Dr. Feelgood, at your disposal ft. @Leksander Ó Fearghail | 04.02.22

Il était étonnant de constater que, de toutes les blessures qu’il avait eues par le passé, ce soit celle-ci qui se manifeste aujourd’hui. Sa première escapade aventureuse après sa fin d’études à Hungcalf s’était malheureusement soldée par une absence de joyaux et l’épaule disloquée. Cependant, malgré la douleur qu’il avait ressentie sur le coup, cela n’avait pas effacé celle d’avoir rompu avec Isabelle. Probablement la femme qu’il a le plus aimé dans sa vie. Une personne un peu moins pragmatique que lui appellerait ça : le Karma. Étrange que, seulement quelques mois après avoir revu la Française de façon intime, cette même douleur se réveille comme par enchantement. Ou était-ce dû à ses vieux os qui ne supportaient plus l’inconfort des chambres d’hôtel et la pratique du violon ? Il préférait ne pas répondre à cette question et soigner son problème de la façon la plus efficace possible : via la médecine occidentale.

Il avait consulté à Sainte-Mangouste, lors de son arrivée en terrain britannique, un médicomage qui s’était montré fort discret face à ses nombreuses cicatrices et sa blessure la plus récente. Soignée avec les moyens du bord sur place, au Brésil, elle avait demandé un œil un peu plus avisé pour son bon suivi. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il croisa ce même médecin dans l’enceinte de l’université et qu’il apprit qu’il était devenu un membre du corps professoral. Il avait vu là une opportunité en or et voilà pourquoi, ce jour-ci, il se présenta au bureau/appartements du médicomage, certain qu’il n’y croiserait personne.Arthur aimait la discrétion et cela ne risquait pas de changer pour quelques bobos. Le Roumain frappa quelques coups rapides et légers de son poing et attendit qu’on l’invite à entrer. Une fois fait, il poussa la porte avec assurance et, dès son entrée dans la pièce, l'examina de son regard perçant. Bien moins aseptisée qu’une chambre d’hôpital, elle reflétait le caractère de son occupant actuel. Ce dernier était en tout point comme dans ses souvenirs, laissant supposer que le temps n’avait pas d’emprise sur lui. Une taille haute, un regard sûr et une barbe rouquine venaient compléter la panoplie du professeur de médicomagie. Pourtant, Arthur ne se sentait pas particulièrement impressionné, sans une once de mépris.

« Bonjour, Dr. Ó Fearghail. J’espère ne pas vous déranger dans votre travail. Arthur Batthyany, nous nous sommes croisés à Sainte-Mangouste il y a plusieurs mois. Vous avez soigné mon dos. Puis-je vous solliciter quelques minutes pour un problème du même ordre ? » Avec le temps, il avait appris à ne pas s’imposer quand cela n’était pas désiré ni recherché. Étant là sans rendez-vous, il pouvait totalement comprendre que l’homme soit occupé et qu’il veuille reporter cette entrevue. Ou alors, il pouvait considérer cette intrusion comme une opportunité de se faire de nouveaux contacts dans le coin, ce que personne ne devrait refuser. Arthur, en attendant son verdict, offrait un visage engageant. Certes, il paraissait constamment froid et distant avec tout le monde - un bloc de glace - mais de temps à autres, l’on pouvait discerner de la douceur au-delà de la surface glacée.

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Il était rare qu’on ne se souvienne pas de lui et Arthur pensait cela sans une once de vanité. Son accent se faisait remarquer sur le territoire britannique, tout comme sa stature et ses yeux bleus. On l’oubliait rarement, le Roumain, une fois qu’on l’avait croisé aussi longtemps que l’avait fait le médicomage. Ce dernier pouvait mal prendre le fait qu’il se serve de ses compétences pour éviter d’aller aux urgences, ou alors il pouvait voir dans sa démarche une marque de respect et de confiance. Infime, la confiance, car Arthur ne l’accordait qu’à de rares personnes et jamais dans sa totalité. Le cas présent, il avait réfléchi à la manière la plus rapide de régler son problème et la solution, plus claire que l’eau, lui avait sauté aux yeux. Cela ne devrait prendre que quelques minutes, sans compter la conversation de rigueur qui accompagnait sa demande. Arthur s’installa sur l’une des sièges et remarqua le regard observateur du rouquin posé sur lui. Il semblait déjà chercher l’origine de son problème et ce qu’il pouvait apporter comme solution - un trait de caractère qu’il appréciait particulièrement. Le diplomate avait toujours quelque chose à faire ou quelque part où aller, il ne pouvait pas perdre de temps et Leksander semblait le comprendre sans même qu’il n’ait à en faire mention.

« Il s’agit de mon épaule, que vous aviez déjà fixée brièvement la fois précédente, en même temps que mon dos. J’ai dû avoir un mouvement involontaire cette nuit et je la sens comme… disloquée, encore une fois. » Il n’évoqua pas la douleur ni la gêne que lui procurait cette blessure car Arthur n’aimait pas faire étalage de ses souffrances. Aux yeux de tous, il y était insensible - ou au moins à ceux trop bêtes pour se rendre compte que tout ceci n’était qu’un mécanisme de protection. Il ne voulait souffrir d’aucune vulnérabilité en public et n’en démontrait jamais, même dans la plus grande intimité. Face aux professionnels de la santé, il ne hurlait pas et grimaçait à peine. Ce fut le cas lors de leur dernière entrevue, à laquelle Leksander faisait allusion. Elle fut très douloureuse mais nécessaire, provoquant chez le Roumain quelques grimaces dont il préférait ne pas discuter.

« Vous êtes compétent et c’est tout ce qui compte à mes yeux. J’aurais pu aller aux urgences, mais c’est un problème qui peut se régler sans et je ne veux pas surcharger le travail d’autres professionnels, déjà bien débordés. » En tant que diplomate - et donc très éloquent - Arthur savait faire des compliments pour obtenir ce qu’il voulait. Parfois, comme dans ce cas-ci, il ne cachait pas sa volonté de flatter son interlocuteur - d’autres fois, il devait se montrer un peu plus subtil pour ne pas hérisser sa susceptibilité. Il s’imaginait que le rouquin en rierait car il ne semblait pas du genre à se prendre la tête.

« Bien sûr, je peux rémunérer vos services, même hors cadre hospitalier. Je veux juste que ce soit fait rapidement, pour que je puisse retourner à mes affaires. » À l’hôpital, on choisirait sûrement de le garder plusieurs heures pour faire quelques vérifications dont il ne voyait pas la nécessité. Il avait juste fait un mauvais mouvement, voilà tout…

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Il ne se formalisa pas de l’amusement dans le ton de la voix du médicomage. De toute évidence, il ne croyait pas du tout à son excuse de l’épaule démise à cause d’un sommeil trop agité même s’il était vrai que le Roumain souffrait de nuits parfois violentes. Comme tout le monde, il avait son lot de cauchemars mais ils concernaient toujours le même sujet, de plus ou moins loin. Il répondit donc par le silence, préférant expliquer les raisons de sa présence ici. Leksander semblait ne pas mal prendre le fait qu’il ait préféré l’embêter lui plutôt que des urgentistes. Arthur était allé au plus simple et efficace, comme d’ordinaire. Une seconde fois, il pu constater que l’homme qui s’apprêtait à le manipuler était difficile à froisser.

« Aucun problème, faites ce que vous avez à faire. » L’homme de l’Est n’avait pas pour habitude d’accorder sa confiance en qui que ce soit et il était toujours méfiant lorsqu’on lui proposait de manipuler son corps - fantastique outil de travail pour ses recherches. Il ne pouvait pas se permettre de laisser quelqu’un le briser “par mégarde”. Il manifesta son appréhension par un soupir un peu plus long que la normale et une fois sa veste retirée, se tint à disposition du médicomage.

« N’en soyez pas si sûr ! » Pour beaucoup, Arthur n’aimait personne mais le fait est qu’il ne détestait personne non plus. Il connaissait son comportement sous le joug de la colère et s’affairait donc à ne pas en avoir pour qui que ce soit. Il en allait de même avec le ressentiment, la rancune et le désir de vengeance. Des émotions qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir, au risque de devenir incontrôlable. Son insensibilité reposait essentiellement sur sa capacité à maîtriser ses sentiments. Il préférait largement être perçu comme un homme insensible que comme une bête incapable de se soustraire à ses propres émotions violentes.

Ils procédèrent à un rapprochement pendant lequel le diplomate ne broncha pas. Les mouvements que lui faisait faire Leksander n’avaient rien d’agréable mais il ne se permit aucun signe sonore de souffrance. Quand enfin il déplaçant sa structure osseuse dans le but de soulager ce fameux nerf, Arthur serra les dents en silence. Ses paupières se fermèrent l’espace de quelques secondes et il les rouvrit tout aussitôt, gardant une posture statique. Contrairement à ce que l’on pouvait penser, il savait obéir. Ce à quoi il ne s’attendait pas, en revanche, fut la question du médicomage. Tout le monde n’était pas en mesure de remarquer chez lui les marques du musicien et il dû bien s’admettre à lui-même que Leks le surprenait. Observatif, il avait au moins le sens de la déduction, ce qui en faisait d’autant plus un bon médecin. Il le détailla à son tour de ses océans, intrigué.

« Les deux, avec une préférence pour l’alto. Vous avez l’œil, docteur. J’imagine que vous allez me dire que cette pratique n’arrange pas mon épaule ? » D’autres le feraient, à raison. L’alto étant plus lourd et plus large qu’un violon classique, il demandait plus d’effort physique de la part du musicien. Arthur avait bien conscience qu’il empiétait son état en insistant trop longtemps dans sa pratique. Pourtant, à ce jour, il n’a jamais cédé face à la douleur.

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Arthur en vint à deux conclusions : soit Leksander était particulièrement observateur dû à son activité professionnelle qui lui demandait de distinguer toutes sortes de blessures ; soit il était musicien lui-même et connaissait les risques liés à cette pratique. Malheureusement, la réponse n’était pas gravée sur son front alors il prit le temps de l’observer à son tour. Il remarqua notamment ses mains et sa posture, qui lui donnèrent quelques indices.

« Oui, en effet… Ce n’est pas vraiment quelque chose qui se demande. Mais vous connaissez cela, non ? Vous êtes de cette trempe, si je ne me trompe. Batteur ou pianiste ? » Il en savait déjà pas mal sur moi - en plus de me tripoter partout - donc il pouvait bien me faire une petite faveur en se dévoilant un peu à son tour. Cependant, je ne souhaitais pas le déconcentrer alors qu’il devait lancer un sort pour réparer - encore une fois - mon épaule. Plus le temps passait et plus elle prouvait sa fragilité, ce qui avait le don de m’agacer. Les Batthyány sont des hommes robustes, qui ne tombent pas en mille morceaux à la première bourrasque venue.

« Faites donc » dit le diplomate sans une once de sentiment dans le ton de sa voix. Effrayé, anxieux, enthousiaste… impossible de dire ce qu’il ressentait vraiment à ce moment-là, quand le sort vint envelopper son épaule et réajuster son articulation. Le claquement qui l’accompagna avait un son très désagréable, mais il fit avec. Tout de suite, il sentit que les choses étaient revenues à la normale. Si la douleur se faisait persistante, il pouvait désormais se mouvoir avec plus d’aisance et le fit aussitôt. Son regard se posa alors sur le produit que lui proposait le médicomage, un onguent supposé soulager son nerf travaillé. Arthur n’était pas un grand fan de ce type de médicamentation, il prit donc le temps de peser le pour et le contre. Finalement, l’air convaincu de Leksander et le peu de confiance qu’il lui accordait furent suffisant pour une prise de décision.

« Pourquoi pas, mais de quoi est-ce composé ? Devrais-je m’attendre à des effets secondaires particuliers ? » Il faisait déjà signe au médicomage de mettre ses propos en application, mettant la peau de son épaule et de sa clavicule à nue pour lui laisser l’amplitude suffisante. Ayant parcouru le globe, Arthur avait déjà vu passer et essayé ce type d’onguent dont les propriétés pouvaient être traîtresses. Il ne voulait pas être détendu ou excité, et introduire n’importe quelle substance dans son système nerveux.

« Est-ce que cela va me permettre de jouer sans ressentir aucune douleur ? » Oh, il pouvait totalement vivre avec, cela ne lui faisait pas peur. Mais ça restait tout de même un inconvénient au quotidien dont il se passerait bien.

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Son instinct ne le trompait que rarement et dans ce cas-ci, il se félicita de l’avoir écouté de la même façon qu’il prêtait l’oreille à l’énumération des ingrédients composant l’onguent que le médicomage travaillait déjà entre ses doigts habiles. Il croyait dur comme fer en son produit, ce qui aida à atténuer les doutes d’Arthur. Ce dernier ne laissait jamais aucune substance inconnue toucher sa peau sans qu’il n’en ait évalué le contenu au préalable. Ses recommandations n’avaient rien d’extraordinaires et s’appliquaient autant à cet onguent qu’à d’autres pommades du même gabarit. Arthur prit tout de même le temps d’observer avec attention le visage de Leksander, notamment ses expressions, ce à la recherche du moindre signe de mensonge. Comme il ne lui sembla en trouver aucun et que le médicomage s’appliqua à lui dire la vérité sur sa condition physique, il se détendit.

« C’est bien ce qui me semblait, merci de me le confirmer. » Il ne s’en trouvait pas attristé. D’une façon ou d’une autre, il continuera à pratiquer son alto, quitte à endurer quelques souffrances. La douleur ne lui faisait pas peur. L’onguent, lui, avait l’effet attendu. Une chaleur aussi apaisante que dérangeante émanait de la friction des mains du rouquin contre sa peau, s’accompagnant de quelques frissons intérieurs. Lorsque Leks lui fit part de son plus gros problème, Arthur baissa son regard et suivit son mouvement de ses iris claires. La simple évocation d’une potentielle atèle lui tira une très légère mais perceptible grimace. Pas une seule seconde le diplomate n’envisageait de passer les prochaines semaines avec ce handicap visible.

« Vous avez bien vu, je préférerais éviter en effet. » Mais l’homme reprit bien vite en lui proposant une autre alternative qui intrigua le Roumain. Arthur n’aimait pas se compliquer la vie avec des soins journaliers mais il devait admettre que sa façon de traiter son corps ne convenait pas à son âge et il avait pour obligation d’être plus prudent. Perdre son bras n’était pas une option. Il garda le silence le temps que Leksander s’éloigne et il ajusta son vêtement sur son épaule avant de, finalement, relever la tête vers le médicomage. En effet, rien ne pressait mais le Roumain n’avait pas de temps à perdre avec ce type de décision. Il savait ce qui était bon pour lui et dans le cas présent, le choix s’imposait de lui-même. Il inspira profondément et hocha de la tête une à deux fois.

« C’est tout réfléchi. Une attelle externe m’handicaperait mais je ne souhaite pas pour autant faire plus de dommages à mon bras. Je suis d’accord pour tester votre alternative, l’attelle interne. Quand vous parlez de “fréquence nécessaire”, à quel chiffre faites-vous allusion ? Toutes les semaines ? Tous les deux jours ? 24 heures ? Je passe énormément de temps à voyager et je transplane donc fréquemment. Est-ce compatible avec ce moyen de transport ? » Le diplomate restait fidèle à lui-même car, malgré la décision qu’il avait prise en tout état de cause, il ressentait le besoin d’assaillir le médicomage de questions pour être sûr de savoir à quoi il avait affaire. Dans un souci d’efficacité, il voulait réduire au minimum son temps de présence dans une institution médicale ou, dans le cas présent, chez Leksander.

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Arthur ne regrettait pas d’être venu directement à Leksander car ce dernier prouvait sa maîtrise et son efficacité depuis le moment où il était entré dans la pièce. Il savait donc qu’en lui posant ces questions, il obtiendrait des réponses suffisantes pour repartir d’ici l’esprit tranquille et/ou informé. Il hocha quelques fois de la tête aux explications du médicomage, satisfait que cette solution ne lui demande pas plus d’implications. Un traitement toutes les vingt-quatre heures l’aurait vraiment embêté, même s’il s’y serait plié faute de mieux. Il pouvait gérer trois à quatres semaines. Il écouta avec attention les effets du sort se dissipant afin de mieux les reconnaître plus tard et ils ne lui parurent pas si atroces que ça. Le transplanage, en revanche, allait lui demander un peu plus d’efforts de conscience. Il allait devoir perdre ses petites habitudes pour prendre en compte ce nouveau corps chargé d’une magie bien différente et il n’excluait pas un certain risque. Arthur transplanait depuis ses débuts à l’université et s’il avait pris de la masse depuis quelques années, sa façon de penser ses déplacements avait toujours la même. Il ne s’en plaignait pas mais n’oubliait pas cette nouvelle contrainte.

Il hocha positivement de la tête et se redressa à la demande du médicomage. Restant complètement détendu, il positionna son bras selon la volonté de Leksander. Le Roumain n’avait jamais apprécié qu’on use de sorts sur lui mais les raisons médicales étaient une exception qu’il était bien forcé d’accepter. Pour son propre bien.

« Allez-y. » L’accent irlandais vint énoncer les deux mots nécessaires à l’incantation et Arthur épia les gestes du docteur afin de les reproduire lui-même plus tard. Il imprima le sort dans son esprit pour ne pas l’oublier. Il s’attendait à ressentir quelque chose lorsque la lueur pénétra sa peau, mais il n’eut pas même un pincement, ce qui s’avérait étrange. Pas de sensation de froid ni de chaud, rien de particulier indiquant qu’il possédait une attelle interne. Leksander, lui, semblait satisfait de son travail et valait mieux ça qu’une grimace impliquant une erreur.

« Je n’aurais qu’à reproduire le même geste avec cette même incantation ? Ici ? » Il indiqua de son index l’endroit où la pointe de la baguette du médicomage s’était positionnée pour lancer le sort. Arthur pouvait paraître extrêmement prudent… même si ce n’était pas toujours le cas. Dans le cas présent, sentant la séance de soin prendre fin, il préféra être sûr de partir avec toutes les informations nécessaires à son bon rétablissement. La technique en elle-même ne semblait pas très difficile et accessible à un sorcier de niveau inférieur au sien, mais il trouvait plus judicieux de demander confirmation. Le Roumain déplia le bras et fit quelques rotations d’épaule, avant de constater qu’il ne sentait absolument rien. Il semblait comme neuf et cette sensation était appréciable.

« Merci doc’, c’est toujours un plaisir d’avoir recourt à vos services. Combien vous dois-je ? » Il lui paraissait évident qu’un tel traitement demandait compensation, qu’elle soit monétaire ou autre. Arthur aimait rendre des services pour qu’on lui soit redevable et que cela lui sauve la mise dans le futur, mais l’inverse l’irritait. Trois options s’offraient à Leksander : proposer la gratuité sans condition, accepter une rétribution financière ou opter pour un échange de bons services.

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« C’est noté. » Leksander lui donna ses derniers conseils afin de se prodiguer ce soin seul chez lui et Arthur comptait bien les suivre à la lettre. S’il n’était pas vraiment obsédé par sa santé, il savait tout de même la respecter et dans le cas de son épaule, il ne pouvait pas faire autrement. En perdre la motricité n’était pas une option s’il voulait continuer ses recherches, qui s’avéraient toujours très physiques. Il remercia l’homme d’un signe de tête avant de complètement se rhabiller et lui demanda tout naturellement ce qu’il lui devait. Il laissait ainsi le choix au médicomage de tirer de lui ce qu’il désirait, ce qui l’arrangeait. Sa réponse fut d’ignorer la question, tout bêtement et Arthur le fixa longuement, hochant simplement de la tête d’un air entendu. Il ne voulait pas aborder ce sujet et il pouvait le respecter. Après tout, d’eux deux, il n’était pas le perdant dans l’histoire !

« Non en effet. » Le médicomage avait beau être serviable et sympathique, il ne souhaitait pas le croiser plus que de nécessaire. Ou, en tout cas, pas pour des raisons médicales. Il se demanda s’il était possible de créer une connexion avec cet homme autre que par ses soucis de santé physique et se rappela que l’un comme l’autre avait un pied dans le monde musical. Arthur ne croisait que peu d’hommes de son âge - ou plus - capable de le retrouver à ce croisement de chemins. Peut-être cela valait-il le coup de se poser deux minutes pour envisager la question ? Apparemment, le médicomage pensait la même chose car il amena sur le tapis le sujet de sa pratique de l’alto. C’était parfait, il n’aura pas à le faire lui-même.

« Peut-être même pourriez-vous m’accompagner de votre piano ? Si le cœur vous en dit. » Le diplomate n’était pas du genre à se montrer aussi ouvert d’emblée. Il ne jouait avec personne d’autre que lui-même car tout autre personne et son instrument avait tôt fait de le faire grincer des dents. Arthur était un solitaire dans l’âme, même quand il était question de musique. Mais vu la serviabilité de Leksander et le soulagement qu’il lui avait apporté, il se devait d’être conciliant et de s’ouvrir un peu plus à la nouveauté. Il ne connaissait pas le jeu de l’homme et espérait seulement que celui-ci soit bon.

« Ou pratiquez-vous, en règle générale ? Dans ces appartements ? » Il désigna du regard la porte qui se trouvait non loin d’eux et qui menait aux lieux privés réservés au professeur de médicomagie appliquée. Chacun des enseignants bénéficiait du même traitement et il serait curieux de voir l’instrument caché derrière ces murs. Pour sa part, il ne pratiquait qu’entre les quatre murs de sa location actuelle, dans le quartier sorcier d’Inverness. L’avantage d’un alto, c’était sa facilité de transport. Arthur voyageant beaucoup, il était primordial qu’il puisse l’emporter avec lui sans se poser dix mille questions sur l’endroit où il allait le ranger, la place qu’il allait prendre…

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À son image, Aleksander avouait ne pas avoir fait de duo musical depuis un certain temps. Ils se retrouvaient ainsi dans la même position, ce qui rendait leur compréhension de l’autre plus aisée. Il sentit néanmoins une certaine réticence dans sa voix et pensa ne pas insister davantage. Il ne ressentait aucun besoin urgent de partager sa musique avec le médicomage, surtout si ce dernier se montrait récalcitrant. Il paraissait tout de même bien moins solitaire qu’Arthur dans sa vie de tous les jours et celui-ci pensa que Leksander devait être un plus grand habitué que lui de cette pratique. Il demanda alors où se trouvait son instrument, lui laissant ainsi une porte de sortie s’il ne souhaitait réellement pas jouer en sa compagnie. Le sorcier pouvait très bien prétexter ne pas avoir d’instrument à disposition, ce qui lui éviterait d’avoir à jouer avec son homologue russe. Il choisit pourtant l’autre option : celle d’avouer la vérité et de prolonger cette conversation fortuite. Arthur lui-même se laissait guider par cette nouveauté, curieux de voir où cela pouvait les mener.

« J’imagine, oui. Mais en même temps, que serait un musicien sans son instrument à portée de main ? » Son premier réflexe fut de tenter de deviner le type de piano possédé par le médicomage. Droit, à queue… Il ne lésinait pas sur la qualité de son piano car posséder un Bechstein n’était pas donné à tout le monde. S’il ne valait pas une fortune, il pesait tout de même son poids en billet mais cela s’expliquait parfaitement par la qualité de ses modèles et de son son. Arthur lui-même ne se voyait pas jouer d’un alto bon marché, bien qu’il n’ait jamais rien eu contre ces instruments-là. Il se trouvait simplement digne de mieux et il avait les moyens de se le permettre. Il n’avait pas acheté son alto comme n’importe qui d’autre : il en avait hérité de son paternel qui, lui-même, l’avait hérité de son propre père. Ce dernier l’avait obtenu lors de l’un de ses voyages en France et Arthur n’était pas inconscient du fait que son instrument valait aujourd’hui près de quinze mille leu roumain. Une petite fortune pour quiconque tenterait de lui dérober. Le diplomate hocha de la tête en guise de réponse à l’invitation de Leksander et le suivit dans ses appartements où trônait fièrement l’objet de son questionnement précédent. Il s’agissait d’un piano à demi-queue splendide et dans un état presque irréprochable - du moins en surface. Il était curieux de pouvoir y poser les doigts, bien qu’il ne maîtrisât l’instrument aussi bien que son propriétaire. La fascination pouvait aisément se lire sur ses traits d’ordinaire si rudes.

« C’est une question pertinente ! En effet, il n’est jamais très loin de moi. Il y a des objets de valeur qu’il ne vaut mieux pas laisser à la portée de tous. Je suis persuadé que quelques sortilèges protègent un aussi beau bijou, n’est-ce pas ? » Il désigna de ses yeux bleus le piano qui se trouvait devant eux et s’il en venait à cette supposition, c’était uniquement parce qu’il pratiquait une telle mesure de précaution lui-même. Arthur était méfiant envers toutes et tous. Il ne laisserait personne approcher de son alto de près ou de loin. Qu’il indique au médicomage l’avoir avec lui était déjà inconsidéré en soit.

La question tira un bref sourire au trentenaire - chose assez rare pour être notifiée. « Cela dépend, connaissez-vous les musiques roumaines traditionnelles ? » C’était sur elles qu’il avait appris de cet instrument. Bien sûr, il plaisantait. Il n’imaginait pas une seule seconde que Leksander puisse maîtriser ce registre. Le mieux étant de rester dans quelque chose d’assez simple pour qu’ils n’aient aucun mal à se retrouver à mi-chemin.

« Il s’avère que j’ai des goûts très classiques. Je revisite peu les musiques d’aujourd’hui, ayant plus de plaisir à produire et écouter les grands chefs-d’œuvres d’illustres compositeurs. Cela semble un peu pompeux, je l’admets, mais ces notes m’enchantent toujours autant. Que dites-vous de Bach ? » Un choix relativement classique lui aussi mais qui leur laissait plus de chances de s’y retrouver l’un comme l’autre et d’avoir un peu plus de liberté. Ou alors ils pouvaient tout simplement se laisser aller à créer un son unique, se suivant l’un l’autre au gré des notes. À ses mots, Arthur glissa sa main dans la poche intérieure de sa veste et en sortit une petite boîte, elle-même contenant l’étui de son alto qu’il déposa dans la paume de sa main avant de l’agrandir d’un simple sort informulé. L’instrument au bois sombre qui se tenait dans l’écrin avait deux-cent ans…