The one who'd been gone for so very long

Enfin. Le dernier examen de l’année était passé. Le magnifique soleil de juin réchauffait l’air et les coeurs, comme pour récompenser les élèves d’Hungcalf de leur dur labeur. Perla bouillonnait d’anticipation. Le sourire aux lèvres, le regard étincelant, on aurait presque dit que ses tâches de rousseur pétillaient. Plus tard dans la soirée, les Beer Flops allaient se retrouver pour fêter la fin des examens. Perla avait hâte de relâcher la pression  auprès de ses amis, mais ce n’était pas cela qui l’animait autant.
Elle y avait longtemps réfléchit, elle avait longuement consulté sa sœur et ses cousines. Aujourd’hui, elle avait rendez-vous avec Aura, pour son premier tatouage. Des runes, bien entendu. Gebo, pour le don. Othala, pour sa famille. Berkana, pour le commencement du reste de sa vie. Wunjo, pour la joie et les succès à venir. Plusieurs agencements avaient étés envisagés. Le motif créé avait maintes fois changé. Puis les sœurs et cousines étaient tombées d’accord, n’avaient plus rien trouvé à redire. Il était parfait. Perla en était déjà folle, et plus encore que son esthétisme, elle aimait que ce tatouage ait été fait par sa famille. Que cette encre, qui allait rester à tout jamais dans sa peau, avait été imaginée par celles qu’elle aimait le plus au monde, et allait être tracée par sa propre moitié. Perla en frissonnait d’avance. La présence, le toucher d’Aura, rien qu’à elle, pour au moins une heure, peut-être plus, espérait-elle.
Depuis son accident, des années plus tôt, Aura s’était renfermée. Ou tout du moins, c’était ce que Perla avait cru. Elle avait vu sa sœur jumelle, part de son propre être, s’éloigner, s’écarter, se taire, et la fuir. Après quelque temps à chercher à comprendre, sur les conseils de leur mère, Perla lui avait laissée de l’espace, attendant qu’elle fasse le premier pas. Mais celui-ci n’était jamais venu. Perla attendait toujours, se satisfaisant de sa présence lointaine, se berçant de la certitude que sa sœur jumelle l’aimait toujours. Il ne pouvait en être autrement. Pas plus que la lune brillait le jour et le soleil la nuit.
Mais parfois, Perla notait qu’Aura s’ouvrait, se réchauffait. Simplement, jamais avec elle. Avec leurs cousines, avec ses propres amies. Mais Perla restait exclue, à l’écart. Elle s’efforçait de ne pas le prendre personnellement, de le comprendre et de l’accepter. Mais une part d’elle ne s’y faisait pas, se sentait blessée, trahie, déchirée. Une petite voix en elle, un terrible murmure tout juste audible, lui susurrait ses pires peurs. « Vous n’êtes jamais que nées en même temps, qu’est-ce que tu croyais. Qu’elle allait passer sa vie avec toi ? Elle t’a oublié. Elle a tourné la page. Tu n’es guère plus qu’un membre de sa famille, et encore, tout juste. » Cette sombre voix, infime et glaciale comme le froid d’hiver pénétrant sous les portes, Perla avait pris l’habitude de la taire en elle. Elle faisait d’autant plus de bruit, riait d’autant plus fort, si elle pouvait la rendre ainsi inaudible. Elle redoublait de joie et de gaieté, afin de contrebalancer la peur et la tristesse qui guettaient en elle. Dès qu’elle sentait poindre l’angoisse, l’inquiétude, l’ombre d’une pensée sombre, Perla virevoltait et trouvait une nouvelle raison de se réjouir, une nouvelle occasion de faire la fête… Et aujourd’hui, sa raison d’être heureuse et sa peur ultime ne faisaient plus qu’une. Elle allait être seule avec Perla.
Alors que les rues du Myrddin District s'animaient avec la clientèle de l'heure du thé, Aura poussa la porte du Styx. Son coeur fit un bon dans sa poitrine en apercevant la crinière de feu, dont les reflets cuivrés et dorés étaient en tout point semblable à la sienne. C’était comme si pendant des mois, le miroir ne lui avait renvoyé qu’un fantôme invisible, et qu’elle voyait enfin son reflet. Comme si après des heures à chercher quelqu’un dans une foule, elle la trouvait enfin. Aura. Seule. Rien qu’à elle.
« Hey you. » Un murmure doux comme un duvet de plume, un sourire chaud comme les premiers rayons du printemps. Elle lui avait manqué.