comme pour y chercher quelque chose sur lequel prendre appui. Parler de Mary, c'était comme se retrouver devant une page vierge sans savoir quoi y écrire, mais le cerveau bouillonnant pourtant d'émotions. Il fallait, en usant des mots de tout le monde, parler de l'exceptionnelle personne qu'elle avait été.
-- Vous voyez ces moments où il vous arrive quelque chose d'important et où vous attrapez votre téléphone pour partager cet instant ? fit-elle d'une voix éraillée, son ongle glissant contre une rainure en bois de la table dans un mouvement nerveux. C'est presque automatique, en quelques instants une phrase ou une photo et puis votre doigt glisse naturellement vers votre contact de prédilection. Eh bien, je le fais encore, confia-t-elle sans regarder son interlocuteur, ses doigts grattant toujours la table. Et il y a ce petit instant, le pouce en suspens sur le bouton envoyer, où je réalise qu'elle n'existe plus. Cet instant est vertigineux et...
Elle fit une pose, le regard toujours perdu et vague. Quelque chose s'agitait en elle de manière désagréable, enflant peu à peu. Jusqu'à éclater.
-- En fait, non, reprit-elle d'une voix plus dure en secouant la tête. Ca, c'est le genre de connerie que j'aimerai m'entendre dire. Vous voulez la vérité ? fit-elle en tournant sa tête vers lui, jambes croisées et le verre à mi-hauteur entre leurs deux visages. La vérité c'est que j’aurais aimé être comme vous : me remémorer toutes les petites choses qui faisaient qu’elle était ce qu’elle était, sa façon singulière de froncer le nez, à quel point le plaisir lui était joyeux, clément et facile, et comme elle savait s’expliquer sans paroles... Je vous envie, parce que quand je ferme les yeux, cela n'est pas à Mary et nos nombreuses années ensemble à Poudlard auxquelles je pense, ni même à toutes les tartes aux fraises, à l'abricot ou n'importe quel put*** de fruit qu'elle ne fera plus jamais. Quand je ferme les yeux, je vois du feu. Je brûle, fit-elle alors que sa bouche se tordait dans une grimace sombre et qu'elle répétait en articulant pour faire emphase, je brûle d'une haine qui me consume. Je n’arrive même plus à penser à elle, non, rigola-t-elle amèrement en portant son verre à ses lèvres pour y prendre une gorgée, non, répéta-t-elle, vrillant ses yeux dans ceux de son inconnu avant de venir frotter ses lèvres l'une contre l'autre. Non. Je ne pense qu’à l'enfoiré qui est entré chez elle et qui lui a tranché un sourire dans le cou, confia-t-elle de but en blanc sans le quitter des yeux. C'est lui, qui m'obsède. Moi aussi, on me l'a "prise". Volée. Dépouillée. Extorquée. Soutirée. Emportée. Enlevée. Arrachée, énuméra-t-elle, tapotant à chaque synonyme son verre du bout des doigts tandis que celui-ci reculait à chaque injonction. Alors rangez vos histoires de fléchettes et de chansons, je vous en prie, gardez-les pour quelqu'un qui a réussi à éponger toute sa haine parce que moi, j'en déborde, siffla-t-elle avec un dégoût mal contrôlé, tout en approchant son visage du sien jusqu'à ce qu'elle puisse chuchoter tout contre son oreille . Et vous aussi, n'est-ce pas ?
@Leonardo Moreno
A mesure qu'il parlait, Aveleen se mit à penser que le trou béant que la mort laissait était aussi comme un trou noir, aspirant tout sur son passage. La mort de Magdalena lui avait tout volé : la douceur, la légèreté, les vrais sourires. Ce qu'elle voyait sur le visage de l'inconnu n'était en définitive que de pâles réminiscences de ce qu'il avait dû être : quelque chose qui essayait de brûler d'un feu définitivement éteint, et il avait beau souffler sur les braises à coup de souvenirs, le brasier ne repartirait pas. Plus elle le regardait et plus elle pouvait les voir : les fantômes qui dansaient derrière sa rétine et les petits sillons d'émotions que cette évocation faisait naître.
--Mais c’était ma petite sœur, expliqua-t-il. Ma meilleure amie. Mon sang. Elle était tout ce que j’avais, et on me l’a prise.
On me l'a prise. La phrase resonna dans la tête d'Aveleen, se nichant quelque part dans cette poche de colère qu'elle n'avait pas encore totalement explorée mais qu'elle savait bien présente. La syntaxe y était pour beaucoup : elle suggérait l'action d'un tiers, d'un tiers détestable. Si la mort jouait au Poker, elle avait abattu d'un coup ses quatre as sur la table et lui avait raflé sa sœur avec toute l'injustice qui en découlait encore. Et comme à ce petit jeu-là, Aveleen y avait aussi perdu l'une des mises les plus importantes de sa vie, elle sentit ses doigts se crisper autour de son verre. Du coin d'œil, elle capta un demi-sourire de la part de son interlocuteur. Mais ce fut dans le demi-sourire absent, celui qui fit miroiter un instant ses yeux noirs de colère qu'Aveleen se perdit, bien plus que dans la tentative infructueuse de sa bouche s'essayant à offrir un sursaut de joie là où il n'y avait rien d'autre que de l'amertume. Non. C'était plus que ça. C'était de la colère. Elle s'était trompée, un peu plus tôt : le brasier était bel et bien allumé, rougeoyant derrière les tentatives de calme et de légèreté et peut-être essayait-il en vain de l'éteindre depuis que sa sœur n'était plus. A moins qu'il ne l'entretienne, justement.
On me l'a prise, songea-t-elle de nouveau, les mots tournoyant dans sa tête dans un cocktail d'injustice et de colère. Il y avait eu cette inflexion particulière, ce petit quelque chose dans la façon dont ses lèvres s'étaient imperceptiblement tordues. Quelque chose qui détonnait après cette overdose de souvenirs sucrés et délicats, comme du bon miel.
"On" était un bel enfoiré.
-- A votre tour, lui retourna-t-il.
C'était prévisible. Cruellement prévisible, puisqu'elle avait elle-même fait le premier service et qu'il aurait été étonnant qu'il ne renvoie pas la balle dans son camp. Elle laissa courir ses yeux sur leur petite table, sur les verres encore pleins et la bouteille bientôt vide, comme pour y chercher quelque chose sur lequel prendre appui. Parler de Mary, c'était comme se retrouver devant une page vierge sans savoir quoi y écrire, mais le cerveau bouillonnant pourtant d'émotions. Il fallait, en usant des mots de tout le monde, parler de l'exceptionnelle personne qu'elle avait été.
-- Vous voyez ces moments où il vous arrive quelque chose d'important et où vous attrapez votre téléphone pour partager cet instant ? fit-elle d'une voix éraillée, son ongle glissant contre une rainure en bois de la table dans un mouvement nerveux. C'est presque automatique, en quelques instants une phrase ou une photo et puis votre doigt glisse naturellement vers votre contact de prédilection. Eh bien, je le fais encore, confia-t-elle sans regarder son interlocuteur, ses doigts grattant toujours la table. Et il y a ce petit instant, le pouce en suspens sur le bouton envoyer, où je réalise qu'elle n'existe plus. Cet instant est vertigineux et...
Elle fit une pose, le regard toujours perdu et vague. Quelque chose s'agitait en elle de manière désagréable, enflant peu à peu. Jusqu'à éclater.
-- En fait, non, reprit-elle d'une voix plus dure en secouant la tête. Ca, c'est le genre de connerie que j'aimerai m'entendre dire. Vous voulez la vérité ? fit-elle en tournant sa tête vers lui, jambes croisées et le verre à mi-hauteur entre leurs deux visages. La vérité c'est que j’aurais aimé être comme vous : me remémorer toutes les petites choses qui faisaient qu’elle était ce qu’elle était, sa façon singulière de froncer le nez, à quel point le plaisir lui était joyeux, clément et facile, et comme elle savait s’expliquer sans paroles... Je vous envie, parce que quand je ferme les yeux, cela n'est pas à Mary et nos nombreuses années ensemble à Poudlard auxquelles je pense, ni même à toutes les tartes aux fraises, à l'abricot ou n'importe quel put*** de fruit qu'elle ne fera plus jamais. Quand je ferme les yeux, je vois du feu. Je brûle, fit-elle alors que sa bouche se tordait dans une grimace sombre et qu'elle répétait en articulant pour faire emphase, je brûle d'une haine qui me consume. Je n’arrive même plus à penser à elle, non, rigola-t-elle amèrement en portant son verre à ses lèvres pour y prendre une gorgée, non, répéta-t-elle, vrillant ses yeux dans ceux de son inconnu avant de venir frotter ses lèvres l'une contre l'autre. Non. Je ne pense qu’à l'enfoiré qui est entré chez elle et qui lui a tranché un sourire dans le cou, confia-t-elle de but en blanc sans le quitter des yeux. C'est lui, qui m'obsède. Moi aussi, on me l'a "prise". Volée. Dépouillée. Extorquée. Soutirée. Emportée. Enlevée. Arrachée, énuméra-t-elle, tapotant à chaque synonyme son verre du bout des doigts tandis que celui-ci reculait à chaque injonction. Alors rangez vos histoires de fléchettes et de chansons, je vous en prie, gardez-les pour quelqu'un qui a réussi à éponger toute sa haine parce que moi, j'en déborde, siffla-t-elle avec un dégoût mal contrôlé, tout en approchant son visage du sien jusqu'à ce qu'elle puisse chuchoter tout contre son oreille . Et vous aussi, n'est-ce pas ?
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Mar 28 Déc 2021 - 19:03
feat Aveleen
(Et beh dis donc, c’est qu’elle cause, quand elle s’y met. « Chut, j’écoute »)
Il ignorait ce qui, dans son monologue, avait allumé la mèche. Quel était le mot silex qui avait enflammé son regard, quelle étincelle était venue provoquer la déflagration dans le creux de son ventre. Pourtant, le résultat était là : Aveleen était sortie de sa réserve, de ses moues circonspectes, de son verbiage économe. Même les modulations de sa voix lui semblaient changées, et devenir soudainement bien plus intéressantes. En cerbère et fin limier, il avait reniflé l’âme en peine. Ce qu’il n’avait pas perçu, en revanche, sous les cendres grises du deuil, c’était le feu glacial de la rage, une ire dévorante, qui dégoulinait de sa bouche dans une verve sèche et assassine. Non, pas assassine, pas encore. Ça, c’était lui.
Il ne se permit pas de l’interrompre, avait posé sa joue dans son poing, accoudé au comptoir comme s’il l’écoutait parler d’une énième séance photo, ou de ses précédents déboires amoureux. C’était ce que le quidam qui les aurait aperçus à cet instant aurait pu croire, en les observant. Elle qui faisait des grands gestes, l’air emporté, le regard intense, Lui, les prunelles luisantes, qui ne pipait mot, n’en pensait pas moins. Il avait fini par comprendre qui pleurait la sorcière, quel fantôme elle fuyait entre les cartes, les jetons et l’alcool fort. Il avait vu la bague. Savait quel doigt elle avait orné, autrefois. Il faillit lui demander son prénom, rien que pour l’entendre de sa bouche, mais elle le fit d’elle-même, au détour de son soliloque agressif, mordant l’air en défiant les nuées. Il la voit vibrer d’une énergique nouvelle, différente de celle sombre et alanguie de début de soirée. Là, enfin, elle se dévoile. Il l’entrevoit vraiment. Se laisse fasciner par l’emphase, l’intensité et la violence.
Et puis, elle semble perdre pied. Son souffle dans son cou, provoque un frisson. Il n’a pas bougé, s’est laissé approcher, lui le loup gris, qui ne se laisse jamais flatter que par quelques mains privilégiées, choisies, circonscrites. Elle ne sait pas, elle ignore à quel point ce qu’elle fait est dangereux. Suicidaire presque, alors que les genoux se touchent, oh, à peine, mais malgré tout. Elle lui exhale sa rage au creux de l’oreille, et lui, il sourit, dévoilant des dents blanches, crocs déguisés en quenottes bien brossées. Il hume son parfum, au creux de son cou. Il ne peut pas faire autrement, c’est elle qui lui a mit sa peau à portée de lèvres, de nez, et pourtant, il ne bouge pas. Pas tout de suite. Lentement, il penche sa tête, juste un peu, sur le coté. Leurs tempes se touchent. C’est tout ce qu’il s’accordera pour ce soir.
- … Ca fait longtemps que je ne déborde plus. Ça ne sert à rien, à part à se faire du mal à soi-même. La haine est un poison, on ne laisse pas le poison dégouliner de soi, où il vous brûle jusqu’à l’os.
Les murs du Styx eux-même en avaient été témoins, de ce type qu’il avait presque battu à mort, le soir où l’une des sirènes des lieux était venue lui murmurer le nom du bourreau de Magda à l’oreille. Le pauvre hère avait pris pour tous les autres, pour personne au final. Sa vengeance, il l’avait voulu biblique. Œil pour œil. Quelle chance avait il de tomber sur la meilleure amie de Mary, dans son propre antre, prête à lui cracher son venin à la figure en ignorant que ses mains étaient rougies de son sang ?
(Comme tu y vas, c’était hyper propre en plus, et puis tu portais des gants, tu te souviens. « c’est une expression, Magda »)
- Je suis navré, pour votre amie. C’est injuste.
Ouais, injuste. Parfois, la Justice elle-même est injuste, quand elle est servie par un homme faillible, un homme qui n’a plus rien à perdre. Si la Société n’avait pas échoué, Magda serait encore là, et Mary aussi. Mais William, lui, n’en avait rien eu à foutre de la justice, des règles, des lois, du bien et du mal. Il n’y avait eu que le pouvoir, et cette certitude de celui qui peut s’en sortir sans souffrir des conséquences. Il avait cogné à mort, il avait enterré Magda avant même qu’elle soit mort, sous des tonnes de papier, pour étouffer l’affaire, pour que jamais, il ne puisse être inquiété. Alors il avait transformé son enfer personnel, en antichambre de celui du Fastenburry. Et après lui, le Déluge. Si elle savait tout ça, si seulement elle savait, que ferait elle alors ? Mais elle ne savait pas que devant elle se tenait le bestiaire entier qui hantait ses cauchemars, concentré en un seul homme, un homme avec un mobile, un homme avec une plaie béante à la place du cœur, à peine coagulée à l' hémoglobine oxydée de son ancienne collègue de travail. Malgré tout, ça le rendait curieux, le Moreno. Qu’aurais tu fait, à ma place ?
- Trouvez vous une cible, quelqu’un qui a le dos assez large pour encaisser des coups injustes, à battre comme plâtre jusqu’à l’essoufflement, sans quoi vous allez vous asphyxier de vos propres flammes. Je parle en connaissance de cause.
Sa voix était douce, enveloppante, avec ses « R » qui roulent doucement, à l’espagnol, et la sucrosité de son haleine assaisonnée par l’alcool. Oui, il le sait mieux que quiconque, ce que c’est, cette rage erratique, qui aveugle et rougit les poings. Mais inutile, tellement vaine, puisque que jamais, ils ne percutent le bon plexus, ne crèvent le bon coeur, comme ça, au hasard. Non, la haine ne servait aucun intérêt fidèlement, sous son état liquide. Il lui fallait refroidir, durcir, geler même, devenir cette furie froide et implacable, oignant ses armes d’une toxine subtile, précise. Mais qu’elle la déverse donc, sa colère volcanique, au creux de son oreille, qu’elle fasse bruisser l’ouragan contre ses os, rien que pour voir. Peut être que ça le ferait se sentir vivant, pour une fois. Peut être qu’elle, elle pourrait comprendre, ce qu’il ressent, un jour.
Il ignorait ce qui, dans son monologue, avait allumé la mèche. Quel était le mot silex qui avait enflammé son regard, quelle étincelle était venue provoquer la déflagration dans le creux de son ventre. Pourtant, le résultat était là : Aveleen était sortie de sa réserve, de ses moues circonspectes, de son verbiage économe. Même les modulations de sa voix lui semblaient changées, et devenir soudainement bien plus intéressantes. En cerbère et fin limier, il avait reniflé l’âme en peine. Ce qu’il n’avait pas perçu, en revanche, sous les cendres grises du deuil, c’était le feu glacial de la rage, une ire dévorante, qui dégoulinait de sa bouche dans une verve sèche et assassine. Non, pas assassine, pas encore. Ça, c’était lui.
Il ne se permit pas de l’interrompre, avait posé sa joue dans son poing, accoudé au comptoir comme s’il l’écoutait parler d’une énième séance photo, ou de ses précédents déboires amoureux. C’était ce que le quidam qui les aurait aperçus à cet instant aurait pu croire, en les observant. Elle qui faisait des grands gestes, l’air emporté, le regard intense, Lui, les prunelles luisantes, qui ne pipait mot, n’en pensait pas moins. Il avait fini par comprendre qui pleurait la sorcière, quel fantôme elle fuyait entre les cartes, les jetons et l’alcool fort. Il avait vu la bague. Savait quel doigt elle avait orné, autrefois. Il faillit lui demander son prénom, rien que pour l’entendre de sa bouche, mais elle le fit d’elle-même, au détour de son soliloque agressif, mordant l’air en défiant les nuées. Il la voit vibrer d’une énergique nouvelle, différente de celle sombre et alanguie de début de soirée. Là, enfin, elle se dévoile. Il l’entrevoit vraiment. Se laisse fasciner par l’emphase, l’intensité et la violence.
Et puis, elle semble perdre pied. Son souffle dans son cou, provoque un frisson. Il n’a pas bougé, s’est laissé approcher, lui le loup gris, qui ne se laisse jamais flatter que par quelques mains privilégiées, choisies, circonscrites. Elle ne sait pas, elle ignore à quel point ce qu’elle fait est dangereux. Suicidaire presque, alors que les genoux se touchent, oh, à peine, mais malgré tout. Elle lui exhale sa rage au creux de l’oreille, et lui, il sourit, dévoilant des dents blanches, crocs déguisés en quenottes bien brossées. Il hume son parfum, au creux de son cou. Il ne peut pas faire autrement, c’est elle qui lui a mit sa peau à portée de lèvres, de nez, et pourtant, il ne bouge pas. Pas tout de suite. Lentement, il penche sa tête, juste un peu, sur le coté. Leurs tempes se touchent. C’est tout ce qu’il s’accordera pour ce soir.
- … Ca fait longtemps que je ne déborde plus. Ça ne sert à rien, à part à se faire du mal à soi-même. La haine est un poison, on ne laisse pas le poison dégouliner de soi, où il vous brûle jusqu’à l’os.
Les murs du Styx eux-même en avaient été témoins, de ce type qu’il avait presque battu à mort, le soir où l’une des sirènes des lieux était venue lui murmurer le nom du bourreau de Magda à l’oreille. Le pauvre hère avait pris pour tous les autres, pour personne au final. Sa vengeance, il l’avait voulu biblique. Œil pour œil. Quelle chance avait il de tomber sur la meilleure amie de Mary, dans son propre antre, prête à lui cracher son venin à la figure en ignorant que ses mains étaient rougies de son sang ?
(Comme tu y vas, c’était hyper propre en plus, et puis tu portais des gants, tu te souviens. « c’est une expression, Magda »)
- Je suis navré, pour votre amie. C’est injuste.
Ouais, injuste. Parfois, la Justice elle-même est injuste, quand elle est servie par un homme faillible, un homme qui n’a plus rien à perdre. Si la Société n’avait pas échoué, Magda serait encore là, et Mary aussi. Mais William, lui, n’en avait rien eu à foutre de la justice, des règles, des lois, du bien et du mal. Il n’y avait eu que le pouvoir, et cette certitude de celui qui peut s’en sortir sans souffrir des conséquences. Il avait cogné à mort, il avait enterré Magda avant même qu’elle soit mort, sous des tonnes de papier, pour étouffer l’affaire, pour que jamais, il ne puisse être inquiété. Alors il avait transformé son enfer personnel, en antichambre de celui du Fastenburry. Et après lui, le Déluge. Si elle savait tout ça, si seulement elle savait, que ferait elle alors ? Mais elle ne savait pas que devant elle se tenait le bestiaire entier qui hantait ses cauchemars, concentré en un seul homme, un homme avec un mobile, un homme avec une plaie béante à la place du cœur, à peine coagulée à l' hémoglobine oxydée de son ancienne collègue de travail. Malgré tout, ça le rendait curieux, le Moreno. Qu’aurais tu fait, à ma place ?
- Trouvez vous une cible, quelqu’un qui a le dos assez large pour encaisser des coups injustes, à battre comme plâtre jusqu’à l’essoufflement, sans quoi vous allez vous asphyxier de vos propres flammes. Je parle en connaissance de cause.
Sa voix était douce, enveloppante, avec ses « R » qui roulent doucement, à l’espagnol, et la sucrosité de son haleine assaisonnée par l’alcool. Oui, il le sait mieux que quiconque, ce que c’est, cette rage erratique, qui aveugle et rougit les poings. Mais inutile, tellement vaine, puisque que jamais, ils ne percutent le bon plexus, ne crèvent le bon coeur, comme ça, au hasard. Non, la haine ne servait aucun intérêt fidèlement, sous son état liquide. Il lui fallait refroidir, durcir, geler même, devenir cette furie froide et implacable, oignant ses armes d’une toxine subtile, précise. Mais qu’elle la déverse donc, sa colère volcanique, au creux de son oreille, qu’elle fasse bruisser l’ouragan contre ses os, rien que pour voir. Peut être que ça le ferait se sentir vivant, pour une fois. Peut être qu’elle, elle pourrait comprendre, ce qu’il ressent, un jour.
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- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Mer 29 Déc 2021 - 1:20
Elle avait fini essoufflée comme après une longue course. Le cœur emballé et les poumons en feu, l'un d'avoir enfin le droit de battre au rythme impitoyable de sa colère et les autres peinant difficilement à suivre la cadence d'un tel changement d'humeur. Après avoir passé tant de semaines à taire ce qu'elle ressentait, c'était toute son âme qui s'écorchait à mesure que les mots brûlants s'échappaient de leur prison étriquée. La tristesse était propre. Mais là colère était laide. Et pourtant, Aveleen y consentait : les phrases avaient fusé, dilapidant les bonnes résolutions, écrasant le verre fragile de la bienséance, flirtant dangereuses avec une folie contre laquelle elle avait bêtement cru pouvoir se soustraire. Jamais elle n'aurait pensé s'abaisser de la sorte : en langage grossier, rires nerveux et gestes volubiles. Et elle était là, le corps tendu vers cet inconnu qui avait mis sens dessus dessous les vestiges de sa patience, la bouche à l'orée de son oreille, à supposer qu'il virevoltait dans le même écrin de haine.
C'était pathétique et vivifiant à la fois. Pathétique, parce que cela suintait le désespoir et la faiblesse et qu'il n'y avait jamais rien eu de beau là-dedans. Vivifiant, paradoxalement, parce qu'elle n'avait plus parlé ainsi depuis de longues semaines. Mais s'il fallait décortiquer tout cela, Aveleen aurait simplement répondu que l'inconnu agissait comme un catalyseur, brassant chacune des composantes de son esprit pour venir en extraire une nouvelle substance. Il était insolent, charmeur, calme, irritant. Oh oui, qu'il était irritant à ne pas réagir comme tout le monde. Dans ses yeux, pas d'horreur. Dans sa posture, pas même de la surprise. Tout juste inclina-t-il sa tête contre la sienne, tandis que sa voix de velours venait lécher sa propre peau de son souffle chargé d'éthanol :
-- [...]La haine est un poison, on ne laisse pas le poison dégouliner de soi, où il vous brûle jusqu’à l’os.
Elle détesta immédiatement ce qu'il suggérait, parce qu'il avait raison mais qu'elle n'avait pas envie qu'il ne lui fasse la morale. Fallait-il qu'il électrise chaque terminaison nerveuse de son ressentiment pour ensuite conseiller d'en garder le contrôle ? Elle se fichait qu'il ait raison. En cette soirée, elle n'avait plus envie d'entendre ça, pas alors qu'elle réalisait à quel point la colère était une façon comme une autre de se sentir vivante. En elle, en cet instant, il n'y avait plus que ça : une haine féroce pour toute cette injustice, une rage incandescente qui prenait peu à peu l'ascendant sur chacune de ses pensées, rendues brumeuses par la boisson. Elle s'était montrée si calme, si douce, si effacée, si désespérément silencieuse. Elle avait accepté sans sourciller la descente aux enfers de @William Fastenburry tolérant qu'il lui abandonne la responsabilité de sa fille sans jamais protester de se voir voler chaque parcelle de sa propre indépendance, avalant tous les relents d'agonies sans jamais leur recracher les siens. Et maintenant, maintenant qu'elle explosait, il fallait qu'un parfait inconnu ne lui ressorte des semi-vérités au goût désespérément véridique ? Maintenant qu'elle se dynamitait, fallait-il entendre qu'il était meilleur de se contenir ? Et au nom de quoi, encore ? Qu'y avait-il à protéger, de quels os parlaient-ils ? Elle brûlait, n'avait-il pas entendu ?
-- Je suis navré, pour votre amie. C’est injuste.
La raison d'Aveleen se fissura un peu plus. Ces mots-là, elle les avait entendus dans toutes les bouches, de toutes les manières possibles, à toutes les sauces. Ils résonnaient de la même fatalité ignoble, de cette tyrannique façon de dire qu'elle ne méritait pas ça, mais que ça, et bien, c'était arrivé quand même. Comme si cela changeait quoi que ce soit. Qu'il soit navré, comme du fait qu'il trouve ça injuste. C'était sa navrance, qui était injuste. Elle aurait préféré qu'il ne dise rien, parce qu'ils ne se connaissaient pas et qu'elle n'avait pas envie qu'il soit désolé : c'était tellement insipide, après l'avoir ainsi décortiqué jusqu'à y découvrir quelque chose qu'elle n'avait jusqu'alors que seulement effleuré. Des banalités, elle en avait consommé jusqu'à l'excès, en avait même cuisiné à son tour pour d'autres. Ca ne l'intéressait plus. Ca ne suffisait plus. Ca n'avait jamais suffi.
Aveleen le foudroya du regard, déçue qu'il s'essouffle après l'avoir incité sans le savoir à courir. Elle avait presque envie de lui susurrer : c'est tout ? Navré ? Comme tous les autres ? Ses yeux glissèrent sur son visage, cherchant à s'amarrer à quelque chose d'un plus consistant. Mais il n'y avait rien d'autre qu'un océan de calme dans ses iris d'asphalte.
-- Trouvez-vous une cible, quelqu’un qui a le dos assez large pour encaisser des coups injustes, à battre comme plâtre jusqu’à l’essoufflement, sans quoi vous allez vous asphyxier de vos propres flammes. Je parle en connaissance de cause.
-- Je n'en doute pas, ricana-t-elle nerveusement.
Elle s'agaçait. Il l'agaçait. Il était trop calme, trop condescendant, trop donneur de leçon. Trop blanc, soudainement, après avoir ainsi exacerbé sa propre noirceur. Sa langue claqua, excédée. Elle bougea sa tête, juste assez pour que son nez n'effleure le sien, juste suffisamment pour réaligner leurs regards. Comme si un nouvel angle aurait pu lui fournir de quoi diluer les émotions qu'il avait extrait de la boîte de Pandore sans ensuite les assumer. Où était l'éclat dangereux qu'elle y avait lu auparavant ? Ou diable était passé ce quelque chose de violent et dangereux, cette gangrène de rancœur et de promesse de cœur asséché qu'elle avait crû y deviner ?
-- Taper sur quelque chose jusqu'à ne plus avoir assez de force pour aller au bout de sa colère, en voici une proposition terriblement cliché, se désola Aveleen d'une voix torve. Ensuite, il ne me restera plus qu'à confondre épuisement et guérison, comme si ne plus avoir d'énergie pour être en colère voulait dire ne plus l'être. Mais dîtes-moi, vous qui parlez en connaissance de cause, le cita-t-elle en insistant sur le mot, roulant des épaules pour réajuster sa position, ça a marché pour vous ? fit-elle d'une voix outrageusement tendre pour les propos qu'ils entretenaient. Puis, presque caressante : Vous avez battu votre propre plâtre et maintenant ca va mieux, ou c’est juste que le plâtre est dur et vos doigts cassés ?
Ses yeux affrontaient les siens sans chercher à s'y soustraire, alors qu'elle poursuivait un ton plus bas. Un murmure qu'elle tailla avec soin :
-- Mais, soit. Je vous crois. Vous ne débordez plus. Vous êtes un étang sans remous, sans vie, fatigué d'avoir bouillonné sans jamais réussir à entrer en ébullition. Les petites bulles ont fini par se transformer en vase et maintenant, vous vous êtes habitué à flotter dessus. A force d'avoir empêché le poison de dégouliner, il a fini par tuer tout ce qu'il y avait en vous. Si ma haine ne sert à rien, concéda-t-elle, alors le cimetière de votre lac non plus.
Puis elle sourit soudain, d’un sourire sincère :
- Vous vous figurez être à la prochaine étape ? Nous ne sommes qu’un miroir, rétorqua-t-elle en l'observant. Nez contre nez, océan d'azur contre noirceur abyssale. Vous d’un côté, moi de l’autre, chacun en train de vivre un deuil de la même façon, sauf que ma guerre est en dehors de moi, alors que votre guerre est en vous.
@Leonardo Moreno
C'était pathétique et vivifiant à la fois. Pathétique, parce que cela suintait le désespoir et la faiblesse et qu'il n'y avait jamais rien eu de beau là-dedans. Vivifiant, paradoxalement, parce qu'elle n'avait plus parlé ainsi depuis de longues semaines. Mais s'il fallait décortiquer tout cela, Aveleen aurait simplement répondu que l'inconnu agissait comme un catalyseur, brassant chacune des composantes de son esprit pour venir en extraire une nouvelle substance. Il était insolent, charmeur, calme, irritant. Oh oui, qu'il était irritant à ne pas réagir comme tout le monde. Dans ses yeux, pas d'horreur. Dans sa posture, pas même de la surprise. Tout juste inclina-t-il sa tête contre la sienne, tandis que sa voix de velours venait lécher sa propre peau de son souffle chargé d'éthanol :
-- [...]La haine est un poison, on ne laisse pas le poison dégouliner de soi, où il vous brûle jusqu’à l’os.
Elle détesta immédiatement ce qu'il suggérait, parce qu'il avait raison mais qu'elle n'avait pas envie qu'il ne lui fasse la morale. Fallait-il qu'il électrise chaque terminaison nerveuse de son ressentiment pour ensuite conseiller d'en garder le contrôle ? Elle se fichait qu'il ait raison. En cette soirée, elle n'avait plus envie d'entendre ça, pas alors qu'elle réalisait à quel point la colère était une façon comme une autre de se sentir vivante. En elle, en cet instant, il n'y avait plus que ça : une haine féroce pour toute cette injustice, une rage incandescente qui prenait peu à peu l'ascendant sur chacune de ses pensées, rendues brumeuses par la boisson. Elle s'était montrée si calme, si douce, si effacée, si désespérément silencieuse. Elle avait accepté sans sourciller la descente aux enfers de @William Fastenburry tolérant qu'il lui abandonne la responsabilité de sa fille sans jamais protester de se voir voler chaque parcelle de sa propre indépendance, avalant tous les relents d'agonies sans jamais leur recracher les siens. Et maintenant, maintenant qu'elle explosait, il fallait qu'un parfait inconnu ne lui ressorte des semi-vérités au goût désespérément véridique ? Maintenant qu'elle se dynamitait, fallait-il entendre qu'il était meilleur de se contenir ? Et au nom de quoi, encore ? Qu'y avait-il à protéger, de quels os parlaient-ils ? Elle brûlait, n'avait-il pas entendu ?
-- Je suis navré, pour votre amie. C’est injuste.
La raison d'Aveleen se fissura un peu plus. Ces mots-là, elle les avait entendus dans toutes les bouches, de toutes les manières possibles, à toutes les sauces. Ils résonnaient de la même fatalité ignoble, de cette tyrannique façon de dire qu'elle ne méritait pas ça, mais que ça, et bien, c'était arrivé quand même. Comme si cela changeait quoi que ce soit. Qu'il soit navré, comme du fait qu'il trouve ça injuste. C'était sa navrance, qui était injuste. Elle aurait préféré qu'il ne dise rien, parce qu'ils ne se connaissaient pas et qu'elle n'avait pas envie qu'il soit désolé : c'était tellement insipide, après l'avoir ainsi décortiqué jusqu'à y découvrir quelque chose qu'elle n'avait jusqu'alors que seulement effleuré. Des banalités, elle en avait consommé jusqu'à l'excès, en avait même cuisiné à son tour pour d'autres. Ca ne l'intéressait plus. Ca ne suffisait plus. Ca n'avait jamais suffi.
Aveleen le foudroya du regard, déçue qu'il s'essouffle après l'avoir incité sans le savoir à courir. Elle avait presque envie de lui susurrer : c'est tout ? Navré ? Comme tous les autres ? Ses yeux glissèrent sur son visage, cherchant à s'amarrer à quelque chose d'un plus consistant. Mais il n'y avait rien d'autre qu'un océan de calme dans ses iris d'asphalte.
-- Trouvez-vous une cible, quelqu’un qui a le dos assez large pour encaisser des coups injustes, à battre comme plâtre jusqu’à l’essoufflement, sans quoi vous allez vous asphyxier de vos propres flammes. Je parle en connaissance de cause.
-- Je n'en doute pas, ricana-t-elle nerveusement.
Elle s'agaçait. Il l'agaçait. Il était trop calme, trop condescendant, trop donneur de leçon. Trop blanc, soudainement, après avoir ainsi exacerbé sa propre noirceur. Sa langue claqua, excédée. Elle bougea sa tête, juste assez pour que son nez n'effleure le sien, juste suffisamment pour réaligner leurs regards. Comme si un nouvel angle aurait pu lui fournir de quoi diluer les émotions qu'il avait extrait de la boîte de Pandore sans ensuite les assumer. Où était l'éclat dangereux qu'elle y avait lu auparavant ? Ou diable était passé ce quelque chose de violent et dangereux, cette gangrène de rancœur et de promesse de cœur asséché qu'elle avait crû y deviner ?
-- Taper sur quelque chose jusqu'à ne plus avoir assez de force pour aller au bout de sa colère, en voici une proposition terriblement cliché, se désola Aveleen d'une voix torve. Ensuite, il ne me restera plus qu'à confondre épuisement et guérison, comme si ne plus avoir d'énergie pour être en colère voulait dire ne plus l'être. Mais dîtes-moi, vous qui parlez en connaissance de cause, le cita-t-elle en insistant sur le mot, roulant des épaules pour réajuster sa position, ça a marché pour vous ? fit-elle d'une voix outrageusement tendre pour les propos qu'ils entretenaient. Puis, presque caressante : Vous avez battu votre propre plâtre et maintenant ca va mieux, ou c’est juste que le plâtre est dur et vos doigts cassés ?
Ses yeux affrontaient les siens sans chercher à s'y soustraire, alors qu'elle poursuivait un ton plus bas. Un murmure qu'elle tailla avec soin :
-- Mais, soit. Je vous crois. Vous ne débordez plus. Vous êtes un étang sans remous, sans vie, fatigué d'avoir bouillonné sans jamais réussir à entrer en ébullition. Les petites bulles ont fini par se transformer en vase et maintenant, vous vous êtes habitué à flotter dessus. A force d'avoir empêché le poison de dégouliner, il a fini par tuer tout ce qu'il y avait en vous. Si ma haine ne sert à rien, concéda-t-elle, alors le cimetière de votre lac non plus.
Puis elle sourit soudain, d’un sourire sincère :
- Vous vous figurez être à la prochaine étape ? Nous ne sommes qu’un miroir, rétorqua-t-elle en l'observant. Nez contre nez, océan d'azur contre noirceur abyssale. Vous d’un côté, moi de l’autre, chacun en train de vivre un deuil de la même façon, sauf que ma guerre est en dehors de moi, alors que votre guerre est en vous.
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Jeu 30 Déc 2021 - 17:26
feat Aveleen
Les vibrations. L’onde, frémissante, qui agite les eaux calmes, juste avant que l’océan ne se retire. C’était l’effet de ses quelques mots, laconique, et qui pourtant contenaient plus d’émotions que certains discours de tribuns emphatiques. « Je n’en doute pas ». Alors de quoi doutes-tu, Avaleen ? Doutes-tu de la façon dont tourne le monde, alors que le tien s’est arrêté brutalement dans sa course quelques semaines plus tôt ? Doutes-tu de le revoir se projeter et poursuivre sa ronde autour de son orbite, maintenant qu’elle n’est plus là ? Doutes-tu dans ta foi, douce idole, alors que c’est la main même d’une de Ses créatures qui a fait de ton amie un ange ? Doutes-tu aussi qu’elle soit allée rejoindre Dieu le Père, qu’elle ait pu baiser ses pieds et se ranger parmi les Justes, ou crains-tu plutôt de ne plus jamais la revoir, âme trop tourmentée pour t’y retrouver un jour ?
( Tu t’es damné pour moi, toi, Léo, ça ne te rend pas trop triste ? « Non, Magda, je l’ai choisi. Et si la compagnie est meilleure là haut, je préfère la météo qu’il fait en bas. » Tu vois, tu peux être drôle, parfois.)
Les vibrations. La colère, qui monte un peu plus, qui se fracasse, comme les vagues qui s’agacent que la digue ne suive pas leur désir furieux, ne le laisse pas embarquer par le courant. Alors elles frappent, frappent, les mots assassinent et, Salaud, il sourit un peu plus. Il s’enchante de sa confusion, de ce qu’elle interprète de ses mots, tordant le sens de ses phrases pour qu’elles collent à son univers, faussant ses intentions pour mieux nourrir ses propres démons. Elle tire des conclusions qui n’appartiennent qu’à elle, et s’en offusque. Il la prendrait presque dans ses bras en riant, poserait un baiser sur son front en la serrant fort, la traitant d’idiote, si elle n’avait pas été une inconnue. Si elle avait été Magda, qui avait ce défaut là de prendre ses fâcheries pour des réalités. A la place, il se contentait d’essuyer les affronts, d’effleurer ses prunelles du bout des cils qu’il avait de si longs. Se repaissait de ses estocades, tentatives avortées de le contaminer de sa hargne, jouissant de son aveuglement de fille pas si sage, mais encore trop fébrile et révoltée. La laissait l’imaginer vide, vide d’émotions, vide de sens aussi, et croire qu’il apparentait ça à de la paix. Il ne serait plus jamais en paix, et c’était bien là toute la difficulté de ne plus jamais le laisser paraître ailleurs qu’aux moments choisis, une lame entre ses doigts crayeux de plâtre.
- Un miroir … Alors je n’ai jamais eu un reflet aussi joli.
La provocation était gratuite, mais il avait dans l’idée que c’était ce qu’elle attendait, aussi. Une réaction qui sorte de l’ordinaire et des lieux communs. Quand il avait déclaré la mort de Mary comme injuste, il le pensait, sincèrement, mais puisqu’elle ne pouvait comprendre pourquoi, ses mots ne s’étaient faits que l’écho pâle de centaines d’autres bouches. Si elle avait su, à quel point l’injustice l’avait empêché de dormir, comme la révolte avait fait battre son cœur amputé d’un ventricule. Comme l’hérésie d’un autre avait fait de lui un assassin. Y avait-il seulement plus inique ?
Un instant, il laissa reposer son regard dans le sien. Aspira son souffle entre ses lèvres pour en tapisser ses poumons. Dans son dos, il sentait le regard discret d’une succube qui riait trop fort auprès d’un client, perçant la bulle de ce tête-à-tête incongru. Décida de s’en foutre, encore quelques minutes, égoïstement, avant de devoir remettre sa pelure de maître des lieux.
- Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit, mais peut être était-ce ce que vous vouliez entendre, pour mieux vous en offenser. J’accepte le rôle. Rien n’a fonctionné pour moi, je trompe l’ennui, la nuit, je mens. Je me distrais. Là dessus, aussi, nous nous rejoignons, bien que les cartes n’aient jamais eu ma faveur, la roulette non plus. J’aime trop gagner.
Les iris brillent, les corps se frôlent par touche, et puis, il recule, un peu. Cède un peu de terrain et lui fait lever les yeux plus haut, plus loin. Refaire la focale, réadapter le point de vue.
- Je dis simplement que toute cette belle … Energie est bien peu employée, en l’état. Mais dites moi, je suis curieux à présent. Si seulement, seulement, vous l’aviez, Lui, sous la main, qu’en feriez vous ?
Parce que c’est beau, toute cette haine, toute cette rage, divine harpie de salon, démone de cour d’école, mais fasse à l’horreur, aurais tu eu ce qu’il fallait au fond des entrailles pour la changer en mouvement ? Aurais-tu mu ton corps face au sien, aurait tu appuyé sur la détente, soumis le fil de la lame à la pression suffisante pour ouvrir la chair ? Quand le coeur battant honni aurait été dans le creux de ta paume, aurais tu oser serrer. Serrer. Serrer. Elle est belle, ta colère d’opérette, Aveleen, mais ta haine est elle un simple passage obligé de ton deuil, ou l'instrument ultime pour réparer la mécanique d’un univers cassé ?
( Tu t’es damné pour moi, toi, Léo, ça ne te rend pas trop triste ? « Non, Magda, je l’ai choisi. Et si la compagnie est meilleure là haut, je préfère la météo qu’il fait en bas. » Tu vois, tu peux être drôle, parfois.)
Les vibrations. La colère, qui monte un peu plus, qui se fracasse, comme les vagues qui s’agacent que la digue ne suive pas leur désir furieux, ne le laisse pas embarquer par le courant. Alors elles frappent, frappent, les mots assassinent et, Salaud, il sourit un peu plus. Il s’enchante de sa confusion, de ce qu’elle interprète de ses mots, tordant le sens de ses phrases pour qu’elles collent à son univers, faussant ses intentions pour mieux nourrir ses propres démons. Elle tire des conclusions qui n’appartiennent qu’à elle, et s’en offusque. Il la prendrait presque dans ses bras en riant, poserait un baiser sur son front en la serrant fort, la traitant d’idiote, si elle n’avait pas été une inconnue. Si elle avait été Magda, qui avait ce défaut là de prendre ses fâcheries pour des réalités. A la place, il se contentait d’essuyer les affronts, d’effleurer ses prunelles du bout des cils qu’il avait de si longs. Se repaissait de ses estocades, tentatives avortées de le contaminer de sa hargne, jouissant de son aveuglement de fille pas si sage, mais encore trop fébrile et révoltée. La laissait l’imaginer vide, vide d’émotions, vide de sens aussi, et croire qu’il apparentait ça à de la paix. Il ne serait plus jamais en paix, et c’était bien là toute la difficulté de ne plus jamais le laisser paraître ailleurs qu’aux moments choisis, une lame entre ses doigts crayeux de plâtre.
- Un miroir … Alors je n’ai jamais eu un reflet aussi joli.
La provocation était gratuite, mais il avait dans l’idée que c’était ce qu’elle attendait, aussi. Une réaction qui sorte de l’ordinaire et des lieux communs. Quand il avait déclaré la mort de Mary comme injuste, il le pensait, sincèrement, mais puisqu’elle ne pouvait comprendre pourquoi, ses mots ne s’étaient faits que l’écho pâle de centaines d’autres bouches. Si elle avait su, à quel point l’injustice l’avait empêché de dormir, comme la révolte avait fait battre son cœur amputé d’un ventricule. Comme l’hérésie d’un autre avait fait de lui un assassin. Y avait-il seulement plus inique ?
Un instant, il laissa reposer son regard dans le sien. Aspira son souffle entre ses lèvres pour en tapisser ses poumons. Dans son dos, il sentait le regard discret d’une succube qui riait trop fort auprès d’un client, perçant la bulle de ce tête-à-tête incongru. Décida de s’en foutre, encore quelques minutes, égoïstement, avant de devoir remettre sa pelure de maître des lieux.
- Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit, mais peut être était-ce ce que vous vouliez entendre, pour mieux vous en offenser. J’accepte le rôle. Rien n’a fonctionné pour moi, je trompe l’ennui, la nuit, je mens. Je me distrais. Là dessus, aussi, nous nous rejoignons, bien que les cartes n’aient jamais eu ma faveur, la roulette non plus. J’aime trop gagner.
Les iris brillent, les corps se frôlent par touche, et puis, il recule, un peu. Cède un peu de terrain et lui fait lever les yeux plus haut, plus loin. Refaire la focale, réadapter le point de vue.
- Je dis simplement que toute cette belle … Energie est bien peu employée, en l’état. Mais dites moi, je suis curieux à présent. Si seulement, seulement, vous l’aviez, Lui, sous la main, qu’en feriez vous ?
Parce que c’est beau, toute cette haine, toute cette rage, divine harpie de salon, démone de cour d’école, mais fasse à l’horreur, aurais tu eu ce qu’il fallait au fond des entrailles pour la changer en mouvement ? Aurais-tu mu ton corps face au sien, aurait tu appuyé sur la détente, soumis le fil de la lame à la pression suffisante pour ouvrir la chair ? Quand le coeur battant honni aurait été dans le creux de ta paume, aurais tu oser serrer. Serrer. Serrer. Elle est belle, ta colère d’opérette, Aveleen, mais ta haine est elle un simple passage obligé de ton deuil, ou l'instrument ultime pour réparer la mécanique d’un univers cassé ?
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Re: It's dark but just a game
Dim 2 Jan 2022 - 15:42
Il l'avait écouté sans rien dire, comme se réjouissant de la métamorphose qui s'opérait en elle et se moquant bien de ce qu'elle supposait de lui. Plus elle parlait, plus elle pouvait suivre le mouvement de ses lèvres telle la course impétueuse d'un soleil baignant de ses rayons satisfaits son visage. Et le voilà encore, ce sourire qu'elle crevait d'envie de lui faire ravaler un peu plus à chaque minute.
-- Un miroir … Alors je n’ai jamais eu un reflet aussi joli, fit-il, définitivement trop charmeur pour leur discussion morose.
Provocateur à s'en étouffer, ajouta-t-elle à la liste de ces nombreux défauts. Elle pouvait percevoir les effluves chauds de son souffle caresser son visage. Provocateur et trop proche. Elle le sentait expirer ses mots comme s'il fallait prononcer avec une tendresse désabusée ses pensées sombres et sauvages. Trop proche, définitivement. Elle sentait également les mouvements de sa bouche lorsqu'il articulait tout contre ses tempes. Avec son calme indécent, il grignotait sa patience avec une minutie horriblement agaçante. Acceptant le rôle pour mieux lui expliquer quelle indéchiffrable personne il était. Elle aurait dû reculer depuis longtemps. Au lieu de ça, ses yeux le toisaient avec un mélange d'irritation et de curiosité inavouable. Et la seule chose qu'elle lisait dans le creux de son regard, c'était son amusement. Ses yeux chantaient "Bien essayé".
-- J’aime trop gagner, déclara-t-il, comme un écho à cette constatation.
Et fier de lui, avec ça, pensa-t-elle. Elle se retint de tutoyer le plafond de ses yeux avec indignation. Il en aurait été beaucoup trop heureux.
-- Je dis simplement, poursuivit-il en se reculant, que toute cette belle … Energie est bien peu employée, en l’état.
L'Irlandaise s'était redressée sur sa chaise, profitant qu'il ait libéré son front pour inspirer avec un peu plus de facilité. Elle ne s'était pas rendu compte d'avoir ainsi retenu son souffle, par simple esprit de protection. Malheureusement, il tenait toujours en joug son regard et cette constatation désagréable assécha sa gorge à mesure qu'elle comprenait vers quels lieux il cherchait à les faire valser. S'il y avait encore persisté le moindre doute, c'était terminé.
Il était en train de jouer.
Avec elle, contre elle, ça, elle n'en était pas encore totalement certaine. Mais il jouait et pour une raison qui lui échappait, elle était une partie bien plus intéressante que les cartes ou la roulette. Et, pour une raison qui ne lui échappait pas le moins du monde, elle savait ce qu'il voulait. "J'aime trop gagner" avait-il dit. Sauf qu'elle ignorait la définition qu'il se faisait d'une victoire en cette soirée.
-- Mais dites moi, je suis curieux à présent. Si seulement, seulement, attisa-t-il sa suggestion en y faisant emphase, comme pour dire "tu as faim, n'est-ce-pas ?" vous l’aviez, Lui, sous la main, qu’en feriez vous ?
Elle était coincée.
Parce qu'elle était affamée, justement. Une famine d'injustice qui salivait devant un met colérique.
Il venait une nouvelle fois de foutre le bordel. Elle qui avait tant passé de temps durant ce deuil à ordonner, ranger, trier, organiser se retrouvait à présent dans le désordre le plus complet. Acculée, elle resta interdite quelques secondes. Il avait outrepassé les limites depuis longtemps, mais à présent il osait plonger les mains vers ce qui restait de sa raison. De ses doigts manipulateurs et charmeurs, le voilà qui mélangeait tout : la mélancolie et l'injustice, la tristesse et la colère, la peur et l'envie d'hurler. Pire que ça : elle lui avait fourni tellement d'informations, lui montrant du doigt toutes ces parcelles de forêts qui s'étaient consumées à l'intérieur d'elle. Et maintenant qu'il se tenait là, sur les cendres de ce qui avait été jusqu'alors un deuil silencieux et poli, le voilà qui soufflait dessus pour que l'incendie ne poursuive. Tel un pyromane sachant que le meilleur des incendies était celui qui repartait de plus bel, plus fort. Plus vif. Plus destructeur.
C'était dangereux. Evidemment. Et là aussi, elle aurait dû reculer.
Elle se mordit les lèvres en affrontant son regard : elle hésitait. Et c'était déjà céder.
Elle se sentait comme une enfant devant une porte interdite. Elle savait qu'il ne fallait pas l'ouvrir comme n'importe qui était capable de savoir que ni la haine ni la vengeance ne résoudrait jamais rien. Mais ce soir, la tentation était forte. Juste une fois. Juste pour regarder. Elle voulait juste entrebâiller la porte. Puis sagement la refermer.
Juste entrebâiller la porte.
Elle sentait son regard.
Ses yeux à lui, qui semblaient chanter : trouillarde.
-- Je crois que ça dépend, céda-t-elle, timide pour la première depuis qu'ils conversaient.
Comme un oiseau ayant consenti à jouer avec un chat.
-- Si Lui est un être simplement fou, alors il n'y a rien à faire qui ne puisse me satisfaire, fit-elle tandis que ses yeux s'infusaient d'une concentration toute méthodique.
Ses doigts s'égarèrent sur une des serviettes posée sur la table et commencèrent à s'y agiter en gestes tout aussi méthodiques.
-- Mais si Lui possède juste un cœur abîmé et un esprit détraqué, alors je crois que j'aimerai le guérir, fit-elle après quelques secondes de réflexion tandis qu'elle poursuivait ses pliages de ses doigts délicats. Peu importe le temps que cela prendrait. J'aimerai retrouver tous les petits morceaux éparpillés, énuméra-t-elle en donnant forme au papier sans jamais regarder son interlocuteur, les rassembler, les caresser et les attendrir jusqu'à ce qu'il soit beau de nouveau.
Peu à peu, la fleur naissait et lorsqu'elle eut finit, l'Irlandaise redressa son regard pour venir le déposer dans celui de son vis à vis. Elle y chercha une autorisation, n'y trouva pas de refus. Alors, sans rien dire, elle se saisit de sa main pour la lui faire retourner jusqu'à y nicher la petite fleur de lotus dans le creux de sa paume.
-- Que le cœur rebatte, continua-t-elle à expliquer d'une voix aussi douce que n'avaient été chacun de ses gestes. Eprouve. Ressente. Culpabilise. Se haïsse. Se pardonne. S'aime.
A chaque mot, elle avait achevé d'étirer les pétales vers le sommet jusqu'à ce chacune d'elle soit correctement dépliée.
-- Parce que quand il sera guéri, alors il sera comme cette feuille de papier. Vulnérable. Et alors, prophétisa-t-elle d'une voix tremblante en descendant délicatement sa main vers celle de l'inconnu pour venir écraser sa création entre leurs deux paumes , je lui reprendrai le cadeau que je lui ai fait.
@Leonardo Moreno
-- Un miroir … Alors je n’ai jamais eu un reflet aussi joli, fit-il, définitivement trop charmeur pour leur discussion morose.
Provocateur à s'en étouffer, ajouta-t-elle à la liste de ces nombreux défauts. Elle pouvait percevoir les effluves chauds de son souffle caresser son visage. Provocateur et trop proche. Elle le sentait expirer ses mots comme s'il fallait prononcer avec une tendresse désabusée ses pensées sombres et sauvages. Trop proche, définitivement. Elle sentait également les mouvements de sa bouche lorsqu'il articulait tout contre ses tempes. Avec son calme indécent, il grignotait sa patience avec une minutie horriblement agaçante. Acceptant le rôle pour mieux lui expliquer quelle indéchiffrable personne il était. Elle aurait dû reculer depuis longtemps. Au lieu de ça, ses yeux le toisaient avec un mélange d'irritation et de curiosité inavouable. Et la seule chose qu'elle lisait dans le creux de son regard, c'était son amusement. Ses yeux chantaient "Bien essayé".
-- J’aime trop gagner, déclara-t-il, comme un écho à cette constatation.
Et fier de lui, avec ça, pensa-t-elle. Elle se retint de tutoyer le plafond de ses yeux avec indignation. Il en aurait été beaucoup trop heureux.
-- Je dis simplement, poursuivit-il en se reculant, que toute cette belle … Energie est bien peu employée, en l’état.
L'Irlandaise s'était redressée sur sa chaise, profitant qu'il ait libéré son front pour inspirer avec un peu plus de facilité. Elle ne s'était pas rendu compte d'avoir ainsi retenu son souffle, par simple esprit de protection. Malheureusement, il tenait toujours en joug son regard et cette constatation désagréable assécha sa gorge à mesure qu'elle comprenait vers quels lieux il cherchait à les faire valser. S'il y avait encore persisté le moindre doute, c'était terminé.
Il était en train de jouer.
Avec elle, contre elle, ça, elle n'en était pas encore totalement certaine. Mais il jouait et pour une raison qui lui échappait, elle était une partie bien plus intéressante que les cartes ou la roulette. Et, pour une raison qui ne lui échappait pas le moins du monde, elle savait ce qu'il voulait. "J'aime trop gagner" avait-il dit. Sauf qu'elle ignorait la définition qu'il se faisait d'une victoire en cette soirée.
-- Mais dites moi, je suis curieux à présent. Si seulement, seulement, attisa-t-il sa suggestion en y faisant emphase, comme pour dire "tu as faim, n'est-ce-pas ?" vous l’aviez, Lui, sous la main, qu’en feriez vous ?
Elle était coincée.
Parce qu'elle était affamée, justement. Une famine d'injustice qui salivait devant un met colérique.
Il venait une nouvelle fois de foutre le bordel. Elle qui avait tant passé de temps durant ce deuil à ordonner, ranger, trier, organiser se retrouvait à présent dans le désordre le plus complet. Acculée, elle resta interdite quelques secondes. Il avait outrepassé les limites depuis longtemps, mais à présent il osait plonger les mains vers ce qui restait de sa raison. De ses doigts manipulateurs et charmeurs, le voilà qui mélangeait tout : la mélancolie et l'injustice, la tristesse et la colère, la peur et l'envie d'hurler. Pire que ça : elle lui avait fourni tellement d'informations, lui montrant du doigt toutes ces parcelles de forêts qui s'étaient consumées à l'intérieur d'elle. Et maintenant qu'il se tenait là, sur les cendres de ce qui avait été jusqu'alors un deuil silencieux et poli, le voilà qui soufflait dessus pour que l'incendie ne poursuive. Tel un pyromane sachant que le meilleur des incendies était celui qui repartait de plus bel, plus fort. Plus vif. Plus destructeur.
C'était dangereux. Evidemment. Et là aussi, elle aurait dû reculer.
Elle se mordit les lèvres en affrontant son regard : elle hésitait. Et c'était déjà céder.
Elle se sentait comme une enfant devant une porte interdite. Elle savait qu'il ne fallait pas l'ouvrir comme n'importe qui était capable de savoir que ni la haine ni la vengeance ne résoudrait jamais rien. Mais ce soir, la tentation était forte. Juste une fois. Juste pour regarder. Elle voulait juste entrebâiller la porte. Puis sagement la refermer.
Juste entrebâiller la porte.
Elle sentait son regard.
Ses yeux à lui, qui semblaient chanter : trouillarde.
-- Je crois que ça dépend, céda-t-elle, timide pour la première depuis qu'ils conversaient.
Comme un oiseau ayant consenti à jouer avec un chat.
-- Si Lui est un être simplement fou, alors il n'y a rien à faire qui ne puisse me satisfaire, fit-elle tandis que ses yeux s'infusaient d'une concentration toute méthodique.
Ses doigts s'égarèrent sur une des serviettes posée sur la table et commencèrent à s'y agiter en gestes tout aussi méthodiques.
-- Mais si Lui possède juste un cœur abîmé et un esprit détraqué, alors je crois que j'aimerai le guérir, fit-elle après quelques secondes de réflexion tandis qu'elle poursuivait ses pliages de ses doigts délicats. Peu importe le temps que cela prendrait. J'aimerai retrouver tous les petits morceaux éparpillés, énuméra-t-elle en donnant forme au papier sans jamais regarder son interlocuteur, les rassembler, les caresser et les attendrir jusqu'à ce qu'il soit beau de nouveau.
Peu à peu, la fleur naissait et lorsqu'elle eut finit, l'Irlandaise redressa son regard pour venir le déposer dans celui de son vis à vis. Elle y chercha une autorisation, n'y trouva pas de refus. Alors, sans rien dire, elle se saisit de sa main pour la lui faire retourner jusqu'à y nicher la petite fleur de lotus dans le creux de sa paume.
-- Que le cœur rebatte, continua-t-elle à expliquer d'une voix aussi douce que n'avaient été chacun de ses gestes. Eprouve. Ressente. Culpabilise. Se haïsse. Se pardonne. S'aime.
A chaque mot, elle avait achevé d'étirer les pétales vers le sommet jusqu'à ce chacune d'elle soit correctement dépliée.
-- Parce que quand il sera guéri, alors il sera comme cette feuille de papier. Vulnérable. Et alors, prophétisa-t-elle d'une voix tremblante en descendant délicatement sa main vers celle de l'inconnu pour venir écraser sa création entre leurs deux paumes , je lui reprendrai le cadeau que je lui ai fait.
@Leonardo Moreno
- InvitéInvité
Re: It's dark but just a game
Jeu 20 Jan 2022 - 16:33
feat Aveleen
Les minutes s’écoulaient entre les doigts calleux de Leo sans qu’il ne s’en soucie, intrigué et fasciné par les ombres qui passaient sur le visage de poupée de la jeune femme qui lui faisait face. Comme un miroir de porcelaine fine, si fine que sous les lumières bleutées des néons, il pouvait deviner par endroit le circuit des veines qui charriaient le sang chaud, la colère, la violence, rushant comme un circuit automobile avec le moteur de la hargne rugissant dans sa gorge. Sa voix à lui, douce, comme un soufflet qui attisait tout ce qu’elle n’osait pas faire ressortir, le laid, le sale, le crasseux, le salissant. Elle était loin, la dame un peu distante et froide, désabusée. Les plumes froissées, et elle devenait plus intéressante, quand elle lâchait un instant les conventions et les bonnes manières pour le regarder droit dans les yeux, farouche et vengeresse.
Il n’était pas fou. Elle présumait donc bien. Un fou aurait été bien plus brouillon, le sang aurait peint les murs, les traces se seraient transformées en empreintes, les empreintes, en preuves, et rapidement les fers seraient venus à son tour rougir ses poignets liés. La mort de Mary n’était pas l’œuvre d’un fou, mais bien le travail d’un professionnel, mais ça, il ne pouvait s’en targuer, pas tout de suite. Cet imbécile de William, si il était ne serait ce que la moitié d’un bon auror, devait s’en rendre compte. Il espérait sincèrement que lui aussi, cela l’empêchait de dormir la nuit. Elle avait utilisé le masculin, pour parler de son assassin. Cela faisait sens, aussi, d’après les statistiques, mais ça, il ne pouvait le lui dire non plus, et puis, c’était un lieu commun pour l’opinion publique. Bercé par la voix mélodieuse d’Aveleen, il n’avait plus dit mot, se laissant entrainer par le conte qu’elle lui servait harmonieusement, méthodiquement. Il l’imaginait en infirmière pour marionnette, poupée de chiffon à son effigie qu’en patience, elle raccommodait délicatement. Elle rapiéçait, morceau après morceau, trouvait le bon rembourrage, et puis les boutons noirs pour les yeux, à la manière de certaines poupées vaudous qu’il avait pu croiser dans ses errances dans le Bayou orléanais. Il l’imaginait penchée sur son ouvrage, près d’une fenêtre fantasmée où les rayons de soleil coifferaient sa chevelure blonde d’une couronne de lumière douce et tiède, découpant sa silhouette aristocratique sur le mur opposé, sans qu’elle n’y jette un œil, trop concentrée à sa tâche. Actionnant les bras, les jambes, pour s’assurer de la bonne facture du jouet, un pli concentré sur le front. Que le cœur rebatte, Pinocchio de chiffon titubant sur la table de l’artisane, levant ses prunelles boutons vers elle avec reconnaissance, sans savoir qu’il y aurait cette épingle traitresse pour le punaiser au mur. Retour à l’immobilisme forcé, la voir vivre et refermer la porte, jouet que l’on relègue à l’oubli en pénitence pour les méfaits commis par le marionnettiste. Parce que si elle savait, en voudrait elle à la main qui avait tranché la gorge de Mary, ou à l’homme qui l’avait poussé à commettre une telle vengeance, en première intention ?
Il baissa les yeux vers l’origami entre ses paumes, les releva vers la photographe alors qu’elle bouclait son plan, infaillible ou presque. Le papier s’enfonça dans la pulpe de sa main, mais il sentait surtout la chaleur et les doigts fins de la sorcière contre son poignet, esquissant un petit sourire en coin, soufflant un petit rire par les narines.
- Et bien, face à un tel génie du mal, je Lui souhaite de ne pas tomber entre vos griffes, Aveleen. Il pourrait y prendre gout et se retrouver avec le cœur brisé ensuite, quelle tristesse. Mais vous devriez prendre garde, vous aussi. Il y a des démons familiers dont on s’accoutume un peu trop facilement, peu importe ce que l’on comptait faire d’eux, au début. Cela compte pour la boisson, les drogues, les jeux … Mais peut être aussi pour les âmes abimées que l’on s’imagine pouvoir guérir à coups de caresses et de discours léchés. J’aimerai bien voir l’entreprise, cependant. Prévenez moi, quand vous l’aurez trouvé.
Il referma sa main sur la fleur de papier écrasée, la fit disparaitre dans sa poche.
L’instant d’après, c’était une des danseuses de la scène qui avait fendu la foule, roulant des hanches comme une déferlante vers le stygien, s’accrochant à son cou non sans un petit sourire défiant pour la blonde, pour venir chuchoter quelques mots à Leo, et lui tapoter doucement le torse comme pour conclure son intervention par une subtile (non) provocation. Il avait froncé subrepticement les sourcils, avant de relâcher la naïade en balançant la tête de droite à gauche avec un soupir de dépit.
- Je crois que je vais devoir vous priver de ma présence à présent. Le devoir m’appelle, et il est un maitre impatient.
Il quitta son mange debout, terminant son verre d’une lampée distraite, avant de prendre la main d’Aveleen, une dernière fois, la ramenant à ses lèvres dans un baiser tout juste effleuré sur le bout de ses ongles.
- Je suis là tous les soirs, ou presque. Si vous souhaitez me trouver, vous savez où. Je ne serais jamais bien loin, visible ou non.
(« Mais quel brasseur, j’hallucine » Jalouse ? « De qui, de toi ou d’elle ? » Je ne sais pas, dis moi ? « Pfff, t’es qu’un gros naze. Bon au moins, on se sera bien amusé, héhé. Hein ? » Oui oui …)
Il n’était pas fou. Elle présumait donc bien. Un fou aurait été bien plus brouillon, le sang aurait peint les murs, les traces se seraient transformées en empreintes, les empreintes, en preuves, et rapidement les fers seraient venus à son tour rougir ses poignets liés. La mort de Mary n’était pas l’œuvre d’un fou, mais bien le travail d’un professionnel, mais ça, il ne pouvait s’en targuer, pas tout de suite. Cet imbécile de William, si il était ne serait ce que la moitié d’un bon auror, devait s’en rendre compte. Il espérait sincèrement que lui aussi, cela l’empêchait de dormir la nuit. Elle avait utilisé le masculin, pour parler de son assassin. Cela faisait sens, aussi, d’après les statistiques, mais ça, il ne pouvait le lui dire non plus, et puis, c’était un lieu commun pour l’opinion publique. Bercé par la voix mélodieuse d’Aveleen, il n’avait plus dit mot, se laissant entrainer par le conte qu’elle lui servait harmonieusement, méthodiquement. Il l’imaginait en infirmière pour marionnette, poupée de chiffon à son effigie qu’en patience, elle raccommodait délicatement. Elle rapiéçait, morceau après morceau, trouvait le bon rembourrage, et puis les boutons noirs pour les yeux, à la manière de certaines poupées vaudous qu’il avait pu croiser dans ses errances dans le Bayou orléanais. Il l’imaginait penchée sur son ouvrage, près d’une fenêtre fantasmée où les rayons de soleil coifferaient sa chevelure blonde d’une couronne de lumière douce et tiède, découpant sa silhouette aristocratique sur le mur opposé, sans qu’elle n’y jette un œil, trop concentrée à sa tâche. Actionnant les bras, les jambes, pour s’assurer de la bonne facture du jouet, un pli concentré sur le front. Que le cœur rebatte, Pinocchio de chiffon titubant sur la table de l’artisane, levant ses prunelles boutons vers elle avec reconnaissance, sans savoir qu’il y aurait cette épingle traitresse pour le punaiser au mur. Retour à l’immobilisme forcé, la voir vivre et refermer la porte, jouet que l’on relègue à l’oubli en pénitence pour les méfaits commis par le marionnettiste. Parce que si elle savait, en voudrait elle à la main qui avait tranché la gorge de Mary, ou à l’homme qui l’avait poussé à commettre une telle vengeance, en première intention ?
Il baissa les yeux vers l’origami entre ses paumes, les releva vers la photographe alors qu’elle bouclait son plan, infaillible ou presque. Le papier s’enfonça dans la pulpe de sa main, mais il sentait surtout la chaleur et les doigts fins de la sorcière contre son poignet, esquissant un petit sourire en coin, soufflant un petit rire par les narines.
- Et bien, face à un tel génie du mal, je Lui souhaite de ne pas tomber entre vos griffes, Aveleen. Il pourrait y prendre gout et se retrouver avec le cœur brisé ensuite, quelle tristesse. Mais vous devriez prendre garde, vous aussi. Il y a des démons familiers dont on s’accoutume un peu trop facilement, peu importe ce que l’on comptait faire d’eux, au début. Cela compte pour la boisson, les drogues, les jeux … Mais peut être aussi pour les âmes abimées que l’on s’imagine pouvoir guérir à coups de caresses et de discours léchés. J’aimerai bien voir l’entreprise, cependant. Prévenez moi, quand vous l’aurez trouvé.
Il referma sa main sur la fleur de papier écrasée, la fit disparaitre dans sa poche.
L’instant d’après, c’était une des danseuses de la scène qui avait fendu la foule, roulant des hanches comme une déferlante vers le stygien, s’accrochant à son cou non sans un petit sourire défiant pour la blonde, pour venir chuchoter quelques mots à Leo, et lui tapoter doucement le torse comme pour conclure son intervention par une subtile (non) provocation. Il avait froncé subrepticement les sourcils, avant de relâcher la naïade en balançant la tête de droite à gauche avec un soupir de dépit.
- Je crois que je vais devoir vous priver de ma présence à présent. Le devoir m’appelle, et il est un maitre impatient.
Il quitta son mange debout, terminant son verre d’une lampée distraite, avant de prendre la main d’Aveleen, une dernière fois, la ramenant à ses lèvres dans un baiser tout juste effleuré sur le bout de ses ongles.
- Je suis là tous les soirs, ou presque. Si vous souhaitez me trouver, vous savez où. Je ne serais jamais bien loin, visible ou non.
(« Mais quel brasseur, j’hallucine » Jalouse ? « De qui, de toi ou d’elle ? » Je ne sais pas, dis moi ? « Pfff, t’es qu’un gros naze. Bon au moins, on se sera bien amusé, héhé. Hein ? » Oui oui …)
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