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Tu n'es pas sa mère - Ava
Dim 19 Sep 2021 - 0:26
Traverser cette rue me semble étrange. Pourtant, je l'ai fait des milliers de fois, et je le faisais encore il y a peu de temps. Mais je me sens comme un imposteur dans ce quartier que je connais pourtant par cœur. Il faut dire qu'entre mon travail au ministère et mon déménagement, je n'ai plus grand chose à faire à Inverness. Pourtant, je reconnais chaque détail, chaque massif de fleur, comme si, douloureusement, rien ne changeait. Mais tout change. Pourquoi les lieux n'ont pas la décence d'être marqué par le temps qui passe autant que le sont les gens ?
À environ un kilomètre de là, il y a la maison. Je suis incapable de la qualifier de ma maison. Elle ne l'a jamais été. Elle était notre maison, et elle ne le sera plus. Je n'y ai pas remis les pieds, et la dernière image que j'ai de ce lieux, c'est cette mare de sang séchée au milieu de la cuisine. Je ne me souviens plus de grand chose après cela, si ce n'est d'un cri. Je ne sais pas si c'était le miens, je n'en suis pas certain. J'avais plongé dans une torpeur dont l'enterrement m'avait sorti. Mais depuis, je n'étais plus le même, bien que je refuse catégoriquement de le voir. D'autres, eux, le remarquait sans doute, mais ne m'en faisait pas part. Va savoir pourquoi. Parmi eux, il y avait Ava. Qui avait eut la gentillesse de m'héberger très - trop - longtemps, afin que je retombe sur mes pieds. Puis j'avais quitté sa chambre d'ami et son canapé convertible pour un cagibi et un autre canapé en plein cœur de Londres. Seul. Pour le bien être d'Emma, nous avions convenu qu'il était mieux qu'elle habites avec sa marraine pour un temps. En effet, avec mon nouveau poste de directeur et les enquêtes en cours, je n'étais chez moi que pour dormir. Et voir une certaine Muller, mais ça, ma fille n'avait pas à le savoir. Pas grand monde ne le savait d'ailleurs. Et puis elle avait besoin de stabilité, et en restant dans cette ville, elle continuait d'aller à la même école maternelle. Bref, c'était tout gagnant, non ?
Mais bien sûr, qui dit septembre dit rentrée, et rentrée dit administratif. J'avais pu me libérer en ce début d'après midi pour me rendre chez la O'Donnell, alors qu'elle m'avait fait parvenir un hibou me demandant de passer pour signer quelques documents concernant ma progéniture. Je venais donc de toquer à sa porte, et attendait là, sur le palier, que l'on daigne m'ouvrir.
@Aveleen O’Donnell
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Sam 25 Sep 2021 - 17:00
Perchée en haut de l'un des tabourets de l’ilot central de sa cuisine - le genre de chose dont elle ignorait jusque-là le nom, jusqu'à ce qu'un agent immobilier ne la convertisse aux joies d'une « cuisine familiale et fonctionnelle» lors de l'achat de cette maison « idéale » au cœur d'un quartier « tranquille » - Aveleen contemplait une vielle photo. Elle avait appris au fil de ses études à quel point un cliché pouvait mentir et à quel point il ne fallait pas sous-estimer le caractère surjoué de certains sourires en certaines occasions - surtout celles préconçues. Et plus elle regardait l'image, plus elle se demandait si le filtre noir et blanc qu'elle y avait appliqué était la seule chose trompeuse : William y enlaçait une Mary rayonnante toute vêtue de blanc. Leurs visages respiraient la complicité, la jeunesse, l'amour et les promesses. Mary avait ce doux sourire un peu ailleurs, celui qui paraissait flotter au dessus d'une personnalité rêveuse. William et ses épaules carrées renvoyait quant à lui à une impression de sécurité qui faisait à présent frémir désagréablement la photographe. Depuis plusieurs minutes maintenant, elle scrutait la photo, y cherchant une aspérité : quelque chose au fond des yeux de l'auror, n'importe quoi d'infime mais d’annonciateur, un détail qui lui prouverait qu'il avait toujours été comme tel et qu'elle s'était simplement laissée berner. Mais tout ce que l'on voyait c'était un bonheur à présent douloureux à contempler. Et au delà de cette façade, il n'y avais aucun préambule, rien pour venir suggérer le quotidien : le mari injoignable, le père aux abonnés absents et la fuite de toutes les responsabilités prises le jour de cette fameuse photographie. Cela avait un côté presque fascinant, la manière avec laquelle elle avait d'ailleurs essayé de lui chercher des excuses : la douleur de la disparition de sa femme, le besoin de prendre un peu de temps pour soi, les difficultés à supporter le chagrin de son enfant alors que l'on a pas encore convenablement fait son propre deuil. Aveleen avait été la première à formuler des excuses à sa place et à y croire - surtout pour elle-même, pour que l'image du mari de sa meilleur ami reste intacte. Sauf que plus elle y songeait, moins elle comprenait : la douleur, la haine, la culpabilité que William pouvait ressentir, tout cela n'avait rien à voir là-dedans.
C'était simplement un lâche.
Alors, lorsque la sonnette la tira de ses réflexions, la photographe se dirigea vers la porte non sans avoir laissée la photographie bien en évidence, comme une décision. Celle d'arrêter de croire que l'homme à qui elle allait rouvrir la porte ne finirait par reprendre conscience de ses erreurs et qu'il fallait le ménager au nom de la sacro-sainte peine dont il se targuait probablement en silence jusqu'à se convaincre qu'elle justifiait tout. Elle ouvrit la porte sur William et s'effaça légèrement pour le laisser entrer. La formule de politesse et de salut était restée coincée quelque part au fond de sa gorge et elle avait fini par la ravaler sans en ressentir de culpabilité. L'estime faiblissait et avec elle, l'envie d'y apposer une prévenance qu'il ne méritait pas plus que son respect. Elle se contenta de s'approcher du petit secrétaire qui trônait dans l'entrée : elle y récupéra le sac d'école d'Emma dont elle défit consciencieusement la fermeture éclair pour en récupérer les papiers administratifs qu'il devait remplir.
Sa signature de tuteur légal, c'était peut-être la seule chose qui conférait à William un statut de père en cet instant et la seule raison valable pour convaincre Aveleen de décrocher son téléphone pour lui demander de venir. Elle avait arrêté de forcer Emma à appeler lorsqu'elle avait compris que maintenir un lien avec un fantôme n'était peut-être pas ce dont une enfant avait réellement besoin : cela ne ferait que surajouter au manque, et de manque, Emma en était déjà suffisamment remplie. Alors, à la place, Aveleen avait fait comme l'ilot de la cuisine : elle était devenue familiale et fonctionnelle à la place de William. Et tout comme la maison, elle s’efforçait d'être aussi idéale que possible pour la petite fille, quitte à se mettre de côté elle-même.
-- Il me faut une signature sur la feuille jaune pour que je puisse la laisser à la cantine si besoin. La feuille verte, c'est pour nous autoriser, @Nathaniel Wakefield et moi, à la récupérer à ta place, expliqua-t-elle en lui tendant les feuilles, d'une voix égale. Et j'aurai aussi besoin de ton autorisation écrite pour que je l'inscrive à l’initiation au karaté, expliqua-t-elle d'une seule traite. Tu as besoin d'un stylo ? questionna-t-elle en lui accordant enfin un premier regard, qui glissa sur lui sans s'attarder sur son allure.
Il n'y avait plus grand chose de l'homme de la photographie, à présent. Mais ça, elle le savait depuis longtemps.
@William Fastenburry
C'était simplement un lâche.
Alors, lorsque la sonnette la tira de ses réflexions, la photographe se dirigea vers la porte non sans avoir laissée la photographie bien en évidence, comme une décision. Celle d'arrêter de croire que l'homme à qui elle allait rouvrir la porte ne finirait par reprendre conscience de ses erreurs et qu'il fallait le ménager au nom de la sacro-sainte peine dont il se targuait probablement en silence jusqu'à se convaincre qu'elle justifiait tout. Elle ouvrit la porte sur William et s'effaça légèrement pour le laisser entrer. La formule de politesse et de salut était restée coincée quelque part au fond de sa gorge et elle avait fini par la ravaler sans en ressentir de culpabilité. L'estime faiblissait et avec elle, l'envie d'y apposer une prévenance qu'il ne méritait pas plus que son respect. Elle se contenta de s'approcher du petit secrétaire qui trônait dans l'entrée : elle y récupéra le sac d'école d'Emma dont elle défit consciencieusement la fermeture éclair pour en récupérer les papiers administratifs qu'il devait remplir.
Sa signature de tuteur légal, c'était peut-être la seule chose qui conférait à William un statut de père en cet instant et la seule raison valable pour convaincre Aveleen de décrocher son téléphone pour lui demander de venir. Elle avait arrêté de forcer Emma à appeler lorsqu'elle avait compris que maintenir un lien avec un fantôme n'était peut-être pas ce dont une enfant avait réellement besoin : cela ne ferait que surajouter au manque, et de manque, Emma en était déjà suffisamment remplie. Alors, à la place, Aveleen avait fait comme l'ilot de la cuisine : elle était devenue familiale et fonctionnelle à la place de William. Et tout comme la maison, elle s’efforçait d'être aussi idéale que possible pour la petite fille, quitte à se mettre de côté elle-même.
-- Il me faut une signature sur la feuille jaune pour que je puisse la laisser à la cantine si besoin. La feuille verte, c'est pour nous autoriser, @Nathaniel Wakefield et moi, à la récupérer à ta place, expliqua-t-elle en lui tendant les feuilles, d'une voix égale. Et j'aurai aussi besoin de ton autorisation écrite pour que je l'inscrive à l’initiation au karaté, expliqua-t-elle d'une seule traite. Tu as besoin d'un stylo ? questionna-t-elle en lui accordant enfin un premier regard, qui glissa sur lui sans s'attarder sur son allure.
Il n'y avait plus grand chose de l'homme de la photographie, à présent. Mais ça, elle le savait depuis longtemps.
@William Fastenburry
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Jeu 7 Oct 2021 - 20:21
Visiblement, Aveleen prenait son temps pour venir m'ouvrir. Ayant fait l'allé retour entre deux réunions au ministère, je n'avais pas pris le temps de me changer, et la grande veste cape caractéristique des aurors avait tendance à attirer les regards. Dans ce quartier, tout le monde savait qui j'étais. En quelques années, j'étais devenu le voisin sympa à qui on peut demander de récupérer le chat dans l'arbre, de donner quelques cours particuliers pour les étudiants à Poudlard en difficulté avec les Défenses contre les forces du mal, et ce père et mari joviale qui n'hésitait pas à accueillir chez lui les réunions du comité de quartier si chère au cœur de son épouse. Mais alors que l'une de mes anciennes voisines passait dans la rue, je captais son regard, et ce qu'il renvoyait sur moi. Une certaines pitié, mais aussi une certaine crainte. J'étais désormais ce veuf au regard froid et l'attitude distante, dans sa tenue noire qu'on juge souvent annonciatrice de problème. J'étais aussi ce père qui avait laissé sa fille, mais je défié quiconque de juger un tel acte en me disant que mon enfant serait objectivement mieux avec moi. Je serai bien incapable de faire la moitié de ce que sa marraine fait pour elle. Marraine qui d'ailleurs, tarde vraiment à ouvrir cette foutue porte. Quoi que ... Ah, enfin !
Je la regarde s'effacer, et puisque je n'ai visiblement pas le droit à une salutation, je la gratifie alors simplement d'un mouvement de tête avant de la précéder à l'intérieur, dans un foyer que je ne connais que trop désormais. Je m'arrête presque immédiatement, devant le sac d'école de ma fille, et j'attend les explications de la photographe. J'écoute en silence, tout en saisissant les papiers qu'elle me tend. Je m'apprêtais à signer avec ma propre plume, mais je me rappelle que conformément à ma volonté initiale, elle est dans une école primaire moldue. Oui, s'il te plait. Je réponds sobrement à la question d'Ava. Oui, j'ai besoin d'un stylo. Une fois ce dernier en main, je parcours alors les différents documents, sur lesquels j'appose au fur et à mesure ma signature. Mais le dernier m'interpelle. Pourtant, la blonde venait de me prévenir, mais je n'avais écouté que d'une oreille distraite, triant les informations par ordre d'importance. Karaté ? Mais Mary l'avait inscrite à la danse pourtant ... Mon regard se pose alors pour la première fois réellement sur la marraine de ma fille, alors que mon visage communique la contrariété que cette histoire me fait ressentir. Pourquoi un tel changement ?
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Lun 18 Oct 2021 - 17:04
Il fut un temps dans lequel William lui avait inspiré confiance. Une confiance qui avait pris racine en les confidences de Mary, confiance qui s’était solidifiée dans la façon qu’il avait eu de s’occuper de sa famille. Quelque chose de précieux et de stable, comme une montagne dont on ne doutait pas de la présence, le lendemain comme tous les jours qui viendraient ensuite. Il fallait dire qu’il avait eu beaucoup de choses pour lui : le métier solide, les épaules qui paraissaient capable d’accueillir le poids des responsabilités, son amour pour les siens. Alors quand Aveleen avait fini par poser ses yeux sur lui, des souvenirs fugaces choisir de remonter. C’était douloureux, les souvenirs. Surtout les bons souvenirs. Lorsqu’il attrapa le stylo et commença à remplir les papiers administratifs, l’Irlandaise suivit les fines cicatrices qui s’étendaient toujours sur sa main, témoins silencieuses mais bien présentes de cet anniversaire auquel ils avaient participé tous les deux. On les avait confondu avec les parents d’Emma ce jour là. Qu’elle ironie, à présent. Elle se rappelait l’odeur de sucre de la barbe à papa, les cris joyeux des enfants, la façon dont Emma avait tournoyé dans sa robe de princesse, la chanson qui lui avait cassé les oreilles les soirées suivantes. Cette légèreté était à présent si lourde qu’Aveleen sentie sa respiration trébucher.
Elle ferma les yeux. Puis les détourna.
Les parents doivent s’appliquer à devenir des souvenirs pour leurs enfants.
Voilà ce qu’elle avait songé ce jour là, attendrie par la manière dont William s’était vu déguisé. Que cette innocence paraissait lointaine, presque abstraite. Désuète peut-être. Des souvenirs, c’était la seule chose qu’il restait à la petite fille ces dernières semaines : des ombres dangereuses qui emplissaient son esprit enfantin le soir et qui la cueillaient dès le matin, étendant ses grands bras tout autour de sa frêle silhouette jusqu’à la faire disparaître petit à petit. Des souvenirs couleur vermeille pour cette mère qu’elle avait découverte dans la cuisine. Des souvenirs en transparence pour ce père qui avait préféré prendre la tangente. La seule chose que William offrait à présent à sa fille, c’était une présence en pointillés qui s’étiolait de plus en plus, jusqu’à ce que les absences deviennent la norme là ou elles auraient dû être l’exception. Et si Aveleen était prête à peindre toute une ribambelle de couleurs dans l’esprit de sa filleule pour venir apaiser la disparition de Mary, il y avait dans la fuite de William quelque chose qui l’empêchait de faire de même. Mary s’était faite égorgée, mais c’était pourtant William qui lui paraissait exsangue. Vide. Et Aveleen, aussi égoïste que cela puisse paraître, ne savait pas comment venir juguler l’hémorragie. Elle était à court de pansements et de baumes à appliquer, incapable de venir tendre une main vers lui tout en se maudissant également de le voir ainsi faire naufrage sans lui lancer la moindre bouée.
La vérité ?
C’était que la colère a son encontre prenait racine dans un doute qui enflait jusqu’à venir obstruer toute sa compassion. Et plus il délaissait sa fille, plus le monstre grandissait jusqu’à ce qu’il soit si solidement ancré qu’Aveleen en venait à se demander s’il n’avait pas toujours été là.
Où était-il, lorsque Mary avait eu besoin de lui ? Ne cessait de répéter la petite voix lorsqu’elle posait ses yeux de glace sur lui. Ou plutôt : avec qui était-il ?
— Karaté ? Mais Mary l'avait inscrite à la danse pourtant ...
Aveleen marqua une pause. Ses yeux cartographièrent le visage de William, s’arrêtant sur les cernes noires qui maquillaient son regard, descendirent sur les joues légèrement creusées et bleuies d’une barbe mal entretenue. Il avait la mauvaise mine, comme si Morphée l’avait maudit au même titre que sa joie de vivre. Tout en lui criait une souffrance qui faisait tant miroir à celle de la petite fille que la photographe ne pouvait s’empêcher de s’attarder sur leurs ressemblances : la légère petite bosse sur le nez, l’implantation des cheveux, le teint halé qui pourtant semblait à présent maladif. Cette façon de frotter parfois l’ongle de son pouce sur son index.
Par Merlin.
Qu’est-ce qu’Emma ressemblait à son père.
Qu’est-ce qu’Emma avait besoin de lui.
De lui. Malheureux ou pas, il était le seul souvenir qui avait une chance de se réincarner pour Emma en quelque chose de tangible.
— Mary est morte, lâcha alors abruptement Aveleen.
C’était la première fois qu’elle le disait à voix haute. Et devant William, qui plus est.
Les mots avaient traversé ses lèvres, s’aiguisant en rencontrant sa bouche comme si elle avait pu cracher toute sa tristesse et ses incompréhensions par le biais de trois petits mots, aussi tranchants que des tessons de bouteilles. Et quand elle rouvrit la bouche, ce fut d’une voix aussi éraillée que tremblante.
—Alors, qu’est-ce que tu crois qu’elle en a foutre, qu’Emma fasse des pas chassés ou non ? Penses-tu vraiment que si elle avait quelque chose à redire, ça serait sur ça ?
@William Fastenburry
Elle ferma les yeux. Puis les détourna.
Les parents doivent s’appliquer à devenir des souvenirs pour leurs enfants.
Voilà ce qu’elle avait songé ce jour là, attendrie par la manière dont William s’était vu déguisé. Que cette innocence paraissait lointaine, presque abstraite. Désuète peut-être. Des souvenirs, c’était la seule chose qu’il restait à la petite fille ces dernières semaines : des ombres dangereuses qui emplissaient son esprit enfantin le soir et qui la cueillaient dès le matin, étendant ses grands bras tout autour de sa frêle silhouette jusqu’à la faire disparaître petit à petit. Des souvenirs couleur vermeille pour cette mère qu’elle avait découverte dans la cuisine. Des souvenirs en transparence pour ce père qui avait préféré prendre la tangente. La seule chose que William offrait à présent à sa fille, c’était une présence en pointillés qui s’étiolait de plus en plus, jusqu’à ce que les absences deviennent la norme là ou elles auraient dû être l’exception. Et si Aveleen était prête à peindre toute une ribambelle de couleurs dans l’esprit de sa filleule pour venir apaiser la disparition de Mary, il y avait dans la fuite de William quelque chose qui l’empêchait de faire de même. Mary s’était faite égorgée, mais c’était pourtant William qui lui paraissait exsangue. Vide. Et Aveleen, aussi égoïste que cela puisse paraître, ne savait pas comment venir juguler l’hémorragie. Elle était à court de pansements et de baumes à appliquer, incapable de venir tendre une main vers lui tout en se maudissant également de le voir ainsi faire naufrage sans lui lancer la moindre bouée.
La vérité ?
C’était que la colère a son encontre prenait racine dans un doute qui enflait jusqu’à venir obstruer toute sa compassion. Et plus il délaissait sa fille, plus le monstre grandissait jusqu’à ce qu’il soit si solidement ancré qu’Aveleen en venait à se demander s’il n’avait pas toujours été là.
Où était-il, lorsque Mary avait eu besoin de lui ? Ne cessait de répéter la petite voix lorsqu’elle posait ses yeux de glace sur lui. Ou plutôt : avec qui était-il ?
— Karaté ? Mais Mary l'avait inscrite à la danse pourtant ...
Aveleen marqua une pause. Ses yeux cartographièrent le visage de William, s’arrêtant sur les cernes noires qui maquillaient son regard, descendirent sur les joues légèrement creusées et bleuies d’une barbe mal entretenue. Il avait la mauvaise mine, comme si Morphée l’avait maudit au même titre que sa joie de vivre. Tout en lui criait une souffrance qui faisait tant miroir à celle de la petite fille que la photographe ne pouvait s’empêcher de s’attarder sur leurs ressemblances : la légère petite bosse sur le nez, l’implantation des cheveux, le teint halé qui pourtant semblait à présent maladif. Cette façon de frotter parfois l’ongle de son pouce sur son index.
Par Merlin.
Qu’est-ce qu’Emma ressemblait à son père.
Qu’est-ce qu’Emma avait besoin de lui.
De lui. Malheureux ou pas, il était le seul souvenir qui avait une chance de se réincarner pour Emma en quelque chose de tangible.
— Mary est morte, lâcha alors abruptement Aveleen.
C’était la première fois qu’elle le disait à voix haute. Et devant William, qui plus est.
Les mots avaient traversé ses lèvres, s’aiguisant en rencontrant sa bouche comme si elle avait pu cracher toute sa tristesse et ses incompréhensions par le biais de trois petits mots, aussi tranchants que des tessons de bouteilles. Et quand elle rouvrit la bouche, ce fut d’une voix aussi éraillée que tremblante.
—Alors, qu’est-ce que tu crois qu’elle en a foutre, qu’Emma fasse des pas chassés ou non ? Penses-tu vraiment que si elle avait quelque chose à redire, ça serait sur ça ?
@William Fastenburry
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Sam 23 Oct 2021 - 23:18
Stupide. Nous autres, adultes, sommes des êtres stupides. Egocentrés. Trop persuadés d'être importants. Parce que nous avons des responsabilités. Parce que des gens connaissent nos noms. Parce qu'on est mature, qu'on sait des choses. Foutaises. On ne sait rien de rien. La maturité est un mythe. On ne devient pas mature, on fait seulement mieux semblant de l'être à mesure que le temps passe. Mais dans le fond, on reste des gamins imbus de nos propres personnes, trop aveugles pour penser réellement à quelqu'un d'autre que nous.
Cela se voit entre nous deux. Elle souffre. Je souffre. Nous avons tous les deux perdus quelqu'un qui représentait le monde pour nous. Mary m'a déjà confié considérer la femme qui se tient devant moi comme sa propre sœur, comme moi même je peux considérer @Ackley Wesson comme mon frère. La logique voudrais que nous nous soutenions. Que nous nous aidions à traverser cette épreuve. C'est ce qu'on a fait, en apparence. Mais regardez nous, là, maintenant. Est-ce qu'on a vraiment l'air d'adultes sages et réfléchis qui s'entraident ? Où s'agit il plutôt de deux adolescent qui se battent pour savoir lequel souffre le plus et mérite la compassion de l'autre ? Chacun tellement aveuglé par sa propre douleur qu'il est incapable de voir celle de l'autre.
Incapable aussi de penser à la seconde victime. Celle qui est devenue orpheline de mère, et, à certains égards, également de père. Car notre combat de coq met de côté la principale intéressée, celle qui, même si nous ne nous aidions pas, mériterai que nous mettions nos egos de côté pour l'aider elle. Son père. Sa marraine. Merlin, quels incroyables figures d'adultes nous devons lui présenter. L'hystérique névrosée et le fantôme. Deux parfaits tuteurs sur lesquels s'appuyer pour grandir d'une façon saine et équilibrée. Tellement imbus de leurs propres personnes que nous étions incapable de protégé son innocence. Pire, nous l'utilisions comme un prétexte à la création de problèmes dont elle n'était en rien la cause.
Les mots de la photographe me font l'effet d'une gifle. L'une de celles qu'une lady pourrait mettre, d'une puissance mesurée, afin de ne pas réellement blesser le physique, mais de venir frapper l'ego. Oui, ses propos ont giflés mon âme. Alors d'une lenteur mesurée, je repose le stylo que j'avais dans mes mains. Et mon regard vient se planter dans celui d'Aveleen, maintenant qu'elle a arrêtée de le fuir.
Oui. Mary est morte. Ta meilleure amie. Ma femme. La mère de mon enfant. Elle est morte. Dans un bain de sang. Sauvagement assassinée. Par une personne qu'elle connaissait. Elle est morte et ne reviendra jamais. Alors peut-être que tu penses ce qu'elle a pu penser ne représente plus rien. Que pour toi, ses souhaits pour sa fille ont disparus en même temps qu'elle. Moi, ce que je crois, c'est que oui, elle en aurait quelque chose à foutre. Parce que si elle a inscrit Emma à la danse, c'était parce qu'elles en faisaient ensemble à la maison. Qu'on avait installé une bar dans la chambre de la petite exprès. Et que moi aussi j'en ai quelque chose à foutre. Parce que mes meilleurs souvenirs, c'est de les voir toutes les deux faire des pas chassés dans une cuisine où je ne suis plus capable de rentrer sans sentir l'odeur du sang. Tu n'étais pas là Aveleen. Tu parcourais le monde, alors ne prétend pas avoir connu Mary en temps que mère. Et ne prétend pas être la mère d'Emma. Tu ne l'ais pas.
Tout en parlant, je m'étais rapproché de la O'Donnell, la dominant par ma stature, bien que rien dans mon maintient ne montre un quelconque signe de violence que je pourrais engendrer. Je ne me bats pas sans une bonne raison, et cela n'en vaux pas la peine. Mon ton, en revanche, à l'instar de mon regard, est restait froid. Glacial même. Et d'une calme inquiétant. Prononçant des mots ignobles avec un détachement anormal. Evoquant des souvenirs heureux sans la moindre chaleur. En cet instant précis, il est serait évident pour n'importe qui que je ne suis pas l'homme de la photo qui me fait désormais face.
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Jeu 28 Oct 2021 - 18:34
C'était un non sens.
Ils souffraient tous les deux et au lieu de convertir leurs peines respectives en quelque chose d'un peu plus utile que du ressentiment, ils se jetaient des mots en tesson de bouteilles qui venaient blesser des cœurs déjà à vif.
Comme si avoir mal pouvait tout excuser.
Comme si souffrir justifiait toutes les impolitesses et ingratitudes. C'était bien connu : le propre de celui qui a le cœur fendu était souvent d'espérer que d'autres chutes à côté afin de se sentir moins seul. Alors, Aveleen accueillait les mots de William sans rien dire : les phrases assassines vinrent saupoudrer les blessures d'acidité, ré-ouvrant les quelques zones qui peinaient déjà à cicatriser, dévérouillant des portes chargées de souvenirs que la photographe aurait aimé voir rester closes. En silence, elle le laissa lapider la fragile relation qu'ils entretenaient tout en essayant de ravaler les ripostes inutiles qui lui brûlaient les lèvres. William semblait avoir ouvert la grotte de silence dans laquelle il s'était tapi depuis de nombreuses semaines : il exorcisait ses démons, les taillant à même le granit de sa douleur pour venir la bombarder de vérités de pierre qu'elle était loin d'ignorer, mais qu'il maquillait de tant d'horreurs qu'elle en eut la nausée. Tout ça creusait le fossé, ouvrant un gouffre aux parois exempts de la moindre aspérité à laquelle se raccrocher. Une abysse sans fond, noire et glaciale.
Et l'Irlandaise le savait : il ne manquait pas grand chose pour terminer de déchirer tout ça.
Elle le sentait entre ses côtes et dans son ventre, l'envie brûlante de le faire taire et de l’étouffer avec ses propres contre-vérités et manquements. La colère était un monstre dévorant et palpitant, qu'elle essayait de contenir jusqu'à ce que William ne s’essouffle lui même, à court du seul carburant qui lui permettait de se lever le matin. De la haine. Pour le monde, mais surtout pour lui même.
Au fond, Aveleen ne savait pas comment arranger les choses. Mais il fallait refermer la plaie béante qui trouait cette conversation comme une passoire. Elle se refusait à devenir aussi vide qu'il ne l'était William, à s'approcher d'elle avec le regard aussi fou. L'enseignante savait néanmoins qu'il lui faudrait s’intéresser à toutes les horreurs qu'il venait de lui balancer : que les tornades hostiles de ce qu'il avait soulevé viendraient agiter ses futures nuits pour les peupler d'insomnie. L'ouragan dont il la gratifiait faisait voler en éclat les vitres et les murs, bousillant les fondations. Peut-être parce qu'il y avait des fonds de vérité qu'elle savait déjà : elle n'avait pas toujours été là.
Mais pour l'heure, elle leva son petit menton obstiné en direction de l'auror, droite comme un "i", le regard tout aussi obstinément plongé dans les iris sombres de celui qui la toisait comme s'il pouvait mordre.
Bien sûr, que cela faisait mal : s'entendre ainsi dénuée de toute importance dans la vie d'Emma était une tempête de glace qui lui givrait le cœur, promettant des larmes solitaires et des remises en questions nimbées de culpabilité. Il avait appuyé là où elle souffrait déjà, mais être déloyal n'était plus quelque chose dont William se souciait. Il se noyait déjà si bien dans sa lâcheté.
Elle avait envie de lui claquer ses mains sur les joues juste avant de lui claquer la porte au nez.
De se précipiter chez leur voisine, de récupérer Emma et de venir serrer son petit corps chaud contre le sien. De se nourrir du parfum de fraise de ses cheveux et de l'odeur sucrée de son petit cou, de frotter son nez contre la peau qui collait légèrement sur les joues rebondies à causes des bonbons dont Mme Quermer n'arrêtait pas de la choyer. De s'entendre conter de nouveau qu'il ne s'était rien passé à l'école, comme si être enfant signifiait avoir passer un contrat de confidentialité avec l'enseignante pour ne jamais raconter à d'autres ce que l'on avait fait des huit heures précédentes. Elle voulait des disputes sur le nombre d'oursons en chocolat qu'elle avait le droit de manger pour le goûter et des batailles d'eau qui transformaient sa salle de bain en patinoire. Des larmes salées au coucher. Des sourires timides au réveil. Des petits pieds qui venaient s'enrouler aux siens quand l'enfant finissait par finir sa nuit dans son lit. Et tant pis s'il fallait partager le lit également avec Monsieur Ronron, la peluche en forme de chaton.
Elle n'était pas sa mère. Mais d'une certaine façon, Emma était devenue la chose la plus importante à ses yeux.
Ce fut donc pour Emma, que la main d'Aveleen se stoppa non loin de la joue de William, vers laquelle elle avait fini par se projeter à grande vitesse. Ses doigts se refermèrent un instant, petit poing fragile non loin de la peau bleuie par la barbe naissante.
Et puis, doucement, tout doucement, ses doigts tremblants se délièrent et elle vînt poser une main hésitante sur la joue de l'auror.
-- Je ne vais pas faire ça, refusa-t-elle en secouant la tête délicatement.
Ses yeux bleus le fixaient intensément.
Prendre sur soi était un exercice compliqué. L'ombre de la colère flottait en arrière-fond, mais Aveleen la jugulait du mieux qu'elle le pouvait. Elle savait que celui qui lui faisait face possédait les droits juridiques de lui retirer la garde provisoire d'Emma. Elle savait que le monstre avait encore beaucoup de ressources dans l'horreur. L'ombre douloureuse de celui qu'il avait été flottait également en filigrane. Tout ça était tellement plus grand qu'elle et elle n'avait pas le droit, cette fois encore, d'être aussi faible qu'il ne l'était.
Il fallait bien que quelqu'un tienne la barque, avant que le naufrage ne prenne encore plus d'ampleur et n'entraine tous les survivants sous une lame de fond.
-- On a supporté tes silences, tes absences, tes sautes d’humeurs, tes abandons et tes phrases assassines. Et maintenant, il faudrait que je te haïsse en plus ? murmura-t-elle. C’est ça que tu veux ? Tu te détestes suffisamment comme ça, va. Tu n’as pas besoin de ma haine, t’en es remplie et moi je suis fatiguée
Les doigts descendirent le long de sa joue dans une caresse qui lui coûtait encore plus que les mots. William représentait quelque chose qui, en cet instant, la dégoûtait profondément. Mais c'est peut-être ça, l'amitié : réussir à apporter de la douceur dans un territoire hostile. Être là quand tout allait bien était facile. Rester quand on crevait d'envie de partir, ça, c'était plus dur.
-- Et il y a une petite fille dans la maison d'à côté qui ne te détestera jamais, fit-elle, sa deuxième main rejoignant l'autre joue de William pour lui tenir le visage en coupe. Fais lui un peu confiance : elle sait qui sont ses parents.
Pour Mary.
--Emma a besoin de toi tout autant que tu as besoin d'elle.
Et pour le souvenir de ce qu'ils étaient, une famille, c'était un peu pour William aussi.
-- Que faut-il que tu perdes encore pour que tu comprennes que la seule chose contre laquelle tu te bas, ce sont tes propres fantômes ? Si tu ne sais plus qui tu es, demande à ta fille.
Elle n'avait pas le droit de lui appuyer sur la tête non plus. Il fallait bien que quelqu'un tende la main : et dans l'entrée de cette petite maison, le cœur encore dilapidé par la fatigue des dernières semaines, Aveleen s'essayait à l'exercice difficile du pardon sans condition. Peut-être parce que justement, William semblait suer de tout ce qu'elle ne voulait jamais devenir un jour : un corps grignoté par les souvenirs, hanté par ses erreurs, désespérément seul, gâchant tout ce qu'il lui restait pour essayer de se venger de tout ce qu'il ne récupérerait jamais.
-- Peut-être que si tu passais un peu de temps avec elle, tu te rendrais compte que tu n'as pas encore tout perdu ? suggéra-t-elle. Mange avec nous, s'il te plait, proposa-t-elle enfin.
@William Fastenburry
Ils souffraient tous les deux et au lieu de convertir leurs peines respectives en quelque chose d'un peu plus utile que du ressentiment, ils se jetaient des mots en tesson de bouteilles qui venaient blesser des cœurs déjà à vif.
Comme si avoir mal pouvait tout excuser.
Comme si souffrir justifiait toutes les impolitesses et ingratitudes. C'était bien connu : le propre de celui qui a le cœur fendu était souvent d'espérer que d'autres chutes à côté afin de se sentir moins seul. Alors, Aveleen accueillait les mots de William sans rien dire : les phrases assassines vinrent saupoudrer les blessures d'acidité, ré-ouvrant les quelques zones qui peinaient déjà à cicatriser, dévérouillant des portes chargées de souvenirs que la photographe aurait aimé voir rester closes. En silence, elle le laissa lapider la fragile relation qu'ils entretenaient tout en essayant de ravaler les ripostes inutiles qui lui brûlaient les lèvres. William semblait avoir ouvert la grotte de silence dans laquelle il s'était tapi depuis de nombreuses semaines : il exorcisait ses démons, les taillant à même le granit de sa douleur pour venir la bombarder de vérités de pierre qu'elle était loin d'ignorer, mais qu'il maquillait de tant d'horreurs qu'elle en eut la nausée. Tout ça creusait le fossé, ouvrant un gouffre aux parois exempts de la moindre aspérité à laquelle se raccrocher. Une abysse sans fond, noire et glaciale.
Et l'Irlandaise le savait : il ne manquait pas grand chose pour terminer de déchirer tout ça.
Elle le sentait entre ses côtes et dans son ventre, l'envie brûlante de le faire taire et de l’étouffer avec ses propres contre-vérités et manquements. La colère était un monstre dévorant et palpitant, qu'elle essayait de contenir jusqu'à ce que William ne s’essouffle lui même, à court du seul carburant qui lui permettait de se lever le matin. De la haine. Pour le monde, mais surtout pour lui même.
Au fond, Aveleen ne savait pas comment arranger les choses. Mais il fallait refermer la plaie béante qui trouait cette conversation comme une passoire. Elle se refusait à devenir aussi vide qu'il ne l'était William, à s'approcher d'elle avec le regard aussi fou. L'enseignante savait néanmoins qu'il lui faudrait s’intéresser à toutes les horreurs qu'il venait de lui balancer : que les tornades hostiles de ce qu'il avait soulevé viendraient agiter ses futures nuits pour les peupler d'insomnie. L'ouragan dont il la gratifiait faisait voler en éclat les vitres et les murs, bousillant les fondations. Peut-être parce qu'il y avait des fonds de vérité qu'elle savait déjà : elle n'avait pas toujours été là.
Mais pour l'heure, elle leva son petit menton obstiné en direction de l'auror, droite comme un "i", le regard tout aussi obstinément plongé dans les iris sombres de celui qui la toisait comme s'il pouvait mordre.
Bien sûr, que cela faisait mal : s'entendre ainsi dénuée de toute importance dans la vie d'Emma était une tempête de glace qui lui givrait le cœur, promettant des larmes solitaires et des remises en questions nimbées de culpabilité. Il avait appuyé là où elle souffrait déjà, mais être déloyal n'était plus quelque chose dont William se souciait. Il se noyait déjà si bien dans sa lâcheté.
Elle avait envie de lui claquer ses mains sur les joues juste avant de lui claquer la porte au nez.
De se précipiter chez leur voisine, de récupérer Emma et de venir serrer son petit corps chaud contre le sien. De se nourrir du parfum de fraise de ses cheveux et de l'odeur sucrée de son petit cou, de frotter son nez contre la peau qui collait légèrement sur les joues rebondies à causes des bonbons dont Mme Quermer n'arrêtait pas de la choyer. De s'entendre conter de nouveau qu'il ne s'était rien passé à l'école, comme si être enfant signifiait avoir passer un contrat de confidentialité avec l'enseignante pour ne jamais raconter à d'autres ce que l'on avait fait des huit heures précédentes. Elle voulait des disputes sur le nombre d'oursons en chocolat qu'elle avait le droit de manger pour le goûter et des batailles d'eau qui transformaient sa salle de bain en patinoire. Des larmes salées au coucher. Des sourires timides au réveil. Des petits pieds qui venaient s'enrouler aux siens quand l'enfant finissait par finir sa nuit dans son lit. Et tant pis s'il fallait partager le lit également avec Monsieur Ronron, la peluche en forme de chaton.
Elle n'était pas sa mère. Mais d'une certaine façon, Emma était devenue la chose la plus importante à ses yeux.
Ce fut donc pour Emma, que la main d'Aveleen se stoppa non loin de la joue de William, vers laquelle elle avait fini par se projeter à grande vitesse. Ses doigts se refermèrent un instant, petit poing fragile non loin de la peau bleuie par la barbe naissante.
Et puis, doucement, tout doucement, ses doigts tremblants se délièrent et elle vînt poser une main hésitante sur la joue de l'auror.
-- Je ne vais pas faire ça, refusa-t-elle en secouant la tête délicatement.
Ses yeux bleus le fixaient intensément.
Prendre sur soi était un exercice compliqué. L'ombre de la colère flottait en arrière-fond, mais Aveleen la jugulait du mieux qu'elle le pouvait. Elle savait que celui qui lui faisait face possédait les droits juridiques de lui retirer la garde provisoire d'Emma. Elle savait que le monstre avait encore beaucoup de ressources dans l'horreur. L'ombre douloureuse de celui qu'il avait été flottait également en filigrane. Tout ça était tellement plus grand qu'elle et elle n'avait pas le droit, cette fois encore, d'être aussi faible qu'il ne l'était.
Il fallait bien que quelqu'un tienne la barque, avant que le naufrage ne prenne encore plus d'ampleur et n'entraine tous les survivants sous une lame de fond.
-- On a supporté tes silences, tes absences, tes sautes d’humeurs, tes abandons et tes phrases assassines. Et maintenant, il faudrait que je te haïsse en plus ? murmura-t-elle. C’est ça que tu veux ? Tu te détestes suffisamment comme ça, va. Tu n’as pas besoin de ma haine, t’en es remplie et moi je suis fatiguée
Les doigts descendirent le long de sa joue dans une caresse qui lui coûtait encore plus que les mots. William représentait quelque chose qui, en cet instant, la dégoûtait profondément. Mais c'est peut-être ça, l'amitié : réussir à apporter de la douceur dans un territoire hostile. Être là quand tout allait bien était facile. Rester quand on crevait d'envie de partir, ça, c'était plus dur.
-- Et il y a une petite fille dans la maison d'à côté qui ne te détestera jamais, fit-elle, sa deuxième main rejoignant l'autre joue de William pour lui tenir le visage en coupe. Fais lui un peu confiance : elle sait qui sont ses parents.
Pour Mary.
--Emma a besoin de toi tout autant que tu as besoin d'elle.
Et pour le souvenir de ce qu'ils étaient, une famille, c'était un peu pour William aussi.
-- Que faut-il que tu perdes encore pour que tu comprennes que la seule chose contre laquelle tu te bas, ce sont tes propres fantômes ? Si tu ne sais plus qui tu es, demande à ta fille.
Elle n'avait pas le droit de lui appuyer sur la tête non plus. Il fallait bien que quelqu'un tende la main : et dans l'entrée de cette petite maison, le cœur encore dilapidé par la fatigue des dernières semaines, Aveleen s'essayait à l'exercice difficile du pardon sans condition. Peut-être parce que justement, William semblait suer de tout ce qu'elle ne voulait jamais devenir un jour : un corps grignoté par les souvenirs, hanté par ses erreurs, désespérément seul, gâchant tout ce qu'il lui restait pour essayer de se venger de tout ce qu'il ne récupérerait jamais.
-- Peut-être que si tu passais un peu de temps avec elle, tu te rendrais compte que tu n'as pas encore tout perdu ? suggéra-t-elle. Mange avec nous, s'il te plait, proposa-t-elle enfin.
@William Fastenburry
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Mer 3 Nov 2021 - 20:58
Vivre comme avant. Comme si rien n'avait changé. Trouver des excuses pour justifier le moindre changement, comme si tout, finalement, était parfaitement normal. C'est de cette façon que j'ai décidé de continuer ma vie. Fuyant toute occasion de penser à elle. De parler d'elle. Ne serait-ce que d'évoquer son nom. Cherchant un ersatz de normalité dans un quotidien désormais désincarné. Des nuits à dormir dans le feutré d'un bureau, loin de la chaleur des maisons, loin du regard des autres.
Les mots sont l'expression de bien des maux. Et les miens s'emballent, dépassent le train de ma pensée. Des mots que je prononce sans même m'en rendre compte. Des maux que je fuis depuis bien trop longtemps. Et alors que je les craches presque dans un venin mesquin et froid au nez de la photographe, leur sens profond me prend en traitre, comme si c'était moi même que je venais d'outrager. Quel étrange sentiment que la haine ? On prétend qu'elle est la propriété des hommes passionnés, de ceux dont les ardeurs ne sauraient être tempérées, et qui sont toujours tel des funambules sur la frontière du raisonnable. Il est évident que j'ai moi même chuté du mauvais côté. Mais celui que j'empoisonne depuis des mois, c'est bien moi. Je me déteste pour ce que je n'ai pas fait. Je n'étais pas là.
Un corps aussi droit que la justice se dresse devant moi. Un corps frêle mais digne, si fort bien que fatigué. Un instant, je revois son maintien, celui d'une reine parmi toutes celles qui l'entouraient. Une main qui se prépare, se tend. Je ne bouge pas. J'attend qu'elle claque. Elle ne claque pas. J'attend qu'elle claque. Pourquoi elle ne claque pas ? Se bras, pourtant, voulait que les doigts viennent marquer ma joue. Mais ils s'y déposent si délicatement ... Un rayon de la lumière crépusculaire traverse la fenêtre. L'espace d'une seconde, ses cheveux flamboies. Je vois une autre femme, un sourire triste jouant dans les tâches de rousseurs parsemant sa peau si pâle. Un nuage prend place, et le flamme s'éteint. Le moment est passé, emmenant avec lui l'apparition fantomatique. Mais celle qui se tiens devant moi appartient à la réalité. Et lorsqu'elle ouvre la bouche, je reste médusé. Je m'attendais à des cris. Des insultes. À être congédié. Mais ce que je reçois me sidère. Me tétanise même. Je cherchais à recevoir la même colère que je me sers à moi même. Aveleen a décidée de ne pas répondre à ma requête. L'Irlandaise avait décidée de m'accorder le pardon. Mon cœur se sert. Parfois, j'oublie pourquoi elle l'a considérait comme une sœur. Mary aussi l'aurai fait. Elle m'aurait pardonné. Je porte ma main sur celle de la marraine de ma fille. Incrédule, j'en dessine les contours. Puis, sans prévenir. Je viens saisir l'universitaire. J'ai beau être bien plus imposant, c'est moi désormais l'enfant, alors que je referme mes bras autour de ses épaules. Je respire difficilement, et puis je comprend. Alors, pour la première fois depuis ce soir là, un sanglot, un vrai, me secoue. L'armure, celle qui m'enfermait, par la force de la douceur des mots, viens de céder.
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Lun 13 Déc 2021 - 19:26
Cela n'avait pas dû tenir à grand chose, avait immédiatement songé Aveleen en voyant les yeux de William se charger d'une émotion qui la désarçonna presque tout autant.
Une détresse sans appel lui creusait les yeux.
Si cela n'avait pas été ici et avec elle, cela aurait quelques jours plus tard avec quelqu'un d'autre. Et ainsi de suite. La colère était un long marathon mais en bout de course ne subsistait souvent que l'émotion que l'on y avait refoulée derrière. Lorsque les doigts de William s'égarèrent contre le dos de sa main, Aveleen pu presque saisir l'exact moment où il comprit qu'il n'allait pas recevoir de coup supplémentaire. Etrange, comme l'homme à terre s'attends toujours à ce qu'on lui marche dessus plutôt qu'on ne lui tende la main et se retrouve si démunie par la tendresse. Au fond, William était comme sa fille : il était perdu. Mais comme il n'était pas un enfant, sa tristesse était un kaléidoscopes aux multiples facettes, dont les arrêtes tranchantes menaçaient de blesser quiconque s'en approcherait. C'était le propre des enfants d'avoir les émotions les plus pures. C'était le fardeau des adultes d'oublier comment pleurer sans avoir honte.
D'hésitants, comme s'ils redécouvraient le contact chaud d'une paume contre sa joue, les doigts finirent par crocheter les siens pour venir s'y amarrer. Etrange, là encore, comme de si petites attentions pouvait provoquer de si grands chamboulement. Le battement d'aile au Mexique pouvait-il provoquer un ouragan à l'autre côté du globe ? Tel était le principe de l'effet papillon : des réactions en chaîne, des frôlements qui devenaient de grandes secousses, des petits mots à la portée de grands discours. C'était important, les mots, la façon de les assembler entre eux pour en faire des phrases. Mais parfois, le silence était encore plus précieux que la meilleure des syntaxes et la plus poétique des formulations. Parfois, se taire était la seule solution. Ce fut en silence, donc, qu'Aveleen regarda le visage de William recouvrait peu à peu des couleurs plus familières, lui qui s'était contenter d'hanter son ancienne vie sans se rendre compte que le reste du monde avait continué à tourner. C'était troublant d'assister à pareille décomposition : lentement, les barbelés tombaient, un à un. C'était comme avoir accès au no-man's land après avoir vécu dans la boue des tranchées : sous ses yeux, les sillons de toutes ses batailles intérieures s'inscrivaient en ombre noire sous ses yeux. Il paraissait vaincu, comme le soldat blessé qui contemple les ravages d'une guerre en se demandant ce qu'il foutait là.
L'unique larme qu'elle avait surpris sur le visage de William a l'enterrement de Marie n'avait été que la grande sœur de toutes celles qui affluaient à présent. L'auror ploya, ses épaule baissées vers le sol, pour venir l'enlacer de ses bras. Interdite, elle garda les yeux rivés derrière William : il lui rappelait ces personnes qui, en revenant à la vie, avait besoin de toucher quelque chose. Non pas pour se convaincre que ce quelque chose existait - ils n'en doutaient pas ! - mais plutôt pour se rassurer quant à leur propre existence. Sa gorge se noua à ce contact, dans lequel il fallait une fois encore être l'ancre qui retiendrait chacun des bateaux de dériver en pleine tempête. Et alors qu'il la serrait contre elle, la photographe sentie de la buée s'étaler sur le voile de sa propre rétine.
Cette douceur était comme le dernier wagon d'un train qui avait tardé à arriver, se faisant trop attendre. Elle songea à ces longues semaines à partager le même toit sans réussir à partager autre chose que des repas silencieux et des regards qui en disaient trop longs sur leurs états d'esprit respectifs. Elle songea à cette larme unique qui avait roulé sur la joue de l'auror et qu'elle avait regardé couler sans rien faire. Parce qu'elle avait bêtement songé que cela n'était pas sa place : parce que William avait ses propres amis qui le connaissaient bien mieux qu'elle. Parce qu'il n'était pas son ami, tout simplement. Parce qu'elle lui en voulait, aussi, si elle devait être tout à fait honnête avec elle-même. Mais tout ça n'était que la première couche de tout ce qu'elle avait laissé gangrener : il y avait un temps pour tout. Et peut-être aurait-elle dû tendre cette main vers lui plus tôt. A ce moment si particulier où il avait osé échapper une première larme, dans cet instant si précieux où la douleur inconsolable avait déchiré son âme. C'était ces instants-là, qu'il ne fallait pas laisser filer : c'était dans ces moments-là que les étreintes étaient sans doute les plus importantes.
Alors, l'Irlandaise finit par refermer ses bras autour de la grande silhouette de l'auror. Un peu maladroitement, parce que les larmes avaient ce quelque chose de pudique que seule une grande proximité permettait à la rigueur d'atténuer. Proximité qu'ils ne partageaient pas. Mais cela n'avait pas d'importance, parce qu'ils partageaient un amour commun pour d'autres personnes qui permettait d'abaisser ce mur d'incompréhension. Au fond, elle savait. Elle savait qu'il avait mal à en crever. Et c'était suffisant. Alors, elle fini par nouer ses mains dans le creux de son cou, lui rendant cette tendresse qu'il était venu subitement chercher.
Il fallait qu'elle soit bonne menteuse, aussi. Comme toute bon socle sur lequel on s'accroche, elle ne devait pas vaciller. Les tremblements de son propre esprit se devaient d'attendre. Il y avait plus important.
Emma.
Elle n'avait pas menti.
Emma avait besoin de lui. Aveleen la revoyait encore, quelques jours après l'enterrement, se couper le pouce avec une feuille de papier au milieu du salon. La fillette avait d'abord été surprise par la douleur de sa petite plaie puis, juste avant de se mettre à pleurer, elle avait balayé des yeux la pièce pour y chercher ceux qui avaient toujours été là pour la réconforter, ceux qui savaient si bien la consoler. Puis, brusquement, elle avait arrêté sa recherche. Comme si elle avait compris, dans l'infinie vulnérabilité de ses cinq ans, l'absence de son père et la mort de sa mère. Que personne ne viendrait. Cette scène n'avait duré qu'une poignée de seconde. Une poignée de seconde qui avait serré le cœur d'Aveleen si fort qu'il s'était agis de l'une des images les plus bouleversantes de sa vie.
Les sanglots de William étaient en train d'arriver juste après.
Inspirant difficilement, l'enseignante posa délicatement sa tête contre celle de William qui lui semblait s'être recroquevillé contre elle. Et, sans vraiment contrôler son geste, sa main entreprit de lui caresser les cheveux.
-- Ca va aller, chuchota-t-elle.
Une promesse.
Une nécessité, plutôt.
-- Elle me manque à moi aussi, articula-t-elle avec une tendresse et une émotion qui fit trembloter sa voix.
@William Fastenburry
Une détresse sans appel lui creusait les yeux.
Si cela n'avait pas été ici et avec elle, cela aurait quelques jours plus tard avec quelqu'un d'autre. Et ainsi de suite. La colère était un long marathon mais en bout de course ne subsistait souvent que l'émotion que l'on y avait refoulée derrière. Lorsque les doigts de William s'égarèrent contre le dos de sa main, Aveleen pu presque saisir l'exact moment où il comprit qu'il n'allait pas recevoir de coup supplémentaire. Etrange, comme l'homme à terre s'attends toujours à ce qu'on lui marche dessus plutôt qu'on ne lui tende la main et se retrouve si démunie par la tendresse. Au fond, William était comme sa fille : il était perdu. Mais comme il n'était pas un enfant, sa tristesse était un kaléidoscopes aux multiples facettes, dont les arrêtes tranchantes menaçaient de blesser quiconque s'en approcherait. C'était le propre des enfants d'avoir les émotions les plus pures. C'était le fardeau des adultes d'oublier comment pleurer sans avoir honte.
D'hésitants, comme s'ils redécouvraient le contact chaud d'une paume contre sa joue, les doigts finirent par crocheter les siens pour venir s'y amarrer. Etrange, là encore, comme de si petites attentions pouvait provoquer de si grands chamboulement. Le battement d'aile au Mexique pouvait-il provoquer un ouragan à l'autre côté du globe ? Tel était le principe de l'effet papillon : des réactions en chaîne, des frôlements qui devenaient de grandes secousses, des petits mots à la portée de grands discours. C'était important, les mots, la façon de les assembler entre eux pour en faire des phrases. Mais parfois, le silence était encore plus précieux que la meilleure des syntaxes et la plus poétique des formulations. Parfois, se taire était la seule solution. Ce fut en silence, donc, qu'Aveleen regarda le visage de William recouvrait peu à peu des couleurs plus familières, lui qui s'était contenter d'hanter son ancienne vie sans se rendre compte que le reste du monde avait continué à tourner. C'était troublant d'assister à pareille décomposition : lentement, les barbelés tombaient, un à un. C'était comme avoir accès au no-man's land après avoir vécu dans la boue des tranchées : sous ses yeux, les sillons de toutes ses batailles intérieures s'inscrivaient en ombre noire sous ses yeux. Il paraissait vaincu, comme le soldat blessé qui contemple les ravages d'une guerre en se demandant ce qu'il foutait là.
L'unique larme qu'elle avait surpris sur le visage de William a l'enterrement de Marie n'avait été que la grande sœur de toutes celles qui affluaient à présent. L'auror ploya, ses épaule baissées vers le sol, pour venir l'enlacer de ses bras. Interdite, elle garda les yeux rivés derrière William : il lui rappelait ces personnes qui, en revenant à la vie, avait besoin de toucher quelque chose. Non pas pour se convaincre que ce quelque chose existait - ils n'en doutaient pas ! - mais plutôt pour se rassurer quant à leur propre existence. Sa gorge se noua à ce contact, dans lequel il fallait une fois encore être l'ancre qui retiendrait chacun des bateaux de dériver en pleine tempête. Et alors qu'il la serrait contre elle, la photographe sentie de la buée s'étaler sur le voile de sa propre rétine.
Cette douceur était comme le dernier wagon d'un train qui avait tardé à arriver, se faisant trop attendre. Elle songea à ces longues semaines à partager le même toit sans réussir à partager autre chose que des repas silencieux et des regards qui en disaient trop longs sur leurs états d'esprit respectifs. Elle songea à cette larme unique qui avait roulé sur la joue de l'auror et qu'elle avait regardé couler sans rien faire. Parce qu'elle avait bêtement songé que cela n'était pas sa place : parce que William avait ses propres amis qui le connaissaient bien mieux qu'elle. Parce qu'il n'était pas son ami, tout simplement. Parce qu'elle lui en voulait, aussi, si elle devait être tout à fait honnête avec elle-même. Mais tout ça n'était que la première couche de tout ce qu'elle avait laissé gangrener : il y avait un temps pour tout. Et peut-être aurait-elle dû tendre cette main vers lui plus tôt. A ce moment si particulier où il avait osé échapper une première larme, dans cet instant si précieux où la douleur inconsolable avait déchiré son âme. C'était ces instants-là, qu'il ne fallait pas laisser filer : c'était dans ces moments-là que les étreintes étaient sans doute les plus importantes.
Alors, l'Irlandaise finit par refermer ses bras autour de la grande silhouette de l'auror. Un peu maladroitement, parce que les larmes avaient ce quelque chose de pudique que seule une grande proximité permettait à la rigueur d'atténuer. Proximité qu'ils ne partageaient pas. Mais cela n'avait pas d'importance, parce qu'ils partageaient un amour commun pour d'autres personnes qui permettait d'abaisser ce mur d'incompréhension. Au fond, elle savait. Elle savait qu'il avait mal à en crever. Et c'était suffisant. Alors, elle fini par nouer ses mains dans le creux de son cou, lui rendant cette tendresse qu'il était venu subitement chercher.
Il fallait qu'elle soit bonne menteuse, aussi. Comme toute bon socle sur lequel on s'accroche, elle ne devait pas vaciller. Les tremblements de son propre esprit se devaient d'attendre. Il y avait plus important.
Emma.
Elle n'avait pas menti.
Emma avait besoin de lui. Aveleen la revoyait encore, quelques jours après l'enterrement, se couper le pouce avec une feuille de papier au milieu du salon. La fillette avait d'abord été surprise par la douleur de sa petite plaie puis, juste avant de se mettre à pleurer, elle avait balayé des yeux la pièce pour y chercher ceux qui avaient toujours été là pour la réconforter, ceux qui savaient si bien la consoler. Puis, brusquement, elle avait arrêté sa recherche. Comme si elle avait compris, dans l'infinie vulnérabilité de ses cinq ans, l'absence de son père et la mort de sa mère. Que personne ne viendrait. Cette scène n'avait duré qu'une poignée de seconde. Une poignée de seconde qui avait serré le cœur d'Aveleen si fort qu'il s'était agis de l'une des images les plus bouleversantes de sa vie.
Les sanglots de William étaient en train d'arriver juste après.
Inspirant difficilement, l'enseignante posa délicatement sa tête contre celle de William qui lui semblait s'être recroquevillé contre elle. Et, sans vraiment contrôler son geste, sa main entreprit de lui caresser les cheveux.
-- Ca va aller, chuchota-t-elle.
Une promesse.
Une nécessité, plutôt.
-- Elle me manque à moi aussi, articula-t-elle avec une tendresse et une émotion qui fit trembloter sa voix.
@William Fastenburry
- InvitéInvité
Re: Tu n'es pas sa mère - Ava
Jeu 23 Déc 2021 - 4:43
Le pays des larmes. Voilà bien un lieu mystérieux, si souvent visité, et pourtant toujours inexploré. Il semble que je venais d'y prendre un aller simple, après des mois à le fuir, jour après jour. Parce que si il y a une chose que je savais sur cet endroit, c'est qu'il conduisait inexorablement dans la vallée du désespoir. Un endroit que je redoutais plus encore de connaître, car je savais qu'en son sein, je n'aurai d'autre choix que d'affronter mon ultime et pire ennemi : moi même.
Mais voilà, après des mois à jouer un simulacre de vie, telle une marionnette dans son théâtre, j'avais transformé tout ce que j'aurai pu ressentir en une seule et même émotion. La colère. Contre tout et rien. Contre tout le monde et personne. Contre Alexander, contre Evan, contre ma femme, contre ma fille, contre le meurtrier, contre Nathaniel, contre Aveleen ... Mais aussi et surtout, contre moi même. Et elle était d'une violence inouïe. Parce qu'une phrase tournait encore et encore dans mon esprit torturé. Tu n'étais pas là. Non, je n'étais pas là. J'aurais dû être là. C'est mon devoir de prendre soin d'elle. D'elles. De les protéger. Et au lieu de ça, c'était un adolescent presque boutonneux qui s'était interposé. Et j'avais osé lui reprocher de ne pas avoir su les sauver. Mais il n'aurai même pas dû avoir à faire quoi que ce soit.
Jour après jour, je m'infligeais la violence de l'autoflagellation. Seul, le soir, je m'interdisais la tristesse. Je n'en étais pas digne. Ne sont dignes que ceux qui n'ont rien à se reprocher. Je ne méritais que cette violence. Pourquoi tout le monde voulait me traiter avec pitié, pourquoi personne ne m'accordais cette violence froide et mordante qui me revenait de droit ? Et puis la photographe avait eu ces mots. Ce regard. Ce contact. Un équilibre parfait. Ils n'étaient ni violence, ni pitié. Rien de ce que je ne saurais accepter, mais rien de ce que je demandais. Une infinie douceur. Voilà ce qu'elle m'avait donné. De la compréhension, sincère. Une chance de demander pardon. Cette main n'avait pas giflée, et pourtant, elle avait chassé avec autant de force la colère qui m'habitait. Ne restait alors qu'une coquille vide, un homme aux yeux hagards, qui se remplissaient de larmes.
J'étais vulnérable. Seul, si seul ... Elle était tout ce que j'avais ... Comment je suis censé avancer sans elle ? Comment je suis censé continuer à vivre sans elle ? On avait arraché un bout de mon âme. Un morceau énorme. C'est comme si mon corps continuait de survivre, alors que mon cœur ne battait plus dans ma poitrine. Ou peut-être étais-je devenu un fantôme ? Après tout, à bien des égards, je devais y ressembler. Je suis mort aussi cette nuit là. On m'a volé ma raison de vivre ... Tout le monde a l'air de croire que je pourrais m'en remettre ... Mais sans elle je ne suis plus rien. Elle était tout ce qu'il y avait de meilleur en moi. C'est le propre de l'amour. Elle avait fait ressortir ce que j'avais de mieux, enterré le mauvais. À ses côtés, j'étais capable de soulever des montagnes, j'aurais décroché la Lune si elle me l'avait demandé. Chacun de ses sourires était autant d'étoiles qui illuminées le ciel de ma vie, chacun de ses rires autant de mélodies, chacune de ses larmes autant de cristaux magnifiques. Je m'imaginais déjà vieux, grisonnant, lisant à ses côtés tandis que quelque part, on entendrai nos petits enfants jouer. Je voulais la voir vieillir, et vieillir avec elle. Je voulais que son regard croise le miens, que sa peau touche la mienne, que la chaleur de ses lèvres m'enveloppe encore, jours après jours. Je voulais tout d'elle, ne serait-ce qu'une dernière fois. L'éclat de feu de ses cheveux, l'odeur boisée de son cou. Rejouer sur son visage les milliers de constellations que lui donnaient ces tâches qui la complexait tant. Je voulais la serrer contre moi, tout contre mon cœur. Lui répéter encore et encore qu'elle était et serrait toujours la seule et unique, mon âme sœur. Que l'aimais bien au delà de ce que les simples mots échouent à faire savoir. Que tout mon être était dédié au sien. Elle était ma reine, mon étoile, ma flamme, ma mélodie. Elle était tant de chose. Il était si injuste qu'elle ne soit plus. Et moi j'étais là. Véhicule de chair et d'os vidé de toute étincelle de joie, de toute trace de vie. Ne remplissant que ses tâches fonctionnelles, pour donner le change. Rien qu'une ombre, qu'un homoncule vide de toute consistance. Persuadé de ne plus être personne, ou en tout cas, personne digne de qui elle avait été.
@Aveleen O’Donnell
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