"Calliope Muller, que me vaut l'honneur de votre visite ? "


Les lèvres sourient, mais le regard est froid. Comme bien souvent, tu t'amuses à jouer des apparences avec ton air enjoué. Tu es loin d'avoir envie de sourire en réalité, tu sais que la jeune femme est parfaitement au courant de cet état de fait. Calliope Muller est un oiseau de malheur, mauvaise augure qu'on aurait dû l'appeler. Sans doute que le sort s'est suffisamment chargé d'elle. Mais on ne peut pas dire qu'elle soit née sous une bonne étoile. C'est même ce qui a conduit la débâcle. Les secrets d'une naissance, si il n'y en avait pas eu, la situation aurait pris une toute autre tournure. 


Les jours se sont enchaînés depuis la dernière fois que vous vous êtes vus. Depuis ce fameux soir au Styx où tu as failli voir ta vie basculer. Il a fallu prendre de grandes décisions, être efficace pour ne pas risquer davantage encore. Au final tu ne sais pas ce qu'elle sait, ce qu'elle a compris, cette idée fut la première à prendre le pas sur ton subconscient. La première à te torturer la nuit dans le noir. Malgré l'interdiction qu'elle pourrait payer de sa vie, la menace n'a pas été levée, tu la sens toujours planer sur toi comme une ombre. Il faudrait que tu la tues pour être libre de tes pensées. Pourrais tu le faire cependant ? L'idée t'a frôlé l'esprit, elle a fini par germer puis pourrir car trop alimentée par le doute. Tu ne pourrais pas. Pas elle. 


La deuxième idée à s'être invitée dans ton esprit sans invitation, fut imposée par une découverte des plus infâmes. Quelque chose que tu n'avais pas besoin ni envie de savoir mais qui est venu à tes oreilles comme une sombre rumeur à laquelle tu n'as pu échapper. Elle s'est soustraite à toi pour un autre. Pas n'importe qui, assez pour nourrir des ambitions, s'attacher aux sang pur définitivement. 


Tu l'as vouvoyée volontairement. Retrouvant les vieilles habitudes. Vous avez, après tout, toujours été des étrangers non ? Elle n'est rien d'autre qu'une traîtresse.  Aussi tu sais pertinemment pourquoi elle est là. Ses notes tu les as reçues, lues, et ignorées. Elle allait finir par pointer le bout de son nez, ce n'était qu'une question de temps sans doute. Cependant, tu n'as aucune obligation envers elle. Tu t'es redressé quelque peu, mais pas levé, tu vas attendre qu'elle parle avec ta nonchalance habituelle. L'enquête n'a pas besoin d'elle, d'autant qu'elle n'a jamais rien fait pour aider ou supporter son avancée. 

Il y a une bague à son doigt. L’information n’a pu t’échapper. Non pas que tu sois un fin détective, enfin si, tu l’es, mais n’importe qui aurait pu s’en apercevoir. Le bijou est clairement ostentatoire, digne de ces grandes familles sang pures dont tu sais que Calliope ne fait pas réellement partie. Douce ironie quand on y pense. Plusieurs idées, sentiments contradictoires s’amusent à buter contre les parois branlantes de ton cerveau. A t-elle réussi à ferrer un poisson pour éloigner le potentiel risque que tu représentes, une fois mariée, le scandale pourrait être largement étouffé tu le sais. Une chose est pourtant sûre pour toi, il ne peut s’agir de sentimentalité. Elle s’amuse la garce, tu le vois. Croit-elle te torturer ? C’est se voiler la face que de penser que ça ne fonctionne pas, car il est clair que c’est le cas. Cependant tu ne dis rien. A vrai dire tu prends plutôt la situation à l’envers, au lieu d’afficher une quelconque hésitation, tu agis comme si tout ça était parfaitement calculé, absolument normal.

Voilà qu’elle menace. Ça n'aura clairement pas tarder. Calliope Muller n’est définitivement pas patiente. Ca tu le sais, c’est d’ailleurs à ton avantage, car cela lui fait faire des mauvais pas dont tu peux largement profiter. Ce n’est définitivement pas à l’avantage de la jeune femme, et elle le sait tout aussi bien que toi, mais ça ne l’empêche pas de défendre son bout de viande.

« Ah vraiment ? »

Tu croises les mains.

« Faites donc, vous trouverez sans doute une oreille compatissante dans les hauts bureaux de cette instance, pour ma part je ne me sens pas inquiété. »

Tu la négliges sciemment. Puisqu’elle est apparemment fiancée à quelqu’un de plus haut gradé que toi, elle n’a pas besoin de toi. Pas non plus besoin de se déplacer en personne jusqu’ici, tu sais à quel point elle exècre ce genre de visite. Tu pourrais presque penser qu’elle est venue ici expressément pour te voir, mais tu n’es pas un sentimental dans l’âme. C’est une femme perfide, et elle n’est pas digne de confiance. Paroles en l’air qui n’ont pas de poids sur toi. Elle n’est personne pour t’obliger mais si ton supérieur en vois l’utilité tu t’y plieras.

Tu regardes sa main s’avancer vers la somme de ton travail. Le geste, jusqu’à l’annulaire portant la bague, tout est calculé, qu’on te jette dans le feu si ce n’est pas le cas.

« Je vous en prie. Je suis sûr que vous trouverez quelqu’un ici pour vous assister dans votre lecture. Ne vous dérangez pas pour moi. »

Et tu reprends finalement ta plume pour continuer ce que tu as commencé en te désintéressant tout à fait d’elle. Il n’y a rien de pire que d’être ignoré, surtout pour Calliope Muller. Tu sais qu’elle n’est pas habituée à ce genre de traitement, tu veux étrangement lui faire payer d’être venue jusqu’ici incapble de te laisser tranquille alors qu’elle en a enfin l’occasion, n’était ce pas ce qu’elle voulait ? Tu as soudainement envie de griller de la nicotine. Sa présence ici déclenche la dépendance, fumer n’y changera rien, mais tu ne peux aller au Styx pour frapper sur un pauvre hère. Tu attendras qu’elle parte pour faire une escapade dans la rue, ou sur le toit à la recherche de la solitude.

La plume gratte le papier, cependant il ne se passe pas longtemps avant que ça ne soit plus le seul son émis entre vous. Calliope ne tarde pas à contre-attaquer. Elle s’escrime à vouloir te faire entendre raison, comme si elle en était capable, comme si elle était persuadée que ses arguments étaient imparables alors qu’ils sont tout juste passables. Pourtant depuis le temps que vous vous connaissez à présent elle devrait savoir. Elle est peut être aussi venu précisément chercher ce genre de querelles que tu as eu jusque là à cœur de créer dans sa vie. S’est pourtant trop tard maintenant, et tu n’as plus envie de subir les affres des envies incompréhensibles de cette femme.

« Miss Muller, à moins que vous n’ayez changé de sexe, et que vous ayez des responsabilités que je ne vous connais pas, vous n’êtes pas le ministre de la magie, pas même sa représentante. »

Si elle en doutait, maintenant tu as enfoncé le clou et elle ne peut pas dire qu’elle n’était pas au courant. Tu t’apprêtes à continuer, cependant elle te devance. En un instant ton esprit est pris dans une nouvelle tourmente. Elias. Comment est elle au courant pour cette liaison ? Loin de vous être un jour afficher publiquement cette relation est toujours restée secrète sous consentement mutuel. Hormis le fait des moeurs qui ne cautionnent que très mal les relations entre personnesdu même sexe, il y a la fiancée d’Elias, que ce dernier n’a jamais eu l’intention de quitter, et le deal était parfaitement clair là dessus. Tu n’en as jamais attendu autant du tireur d’élite. De personne en réalité. Pourtant celle face à toi, te tourmente toujours.

« Peut être. »

Elle n’est pas capable de se mêler de ses propres affaires. Cette femme est pire qu’une maladie infectieuse.

« Une aubaine pour nous deux que cela soit immuable. »

Oui, tu cherches à tout prix à la repousser. Ca serait plus simple si elle ne faisait plus partie du paysage de ta vie. Beaucoup plus simple. Tu ne peux pas l’éliminer du tableau si facilement pour autant. La plus grande difficulté étant de plus liée à toi directement et ce cerveau malade, incapable de se défaire de ses envies idiotes. Tu n’auras pas pas oublié de relever aussi, la grimace de Calliope. Cette femme à l’esprit aussi fermé que ceux dont elle tant à faire partie. Cela n’est pas étonnant, pour se fondre dans la masse, il faut savoir coller à tous les principes.

« Vous me voyez, ici sur cette chaise, désolé de ne pouvoir vous aider, ni de correspondre à vos critères. Je ne peux vous communiquer les informations dont vous avez besoin sans l’accord de mon supérieur. »

C’est clairement faux, tout comme ton sourire.

« Mais pour toute autre demande dans les cordes du petit auror que je suis n’hésitez pas à me solliciter. Je me ferais un plaisir de vous aider Miss Muller, comme toujours. »

Et maintenant dégage.

On ne pourrait nier à cette femme les ressources inépuisables qu’elle semble avoir. Pourtant tu l’as déjà vu acculée, tu l’as toi même mise dans cette situation… les conséquences auraient pu être davantage dramatiques qu’elle ne le fut pour vous deux. Maintenant vos escapades secrètes vous ont liés dans une relation qu’il aurait sans doute fallu avorter avant qu’il ne soit trop tard. Tu as été aveugle, faible devant cette femme qui trouble le cours de ta vie peu importe que tu tente de l’évincer ou non. Elle obsède tes pensées, et comme si cela n’était pas suffisant, il faut qu’elle soit là devant tes yeux encore une fois. Une forme de torture moderne sans doute. La seule façon pour toi de déjouer les plans de la Muller c’est de faire ce qu’elle n’attend pas de toi. Il ne faut pas réagir à sa présence, ni à ses provocations. Tu es plus motivé aujourd’hui que les autres fois pour de bonnes raisons. Elle en sait trop, avec de mauvaises informations qui pourraient clairement et facilement te nuire. Oh bien sûr, elle est loin de tout savoir, heureusement pour ta santé mentale. Cependant, tu n’es pas habitué à ce qu’on en sache autant sur ton compte. Ton “don” particulier est d’avoir cette capacité à se fondre parmi les agneaux perdus. Le loup dans la bergerie c’est toi, et Calliope fait tout pour te retirer ta pelure de mouton.

Le fait qu’elle parle d’Elias, n’est pas non plus pour t’arranger. Pour l’instant ta meilleure arme est encore de l’ignorer au possible, de ne pas lui donner de quoi te nuire si facilement. Tu as beau vouloir la congédier, et y mettre du coeur, elle s’y refuse encore.Tu te retiens de lui demander si elle a un brin d’amour propre. Elle semble accrochée comme une moule à son rocher. Quand tu te demandes encore quel genre de galère elle te réserve, tu regrettes presque automatiquement de t’être seulement posée la question. L’action suivante fait doucement mais sûrement vrillé ton cerveau. Tu fermes les yeux un instant, soupire, tu ne te caches pas. Ta patience angélique a des limites que cette femme semble acharnée à défoncer. Le changement dans le regard qui passe de brun à vert ne semble pas être suffisant pour qu’elle s’amuse à faire une remarque qu’elle doit sans doute trouver follement amusante. Il se peut que tu aies douter un instant des capacités de la jeune femme à utiliser la magie, mais qu’elle fase ce genre de chose, en public de surcroit… Tu la pensais plus pudique. Tu comptais sur son goût des bonnes manières pour ne pas te retrouver dans ce genre de situation.

Quand tu ouvres à nouveau les yeux, la lueur qui y brille est loin d’être engageante. Tout à coup tu te rappelles la sensation de son bras dans ta main qui serrait fort, le désir de lui faire mal, de la faire souffrir, de décharger ses sentiments qu’elle t’inspire sur elle pour tenter de retrouver un équilibre mental. Hélas, l’environnement ne permet pas de laisser libre cours à tes pulsions.

“Non. Maintenant je vous prierais de vaquer à vos occupations. Je ne suis pas à votre disposition et votre présence m’incommode. Il n’y a eu guère de collaboration de votre part sur cette enquête depuis le début, n’attendez pas que je joue les chiens dociles en retour. Celui que vous tenez en laisse avec cette bague devrait suffire pour combler vos attentes.”

Tu lâches ta plume, et après avoir sortie ta baguette pour ordonner tout sans prononcer le moindre mot, tu te lèves, quitte la chaise, et le bureau sans lui adresser un regard. Les poings fermés tu tentes d’évacuer la violence qui pulse au même rythme que les battements de ton coeur. Ces mots que tu viens de prononcer offrent de jolis seconds sens presque trop évident. Il faut que tu sortes de là, que tu grilles tes poumons à l’aide d’une cigarette à défaut de le faire avec ton cerveau. Sur le chemin tu récupères ton manteau sans regarder derrière toi.