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Wanna play the game again? [Tatiana]
Mar 13 Avr 2010 - 14:24
J’achevais ma quatrième clope de la matinée, que j’avais toutes fumées à la suite l’une de l’autre. J’avais besoin de support moral, et ces dames blanches étaient parfaitement à même de le faire. La clope coincée entre deux doigts, le stylo à bille coincé dans l’autre main, j’étais assis à même la pelouse du domaine, m’étant retiré pour espérer gratter quelques mots. A mes pieds régnait un cendrier plein, et un biscuit synthétique était encore dans son emballage, pris au cas où, mais pour le moment, je n’avais pas faim. Ce matin, en me réveillant, j’avais été pris d’une impulsion créatrice, l’envie d’écrire m’avait saisi aux tripes et ne me lâchait alors plus. Mais depuis tout à l’heure, j’étais en train de massacrer le bout de feuille, arrachée à un cahier, que je triturais de mes doigts nerveux et fébriles. Rien à faire, j’étais une vraie boule de nerfs, toujours stressé, toujours pressé aussi, et j’étais souvent contrarié si rien n’allait dans mon sens, comme je le voulais. Je pianotai nerveusement sur le support qui soutenait ma feuille, avant d’allumer une cinquième clope et de me presque noyer dans la fumée âcre qui m’arrachait les poumons mais qui au fond me faisait tellement de bien. Je lorgnai du coin de l’œil la brioche chimique qui me faisait de l’œil, avant de jeter le stylo dans l’herbe d’un air las, et de m’emparer de ce truc pourtant infâme et d’en déchirer l’emballage, puis de mordre dedans avec presque l’énergie du désespoir, parce que putain, j’avais la dalle. J’avais pourtant dit maintes fois à ma mère que je n’aimais pas ça, mais elle s’entêtait à vouloir m’en ramener. Elle devait sûrement se dire que j’aimais bien, puisque je les mangeais. Un raisonnement logique au fond, ce dont j’étais moi-même incapable de faire. Je soupirai lourdement, avant de froisser la feuille, davantage ornée de graffitis plutôt que de paroles de chanson dignes de ce nom. Je la jetai devant moi, comme j’avais fait pour l’emballage du gâteau quelques secondes plus tôt. Lassé d’être assis en tailleur, j’étalai mes grandes jambes devant moi, et m’étirai vaguement, endolori d’être resté dans cette position aussi longtemps. L’air résigné, décidé à ne pas lâcher l’affaire, j’écrasai ma clope désormais finie dans le cendrier, avant de m’emparer du cahier, jeté vaguement sur mon sac, et d’en arracher une page, décidé à faire quelque chose de constructif de ma matinée.
Un léger tremblement m’avait saisi, me faisant lâcher mon stylo, que je regardai rouler sur le support et tomber dans l’herbe sans chercher à le rattraper. Je me frottai nerveusement la nuque, tout en soupirant une énième fois d’un air blasé. Ne pas écrire comme je le voudrais avait don de me stresser considérablement. J’avais alors l’impression d’être un bon à rien, et ça me déprimait d’autant plus. Mais là, il n’y avait rien à faire, j’étais incapable de pondre une misérable ligne malgré l’envie qui m’avais pris ce matin là. J’avais juste dans la tête un vieil air de musique, qui revenait, encore et encore. Je me surpris bientôt à battre la mesure, alors que l’envie de jouer éclipsait l’envie d’écrire, se diffusant jusqu’à l’extrémité de mes doigts mises en évidence par les mitaines noires en cuir que je portais. Un pansement entourait mon bout de majeur, que j’avais flingué en essayant de couper ma viande l’autre jour. Mes mains étaient meurtries, portant diverses cicatrices, signe qu’elles avaient pas mal servi, et pas seulement pour effleurer le corps immaculé des demoiselles. Je calai mon stylo derrière mon oreille, avant de décapiter impitoyablement l’ongle de mon petit-doigt gauche d’un coup de dents. Une sale manie que j’avais, de ronger mes ongles. J’étais tout le temps sur les nerfs de toute façon, et ça se voyait, au point même que j’en étais presque énervant pour les autres. Je tournai la tête, pour regarder les alentours. Des gens étaient massés par petits groupes, entre déconnades et blagues vaseuses, et comme d’habitude j’étais seul. Mais la solitude ne me dérangeait pas, j’avais toujours été un peu solitaire de toute façon, je n’allais pas me plaindre de ne pas avoir de compagnie alors que je n’en cherchais pas spécialement. Plus loin, il y avait un couple qui marchait main dans la main, et ça me rappelait aussi le désert de ma vie sentimentale. Je n’avais jamais connu rien d’important, en réalité, juste une micro-relation qui était tombée à l’eau une fois de plus par ma faute, sinon, j’accumulais les flirts et les relations d’un soir, sans jamais m’attacher, fidèle à ma promesse. J’avais laissé volontairement les gens hors de ma vie, n’y admettant que quelques exceptions qui finissaient par confirmer la règle. J’étais incapable d’aimer qui que ce soit, mon cœur en lui-même était mort et froid, il ne servait que pour la fonction vitale qui lui avait été originairement attribuée. J’avais pour seul amour la musique, qui elle seule savait apaiser mon âme damnée. La musique qui pour une fois était cause de mon tourment, et non un baume. J’avais fini par jeter l’éponge.
Un instant plus tard, j’étais affalé dans le canapé de mon appart, clope au bec, comme d’habitude, laissant mes pensées défiler par elle-même, ne cherchant pas à les censurer histoire de m’épargner un minimum. Je tendis un peu l’oreille, tentant par cette méthode de savoir si mon colocataire était rentré, ou même, si Mona était là. Mona était une étudiante d’Hungcalf qui venait souvent jouer de la musique avec nous. Elle assistait à nos répètes et jugeait d’un œil critique ce que nous faisions. Elle avait ce truc de déceler tout ce qui n’allait pas, avec une précision hors-pair qui à chaque fois me sidérait. Mona était incroyablement douée, et je l’admirais pour son talent. Elle m’inspirait quelques fois, quand j’écrivais. Mais sans plus. Notre relation se limitait à un passage obligé par mon pieu de temps à autres, entre cigarettes, rails de coke et quelques mots grattés sur une feuille de cahier arrachée. S’ils étaient là, en tout cas ils savaient se montrer discrets, parce que j’entendais rien. Ils devaient donc être absent, ce dont je ne saurais être étonné, eux au moins avaient un semblant de vie sociale. En parlant de vie sociale…Je n’en avais plus depuis la mort de Jimmy, préférant me comporter en ermite. J’étais assez réticent à l’idée de nouer de nouvelles relations, avec toujours cette peur que j’avais de m’attacher, plus que de raison. Je savais le danger de créer de tels liens, j’aimais trop fort quand cela par malchance arrivait. J’étais incapable de contrôler ça, et ça me faisait peur. J’aimais bien Mona malgré tout. Elle n’était pas vraiment mon genre de fille, elle et moi ayant un caractère assez mal accordé qui est souvent sujet à frictions, mais au pieu nous avions l’avantage de bien nous entendre, et je pouvais me vanter d’être le seul du groupe à être passé entre ses cuisses tout bonnement divines. Mais Mona pour le coup n’était pas là, mon colocataire n’était pas plus présent.
Un instant plus tard, la porte d’entrée s’ouvrit à la volée, et mon colocataire entra, suivi de près par une Mona sautillante et surexcitée. Je me redressai, avant d’écraser la clope dans mon cendrier, et d’attraper Mona qui venait de me sauter dessus. Je me reculai légèrement, surpris, n’étant pas tactile pour autant. Je n’aimais pas qu’on me colle trop, qu’on m’étouffe sous les câlins et les papouilles. Mais je laissai Mona faire. Mon pote me tapa sur l’épaule pour me saluer, alors que je virais sa main d’un air faussement menaçant, sourire pendu aux lèvres. Je décidai bientôt de me lever, alors qu’il arpentait la pièce, à la recherche de…
« -Tiens, les voilà tes clopes! »
Je lui avais lancé le paquet, aux trois quarts vide par ma faute. Mona m’abandonna un instant pour prendre une cigarette elle aussi, et de se l’allumer. Un instant plus tard nous avions de nouveau intégré le canapé, clope au bec, encore une fois, Mona entre temps étant allée chercher trois bières. Nous avions trinqué, puis plus tard nous étions en train de parler de tout et de rien, surtout de rien en fait. Ils parlaient avec animation de la soirée qui devait avoir lieu ce soir, où Mona allait chanter d’ailleurs, avec son propre groupe. On occupait son temps comme on pouvait quand on était à la fac, quand on avait du temps à tuer, et surtout absolument aucune envie d’aller en cours. Quant à moi, je n’avais rien décidé pour la soirée de ce soir, je ne savais même pas si j’y allais ou non d’ailleurs. Quoiqu’il en soit, la journée passa rapidement, nous passâmes l’après-midi à répéter, jusqu’à épuisement, avant de nous prêter au jeu des séances photos, où Mona et moi-même nous amusions à poser devant l’objectif comme des stars. Ca faisait du bien un peu d’amusement de temps en temps, pour oublier un tant soit peu la morosité ambiante. N’empêche qu’avec Mona, on était vachement photogéniques. Tout le monde était d’accord là-dessus en plus de ça. Nous avions fini l’aprèm avec un rail de coke, et déjà nous étions dans un autre monde, ayant repris du service. Pour une fois, j’étais satisfait de ce que j’avais joué, et il y avait là la pierre finale posée à quelques heures de travail. La fierté m’emplissait, mitigée à ce sentiment de travail bien fait, que j’affectionnais particulièrement. On se remercia mutuellement par des accolades chaleureuses. J’appréciais aussi la solidarité qui existait entre nous, ça faisait plaisir à voir dans un monde où était observé le principe du chacun pour soi.
A présent je me regardais dans le miroir, me demandant si j’allais mettre la cravate ou non. Ma chemise déjà déboutonnée sur deux boutons, je n’avais pas envie de m’étouffer non plus avec un col trop serré, trop strict. Je décidai d’abandonner la cravate. Ce soir, nous allions finalement tous au pub, pour aller boire un verre. Pas de soirée donc, juste une soirée entre copains, pour parler musique, boire, fumer aussi. Surtout fumer, sachant que je n’allais pas vraiment toucher à l’alcool, ne le tenant pas vraiment. Il fallait bien que je compense par autre chose. Nous arrivâmes bientôt au pub, où nous commençâmes la soirée dans les règles. Mona avait chopé un sale truc dans l’après-midi, ce qui l’avait contrainte à annuler la représentation à la fameuse soirée donnée à Norwich, à défaut de passer sa vie aux toilettes, en train de vomir tripes et boyaux, elle était coincée entre mon coloc’ et moi, une vodka à la main en guise de remontant. Là où ma propre nausée aurait empiré si j’étais dans son cas, elle avait l’air de se porter comme un charme. Enfin, ça c’est avant de courir aux toilettes et de disparaître un moment. Je tournai la tête, cherchant du regard le serveur, mais je renonçai bientôt, la foule étant trop compacte. J’abandonnai donc le reste du groupe, dans l’idée d’aller chercher une petite consommation. Je me frayai un chemin jusqu’au bar, avant de tirer un tabouret et de m’asseoir non loin d’une jeune fille blonde qui regardait ailleurs. Je me penchai au dessus du bar, avant de lancer, désinvolte.
« - Une bière s’il vous plaît. Blonde. »
Un sourire s’était formé sur mes lèvres à l’évocation de ce type de bière. Je jetai un regard en biais à ma voisine, l’ayant parfaitement reconnue. Tatiana Whitaker. Une vieille connaissance, et pas des moindres. L’air incisif et tranchant, désireux de lancer les hostilités, mais malgré tout d’une voix veloutée et suave, je l’interpellai:
« -Alors Whitaker, tu boudes les soirées mondaines? Ils ont refusé de t’y laisser entrer? N’aurais-tu plus tes passe-droit? Ou tu as une envie subite de descendre de ta tour d’ivoire et de te mêler au commun des mortels? »
La méchanceté. Je ne pouvais m’adresser à elle que par ce biais, et pourtant je n’avais pas de réelles mauvaises intentions à son égard. J’aimais juste lui chercher l’embrouille, comme le parfait pourri, doublé d’un emmerdeur, que j’étais. Pour moi, il s’agissait juste d’un jeu, un jeu auquel j’avais fini par prendre goût. J’aimais attaquer Tatiana sur ses manières de bourgeoise, sur sa façon de vivre. Ca m’amusait de la voir essayer de se défendre par de pauvres sarcasmes. Je ne la détestais pas cependant, sa compagnie ne m’était pas désagréable. Ces joutes verbales, c’était juste pour le plaisir du mot. Mon attitude désagréable n’était pas non plus dans le but de lui nuire, en réalité je ne cherchais qu’à l’aider, même si je ne le montrais pas de la meilleure façon qu’il soit. Je me penchai un peu plus vers elle, alors que le barman venait de me préparer ma chope, qui moussait encore un peu.
« -Tes potes t’ont abandonnée? Ils ne sont pas assez bien pour toi ou ils ont choisi d’aller à la soirée sans désirer t’inviter? »
Tout en la regardant, sourire goguenard accroché à mes lèvres fines, je bus une gorgée de bière. Je tournai le regard en direction de mes potes que j’avais laissés tomber, et reportai mon attention sur Tatiana Whitaker, future princesse déchue.
Un léger tremblement m’avait saisi, me faisant lâcher mon stylo, que je regardai rouler sur le support et tomber dans l’herbe sans chercher à le rattraper. Je me frottai nerveusement la nuque, tout en soupirant une énième fois d’un air blasé. Ne pas écrire comme je le voudrais avait don de me stresser considérablement. J’avais alors l’impression d’être un bon à rien, et ça me déprimait d’autant plus. Mais là, il n’y avait rien à faire, j’étais incapable de pondre une misérable ligne malgré l’envie qui m’avais pris ce matin là. J’avais juste dans la tête un vieil air de musique, qui revenait, encore et encore. Je me surpris bientôt à battre la mesure, alors que l’envie de jouer éclipsait l’envie d’écrire, se diffusant jusqu’à l’extrémité de mes doigts mises en évidence par les mitaines noires en cuir que je portais. Un pansement entourait mon bout de majeur, que j’avais flingué en essayant de couper ma viande l’autre jour. Mes mains étaient meurtries, portant diverses cicatrices, signe qu’elles avaient pas mal servi, et pas seulement pour effleurer le corps immaculé des demoiselles. Je calai mon stylo derrière mon oreille, avant de décapiter impitoyablement l’ongle de mon petit-doigt gauche d’un coup de dents. Une sale manie que j’avais, de ronger mes ongles. J’étais tout le temps sur les nerfs de toute façon, et ça se voyait, au point même que j’en étais presque énervant pour les autres. Je tournai la tête, pour regarder les alentours. Des gens étaient massés par petits groupes, entre déconnades et blagues vaseuses, et comme d’habitude j’étais seul. Mais la solitude ne me dérangeait pas, j’avais toujours été un peu solitaire de toute façon, je n’allais pas me plaindre de ne pas avoir de compagnie alors que je n’en cherchais pas spécialement. Plus loin, il y avait un couple qui marchait main dans la main, et ça me rappelait aussi le désert de ma vie sentimentale. Je n’avais jamais connu rien d’important, en réalité, juste une micro-relation qui était tombée à l’eau une fois de plus par ma faute, sinon, j’accumulais les flirts et les relations d’un soir, sans jamais m’attacher, fidèle à ma promesse. J’avais laissé volontairement les gens hors de ma vie, n’y admettant que quelques exceptions qui finissaient par confirmer la règle. J’étais incapable d’aimer qui que ce soit, mon cœur en lui-même était mort et froid, il ne servait que pour la fonction vitale qui lui avait été originairement attribuée. J’avais pour seul amour la musique, qui elle seule savait apaiser mon âme damnée. La musique qui pour une fois était cause de mon tourment, et non un baume. J’avais fini par jeter l’éponge.
Un instant plus tard, j’étais affalé dans le canapé de mon appart, clope au bec, comme d’habitude, laissant mes pensées défiler par elle-même, ne cherchant pas à les censurer histoire de m’épargner un minimum. Je tendis un peu l’oreille, tentant par cette méthode de savoir si mon colocataire était rentré, ou même, si Mona était là. Mona était une étudiante d’Hungcalf qui venait souvent jouer de la musique avec nous. Elle assistait à nos répètes et jugeait d’un œil critique ce que nous faisions. Elle avait ce truc de déceler tout ce qui n’allait pas, avec une précision hors-pair qui à chaque fois me sidérait. Mona était incroyablement douée, et je l’admirais pour son talent. Elle m’inspirait quelques fois, quand j’écrivais. Mais sans plus. Notre relation se limitait à un passage obligé par mon pieu de temps à autres, entre cigarettes, rails de coke et quelques mots grattés sur une feuille de cahier arrachée. S’ils étaient là, en tout cas ils savaient se montrer discrets, parce que j’entendais rien. Ils devaient donc être absent, ce dont je ne saurais être étonné, eux au moins avaient un semblant de vie sociale. En parlant de vie sociale…Je n’en avais plus depuis la mort de Jimmy, préférant me comporter en ermite. J’étais assez réticent à l’idée de nouer de nouvelles relations, avec toujours cette peur que j’avais de m’attacher, plus que de raison. Je savais le danger de créer de tels liens, j’aimais trop fort quand cela par malchance arrivait. J’étais incapable de contrôler ça, et ça me faisait peur. J’aimais bien Mona malgré tout. Elle n’était pas vraiment mon genre de fille, elle et moi ayant un caractère assez mal accordé qui est souvent sujet à frictions, mais au pieu nous avions l’avantage de bien nous entendre, et je pouvais me vanter d’être le seul du groupe à être passé entre ses cuisses tout bonnement divines. Mais Mona pour le coup n’était pas là, mon colocataire n’était pas plus présent.
Un instant plus tard, la porte d’entrée s’ouvrit à la volée, et mon colocataire entra, suivi de près par une Mona sautillante et surexcitée. Je me redressai, avant d’écraser la clope dans mon cendrier, et d’attraper Mona qui venait de me sauter dessus. Je me reculai légèrement, surpris, n’étant pas tactile pour autant. Je n’aimais pas qu’on me colle trop, qu’on m’étouffe sous les câlins et les papouilles. Mais je laissai Mona faire. Mon pote me tapa sur l’épaule pour me saluer, alors que je virais sa main d’un air faussement menaçant, sourire pendu aux lèvres. Je décidai bientôt de me lever, alors qu’il arpentait la pièce, à la recherche de…
« -Tiens, les voilà tes clopes! »
Je lui avais lancé le paquet, aux trois quarts vide par ma faute. Mona m’abandonna un instant pour prendre une cigarette elle aussi, et de se l’allumer. Un instant plus tard nous avions de nouveau intégré le canapé, clope au bec, encore une fois, Mona entre temps étant allée chercher trois bières. Nous avions trinqué, puis plus tard nous étions en train de parler de tout et de rien, surtout de rien en fait. Ils parlaient avec animation de la soirée qui devait avoir lieu ce soir, où Mona allait chanter d’ailleurs, avec son propre groupe. On occupait son temps comme on pouvait quand on était à la fac, quand on avait du temps à tuer, et surtout absolument aucune envie d’aller en cours. Quant à moi, je n’avais rien décidé pour la soirée de ce soir, je ne savais même pas si j’y allais ou non d’ailleurs. Quoiqu’il en soit, la journée passa rapidement, nous passâmes l’après-midi à répéter, jusqu’à épuisement, avant de nous prêter au jeu des séances photos, où Mona et moi-même nous amusions à poser devant l’objectif comme des stars. Ca faisait du bien un peu d’amusement de temps en temps, pour oublier un tant soit peu la morosité ambiante. N’empêche qu’avec Mona, on était vachement photogéniques. Tout le monde était d’accord là-dessus en plus de ça. Nous avions fini l’aprèm avec un rail de coke, et déjà nous étions dans un autre monde, ayant repris du service. Pour une fois, j’étais satisfait de ce que j’avais joué, et il y avait là la pierre finale posée à quelques heures de travail. La fierté m’emplissait, mitigée à ce sentiment de travail bien fait, que j’affectionnais particulièrement. On se remercia mutuellement par des accolades chaleureuses. J’appréciais aussi la solidarité qui existait entre nous, ça faisait plaisir à voir dans un monde où était observé le principe du chacun pour soi.
A présent je me regardais dans le miroir, me demandant si j’allais mettre la cravate ou non. Ma chemise déjà déboutonnée sur deux boutons, je n’avais pas envie de m’étouffer non plus avec un col trop serré, trop strict. Je décidai d’abandonner la cravate. Ce soir, nous allions finalement tous au pub, pour aller boire un verre. Pas de soirée donc, juste une soirée entre copains, pour parler musique, boire, fumer aussi. Surtout fumer, sachant que je n’allais pas vraiment toucher à l’alcool, ne le tenant pas vraiment. Il fallait bien que je compense par autre chose. Nous arrivâmes bientôt au pub, où nous commençâmes la soirée dans les règles. Mona avait chopé un sale truc dans l’après-midi, ce qui l’avait contrainte à annuler la représentation à la fameuse soirée donnée à Norwich, à défaut de passer sa vie aux toilettes, en train de vomir tripes et boyaux, elle était coincée entre mon coloc’ et moi, une vodka à la main en guise de remontant. Là où ma propre nausée aurait empiré si j’étais dans son cas, elle avait l’air de se porter comme un charme. Enfin, ça c’est avant de courir aux toilettes et de disparaître un moment. Je tournai la tête, cherchant du regard le serveur, mais je renonçai bientôt, la foule étant trop compacte. J’abandonnai donc le reste du groupe, dans l’idée d’aller chercher une petite consommation. Je me frayai un chemin jusqu’au bar, avant de tirer un tabouret et de m’asseoir non loin d’une jeune fille blonde qui regardait ailleurs. Je me penchai au dessus du bar, avant de lancer, désinvolte.
« - Une bière s’il vous plaît. Blonde. »
Un sourire s’était formé sur mes lèvres à l’évocation de ce type de bière. Je jetai un regard en biais à ma voisine, l’ayant parfaitement reconnue. Tatiana Whitaker. Une vieille connaissance, et pas des moindres. L’air incisif et tranchant, désireux de lancer les hostilités, mais malgré tout d’une voix veloutée et suave, je l’interpellai:
« -Alors Whitaker, tu boudes les soirées mondaines? Ils ont refusé de t’y laisser entrer? N’aurais-tu plus tes passe-droit? Ou tu as une envie subite de descendre de ta tour d’ivoire et de te mêler au commun des mortels? »
La méchanceté. Je ne pouvais m’adresser à elle que par ce biais, et pourtant je n’avais pas de réelles mauvaises intentions à son égard. J’aimais juste lui chercher l’embrouille, comme le parfait pourri, doublé d’un emmerdeur, que j’étais. Pour moi, il s’agissait juste d’un jeu, un jeu auquel j’avais fini par prendre goût. J’aimais attaquer Tatiana sur ses manières de bourgeoise, sur sa façon de vivre. Ca m’amusait de la voir essayer de se défendre par de pauvres sarcasmes. Je ne la détestais pas cependant, sa compagnie ne m’était pas désagréable. Ces joutes verbales, c’était juste pour le plaisir du mot. Mon attitude désagréable n’était pas non plus dans le but de lui nuire, en réalité je ne cherchais qu’à l’aider, même si je ne le montrais pas de la meilleure façon qu’il soit. Je me penchai un peu plus vers elle, alors que le barman venait de me préparer ma chope, qui moussait encore un peu.
« -Tes potes t’ont abandonnée? Ils ne sont pas assez bien pour toi ou ils ont choisi d’aller à la soirée sans désirer t’inviter? »
Tout en la regardant, sourire goguenard accroché à mes lèvres fines, je bus une gorgée de bière. Je tournai le regard en direction de mes potes que j’avais laissés tomber, et reportai mon attention sur Tatiana Whitaker, future princesse déchue.
- InvitéInvité
Re: Wanna play the game again? [Tatiana]
Mar 13 Avr 2010 - 20:28
Je poussai un léger soupir, laissant tomber ma cigarette à peine entamée sur les dalles de l'allée des croisades, l'écrasant ensuite d'un coup de talon bien placé. La journée s'étirait en longueur, et l'ennui s'était fait ressentir déjà plusieurs heures auparavant. J'étais accompagnée de quelques connaissances qui avaient décidé d'aller faire se balader dans les rues à mon sens crasseuses de Norwich, et que j'avais suivis par simple envie de m'éloigner un peu de l'université. J'aurais certes pu rester dans mon tout nouvel appartement, acquisition faite il y avait quelques jours à peine, cadeau doré de mon père suite aux bons résultats que je n'obtenais pas. La logique de Whitaker n'était plus à prouver, et je le soupçonnais de l'avoir acheté simplement pour contrer les remarques incessantes de ma génitrice quant au poids que j'avais soi-disant pris. Il n'avait jamais été doué avec les mots, et chacune de mes larmes étaient effacées à grands renforts d'offrandes plus luxueuses les unes que les autres. Je ne m'en plaignais pas, me contentant de le remercier dans un sourire joyeux, bien que j'aurais aimé pouvoir payer l'affection dont je n'avais jamais bénéficié. Je ne savais donc pas exactement pourquoi j'avais décidé de moi aussi aller me balader, quand j'aurais pu savourer le confort de mon lit toute l'après-midi. Au fond, je fuyais la solitude, je fuyais la froideur des murs blancs de ma demeure, je fuyais le sentiment de vide qui m'animait dès que je restais seule. J'étais une gamine paumée à la recherche de quelqu'un à qui s'accrocher, je laissais de côté mon aversion pour les autres, et je me mêlais à la foule avec l'espoir d'y disparaître, silhouette si fine qu'elle en deviendrait translucide, je m'évanouirais sur un dernier sanglot, ce serait tellement beau. Je rêvais au désespoir que j'éprouvais pourtant déjà, je rêvais au final que je n'obtiendrai pas. C'était si souvent comme ça, et personne ne le voyait, je jouais tellement bien, carapace d'acier, sourire, sourire, et oublier, oublier que rien ne serait jamais assez. Je n'étais ni totalement heureuse, ni particulièrement malheureuse, et là résidait le problème. Je semblais n'être capable que de ressentir la même émotion, encore et encore, cette lassitude à la simple idée de devoir vivre toujours un peu plus, un autre jour, une autre nuit, et je noyais mes problèmes auprès de ceux qui semblaient davantage tourmentés que je ne l'étais déjà, je revivais quand ceux qui m'entouraient allaient mal, je profitais de leur douleur pour panser mes blessures encore fraiches, j'étais abominable. La vérité était là ; j'étais venue avec eux par espoir de tirer mon oxygène de leur souffrance morale. J'avais pourtant omis un léger détail ; je ne les supportais pas. Tous autant qu'ils soient, ils m'exaspéraient, m'ennuyaient, et je ne désirais à présent qu'une chose : transplaner aux côtés d'une personne un tant soi peu intéressante. Passant une main nerveuse dans mes cheveux blonds, je tirai une autre clope de mon paquet, bien que je n'aie pas terminé la première. Je détestais le goût de nicotine qui me restait sur le bout de la langue après avoir fumé, et je tentais généralement de le dissiper par une autre bouffée polluée. Mécanisme ridicule, probablement inconscient, aucun n'y prêtait attention ; moi non plus. Ce n'était pas important, le prix des paquets étaient en hausse, tant mieux, j'avais de l'argent à dépenser, j'aurais même pu rendre une famille pauvre soudainement aisée, si j'en avais eu la bonté. Je préférais user mes économies dans les choses futiles, les robes que je ne mettrai qu'une fois, les produits de minceur hors de prix, les bijoux que je n'aimais pas, les boissons alcoolisées qui me permettraient de poursuivre cette recherche éternelle de l'oubli, encore une fois. J'étais un cliché vivant, pauvre enfant gâtée, petite conne qu'on n'aimait pas assez. J'étais la reine de cette génération, car je représentais sa misère à l'état pur, corps souillé depuis des années, mains parfaitement manucurées, sourire moqueur, attitude de petite princesse capricieuse, je portais bien la couronne, et tout le monde baisait joyeusement mon trône délabré, et putain, j'aurais tellement voulu tout envoyer en l'air, j'aurais voulu être quelqu'un d'autre, m'échapper, fuir là où on ne pourrait jamais me retrouver. J'en étais toutefois incapable ; j'étais bien trop attachée à ma lente autodestruction, je jouissais de ce qui me démolirait, armée d'une fierté déplacée et de la verve de celle qui sait qu'elle n'a de toute façon rien à perdre. Mes illusions piétinées, mon envie de lutter envolée, je me laissais bercer par l'existence dont je n'avais jamais voulue, j'étais en révolte, je n'étais qu'une adolescente qui avait oublié de mûrir, et je le resterai jusqu'à ce que j'aie entraîné tout le monde dans ma chute. Après tout, tout le monde savait que la souveraine ne tombait pas sans attirer sa cour avec elle.
« On va boire un verre dans un pub ? J'ai mal aux pieds, et j'en ai marre de marcher. » proposa la voix nasillarde d'une idiote de troisième année. Je ne l'aimais pas, mais j'étais d'accord avec elle, cette fois ; la tequila ne me tuerait pas, et si elle le faisait, je ne m'en plaindrais pas. Les autres eurent l'air moins enthousiastes, comme l'indiqua leurs moues hésitantes.
« Il est un peu tôt pour aller boire, tu ne crois pas, Constance ? »
« Je suis d'accord, je préfèrerais qu'on fasse autre chose, en plus j'ai la gueule de bois à cause de la soirée de Julian, hier soir... Vous y êtes allés ? »
« Evidemment, c'était génial, d'ailleurs ! Il y en a qui ne sont pas gênés pour copuler sur l'un des fauteuils, par contre, j'étais dégoûtée... »
Je soupirai une seconde fois, à présent franchement emmerdée. Ils se mirent à déverser leur venin sur le couple qui avaient apparemment couché ensemble en public, chose qu'au moins deux d'entre eux avaient dû faire aussi, un jour ou l'autre. Leur hypocrisie aurait pu m'amuser, et j'aurais même pu y participer, si je n'aspirais pas qu'à une seule chose : finir vacillante, incapable de marcher, ou même de me souvenir de mon identité. Je les laissai se défouler pendant quelques minutes, observant l'expression tout aussi ennuyée de Constance, éprouvant une sympathie nouvelle pour cette petite garce qui avait un jour tenté de me piquer Leto. C'était lorsqu'on était encore à Poudlard, et j'étais pratiquement sûre que ce dernier n'avait pas hésité à me tromper avec elle. Je ne le comprenais pas vraiment, elle n'était pas spécialement jolie, et son regard de fouine avait tendance à me repousser. Son seul atout était ses seins, représentant, à mes yeux, deux grosses boules de graisse suspendues sur le haut de son ventre de toute façon un peu trop proéminent. J'avais tendance à être aisément jalouse de mes comparses féminines, mais elle ne faisait pas partie de celles que j'enviais, bien au contraire ; j'avais d'ailleurs bien souvent surpris les coups d'oeil sombres qu'elle me lançait, et je les avais mis sur le compte de sa propre envie de me ressembler. Je ne lui en voulais pas, mon physique ingrat était malgré tout plus attirant que le sien. Pauvre idiote, elle n'avait définitivement rien pour elle. Je lui adressai un sourire amical, qu'elle me retourna avec surprise, ne comprenant visiblement pas d'où me venait cette soudaine amabilité à son égard.
« Je ne voudrais pas vous interrompre dans votre discussion passionnante, les enfants, mais je dois dire que ma gorge va finir par se dessécher. Je vais dans un pub, qui m'aime me suive. » finis-je par glisser d'un ton hautain.
Je me détournais, ne prenant même pas la peine de vérifier qu'ils étaient sur mes talons. Leurs voix recommencèrent cependant à résonner dans mon dos, et j'en conclus qu'ils m'avaient suivie. On entra dans le premier pub qui se présenta à nous, et nous allâmes nous installer à une table tandis que Matthew, l'un des seuls garçons de la bande, allait nous payer à boire. Dès lors, le temps passa beaucoup plus vite, à coup de liquides glacés avalés en quelques secondes, de plaisanteries minables, de rires qui sonnaient faux, de quelques pas de danse en plein milieu du bar, et le soleil finit par se coucher, me laissant à mes nouvelles craintes ; il était l'heure de s'en aller. L'un prétexta des devoirs à faire, deux autres marmonnèrent une excuse bidon pour pouvoir aller s'envoyer en l'air, cette chère Constance préféra rentrer pour aller dormir, tous tenaient à peine debout, et ils insistèrent pour que je reparte avec eux, chose que je refusais avec hauteur. La nuit venait à peine de débuter, je ne m'en irai que lorsque j'aurai suffisamment oublié. Ils s'éloignèrent donc, vérifiant à plusieurs reprises que j'allais bien, me demandant s'ils voulaient que l'un d'entre eux me tiennent compagnie, et je secouai la tête, encore et encore, ne désirant qu'une chose : qu'ils s'en aillent. Ils finirent par exécuter ma demande, et je me traînai jusqu'au bar, encore suffisamment consciente pour tenir droit, malheureusement. Ma tolérance à l'alcool avait toujours été un peu trop élevée, surtout lorsque j'avais mangé – et ce matin, je n'avais pu résister au petit déjeuner. Il m'en fallait tellement pour finir à terre que j'avais bien souvent le loisir de contempler mes camarades rampant sur le sol, épaves repoussantes que je me surprenais à envier. Je m'installai sur l'un des tabourets, et hélai le barman de ma voix suave.
« Une tequila frappée, je vous prie. Merci. »
Jetant un coup d'oeil à la sortie, j'avais déjà oublié à quel moment ils étaient partis. Leur présence ne m'avait pas marquée, et leur départ n'avait été qu'un soulagement qui me promettait une meilleure soirée. Du moins, ce fut ce que je crus, jusqu'à ce qu'une voix qui m'était un peu trop familière résonne à mes côtés pour demander une bière. Le même timbre de voix m'interpella d'ailleurs quelques secondes plus tard, et je dus me faire violence pour daigner poser mes prunelles satinées sur son si beau visage. Aldéric, mon coeur, Merlin que je te hais.
« -Alors Whitaker, tu boudes les soirées mondaines? Ils ont refusé de t’y laisser entrer? N’aurais-tu plus tes passe-droit? Ou tu as une envie subite de descendre de ta tour d’ivoire et de te mêler au commun des mortels? »
Je haussai un sourcil, à peine ébranlée par ses paroles ; j'avais l'habitude de son air incisif, des mots qui blessent, j'avais l'habitude de le supporter, et étrangement, plus il se montrait ignoble, plus je m'y attachais, tout en le détestant un peu plus chaque jour qui passait. Le barman posa ma tequila sur le comptoir, et je pris le temps de sortir ma monnaie pour lui tendre, ignorant à présent le jeune homme qui était à mes côtés. Avalant d'une traite ma boisson alcoolisée, je fermais les yeux, laissant l'ivresse me monter à la tête. Si je finissais bourrée, il y aurait peut-être des chances que je ne le tue pas dans la nuit. Peut-être demain.
« Je n'avais pas réalisé qu'en restant ici, je serais confrontée au bas-peuple... Je serais partie si je l'avais su, bien évidemment. Les déchets comme toi, j'en trouve suffisamment à Hungcalf. » rétorquais-je en lui adressant un regard méprisant.
Le jeu avait commencé plus d'un an auparavant, lorsqu'il avait eu le malheur de chercher à me mettre dans son lit au cours de notre première soirée. Je l'avais repoussé, la première, puis la seconde fois, ne réalisant pas alors que je me lançais dès à présent dans une lutte pour le pouvoir qui n'en finirait pas. J'avais finalement perdu la première manche, mais notre partie amicale ne s'était pas arrêtée là, bien au contraire, et il était à présent celui qui pouvait égratigner mon orgueil comme personne d'autre n'avait su le faire auparavant. Chacun des regards qu'il posait sur moi étaient analysés, décortiqués, chacune de ses paroles étaient calées dans un coin de mon esprit, et malgré moi, il me formait, il me formait à devenir quelqu'un que je n'étais pourtant pas. Ma couronne à mes pieds, je descendais de mon trône pour mieux le laisser me souiller, et je haïssais ça. Néanmoins, je ne partais pas, jamais, et plus il tentait de me repousser, plus je m'insinuais dans sa vie, vipère prête à tout pour glisser son venin dans les veines pourtant déjà impures d'un homme qui n'avait, à mon sens, rien pour lui. Il y avait toutefois un sujet qui restait tabou, et dont aucun de nous n'avait jamais fait mention : cette fois où il m'avait ramenée à ma chambre, et où on avait couché ensemble pour la seconde fois. Il était fort à parier qu'il regrettait cet élan de tendresse, et pour ma part, je m'en voulais de lui avoir montré ma faiblesse, quand je passais mon temps à essayer de l'étouffer.
« -Tes potes t’ont abandonnée? Ils ne sont pas assez bien pour toi ou ils ont choisi d’aller à la soirée sans désirer t’inviter? » Son sourire goguenard m'agaça, et je songeai pendant quelques fractions de secondes à lui arracher les yeux ; violence incontrôlable qu'il aurait parfaitement méritée.
« Si tu veux tout savoir, darling, mes amis viennent de partir. Ils auraient préféré que je les accompagne, mais je ne voulais pas te priver de ma compagnie. » répondis-je d'une voix haute perchée qui m'agaça moi-même. Certes, je ne savais pas qu'il viendrait lorsque j'avais choisi de ne pas les suivre, mais après tout, cela n'était pas important. Rien ne l'était, si ce n'était ce jeu étrange auquel on s'adonnait avec un plaisir surfait. Je suivis son regard, qu'il adressa à quelques élèves que j'avais déjà remarqués, et roulai les yeux. « En parlant de... potes, poursuivis-je en grimaçant sur le mot employé par Aldéric, pourquoi ne retournerais-tu pas jouer avec ceux de ton espèce ? Comme tu le sais probablement, on ne mélange pas les torchons et les serviettes, sweetheart. »
Sur ce, j'adressai un nouveau signe au barman, me penchant quelque peu pour commander une autre tequila. S'il s'attardait à mes côtés, j'en aurais bien besoin.
« On va boire un verre dans un pub ? J'ai mal aux pieds, et j'en ai marre de marcher. » proposa la voix nasillarde d'une idiote de troisième année. Je ne l'aimais pas, mais j'étais d'accord avec elle, cette fois ; la tequila ne me tuerait pas, et si elle le faisait, je ne m'en plaindrais pas. Les autres eurent l'air moins enthousiastes, comme l'indiqua leurs moues hésitantes.
« Il est un peu tôt pour aller boire, tu ne crois pas, Constance ? »
« Je suis d'accord, je préfèrerais qu'on fasse autre chose, en plus j'ai la gueule de bois à cause de la soirée de Julian, hier soir... Vous y êtes allés ? »
« Evidemment, c'était génial, d'ailleurs ! Il y en a qui ne sont pas gênés pour copuler sur l'un des fauteuils, par contre, j'étais dégoûtée... »
Je soupirai une seconde fois, à présent franchement emmerdée. Ils se mirent à déverser leur venin sur le couple qui avaient apparemment couché ensemble en public, chose qu'au moins deux d'entre eux avaient dû faire aussi, un jour ou l'autre. Leur hypocrisie aurait pu m'amuser, et j'aurais même pu y participer, si je n'aspirais pas qu'à une seule chose : finir vacillante, incapable de marcher, ou même de me souvenir de mon identité. Je les laissai se défouler pendant quelques minutes, observant l'expression tout aussi ennuyée de Constance, éprouvant une sympathie nouvelle pour cette petite garce qui avait un jour tenté de me piquer Leto. C'était lorsqu'on était encore à Poudlard, et j'étais pratiquement sûre que ce dernier n'avait pas hésité à me tromper avec elle. Je ne le comprenais pas vraiment, elle n'était pas spécialement jolie, et son regard de fouine avait tendance à me repousser. Son seul atout était ses seins, représentant, à mes yeux, deux grosses boules de graisse suspendues sur le haut de son ventre de toute façon un peu trop proéminent. J'avais tendance à être aisément jalouse de mes comparses féminines, mais elle ne faisait pas partie de celles que j'enviais, bien au contraire ; j'avais d'ailleurs bien souvent surpris les coups d'oeil sombres qu'elle me lançait, et je les avais mis sur le compte de sa propre envie de me ressembler. Je ne lui en voulais pas, mon physique ingrat était malgré tout plus attirant que le sien. Pauvre idiote, elle n'avait définitivement rien pour elle. Je lui adressai un sourire amical, qu'elle me retourna avec surprise, ne comprenant visiblement pas d'où me venait cette soudaine amabilité à son égard.
« Je ne voudrais pas vous interrompre dans votre discussion passionnante, les enfants, mais je dois dire que ma gorge va finir par se dessécher. Je vais dans un pub, qui m'aime me suive. » finis-je par glisser d'un ton hautain.
Je me détournais, ne prenant même pas la peine de vérifier qu'ils étaient sur mes talons. Leurs voix recommencèrent cependant à résonner dans mon dos, et j'en conclus qu'ils m'avaient suivie. On entra dans le premier pub qui se présenta à nous, et nous allâmes nous installer à une table tandis que Matthew, l'un des seuls garçons de la bande, allait nous payer à boire. Dès lors, le temps passa beaucoup plus vite, à coup de liquides glacés avalés en quelques secondes, de plaisanteries minables, de rires qui sonnaient faux, de quelques pas de danse en plein milieu du bar, et le soleil finit par se coucher, me laissant à mes nouvelles craintes ; il était l'heure de s'en aller. L'un prétexta des devoirs à faire, deux autres marmonnèrent une excuse bidon pour pouvoir aller s'envoyer en l'air, cette chère Constance préféra rentrer pour aller dormir, tous tenaient à peine debout, et ils insistèrent pour que je reparte avec eux, chose que je refusais avec hauteur. La nuit venait à peine de débuter, je ne m'en irai que lorsque j'aurai suffisamment oublié. Ils s'éloignèrent donc, vérifiant à plusieurs reprises que j'allais bien, me demandant s'ils voulaient que l'un d'entre eux me tiennent compagnie, et je secouai la tête, encore et encore, ne désirant qu'une chose : qu'ils s'en aillent. Ils finirent par exécuter ma demande, et je me traînai jusqu'au bar, encore suffisamment consciente pour tenir droit, malheureusement. Ma tolérance à l'alcool avait toujours été un peu trop élevée, surtout lorsque j'avais mangé – et ce matin, je n'avais pu résister au petit déjeuner. Il m'en fallait tellement pour finir à terre que j'avais bien souvent le loisir de contempler mes camarades rampant sur le sol, épaves repoussantes que je me surprenais à envier. Je m'installai sur l'un des tabourets, et hélai le barman de ma voix suave.
« Une tequila frappée, je vous prie. Merci. »
Jetant un coup d'oeil à la sortie, j'avais déjà oublié à quel moment ils étaient partis. Leur présence ne m'avait pas marquée, et leur départ n'avait été qu'un soulagement qui me promettait une meilleure soirée. Du moins, ce fut ce que je crus, jusqu'à ce qu'une voix qui m'était un peu trop familière résonne à mes côtés pour demander une bière. Le même timbre de voix m'interpella d'ailleurs quelques secondes plus tard, et je dus me faire violence pour daigner poser mes prunelles satinées sur son si beau visage. Aldéric, mon coeur, Merlin que je te hais.
« -Alors Whitaker, tu boudes les soirées mondaines? Ils ont refusé de t’y laisser entrer? N’aurais-tu plus tes passe-droit? Ou tu as une envie subite de descendre de ta tour d’ivoire et de te mêler au commun des mortels? »
Je haussai un sourcil, à peine ébranlée par ses paroles ; j'avais l'habitude de son air incisif, des mots qui blessent, j'avais l'habitude de le supporter, et étrangement, plus il se montrait ignoble, plus je m'y attachais, tout en le détestant un peu plus chaque jour qui passait. Le barman posa ma tequila sur le comptoir, et je pris le temps de sortir ma monnaie pour lui tendre, ignorant à présent le jeune homme qui était à mes côtés. Avalant d'une traite ma boisson alcoolisée, je fermais les yeux, laissant l'ivresse me monter à la tête. Si je finissais bourrée, il y aurait peut-être des chances que je ne le tue pas dans la nuit. Peut-être demain.
« Je n'avais pas réalisé qu'en restant ici, je serais confrontée au bas-peuple... Je serais partie si je l'avais su, bien évidemment. Les déchets comme toi, j'en trouve suffisamment à Hungcalf. » rétorquais-je en lui adressant un regard méprisant.
Le jeu avait commencé plus d'un an auparavant, lorsqu'il avait eu le malheur de chercher à me mettre dans son lit au cours de notre première soirée. Je l'avais repoussé, la première, puis la seconde fois, ne réalisant pas alors que je me lançais dès à présent dans une lutte pour le pouvoir qui n'en finirait pas. J'avais finalement perdu la première manche, mais notre partie amicale ne s'était pas arrêtée là, bien au contraire, et il était à présent celui qui pouvait égratigner mon orgueil comme personne d'autre n'avait su le faire auparavant. Chacun des regards qu'il posait sur moi étaient analysés, décortiqués, chacune de ses paroles étaient calées dans un coin de mon esprit, et malgré moi, il me formait, il me formait à devenir quelqu'un que je n'étais pourtant pas. Ma couronne à mes pieds, je descendais de mon trône pour mieux le laisser me souiller, et je haïssais ça. Néanmoins, je ne partais pas, jamais, et plus il tentait de me repousser, plus je m'insinuais dans sa vie, vipère prête à tout pour glisser son venin dans les veines pourtant déjà impures d'un homme qui n'avait, à mon sens, rien pour lui. Il y avait toutefois un sujet qui restait tabou, et dont aucun de nous n'avait jamais fait mention : cette fois où il m'avait ramenée à ma chambre, et où on avait couché ensemble pour la seconde fois. Il était fort à parier qu'il regrettait cet élan de tendresse, et pour ma part, je m'en voulais de lui avoir montré ma faiblesse, quand je passais mon temps à essayer de l'étouffer.
« -Tes potes t’ont abandonnée? Ils ne sont pas assez bien pour toi ou ils ont choisi d’aller à la soirée sans désirer t’inviter? » Son sourire goguenard m'agaça, et je songeai pendant quelques fractions de secondes à lui arracher les yeux ; violence incontrôlable qu'il aurait parfaitement méritée.
« Si tu veux tout savoir, darling, mes amis viennent de partir. Ils auraient préféré que je les accompagne, mais je ne voulais pas te priver de ma compagnie. » répondis-je d'une voix haute perchée qui m'agaça moi-même. Certes, je ne savais pas qu'il viendrait lorsque j'avais choisi de ne pas les suivre, mais après tout, cela n'était pas important. Rien ne l'était, si ce n'était ce jeu étrange auquel on s'adonnait avec un plaisir surfait. Je suivis son regard, qu'il adressa à quelques élèves que j'avais déjà remarqués, et roulai les yeux. « En parlant de... potes, poursuivis-je en grimaçant sur le mot employé par Aldéric, pourquoi ne retournerais-tu pas jouer avec ceux de ton espèce ? Comme tu le sais probablement, on ne mélange pas les torchons et les serviettes, sweetheart. »
Sur ce, j'adressai un nouveau signe au barman, me penchant quelque peu pour commander une autre tequila. S'il s'attardait à mes côtés, j'en aurais bien besoin.
- InvitéInvité
Re: Wanna play the game again? [Tatiana]
Mer 14 Avr 2010 - 0:08
J’avais encore sur les lèvres le goût amer de mes paroles acerbes, paroles que j’en venais à regretter presque instantanément. Mais là n’était pas le temps de faire preuve de sensiblerie, je contentai de masquer mon léger trouble en portant ma chope à mes lèvres qui s’emparèrent goulûment du liquide ambré, qui vint me titiller les papilles gustatives. J’avais depuis peu une nouvelle réserve à ingurgiter de l’alcool, au vu de mon passé très étroitement lié à cette substance. A chaque fois que j’étais face à un verre plein de ce liquide, je revoyais ma mère qui contemplait le contenu de son verre avant de l’avaler, la main tremblante, un tremblement qu’elle ne maîtrisait déjà plus et qu’elle ne saura jamais arrêter. Je soupirai lourdement, avant de fouiller dans la poche de ma veste et de chercher mon fidèle paquet de clopes, mais je m’aperçus bientôt que je l’avais laissé aux deux autres, deux tables plus loin. Mona était revenue, j’aurais reconnu sa tête rousse entre mille. Elle ne semblait guère mieux par rapport à tout à l’heure, mais en tout cas elle tenait debout…Et chacun d’entre eux était en train de fumer une de MES clopes. Pensivement, je mis à pianoter contre l’arrondi du verre, produisant un petit son répétitif et cristallin. Il me semblait que c’était bien parti pour que je me passe de mes précieuses cigarettes. Ce qui tombait assez mal, parce que quand je commençais à être en manque de ma précieuse nicotine, le stress commençait à me gagner, je n’avais pas de quoi occuper mes doigts. Je me mis à pianoter sur le bois laqué du bar, tentant de museler mon besoin de cigarettes. A la place, j’allais compenser par la boisson. C’était systématique. Si je n’avais pas ma dose de nicotine, je devenais facilement irritable. Ce qui signifiait que mon entourage, généralement, payait cher à cause de ma nouvelle agressivité. Déjà qu’en temps normal, j’étais prompt à la morsure, ayant le sang plus chaud que la moyenne, en manque, j’étais…Il ne valait mieux pas savoir. Je bus une gorgée de bière, avant de zieuter à nouveau en direction de Mona. Le barman continuait de s’affairer et de servir les autres clients. Je finis par vriller mon regard azuré sur la silhouette filiforme de ma voisine, mon sourire moqueur, spécialement édifié pour elle, accroché aux lèvres.
« Je n'avais pas réalisé qu'en restant ici, je serais confrontée au bas-peuple... Je serais partie si je l'avais su, bien évidemment. Les déchets comme toi, j'en trouve suffisamment à Hungcalf. »
Je bus une nouvelle gorgée de bière, réprimant la forte envie que j’avais de me servir de ma boisson comme shampooing. D’une, ce serait du gâchis, je n’aurais plus rien après pour compenser mon manque de nicotine. De deux, réagir serait montrer que quelque part elle m’avait touché. Il me fallait conserver mon masque d’indifférence, et force est de constater qu’en présence de la mondaine j’avais de plus en plus de mal à le faire. J’étais sans cesse tiraillé entre deux envies, entre deux désirs. J’avais envie d’obéir à un désir latent, viscéral, et d’un autre côté je ressentais le besoin d’assouvir mes pulsions meurtrières, qu’elle savait susciter en se montrant aussi snob. J’arquai un sourcil à la provocation, avant de promener mes doigts le long du rebord du verre, et de pianoter deux secondes sur le comptoir. L’odeur de cigarette provenant d’un peu partout dans la salle me mettant un peu plus au supplice. Je rivai mes pupilles froides sur le profil de ma délicieuse voisine, avant de murmurer, d’un air tout à fait suave et charmant, loin du ton abrupt et brutal auquel on se serait alors attendu quand on me connaissait un minimum:
« -Et quelles nouvelles a-t-on du bas peuple? Personnellement je le trouve bien aimable de vouloir accueillir quelqu’un qui a été banni du haut-peuple, tu ne trouves pas? Quels crimes as-tu donc commis? »
Un langage volontairement soutenu, pour répondre avec subtilité avec ses attaques, et montrer du même coup que oui, j’avais de la répartie, et que oui, j’en avais dans la tête. J’étais peut-être du bas-peuple comme elle disait si bien, mais je n’étais pas non plus n’importe qui. Peut-être que d’une façon, j’étais voué à exister hors de ma tour d’immeuble, à suivre l’existence que mon tyran de père avait tracée pour moi avant de voir que ses espoirs me concernant allaient être ruinés à partir du moment même où j’ai révélé mes pouvoirs. Ma lettre pour Poudlard avait été comme un coup de plus porté aux ambitions de mon père. Ma déchéance n’avait fait que d’accélérer les choses. Déjà, à ses yeux, je n’étais plus rien, je n’étais pas le digne fils de son père. Je ne l’avais jamais été de toute façon. Je n’avais aucune envie d’arguer avec Tatiana sur le sujet, ne souhaitant pas réveler les menus détails de ma vie. De toute manière, de sa tour d’ivoire, elle devait sans doute s’en branler des histoires d’un représentant du bas-peuple.
« Si tu veux tout savoir, darling, mes amis viennent de partir. Ils auraient préféré que je les accompagne, mais je ne voulais pas te priver de ma compagnie. En parlant de... potes, pourquoi ne retournerais-tu pas jouer avec ceux de ton espèce ? Comme tu le sais probablement, on ne mélange pas les torchons et les serviettes, sweetheart. »
Je me contentai d’étouffer un rire blasé en buvant une nouvelle gorgée de bière, prenant mon temps pour finir ma boisson. Quitte à être privé d’une des conditions essentielles à ma survie en milieu hostile, je devais bien compenser, encore et toujours. Je m’humectais les lèvres d’un coup de langue, avant de risquer un coup d’œil du côté de Mona qui avait encore disparu. Mona qui allait élire domicile aux toilettes si ça continuait ainsi. Je penchai légèrement la tête, me retrouvant plus proche de Tatiana que je ne l’aurais voulu, suffisamment proche pour que mon souffle effleure sa nuque.
« -Ta complaisance me touche princesse. Mais fais attention à ton langage ma jolie, tu me choques à employer des mots empruntés au bas-peuple comme tu dis. Tu te sens donc tellement minable au point de te rabaisser à adopter nos pratiques? »
J’aimais ce jeu, même si de mon côté, il devenait inévitable que j’allais moi aussi perdre quelques plumes au passage. Mais je ne me préoccupais pas de mes plumes, l’essentiel était d’arracher une à une celles de la belle alouette qui était déjà fort déplumée. Comme dans la comptine, je choisissais la partie du corps qui allait être plumée. Un coup d’œil rapide à sa silhouette m’indiqua que ses hanches avaient fondu par rapport à la dernière fois, son ventre avait aussi perdu en volume. J’examinais avec insistance les points de son corps qui à mon sens avait perdu, le tout avec cet air imperturbable et indifférent qui me caractérisait, même si dans mon regard on pouvait sans aucun doute déceler une lueur d’amusement purement et simplement malsaine. Sa destruction physique après tout n’était que le reflet de ma destruction mentale, au fond elle et moi on se complétait. Je reportai mon attention sur mon verre désormais vide, avant de héler le barman.
« -Par ici s’il vous plaît. Un martini blanc. »
J’attendis que le serveur me fournisse ma consommation. Je jetai un coup d’œil à la téquila que ma compagne du moment était en train de consommer, avant d’arquer un sourcil et de remercier le serveur qui venait de m’apporter ma boisson. Je regardai à nouveau la silhouette chétive de Tatiana, ne m’attardant pas sur son visage qui était pourtant encore beau, bien qu’il allait tantôt lui aussi perdre de sa beauté. Je me penchai à nouveau vers la courtisane, oubliant toutes mes bonnes manières. Surtout quand il s’agissait ensuite de lui murmurer à l’oreille ces quelques mots, avant de lui déposer un baiser sur la tempe, comme pour bien enfoncer le couteau dans la plaie déjà béante.
« -Tu sais que l’alcool à jeun ce n’est pas très sain? Tu ferais mieux de manger quelque chose, à moins que tu ne souhaites avoir un bel ulcère à l’estomac ensuite. »
Des mots s’invitèrent dans mon esprit. Rimbaud. La Vénus anadyomène, à sa façon informe. La laideur qui se propageait sur son corps grisâtre, la peau rougie par la trop grosse chaleur de son bain dans sa baignoire de fer blanc. Une prostituée, au vu de ce qu’elle s’était ramenée. Un sourire mauvais s’invita alors sur mes lèvres. Tatiana était informe à sa façon. Elle était un contraste saisissant entre la laideur et la beauté, l’un s’imbriquant parfaitement avec l’autre, comme pour constituer une parfaite harmonie. Son beau visage était suffisamment remarquable pour ne pas qu’on s’attarde sur son corps fragile, qui menaçait se briser à tout instant. Un corps enlaidi par la souffrance qu’elle s’affligeait volontairement, et qui l’empêchait de la rendre désirable. A mes yeux, elle l’était encore, elle l’avait toujours été. C’est pour ça que j’avais voulu la séduire. Une séduction qui lentement s’était muée en destruction. L’effet pervers de la médaille. La beauté qui cachait la pourriture. Baudelaire, un autre poème. Là où la mort et la vie se côtoyaient une fois encore. Je me détournai de cette vision plus que troublante, alors qu’une nouvelle fébrilité m’avait saisi. Je me remémorais les deux nuits que nous avions passées, deux nuits gravées à jamais dans ma mémoire, mais qui à mes yeux constituaient une erreur. Une magnifique et considérable erreur. Une erreur qui n’aura que cesse de me poursuivre, de me hanter, encore une fois. Je bus une gorgée de martini, avant de me masser légèrement les tempes, sentant la douce euphorie de l’alcool me gagner, mes joues qui devenaient plus chaudes, mon corps se réchauffant également. Je n’avais pas fini cependant d’énoncer ma litanie assassine, c’est ainsi que je me penchai à nouveau vers elle, tout en poursuivant sur le ton de la confidence.
« -Qu’Est-ce qui ta rendue ainsi Tatiana? Les hommes ne te désirent-ils plus pour que tu te détruises ainsi sans te préoccuper du regard qu’ils posent sur toi? »
C’était un mensonge. Un odieux mensonge. Je ne savais que trop bien qu’elle était désirable. Et désirée. Il fallait voir le nombre d’hommes qui partageaient sa couche, qui avaient l’avantage de fouler sa chair tendre et tiède. J’en étais personnellement un brin jaloux, j’aurais voulu profiter de la belle un peu plus. Mais il ne fallait pas être trop gourmand non plus, j’avais eu bien plus que je n’aurais dû avoir au départ. Moi qui n’avait pas l’habitude de remettre le couvert quand je me mettais à parler coucheries, j’avais fait une entorse à mon sacrosaint règlement, et j’avais cédé à la tentation une fois de plus, me montrant finalement que j’étais aussi humain que tous les autres. L’appel de la chair, de sa chair avait été plus fort. Bas peuple et haut peuple n’avaient jamais été aussi proches, peut-être qu’un jour on pourrait espérer réconciliation. Mais c’était aussi peu probable que la réunification de la Corée du Nord et la Corée du Sud, ainsi je ne me faisais pas trop de faux espoirs. J’avais appris à ne jamais compter sur les gens, ce n’était pas maintenant que j’allais commencer. Encore aujourd’hui, je me demandais ce qui m’avait poussé à changer de comportement lors de cette fameuse seconde fois, là où la première avait été presque bestiale, intense, spéciale. L’expression même de notre luxure, le désir qu’on avait alors eu l’un pour l’autre. Un désir qui m’avait tellement irradié qu’il aurait pu faire repartir mon cœur sans vie, mais qui n’avait finalement eu pas tant d’effet que cela. La deuxième fois avait été différente. J’avais été faible, encore une fois. J’avais montré un côté que je ne montrais pas habituellement, ce n’était pas dans mes habitudes, moi qui étais d’ordinaire un amant plus passionné que tendre. Mais cette fois j’avais allié les deux, dans un savant mélange qui n’avait pas laissé la Whitaker de marbre, à mon grand dam. J’avais préféré fuir, comme d’habitude, incapable de supporter tant de choses. Je me vengeais plus cruellement depuis, comme pour m’exorciser de ce qu’elle avait fait. De ce qu’elle m’avait fait. Je lui en voulais pour cela. Et je lui faisais payer très cher.
« -Ou alors est-ce toi qui as voulu te priver de tes charmes histoire de faciliter ton entrée dans les ordres? Pourtant la chasteté et la renonciation ne sont pas dans tes valeurs. Te serais-tu prise d’un éminent désir de rédemption pour que tu te voues à une vie d’ascète? Ca serait un beau gâchis si tu voulais mon avis. »
Le jeu se poursuivait toujours. Je prenais de plus en plus d’assurance, bien que je n’en avais jamais été privé, j’en avais réussi à oublier mon problème de nicotine, ainsi que Mona qui était toujours aux toilettes, malade comme un chien. Si ça continuait ainsi, ils allaient sans doute rentrer. Quoiqu’il en soit, je n’allais pas repartir avec eux. Pour la simple et bonne raison que je ne voulais pas partir. Je m’amusais déjà trop, bien que mes propos transpiraient l’affreuse vérité, la vérité de ce que je ressentais, de ce que j’étais si réticent habituellement à révéler. Je mis doucement une mèche de cheveux blonds derrière son oreille, avant de me pencher à nouveau vers elle, changeant soudainement de ton.
« -Un gâchis dans la mesure où je n’ai pas oublié les deux nuits que nous avons passées ensemble. Ca a changé des choses pour toi aussi n’est-ce pas? J’avais osé espérer que tu ne fusse qu’une parmi d’autres, mais la fatalité semble s’y opposer. Mais sache que je suis partant pour remettre le couvert quand tu veux. Et ne dis pas que tu ne veux pas, ça serait proférer un horrible mensonge. »
Sur ce, je lui décochai un adorable sourire, avant de me replonger dans les délices traîtres de ma boisson. J’étais fier de moi pour le coup, j’avais exprimé une vérité qui me trottait depuis longtemps dans la tête. Histoire de dissiper toute équivoque quant à cette malheureuse histoire. Histoire qui j’en étais persuadé n’était pas finie. Au contraire, ça ne venait que de commencer. Distraitement, alors, j’entrepris de siffler un vieil air des Stones, mes doigts meurtris pianotant sur le comptoir de bois laqué.
« Je n'avais pas réalisé qu'en restant ici, je serais confrontée au bas-peuple... Je serais partie si je l'avais su, bien évidemment. Les déchets comme toi, j'en trouve suffisamment à Hungcalf. »
Je bus une nouvelle gorgée de bière, réprimant la forte envie que j’avais de me servir de ma boisson comme shampooing. D’une, ce serait du gâchis, je n’aurais plus rien après pour compenser mon manque de nicotine. De deux, réagir serait montrer que quelque part elle m’avait touché. Il me fallait conserver mon masque d’indifférence, et force est de constater qu’en présence de la mondaine j’avais de plus en plus de mal à le faire. J’étais sans cesse tiraillé entre deux envies, entre deux désirs. J’avais envie d’obéir à un désir latent, viscéral, et d’un autre côté je ressentais le besoin d’assouvir mes pulsions meurtrières, qu’elle savait susciter en se montrant aussi snob. J’arquai un sourcil à la provocation, avant de promener mes doigts le long du rebord du verre, et de pianoter deux secondes sur le comptoir. L’odeur de cigarette provenant d’un peu partout dans la salle me mettant un peu plus au supplice. Je rivai mes pupilles froides sur le profil de ma délicieuse voisine, avant de murmurer, d’un air tout à fait suave et charmant, loin du ton abrupt et brutal auquel on se serait alors attendu quand on me connaissait un minimum:
« -Et quelles nouvelles a-t-on du bas peuple? Personnellement je le trouve bien aimable de vouloir accueillir quelqu’un qui a été banni du haut-peuple, tu ne trouves pas? Quels crimes as-tu donc commis? »
Un langage volontairement soutenu, pour répondre avec subtilité avec ses attaques, et montrer du même coup que oui, j’avais de la répartie, et que oui, j’en avais dans la tête. J’étais peut-être du bas-peuple comme elle disait si bien, mais je n’étais pas non plus n’importe qui. Peut-être que d’une façon, j’étais voué à exister hors de ma tour d’immeuble, à suivre l’existence que mon tyran de père avait tracée pour moi avant de voir que ses espoirs me concernant allaient être ruinés à partir du moment même où j’ai révélé mes pouvoirs. Ma lettre pour Poudlard avait été comme un coup de plus porté aux ambitions de mon père. Ma déchéance n’avait fait que d’accélérer les choses. Déjà, à ses yeux, je n’étais plus rien, je n’étais pas le digne fils de son père. Je ne l’avais jamais été de toute façon. Je n’avais aucune envie d’arguer avec Tatiana sur le sujet, ne souhaitant pas réveler les menus détails de ma vie. De toute manière, de sa tour d’ivoire, elle devait sans doute s’en branler des histoires d’un représentant du bas-peuple.
« Si tu veux tout savoir, darling, mes amis viennent de partir. Ils auraient préféré que je les accompagne, mais je ne voulais pas te priver de ma compagnie. En parlant de... potes, pourquoi ne retournerais-tu pas jouer avec ceux de ton espèce ? Comme tu le sais probablement, on ne mélange pas les torchons et les serviettes, sweetheart. »
Je me contentai d’étouffer un rire blasé en buvant une nouvelle gorgée de bière, prenant mon temps pour finir ma boisson. Quitte à être privé d’une des conditions essentielles à ma survie en milieu hostile, je devais bien compenser, encore et toujours. Je m’humectais les lèvres d’un coup de langue, avant de risquer un coup d’œil du côté de Mona qui avait encore disparu. Mona qui allait élire domicile aux toilettes si ça continuait ainsi. Je penchai légèrement la tête, me retrouvant plus proche de Tatiana que je ne l’aurais voulu, suffisamment proche pour que mon souffle effleure sa nuque.
« -Ta complaisance me touche princesse. Mais fais attention à ton langage ma jolie, tu me choques à employer des mots empruntés au bas-peuple comme tu dis. Tu te sens donc tellement minable au point de te rabaisser à adopter nos pratiques? »
J’aimais ce jeu, même si de mon côté, il devenait inévitable que j’allais moi aussi perdre quelques plumes au passage. Mais je ne me préoccupais pas de mes plumes, l’essentiel était d’arracher une à une celles de la belle alouette qui était déjà fort déplumée. Comme dans la comptine, je choisissais la partie du corps qui allait être plumée. Un coup d’œil rapide à sa silhouette m’indiqua que ses hanches avaient fondu par rapport à la dernière fois, son ventre avait aussi perdu en volume. J’examinais avec insistance les points de son corps qui à mon sens avait perdu, le tout avec cet air imperturbable et indifférent qui me caractérisait, même si dans mon regard on pouvait sans aucun doute déceler une lueur d’amusement purement et simplement malsaine. Sa destruction physique après tout n’était que le reflet de ma destruction mentale, au fond elle et moi on se complétait. Je reportai mon attention sur mon verre désormais vide, avant de héler le barman.
« -Par ici s’il vous plaît. Un martini blanc. »
J’attendis que le serveur me fournisse ma consommation. Je jetai un coup d’œil à la téquila que ma compagne du moment était en train de consommer, avant d’arquer un sourcil et de remercier le serveur qui venait de m’apporter ma boisson. Je regardai à nouveau la silhouette chétive de Tatiana, ne m’attardant pas sur son visage qui était pourtant encore beau, bien qu’il allait tantôt lui aussi perdre de sa beauté. Je me penchai à nouveau vers la courtisane, oubliant toutes mes bonnes manières. Surtout quand il s’agissait ensuite de lui murmurer à l’oreille ces quelques mots, avant de lui déposer un baiser sur la tempe, comme pour bien enfoncer le couteau dans la plaie déjà béante.
« -Tu sais que l’alcool à jeun ce n’est pas très sain? Tu ferais mieux de manger quelque chose, à moins que tu ne souhaites avoir un bel ulcère à l’estomac ensuite. »
Des mots s’invitèrent dans mon esprit. Rimbaud. La Vénus anadyomène, à sa façon informe. La laideur qui se propageait sur son corps grisâtre, la peau rougie par la trop grosse chaleur de son bain dans sa baignoire de fer blanc. Une prostituée, au vu de ce qu’elle s’était ramenée. Un sourire mauvais s’invita alors sur mes lèvres. Tatiana était informe à sa façon. Elle était un contraste saisissant entre la laideur et la beauté, l’un s’imbriquant parfaitement avec l’autre, comme pour constituer une parfaite harmonie. Son beau visage était suffisamment remarquable pour ne pas qu’on s’attarde sur son corps fragile, qui menaçait se briser à tout instant. Un corps enlaidi par la souffrance qu’elle s’affligeait volontairement, et qui l’empêchait de la rendre désirable. A mes yeux, elle l’était encore, elle l’avait toujours été. C’est pour ça que j’avais voulu la séduire. Une séduction qui lentement s’était muée en destruction. L’effet pervers de la médaille. La beauté qui cachait la pourriture. Baudelaire, un autre poème. Là où la mort et la vie se côtoyaient une fois encore. Je me détournai de cette vision plus que troublante, alors qu’une nouvelle fébrilité m’avait saisi. Je me remémorais les deux nuits que nous avions passées, deux nuits gravées à jamais dans ma mémoire, mais qui à mes yeux constituaient une erreur. Une magnifique et considérable erreur. Une erreur qui n’aura que cesse de me poursuivre, de me hanter, encore une fois. Je bus une gorgée de martini, avant de me masser légèrement les tempes, sentant la douce euphorie de l’alcool me gagner, mes joues qui devenaient plus chaudes, mon corps se réchauffant également. Je n’avais pas fini cependant d’énoncer ma litanie assassine, c’est ainsi que je me penchai à nouveau vers elle, tout en poursuivant sur le ton de la confidence.
« -Qu’Est-ce qui ta rendue ainsi Tatiana? Les hommes ne te désirent-ils plus pour que tu te détruises ainsi sans te préoccuper du regard qu’ils posent sur toi? »
C’était un mensonge. Un odieux mensonge. Je ne savais que trop bien qu’elle était désirable. Et désirée. Il fallait voir le nombre d’hommes qui partageaient sa couche, qui avaient l’avantage de fouler sa chair tendre et tiède. J’en étais personnellement un brin jaloux, j’aurais voulu profiter de la belle un peu plus. Mais il ne fallait pas être trop gourmand non plus, j’avais eu bien plus que je n’aurais dû avoir au départ. Moi qui n’avait pas l’habitude de remettre le couvert quand je me mettais à parler coucheries, j’avais fait une entorse à mon sacrosaint règlement, et j’avais cédé à la tentation une fois de plus, me montrant finalement que j’étais aussi humain que tous les autres. L’appel de la chair, de sa chair avait été plus fort. Bas peuple et haut peuple n’avaient jamais été aussi proches, peut-être qu’un jour on pourrait espérer réconciliation. Mais c’était aussi peu probable que la réunification de la Corée du Nord et la Corée du Sud, ainsi je ne me faisais pas trop de faux espoirs. J’avais appris à ne jamais compter sur les gens, ce n’était pas maintenant que j’allais commencer. Encore aujourd’hui, je me demandais ce qui m’avait poussé à changer de comportement lors de cette fameuse seconde fois, là où la première avait été presque bestiale, intense, spéciale. L’expression même de notre luxure, le désir qu’on avait alors eu l’un pour l’autre. Un désir qui m’avait tellement irradié qu’il aurait pu faire repartir mon cœur sans vie, mais qui n’avait finalement eu pas tant d’effet que cela. La deuxième fois avait été différente. J’avais été faible, encore une fois. J’avais montré un côté que je ne montrais pas habituellement, ce n’était pas dans mes habitudes, moi qui étais d’ordinaire un amant plus passionné que tendre. Mais cette fois j’avais allié les deux, dans un savant mélange qui n’avait pas laissé la Whitaker de marbre, à mon grand dam. J’avais préféré fuir, comme d’habitude, incapable de supporter tant de choses. Je me vengeais plus cruellement depuis, comme pour m’exorciser de ce qu’elle avait fait. De ce qu’elle m’avait fait. Je lui en voulais pour cela. Et je lui faisais payer très cher.
« -Ou alors est-ce toi qui as voulu te priver de tes charmes histoire de faciliter ton entrée dans les ordres? Pourtant la chasteté et la renonciation ne sont pas dans tes valeurs. Te serais-tu prise d’un éminent désir de rédemption pour que tu te voues à une vie d’ascète? Ca serait un beau gâchis si tu voulais mon avis. »
Le jeu se poursuivait toujours. Je prenais de plus en plus d’assurance, bien que je n’en avais jamais été privé, j’en avais réussi à oublier mon problème de nicotine, ainsi que Mona qui était toujours aux toilettes, malade comme un chien. Si ça continuait ainsi, ils allaient sans doute rentrer. Quoiqu’il en soit, je n’allais pas repartir avec eux. Pour la simple et bonne raison que je ne voulais pas partir. Je m’amusais déjà trop, bien que mes propos transpiraient l’affreuse vérité, la vérité de ce que je ressentais, de ce que j’étais si réticent habituellement à révéler. Je mis doucement une mèche de cheveux blonds derrière son oreille, avant de me pencher à nouveau vers elle, changeant soudainement de ton.
« -Un gâchis dans la mesure où je n’ai pas oublié les deux nuits que nous avons passées ensemble. Ca a changé des choses pour toi aussi n’est-ce pas? J’avais osé espérer que tu ne fusse qu’une parmi d’autres, mais la fatalité semble s’y opposer. Mais sache que je suis partant pour remettre le couvert quand tu veux. Et ne dis pas que tu ne veux pas, ça serait proférer un horrible mensonge. »
Sur ce, je lui décochai un adorable sourire, avant de me replonger dans les délices traîtres de ma boisson. J’étais fier de moi pour le coup, j’avais exprimé une vérité qui me trottait depuis longtemps dans la tête. Histoire de dissiper toute équivoque quant à cette malheureuse histoire. Histoire qui j’en étais persuadé n’était pas finie. Au contraire, ça ne venait que de commencer. Distraitement, alors, j’entrepris de siffler un vieil air des Stones, mes doigts meurtris pianotant sur le comptoir de bois laqué.
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Re: Wanna play the game again? [Tatiana]
Jeu 15 Avr 2010 - 7:42
Il était nerveux. Je pouvais le voir dans son attitude étrange, ses gestes brusques, et les regards qu'il lançait derrière lui, semblant être à l'affut d'un évènement quelconque. Je ne connaissais pas la raison de cette nervosité nouvelle, mais je ne pouvais après tout que m'en réjouir, savourant sa soudaine détresse comme si elle avait été nécessaire à mon propre bonheur. D'une certaine façon, peut-être cela était-il vrai. J'avais toujours apprécié la douleur d'autrui, bouffée d'air dans mon monde habituellement privé d'oxygène. C'était bien sûr différent avec mes proches, bien qu'ils soient rares, et particulièrement lorsqu'il s'agissait de mon cousin ; j'avais toujours ressenti sa souffrance comme si elle avait été mienne, me ramenant à cette certitude qu'au fond, nous ne formions qu'un. J'aurais parfois voulu l'entourer de mes bras frêles, et aspirer son mal-être, être la seule d'entre nous à supporter le poids de cette existence trop lourde. Cela était malheureusement impossible, et quand bien même ça l'eût été, il ne m'aurait pas laissée faire, préférant alors assumer seul les maux qui le rongeaient. Jetant un coup d'oeil en biais à mon voisin, je songeais pendant un instant que sur certains points, il ressemblait terriblement à celui qui m'était douloureusement nécessaire, avant qu'une grimace ne vienne se dessiner sur mes traits fins. Je comparais le blanc et le noir, cherchant une raison à laquelle m'accrocher, une raison pour m'expliquer ma présence à ses côtés. J'aurais dû m'éloigner, quand le jeu avait changé après cette première défaite, j'aurais dû tirer ma révérence et ne jamais me retourner, mais mon goût prononcé pour les jeux déplacés m'avait attiré dans cette spirale infernale qui décrivait aujourd'hui notre relation bancale. Je ne pouvais pas le considérer comme un ennemi, et pourtant, Merlin savait que j'en avais énormément. J'avais un don certain pour me faire détester, j'étais la cible à abattre, et je m'en amusais, ravissement malsain d'une gamine qui éprouvait le besoin que l'on parle d'elle, que ce soit en mal ou en bien. Il était rare que j'entende des compliments à mon égard, et encore plus rare que j'y prête attention, de toutes façons. Les rumeurs naissaient rapidement, couraient dans les couloirs, je pouvais les sentir me frôler, m'encercler, et je dansais au milieu d'elles, rien ne pouvait me toucher, et surtout pas ces futilités. J'évoluais entre l'envie puérile que l'on s'intéresse à moi, et le désintérêt total de celle qui était bien trop habituée à ce qu'on le fasse. J'étais la star qui avait toujours voulu la célébrité, et qui tentait maintenant d'y échapper, s'émouvant toutefois des yeux curieux qui s'accrochaient à sa silhouette dès qu'elle mettait un pied dehors. J'étais un paradoxe ridicule, un cliché désespérant, et je ne pouvais pas échapper à l'affolement qui m'assaillait immédiatement en constatant finalement qu'ils avaient arrêté de murmurer à mon arrivée. J'étais incapable de vivre pour moi-même, car je ne me sentais pas exister. Je possédais le comportement d'une pauvre adolescente aux tendances suicidaires un peu trop développées, qui ne passerait cependant probablement jamais à l'acte ; à quoi bon vouloir se suicider, lorsqu'on était déjà mort à l'intérieur ? Je me demandais si c'était son cas, derrière son masque impénétrable, derrière les cartes qu'il laissait tomber avec négligence, je me demandais s'il jouait au même jeu que moi, si on se ressemblait plus qu'on ne l'avait imaginé en se confrontant la première fois. Mes pupilles satinées se posèrent alors sur ses doigts, tapotant inlassablement le comptoir, stress affligeant qu'il ne camouflait pas. Mon nez se fronça, je ne supportais pas ça. Et, dans un élan irréfléchi, ma main vint recouvrir la sienne, l'empêchant de s'agiter, avant de se retirer brusquement, réalisant que je l'avais touché. Oh, il ne s'agissait pas là du trouble d'une enfant énamourée, mais du dégoût de la snob qui avait ressenti l'électricité en effleurant une peau qui aurait dû la répugner. Tout en lui me donnait l'envie de fuir, mais je ne pouvais m'empêcher de rester là, laissant mes yeux s'attarder sur son profil, me souvenant du désir que j'avais éprouvé, lors de cette nuit qui avait tout changé.
« -Et quelles nouvelles a-t-on du bas peuple? Personnellement je le trouve bien aimable de vouloir accueillir quelqu’un qui a été banni du haut-peuple, tu ne trouves pas? Quels crimes as-tu donc commis? »
Il avait bu une gorgée de sa bière avant de me lancer sa tirade bien rodée, d'un ton suave qui me fit hausser un sourcil d'un air moqueur alors que je songeai qu'il avait dû choisir ses mots avec prudence. Tentait-il de m'impressionner ? J'en doutais, il voulait probablement simplement me démontrer qu'il n'était pas le déchet dont je me moquais sans aucun tact, chose qui me fit sourire, à présent clairement méprisante. Saisissant mon sac d'une main, j'en tirai une cigarette que j'allumais sans répondre, recrachant la fumée avec nonchalance. S'il voulait s'entêter à croire que j'avais été bannie, grand bien lui fasse. Il apprendrait, d'une manière ou d'une autre, qu'on ne me rejetait pas sans en subir les conséquences... Quoique, il était sans aucun doute déjà au courant de ce maigre détail. J'avais conscience de n'être qu'une poupée un peu trop capricieuse à ses yeux, et peut-être l'étais-je réellement, après tout, j'avais été éduquée de cette façon. Résistant tant bien que mal au bourrage de crâne effectué par mes parents, ma personnalité puait pourtant la prétention typiquement aristocrate, quand son arrogance ne ressemblait, à mon sens, qu'à une vague technique de défense. Nous étouffions sous les préjugés, nous ne connaissions pas, et je m'y sentais toutefois liée, d'une étrange façon, j'étais clouée à ce stupide tabouret, et je ne tournerai pas les talons.
« N'utilise pas des mots que tu ne comprends pas, Van Achthoven. Tu vas finir par me faire honte... Et, soyons clairs, je n'ai pas été bannie. Si je l'avais été, néanmoins, ce serait probablement car quelqu'un m'aurait vue à tes côtés. »
J'avais l'impression de cracher du venin, et je sentais l'amertume de mes paroles mesquines m'emplir la bouche, m'empoisonnant moi aussi par la même occasion, d'une pierre deux coups, la reine et son bouffon. J'aspirai une nouvelle bouffée de ce qui finirait bien par me tuer, croisant les jambes, ne retenant pas un regard sur le côté, comme pour m'assurer que je ne connaissais personne d'autre que lui par ici. Au fond, je n'en avais rien à faire que l'on me surprenne en sa compagnie, et j'en rajoutais dans le rôle qu'il m'attribuait, ne souhaitant surtout pas le décevoir : cela lui aurait donné l'occasion de découvrir mes nombreuses faiblesses. La nuit où il m'avait raccompagnée après mon malaise me revenait douloureusement en tête, sombre souvenir que je ne parvenais pas à chasser de ma mémoire, m'obligeant à me tenir sur le qui-vive, ne surtout pas lui montrer mes autres failles. Je préférais qu'on imagine comme une princesse hautaine, sûre d'elle et méprisante, je préférais que l'on me voie comme un pur produit de la bourgeoisie anglaise, tout plutôt que d'avoir à avouer que je ne m'y sentais pas à ma place, que j'aurais voulu naître autre part, une autre famille, un autre pays, une autre putain de vie. Je l'enviais. Je ne connaissais rien de sa vie, de son passé, je ne savais pas s'il avait été heureux ou chaotique, je ne savais pas si ses parents étaient divorcés, je ne savais pas s'il avait des frères et sœurs, je ne savais rien de lui, mais je l'enviais, avec la démesure et la haine certaine que m'octroyait le fait de n'avoir jusqu'alors connu que la richesse amère d'une famille faussement solidaire. Je n'avais pas réellement vécu, je m'étais contentée d'exister. Je n'étais jamais tombée amoureuse, et mes vagues passions s'étaient bien vite envolées, cendres glacés d'une relation qui n'était pas encore née. J'avais voyagé sans rien voir, j'avais ri sans savoir pourquoi, j'avais été conditionnée à avancer, un pas après l'autre, j'avais été conditionnée à ne pas m'écrouler, et je ne désirais que ça. La longue descente aux enfers qui me procurerait enfin une sensation différente, et j'en rêvais tous les soirs, quand d'autres rêvaient au prince charmant qui ne viendrait pas, à l'amour avec un grand a, je rêvais à ma démolition par les flammes.
« -Ta complaisance me touche princesse. Mais fais attention à ton langage ma jolie, tu me choques à employer des mots empruntés au bas-peuple comme tu dis. Tu te sens donc tellement minable au point de te rabaisser à adopter nos pratiques? »
Un rire franchit mes lèvres, réaction spontanée qui me surprit moi-même, et je penchais la tête en arrière pour mieux recracher la fumée grisâtre de ma cigarette. Le serveur apporta ma tequila, et je m'en saisis de la main gauche, l'avalant aussi vite que la première. Grimaçant légèrement, je fermai les yeux, prenant le temps de laisser l'acidité du liquide transparent opérer, puis poussai un léger soupir. Il avait touché juste, probablement sans même le savoir, il avait visé et tiré, sa balle atterrissant en plein milieu de mon coeur. Je me sentais effectivement minable. Bien plus qu'il ne l'était à mes yeux, bien plus que cet homme qui était obligé de servir les autres pour vivre, bien plus que n'importe qui. Je ne lui laisserai cependant pas le plaisir de s'en servir contre moi, jamais. Cela eût été trop facile de m'abattre alors, il aurait possédé toutes les cartes gagnantes, et j'aurais dû renoncer avant de m'en aller, tête basse. Or, j'étais mauvaise perdante, peut-être la pire de toutes. Je me tournai vers lui, mon regard se plantant dans le sien alors qu'il s'était reculé, m'épargnant d'avoir à sentir son souffle dans mon cou dénudé, et eut une moue moqueuse.
« Pourquoi devrais-je me sentir minable ? N'inverse pas les rôles, mon coeur, celui qui devrait se creuser un trou et y disparaître pour ne plus jamais revenir, c'est toi. Celui qui a tellement honte de son statut social qu'il se sent obligé d'en rajouter une couche pour se donner contenance, c'est toi. Celui qui s'attarde à mes côtés sans raison alors que ses amis sont toujours là, c'est toi. Celui qui préfère se mêler à des gens comme moi plutôt que d'avoir à endurer ce qui lui sert d'entourage, c'est encore et toujours toi... Alors ici, le minable, c'est toi aussi. »
Et je lui décochai un sourire éblouissant, avant de lui souffler la fumée de ma clope au visage, attitude puérile qui m'amusa davantage. Son regard me distrait pourtant aussitôt, et je me crispai tandis que ses yeux s'attardaient sur ma silhouette. Je ne pus m'empêcher de chercher une once de désir sur son expression, tandis que la mienne devenait plus froide en songeant à ce qu'il devait penser. S'il songeait le contraire, j'étais persuadée d'avoir grossi, et mon petit déjeuner pesait toujours sur mon estomac endolori. J'étais dépendante de son opinion, bien plus que de celles des autres hommes que je me plaisais à séduire, parfois simplement pour me persuader que je n'étais pas repoussante, sans réellement en connaître la raison. Il m'avait bien rapidement provoquée au sujet de ma sous-alimentation, me plongeant par la même occasion dans un autre de mes régimes radicaux qui m'avait d'ailleurs valu quelques étourdissements. Je ne m'attardai pas sur ce détail, j'y étais habituée, et c'était dans ma faiblesse physique que je puisais ma force, certaine qu'il serait aisé de tout arrêter lorsque ce serait assez. Le problème majeur était que je n'étais jamais satisfaite, et que je ne le serai jamais. Il détourna enfin la tête, hélant le serveur pour lui commander un martini. J'en profitais pour lui demander une vodka pomme, tentant de reprendre contenance. Il ne pouvait pas m'atteindre, pas si facilement, il en était hors de question, je ne pouvais pas le laisser faire. Il ne se gêna néanmoins pas pour se pencher vers moi à nouveau, renforçant notre proximité, et je frissonnai lorsqu'il posa sa bouche glacée sur ma tempe.
« -Tu sais que l’alcool à jeun ce n’est pas très sain? Tu ferais mieux de manger quelque chose, à moins que tu ne souhaites avoir un bel ulcère à l’estomac ensuite. »
Entre l'envie de le blesser et celle de lui arracher ses vêtements pour enfin le faire taire, je n'avais pas encore choisi mon camp. Sa réplique me toucha bien plus qu'elle n'aurait dû le faire, et j'écrasai ma cigarette avec une violence que je ne parvins pas à masquer, m'imaginant avec un certain ravissement que c'était sa tête qui heurtait le cendrier. Mâchoire serrée, je ne répondis pas tout de suite, trempant mes lèvres dans ma boisson alcoolisée. Je ressentis brusquement l'urgence de fuir, mais mes pieds ne semblaient pas être prêts à coopérer, et je ne pus alors que maugréer d'un air agacé ces quelques mots plus faibles que je ne les avais désirés :
« Depuis quand te préoccupes-tu de ma santé ? Il ne me semble pas m'être immiscée dans ta vie pour savoir si tu dormais assez. Fais-moi plaisir et fais de même. »
Mais il n'avait pas terminé de jouer, et ce fut avec une effroyable lenteur que je le sentis se rapprocher une nouvelle fois, les jointures de ma main blanchissant alors qu'elle se resserrait sur le verre que je n'avais pas lâché. Qu'il se taise, qu'il se taise donc, par Merlin ! Je ne pouvais pas craquer, il en aurait été bien trop fier, et je ne pouvais pas lui laisser comprendre qu'il avait gagné. Car m'attaquer sur ce point précis était bien la meilleure façon de me faire flancher, je n'avais en effet habituellement rien à rétorquer. Peu osaient se risquer sur ce terrain glissant, et les rares réflexions sur le poids que je perdais se finissaient en murmures gênés devant mon regard assassin. Je savais qu'il en faudrait plus pour le calmer, et cela m'irritait au plus haut point.
« -Qu’est-ce qui ta rendue ainsi Tatiana? Les hommes ne te désirent-ils plus pour que tu te détruises ainsi sans te préoccuper du regard qu’ils posent sur toi? Ou alors est-ce toi qui as voulu te priver de tes charmes histoire de faciliter ton entrée dans les ordres? Pourtant la chasteté et la renonciation ne sont pas dans tes valeurs. Te serais-tu prise d’un éminent désir de rédemption pour que tu te voues à une vie d’ascète? Ca serait un beau gâchis si tu voulais mon avis. »
« Cela tombe bien, car je n'en veux pas. Comme je viens de te le signaler, il serait plus... Favorable pour toi que tu te tiennes à l'écart de ce sujet. Cela ne te regarde absolument pas. » rétorquai-je d'une voix vaguement menaçante.
J'étais prête à exploser. Son ton moqueur, son expression provocatrice, tout en lui me donnait envie de lui lancer mon verre au visage, d'affiner mes ongles sur sa peau pâle, je voulais le voir souffrir, rien qu'un peu, je voulais m'évader de ces chaînes qui semblaient me nouer les jambes, et j'étais incapable de bouger, rien qu'un peu, de tourner la tête et de l'ignorer. Les dés avaient été lancés, la partie était commencée, et tout le monde savait que Tatiana ne partait jamais avant d'avoir officiellement été déclarée gagnante. Et je le serai. Par n'importe quel moyen, je le serai. Je m'apprêtai à rajouter quelques mots insultants à son intention, histoire de bien lui faire comprendre sa position inférieure face à ma personne, quand je sentis ses doigts dans mes cheveux, poussant doucement une mèche blonde derrière mon oreille. Je me raidis une dernière fois, tous mes sens en alerte ; j'étais prête à attaquer.
« -Un gâchis dans la mesure où je n’ai pas oublié les deux nuits que nous avons passées ensemble. Ca a changé des choses pour toi aussi n’est-ce pas? J’avais osé espérer que tu ne fusse qu’une parmi d’autres, mais la fatalité semble s’y opposer. Mais sache que je suis partant pour remettre le couvert quand tu veux. Et ne dis pas que tu ne veux pas, ça serait proférer un horrible mensonge. »
La colère bouillonna en moi, rageuse, quand je compris qu'il avait bel et bien fait mention de ces deux nuits, ignoble traître qui me ramenait à ma triste vérité, celle d'une fille un peu trop faible qui s'était laissée aller. Je contemplais son sourire, que je ne lui rendis pas, avant de l'entendre commencer à chantonner une chanson moldue, ses doigts revenant pianoter sur ce comptoir maudit. Ma main revint emprisonner la sienne, cette fois-ci avec davantage de détermination, et j'en profitais pour l'enserrer légèrement, de façon à ce qu'il ne puisse plus se dégager.
« Il est hors de question qu'on remette le couvert, Van Achthoven. J'espère que tu m'as bien entendue. Il en est hors de question. Jamais. Ces deux nuits n'étaient que de misérables erreurs de parcours. Ne te flatte d'ailleurs pas trop, tu n'es pas le premier à être revenu fouler mes draps une seconde fois, la plupart en redemande dès le lendemain, tu as juste résisté un peu plus longtemps, ce qui est tout à ton honneur... Mais cela n'arrivera plus. Car même si j'en avais envie, j'ai maintenant assez de dignité pour ne plus me laisser souiller par quelqu'un de ton espèce. »
Mon ton était méprisant, suintant d'un poison venimeux que je n'avais pas pris la peine de retenir. Lâchant enfin sa main que j'agrippais toujours, je retournai à mon tour à ma vodka, la terminant en quelques rapides gorgées.
- InvitéInvité
Re: Wanna play the game again? [Tatiana]
Ven 16 Avr 2010 - 5:31
J’aimais me rappeler de temps à autre l’ambiance de ces vieux pubs moldus, que j’appréciais tant. L’ambiance bon enfant des conversations, l’odeur confortable de la cigarette, le goût doucereux de la bière, les gens qui jouaient au billard, du bon rock en fond sonore, du rock comme je l’aime. Je vivais pour la musique, je vivais à travers elle, je vivais pour elle. Quand je jouais, j’étais exilé dans mon monde, concentré sur mes cordes de guitare et sur la mélodie que j’essayais d’en tirer. Niveau influence musicale, il y en avait de toutes parts. J’écoutais essentiellement du vieux rock des années 60 à 80, qui me procurait un sentiment de nostalgie profonde. J’avais mes idoles, comme tout musicien qui se respecte. J’adorais des légendes comme Janis Joplin, Elvis Presley, les Rolling Stones, AC/DC, en passant par les Beatles, Aerosmith, Blind Faith et j’en oubliais sûrement. Il m’arrivait d’écouter parfois d’autre choses, un peu plus récentes, un peu plus dans le domaine du hard rock mais je n’aimais pas le métal, c’était un fait. A mes yeux, ou tout du moins à mes oreilles, c’était beaucoup trop violent pour être écoutable. Je ne supportais pas les mecs qui hurlaient dans le micro à s’en péter les cordes vocales, ou le fait qu’ils frappaient comme des bourrins sur leurs batteries. Bref. Quoiqu’il en soit, j’aimais de temps à autre me repasser les 45 tours qui ont marqué la génération à laquelle appartenaient mes parents. J’avais la tête emplie de vieux airs, et cela ne m’étonnait même pas que j’avais une vieille chanson en tête, qui s’invitait comme une douceur au milieu de mon tourment de fumeur en manque de nicotine. Si seulement je pouvais m’occuper mentalement, en tout cas suffisamment pour éloigner mon impérieuse envie de cigarettes. Pianoter sur le bar n’aurait fait que d’agacer prodigieusement ceux qui y étaient accotés, pour peu qu’ils soient facilement irrités par des bruits répétitifs. La seule personne que je risquais d’agacer se trouvait précisément à ma gauche, et se trouvait être ma charmante voisine, que ma seule présence agaçait déjà. Je ne me souvenais pas d’être si mauvaise compagnie, et si je l’avais été, ça ne devait être qu’avec elle. Tant mieux au fond si je lui faisais cet effet là, ça ne faisait que de me réconforter, de me donner plus d’atouts dans mon jeu. Son air de princesse pourrie gâtée m’horripilait au plus haut point, le mépris qu’elle affichait ostensiblement envers ma personne avait le don de me mettre les nerfs en pelote. Je n’étais pas de ceux qui malheureusement avaient besoin de passer inaperçu. Si la solitude savait me combler, si l’anonymat m’arrangeait par rapport à mon ancienne vie, des fois je ne savais en rien m’en satisfaire. Mais il ne fallait pas pour autant cracher dans la soupe, je savais au contraire exister par moi-même, étant naturellement indépendant. C’est cette même indépendance qui m’avait poussé à prendre le large, à abandonner ma mère, mon père et ma sœur, et à démarrer une nouvelle vie, loin d’Oxford où j’avais fini par me sentir comme dans une prison. Hungcalf en soi n’était pas différent, j’avais peut-être plus de libertés par rapport à Poudlard mais je me sentais toujours aussi entravé dans ma liberté, liberté que je chérissais plus que tout, presque autant que ma chère musique. En parlant de musique. J’étais déçu que dans ce fichu pub ils n’en diffusent pas. L’ambiance aurait été bien meilleure. Et puis, d’un coup, d’un seul, mes doigts cessèrent de pianoter. Un coup d’œil à ma voisine et j’en trouvai la raison. Elle venait de m’aplatir la main sur le comptoir, en posant la sienne par-dessus la mienne. J’avais haussé un sourcil à ce contact aussi soudain qu’inattendu, qui m’avait fait l’effet d’une décharge électrique, les souvenirs remontant à la surface sans crier gare. Mon saut dans le passé, dans cette minuscule portion de ma vie s’acheva bien vite, puisque sa voix vipérine avait fini par tout faire voler en éclats.
« N'utilise pas des mots que tu ne comprends pas, Van Achthoven. Tu vas finir par me faire honte... Et, soyons clairs, je n'ai pas été bannie. Si je l'avais été, néanmoins, ce serait probablement car quelqu'un m'aurait vue à tes côtés. »
Une mimique apparut sur mon visage, un mix entre un sourire et une grimace. Une mimique qui tenait bientôt davantage de la grimace que du sourire. Le sourire qui revint quelques secondes plus tard, plus imprudent que jamais, plus provocateur aussi. Ainsi donc elle était l’une des rares à savoir prononcer mon nom de famille correctement. La plupart des personnes que je connaissais avaient du mal avec la consonance néerlandaise de mon patronyme, et oubliaient des lettres ou des syllabes en routes. Maintes fois j’avais été contraint d’épeler le tout, et autant dire que quand j’ai appris à lire et à écrire, à commencer par l’exercice basique d’écrire nom et prénoms, j’ai vraiment souffert. J’avais moi-même mal orthographié l’ensemble, dans un premier temps, maudissant mes vieux d’avoir osé m’affubler d’un nom pareil, avant de me rendre compte que s’ils avaient été coupables de m’avoir appelé Aldéric (nom que je détestais au passage) , ils n’étaient en rien responsables du nom de famille. La seule connerie qu’ayant fait ma mère il y a des années de cela ayant été d’épouser mon abruti de paternel. Mon nom de famille n’avait pas été la seule difficulté qu’avait engendrée mon père dans ma vie, mon père en réalité avait engendré bon nombre de problèmes, me détruisant ma vie comme il avait détruit celle de ma mère, qui trop gentille s’était laissée marcher sur les pieds. Elle en était à présent meurtrie, aveuglée par l’amour qu’elle porte à ce connard qui n’a pas grandement d’estime au fond, pour elle. Si c’était ça aimer, avoir des relations de couple, je préférais me pendre d’office, d’ailleurs j’avais déjà acheté la corde, ne restait plus qu’à l’utiliser si je venais à me perdre dans les affres de ces turpitudes que je jugeais inutiles, hors propos et sans intérêt. L’exemple type de mes parents m’avaient rendu réfractaire à tout type d’union ressemblant de près ou de loin à quelque chose de durable, ainsi il n’était guère étonnant de me voir toujours célibataire, me contentant que de relations d’un soir et d’amitiés améliorées lorsque le besoin d’affection se faisait malgré tout sentir. En parlant d’affection, je ne devais sûrement pas m’attendre à en recevoir de la part de ma délicate voisine, de même que je ne comptais pas plus lui en donner.
« -Alors c’est ça les putains de clichés avec lesquels on t’a bourrés le crâne depuis ta plus tendre enfance? Je viens d’un quartier populaire, donc je ne suis pas éduqué et chez nous c’est la jungle? Il faut sortir un peu de ton bled t’sais, le monde réel n’est pas fait de dorures, de champagne, de vêtements hors de prix et de caviar. Le côté bling-bling en rien ne t’apprend la vie, alors ne juge pas Whitaker. Ne juge pas quand on t’a bourré le crâne avec des conneries et des clichés sur certaines catégories de personnes juste pour se donner plus de valeur. C’est une vieille technique ça, de rabaisser les autres pour se sentir plus fort. »
Mon ton avait été un peu plus abrasif que je ne l’aurais voulu, montrant que je n’avais pas aussi bonne maîtrise de ma personne que je ne le pensais. Mais le fait qu’elle m’ait attaqué sur mon éducation, et donc par extension au milieu où je vivais, ce qui était à classer dans les sujets sensibles, m’avait presque fait sortir de mes gonds. A la place, je masquais mon trouble en buvant une nouvelle gorgée de martini, tout en digérant moi-même les mots que je venais de prononcer, montrant clairement ce que je pensais des gens de son milieu. Bien sûr ils n’étaient pas tous à mettre dans le même panier, c’est comme partout, j’osais encore espérer qu’il y avait encore des gens valables dans tous types de milieux, quels qu’ils soient. Mais quand j’étais confronté à des gens tels que Tatiana Whitaker, mes espoirs que l’humanité pouvait s’affranchir de sa médiocrité s’envolaient. Je ne me prenais pas pour un être supérieur, loin de là, j’étais sans aucun doute au bas de l’échelle de qualité humaine si je puis dire ainsi, et c’est comme ça qu’on me voyait plus volontiers, mais au fond je me disais qu’un humain c’était quand même une sacrée saloperie. Au fond, Whitaker n’était qu’une parmi d’autres, une vulgaire caricature de la bourgeoisie comme on en voyait souvent dans les films ou autres histoires. Une de ces têtes à claques maniérées, qui se croient tout droit sortis de la cuisse de Jupiter, ayant une vie de rêve sur un plateau d’argent, ignorant la réalité de la vie telle que pouvaient l’envisager les gens du bas peuple. Ce qui faisait passer le personnage de Tatiana Whitaker du côté sordide au côté intéressant, c’est qu’elle avait justement ses névroses, qui la rendaient plus humaine, moins cliché justement. Même si au fond elle était affreuse de banalité, voire complètement inintéressante. Mais il y avait ce truc qui faisait que je pouvais attarder mon regard sur elle, qui me maintenait en haleine, outre un pur but lubrique. Elle avait ce foutu truc en plus qui faisait qu’elle était effectivement intéressante. Même si en toute fierté et orgueil mal placé je lui laissais sous-entendre le contraire, pour mieux la piétiner, pour mieux l’anéantir, dans un presque plaisir sadique. J’étais son bourreau d’une certaine façon, je n’aimais pas spécialement torturer les gens, n’étant pas méchant par nature, mais elle c’était particulièrement jouissif, je me plaisais à démonter l’adorable et pourtant pathétique cliché qu’elle était.
« Pourquoi devrais-je me sentir minable ? N'inverse pas les rôles, mon coeur, celui qui devrait se creuser un trou et y disparaître pour ne plus jamais revenir, c'est toi. Celui qui a tellement honte de son statut social qu'il se sent obligé d'en rajouter une couche pour se donner contenance, c'est toi. Celui qui s'attarde à mes côtés sans raison alors que ses amis sont toujours là, c'est toi. Celui qui préfère se mêler à des gens comme moi plutôt que d'avoir à endurer ce qui lui sert d'entourage, c'est encore et toujours toi... Alors ici, le minable, c'est toi aussi. »
Evidemment. Il n’y avait pas meilleure défense que l’attaque. C’est fou que je pouvais la résumer avec des phrases toutes faites, tellement elle était navrante de simplicité. Des fois j’avais aussi espoir qu’elle pouvait être autre chose qu’un vulgaire schéma, qu’elle pouvait avoir de la profondeur -outre les plans cul bien évidemment- , mais à chacune de ses répliques j’estimais qu’il n’y avait effectivement rien à faire, chaque réplique prononcée n’était que le reflet d’une médiocrité latente, qui prenait toute la place, éclipsant les mêmes espoirs que j’avais placés en elle. Hopeless, comme dirait l’autre. Elle se croyait peut-être forte vêtue de son sarcasme, mais je savais bien que quand son âme était mise à nue il n’y avait plus rien qui tienne, juste les lambeaux d’une violence qu’elle ne pouvait même plus exprimer. C’était ce qui s’était passé la seconde fois où nous avions couché ensemble. J’avais vu des choses que je n’aurais jamais dû voir, de même que j’ai partagé bien plus de choses qu’il n’eut été raisonnable. C’était peut-être pour ça que je me montrais aussi odieux avec elle, pour repousser tout ce que nous avions partagé bien malgré nous cette nuit là. Effectivement, il n’y avait pas de meilleure défense que l’attaque. Je regardai droit devant moi, tripotant négligemment mon verre, avant de poursuivre, sur le même ton acerbe.
« -Alors restons entre minables. Je veux bien me retrouvé confronté à la médiocrité quelques instants. Parce que ce n’est pas moi le plus minable d’entre nous, Tatiana. Contrairement à toi, je daigne regarder comment c’est ailleurs. Contrairement à toi, je daigne ouvrir les yeux. Contrairement à toi, je ne crache pas sur les gens qui sont différent de moi, au contraire, j’aime la différence. Contrairement à toi, je sais mettre dans ma poche mon orgueil et ma connerie pour m’intéresser à d’autres personnes, pour peu qu’elles n’entrent pas dans une putain de case mais savent être dans plusieurs en même temps. Alors oui, peut être que je suis minable. Mais moi au moins j’ai cette putain d’ouverture d’esprit que toi tu n’as pas tellement le balai que tu as dans le cul t’empêche de faire le moindre pas en avant. Alors le jour où tu sauras te lâcher complètement et le jour où tu évolueras enfin, on en reparlera. En attendant, la plus minable, c’est toi! »
J’avais laissé exploser la colère qui me guettait, mettant à mal toutes mes résolutions de garder mon self-control. Le plus triste dans tout ça était sans doute dans le fait que je n’étais pas capable de le garder en sa présence, elle avait cette putain de faculté à me faire perdre les pédales, à quelque niveau que ce soit d’ailleurs. J’étais agacé. Enervé même. Le besoin de clope se faisait urgent, d’autant plus qu’elle m’avait soufflé sa foutue fumée au visage. Elle me faisait irrésistiblement penser à la chenille au narguilé d’Alice au Pays des Merveilles, mais elle n’avait pas la sagesse nécessaire pour incarner le personnage, ainsi donc elle me faisait penser à Cruella d’Enfer, avec ses goûts de luxe, sa façon d’être, sa méchanceté qui en devenait carrément pathétique. J’hélai à nouveau le barman, pour commander une nouvelle boisson, plus forte, histoire de calmer la fébrilité qui menaçait. J’inspirai profondément, ayant recommencé à pianoter sur la table, sachant pertinemment que ça l’agaçait, mais personnellement je m’en foutais.
« Depuis quand te préoccupes-tu de ma santé ? Il ne me semble pas m'être immiscée dans ta vie pour savoir si tu dormais assez. Fais-moi plaisir et fais de même. »
Mes lèvres se pincèrent subitement, signe de désaccord, alors que le sang battait à mes tempes, le goût cuivré de la colère inondant ma bouche. D’ordinaire j’aurais cogné, expulsant ce trop plein d’énergie qui commençait à me bouffer, lentement mais sûrement, faute d’en être débarrassé aussi souvent que je l’aurais voulu. Seulement, j’avais encore assez de retenue et de respect pour ne pas la frapper. La violence envers les femmes était quelque chose que j’avais toujours eu en horreur, peut-être parce que le fait de savoir que mon père cognait ma mère m’avait suffisamment traumatisé. Cela avait eu un effet cathartique sur ma façon de voir, et c’était un frein naturel à la violence qui m’habitait bien que l’envie était forte de commettre un meurtre dans les règles.
« -Tu as raison. Je ne me préoccuperai plus de ta santé puisque tu le souhaites. Tu n’en vaux pas la peine. »
C’est faux, s’insurgeait mon moi intérieur. Mais j’en étais arrivé à un stade où le mot dépasserait forcément ma pensée, où je commençais à déraper, à ne contrôler plus rien. La tête me tournait légèrement sous l’effet du peu d’alcool que j’avais ingurgité, le regard flouté, ce qui ne m’empêcha pas de boire une nouvelle gorgée de ma boisson, m’y raccrochant comme un pochtron. Je ne suivis qu’à moitié la suite de la discussion, tout commençait à tanguer alors que l’ivresse commençait à me gagner, effaçant des données de mon esprit. Je ne tenais pas l’alcool et ça me gonflait, d’ailleurs. Il m’arrivait parfois que ça se transforme en bad trip, laissant mon cœur cogner douloureusement dans ma poitrine, alors que je m’asphyxiais presque sur place. J’inspirai profondément, tentant d’ignorer ce qui commençait à grésiller dans ma tête. Je n’en pouvais plus d’entendre ses mots, elle m’empoisonnait, elle menaçait de me pousser jusque dans mes derniers retranchements, jusqu’au point de non retour. Ce qui serait potentiellement dramatique. Mais pitié, que cela cesse!
« Il est hors de question qu'on remette le couvert, Van Achthoven. J'espère que tu m'as bien entendue. Il en est hors de question. Jamais. Ces deux nuits n'étaient que de misérables erreurs de parcours. Ne te flatte d'ailleurs pas trop, tu n'es pas le premier à être revenu fouler mes draps une seconde fois, la plupart en redemande dès le lendemain, tu as juste résisté un peu plus longtemps, ce qui est tout à ton honneur... Mais cela n'arrivera plus. Car même si j'en avais envie, j'ai maintenant assez de dignité pour ne plus me laisser souiller par quelqu'un de ton espèce. »
Sa main qui avait enserré la mienne, avec plus de force que tout à l’heure, comme pour mettre plus de poids à ses futiles paroles, qui m’égratignèrent plus qu’elles ne le devraient. J’avais claironné autant qu’il était nécessaire qu’entre nous, tout n’avait été qu’une vaste erreur, une grossière erreur, un regrettable accident, mais au fond, je savais que j’en avais encore envie, malgré tout. Le fait de la savoir si proche de moi me rendait dingue, alors que des pensées pas très catholiques commençaient à envahir mon esprit perturbé par le degré alcoolique de mes consommations. Je fermai les yeux, tentant d’ignorer l’odeur de clope qui devenait obsédante, avant de laisser mes mots couler hors de mes lèvres encore une fois, des mots venimeux et pleins de griefs, comme depuis le début de la conversation.
« - Comment tu peux parler de dignité, tu l’as perdue à mes yeux depuis bien longtemps. Regarde toi Tatiana, bordel! Tu ne ressembles plus à rien! Tu te laisses couler vers le fond, entraînant tes proches dans la déchéance! Tu crois que c’est une vie ça? T’as besoin de critiquer la vie des autres pour t’assurer que la tienne est bien mieux alors qu’au fond tu ne vaux pas plus? Non mais bordel, réagis quoi! Alors montre moi! Montre moi que tu es capable d’être autre chose que ce que tu es actuellement! Donne moi l’occasion de te voir sous un autre jour. Essaie de changer, de t’adapter, d’évoluer un peu. Montre moi alors un visage que je n’ai jamais vu. Si tu y arrives, peut-être que je réviserai mon jugement à ton égard, mais dans le cas contraire, tu m’auras prouvé que t’es incapable d’être autre chose que ce pourquoi on t’a conditionnée. »
Je la regardai d’un œil intense, brûlant. J’avais mis dans mon discours plus de verve et de sentiments que je ne l’aurais voulu, mais je n’étais plus à ça près. Restait à savoir désormais si elle allait accepter ou non la gageure qu’implicitement je lui avais lancée. Les dés, désormais, étaient jetés.
« N'utilise pas des mots que tu ne comprends pas, Van Achthoven. Tu vas finir par me faire honte... Et, soyons clairs, je n'ai pas été bannie. Si je l'avais été, néanmoins, ce serait probablement car quelqu'un m'aurait vue à tes côtés. »
Une mimique apparut sur mon visage, un mix entre un sourire et une grimace. Une mimique qui tenait bientôt davantage de la grimace que du sourire. Le sourire qui revint quelques secondes plus tard, plus imprudent que jamais, plus provocateur aussi. Ainsi donc elle était l’une des rares à savoir prononcer mon nom de famille correctement. La plupart des personnes que je connaissais avaient du mal avec la consonance néerlandaise de mon patronyme, et oubliaient des lettres ou des syllabes en routes. Maintes fois j’avais été contraint d’épeler le tout, et autant dire que quand j’ai appris à lire et à écrire, à commencer par l’exercice basique d’écrire nom et prénoms, j’ai vraiment souffert. J’avais moi-même mal orthographié l’ensemble, dans un premier temps, maudissant mes vieux d’avoir osé m’affubler d’un nom pareil, avant de me rendre compte que s’ils avaient été coupables de m’avoir appelé Aldéric (nom que je détestais au passage) , ils n’étaient en rien responsables du nom de famille. La seule connerie qu’ayant fait ma mère il y a des années de cela ayant été d’épouser mon abruti de paternel. Mon nom de famille n’avait pas été la seule difficulté qu’avait engendrée mon père dans ma vie, mon père en réalité avait engendré bon nombre de problèmes, me détruisant ma vie comme il avait détruit celle de ma mère, qui trop gentille s’était laissée marcher sur les pieds. Elle en était à présent meurtrie, aveuglée par l’amour qu’elle porte à ce connard qui n’a pas grandement d’estime au fond, pour elle. Si c’était ça aimer, avoir des relations de couple, je préférais me pendre d’office, d’ailleurs j’avais déjà acheté la corde, ne restait plus qu’à l’utiliser si je venais à me perdre dans les affres de ces turpitudes que je jugeais inutiles, hors propos et sans intérêt. L’exemple type de mes parents m’avaient rendu réfractaire à tout type d’union ressemblant de près ou de loin à quelque chose de durable, ainsi il n’était guère étonnant de me voir toujours célibataire, me contentant que de relations d’un soir et d’amitiés améliorées lorsque le besoin d’affection se faisait malgré tout sentir. En parlant d’affection, je ne devais sûrement pas m’attendre à en recevoir de la part de ma délicate voisine, de même que je ne comptais pas plus lui en donner.
« -Alors c’est ça les putains de clichés avec lesquels on t’a bourrés le crâne depuis ta plus tendre enfance? Je viens d’un quartier populaire, donc je ne suis pas éduqué et chez nous c’est la jungle? Il faut sortir un peu de ton bled t’sais, le monde réel n’est pas fait de dorures, de champagne, de vêtements hors de prix et de caviar. Le côté bling-bling en rien ne t’apprend la vie, alors ne juge pas Whitaker. Ne juge pas quand on t’a bourré le crâne avec des conneries et des clichés sur certaines catégories de personnes juste pour se donner plus de valeur. C’est une vieille technique ça, de rabaisser les autres pour se sentir plus fort. »
Mon ton avait été un peu plus abrasif que je ne l’aurais voulu, montrant que je n’avais pas aussi bonne maîtrise de ma personne que je ne le pensais. Mais le fait qu’elle m’ait attaqué sur mon éducation, et donc par extension au milieu où je vivais, ce qui était à classer dans les sujets sensibles, m’avait presque fait sortir de mes gonds. A la place, je masquais mon trouble en buvant une nouvelle gorgée de martini, tout en digérant moi-même les mots que je venais de prononcer, montrant clairement ce que je pensais des gens de son milieu. Bien sûr ils n’étaient pas tous à mettre dans le même panier, c’est comme partout, j’osais encore espérer qu’il y avait encore des gens valables dans tous types de milieux, quels qu’ils soient. Mais quand j’étais confronté à des gens tels que Tatiana Whitaker, mes espoirs que l’humanité pouvait s’affranchir de sa médiocrité s’envolaient. Je ne me prenais pas pour un être supérieur, loin de là, j’étais sans aucun doute au bas de l’échelle de qualité humaine si je puis dire ainsi, et c’est comme ça qu’on me voyait plus volontiers, mais au fond je me disais qu’un humain c’était quand même une sacrée saloperie. Au fond, Whitaker n’était qu’une parmi d’autres, une vulgaire caricature de la bourgeoisie comme on en voyait souvent dans les films ou autres histoires. Une de ces têtes à claques maniérées, qui se croient tout droit sortis de la cuisse de Jupiter, ayant une vie de rêve sur un plateau d’argent, ignorant la réalité de la vie telle que pouvaient l’envisager les gens du bas peuple. Ce qui faisait passer le personnage de Tatiana Whitaker du côté sordide au côté intéressant, c’est qu’elle avait justement ses névroses, qui la rendaient plus humaine, moins cliché justement. Même si au fond elle était affreuse de banalité, voire complètement inintéressante. Mais il y avait ce truc qui faisait que je pouvais attarder mon regard sur elle, qui me maintenait en haleine, outre un pur but lubrique. Elle avait ce foutu truc en plus qui faisait qu’elle était effectivement intéressante. Même si en toute fierté et orgueil mal placé je lui laissais sous-entendre le contraire, pour mieux la piétiner, pour mieux l’anéantir, dans un presque plaisir sadique. J’étais son bourreau d’une certaine façon, je n’aimais pas spécialement torturer les gens, n’étant pas méchant par nature, mais elle c’était particulièrement jouissif, je me plaisais à démonter l’adorable et pourtant pathétique cliché qu’elle était.
« Pourquoi devrais-je me sentir minable ? N'inverse pas les rôles, mon coeur, celui qui devrait se creuser un trou et y disparaître pour ne plus jamais revenir, c'est toi. Celui qui a tellement honte de son statut social qu'il se sent obligé d'en rajouter une couche pour se donner contenance, c'est toi. Celui qui s'attarde à mes côtés sans raison alors que ses amis sont toujours là, c'est toi. Celui qui préfère se mêler à des gens comme moi plutôt que d'avoir à endurer ce qui lui sert d'entourage, c'est encore et toujours toi... Alors ici, le minable, c'est toi aussi. »
Evidemment. Il n’y avait pas meilleure défense que l’attaque. C’est fou que je pouvais la résumer avec des phrases toutes faites, tellement elle était navrante de simplicité. Des fois j’avais aussi espoir qu’elle pouvait être autre chose qu’un vulgaire schéma, qu’elle pouvait avoir de la profondeur -outre les plans cul bien évidemment- , mais à chacune de ses répliques j’estimais qu’il n’y avait effectivement rien à faire, chaque réplique prononcée n’était que le reflet d’une médiocrité latente, qui prenait toute la place, éclipsant les mêmes espoirs que j’avais placés en elle. Hopeless, comme dirait l’autre. Elle se croyait peut-être forte vêtue de son sarcasme, mais je savais bien que quand son âme était mise à nue il n’y avait plus rien qui tienne, juste les lambeaux d’une violence qu’elle ne pouvait même plus exprimer. C’était ce qui s’était passé la seconde fois où nous avions couché ensemble. J’avais vu des choses que je n’aurais jamais dû voir, de même que j’ai partagé bien plus de choses qu’il n’eut été raisonnable. C’était peut-être pour ça que je me montrais aussi odieux avec elle, pour repousser tout ce que nous avions partagé bien malgré nous cette nuit là. Effectivement, il n’y avait pas de meilleure défense que l’attaque. Je regardai droit devant moi, tripotant négligemment mon verre, avant de poursuivre, sur le même ton acerbe.
« -Alors restons entre minables. Je veux bien me retrouvé confronté à la médiocrité quelques instants. Parce que ce n’est pas moi le plus minable d’entre nous, Tatiana. Contrairement à toi, je daigne regarder comment c’est ailleurs. Contrairement à toi, je daigne ouvrir les yeux. Contrairement à toi, je ne crache pas sur les gens qui sont différent de moi, au contraire, j’aime la différence. Contrairement à toi, je sais mettre dans ma poche mon orgueil et ma connerie pour m’intéresser à d’autres personnes, pour peu qu’elles n’entrent pas dans une putain de case mais savent être dans plusieurs en même temps. Alors oui, peut être que je suis minable. Mais moi au moins j’ai cette putain d’ouverture d’esprit que toi tu n’as pas tellement le balai que tu as dans le cul t’empêche de faire le moindre pas en avant. Alors le jour où tu sauras te lâcher complètement et le jour où tu évolueras enfin, on en reparlera. En attendant, la plus minable, c’est toi! »
J’avais laissé exploser la colère qui me guettait, mettant à mal toutes mes résolutions de garder mon self-control. Le plus triste dans tout ça était sans doute dans le fait que je n’étais pas capable de le garder en sa présence, elle avait cette putain de faculté à me faire perdre les pédales, à quelque niveau que ce soit d’ailleurs. J’étais agacé. Enervé même. Le besoin de clope se faisait urgent, d’autant plus qu’elle m’avait soufflé sa foutue fumée au visage. Elle me faisait irrésistiblement penser à la chenille au narguilé d’Alice au Pays des Merveilles, mais elle n’avait pas la sagesse nécessaire pour incarner le personnage, ainsi donc elle me faisait penser à Cruella d’Enfer, avec ses goûts de luxe, sa façon d’être, sa méchanceté qui en devenait carrément pathétique. J’hélai à nouveau le barman, pour commander une nouvelle boisson, plus forte, histoire de calmer la fébrilité qui menaçait. J’inspirai profondément, ayant recommencé à pianoter sur la table, sachant pertinemment que ça l’agaçait, mais personnellement je m’en foutais.
« Depuis quand te préoccupes-tu de ma santé ? Il ne me semble pas m'être immiscée dans ta vie pour savoir si tu dormais assez. Fais-moi plaisir et fais de même. »
Mes lèvres se pincèrent subitement, signe de désaccord, alors que le sang battait à mes tempes, le goût cuivré de la colère inondant ma bouche. D’ordinaire j’aurais cogné, expulsant ce trop plein d’énergie qui commençait à me bouffer, lentement mais sûrement, faute d’en être débarrassé aussi souvent que je l’aurais voulu. Seulement, j’avais encore assez de retenue et de respect pour ne pas la frapper. La violence envers les femmes était quelque chose que j’avais toujours eu en horreur, peut-être parce que le fait de savoir que mon père cognait ma mère m’avait suffisamment traumatisé. Cela avait eu un effet cathartique sur ma façon de voir, et c’était un frein naturel à la violence qui m’habitait bien que l’envie était forte de commettre un meurtre dans les règles.
« -Tu as raison. Je ne me préoccuperai plus de ta santé puisque tu le souhaites. Tu n’en vaux pas la peine. »
C’est faux, s’insurgeait mon moi intérieur. Mais j’en étais arrivé à un stade où le mot dépasserait forcément ma pensée, où je commençais à déraper, à ne contrôler plus rien. La tête me tournait légèrement sous l’effet du peu d’alcool que j’avais ingurgité, le regard flouté, ce qui ne m’empêcha pas de boire une nouvelle gorgée de ma boisson, m’y raccrochant comme un pochtron. Je ne suivis qu’à moitié la suite de la discussion, tout commençait à tanguer alors que l’ivresse commençait à me gagner, effaçant des données de mon esprit. Je ne tenais pas l’alcool et ça me gonflait, d’ailleurs. Il m’arrivait parfois que ça se transforme en bad trip, laissant mon cœur cogner douloureusement dans ma poitrine, alors que je m’asphyxiais presque sur place. J’inspirai profondément, tentant d’ignorer ce qui commençait à grésiller dans ma tête. Je n’en pouvais plus d’entendre ses mots, elle m’empoisonnait, elle menaçait de me pousser jusque dans mes derniers retranchements, jusqu’au point de non retour. Ce qui serait potentiellement dramatique. Mais pitié, que cela cesse!
« Il est hors de question qu'on remette le couvert, Van Achthoven. J'espère que tu m'as bien entendue. Il en est hors de question. Jamais. Ces deux nuits n'étaient que de misérables erreurs de parcours. Ne te flatte d'ailleurs pas trop, tu n'es pas le premier à être revenu fouler mes draps une seconde fois, la plupart en redemande dès le lendemain, tu as juste résisté un peu plus longtemps, ce qui est tout à ton honneur... Mais cela n'arrivera plus. Car même si j'en avais envie, j'ai maintenant assez de dignité pour ne plus me laisser souiller par quelqu'un de ton espèce. »
Sa main qui avait enserré la mienne, avec plus de force que tout à l’heure, comme pour mettre plus de poids à ses futiles paroles, qui m’égratignèrent plus qu’elles ne le devraient. J’avais claironné autant qu’il était nécessaire qu’entre nous, tout n’avait été qu’une vaste erreur, une grossière erreur, un regrettable accident, mais au fond, je savais que j’en avais encore envie, malgré tout. Le fait de la savoir si proche de moi me rendait dingue, alors que des pensées pas très catholiques commençaient à envahir mon esprit perturbé par le degré alcoolique de mes consommations. Je fermai les yeux, tentant d’ignorer l’odeur de clope qui devenait obsédante, avant de laisser mes mots couler hors de mes lèvres encore une fois, des mots venimeux et pleins de griefs, comme depuis le début de la conversation.
« - Comment tu peux parler de dignité, tu l’as perdue à mes yeux depuis bien longtemps. Regarde toi Tatiana, bordel! Tu ne ressembles plus à rien! Tu te laisses couler vers le fond, entraînant tes proches dans la déchéance! Tu crois que c’est une vie ça? T’as besoin de critiquer la vie des autres pour t’assurer que la tienne est bien mieux alors qu’au fond tu ne vaux pas plus? Non mais bordel, réagis quoi! Alors montre moi! Montre moi que tu es capable d’être autre chose que ce que tu es actuellement! Donne moi l’occasion de te voir sous un autre jour. Essaie de changer, de t’adapter, d’évoluer un peu. Montre moi alors un visage que je n’ai jamais vu. Si tu y arrives, peut-être que je réviserai mon jugement à ton égard, mais dans le cas contraire, tu m’auras prouvé que t’es incapable d’être autre chose que ce pourquoi on t’a conditionnée. »
Je la regardai d’un œil intense, brûlant. J’avais mis dans mon discours plus de verve et de sentiments que je ne l’aurais voulu, mais je n’étais plus à ça près. Restait à savoir désormais si elle allait accepter ou non la gageure qu’implicitement je lui avais lancée. Les dés, désormais, étaient jetés.
- InvitéInvité
Re: Wanna play the game again? [Tatiana]
Lun 3 Mai 2010 - 1:18
Je ne me considérai pas comme quelqu’un de particulièrement violent. Certes, mes mots avaient toujours été particulièrement cassants, et je blessais avec légèreté, considérant que tout cela n’avait pas d’importance, mais je n’avais jamais cédé au besoin de détruire quelqu’un physiquement. Je ne levais pas non plus ma baguette avec facilité, et je pensais avec dédain que ceux qui se laissaient tenter par cette forme de destruction ne possédaient simplement pas la répartie nécessaire pour répliquer. Je les regardais de haut, immondes barbares qui en venaient à se défigurer pour avoir le plaisir de démontrer une lamentable supériorité qui aurait été écrasée en quelques paroles bien placées. Mon éducation, encore une fois, jouait sans aucun doute un rôle primordial dans ma conception d’une quelconque inimité. La haine était un sentiment qui devait se manipuler avec précaution, les effusions n’étaient pas souhaitables, voire au contraire prohibées. Une grande dame n’aurait pas dû avoir recours à de telles extrémités, une grande dame devait se contenter de laisser transparaître son venin à travers quelques réflexions futiles et un sourire aimable. J’avais toujours suivi cette règle à la lettre, élève appliquée que j’avais un jour été. La bienséance, l’apparence, toutes ces choses qui étaient d’une importance capitale dans mon milieu, quand elles n’étaient considérées que comme risibles chez les autres. Je me targuais d’appartenir à une classe différente, je les snobais avec amusement, je les regardais se battre avec apitoiement, spectatrice muette et pourtant terriblement hautaine. Les cicatrices qui marquent l’âme étaient toujours plus douloureuses que celles qui marquaient la chaire, c’était une des leçons de base, n’avaient-ils donc rien appris ? J’avais pour ma part étudié avec acharnement, mon regard alors curieux de tout s’imprégnant de cette atmosphère si particulière qui n’existait que chez les gens que la richesse n’avait pas fui. La violence par les poings était la consolation des infortunés, quand rien d’autre ne semblait pouvoir les apaiser ; les coups étaient le dernier recours de l’adolescent désespéré, l’instinct de survie qui se réveille lorsqu’il se sentait menacés, acculé contre un mur comme un vulgaire animal traqué. Ignares incertains, imbéciles que je me surprenais à présent à envier. Oh, comme j’avais envie de laisser mes principes sur le côté, ce soir. Je voulais tout oublier, de ma manière de penser à la moindre de mes répliques sarcastiques, je voulais savoir me battre, moi aussi, je voulais lui écraser ce stupide cendrier sur la tête, je voulais être la cause de sa souffrance ; et si j’étais incapable de lui faire du mal moralement, je voulais causer une douleur physique et immortelle sur sa peau blême. Un souvenir imperméable, survivant au temps et à la mémoire qui flanche, je voulais m’imprimer à l’encre noire dans son crâne de toute façon bien trop vide, je voulais qu’il soit incapable de m’oublier, ne serait-ce qu’un seul moment, qu’une seule putain de seconde. Et son mal-être serait beau, il flamboierait à côté du mien, et peut-être serais-je heureuse, enfin. Peut-être serais-je capable d’arrêter de jouer, ne serait-ce que pour une journée, peut-être serais-je satisfaite, ne serait-ce que pour quelques instants d’éternité. Tout serait tellement plus facile, si j’avais eu la faculté de lever ma main, et de l’abattre encore et encore sur son si beau visage. Il n’aurait suffi que de quelques minutes d’égarement, que j’aurais sans doute pu effacer pour ne plus jamais me retourner – mais j’étais une grande dame, et les grandes dames se contentaient de sourire aimablement. Mes prunelles satinées caressèrent son profil, une nouvelle fois, et les questions affluèrent dans mon esprit tandis que je ruminai encore ma si belle éducation. Il aurait pu faire partie de mon monde, les dés étaient changeants et cruels, il aurait pu être mon meilleur ami, tout comme il aurait simplement pu passer au creux de mes draps, comme tant d’autres, sans jamais s’attarder. Notre différence, nos préjugés, qui nous séparaient si bien, prenaient alors une toute autre dimension, nous permettant de nous côtoyer, sans jamais nous apprécier bien sûr. Cela aurait été trop nous en demander, et tant mieux, personne ne le faisait – mais dans ce cas pourquoi étions-nous toujours là, à nous narguer mutuellement ? Pourquoi ne s’en allait-il pas, pourquoi ne tournais-je simplement pas les talons, comme j’aurais dû le faire dès que je l’avais entendu souiller mon nom ? Le jeu se prolongeait sans raison, et la seule excuse que j’étais capable de trouver était l’idée, ma foi lamentable, d’une possible victoire. Je voulais lui faire mal, comme je n’avais jamais souhaité blesser quiconque auparavant, et Merlin ce que j’aurais aimé le voir pleurer. J’oscillai néanmoins toujours autant entre ces pulsions contradictoires, ces instincts primaires que je répugnais à appeler sentiments, car il était pour moi inconcevable d’en éprouver à son égard, aussi sombres eurent-ils été. L’alcool, que je buvais bien trop vite, embrumait peu à peu mon esprit pourtant déjà suffisamment égaré, me compliquant davantage la tâche absurde qui consistait à tenter de distinguer ce que je ressentais. Dégoût et désir étaient d’ailleurs bien trop emmêlés pour que je puisse les séparer, et ce fut avec ce mélange corrosif au fond du regard que je le vis m’adresser une mimique qui s’apparenta bientôt à un sourire.
« -Alors c’est ça les putains de clichés avec lesquels on t’a bourrés le crâne depuis ta plus tendre enfance? Je viens d’un quartier populaire, donc je ne suis pas éduqué et chez nous c’est la jungle? Il faut sortir un peu de ton bled t’sais, le monde réel n’est pas fait de dorures, de champagne, de vêtements hors de prix et de caviar. Le côté bling-bling en rien ne t’apprend la vie, alors ne juge pas Whitaker. Ne juge pas quand on t’a bourré le crâne avec des conneries et des clichés sur certaines catégories de personnes juste pour se donner plus de valeur. C’est une vieille technique ça, de rabaisser les autres pour se sentir plus fort. »
J’avais envie de rire. J’avais envie de rire, et de partir, de le planter là avec ses paroles futiles et ses propres préjugés. Je ne le fis cependant pas, restant sagement à ma place, savourant avec plaisir les paroles qu’il venait d’abattre, comme une ultime provocation à mon égard. Il avait échoué. Il aurait pu mieux frapper, mais cette fois-ci, il avait raté le coche, et ne ressemblait plus qu’à un pauvre enfant infortuné et rebelle qui s’était laissé emporter, comme j’aurais pu le faire quelques instants auparavant. Faiblesse traître dont je me réjouis avidement, ravie de constater qu’il n’était pas aussi infaillible qu’il se plaisait à le démontrer. Il était ridicule, à tenter de m’enseigner ce que je savais déjà, il était ridicule, à tenter de me convaincre d’une chose dont j’étais déjà persuadée. Je n’avais certes pas vécu dans ce qu’il appelait le monde réel, mais qui était-il pour juger une chose qu’il n’avait pas connue ? Il se moquait des clichés dans lesquels j’avais baignés, pour mieux m’étaler sa belle conception de la vie, il parlait avec assurance d’un milieu dans lequel il n’avait pas vécu, me reprochant par la même occasion de faire de même, c’en était risible de mauvaise foi. Certes, il n’avait pas tort sur toute la ligne. J’avais bel et bien assisté à toutes ces réceptions inintéressantes, j’avais bel et bien appris à devenir ce que je n’étais pas au départ, mais qu’importe. Mon enfance, ce n’était pas ça. Mon enfance, c’était mon cousin et moi, nos critiques envers cette famille qui ne nous ressemblait pas, mon enfance, c’était un rêve d’évasion qu’il ne comprendrait pas. Il avait beau prétendre me connaître, il n’avait aucune idée de ce que cela avait pu être, ce qui le rendait soudainement inoffensif à mes yeux, sur ce point du moins. Un sourire moqueur naquit sur mes lèvres rosées, et je le fixai avec un amusement malsain tandis qu’il avalait sa gorgée de Martini, alcool d’ailleurs probablement un peu trop cher pour ses maigres moyens.
« Puisque tu sembles en connaître tant sur le monde réel, mon cher Aldy, montre-moi donc ce à quoi il ressemble. » fis-je d’un ton ironique. Je me tournais quelque peu sur mon tabouret, mes yeux allant fouiller ce pub ma foi un peu vide. Lorsque j’eus trouvé ma cible, je la pointais du doigt avec ravissement, sans aucune pudeur ni même le moindre respect. Il voulait faire de moi une garce aux accessoires dorés, ainsi soit-il. Ma victime du moment s’incarnait sous les traits d’une vieille femme attablée, serrant son verre de bière comme si c’était la dernière chose que l’on lui avait léguée, vêtements qui devaient avoir approximativement le même âge qu’elle : elle était le parfait cliché, elle était mon antithèse. Lorsque je fus sûre qu’il l’avait à son tour remarquée, je me penchai légèrement vers lui, victorieuse. « C’est ça, ton monde réel ? La misère et le désespoir d’une vie qui n’a pas été assez ? La rancœur et la jalousie vis-à-vis de ceux qui ont réussi ? Est-ce de ce monde là que tu me parles, Van Achthoven ? » Je m’interrompis une nouvelle fois, ma bouche frôlant son oreille alors que mon pied venait jouer de façon enfantine avec sa jambe, ménageant mon effet avant de brusquement me reculer, tout en me saisissant de son Martini dont j’avalais rapidement une gorgée. « Si c’est ce que tu appelles le monde réel, je préfère encore mon illusion. Au moins, je n’ai personne à envier. Et surtout pas quelqu’un comme elle… Ou comme toi. »
Je lui tendis son verre avec une moue moqueuse, probablement un peu trop fière de ma tirade et de mon comportement puéril. J’anticipais sa réaction, violente à n’en pas douter, et m’en délectais d’avance. Il y avait jouer et jouer, et je venais de lui lancer toutes mes cartes au visage, espérant l’égratigner au passage. Hors de question de lui retirer ses beaux clichés, qu’il se fourvoie donc dans son arrogance, et qu’il m’imagine dans ma tour d’ivoire, je n’en avais que faire. C’était le rôle que je m’étais donné, c’était un masque qui me collait à la peau, et je n’étais pas prête à le laisser tomber à mes pieds – après tout, il me construisait depuis mes plus jeunes années. Dès les premiers jours, dès le moment où ma mère m’avait sommée de m’entraîner à marcher pour cesser de ressembler à un misérable dans mon attitude qui était, à l’époque, encore un peu garçonne. J’aurais pu être un garçon manqué, si l’on n’avait pas étouffé ce côté de ma personnalité, comme tant d’autres. J’aurais pu être tellement de choses, que ma tête se mettait à tourner dès que j’y songeais ; ou peut-être était-ce l’alcool qui me faisait cet effet, qui sait. Je me sentais soudainement puissante, légère, j’aurais pu m’envoler. Galvanisée par ma réplique qui, avec du recul, m’aurait semblée déplacée, je m’amusais de tout et de rien, comme l’enfant que je n’étais pas, comme l’enfant que je n’avais jamais eu la chance d’interpréter. C’était probablement l’une des raisons qui me poussait à me montrer parfois si immature et mesquine. J’avais tout à portée de main, reine d’une bien glorieuse famille, j’étais et rien à la fois, il fallait bien que je me distraie parfois… Mais c’était sans doute encore l’alcool qui parlait. Que Merlin m’en garde, je ne pouvais pas me permettre d’être ivre, pas maintenant. J’hélais cependant une nouvelle fois le serveur, et commandai un gin tonic. Tant qu’à faire, repoussons ces limites, elles n’ont de toute façon jamais été que de pauvres illusions.
« -Alors restons entre minables. Je veux bien me retrouver confronté à la médiocrité quelques instants. Parce que ce n’est pas moi le plus minable d’entre nous, Tatiana. Contrairement à toi, je daigne regarder comment c’est ailleurs. Contrairement à toi, je daigne ouvrir les yeux. Contrairement à toi, je ne crache pas sur les gens qui sont différent de moi, au contraire, j’aime la différence. Contrairement à toi, je sais mettre dans ma poche mon orgueil et ma connerie pour m’intéresser à d’autres personnes, pour peu qu’elles n’entrent pas dans une putain de case mais savent être dans plusieurs en même temps. Alors oui, peut être que je suis minable. Mais moi au moins j’ai cette putain d’ouverture d’esprit que toi tu n’as pas tellement le balai que tu as dans le cul t’empêche de faire le moindre pas en avant. Alors le jour où tu sauras te lâcher complètement et le jour où tu évolueras enfin, on en reparlera. En attendant, la plus minable, c’est toi! »
Me saisissant de ma nouvelle boisson, que j’ingurgitais avec un peu trop d’empressement, les paroles de mon voisin me parvinrent dans un léger brouillard qui aurait par ailleurs dû me mettre la puce à l’oreille. Je n’y prêtais cependant pas attention, et terminai mon verre bien rapidement, manquant au passage de m’étouffer en entendant ses derniers mots. Je repris bien vite contenance, bien que cette fois-ci, il m’ait blessée. Il me jugeait, une fois de plus, mais ses paroles ne me rappelaient que trop bien ce que j’avais tendance à penser de ma propre personne, et me voir confrontée à mes pires défauts par un inconnu était particulièrement humiliant. Ma rage reprit le dessus, et je me remis à rêver de le voir s’écraser contre ce cher cendrier qui trônait toujours devant moi. Je me saisis lentement d’une autre cigarette, prenant le temps d’assimiler ce qu’il venait de dire. Je sentais sa colère, virulente, mais qui n’était sûrement rien à côté de la mienne. Mon visage se ferma, la joie enfantine qui m’animait alors s’évanouissant tandis que le mépris venait une nouvelle fois se peindre sur mes traits fins. Un mépris que je lui adressais, sans doute, mais qui m’était tout aussi destiné. Je haïssais être prévisible, j’exécrais l’idée même de pouvoir être si facilement cernée ; et si son raisonnement n’était pas sans faille, l’ensemble n’était qu’une analyse trop pertinente. J’avais toujours été incapable de comprendre avec aisance ceux qui m’entouraient, car je ne m’y intéressais pas assez pour les voir tels qu’ils étaient. Je leur collais une étiquette, les casais dans un stéréotype et n’admettais que rarement mon erreur. Je doutais qu’il reconnaisse les siennes, et à vrai dire, je n’avais même pas envie de le détromper. Peut-être étais-je plus minable que lui, au fond. Mais la profondeur ne comptait pas, n’est-ce pas ? Les paroles de ma mère vinrent danser dans mon crâne, et je me sentis vaciller, quand bien même j’étais assise. Il n’y avait et n’y aurait jamais que l’apparence. Et, vue de l’extérieur, j’en étais certaine, je renvoyais une bien meilleure image que lui. Maigre argument que je ne prendrai même pas la peine de lui lancer au visage, tant je le savais futile et subjectif. Je fonctionnais comme ça, ceux qui m’avaient toujours entourée pensaient de la même façon. Dire que je n’avais pas été chercher plus loin aurait été mentir, j’étais loin de la gourde manucurée que je me plaisais à laisser paraître ; je n’avais simplement pas trouvé mieux. Je ne trouvais jamais mieux, car rien n’était jamais assez. Il en déduirait probablement que cela résultait de mon habitude à tout obtenir dès que je le réclamais. Merlin, je le haïssais.
« Effectivement, restons donc entre minables. Tu penses être plus tolérant que moi, Van Achthoven ? N’es-tu pas en train de me cracher des phrases toutes faites depuis tout à l’heure ? Ne te bases-tu pas, toi aussi, sur quelque chose que tu ne connais pas ? Je suis peut-être imbue de moi-même, je ne m’intéresse peut-être pas assez aux autres pour prendre la peine d’élargir mon horizon, mais sache que tu ne vaux pas mieux que moi, parce que tu es rentré dans mon jeu, mon cœur. Tu n’es pas allé voir plus loin, tu t’étouffes dans tes propres putains de préjugés, comme je l’ai fait tant de fois. Je ne te connais sans doute pas, mais ne laisse plus jamais entendre que tu en sais plus à mon sujet. Tu ne voudrais pas commencer à me ressembler, n’est-ce pas ? »
Sous l’impulsion de la colère, ma voix s’était faite haineuse, et mon regard s’était considérablement assombri. Avec lui, j’avais l’impression de passer par toutes les humeurs possibles et inimaginables, et j’en changeais en quelques secondes à peine, quelques mots suffisaient à altérer mon ressenti du moment, j’étais un pantin particulièrement incontrôlable, je m’échappais à moi-même. L’adrénaline me montait à la tête, et je commençais à me sentir nauséeuse – j’avais besoin d’un autre verre. Tirant nerveusement sur ma cigarette, je ne pris même pas la peine de lui cacher mon état, et appelai une nouvelle fois le serveur. Tout plutôt que de l’entendre encore une fois proférer des horreurs auxquelles je n’avais même plus envie de répondre. Je savais pourtant que je le ferai, encore et encore, jusqu’à ce que l’un de nous deux déclare forfait, ou peut-être jusqu’à ce que l’on s’entretue, je suppose que cela dépendait de la tournure que la soirée allait prendre. Commandant cette fois-ci une vodka citron, je tentai de me détendre quelque peu, ma clope ne s’éloignant jamais réellement de ma bouche pincée. . J’avais besoin d’air, et emplissais donc mes poumons de ce que j’avais à portée de main. Je m’empoisonnais l’existence, et j’aimais à me dire que c’était pour éviter que les autres ne le fassent à ma place, bien qu’Aldéric s’arrange avec aisance pour le faire quand même. Et il s’y prenait à merveille. J’en étais au stade où la simple intonation de sa voix résonnait comme une insulte à mes oreilles, où mon nom dans sa bouche me donnait envie de vomir, j’en étais au stade où je me devais de serrer mon verre entre mes doigts toujours aussi glacés pour éviter de lui lancer au visage. Je fermai les yeux, tentant de reprendre une respiration plus calme, quand bien même cette dernière se bornait à rester heurtée, témoignant malheureusement de mon état que je n’avais même plus le courage de cacher. J’étais prête à exploser, bombe à retardement qu’il avait volontairement activée, et je ne savais plus si c’était lui qui était suicidaire, ou bien moi, peut-être aimais-je ça, au fond, et Merlin, la question revint encore une fois : pourquoi ne m’en allais-je pas ? J’avais sans doute raté l’une ou l’autre de ses répliques, tandis que je m’efforçais de me concentrer sur ma boisson, ou encore sur la porte, songeant pendant quelques secondes hésitantes à m’éclipser définitivement et à le snober jusqu’à la fin de sa scolarité, et tout se mélangeait dans ma tête, jusqu’à ce qu’elle en devienne douloureuse, je bus une gorgée de ma vodka, rafraichissante mais n’aidant pas vraiment à me décider, et il le fit pour moi en reprenant la parole, heureusement, car sinon je serais restée là, sans savoir quoi faire, et il fallait que j’arrête de penser, maintenant.
« - Comment tu peux parler de dignité, tu l’as perdue à mes yeux depuis bien longtemps. Regarde-toi Tatiana, bordel! Tu ne ressembles plus à rien! Tu te laisses couler vers le fond, entraînant tes proches dans la déchéance! Tu crois que c’est une vie ça? T’as besoin de critiquer la vie des autres pour t’assurer que la tienne est bien mieux alors qu’au fond tu ne vaux pas plus? Non mais bordel, réagis quoi! Alors montre-moi! Montre-moi que tu es capable d’être autre chose que ce que tu es actuellement! Donne-moi l’occasion de te voir sous un autre jour. Essaie de changer, de t’adapter, d’évoluer un peu. Montre-moi alors un visage que je n’ai jamais vu. Si tu y arrives, peut-être que je réviserai mon jugement à ton égard, mais dans le cas contraire, tu m’auras prouvé que t’es incapable d’être autre chose que ce pourquoi on t’a conditionnée. »
Il me fallut un certain temps pour comprendre ce qu’il était en train de raconter, mais quand cela fut fait, j’éclatai de rire, à nouveau terriblement amusée. Croyait-il vraiment que j’en avais quelque chose à faire de ce qu’il pensait de ma dignité ? Et si je ne ressemblais à rien, pourquoi avait-il toujours envie de moi ? Pourquoi s’acharnait-il à essayer de se prouver à lui-même que j’étais autre chose qu’une petite bourgeoise hautaine et sarcastique ? Et pour finir, pourquoi le ferais-je ? Je n’avais rien à lui prouver. Il ne m’intéressait pas. Mes questions, néanmoins, bien que légitimes, restèrent bloquées au fond de ma gorge, et c’est après avoir terminé mon verre que me vint une idée. Je détestais qu’on me défie, et trouvais généralement un moyen d’y échapper. J’avais à ce moment précis plusieurs façons de le faire, mais je voulais jouer – mieux encore, je voulais gagner. Ce fut donc avec un large sourire que je me levai, étonnamment stable compte tenu de l'alcool qui coulait en ce moment dans mes veines, et que je posai mes yeux sur les gens qui lui servaient d’amis. Sans le regarder, je me mordis les lèvres.
« Bien. Présente-moi donc tes amis, darling. »
Et je l’attrapai par la main, comme l’amante aimante que je n'étais pas, le tirant derrière moi vers ce qui aurait dû m’apparaître comme une très mauvaise idée.
« -Alors c’est ça les putains de clichés avec lesquels on t’a bourrés le crâne depuis ta plus tendre enfance? Je viens d’un quartier populaire, donc je ne suis pas éduqué et chez nous c’est la jungle? Il faut sortir un peu de ton bled t’sais, le monde réel n’est pas fait de dorures, de champagne, de vêtements hors de prix et de caviar. Le côté bling-bling en rien ne t’apprend la vie, alors ne juge pas Whitaker. Ne juge pas quand on t’a bourré le crâne avec des conneries et des clichés sur certaines catégories de personnes juste pour se donner plus de valeur. C’est une vieille technique ça, de rabaisser les autres pour se sentir plus fort. »
J’avais envie de rire. J’avais envie de rire, et de partir, de le planter là avec ses paroles futiles et ses propres préjugés. Je ne le fis cependant pas, restant sagement à ma place, savourant avec plaisir les paroles qu’il venait d’abattre, comme une ultime provocation à mon égard. Il avait échoué. Il aurait pu mieux frapper, mais cette fois-ci, il avait raté le coche, et ne ressemblait plus qu’à un pauvre enfant infortuné et rebelle qui s’était laissé emporter, comme j’aurais pu le faire quelques instants auparavant. Faiblesse traître dont je me réjouis avidement, ravie de constater qu’il n’était pas aussi infaillible qu’il se plaisait à le démontrer. Il était ridicule, à tenter de m’enseigner ce que je savais déjà, il était ridicule, à tenter de me convaincre d’une chose dont j’étais déjà persuadée. Je n’avais certes pas vécu dans ce qu’il appelait le monde réel, mais qui était-il pour juger une chose qu’il n’avait pas connue ? Il se moquait des clichés dans lesquels j’avais baignés, pour mieux m’étaler sa belle conception de la vie, il parlait avec assurance d’un milieu dans lequel il n’avait pas vécu, me reprochant par la même occasion de faire de même, c’en était risible de mauvaise foi. Certes, il n’avait pas tort sur toute la ligne. J’avais bel et bien assisté à toutes ces réceptions inintéressantes, j’avais bel et bien appris à devenir ce que je n’étais pas au départ, mais qu’importe. Mon enfance, ce n’était pas ça. Mon enfance, c’était mon cousin et moi, nos critiques envers cette famille qui ne nous ressemblait pas, mon enfance, c’était un rêve d’évasion qu’il ne comprendrait pas. Il avait beau prétendre me connaître, il n’avait aucune idée de ce que cela avait pu être, ce qui le rendait soudainement inoffensif à mes yeux, sur ce point du moins. Un sourire moqueur naquit sur mes lèvres rosées, et je le fixai avec un amusement malsain tandis qu’il avalait sa gorgée de Martini, alcool d’ailleurs probablement un peu trop cher pour ses maigres moyens.
« Puisque tu sembles en connaître tant sur le monde réel, mon cher Aldy, montre-moi donc ce à quoi il ressemble. » fis-je d’un ton ironique. Je me tournais quelque peu sur mon tabouret, mes yeux allant fouiller ce pub ma foi un peu vide. Lorsque j’eus trouvé ma cible, je la pointais du doigt avec ravissement, sans aucune pudeur ni même le moindre respect. Il voulait faire de moi une garce aux accessoires dorés, ainsi soit-il. Ma victime du moment s’incarnait sous les traits d’une vieille femme attablée, serrant son verre de bière comme si c’était la dernière chose que l’on lui avait léguée, vêtements qui devaient avoir approximativement le même âge qu’elle : elle était le parfait cliché, elle était mon antithèse. Lorsque je fus sûre qu’il l’avait à son tour remarquée, je me penchai légèrement vers lui, victorieuse. « C’est ça, ton monde réel ? La misère et le désespoir d’une vie qui n’a pas été assez ? La rancœur et la jalousie vis-à-vis de ceux qui ont réussi ? Est-ce de ce monde là que tu me parles, Van Achthoven ? » Je m’interrompis une nouvelle fois, ma bouche frôlant son oreille alors que mon pied venait jouer de façon enfantine avec sa jambe, ménageant mon effet avant de brusquement me reculer, tout en me saisissant de son Martini dont j’avalais rapidement une gorgée. « Si c’est ce que tu appelles le monde réel, je préfère encore mon illusion. Au moins, je n’ai personne à envier. Et surtout pas quelqu’un comme elle… Ou comme toi. »
Je lui tendis son verre avec une moue moqueuse, probablement un peu trop fière de ma tirade et de mon comportement puéril. J’anticipais sa réaction, violente à n’en pas douter, et m’en délectais d’avance. Il y avait jouer et jouer, et je venais de lui lancer toutes mes cartes au visage, espérant l’égratigner au passage. Hors de question de lui retirer ses beaux clichés, qu’il se fourvoie donc dans son arrogance, et qu’il m’imagine dans ma tour d’ivoire, je n’en avais que faire. C’était le rôle que je m’étais donné, c’était un masque qui me collait à la peau, et je n’étais pas prête à le laisser tomber à mes pieds – après tout, il me construisait depuis mes plus jeunes années. Dès les premiers jours, dès le moment où ma mère m’avait sommée de m’entraîner à marcher pour cesser de ressembler à un misérable dans mon attitude qui était, à l’époque, encore un peu garçonne. J’aurais pu être un garçon manqué, si l’on n’avait pas étouffé ce côté de ma personnalité, comme tant d’autres. J’aurais pu être tellement de choses, que ma tête se mettait à tourner dès que j’y songeais ; ou peut-être était-ce l’alcool qui me faisait cet effet, qui sait. Je me sentais soudainement puissante, légère, j’aurais pu m’envoler. Galvanisée par ma réplique qui, avec du recul, m’aurait semblée déplacée, je m’amusais de tout et de rien, comme l’enfant que je n’étais pas, comme l’enfant que je n’avais jamais eu la chance d’interpréter. C’était probablement l’une des raisons qui me poussait à me montrer parfois si immature et mesquine. J’avais tout à portée de main, reine d’une bien glorieuse famille, j’étais et rien à la fois, il fallait bien que je me distraie parfois… Mais c’était sans doute encore l’alcool qui parlait. Que Merlin m’en garde, je ne pouvais pas me permettre d’être ivre, pas maintenant. J’hélais cependant une nouvelle fois le serveur, et commandai un gin tonic. Tant qu’à faire, repoussons ces limites, elles n’ont de toute façon jamais été que de pauvres illusions.
« -Alors restons entre minables. Je veux bien me retrouver confronté à la médiocrité quelques instants. Parce que ce n’est pas moi le plus minable d’entre nous, Tatiana. Contrairement à toi, je daigne regarder comment c’est ailleurs. Contrairement à toi, je daigne ouvrir les yeux. Contrairement à toi, je ne crache pas sur les gens qui sont différent de moi, au contraire, j’aime la différence. Contrairement à toi, je sais mettre dans ma poche mon orgueil et ma connerie pour m’intéresser à d’autres personnes, pour peu qu’elles n’entrent pas dans une putain de case mais savent être dans plusieurs en même temps. Alors oui, peut être que je suis minable. Mais moi au moins j’ai cette putain d’ouverture d’esprit que toi tu n’as pas tellement le balai que tu as dans le cul t’empêche de faire le moindre pas en avant. Alors le jour où tu sauras te lâcher complètement et le jour où tu évolueras enfin, on en reparlera. En attendant, la plus minable, c’est toi! »
Me saisissant de ma nouvelle boisson, que j’ingurgitais avec un peu trop d’empressement, les paroles de mon voisin me parvinrent dans un léger brouillard qui aurait par ailleurs dû me mettre la puce à l’oreille. Je n’y prêtais cependant pas attention, et terminai mon verre bien rapidement, manquant au passage de m’étouffer en entendant ses derniers mots. Je repris bien vite contenance, bien que cette fois-ci, il m’ait blessée. Il me jugeait, une fois de plus, mais ses paroles ne me rappelaient que trop bien ce que j’avais tendance à penser de ma propre personne, et me voir confrontée à mes pires défauts par un inconnu était particulièrement humiliant. Ma rage reprit le dessus, et je me remis à rêver de le voir s’écraser contre ce cher cendrier qui trônait toujours devant moi. Je me saisis lentement d’une autre cigarette, prenant le temps d’assimiler ce qu’il venait de dire. Je sentais sa colère, virulente, mais qui n’était sûrement rien à côté de la mienne. Mon visage se ferma, la joie enfantine qui m’animait alors s’évanouissant tandis que le mépris venait une nouvelle fois se peindre sur mes traits fins. Un mépris que je lui adressais, sans doute, mais qui m’était tout aussi destiné. Je haïssais être prévisible, j’exécrais l’idée même de pouvoir être si facilement cernée ; et si son raisonnement n’était pas sans faille, l’ensemble n’était qu’une analyse trop pertinente. J’avais toujours été incapable de comprendre avec aisance ceux qui m’entouraient, car je ne m’y intéressais pas assez pour les voir tels qu’ils étaient. Je leur collais une étiquette, les casais dans un stéréotype et n’admettais que rarement mon erreur. Je doutais qu’il reconnaisse les siennes, et à vrai dire, je n’avais même pas envie de le détromper. Peut-être étais-je plus minable que lui, au fond. Mais la profondeur ne comptait pas, n’est-ce pas ? Les paroles de ma mère vinrent danser dans mon crâne, et je me sentis vaciller, quand bien même j’étais assise. Il n’y avait et n’y aurait jamais que l’apparence. Et, vue de l’extérieur, j’en étais certaine, je renvoyais une bien meilleure image que lui. Maigre argument que je ne prendrai même pas la peine de lui lancer au visage, tant je le savais futile et subjectif. Je fonctionnais comme ça, ceux qui m’avaient toujours entourée pensaient de la même façon. Dire que je n’avais pas été chercher plus loin aurait été mentir, j’étais loin de la gourde manucurée que je me plaisais à laisser paraître ; je n’avais simplement pas trouvé mieux. Je ne trouvais jamais mieux, car rien n’était jamais assez. Il en déduirait probablement que cela résultait de mon habitude à tout obtenir dès que je le réclamais. Merlin, je le haïssais.
« Effectivement, restons donc entre minables. Tu penses être plus tolérant que moi, Van Achthoven ? N’es-tu pas en train de me cracher des phrases toutes faites depuis tout à l’heure ? Ne te bases-tu pas, toi aussi, sur quelque chose que tu ne connais pas ? Je suis peut-être imbue de moi-même, je ne m’intéresse peut-être pas assez aux autres pour prendre la peine d’élargir mon horizon, mais sache que tu ne vaux pas mieux que moi, parce que tu es rentré dans mon jeu, mon cœur. Tu n’es pas allé voir plus loin, tu t’étouffes dans tes propres putains de préjugés, comme je l’ai fait tant de fois. Je ne te connais sans doute pas, mais ne laisse plus jamais entendre que tu en sais plus à mon sujet. Tu ne voudrais pas commencer à me ressembler, n’est-ce pas ? »
Sous l’impulsion de la colère, ma voix s’était faite haineuse, et mon regard s’était considérablement assombri. Avec lui, j’avais l’impression de passer par toutes les humeurs possibles et inimaginables, et j’en changeais en quelques secondes à peine, quelques mots suffisaient à altérer mon ressenti du moment, j’étais un pantin particulièrement incontrôlable, je m’échappais à moi-même. L’adrénaline me montait à la tête, et je commençais à me sentir nauséeuse – j’avais besoin d’un autre verre. Tirant nerveusement sur ma cigarette, je ne pris même pas la peine de lui cacher mon état, et appelai une nouvelle fois le serveur. Tout plutôt que de l’entendre encore une fois proférer des horreurs auxquelles je n’avais même plus envie de répondre. Je savais pourtant que je le ferai, encore et encore, jusqu’à ce que l’un de nous deux déclare forfait, ou peut-être jusqu’à ce que l’on s’entretue, je suppose que cela dépendait de la tournure que la soirée allait prendre. Commandant cette fois-ci une vodka citron, je tentai de me détendre quelque peu, ma clope ne s’éloignant jamais réellement de ma bouche pincée. . J’avais besoin d’air, et emplissais donc mes poumons de ce que j’avais à portée de main. Je m’empoisonnais l’existence, et j’aimais à me dire que c’était pour éviter que les autres ne le fassent à ma place, bien qu’Aldéric s’arrange avec aisance pour le faire quand même. Et il s’y prenait à merveille. J’en étais au stade où la simple intonation de sa voix résonnait comme une insulte à mes oreilles, où mon nom dans sa bouche me donnait envie de vomir, j’en étais au stade où je me devais de serrer mon verre entre mes doigts toujours aussi glacés pour éviter de lui lancer au visage. Je fermai les yeux, tentant de reprendre une respiration plus calme, quand bien même cette dernière se bornait à rester heurtée, témoignant malheureusement de mon état que je n’avais même plus le courage de cacher. J’étais prête à exploser, bombe à retardement qu’il avait volontairement activée, et je ne savais plus si c’était lui qui était suicidaire, ou bien moi, peut-être aimais-je ça, au fond, et Merlin, la question revint encore une fois : pourquoi ne m’en allais-je pas ? J’avais sans doute raté l’une ou l’autre de ses répliques, tandis que je m’efforçais de me concentrer sur ma boisson, ou encore sur la porte, songeant pendant quelques secondes hésitantes à m’éclipser définitivement et à le snober jusqu’à la fin de sa scolarité, et tout se mélangeait dans ma tête, jusqu’à ce qu’elle en devienne douloureuse, je bus une gorgée de ma vodka, rafraichissante mais n’aidant pas vraiment à me décider, et il le fit pour moi en reprenant la parole, heureusement, car sinon je serais restée là, sans savoir quoi faire, et il fallait que j’arrête de penser, maintenant.
« - Comment tu peux parler de dignité, tu l’as perdue à mes yeux depuis bien longtemps. Regarde-toi Tatiana, bordel! Tu ne ressembles plus à rien! Tu te laisses couler vers le fond, entraînant tes proches dans la déchéance! Tu crois que c’est une vie ça? T’as besoin de critiquer la vie des autres pour t’assurer que la tienne est bien mieux alors qu’au fond tu ne vaux pas plus? Non mais bordel, réagis quoi! Alors montre-moi! Montre-moi que tu es capable d’être autre chose que ce que tu es actuellement! Donne-moi l’occasion de te voir sous un autre jour. Essaie de changer, de t’adapter, d’évoluer un peu. Montre-moi alors un visage que je n’ai jamais vu. Si tu y arrives, peut-être que je réviserai mon jugement à ton égard, mais dans le cas contraire, tu m’auras prouvé que t’es incapable d’être autre chose que ce pourquoi on t’a conditionnée. »
Il me fallut un certain temps pour comprendre ce qu’il était en train de raconter, mais quand cela fut fait, j’éclatai de rire, à nouveau terriblement amusée. Croyait-il vraiment que j’en avais quelque chose à faire de ce qu’il pensait de ma dignité ? Et si je ne ressemblais à rien, pourquoi avait-il toujours envie de moi ? Pourquoi s’acharnait-il à essayer de se prouver à lui-même que j’étais autre chose qu’une petite bourgeoise hautaine et sarcastique ? Et pour finir, pourquoi le ferais-je ? Je n’avais rien à lui prouver. Il ne m’intéressait pas. Mes questions, néanmoins, bien que légitimes, restèrent bloquées au fond de ma gorge, et c’est après avoir terminé mon verre que me vint une idée. Je détestais qu’on me défie, et trouvais généralement un moyen d’y échapper. J’avais à ce moment précis plusieurs façons de le faire, mais je voulais jouer – mieux encore, je voulais gagner. Ce fut donc avec un large sourire que je me levai, étonnamment stable compte tenu de l'alcool qui coulait en ce moment dans mes veines, et que je posai mes yeux sur les gens qui lui servaient d’amis. Sans le regarder, je me mordis les lèvres.
« Bien. Présente-moi donc tes amis, darling. »
Et je l’attrapai par la main, comme l’amante aimante que je n'étais pas, le tirant derrière moi vers ce qui aurait dû m’apparaître comme une très mauvaise idée.
- InvitéInvité
Re: Wanna play the game again? [Tatiana]
Mer 5 Mai 2010 - 16:02
La haine, c’était trop facile. Haïr ne demandait aucun effort particulier,les moindres faits et gestes tout à fait irritants chez quelqu’un peuvent devenir un motif pour dénigrer, critiquer, rabaisser plus bas que terre. Outre ce qui était tout à fait critiquable, parfois, la haine ne s’expliquait pas. On ne pouvait pas mettre de mots dessus, le dégoût était viscéral, profond, latent. La simple vue de l’autre semblait nauséabonde, une simple parole, même des plus innocentes, sans réelle intention de nuire ou sans que ça nous soit destiné suffisait à déclencher une colère sans bornes, une rage indicible. N’importe quelle excuse suffisait pour justifier cette animosité, même les plus minables, même le simple « c’est comme ça ». Et pourtant, haïr, c’était éprouvant. Haïr modifiait profondément notre psychologie, notre façon d’agir. La simple parole pouvait dégénérer en agressivité, la caresse pouvait devenir griffure, le simple geste pouvait devenir coup de poing ou coup de pied. Peu importe finalement la façon dont c’était fait, le tout était d’extérioriser, et peu importent les conséquences. Tatiana m’insupportait, ce n’était même plus à démontrer. Tout en elle m’irritait, ses gestes, ses paroles, son putain de parfum qui me faisait tourner la tête comme une putain de toupie. Le simple fait qu’elle puisse me mettre sens dessus dessous et me rendre aussi fébrile était mon excuse pour la haïr. Je n’aimais pas être faible, montrer qu’on pouvait m’atteindre. Je m’étais efforcé de construire autour de moi cette armure, pour me protéger, me bâtir un sanctuaire impénétrable. Je n’en laissais l’accès à personne, c’était même à croire si je n’en avais pas perdu la clé, si je n’avais même pas cherché à en laisser l’accès apparent pour quiconque le voudrait. Non, j’avais détruit impitoyablement tout ce qui était susceptible de me rattacher au commun des mortels, de me créer des liens avec autrui. Je m’étais rendu inaccessible, peut-être dans un pur élan d’arrogance. J’avais d’office déclaré les gens indignes de faire partie de mon cercle, je les avais exclus de ma vie. Au fond, je me complaisais dans la solitude, tout comme je me complaisais dans ce pathétique rôle de composition. Briser le miroir n’avait servi à rien, le même putain de reflet me regardait tous les matins, avec toujours la même expression, toujours le même regard vide, toujours les mêmes foutues cicatrices au corps, pâle reflets de celle que j’avais au cœur. Dans le miroir, c’était bien moi, mais je ne me reconnaissais pas. A force de jouer, de tromper, de mentir, que ce soit aux autres ou à moi-même, j’avais fini par me perdre de vue, par ne plus ressembler à rien. Juste à un pantin débitant des discours décousus, limite simplets, qui se voulaient pourtant philosophiques. Je me faisais honte, mais mon scénario voulait que j’eusse l’air de croire que j’étais le type le plus extraordinaire qu’il soit, et que mes propos reflètent la stricte vérité. Je voulais m’efforcer d’avoir de la conviction, de croire en ce que je disais. Même si j’exprimais mon avis, n’empêche qu’au fond je n’y croyais pas tant que ça. Je grimaçais intérieurement à mes propres paroles, tellement elles sonnaient faux. Faux, comme ce que j’étais, faux comme Tatiana. Faux comme ce monde qui nous entourait, faux comme tout ce qu’on avait pu nous apprendre et qui ne faisait que nous diviser. Le pire est qu’on tenait tous les deux à avoir raison, à vouloir persuader que seule notre parole était juste. Pourtant, ni l’un ni l’autre n’avions raison, gangrenés par nos propres préjugés, ayant un vécu tout à fait différent qui, dans le fond, ne nous permettait pas d’avoir assez de recul pour pouvoir juger l’autre. Notre jugement respectif manquait cruellement d’objectivité, elle se trompait sur ma personne tout comme elle pouvait se tromper sur la mienne. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne voulions lâcher l’affaire, étant trop fiers pour cela. Il n’en résultait qu’un échange de mots futiles et sans grand intérêt, émanant des deux parties. J’étais malgré tout à prendre en ligne de compte.
« Puisque tu sembles en connaître tant sur le monde réel, mon cher Aldy, montre-moi donc ce à quoi il ressemble. »
Je me contentais de la regarder, impassible. Je savais qu’elle aussi refusait de lâcher le morceau, dans son élan de fierté mal placée, comme cela était coutumier entre nous. Je m’efforçais de garder contenance bien que ma patience commençait à s’effriter. Si certains avaient l’alcool triste, je l’avais plutôt violent. J’avais d’office cette agressivité toute naturelle, étant de toute façon toujours sur la défensive. Il suffisait d’un rien pour que je m’emballe, pour que je me laisse piéger par cet alcool grisant qu’était la colère. Sobre, j’étais déjà suffisamment instable, tant il m’arrivait de regarder les gens comme si j’allais les bouffer, tant je changeais d’humeur d’une seconde à l’autre. Personne ne savait comment me prendre, un rien suffisait à m’irriter. Alors que l’alcool montait doucement mais sûrement, empoisonnant mon esprit et la perception que j’avais alors des évènements, semant le trouble dans mes pensées déjà bien assez perturbées par la simple présence de la Whitaker, trouble qui allait bien au-delà de la simple gêne. Je n’étais nullement gêné en sa présence, n’étant pas spécialement prude, mais je la désirais plus que de raison. Pour le coup, la haine côtoyait le désir, avec une adéquation parfaite, tellement parfaite qu’elle était à en pleurer. Je m’en foutais complètement d’attiser sa fureur, peut-être au fond était-ce ce que je recherchais, je voulais la pousser à bout, derrière ses derniers retranchements. Je voulais qu’elle finisse par me faire mal, par mordre mes lèvres avec avidité alors qu’elle les embrasserait, que ses ongles labourent chaque centimètre carré de peau, qu’elle me meurtrisse, que par sa faute ma peau blême se couvre d’ecchymoses. Mon côté masochiste désirait tout cela, demandait à corps et à cris que mon désir malsain soit assouvi dans la violence. Je voulais souffrir, pour me prouver que je n’étais pas mort, que j’étais même encore bien en vie. Mais ma fierté me poussait à ne pas me rabaisser à une telle condition, mon orgueil mal placé ne se remettrait pas d’un tel affront, d’une telle sujétion. Là encore, la raison –ou ce qui pour moi en faisait office- prenait le pas sur mes passions violentes, les anéantissant sans pitié. Sans rien laisser voir de la lutte intérieure qui sévissait, je serrai imperceptiblement mon emprise sur mon verre, que j’aurais été capable de briser. Je pinçai mes lèvres d’un air désapprobateur, ma mauvaise foi se révoltant une fois de plus. Elle venait de désigner une vieille dame du doigt, à l’aspect miséreux et passablement glauque. Je me mordillai la lèvre inférieure, l’air pensif, mais aussi pour me faire violence, ce serait bête de laisser quelques malheureux mots s’échapper afin de mieux envenimer une conversation déjà bien trop vive.
« C’est ça, ton monde réel ? La misère et le désespoir d’une vie qui n’a pas été assez ? La rancœur et la jalousie vis-à-vis de ceux qui ont réussi ? Est-ce de ce monde là que tu me parles, Van Achthoven ? »
Je m’exhortai de ne pas répliquer, de tempérer ma fureur qui menaçait à chaque instant d’éclater, vive et insidieuse. La façon dont elle parlait de moi, les sous-entendus clairement formés ne me plaisaient pas, loin de là même. Ma nervosité devenait trop difficile à cacher, je martelais de mes doigts le rebord de mon verre, luttant contre mon manque de nicotine qui se faisait plus présent chaque seconde qui passait, manque mitigé à l’énervement qui montait de façon exponentielle. Elle ne savait rien de ma vie, de mes vieux démons, de mes craintes. Et pourtant elle venait d’appuyer sur les cordes sensibles. A savoir la réussite, le succès, ce dont j’étais incapable pour le moment. Je n’aimais pas cela du tout, ses paroles étant affreuses de vérité. Mais je refusais de l’admettre. Peut-être que seul, je ruminerais ses paroles, me remémorant à quel point elle pouvait avoir raison. Mais là, maintenant, il en était hors de question, mon orgueil étant trop grand, ma fierté voulait que je reste impassible, encore et encore. Je serais en train de crever, lamentablement laminé par mon adversaire, je serai encore en train de me battre, tenant à mon honneur comme un molosse qui ne parviendrait pas à lâcher son os. J’étais tenace, bien plus qu’on ne croit. De la ténacité, il en avait fallu pour que j’en arrive là où j’en étais, pour ne pas flancher. Mais à mon grand déplaisir, mes bonnes résolutions foutaient le camp, poussées à l’extérieur par des émotions bien trop vivaces, bien trop facilement exprimées. Je sursautai légèrement lorsqu’elle se pencha à nouveau vers moi, comme une ultime provocation, son pied jouant délibérément avec ma jambe. Avant de se servir de mon verre, me faisant encore plus enrager. J’étais en train de bouillir intérieurement, retenant tant bien que mal ma raison qui se barrait, raison qui m’empêchait de craquer et de tout foutre en l’air, de lacérer son visage de poupée, de la briser en mille morceaux, mais ma pulsion sadique fut noyée dans les prochains mots qu’elle me dédia, encore plus moqueurs que les précédents.
« Si c’est ce que tu appelles le monde réel, je préfère encore mon illusion. Au moins, je n’ai personne à envier. Et surtout pas quelqu’un comme elle… Ou comme toi. »
je ne répondis rien, sur le moment, me contentant de demeurer lèvres pincées, me voulant le plus impassible qu’il eût été en mon pouvoir. J’en étais réduit à devoir prendre sur moi de façon monstrueuse pour ne pas me laisser emporter par la vague de rage qui menaçait de jaillir. J’étais tellement imbu de moi-même que j’étais tout aussi persuadé que j’étais capable de me maîtriser, quoiqu’il arrive. Mais force est de constater que j’en étais incapable, les émotions étaient trop fortes, tout commençait sérieusement à partir en couilles. Tout comme mes bonnes résolutions. Je ne pouvais décemment pas me contenter de rester là sans rien dire, ma fierté était telle qu’elle me poussait à répliquer, encore et encore, à me défendre jusqu’à ce que mort s’en suive, jamais, au grand jamais, je n’aurais accepté d’être occis par quelqu’un d’autre. Tout ceci me poussait à commettre des actes irréfléchis, à laisser ma parole couler sous l’effet de la colère. Je ne me contrôlais plus, mes gestes n’étaient pas les miens, ces mots m’étaient inconnus, même si je les disais.
« - Alors quoi ? Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Le monde réel ce n’est pas ça non plus Tatiana. Le monde réel ce n’est pas une caricature. Le monde c’est la difficulté. C’est de devoir bosser pour obtenir quelque chose et non de claquer dans les doigts pour l’avoir. Le monde réel, c’est avoir conscience que tout ne t’est pas acquis, que tout peut t’être retiré du jour au lendemain. Le monde est gouverné par le fric et par le cul, le monde n’est qu’une vaste fumisterie où on doit se démerder pour survivre. »
Survivre, un bien grand mot, mais pas si loin de la réalité quand on regardait bien. J’avais moi aussi dû me débrouiller, me défendre face à la vie. Comme un guerrier j’étais parti au front, j’avais été touché, puis blessé, avec des lézardes au cœur à réparer. Je m’étais fait une sale idée de la vie, une vision plutôt pessimiste. Je ne demandais qu’une chose, qu’on soit enfin capable de me faire changer d’avis. Mais où était le mal à s’illusionner ? C’était le propre de l’être humain, que de se nourrir d’illusions, dans un espoir futile et ô combien universel de s’en sortir enfin. On ne m’avait pas illusionné en me jetant dans une cage dorée. L’illusion me venait de toutes les saloperies que je m’injectais ou sniffais. Il me suffisait d’un rail de coke pour que le monde réel ne soit plus qu’un souvenir. Tout me paraissait alors plus beau, je me sentais invincible. Une illusion, tout comme le fait que je croyais me connaître sur le bout des ongles en était une. Je passai mon doigt distraitement sur le rebord de mon verre, avant de murmurer, légèrement songeur.
« -Tu vois, même ça c’est de l’illusion en bouteille. Tu crois que t’es heureux avec ça, mais c’est plus traître qu’autre chose. Plus tu en as, plus t’en as besoin. Et plus t’en as, moins ça va. »
L’amertume se devinait clairement à travers ma voix, pourtant je me voulais toujours aussi impassible, presque étranger à la scène où j’étais pourtant un des acteurs principaux. Je ne pus m’empêcher de penser à ma mère, qui tenait depuis longtemps grâce à tout ça, mais qui n’était pas plus heureuse pour autant, bien au contraire, elle semblait dépérir de jour en jour. Je ne savais pas trop comment c’était à la maison,pour la simple et bonne raison que je n’y ai pas mis les pieds depuis que je suis entré à Hungcalf. Les simples lettres que ma mère continuait à m’écrire ne permettaient pas de me faire une idée plus précise sur mon état, on pouvait dissimuler tant de choses derrière de simples paroles, à l’écrit le mensonge paraissait encore plus sincère qu’à l’oral. Ma fureur était retombée d’un coup, remplacée par la lassitude, une lassitude qui se muait peu à peu en amertume. Un sale goût qui était resté sur le bout de la langue, et qui ne voulait pas partir, même après quelques gorgées d’alcool. J’aurais voulu boire un peu plus, et perdre quelques neurones en route, suffisamment pour m’interdire de penser, de tout ressasser. J’étais calmé, pour un temps, ne restait plus qu’à tempérer mon cœur qui battait à une allure folle, et qui en était presque douloureux.
« Effectivement, restons donc entre minables. Tu penses être plus tolérant que moi, Van Achthoven ? N’es-tu pas en train de me cracher des phrases toutes faites depuis tout à l’heure ? Ne te bases-tu pas, toi aussi, sur quelque chose que tu ne connais pas ? Je suis peut-être imbue de moi-même, je ne m’intéresse peut-être pas assez aux autres pour prendre la peine d’élargir mon horizon, mais sache que tu ne vaux pas mieux que moi, parce que tu es rentré dans mon jeu, mon cœur. Tu n’es pas allé voir plus loin, tu t’étouffes dans tes propres putains de préjugés, comme je l’ai fait tant de fois. Je ne te connais sans doute pas, mais ne laisse plus jamais entendre que tu en sais plus à mon sujet. Tu ne voudrais pas commencer à me ressembler, n’est-ce pas ? »
Je pinçai une nouvelle fois les lèvres, l’agacement me bourdonnant aux tempes, agacement que je ne parvenais pas à éloigner, ou plus généralement, à gérer. Je finis de boire mon verre, avant qu’elle ne s’en charge, sentant avec dégoût l’alcool me chauffer les joues. Dieu, que j’avais envie de balancer ce verre, de le voir se fracasser sur le mur d’en face, ou peut-être même sur le pauvre barman qui n’avait rien demandé à personne. N’importe qui pouvant servir d’exutoire pour apaiser ma propre fureur, qui une nouvelle fois menaçait. Je m’exhortai au calme, mes poings s’étaient refermés, serrés à m’en couper les paumes. Les jointures blanchies, je dissimulai l’ensemble grotesque dans les poches de mon blouson, ruminant contre le fait que je n’avais pas de clopes. Je finis par en taxer une à mon voisin, en soupirant presque de bonheur alors que j’exhalai la première bouffée.
« -Tu as raison, il n’y aurait pas pire humiliation que de te ressembler. Qui voudrait ressembler à ça de toute façon ? Tu es squelettique. Rachitique. Tu tiens à peine debout. T’es trop pâle. On dirait une morte. Tu n’as rien à faire ici Whitaker. Le monde des vivants n’est pas pour toi. Regarde les. Ils arrivent à rire. A pleurer. A aimer. A vivre. Et nous dans tout ça, on est quoi ? On ne fait pas partie de leur monde, Tatiana. On aura au moins ça en commun. On ne fait que de survivre. »
J’avais admis que je n’étais pas plus vivant qu’elle. Et je me sentais lâche. A la seconde près où j’avais prononcé ces mots assassins, je m’étais détesté, pour lui avoir craché à la figure ma sentence immonde, le coup de grâce. J’avais été lâche en la critiquant sur son état. Alors que je me doutais bien ce qu’elle avait. Je me rappelais ces maigreurs presque effrayantes. Son corps presque réduit à l’état de squelette. Elle n’était même plus belle, et j’en étais venu à me demander pourquoi je la désirais encore, malgré tout. C’était bien ironique comme situation. Une fille squelettique et un déchet humain, on ne pouvait pas rêver mieux comme couple. Je faillis me marrer comme un con à ma dernière remarque, avant de reprendre mon sérieux, l’air las. Deux fois que j’avais parlé de survie. La vie m’était-elle aussi éprouvante pour que j’en pense cela ? Si ce que je lui disais la faisait rire, tant mieux. Je ne relevai pas, occupé à fumer ma clope nouvellement acquise. J’arquai un sourcil alors qu’elle se levait, ne vacillant même pas. Je ne fis que de pivoter sur mon tabouret, pour la regarder bien en face. Ainsi donc elle se défilait ?
« Bien. Présente-moi donc tes amis, darling. »
J’affichai un grand sourire, savourant cette demi-victoire. Je me laissai entraîner vers la table que j’avais quittée quelques instants plus tôt. Mona, entre temps, était revenue. Je m’assis tout en tenant toujours la main de Tatiana, m’asseyant à côté de mon amie. Je finis par lâcher la main de la Whitaker, alors que les gars saluaient mon retour avec enthousiasme. Mona s’était rapprochée de moi, sa main fine et délicate, aux ongles vernis de noir s’aventurait sur mon genou, sur ma cuisse. Je penchai légèrement la tête vers elle, alors que je m’emparai de sa main. Elle gratifia Tatiana d’un regard assassin, avant d’effleurer du bout des doigts ma nuque. Je me mis à sourire, alors que de ma main libre attrapa le paquet de clopes sur la table. J’en coinçai une entre mes lèvres, avant de l’allumer et de jeter le briquet sur la table. Mona me la piqua un instant, en tirant une taffe et de la remettre là où elle était. L’air radieux, la musicienne me tendit sa main, dans laquelle je déposai quelques pièces, lui rendant sa monnaie. Elle les posa sur le bord de sa table, avec ses clés et ses clopes. Je tendis le paquet à Tatiana, lui exposant les cigarettes.
« -T’en veux ? tu vas avoir besoin de soutien moral pour affronter le bas peuple ».
Je lui dédiai un sourire narquois, alors que Mona but une gorgée de whisky, tout en surveillant la nouvelle arrivante du coin de l’œil. Ernie et Simon se regardèrent en coin, l’air perplexes. Puis, Ernie siffla entre ses doigts, pour interpeller le serveur par-dessus la clameur ambiante –plus loin, ils avaient gagné une partie de belote-, afin de commander une tournée, pour cinq cette fois. L’écossais s’alluma lui aussi une clope, avant de lancer à la cantonade, la voix un peu trop enrouée par l’alcool.
ERNIE : C’est pas Whitaker ? T’sais, celle que tu t’es tapé y’a un bail. Ca alors, qu’est ce que tu fous avec elle ?
J’adressai un sourire en coin à mon ami, et un regard entendu à mon interlocutrice. Apparemment, beaucoup avaient eu vent de cette petite histoire. Mais ce n’était pas de ma faute si avec les potes on s’amusait à raconter nos aventures d’un soir. Histoire d’établir un comparatif. Le sourire accroché aux lèvres, Mona me fixant de sa moue boudeuse, je fixais toujours Tatiana, la regardant toujours droit dans les yeux, imperturbable, tout en tirant une nouvelle taffe sur ma clope. Impassible. Juste histoire de jauger sa réaction.
« Puisque tu sembles en connaître tant sur le monde réel, mon cher Aldy, montre-moi donc ce à quoi il ressemble. »
Je me contentais de la regarder, impassible. Je savais qu’elle aussi refusait de lâcher le morceau, dans son élan de fierté mal placée, comme cela était coutumier entre nous. Je m’efforçais de garder contenance bien que ma patience commençait à s’effriter. Si certains avaient l’alcool triste, je l’avais plutôt violent. J’avais d’office cette agressivité toute naturelle, étant de toute façon toujours sur la défensive. Il suffisait d’un rien pour que je m’emballe, pour que je me laisse piéger par cet alcool grisant qu’était la colère. Sobre, j’étais déjà suffisamment instable, tant il m’arrivait de regarder les gens comme si j’allais les bouffer, tant je changeais d’humeur d’une seconde à l’autre. Personne ne savait comment me prendre, un rien suffisait à m’irriter. Alors que l’alcool montait doucement mais sûrement, empoisonnant mon esprit et la perception que j’avais alors des évènements, semant le trouble dans mes pensées déjà bien assez perturbées par la simple présence de la Whitaker, trouble qui allait bien au-delà de la simple gêne. Je n’étais nullement gêné en sa présence, n’étant pas spécialement prude, mais je la désirais plus que de raison. Pour le coup, la haine côtoyait le désir, avec une adéquation parfaite, tellement parfaite qu’elle était à en pleurer. Je m’en foutais complètement d’attiser sa fureur, peut-être au fond était-ce ce que je recherchais, je voulais la pousser à bout, derrière ses derniers retranchements. Je voulais qu’elle finisse par me faire mal, par mordre mes lèvres avec avidité alors qu’elle les embrasserait, que ses ongles labourent chaque centimètre carré de peau, qu’elle me meurtrisse, que par sa faute ma peau blême se couvre d’ecchymoses. Mon côté masochiste désirait tout cela, demandait à corps et à cris que mon désir malsain soit assouvi dans la violence. Je voulais souffrir, pour me prouver que je n’étais pas mort, que j’étais même encore bien en vie. Mais ma fierté me poussait à ne pas me rabaisser à une telle condition, mon orgueil mal placé ne se remettrait pas d’un tel affront, d’une telle sujétion. Là encore, la raison –ou ce qui pour moi en faisait office- prenait le pas sur mes passions violentes, les anéantissant sans pitié. Sans rien laisser voir de la lutte intérieure qui sévissait, je serrai imperceptiblement mon emprise sur mon verre, que j’aurais été capable de briser. Je pinçai mes lèvres d’un air désapprobateur, ma mauvaise foi se révoltant une fois de plus. Elle venait de désigner une vieille dame du doigt, à l’aspect miséreux et passablement glauque. Je me mordillai la lèvre inférieure, l’air pensif, mais aussi pour me faire violence, ce serait bête de laisser quelques malheureux mots s’échapper afin de mieux envenimer une conversation déjà bien trop vive.
« C’est ça, ton monde réel ? La misère et le désespoir d’une vie qui n’a pas été assez ? La rancœur et la jalousie vis-à-vis de ceux qui ont réussi ? Est-ce de ce monde là que tu me parles, Van Achthoven ? »
Je m’exhortai de ne pas répliquer, de tempérer ma fureur qui menaçait à chaque instant d’éclater, vive et insidieuse. La façon dont elle parlait de moi, les sous-entendus clairement formés ne me plaisaient pas, loin de là même. Ma nervosité devenait trop difficile à cacher, je martelais de mes doigts le rebord de mon verre, luttant contre mon manque de nicotine qui se faisait plus présent chaque seconde qui passait, manque mitigé à l’énervement qui montait de façon exponentielle. Elle ne savait rien de ma vie, de mes vieux démons, de mes craintes. Et pourtant elle venait d’appuyer sur les cordes sensibles. A savoir la réussite, le succès, ce dont j’étais incapable pour le moment. Je n’aimais pas cela du tout, ses paroles étant affreuses de vérité. Mais je refusais de l’admettre. Peut-être que seul, je ruminerais ses paroles, me remémorant à quel point elle pouvait avoir raison. Mais là, maintenant, il en était hors de question, mon orgueil étant trop grand, ma fierté voulait que je reste impassible, encore et encore. Je serais en train de crever, lamentablement laminé par mon adversaire, je serai encore en train de me battre, tenant à mon honneur comme un molosse qui ne parviendrait pas à lâcher son os. J’étais tenace, bien plus qu’on ne croit. De la ténacité, il en avait fallu pour que j’en arrive là où j’en étais, pour ne pas flancher. Mais à mon grand déplaisir, mes bonnes résolutions foutaient le camp, poussées à l’extérieur par des émotions bien trop vivaces, bien trop facilement exprimées. Je sursautai légèrement lorsqu’elle se pencha à nouveau vers moi, comme une ultime provocation, son pied jouant délibérément avec ma jambe. Avant de se servir de mon verre, me faisant encore plus enrager. J’étais en train de bouillir intérieurement, retenant tant bien que mal ma raison qui se barrait, raison qui m’empêchait de craquer et de tout foutre en l’air, de lacérer son visage de poupée, de la briser en mille morceaux, mais ma pulsion sadique fut noyée dans les prochains mots qu’elle me dédia, encore plus moqueurs que les précédents.
« Si c’est ce que tu appelles le monde réel, je préfère encore mon illusion. Au moins, je n’ai personne à envier. Et surtout pas quelqu’un comme elle… Ou comme toi. »
je ne répondis rien, sur le moment, me contentant de demeurer lèvres pincées, me voulant le plus impassible qu’il eût été en mon pouvoir. J’en étais réduit à devoir prendre sur moi de façon monstrueuse pour ne pas me laisser emporter par la vague de rage qui menaçait de jaillir. J’étais tellement imbu de moi-même que j’étais tout aussi persuadé que j’étais capable de me maîtriser, quoiqu’il arrive. Mais force est de constater que j’en étais incapable, les émotions étaient trop fortes, tout commençait sérieusement à partir en couilles. Tout comme mes bonnes résolutions. Je ne pouvais décemment pas me contenter de rester là sans rien dire, ma fierté était telle qu’elle me poussait à répliquer, encore et encore, à me défendre jusqu’à ce que mort s’en suive, jamais, au grand jamais, je n’aurais accepté d’être occis par quelqu’un d’autre. Tout ceci me poussait à commettre des actes irréfléchis, à laisser ma parole couler sous l’effet de la colère. Je ne me contrôlais plus, mes gestes n’étaient pas les miens, ces mots m’étaient inconnus, même si je les disais.
« - Alors quoi ? Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Le monde réel ce n’est pas ça non plus Tatiana. Le monde réel ce n’est pas une caricature. Le monde c’est la difficulté. C’est de devoir bosser pour obtenir quelque chose et non de claquer dans les doigts pour l’avoir. Le monde réel, c’est avoir conscience que tout ne t’est pas acquis, que tout peut t’être retiré du jour au lendemain. Le monde est gouverné par le fric et par le cul, le monde n’est qu’une vaste fumisterie où on doit se démerder pour survivre. »
Survivre, un bien grand mot, mais pas si loin de la réalité quand on regardait bien. J’avais moi aussi dû me débrouiller, me défendre face à la vie. Comme un guerrier j’étais parti au front, j’avais été touché, puis blessé, avec des lézardes au cœur à réparer. Je m’étais fait une sale idée de la vie, une vision plutôt pessimiste. Je ne demandais qu’une chose, qu’on soit enfin capable de me faire changer d’avis. Mais où était le mal à s’illusionner ? C’était le propre de l’être humain, que de se nourrir d’illusions, dans un espoir futile et ô combien universel de s’en sortir enfin. On ne m’avait pas illusionné en me jetant dans une cage dorée. L’illusion me venait de toutes les saloperies que je m’injectais ou sniffais. Il me suffisait d’un rail de coke pour que le monde réel ne soit plus qu’un souvenir. Tout me paraissait alors plus beau, je me sentais invincible. Une illusion, tout comme le fait que je croyais me connaître sur le bout des ongles en était une. Je passai mon doigt distraitement sur le rebord de mon verre, avant de murmurer, légèrement songeur.
« -Tu vois, même ça c’est de l’illusion en bouteille. Tu crois que t’es heureux avec ça, mais c’est plus traître qu’autre chose. Plus tu en as, plus t’en as besoin. Et plus t’en as, moins ça va. »
L’amertume se devinait clairement à travers ma voix, pourtant je me voulais toujours aussi impassible, presque étranger à la scène où j’étais pourtant un des acteurs principaux. Je ne pus m’empêcher de penser à ma mère, qui tenait depuis longtemps grâce à tout ça, mais qui n’était pas plus heureuse pour autant, bien au contraire, elle semblait dépérir de jour en jour. Je ne savais pas trop comment c’était à la maison,pour la simple et bonne raison que je n’y ai pas mis les pieds depuis que je suis entré à Hungcalf. Les simples lettres que ma mère continuait à m’écrire ne permettaient pas de me faire une idée plus précise sur mon état, on pouvait dissimuler tant de choses derrière de simples paroles, à l’écrit le mensonge paraissait encore plus sincère qu’à l’oral. Ma fureur était retombée d’un coup, remplacée par la lassitude, une lassitude qui se muait peu à peu en amertume. Un sale goût qui était resté sur le bout de la langue, et qui ne voulait pas partir, même après quelques gorgées d’alcool. J’aurais voulu boire un peu plus, et perdre quelques neurones en route, suffisamment pour m’interdire de penser, de tout ressasser. J’étais calmé, pour un temps, ne restait plus qu’à tempérer mon cœur qui battait à une allure folle, et qui en était presque douloureux.
« Effectivement, restons donc entre minables. Tu penses être plus tolérant que moi, Van Achthoven ? N’es-tu pas en train de me cracher des phrases toutes faites depuis tout à l’heure ? Ne te bases-tu pas, toi aussi, sur quelque chose que tu ne connais pas ? Je suis peut-être imbue de moi-même, je ne m’intéresse peut-être pas assez aux autres pour prendre la peine d’élargir mon horizon, mais sache que tu ne vaux pas mieux que moi, parce que tu es rentré dans mon jeu, mon cœur. Tu n’es pas allé voir plus loin, tu t’étouffes dans tes propres putains de préjugés, comme je l’ai fait tant de fois. Je ne te connais sans doute pas, mais ne laisse plus jamais entendre que tu en sais plus à mon sujet. Tu ne voudrais pas commencer à me ressembler, n’est-ce pas ? »
Je pinçai une nouvelle fois les lèvres, l’agacement me bourdonnant aux tempes, agacement que je ne parvenais pas à éloigner, ou plus généralement, à gérer. Je finis de boire mon verre, avant qu’elle ne s’en charge, sentant avec dégoût l’alcool me chauffer les joues. Dieu, que j’avais envie de balancer ce verre, de le voir se fracasser sur le mur d’en face, ou peut-être même sur le pauvre barman qui n’avait rien demandé à personne. N’importe qui pouvant servir d’exutoire pour apaiser ma propre fureur, qui une nouvelle fois menaçait. Je m’exhortai au calme, mes poings s’étaient refermés, serrés à m’en couper les paumes. Les jointures blanchies, je dissimulai l’ensemble grotesque dans les poches de mon blouson, ruminant contre le fait que je n’avais pas de clopes. Je finis par en taxer une à mon voisin, en soupirant presque de bonheur alors que j’exhalai la première bouffée.
« -Tu as raison, il n’y aurait pas pire humiliation que de te ressembler. Qui voudrait ressembler à ça de toute façon ? Tu es squelettique. Rachitique. Tu tiens à peine debout. T’es trop pâle. On dirait une morte. Tu n’as rien à faire ici Whitaker. Le monde des vivants n’est pas pour toi. Regarde les. Ils arrivent à rire. A pleurer. A aimer. A vivre. Et nous dans tout ça, on est quoi ? On ne fait pas partie de leur monde, Tatiana. On aura au moins ça en commun. On ne fait que de survivre. »
J’avais admis que je n’étais pas plus vivant qu’elle. Et je me sentais lâche. A la seconde près où j’avais prononcé ces mots assassins, je m’étais détesté, pour lui avoir craché à la figure ma sentence immonde, le coup de grâce. J’avais été lâche en la critiquant sur son état. Alors que je me doutais bien ce qu’elle avait. Je me rappelais ces maigreurs presque effrayantes. Son corps presque réduit à l’état de squelette. Elle n’était même plus belle, et j’en étais venu à me demander pourquoi je la désirais encore, malgré tout. C’était bien ironique comme situation. Une fille squelettique et un déchet humain, on ne pouvait pas rêver mieux comme couple. Je faillis me marrer comme un con à ma dernière remarque, avant de reprendre mon sérieux, l’air las. Deux fois que j’avais parlé de survie. La vie m’était-elle aussi éprouvante pour que j’en pense cela ? Si ce que je lui disais la faisait rire, tant mieux. Je ne relevai pas, occupé à fumer ma clope nouvellement acquise. J’arquai un sourcil alors qu’elle se levait, ne vacillant même pas. Je ne fis que de pivoter sur mon tabouret, pour la regarder bien en face. Ainsi donc elle se défilait ?
« Bien. Présente-moi donc tes amis, darling. »
J’affichai un grand sourire, savourant cette demi-victoire. Je me laissai entraîner vers la table que j’avais quittée quelques instants plus tôt. Mona, entre temps, était revenue. Je m’assis tout en tenant toujours la main de Tatiana, m’asseyant à côté de mon amie. Je finis par lâcher la main de la Whitaker, alors que les gars saluaient mon retour avec enthousiasme. Mona s’était rapprochée de moi, sa main fine et délicate, aux ongles vernis de noir s’aventurait sur mon genou, sur ma cuisse. Je penchai légèrement la tête vers elle, alors que je m’emparai de sa main. Elle gratifia Tatiana d’un regard assassin, avant d’effleurer du bout des doigts ma nuque. Je me mis à sourire, alors que de ma main libre attrapa le paquet de clopes sur la table. J’en coinçai une entre mes lèvres, avant de l’allumer et de jeter le briquet sur la table. Mona me la piqua un instant, en tirant une taffe et de la remettre là où elle était. L’air radieux, la musicienne me tendit sa main, dans laquelle je déposai quelques pièces, lui rendant sa monnaie. Elle les posa sur le bord de sa table, avec ses clés et ses clopes. Je tendis le paquet à Tatiana, lui exposant les cigarettes.
« -T’en veux ? tu vas avoir besoin de soutien moral pour affronter le bas peuple ».
Je lui dédiai un sourire narquois, alors que Mona but une gorgée de whisky, tout en surveillant la nouvelle arrivante du coin de l’œil. Ernie et Simon se regardèrent en coin, l’air perplexes. Puis, Ernie siffla entre ses doigts, pour interpeller le serveur par-dessus la clameur ambiante –plus loin, ils avaient gagné une partie de belote-, afin de commander une tournée, pour cinq cette fois. L’écossais s’alluma lui aussi une clope, avant de lancer à la cantonade, la voix un peu trop enrouée par l’alcool.
ERNIE : C’est pas Whitaker ? T’sais, celle que tu t’es tapé y’a un bail. Ca alors, qu’est ce que tu fous avec elle ?
J’adressai un sourire en coin à mon ami, et un regard entendu à mon interlocutrice. Apparemment, beaucoup avaient eu vent de cette petite histoire. Mais ce n’était pas de ma faute si avec les potes on s’amusait à raconter nos aventures d’un soir. Histoire d’établir un comparatif. Le sourire accroché aux lèvres, Mona me fixant de sa moue boudeuse, je fixais toujours Tatiana, la regardant toujours droit dans les yeux, imperturbable, tout en tirant une nouvelle taffe sur ma clope. Impassible. Juste histoire de jauger sa réaction.
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