14 février 2021

Soirée anti saint Valentin devant Netflix. Je ne demandais pas mieux. Si je n'étais pas une pro de toute la culture moldue, je devais bien avouer qu'elle avait ses charmes. Les programmes sur Netflix en faisaient d'ailleurs partie. Notamment cette série, la Chronique des Bridgerton. Lady Whistledown me rappelait définitivement les horreurs sordides que le Chineur pouvait sortir sur les étudiants et les habitants d'Inverness, mais surtout, le personnage central masculin était à tomber. Quant à l'héroïne... Je la trouvais un peu naïve et niaise et... Ouais bon... J'aurais donné n'importe quoi pour être à sa place. Il fallait que je sois honnête. Je portai un verre d'eau à ma bouche, me demandant s'ils allaient enfin s'embrasser, quand je perdis tout repère. Mon verre s'écrasa au sol alors que ma vision virait au noir et que je tombais dans les pommes. Combien de temps s'écoula, je n'aurais su le dire. Ce qui était sûr, c'était que lorsque je rouvris les yeux, une sensation de peur panique s'était emparée de moi. Une sensation que je n'avais pas connue depuis bientôt quinze ans. Il s'était passé quelque chose. Quelque chose de terrible, c'était la seule certitude que j'avais.

"Vic!" soufflai-je à Holly, la gorge nouée. J'ignorais même comment j'avais pu prononcer un son. La suite s'était déroulée dans un flou pas vraiment artistique, mais on avait fini par retrouver mon frère jumeau, à l'étranger, dans le coma. Il avait rapidement été rapatrié à Londres et, si j'avais voulu camper à ses côtés jusqu'à ce qu'il se réveille, ma mère s'y était opposée. J'avais l'université et elle refusait que je rate les cours. Par contre, elle avait promis de me prévenir dès qu'il serait réveillé.

samedi 20 février

"Il est réveillé!" Avant même de recevoir le message de ma mère, je l'avais senti. Cela m'avait réveillée dans la nuit. C'était bizarre, pas normal, mais ça m'avait rassurée, un peu. Suffisamment pour que je puisse attendre le lendemain matin pour me rendre à Londres à son chevet. Mon frère était sorti du coma... Mais pas assez pour que je puisse attendre le réveil de Holly et Fao pour prévenir ma soeur autrement que par un petit message.

Il était tôt le matin lorsque j'arrivai à l'hôpital Sainte Magouste. Etonnamment, je trouvai ma mère dans le couloir, en larmes. L'inquiétude s'empara aussitôt de moi.

"Mère? Tout va bien? Que se passe-t-il?" "Il est réveillé, Grace. Par contre, les médecins m'ont dit qu'il avait perdu la mémoire." J'écarquillai les yeux. "Il... Nous a oubliés?" "Non. Juste ces dernières années." Je ne comprenais pas. Je décidai de la laisser dans le couloir pour entrer dans la chambre de mon frère avec mon empressement habituel puisqu'il ne m'avait pas oubliée.

"VIIIIIIIIIC!!!" m'exclamai-je, sautant à moitié sur le lit pour le prendre dans mes bras et le serrer contre moi. "Mais qu'est-ce qui t'es arrivé! Je te fais mal? Tu m'as... Tu nous as fait sacrément peur!" lui dis-je en tapotant sa joue pour mimer une gifle. Je n'étais pas folle non plus... Il avait failli mourir! J'étais juste vraiment heureuse qu'il soit là, vivant, près de moi.

Il était là, dans mes bras, et si je n'éclatais pas en sanglots, c'était bien parce que je pouvais constater de mes deux yeux qu'il était vivant. Même s'il ne me prenait pas dans ses bras à cause des attaches que je n'avais pas remarquées en entrant, tant j'étais soulagée de le voir réveillé. Ce ne fut que lorsque je me redressai que je percutais qu'il ne m'avait pas rendu mon étreinte... Et que je remarquais ces "menottes".

"Qu'est-ce que... Pourquoi tu es attaché?" demandai-je en fronçant les sourcils. "Tu as joué les boxeurs? Tu as frappé quelqu'un?" suggérai-je avant de penser à: "Tu as fait une tentative de suicide?" A cette idée, j'écarquillai les yeux d'horreur. Je ne voulais pas croire ça. Pas de mon frère. Il avait presque tout ce dont un homme pouvait rêver. Bon... Okay, il avait joué au con avec la fille de ses rêves. Ca, je n'allais pas dire le contraire. Mais bon...

Je poursuivis, lui disant qu'il m'avait fait sacrément peur, et il m'expliqua alors que... "Je me rappelle juste que j'étais avec Lucas. On étudiait un sort. On venait de recevoir nos réponses pour Hungcalf. T'étais partie à la danse. Et après..." Ah.... Euh.... Mère m'avait dit qu'il avait perdu la mémoire, mais je ne m'attendais pas à ça, et je restai sans voix tandis qu'il s'inquiétait pour son ami. "Grace... Ils veulent pas me dire... S'te plait... Où est Lucas ? Il... dis-moi qu'il va bien ?" C'était vraiment à moi, de lui faire ce rappel? Je pris sa main attachée dans la mienne, la pressant doucement. "Vic.... Tu ne vois pas comme mon visage a changé, depuis la dernière fois que tu m'as vue?" demandai-je doucement, essayant d'y aller en douceur. "Les événements dont tu parle... Ils ont eu lieu en 2017..." Je déglutis douloureusement avant d'ajouter, dans un murmure: "Nous sommes en 2021." Ceci dit, une par de moi aurait voulu ne rien dire, pour en apprendre davantage sur ce qu'il s'était passé ce jour-là, sur ce qui avait, peut-être, provoqué la mort de Lucas un an après et le départ de Vic pour la France pour quelques semaines. Mais non. Le plus important, à cet instant, c'était de le ramener dans le présent.

Réveillé attaché? Je ne comprenais pas. C'était au-dessus de mes forces. Ce qui ne l'était pas, par contre, c'était ce que j'allais faire, parce que j'avais besoin de sentir les bras de mon frère m'entourer comme moi je l'entourais. Je sortis donc ma baguette et l'agitait pour le libérer de ses entraves.  "Là. C'est mieux, comme ça." dis-je en prenant l'un de ses poignets meurtris dans mes mains pour le masser doucement. Des articulations douloureuses, je connaissais bien. Je savais ce que c'était. J'avais souvent eu mal aux chevilles, ou aux pieds après mes entraînements de danse. Je connaissais donc les massages pour soulager. Même s'il ne s'agissait pas de la même extrémité. Mes pouces faisaient des petits cercles sur le poignet de mon frère tandis que j'essayais de le ménager en soulignant le temps qui était passé entre la question qu'il me posait, et la date à laquelle nous étions. Ses médecins, notre mère, m'avaient bien indiqué qu'il fallait y aller doucement. Ne pas être brusque avec lui. Que les souvenirs évoqués devaient être bons. Pas douloureux. Aye... Le problème, c'était qu'au cours des quatre années écoulées, il y avait quand même quelques souvenirs douloureux: la mort de Lucas, celle d'Autumn, sa rupture avec Ymkje. Bref, ça n'allait pas être simple. Mais j'essayerai. Il y avait, surtout en positif: la naissance de son filleul, Faolàn, le fils de Holly, notre grande soeur. Il ne pouvait pas l'avoir oublié, n'est-ce pas? Après tout, c'était son propre sang!

"Où est-ce qu'on est ? Quand est-ce qu'on est ? Putain de merde..." Je pressai doucement la paume de sa main pour le calmer avant de répondre d'une voix douce:  "Nous sommes à Londres. A sainte Mangouste. On est le 20 février. Tu t'es réveillé ce matin. Il y a quelques jours, tu as perdu connaissance." Moi aussi, c'est ce qui a permis d'alerter tout le monde, alors que nous n'étions pas ensemble songeai-je. "Tu as passé quelques jours dans le coma. On ne savait pas si tu allais te réveiller. Ce matin, j'ai senti que c'était le cas, et je me suis précipitée à ton chevet." Ca, j'avais le droit de le dire, pas vrai? Rien ni personne ne m'en empêcherait, en tout cas. Pas alors que je voyais ce regard perdu, paniqué dans ses yeux.

"Qu'est-ce qui m'est arrivé Grace ?" "Je ne sais pas, Vic. Je crois que c'est perdu dans ton esprit. Pour te protéger. Il a dû se passer quelque chose. Quoi, je ne sais pas. Mais je l'ai senti au moment où c'est arrivé, et Holly a pu donner l'alerte. Si je ne l'avais pas senti..." Ma voix se brisa alors que j'imaginais le pire. Serait-il mort, comme Lucas à l'époque, si je ne m'étais pas évanouie?

Il était détaché et enfin libre de ses mouvements. Mon frère laissa son poignet entre mes mains tandis que je le massais doucement, son autre bras venant entourer mon épaule. Un moment de complicité comme nous n'en avions pas eu depuis son départ, comme j'avais craint de ne plus en avoir. Son front vint se poser dans mon cou et je sentis, bientôt, les larmes couler le long de celui-ci, transportant une souffrance aussi bien mentale que physique qui me chavirait le coeur. Je n'avais qu'une envie, lui chanter une berceuse comme je l'aurais fait avec mon neveu pour apaiser son esprit et l'aider à s'endormir. Mais il venait de passer cinq jours dans le coma et je n'étais pas certaine qu'il ait envie de dormir tout de suite.

Je ne me reculais que lorsqu'il me dit avoir mal. Mince. C'était la position assise, peut-être? "Rallonge-toi. Tu veux que j'appelle quelqu'un?" demandai-je avant de le rassurer aussitôt: "Mais je ne te laisse pas. C'est hors de question. Je ne t'ai pas vu pendant trop longtemps. J'ai eu trop peur ces derniers jours pour te laisser maintenant." dis-je. Je le poussai néanmoins doucement pour qu'il se rallonge, m'allongeant à ses côtés comme quand nous étions enfants. J'avais, malgré tout, la main sur l'interrupteur, prête à appeler un aide-soignant ou un infirmier s'il me le demandait.

"Shhh... Ca va aller, Vic. Je suis là." murmurai-je en passant une main dans ses cheveux, comme quand nous étions enfants et que j'essayais de nous apaiser après que l'un de nous deux ait fait un cauchemar.  "On est tous les deux, il ne peut rien arriver de grave."

Je l'avais aidé à se rallonger, avant de m'allonger aussi à côté de lui pour bien lui indiquer que je ne bougeais pas de là. J'étais prête à passer toute la journée allongée sur ce lit à côté de mon frère si ça pouvait le rassurer - et pas que pour ça, d'ailleurs. Moi aussi, ça me rassurait. Parce que j'avais ainsi la preuve qu'il était bien toujours en vie après avoir cru que j'allais le perdre quelques jours plus tôt. Je ravalai la boule qui commençait à me bloquer la gorge. "Je me rappelle..." Je me figeai à ce début de phrase, allant presque jusqu'à retenir ma respiration. Avait-il un souvenir de ce qu'il s'était passé cinq jours plus tôt? "... de l'épouvantard. Il n'y en a pas hein, ici ?" Non. Mais c'était sans doute trop tôt. Cela finirait par revenir, non? "Non, il n'y en a pas, ici. Ne t'inquiètes pas." Ceci dit, c'était un peu normal qu'il puisse penser ça. La dernière fois que j'avais senti qu'un truc grave lui était arrivé, c'était justement à cause d'un épouvantard.

Qu'est-ce qui avait bien pu se passer, le jour de la saint Valentin? La vérité ne pouvait même pas m'effleurer l'esprit. "Je suis désolé Grace. Vraiment désolé. Je... j'sais pas ce que j'ai fait." "Ne t'inquiètes pas, Vic. Ce n'est pas grave. L'essentiel, c'est que tu sois là aujourd'hui." Et c'était vrai. Et j'étais prête à le répéter aussi souvent qu'il le faudrait pour qu'il intègre cette vérité. "On finira par comprendre ce qu'il s'est passé. Pour l'instant, ce n'est pas l'important." répétai-je. Je n'en soulignais pas moins le fait que j'avais changé au cours des années dont il ne se souvenait plus. "Est-ce que... Tu te souviens de l'université, quand même? Ou pas du tout?" demandai-je, essayant de voir jusqu'où ce problème remontait. Bon. Déjà, il pensait que Lucas était toujours en vie et Lucas était mort après notre première année à Hungcalf. Mais peut-être se souvenait-il du début de l'année scolaire, encore.

J'avais envie d'écraser les larmes qui coulaient sur ses joues, de le réconforter, de lui dire que tout allait s'arranger, et que ses souvenirs allaient revenir. Mais je ne pouvais pas le lui certifier, et cela me meurtrissait l'âme et le coeur. Alors, moi aussi, je pleurais, en silence, en gardant mon frère contre moi parce que c'était ce dont on avait tous les deux besoin. Et tant pis si, vu de l'extérieur, cela pouvait sembler bizarre. Moi, je savais bien que cela ne l'était pas, que c'était l'innocence de deux personnes qui était sorties en même temps - ou presque - du ventre de leur mère, et qui avaient grandi ensemble en partageant tout - sauf leur chambre. Il me raconta l'été avant d'entrer à Hungcalf, lorsqu'on avait écrit nos lettre. "Oui! J'avais cédé face à l'insistance de Mère! Mais j'avais déclaré que je suivrai le cursus d'arts du spectacle et rien d'autre. Bon.... J'avais quand même accepté de suivre quelques autres matières, mais bon. C'était arts du spectacle, ou je partais dans le monde moldu!" ris-je. Je me souvenais comme si c'était hier de ma déception en voyant s'inscrire "Pokeby" au lieu de Summerbee. Déception qui ne m'avait pas quittée alors que j'étais allée faire la surprise à Holly quelques jours après en la rejoignant à Inverness pour lui dire que j'allais intégrer l'université à la rentrée. "Je ne suis plus en arts du spectacle, tu sais.... Après la fin de la première année, j'ai voulu voir ce que je valais. Oh! Je n'étais pas mauvaise, hein! J'ai fait quelques auditions. Mais.... Je n'ai pas aimé l'atmosphère. J'ai été soulagée que Mère m'ait fait suivre aussi des matières plus conventionnelles, même si j'ai recommencé la première année. Je suis en littérature. Et ça me convient très bien, finalement." Même si ça voulait dire runes et histoire de la magie.

Tout ça pour essayer de le rassurer, pour qu'il arrête de penser à Lucas, parce que l'entendre parler d'un sortilège potentiellement dangereux me retournait l'estomac. "Les médicomages vont prendre bien soin de toi. Et puis tu pourras retrouver ta vie." Je faillis rajouter "d'avant", mais je n'avais pas envie qu'il reparte. "Reprendre les études, sortir avec nos amis...." Bref: "Ca va aller vite mieux, je te le promets, Vic. Je t'aiderai. Je veillerai sur toi. Est-ce que.... Tu veux que je prévienne quelqu'un? Mon téléphone est dans mon sac." Oui, mais bon.... Etait-ce une bonne idée d'avoir évoqué mon téléphone? Un objet moldu que je n'avais que depuis un an?

Grande, grande.... On avait pas tant d'écart que ça. Quelques minutes tout au plus. Mais si j'étais sortie avant: "Tu sais ce qu'on dit? Le dernier jumeau à sortir est le plus vieux: parce qu'il s'est installé avant. Donc, en vrai, c'est toi l'aîné..." répondis-je. Un peu de légèreté. C'était tout ce dont nous avions besoin. Déjà que je ne savais pas comment il prendrait l'annonce concernant la maternité de notre soeur depuis deux ans maintenant. Est-ce que le sang était plus important que le reste? Est-ce qu'il se souviendrait de son neveu? Je ne voulais pas aborder ce sujet, de crainte qu'il ne se sente coupable s'il ne se souvenait pas de lui.

"Oui, ça fait un an, à peu près. J'ai fini par céder. Puis.... C'était plus pratique. Mais tu sais, tu en as un, toi aussi. On s'envoyait beaucoup de sms quand tu n'étais pas là. Et avec Holly, c'est pratique aussi." Aille. Sans forcément le vouloir, j'avais ramené ma soeur sur le tapis. Enfin. J'avais commencé en lui demandant s'il voulait que je la prévienne. La réponse était positive, je me redressai légèrement le temps de récupérer mon téléphone et d'envoyer un sms à notre soeur. "Holly va... bien." répondis-je, quoiqu'un peu hésitante. "Gideon et elle ne sont plus ensemble. Ca va faire trois ans maintenant?" dis-je en réfléchissant un peu. "Oui, c'est ça." Et voilà, ce que je craignais: j'allais devoir évoquer notre neveu. "Mais ils ont un fils. Faolan. Non, Gideon n'a pas abandonné Holly et leur fils. C'est un peu plus compliqué que ça. Mais ce n'est pas à moi de te raconter ça. Fao a... Il a deux ans." expliquai-je, prête à serrer mon frère fort contre moi et à lui dire que ce n'était pas grave s'il ne se souvenait pas de Fao, que ça lui reviendrait et qu'il était un super tonton et qu'il le serait à nouveau.

Ne l'appelle pas. Sauf que j'étais allée plus vite que la musique. J'avais déjà envoyé un sms à Holly pour lui dire que notre frère était réveillé, et que je lui raconterai tout en rentrant, mais qu'il était fatiguée et qu'il valait mieux attendre demain si elle voulait venir le voir. D'autant qu'il venait de me confier juste après qu'il avait mal et que je me sentais impuissante. Je le gardai donc contre moi, sans un mot avant d'appuyer sur un bouton pour appeler les infirmières. A peine entrées, elles froncèrent les sourcils en voyant que mon frère était détaché de ses liens et que nous nous tenions enlacés. L'une d'elles me raccompagna à l'extérieur pour me réprimander tandis que l'autre rattachait les liens qui maintenaient Vic attaché. Je voulus rentrer pour le libérer, mais la première me retint, menaçant de m'interdire de venir visiter mon jumeau si je le détachais à nouveau. Je me stoppai net, les larmes aux yeux tant c'était inhumain, murmurant plus pour moi qu'autre chose que "C'est un hôpital. Pas une prison. Vous n'avez pas le droit de l'attacher." Parce que je ne pouvais décemment pas croire qu'il avait pu être violent avec qui que ce soit. Mais je voulais revenir le voir - dès le lendemain, alors j'abdiquai, bien décidée à le détacher à chaque fois que je viendrai le voir, quitte à être celle qui lui remettrait ses liens. Mais au moins, il aurait un peu de liberté.