Les bras remplis de posters et flyers, je déboule en trombe dans la grande salle. Il doit être midi, enfin je crois. Mais oui, il est midi ! Je viens de sortir de litté, donc c’est l’heure de manger. Mais j’ai pas le temps de manger. Non non non ! Il faut que je prépare la manif de demain, voyons. Je sais que c’est l’heure où yaura plein de monde qui viendra manger, mais tant pis. Déambulant entre les étudiants, je bouscule ceux qui sont sur mon passage. “Don’t you see I’m loaded ? For Merlin’s sake !” Les sourcils froncés de mécontentement, je le fais savoir haut et fort. Loin de moi l’idée d’être discrète. J’avance jusqu’à une table, essayant de trouver de la place. Les six tables correspondant aux maisons ne sont jamais respectées, les étudiants mangeant entre amis, se déplaçant d’une table à l’autre, se mélangeant entre maisons, couleurs formant un joli tableau. Moi, je veux juste une place libre, c’est trop demander ?

Je n’ai pas le temps d’approfondir cette réflexion, car je trébuche sur la dalle, partant en avant. Les dizaines de posters s’envolent, ainsi que la centaine de flyers. Le tout se répand sur le sol de la grande salle, les images de licornes et slogans s’animant tous en même temps. “καλά έπαιξε, Aphro…” Marmonnement grec, alors que je m’agenouille par terre pour ramasser. “DON’T FUCKING STEP ON IT !” Mouvement brusque de la main alors que j’essaie d’écarter les étudiants qui tentent de passer pour rejoindre leur place. “Morons...” Mes flyers ramassés, je pose le tout sur la table à côté de moi. M’asseyant, je dévisage le Wright en face de moi. “Oh, no, I don’t need help, thank you for fucking asking.” Air sarcastique, mes yeux qui roulent vers le ciel. Nate est en train de se goinfrer manger avec un air totalement innocent.  

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@nate gallaway

Eternelle maladroite, j’aurais dû me douter qu’entrer comme ça, en trombe, dans la grande salle, en plein milieu du repas de midi, était une mauvaise idée. Mais depuis quand je me soucie de ces choses là, hein ? Depuis jamais, voilà. Puis, de toute façon, je dois afficher les posters, distribuer les flyers, et quel meilleur endroit que la grande salle, qui rassemble les trois quarts des étudiants à cette période de la journée ? Bref, les flyers et posters ramassés - à la main bien entendu, pourquoi s’embêter avec une baguette ? - je m’installe là où je voulais aller depuis le début. Nate. Je l’ai vu, à peine entrée dans la grande salle. Il mange seul. C’est pas son genre, mais c’est une aubaine, pour aujourd’hui. Car ça veut dire que j’ai une place facilement, et surtout car je vais pouvoir l’emmerder. Il me regarde le sourire aux lèvres, pas du tout inquiété par mon état. Pique sarcastique, yeux au ciel. “You're very much welcome, dear. Always here to give a hand.” Sourire qui retourne quelque chose dans mon ventre. Ce sourire. Encore après tout ce temps, il continue à me faire autant d’effet. Et je sais que je ne peux pas craquer. J’ai déjà craqué tellement de fois. Regard de défi pour masquer ce qui se passe dans mes entrailles. “Remember me not to call you when I need something, ανόητο.” Pique affectueuse en grec, que je dois utiliser souvent avec lui. Cette petite tête de con.

J’essaie de faire du tri dans les flyers sur la table, mais la main du Wright vient bloquer mon mouvement. “What's all this my little pony stuff, anyway ? Setting up a fanclub or something ?” Roulement des yeux. “It’s for tomorrow’s protest. Learn to read, why don’t you ?” Décidant que ce n’est pas une si mauvaise idée que ça de lui laisser un flyer, je termine de reformer un petit tas bien net de parchemins. “Wanna help me give these out after lunch ?” Reposant mon regard sur lui, je le contemple un instant. Je suis certaine que s’il m’aidait, plus de gens viendraient, demain. Il faut sauver les licornes, quand même ! “It’s against unicorn hunting. Did you know their horns are used in potions, or even Christmas ornaments ?” Yeux qui s’arrondissent de fureur. Engagée, me donnant à fond pour les causes qui me tiennent à coeur, je suis effarée de l’attitude de certaines personnes, principalement contre les animaux. Regarder l’Ecossais manger me donne soudainement faim. Pas la première à réprimer mes pulsions, je tends le bras pour lui piquer sa fourchette. Attrapant quelques frites, je porte la fourchette à ma bouche, un air de défi dans les yeux. Défi qui disparaît rapidement au profit d’un air charmeur. Papillonnement bref des cils, petit sourire, menton qui vient se poser sur ma main. “Please ? I can’t do it all alone, Natanel.” Moue désemparée, grands yeux faussement implorants.

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Ce flegme, cet air toujours désintéressé, m’a toujours énervée. Comment peut-il n’avoir jamais envie de rien faire ? Enfin, rien à part manger. Soupir de frustration alors qu’il me fait clairement comprendre qu’il ne veut pas m’aider. Mais s’il a cru que j’allais m’avouer vaincue, il se met le doigt dans l’oeil. Moment de flottement pendant lequel je lui pique sa fourchette pour manger ses dernières frites. Il me regarde avec cet air suspicieux, qui montre qu’il me connaît bien. Combien de fois j’ai dû lui faire ce coup ? Beaucoup trop de fois. Mais je prends mon temps pour savourer la nourriture. Une fois quelques instants passés, je reprends mon offensive. “Please ? I can’t do it all alone, Natanel.” Petite moue de fille triste, battement de cils, j’essaie de me concentrer pour augmenter la puissance de mon pouvoir. Et je crois lire, avec un sentiment victorieux certain, qu’il va craquer. “Eh, you know, I don't think I can make it. Already got my own protest. It's against women manipulating poor boys against their wills.” Sourire amusé. “Of course, I understand.” Faux air désemparé, alors que ma main tenant la fourchette vient jouer avec les restes de nourriture. “I'll miss you…” Jouer sur la culpabilité ? Ce serait pas la première fois que ça m’arrive.

Cependant, j’avais pas prévu qu’il décide de jouer avec moi, lui aussi. Il s’approche, les yeux dans les miens, et j’avale ma salive dans l’attente que le coup tombe. Je déteste quand il joue comme ça, mais après tout, c’est de bonne guerre. Ca a toujours été comme ça, entre nous. Lorsque je l’ai trouvé, en première année, j’ai été énormément déstabilisée. J’avais enfin trouvé quelqu’un qui ne se laissait pas faire. Au départ désarçonnée, j’ai vite pris goût à ce jeu constant. “Besides...” La main du Wright vient prendre la mienne, et quelque chose se tord quelque part dans mes entrailles. “Nate.” Je tente de reculer mes doigts, mais il me tient. “If you wanted to spend some time with me, you could have just asked, you know. No need for an excuse.” Son air suffisant m’enrage, la sensation d’être un pion dans son jeu m’a toujours mise en rogne. Yeux qui se plissent, air renfrogné. “Fine. You don’t want to protest with me. I get it. But you owe me something else.” S’il a cru qu’il allait s’en sortir aussi vite, il va vite comprendre qu’avec moi, on n’est jamais sorti. Enfin, pour l’instant, la panique me prend, alors que j’essaie de calmer la sensation dans mon ventre. “And stop it !” Sifflement qui sort de mes lèvres, alors que j’arrive enfin à libérer mes doigts de sa paume. “We can’t do that anymore.”

Frustration, envie, peur qui se mélangent dans mon crâne alors que le Wright me tient la main. Les yeux arrondis à cause de la surprise, je n’arrive pas à croire qu’il ose faire ce geste en plein milieu de la grande salle pleine d’étudiants. “Stop it !” Arrivant enfin à tirer ma main d’un geste dramatique, je foudroie Nate du regard. Son air innocent et ses mains en l’air continuent de nourrir la frustration en moi. “Alright, alright ! Don't get so mad...” Mad ? Don’t get mad ? Il a clairement pas compris comment calmer une femme, lui. Sifflant entre mes dents, je regarde autour de nous, comme pour m’assurer de l’absence de témoins. “We can’t do that anymore.” Ton sans équivoque, même si mes propres paroles me serrent le coeur. L’expression de l’Ecossais m’indique cependant qu’il a bien l’intention de négocier. “We can't ? Why not ?” Soupir de frustration alors que je roule les yeux au ciel. “Because.” Je m’approche du Wright au dessus de la table, pour souffler, essayant d’éviter les oreilles curieuses. “If Wendy finds out…” Regard en coin vers la table des Summerbee. Wendy, c’est ma coloc, et une grande amie. Elle est arrivée en deuxième année, ne connaissant rien à l’Ecosse et à Hungcalf, et je l’ai un peu prise sous mon aile. Colocataire, camarade de classes, on passait énormément de temps ensemble. Je lui ai fait découvrir les joies de la vie étudiante. Je l’ai présentée à mes amis. Je l’ai présentée à Nate. Ma poitrine se serre encore au souvenir du moment où j’ai compris ce qui se passait entre eux. Dès lors, je me suis mise en retrait, évitant de trop provoquer le brun assis en face de moi. Et depuis que l’Equatorienne est revenue au château, c’est ce que j’essaie de faire. Mais c’est compliqué, surtout quand Nate joue à l’aveugle.

“And what do you mean, I owe you something else ? What do you want, now ?” La moue excédée du sorcier ne me fait ni chaud ni froid, alors qu’un grand sourire réapparaît sur mes lèvres. Ca fait quelques jours que l’idée trotte dans ma tête. Enfin, l’idée n’est pas de moi, mais d’un des rédacteurs du Chineur. Et puis, à y réfléchir, c’est vrai que Nate ferait un candidat idéal pour tester cette nouvelle rubrique du journal. “An interview.” Mes yeux brillent de malice et d’excitation alors que je lui annonce ce que j’attends de lui. Bien entendu, impossible de lui révéler où serait publié l’entretien. “More importantly, what's in there for me ?” Ah. Je vois bien que son intérêt est piqué. Ce sera certainement plus facile que de lui demander de manifester avec moi, finalement. Sourire qui s’agrandit. “You can become famous. And get any girl you like.” Mouvement ample des bras, lui indiquant toutes les possibilités qui s’offrent à lui. Même si l’idée qu’il se tape n’importe quelle autre fille que moi me déplaît. C’est d’ailleurs ce qui me pousse à continuer ma négociation. “Oooor, you can have a thank you gift.” Regard lumineux, large sourire charmeur. Je sais que je ne devrais pas partir sur ce terrain glissant, mais c’est plus fort que moi.