Madame n’est pas contente ce matin, et pour cause, j’étais si occupé dans mon déménagement dans cette nouvelle colocation que je n’ai pas pensé à vérifier ses réserves de nourriture, or Madame a ses exigences, il lui faut un mélange très précis de plusieurs catégories de croquettes à la volaille et au poisson, et une fois par semaine Madame a le droit à son pâté de luxe, sauf qu’horreur, ce matin je me suis aperçu qu’elle n’en avait plus, et Madame l’a remarqué aussi, boudant les croquettes que je lui avais pourtant généreusement servi, et maintenant elle fait la tête dans la chambre, comme une duchesse vexée. Alors je ne traîne pas, je crois savoir que l’animalerie la plus proche est ouverte ce matin et j’attrape une chemise en jean pour la mettre au-dessus de mon marcel blanc et je file directement dans la boutique, avec la ferme intention de revenir contenter Madame le plus vite. Non, je ne suis pas du tout un homme à la botte de son chat, et non les chats ne vont pas dominer le monde, il faut tout de suite oublier ce complot. Mais voilà, j’aime beaucoup les animaux, et surtout Madame, alors quand j’aime je ne compte pas et je suis très attentionné. Heureusement, la colocation est assez bien situé en ville et je ne mets pas longtemps à travers les quelques rues qui me séparent de l’animalerie dont rapidement l’enseigne m’apparaît : Becs & museaux. La boutique est à l’entrée du quartier, et s’étend sur deux étages. Elle semble pouvoir me fournir ce que je cherche et je ne traîne pas pour y rentrer, faisant sonner la cloche qui dévoile ma présence pour les employés. La boutique est magique, et si je n’étais pas autant passionné que je le suis par l’alchimie et les phases de la lune pour transformer les métaux et les matières, j’aurai peut-être pu me plaire en magizoologie. La boutique est pleine d’animaux en tout genre, des crapauds, des tarentules, des hiboux, des chouettes, des lézards et forcément, des chats. Je pense que mon cousin Marcus n’oserait pas trop s’aventurer ici, même s’il doit nourrir son chien, lui qui a une sainte horreur des chats. Je n’ai jamais compris sa réticence, mais Madame le lui rend bien et en général quand mon cousin est là elle va voir ailleurs si sa cour y est, délivrant Marcus de sa peur irrationnelle.

Je dois l’avouer, je suis un peu perdu dans ce magasin où je me rends pour la première fois, il faut dire que d’ordinaire je me fais livrer la nourriture pour Madame, mais si je peux faire marcher les commerces locaux, pourquoi pas, à condition que ce qu’ils proposent plaisent à Madame. Je me faufile donc entre les rayons et les cages en lévitation pour trouver un vendeur, que je trouve enfin, accroupi en train de faire apparemment l’inventaire des pelles à crottes de chouettes. Je me permets de signaler ma présence par un léger raclement de gorge.

Excusez-moi…

Le raclement de gorge fonctionne car l’employé se retourne et se relève pour me faire face. Ha oui, je ne l’imaginais pas si grand et si … charismatique. Son sourire bienveillant inspire confiance, et pourtant il dégage une assurance qui me surprend un peu, peut-être est-ce aussi le fait de me rendre dans une nouvelle boutique pour Madame, je ne sais pas mais en tout cas je ne m’attendais pas à ce qu’il ressemble à ça. Il n’a pas l’allure d’un vendeur mais plutôt d’un sorcier aristocrate, avec ses pommettes bien dessinées. Pourtant le retour à la réalité est assez rapide car le voilà qui déposé un carnet sur le comptoir pour s’épousseter le pantalon. Bon déjà un bon point, il travaille vraiment ici, j’aurais pu avoir un doute pendant quelques instants. Bon alors, déjà répondre à la première question.

Bonjour, euh je cherche de la nourriture pour Madame. Enfin Madame c’est ma chatte, enfin je veux dire ce n’est pas ma petite amie ou mon épouse, sinon je ne serais bien entendu pas venu ici lui chercher de la nourriture, je serais plutôt aller dans une confiserie ou dans une épicerie, je ne donne pas de pâté pour chat aux femmes, je ne suis pas un goujat. Non pas que je sois un don juan, enfin vous comprenez c’est ma chatte elle s’appelle Madame, donc il peut y avoir confusion quand on ne la connait pas, elle peut se montrer très capricieuse et d’ordinaire je commande sa nourriture par hibou, mais là je suis à court de munitions, et elle va râler si je ne lui ramène pas son petit plat habituel.

Oui. Victime de ma timidité quand je rencontre quelqu’un pour la première fois, et surtout quand je suis un peu décontenancé par l’allure du vendeur, je compense ma timidité par un babillage inintelligible. Je m’en aperçois bien entendu, alors je prends ma respiration avant d’essayer d’avoir une réponse un peu plus cohérente. Et plus courte. Et plus clair.

Oui, en effet c’est la première fois.  Je vous l’ai dit, d’ordinaire je commande directement ce dont j’ai besoin par hibou. Mais là, c’est une urgence. J’ai bien de la chance alors ! Faire fonctionner un commerçant local, c’est bien la moindre des choses. Jules, enchanté.

Je lui tends une main peut-être un peu trop franche, car en décrivant un arc de cercle, mon bras vient frapper une pile de sacs à litière pour fléreur, et en fait tomber la moitié. Je me penche immédiatement pour ramasser le sac qui est tombé, maladroit que je suis.

M’emmêler les pinceaux, c’est sûrement ce que je fais de mieux quand je ne suis pas devant mon creuset à faire des expériences ou devant un chaudron pour concocter un philtre ou un élixir. Je suis d’une maladresse sans nom quand je me sens déstabilisé, et c’est une chose qui arrive très souvent, je n’ai pas l’assurance de mon cousin, mais fort heureusement je ne suis pas du genre à rougir ou à bredouiller, non moi c’est tout l’inverse, je me mets à parler à tort et à travers ce qui donne parfois un résultat très étrange. Ma timidité joue contre moi, je suis définitivement plus à l’aise devant mon atelier d’alchimiste qu’en société, mais soit, les désirs de Madame passent avant tout. Fort heureusement, le vendeur n’avait pas l’air de se moquer de moi – ce qui aurait redoublé mon babillage – mais il se montrait avenant et compatissant, ce qui me détendait assez rapidement. Mais je n’étais jamais à l’abri de mes bavardages incessants.

Je ne sais pas si je peux mettre cela sur le compte de la dévotion, Madame peut être une vraie tigresse quand elle le désire, alors si je veux éviter un réveil avec ses griffes plantées là où il ne faut pas, je vais l’éviter. Je suis certain qu’elle me boude déjà.

Par « là où il ne faut pas » j’entendais le visage bien entendu, non pas que je sois un garçon particulièrement soucieux de l’apparence qu’il donne, il n’y a qu’à voir ces fois où je ressors de mon laboratoire le tshirt couvert de cendres ou d’éclaboussures de potions pour en être persuadé, mais me faire griffer au visage, autant éviter, je n’ai pas vraiment la tête d’un aventurier non plus. D’ailleurs ça se voit car je viens de renverser un sac de litière qui s’ouvre en atterrissant au sol. Quel maladroit je fais, cet accident suffit pour me rendre de nouveau fébrile.

Je suis vraiment désolé, si vous voulez je peux vous payer le sac de litière, c’est entièrement de ma faute. J’ai tendance à oublier que j’ai de grands bras parfois alors vous voyez je ne calcule pas les conséquences de mes gestes et je fais tout tomber, ce n’était vraiment pas intentionnel, en même temps qui ferait ça de façon intentionnelle, enfin je me doute qu’il doit bien y avoir quelques plaisantins mais je ne suis pas comme ça. Non pas que je ne sache pas rire, mais vous voyez je suis plutôt rat de bibliothèque.

Je prends ma respiration.

Désolé. Je parle trop. Je suis vraiment désolé, et si ça peut vous rassurer ça n’affecte en rien l’image que vous renvoyez.

D’être un vendeur professionnel bien entendu. Quoi d’autre ? Je m’active pour aider l’homme en face de moi mais il fait quelques moulinets du poignet et voilà que tout revient à sa place. Je prends la main qu’il me tend pour me relever.

Merci Kaiden. D’ordinaire je lui donne un pâté spécial, de luxe, une fois par semaine, de marque Souricats, mais je n’en ai plus, et j’ignore si vous avez quelque chose qui s’en rapproche ? Vous faites des préparations maisons aussi ?

Maladroit, c’est vraiment un mot qui peut me caractériser en somme, sauf lorsque je suis dans ma cave en train de bosser sur une potion ou à pratiquer l’alchimie, un art quoi demande du doigté et de la délicatesse. Mais dans les interactions sociales, à part quand il s’agit de Lucrece ou de Marcus, je peux me montrer très vite maladroit si je ne connais pas la personne en face, j’ai toujours cette timidité maladive qui vient me surprendre au pire moment, et ensuite cela fait un effet boule de neige. L’aplomb naturel et la sympathie du vendeur fait partie de ce qui peut me déconcentrer et me rendre maladroit. Bon et puis il y avait sûrement une toute petite voix au fond de moi qui me susurrait qu’il était bien mignon ce vendeur, mais j’étais bien incapable de l’entendre ça c’est sûr. Je ne me posais même pas l’ombre d’une question à ce sujet, et je devenais rouge pivoine dès que l’on abordait le sujet. Très pudique sur mes sentiments, bien moins avec mon corps. C’est cela aussi la France et sa galanterie, ne pas dévoiler ses sentiments trop outrageusement, quand bien même il faudrait déjà être au clair avec ses propres sentiments. Déjà que j’étais à peu de choses près puceau, pouvant compter mes relations avec les filles sur les doigts de la main, assez peu adepte des relations d’une seule nuit, tant mon cœur était sincère et mes manières galantes. Le rire de Kaiden ne fit qu’augmenter mon stress. L’effet boule de neige vous dis-je.

Je ne suis pas un grand cuistot mais assurément je suis assez gourmand moi-même. C’est normal vous me direz, je suis français, et il est bien connu qu’en France on aime bien manger, la gastronomie française, les baguettes, le fromage, le camembert, le bon vin… Ma mère fait sûrement la meilleure bouillabaisse que je n’ai jamais mangée. Oui j’aurai dû me stopper après le premier point. Fichue timidité. J’espère bien, Madame est très câline d’ordinaire quand elle ne me réveille pas avec sa queue poilue le matin.

Oui, je ne me rends même pas compte de la portée de ce que je peux dire parfois. Et le pire ? C’est que je ne vois même pas le jeu de mots, même en le disant. Je suis un cas désespéré. Comme lorsque l’on se retrouve accroupi de ma faute pour ramasser les dégâts que j’ai causé.

Vous êtes maladroits également ?

Cette phrase aurait pu me déstresser. Vraiment. Mais il a posé sa main sur mon avant-bras, et ça m’a un peu déstabilisé. Même si en France on fait la bise, je ne suis pas tactile très rapidement. Sûrement avec un homme. Avant tout avec un homme. Je pique un fard à la question de Kaiden.

Celle d’un gérant modèle et soucieux du bien-être de ses animaux et de ses clients ? Vous paraissez vraiment très sympathique… Et charismatique aussi, vous dégagez une belle aura. J’étudie un peu ce sujet-là avec ma thèse. Les auras, les émotions et leur reflet alchimique.

D’abord récalcitrant, je prends la main tendu pour me relever et j’époussette mes genoux.

L’argent n’est pas un soucis. Ce que Madame veut, Madame l’obtient. Vous voulez que je mette la main à la pâte….é ? Volontiers, je peux vous assister si vous le souhaitez. Si ça ne vous gêne pas dans votre travail bien sûr. J’aurai peut-être dû vous la commander avant ?

Blague nulle, droit devant !

La maladresse était semble-t-il mon boulet. Pourtant, j’étais assez manuel, il fallait l’être en alchimie pour doser sans trembler, mais je n’étais pas à l’aise en société, et bien que pour la plupart ce genre de timidité s’exprimait par un mutisme des plus complets, moi c’était l’inverse, je me mettais à parler dans tous les sens, et ces mouvements désordonnés ne concernaient pas que ma langue mais également mes membres, qui se mettaient à faire n’importe quoi. Heureusement, Kaiden avait l’air compréhensif.

Cliché ? Peut-être un peu je dois l’avouer, mais c’est pourtant une vérité, je tiens beaucoup de mes racines françaises, et il faut avouer qu’en France ne pas aimer le fromage et le vin est presque un sacrilège. Je n’ai pas le choix en somme. J’ai toujours une bonne bouteille de vin rouge et du fromage dans mon frigo, je peux vous le prouver. (Ouais, je viens presque de l’inviter chez moi sans m’en rendre compte et quand c’est fait, je pique un far) Merci. Pour mes bras. Enfin pour Madame, enfin ma chatte, enfin vous avez compris…

Un sort pour ranger les paquets de litière éventrés, je ne savais pas si un tel sort existait mais au moins je me sentais un peu moins gauche et un peu moins mal à l’aise après cette boutade. La rougeur quittait progressivement mes joues. Heureusement, la question sur l’aura vint me sauver, j’étais tout de suite beaucoup plus à l’aise quand il était question de sciences.

Pour faire court, je ne veux pas vous ennuyer avec ça, on considère en alchimie que chaque chose a une aura. Les éléments alchimiques et les métaux, mais aussi les minéraux ont une aura qualifiée de pur. Les sorciers possèdent une aura également, qui reflètent leur personnalité, leur caractère et leurs émotions. Par exemple, certains sorciers ont une aura plutôt dorée, ce qui traduit une personnalité solaire et joviale. D’autres ont une aura laiteuse, d’autres encore voient leur aura évoluer avec le temps. Les émotions ont un impact également, et mon but est de canaliser les vibrations que créent les émotions sur l’aura pour en condenser l’essence. Il existe un rituel alchimique pour percevoir la couleur d’une aura, c’est de là que je suis parti. Mon aura par exemple est beige dorée.

Oui, je parle encore une fois beaucoup trop. Mais cette fois-ci non plus par timidité mais par passion scientifique. Mais je m’arrête avant d’ennuyer Kaiden. Je m’en voudrais. J’ignore pourquoi d’ailleurs … Je le suivais néanmoins dans l’arrière boutique pour l’aider à la préparation de la pâtée pour Madame. J’enfilais le tablier que me tendait le gérant de la boutique, ça les tabliers j’en avais l’habitude, même si les miens étaient plus lourds. Je le remerciais et me penchais en avant pour trouver ce qu’il me fallait dans le frigo. J’attrapais des bas morceaux de saumon, deux trois carottes, des petits pois en écosse, une grosse courgette tout en évitant les champignons, véritable poison pour un chat. Je me relevais pour tendre tout cela à Kaiden ,baissant les yeux quand nos doigts se frôlèrent…

Voilà je pense qu’il y a à peu près tout … Vous avez de l’avoine peut-être ? Et un peu d’huile ? Vous voulez que je fasse quelque chose pour vous aider ? J’ai aussi des mains, pas qu’un cerveau, même si je n’ai pas encore pu vous le montrer.

Premier sourire qui change avec la timidité du début.

Ne pas me manger ? C’était bien la moindre des choses. Je ne comprenais pas pourquoi je me montrais si maladroit avec Kaiden, ce n’était pas le premier homme à qui je parlais au fond, et puis même si d’ordinaire je me montrais timide les premières minutes, ça se dissipait assez vite, ce qui semblait ne pas être le cas avec lui. Au contraire, ma maladresse augmentait, et ce n’était bien qu’au moment où je pouvais parler un peu science et alchimie que j’étais enfin à l’aise. Vous savez ce qu’on dit des geek et des autres surdoués dans le milieu scolaire ? ils sont en général assez peu doués dans leurs relations sociales, et bien même si je ne me définirais pas comme un surdoué, je pense que je souffre des mêmes blocages sociaux avec Kaiden. Alors forcément quand il rebondit sur un sujet qui m’intéresse, lui parler est tout de suite plus facile.

Oui je pense que ça pourrait vous aider. L’aura change toujours selon les troubles de l’humeur et du corps. C’est sur l’aura que travaillent les magnétiseurs je crois. Je pourrais vous aider si vous le souhaitez, je travaille plutôt sur les émotions et leur distillation pour ma thèse, mais je suis sûr qu’il y a une façon de percevoir les auras des animaux. Si vous souhaitez que je vous aide sur le sujet, n’hésitez pas, je suis toujours curieux face à une expérience qui se présente. On pourrait même imaginer un prisme comme une lunette pour lire l’aura plus facilement, je suis sûr que c’est possible avec un verre alchimique.

Ma passion pour l’alchimie et celle pour les animaux de Kaiden semblaient s’harmoniser et j’étais sincère quand je lui proposais mes services. En plus, ce serait l’occasion de le revoir. Enfin juste parce qu’il est sympathique bien entendu, il prend d’ailleurs la peine de faire la pâtée spéciale de Madame en instantanée alors que j’ai renversé un sac à litière à mon arrivée. Un garçon très gentil. D’ailleurs, je le suivais dans l’arrière-boutique, et j’enfilais le tablier que l’homme me passait pour l’aider à préparer la pâtée. J’étais troublé par le frôlement de nos doigts, mais je devais me faire des idées car Kaiden ne sembla même pas s’en apercevoir. Je chassai ce trouble tandis que je suivais ses directives, écossant les petits pois avec précaution, pour ne pas les abîmer, même s’ils seraient réduits en bouillie quelques instants plus tard. Puis ce fut au tour de la courgette, que je coupais en fines rondelles, en faisant attention à ne pas me couper, une telle maladresse me ferait vraiment passer pour un sorcier aux deux mains gauche et je m’y refusais. Même si le compliment du vendeur ne m’aidait pas à rester concentré. Une fois tous les ingrédients taillés, je les disposais dans le bol du mixeur. Etonnant qu’un sorcier utilise un appareil moldu, j’avais moi-même l’habitude d’utiliser plutôt un mortier et un pilon pour écraser des ingrédients quand j’en avais besoin, ne réservant le blender que pour mes smoothies du matin. L’avantage d’être intéressée autant par la culture moldu que la culture sorcière. Je pouvais remercier ma mère pour cela. Le mixeur couvrit les bruits ambiants et je fixais l’appareil, n’osant pas regarder Kaiden. Pourquoi ? je l’ignorais. Mais je restais timide, moins qu’au début mais tout de même.

Je dirais plutôt solide. Et puis, ça m’évite de devoir passer derrière pour tout nettoyer. Je…
Sursautais. Oui je sursautais tandis qu’un corbeau s’était installé derrière moi pour pousser un cri strident qui m’avait littéralement fait sursauter. Je ne m’y attendais pas, et je demeurais interdit devant l’animal qui semblait plutôt agressif. Il ne va quand même pas m’attaquer n’est-ce pas ? J’avais déjà vu le film Les oiseaux et je ne souhaitais perdre les yeux.

Rassurez-moi… Vous connaissez cet oiseau ?

Je ne savais que répondre à sa proposition. Financer ma thèse ? Pensait-il que je n’avais pas les moyens de la financer moi-même ? Je ne connaissais le propriétaire de la boutique que depuis quelques minutes mais sa proposition m’interloquait sincèrement. Pourtant, je ne pouvais penser qu’il pensait à mal en me faisant cette proposition, mais je devais bien avouer que je n’y avais pas pensé.

Le travail n’a jamais été une gêne pour moi, j’ai toujours été un bosseur et j’ignore si le financement de ma thèse vous intéressera tant que cela, je travaille sur la distillation des émotions, c’est légèrement différent de la lecture des auras. J’aimerai beaucoup apprendre à mettre la colère ou la joie en bouteille, ou à les contenir dans des pierres, je pense que cela pourrait avoir une utilité médicale. Bon c’est moins impressionnant que mettre la mort en bouteille ou créer le sentiment amoureux, mais cela a déjà été fait. Après, je n’ai pas de difficulté financière si c’est ce que vous pensez ? Je veux dire, enfin je ne suis pas pauvre, j’ai la chance de venir d’une famille aisée donc l’argent n’est pas vraiment un problème. Par contre si vous entendez partenariat également sur un plan personnel, pour que l’on se voit plus souvent, ça n’est pas du tout un soucis, passer du temps avec vous n’est pas du tout un problème. Enfin je ne dis pas que vous pourriez être un problème, loin de là, je serais vraiment très heureux de vous voir plus souvent. Professionnellement je veux dire ! Enfin personnellement aussi, je …

Oui enfin je me taisais après m’être perdu dans un flot de paroles inutiles comme d’habitude. Pourquoi donc étais-je à ce point une fontaine de paroles quand je me retrouvais gêné ? C’était vraiment bizarre, je me demande s’il est possible de se débarrasser de cette timidité maladive, ce n’est pas une émotion, mais si l’on peut distiller les émotions, pourquoi pas certains défauts ? La timidité, la jalousie, etc … Mais je me taisais définitivement, préférant suivre le propriétaire dans l’arrière boutique pour l’aider à préparer la pâtée pour Madame. Elle était vraiment gâtée celle-là et pourtant elle ne s’en doutait pas le moins du monde. Alors que le mélange était en train d’être broyé, je fus surpris par l’arrivée d’un corbeau juste derrière moi, au regard plutôt inamical. Beitris, c’était donc l’oiseau de compagnie de Kaiden. Intéressant. On disait souvent que les animaux de compagnie étaient le reflet de la personnalité du sorcier, de là à dire que Kaiden était un homme épris de liberté et malin, il n’y avait qu’un pas que je n’oserais pas commettre à voix haute. Mais à la mention du chat, Beitris s’enfuit pour se poser plus loin. Apparemment elle n’aimait pas les chats. Mais elle ne devait pas s’inquiéter, Madame était si précieuse qu’elle l’aurait regardée avec dédain, sur son petit coussin à pompom, trop paresseuse pour chasser.

En effet, nous sommes tous les deux avec une dame au caractère bien trempée chez nous ! C’est à peine s’il y aurait une place pour une autre femme. Ca doit expliquer mon célibat, Madame occupe déjà toute la place !

Le magizoologue continua de préparer la mixture avant de la mettre dans un bocal pour me la tendre. La consistance avait l’air parfaite. J’avais eu bien de la chance de tomber sur ce vendeur.

Je ne sais comment vous remercier, vous m’avez vraiment sauvé la vie ! Si je peux vous être utile à quelque chose, ou vous offrir un verre à l’occasion, je suis un excellent mixologue paraît-il, mes talents en potions sûrement !

Quoi ? Non ce n’était pas un rencart que je lui proposais, je ne savais même pas ce qu’était un rencart. Enfin si je savais, mais je n’en avais jamais proposé, bien trop gauche pour ça.

Passer du temps avec moi ? Les tâches rouges qui venaient de disparaitre ressurgirent d’un seul coup. Je ne sais pas trop comment réagir, je n’étais pas très à l’aise avec la séduction, et au final je ne savais même pas s’il était réellement en train de me séduire ou s’il rigolait juste. Ca pouvait juste être amical aussi, de toute façon je n’étais pas attiré par les hommes… N’est-ce pas ?

Je euh oui on peut passer du temps ensemble si vous le souhaitez, enfin je veux dire si vous voulez qu’on refasse de la pâtée ensemble il n’y a pas de soucis, j’ai beaucoup aimé faire de la pâtée avec vous, c’était vraiment plaisant, bien que je ne veuille pas dire que je ne vous apprécie que pour ça, mais enfin euh je veux dire oui c’était un bon moment.

Je prends une respiration.

Merci pour la proposition en tout cas.

Voilà, une réponse simple, c’était bien mieux. Il allait vraiment falloir que j’apprenne à gérer un peu mieux mon stress, c’était en train de devenir assez handicapant et plus je stressais et plus le stress montait, le serpent qui se mord la queue. Heureusement l’arrivée du corbeau du jeune homme fut l’occasion de changer de sujet. Je n’étais pas non plus un passionné de magizoologie mais j’aimais les animaux, sinon je n’aurai pas eu Madame. Et dire que Marcus avait eu peur phobique des chats, je ne comprenais vraiment pas. Pour une fois, je répondis sans filtre, à peine conscient que je me confiais ainsi à un homme que je connaissais depuis moins d’une heure.

Sûrement, je ne peux pas trop vous le dire, je n’ai jamais eu de « quelqu’un d’autre ». Je n’ai jamais eu de copine, ou en tout cas jamais assez sérieuse pour qu’elle puisse devoir cohabiter avec Madame. Beitris a déjà dû cohabiter avec une autre jeune femme ?

Oui car ce ne pouvait être qu’une femme n’est-ce pas ? En réalité, je ne me posais même pas la question, n’étant moi-même pas très au clair avec ma sexualité, mon expérience étant vraiment exceptionnel. Je savais que je pouvais plaire, plus pour mon corps de sportif que mon cerveau mais je n’avais pas eu de relation sérieuse comme Marcus ave Rose par exemple.

Je vous embauche comme assistant alors, on se plaint rarement de mes cocktails. Et ce sera avec plaisir que je vous parlerai de ma thèse oui, je pourrais même vous montrer mes papiers sur le sujet ou mes expériences. J’essaie, à défaut de réussir pour le moment à distiller l’émotion en quantité suffisante, à créer un réceptacle sensible à l’émotion et j’ai réussi une expérience de cristallisation qui réagit face aux émotions de plaisir. Un vrai hasard : je pensais que l’expérience n’avait pas marché et la pierre a réagi au moment où je donnais sa pâtée à Madame, signe de sa satisfaction.

Je suis vraiment content d’avoir réussi cette expérience, la prochaine étape sera de réussir à distiller l’émotion, mais je n’ai pas encore trouvé le moyen ou le réceptacle de l’émotion. J’ignore si je dois persister dans la stabilisation d’une pierre qui puisse « absorber » une émotion ou si je dois partir d’un substrat plus tangible. L’idée m’est venu à une époque de recueillir des larmes pour voir ce que donnerait leur distillation, mais je n’ai pas encore essayé. La difficulté dans ma thèse repose essentiellement dans la nécessité d’une émotion quantitativement très présente. Mais je n’allais pas ennuyer Kaiden avec ce détail tout de suite, autant attendre qu’il ait de l’alcool devant lui pour s’échapper. En attendant, je devais avoir l’air bien bête avec mon grand sourire un peu benêt, comme un gamin tout joyeux.