(mood) (tenue) Les lanternes illuminaient le début de soirée au cœur de Cordoue. Errant, le cadet des Wakefield se laissait porter par les pas des touristes moldus - l'oreille se plaisant à entendre parler ces membres de cultures qui lui étaient à la fois étranges et si familières. Bercé au sein du monde sorcier de la haute société sang pur depuis l'enfance, le contact du musicien avec l'univers moldu avait été aussi brutal qu'un coup de foudre adolescent (et couronné des mêmes douleurs). Douceur (beaucoup) et amertume (à peine) se mariaient aisément en son âme lors de tels moments, mais il avait appris à accepter ces crêtes d'émotion, motrices de création pour qui savait tendre l'âme. L'heure n'était pourtant pas à la misère : imbibé de l'air sec, les sens ravis par ce qui trainait dans l'atmosphère - une ville au ralenti l'après-midi qui s'éveillait avec une énergie tellement étrangère à la chaleureuse et lente léthargie de ses Highlands. Là où l'émeraude et le cresson d'eau régnaient sur l'iris, ses prunelles étaient saisies de l'apparat bigaré de l'ancien siège de caliphat - tout ici semblait plus vif, même alors que des teintes du désert s'y glissaient. Chaleur sèche, tons de sable, de soleil. Les doigts qui couraient sur les cordes à pincer depuis des jours, apprenant dans des bars auprès de guitaristes experts - le son unique, qui faisait vibrer l'air au rythme des notes rapides. Habitué de l'ivoire et de l'archet, le violoniste percevait sa (relative) maladresse avec un émerveillement quasi adolescent - à toujours exceller, on oubliait parfois la joie d'apprendre lorsqu'un apprentissage se faisait uniquement pour le plaisir.
Hâlé par le soleil cruel de l'Andalousie, il était installé face à une table basse à l'arrière d'un des rares bars de la ville où on pouvait trouver huit variétés de thé à la menthe mais mourir de soif pour une bière, ses longues jambes repliées sous lui. Fondu dans le décor des nombreux clients arrivant à l'approche de la lune, délaissant le confort climatisé du foyer pour affronter la chaleur moins cruelle de la nuit. Y disparaissait, presque - si ce n'était des teintes étrangères d'or et d'azur constrastant avec les riches marron, noisette et acajou de l'assemblée. Penché sur l'instrument, son regard ciel suivait pourtant avec attention les gestes de son professeur de quelques soirs, hochant la tête en écoutant les conseils qu'il ne comprenait qu'à moitié avec son propre espagnol approximatif - mais ses doigts étaient agiles, et il avait été premier violon de l'orchestre philharmonique de Vienne : en termes de défis musicaux, le géant blond en avait vu d'autres. Les sourcils froncés par la concentration, on ne l'aurait presque pas reconnu, le sorcier facétieux chez qui toute occasion était bonne aux éclats de rire - la musique méritait toute son attention, seule muse face à laquelle l'âme rétive acceptait de laisser tomber les armes. Phalanges abîmées par les cordes métalliques, il refusait de laisser la guitare derrière pour déclarer la soirée terminée, obstiné.
Lorsque Alvaro lui fit signe d'arrêter, Evan leva la tête, sourire aux lèvres comme un élève studieux acceptant toutes les remontrances - c'était ce qu'il était. Parallèle étrange, coup de pratique, peut-être, pour ce qu'il aurait à nouveau à affronter au retour sur les bancs estudiantins, mais l'heure n'était pas aux chaînes qu'on déguise en échappatoires. D’un geste, l’Espagnol attira l’attention de l’apprenti, qui détourna légèrement le visage, présentant son profil à une jeune femme inconnue. « Lo siento, señorita », commença-t-il à dire, langue habituée aux sonorités roucoulantes par le gaélique de ses ancêtres, mais maladroit dans cet idiome qu’il ne maîtrisait qu’à moitié. Terminant de se tourner, le Calédonien avisa des prunelles très claires. Comment avait-il pu ignorer sa présence, même de dos? Il lui semblait qu’elle le brûlerait, à le regarder trop longtemps. Un sourire étira ses lèvres alors qu’il faisait désormais face à l’inconnue. « ¿para sus … orejas, si? ». Hésiter, chercher les bons mots. « Creo que necessito practicar más », admit-il, désignant avec un sourire d’excuse l’instrument qu’il tenait entre ses mains. La langue ne serait qu’un obstacle mineur, décida le musicien – au besoin, il avait toujours su charmer par les notes.
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(alice) entre dos aguas (fb) (terminé)
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Re: (alice) entre dos aguas (fb) (terminé)
(mood) (tenue)Cela faisait de longues, longues heures qu’elle préparait ce moment. Plusieurs jours, même, peut être semaines, si l’on remontait à la genèse de son voyage, à ce dîner au restaurant avec ses parents qui avait scellé son destin. Le leur, même, mais ça, Il ne le savait pas encore. Elle l’avait pris en filature depuis l’avant-veille, professionnelle qu’elle était se mêlant à la foule bruyante et compacte des fins de soirées où l’alcool et la musique rendaient le monde flou, bigarré, expansif. Il n’avait pas pu la voir, elle y avait fait attention, mais Alice avait eu tout le loisir de l’observer. Elle avait décortiqué ses gestes, ses sourires, la manière dont il enlaçait une taille fine pour faire basculer un corps en arrière le temps d’une danse, la façon dont il souriait à une grand-mère pour s’attirer sa complaisance, mais aussi la courbe froncée d’un sourcil concentré, quand il s’abimait les doigts sur une corde rèche et récalcitrante. Il avait passé des heures entières penchées sur une guitare, trop éloigné pour qu’elle puisse en entendre les notes. Cela avait été presque aussi frustrant que de ne pas pouvoir lui parler tout de suite.
C’était qu’elle s’était imaginée patiente, la sirène, à la manière d’un prédateur s’approchant prudemment de sa proie, mais en réalité, les heures s’égrenaient bien trop lentement à son goût, et l’innocence sereine de celui qu’elle filait lui donnait des envies d’en découdre. Elle avait l’impression de le connaître par coeur déjà, entre les fiches, les photos figées et mouvantes, les images de lui qu’on lui avait offertes en pâture, la tête plongée dans une pensine dans le penthouse familiale, et pourtant elle languissait déjà de découvrir ses réactions quand elle se présenterait à lui. Mais avant ça, elle devait être prête. Impeccable dans sa spontanéité. Tout était une question de timing, et elle se devait d’avoir la précision d’un métronome.
La chaleur se faisait moins écrasante qu’en plein après midi, et enfin les autochtones sortaient de leur langueur pour s’aventurer dans les rues de leur ville, où seuls les touristes inconscients se risquaient à battre le pavé par des températures infernales. Les pierres exudaient les dernières brulures du soleil, donnant à l’ensemble une sensation d’étouffement, étuve minérale et languide que seules combattaient les tenues légères et les boissons les plus fraiches, les plus traitres aussi. Pour leur « première » rencontre, Alice avait décidé de jouer la mesure, orchestrant savamment la présentation de ses charmes les plus naturels : sa chevelure, elle l’avait laissé libre, la crinière rayonnant autour de son visage comme un soleil noir. Son visage était à peine maquillé, laissant les lueurs des éclairages nocturnes projeter l’ombre de ses cils autour de ses yeux, et souligner la blancheur de ses dents. Pour la tenue, une robe blanche, reprenant les influences des tenues locales, suffirait à souligner ses courbes tout en lui donnant le loisir de se mouvoir à sa guise. Parce que la belle comptait bouger, et probablement pas qu’un peu. Elle n’était pas allée rejoindre le cadet des Wakefield tout de suite, bien sur.
Elle s’était installée au comptoir du bar, de dos, et avait laissé l’ambiance du lieu l’empreigner, lentement, mais surement : c’était là tout l’enjeu de séduire un musicien, il fallait coller au rythme, connaître les vibrations de l’environnement, pour ne pas risquer le contre temps. Il le sentirait, tout de suite, si ses gestes ne battaient pas la mesure des conversations environnantes, si son parfum ne s’accordait pas aux odeurs musquées et épicées des lieux. Elle avait même du apprendre quelques rudiments d’espagnol pour le coup, pour que son accent américain ne soit pas agressif, mais plutôt charmant, dans la langue de Cervantes. Elle avait compté les minutes, dans sa tête, sa main autour de son verre de jus de grenade, jusqu’à tombé sur les bonnes minutes. Elle avait répondu gracieusement à une invitation à danser, même, prenant garde à ce qu’il ne la voit pas, heureusement bien trop absorbé par sa compagne de bois. Profites en, belle guitare, tu risques de te retrouver bien esseulée pour la fin de la soirée. Son danseur ne s’était pas fait trop pressant, mais talentueux, et c’était pleine de cette belle énergie sensuelle qu’elle avait pu, enfin, s’approcher d’Evan et Alvaro, son précepteur, pauvre hère ayant lui aussi croisé le chemin d’Alice quelques jours plus tôt.
Il avait cédé sans trop de résistance à son joli sourire et surtout – surtout- aux sortilèges de conditionnement murmurés d’une voix veloutée au creux de son oreille de musicien, sensible aux sonorités suaves de la magie rouge. Il irait dans son sens, quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse, le regard brillant de convoitise, mais sage comme un chien en laisse.
- Hola Alvaro guapo, como estas ?
Elle embrassa le haut de la pommette du musicien rougissant sous le bronzage halé, avant de sourire de toutes ses dents à Evan qui, enfin, relevait ses prunelles dans les siennes. Premier contact, enfin. Il était temps. Elle savoura les premiers mots – des excuses, déjà, comme c’était charmant- , elle balaya la remarque d’un mouvement magnanime de la main, à ses oreilles, les créoles dorées tintèrent comme un petit carillon.
- No es tan desagradable señor … Señor ?
Elle savait, bien sur, mais comment aurait il pu le deviner ? A coté d’elle, Alvaro se mit à gratter les cordes de son instrument, discrètement d’abord, comme convenu. Un air connu, une chanson d’ici, qu’elle avait apprise par coeur, pour les besoins du rôle. Elle redressa le menton dans une surprise factice parfaite, haussant un sourcil avec une petite moue amusée.
- Alvaro, no caeré en tu trampa. Je ne tomberais pas dans ton piège, brigand, je vais massacrer les paroles, si je dois chanter en espagnol !
Le musicien avait secoué la tête et Alice, feignant d’ignorer la langue maternelle du grand échalas, se retourna vers lui en désignant sa propre guitare de l’index.
- Conoces esta cancion ? Los acordes son muy faciles, pero el ritmo … aye que pena !
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Re: (alice) entre dos aguas (fb) (terminé)
(mood) (tenue) Les accents riches d’une voix de velours, et il se retourna, sourire désolé peint aux lèvres. « No es tan desagradable señor … Señor ? » Si le cadet avait longtemps résisté au cadre imposé par sa famille, ne se pliant que dans un espace qu’on lui avait aménagé pour respirer, il n’avait rien perdu de ses manières d’un autre âge – à mi-chemin entre le chevalier courtois et le jeune homme de bonne famille. N’était-ce pas ironique, quelque peu, qu’un être tel puisse coexister avec l’âme foncièrement rétive qui l’habitait? Il se releva, haute stature dominant la salle, et il inclina respectueusement la tête vers la jeune femme, sourire aux lèvres. « Evan », prononça-t-il en anglais. « Encantado de conocerle ». vous connaître, sans vous connaître. Si l’accent espagnol lui paraissait naturel, comportant certaines sonorités très proches du gaélique de ses ancêtres, le sorcier n’avait que peu l’habitude des accords – mais il n’était pas un rustre souhaitant imposer l’usage de sa langue aux natifs de la région, aussi s’était-il astreint à quelques leçons d’idiomes ibériques avant de traverser. Le musicien avait l’avantage d’une compréhension instinctive des mots – surtout lorsqu’on leur imprimait un rythme. La perspective de ne devoir échanger qu’au moyen de cette langue latine représentait un défi agréable – l’esprit vif argent du calédonien voulait courir, valser, voler, mais ces limites le clouaient au sol. Comme un duel exécuté sans certaines de ses habiletés : il n’avait jamais rechigné face à ce genre de difficulté, bien au contraire.
L’air sec vibrait avec autant de tension que les cordes de guitare que l’Espagnol grattait avec douceur – presque imperceptible, mais la tapisserie du bar s’égayait de couleurs nouvelles. Aux tons de sable se liaient ceux des eaux turquoise et du cérulé aérien. Evan jeta un regard entendu au guitariste : tentait-il de lui prêter main forte en l’appuyant des notes apprises la veille? La surprise de l’inconnue n’en était que plus douce. « Alvaro, no caeré en tu trampa ». Paupières plissées, le violoniste tentait de comprendre l’échange entre la sirène et son précepteur, interprétant davantage la gestuelle que les mots : il avait vu assez de chanteuses faire semblant d’être paralysées par la gêne pour en reconnaître une lorsqu’elle faisait mine de se retenir devant lui. Un rire léger franchit les lèvres d’Evan, qui s’installa à nouveau sur le banc, y laissant une place désignée pour la jeune femme – la proximité des corps, ou souhaiterait-elle se faire voir par le musicien en demeurant debout, face à eux?
« Conoces esta cancion ? Los acordes son muy faciles, pero el ritmo … aye que pena ! » Les êtres se trahissaient facilement lorsqu’il s’agissait d’art : le géant blond n’y faisait pas exception, mais il n’avait rien à cacher. Ses erreurs, ses fautes, ses succès – ils étaient connus de son univers, même si l’anonymat relatif de se trouver parmi des moldus avait quelque chose de charmant. Si certains sangs purs avaient désormais de plus en plus l’habitude de s’intéresser à la culture moldue, peu d’entre eux osaient réellement se mêler à eux, préférant importer leurs objets dans le monde sorcier. Les artistes sorciers avaient toutefois cette tendance à goûter à cet univers étranger où la musique et les arts étaient plus financés – n’avait-il pas fait carrière dans un orchestre non-maj lui-même? Là où la magie ne pouvait lui fournir quelque apport que ce soit, il ne demeurait que ses doigts sur son instrument et les vibrations dans l’air.
Aussi sourit-il à la jeune femme, adressant un air amusé à Alvaro, ne sachant comment formuler sa pensée en espagnol. « You sly fox, it’s almost as if you planned it », fit-il en riant, avant de poser le regard sur la jeune femme à nouveau. « Sí, señorita ». La mer et le ciel valsant sans mots, un instant. « qué suerte … o que coincidencia », termina-t-il en jetant un regard de biais à l’Andalou l’accompagnant, sourire rieur toujours étiré en plein visage. Chance, coïncidence, écart planifié, peu lui importait. Le sorcier s’était expatrié le temps d’un été en Andalouisie afin de parfaire ses connaissances musicales, et si l’instant devait être calculé, tant qu’il était empli de musique, c’était l’essentiel. S’ils avaient été dans un bar sorcier, Evan aurait fait vibrer l’air des cuivres accompagnant normalement cette chanson, dont Alvaro lui avait entendre les accords entiers par le biais de son téléphone quelques jours plus tôt. Ainsi démuni, ne disposant que de guitares, la simplicité de la musique qu’ils en tireraient suffirait à soutenir la voix de la jeune femme. Doucement, il reprit possession de son instrument, caressant les cordes avec amour de ses mains agiles. « pero no se las palabras », admit-il, une de ses mains quittant son instrument, la tendant d’un geste élégant à la jeune femme – l’inviter à se joindre à eux, sans savoir qu’il s’apprêtait à se damner.