La boule au ventre, je flâne dans les Halles du centre commercial, regardant mon reflet dans les vitrines dès que j’en avais l’occasion.

Ce n’était pas mon premier rendez-vous avec la Summerbee, non. C’était le troisième. Et pourtant, mon cœur battait à cent à l’heure, appréhendant notre rencard ; mon estomac semblait s’être retourné à l’envers, et mes mains tremblaient légèrement.

Passant mes doigts dans ma tignasse dans une énième tentative de me coiffer, je regarde l’heure, et me rends compte qu’il serait grand temps de me bouger le cul. Mais le stress qui m’habitait me faisait avancer au ralenti, alors que je serrais les mâchoires, la peur de me prendre un râteau me compressant la poitrine. Car cette fois, je comptais bien lui dire ce que je ressentais à son égard, avec l’espoir de voir notre relation se concrétiser.

Enfin, j’arrive devant le salon de thé. La gorge serrée, je me recoiffe une dernière fois et passe la porte, cherchant la blonde du regard. Et lorsque mes yeux se posent sur son visage concentré, mon cœur loupe un battement.

Elle est là, penchée sur un carnet, les traits détendus, sublime dans sa robe estivale. Ses cheveux flottant autour de son minois délicat lui donnent l’air d’être descendue du ciel. Comment une fille, non, une femme, aussi magnifique qu’elle a pu accepter non pas un, ni deux, mais trois rendez-vous avec un gars aussi largué que moi ?

Une baffe mentale plus tard, et je m’avance vers elle, un sourire crispé sur les lèvres. Je m’installe en silence, n’osant trop la déranger dans son dessin – c’est qu’elle est talentueuse, en plus du reste… – et me contente de l’observer, mille scénarii différents se déroulant dans mon esprit à la seconde.

Bordel, à ce rythme, on y sera encore demain.

L’impulsion de tendresse de la blonde me surprend, et je me mets à rougir instantanément. Lui adressant un doux sourire, je sens mon visage chauffer et me perds une fois de plus dans son regard.

Que signifiait ce geste ? Mis à part une expression d’affection, s’entend. Et puis jusqu’où s’étendait cette affection, surtout ? Me considérait-elle comme un ami ? Un peu plus ? Un potentiel « un peu plus » ?

Déboussolé, j’en oublie presque de répondre à sa question. Mais son sourire attendri me ramène à la réalité, et je me reprends, me sentant bien ridicule, pour changer.

- Bien…, je marmonne, pestant contre ma timidité et tentant de rassembler mon charisme pourtant légendaire – sauf devant elle. Je ne peux qu’aller bien quand… euh, hum, je veux dire, c’est agréable de te voir.

Mais bordel, je suis censé avoir pris en confiance en moi, et pas avoir régressé ! Même à Poudlard, j’étais plus à l’aise que ça avec les filles. Charmeur, espiègle, toujours le mot pour rire, c’était moi qui les faisais rougir et glousser, pas l’inverse ! Mais pas avec Juliet.

Avec Juliet, je me transforme en marshmallow. Tout mou, tout mignon, mais surtout tout perdu et presque plus doué de parole. Et ça commençait sérieusement à m’énerver. Au départ, on aurait presque pu trouver ça attendrissant, mais là, la frustration me rendait irritable. Oui, j’étais énervé contre moi-même ; il fallait que je trouve un moyen de me sortir de ce schéma, et vite.

Peut-être qu’il fallait juste que j’accepte qu’une femme aussi splendide puisse s’intéresser sincèrement à moi ?

- Et toi ? T’as toujours été aussi talentueuse ? je murmure, pas encore assez sûr de moi pour pleinement assumer ma tentative de flirt.

Avec un sourire gêné, je désigne son dessin d’un mouvement de tête. Après tout, mon plan de drague ne reposait que sur des vérités…

- Je suis contente de te voir aussi.

Sourire timide, gêné mais heureux. Soulagé, aussi, dans un sens, que ce sentiment soit partagé. Et alors qu'elle se rassoit, mon regard se perd un instant dans sa chevelure d'or ; un instant éphémère où j'en oublie le reste, jusqu'à ce qu'elle me tende la carte du salon de thé.

Ses lèvres s'étirent en réponse à mon compliment ; sourire contagieux qui se reflète sur mes lèvres, alors que je sautille sur un nuage d'insouciance.

- C'est un cadeau de mariage un peu en retard... pour mon cousin et une amie très proche.

Mes yeux s'arrachent à la contemplation de la belle pour se poser sur son œuvre. Je hausse les sourcils en découvrant les détails, méticuleux, de son dessin ; j'y perçois son perfectionnisme, sa sensibilité ; à croire qu'elle a toutes les raisons du monde de me plaire. Et à chaque fois que je la découvre un peu plus, qu'une feuille de carapace se détache pour révéler une facette de sa personnalité, je me retrouve ébloui, à l'apprécier davantage.

- Je trouve que c'est un très beau cadeau. Ils seront touchés, j'en suis sûr.

Je lui souris à nouveau, sincère. Merlin, que cette fille respire la douceur.

Je sors de ma bulle un moment pour commander un thé noir aux épices, bien que la saison ne s'y prête pas forcément. C'est un peu mon chocolat chaud de l'été.

- Tu as prévu quoi pour ces vacances ? je demande, curieux de savoir à quelles activités la Blackthorn pouvait s'adonner en dehors des périodes scolaires.

La douce abeille se met à parler, me racontant ses projets estivaux en détails, et je ne peux m’empêcher de l’écouter avec la plus grande attention. Malgré moi, je me sens rougir légèrement, une fois de plus, lorsqu’elle évoque la possibilité de la rejoindre en vacances.

C’est vrai que ça me plairait bien. Me détendre en bord de mer en si bonne compagnie, quoi de mieux pour passer un été chaleureux ? Mais je ne réponds pas tout de suite, me contentant de la regarder avec un sourire alors qu’elle semble se perdre dans ses pensées. J’attends patiemment qu’elle revienne à la réalité et qu’elle reprenne, ce qu’elle s’empresse de faire aussitôt qu’elle croise mon regard.

- Et pour le mois d’août je suis en stage à Saint Mangouste.

- Oh, félicitations !

C’est chouette qu’elle ait autant de plans définis. Elle sait où elle veut aller, la Juliet, et je trouve que ça lui ajoute un charme. Elle a l’air déterminée, organisée, peut-être même un peu trop ?

- Et toi, qu’est-ce que tu as prévu ?

J’ouvre la bouche mais m’interromps aussitôt lorsque la serveuse revient vers nous pour nous déposer notre commande. Avec un sourire, je règle la note instantanément – hors de question de laisser à Juliet l’occasion de payer, je n’ai pas été éduqué ainsi. Je remercie la gentille serveuse d’un signe de tête et me retourne vers la Blackthorn, mon cœur battant à cent à l’heure par anticipation.

- Pour cet été ? Je ne sais pas trop. Je vais sûrement essayer de passer du temps avec ma sœur mais elle a l’air bien occupée, une vraie ministre, je plaisante. Mais ta proposition est tentante, je vais voir pour venir, ce serait chouette.

Je bois une gorgée brûlante pour me donner du courage, le pouls affolé, me contenant pour n’en laisser rien paraître. Allez, Lewis, depuis le temps que tu attends ce moment ; elle t’offre l’occasion parfaite, alors lance-toi !

- En revanche, ce que j’ai prévu là tout de suite… C’est de te poser une question.

Si j’y arrive. Vu ma lenteur, c’est pas dit. Où est passée mon assurance, par Merlin ?

- Ça fait un moment que j’y pense et je me suis dit que… Enfin, je sais que moi j’aimerais bien, mais toi, c’est ton choix donc à toi de me dire… je veux dire, euh, surtout je ne veux pas te mettre de pression ou quoi que ce soit, c’est peut-être trop tôt, je ne sais pas ce que tu en penses ?

Et voilà que je m’embrouille tout seul. Bien joué, mec, vraiment.

Je respire profondément, reposant ma tasse, et ancre cette fois mon regard dans le sien, me forçant à ne pas ciller.

- Je reformule. Est-ce que tu voudrais être ma copine ? je murmure dans un souffle, surpris de mon soudain courage – et de ma maladresse improbable.

Elle va dire non, c’est sûr. Si au moins j’avais eu la prestance de lui demander ça de façon un peu plus classe et moins brouillon, ça aurait pu passer. Mais visiblement, j’étais bien parti pour m’empêtrer dans mon ridicule ; on aurait dit un ado mal dans sa peau ! C’est pourtant tellement plus simple avec les autres filles – elles, au moins, ne font que rire à mes blagues et me sourire en battant des cils, bien que des fois je ne comprenne pas trop pourquoi. Juliet, elle, me terrifie, me paralyse, me fait me sentir tout petit. Est-ce le fait qu’elle soit plus âgée que moi qui me déstabilise ? Ou juste qu’elle ait l’air si parfaite, si inatteignable, si sûre d’elle ?

« Est-ce que tu voudrais être ma copine ? » Non mais sérieux, Lewis, qui dit ça ?