- InvitéInvité
(Février) Les caprices du temps
Jeu 10 Mar 2022 - 18:36
(mood)Quand on travaillait dans la photographie, il arrivait parfois que l'on tombe sur des sujets quasiment dénués d'intérêt auquel il était demandé de donner l'apparence de quelque chose d'époustouflant et de merveilleux. Et dans ces cas de figure précis, il n'y avait plus qu'à tricher : avec les couleurs, les courbes, les angles, en se positionnant au bon endroit pour oblitérer tout ce qui ne méritait pas d'être dans le champ de l'histoire que l'on souhaitait raconter. Et si Aveleen aimait à dire que la plupart de ses clichés étaient criants de véracité, là était finalement l'importance : la plupart. Ou autrement dit : pas tous. Parfois, l'Irlandaise mentait dans ses photos et si elle ne l'avait que rarement fait c'était en réalité un domaine dans lequel elle s'était avérée particulièrement douée. La photographie avait le don de tout embellir : la vieillesse, la pauvreté, la tristesse, les regrets et les secrets. C'était peut-être pour ça que son métier lui convenait parfaitement : son principe de base consistait à voir le monde à travers les yeux d'autrui, et Aveleen avait toujours eu cette particulière vision du monde. Un brin trop sensible, avec les nerfs écorchés jusqu'à une extrême sensibilité, laquelle était-elle même camouflée derrière un apparent détachement.
C'était ce qu'elle faisait depuis plusieurs semaines. Elle trichait, surjouait, recommençait. C'était un mensonge aux allures de fuites, comme l'on détournait les conversations pour ne jamais aller dans le cœur du sujet.
En réalité, Aveleen avait toujours eu un goût prononcé pour la fuite. Mais parce qu'il était plus convenable de parler de désir d'évasion, c'était par ces mots qu'elle aimait se décrire. Ainsi, cela avait commencé par être de la soif d'aventure et non pas une sensation vertigineuse et angoissante d'étouffer à l'intérieur de la maison des O'donnell. C'était plus politiquement correct, au sein de cette famille soudée qui, si elle avait ses secrets et ses failles, paraissait s'être accordée dans la volonté de traverser les tempêtes et les tumultes de la manière la plus soudée possible. L'enfance d'Aveleen avait été aussi douce qu'il était possible de l'être avec tant de grands-frères autour d'elle et des parents aimants. Et puis, un jour, la voiture de leur tante avait fait des tonneaux et, avec elle, c'était toute leur vie paisible qui avait tourbillonnée, comme du linge sale dans le tambour furieux d'une machine à laver. La mort avait frappé à leur porte, avec de biens lourds bagages : une valise de culpabilité pour cette sœur dont on ne s'était pas correctement occupée, puis un petit garçon aux traits mutins et candides abandonné à lui même. La mère d'Aveleen avait tout prit : les sacs alourdis du passé et le garçonnet paumé. Aveleen se souvenait du jour où Ciaran était entré dans leur vie : ce petit garçon gringalet, avec ses petites tâches de rousseurs sur sa peau de porcelaine et ses immenses yeux où ne régnait qu'un vide absolu, angoissant. Il lui avait immédiatement fait penser à un oisillon tombé du nid, avec ses petites ailes encore trop maigrichonnes pour prendre son envol et ses plumes toutes collées par le sang de sa famille. Seul rescapé d'un accident de voiture, Ciaran était comme ces naufragés recrachés par la mer sur le bord des plages, le corps transi de froid et la peau dévorée par le sel et le soleil.
Ce n'était pas sa faute, si tout avait dérapé. Si avec lui, l'esprit de la mère d'Aveleen s'était fracturé. Sans doute avait-il toujours été fragile : comme ces pare-brise comportant pleins d'impacts qui, un jour, d'une dernière collision, finissent par éclater en des milliers de petits fragments. Mais elle avait sombré : dans la lente mélancolie et, surtout, dans les bouteilles ambrées de ce Whisky que leur père gardait dans le bar. Doucement, les longues après-midi à lézarder sur les côtes du Devonshire s'étaient mutées en tanières silencieuses et obscures, des après-midi aux volets de la chambre parentale cloisonnés, comme si la lumière était néfaste. Les repas étaient devenus plus silencieux, moins fournis aussi, comme si cuisiner était un luxe que l'on était capable d'offrir qu'en temps de paix, comme tout confort qui ne pouvait exister que lorsque les conditions s'y prêtaient. Au début, leur père avait essayé de prendre le relai, mais il était vite apparu qu'il ne possédait pas les qualités nécessaires pour y parvenir. Alors, ils avaient tous choisi la facilité : des pâtes, à toutes les sauces et de toutes les manières, parce que faire bouillir de l'eau était rapide et facile et que c'était ce qu'il leur fallait. Du rapide et du facile. Des placards que l'on ouvrait à la va vite, des petits déjeuners en guise de diner et des cookies que l'on prenait le soir en les trempant dans son bol. Cela aurait pu être de bonnes choses, tout cela, si cela n'avait pas simplement voulu dire que personne n'avait sincèrement envie de s'assoir à table pour discuter de la chaise vide. Maman n'avait jamais faim. Ou en tout cas, pas de nourriture solide. Sauf le soir, quand la fringale la réveillait en plein milieu de la nuit et qu'il était soudain viscéral de s'envoyer toute la planche de fromage avec, souvent - pour ne pas dire toujours - quelques lampées d'alcool pour bien tasser le tout. Quand elle croyait que tout le monde dormait. Mais que finalement, le simple bruit de ses pas mettait tout le monde en alerte, et qu'il ne suffisait que du grincement de la porte du bar pour comprendre qu'une fois encore, la boisson avait gagné.
Aveleen était déjà adolescente. Suffisamment grande, donc, pour savoir que le petit oisillon tombé du nid n'avait pas besoin de ça. Mais pas encore suffisamment pour ne pas, même inconsciemment, lui faire porter la responsabilité de tout ce qui advenait. Alors, dans les premiers temps, elle l'avait évité. Néanmoins, curieusement, étonnamment, même, Ciaran avait fini par s'enticher d'elle. C'était arrivé presque d'un coup, comme lorsque l'on trébuchait dans un escalier : d'abord, le pied ripait sur la première marche, puis on dévalait toutes les autres avant d'avoir eu le temps de se rattraper à la rembarde. Aveleen n'avait pas voulu de ça, mais c'était probablement la meilleure chose qui aurait pu arriver : l'oisillon avait eu trop froid, dans ce cottage si souvent en proies aux orages qui faisaient souffler leur toit comme si chacune des briques menaçait de s'envoler. Elle se souvenait des petits pas étouffés, de la porte qui avait finit par s'ouvrir et du petit corps chauds qui, sans demander la permission, s'était glissé dans son lit venant coller ses pieds frigorifiés contre les siens. Elle l'avait laissé faire. Et puis, petit à petit, Ciaran n'avait même plus prétexté avoir peur de la météo pour se glisser a ses côtés. Elle avait perdu une mère mais avait gagné un petit être qui comptait sur elle.
Et le deal était finalement plus qu'équitable. Ciaran avait été, faute de meilleure description, comme un soleil éblouissant et une épave de voiture accidentée. Les deux à la fois. Comme si une partie de lui était morte dans cet accident, avec la carrosserie bousillée par le choc, le moteur hors circuit et plus aucune direction assistée. Les crises d'angoisses étaient nombreuses, les cauchemars encore plus : même des années après, Aveleen avait toujours l'impression qu'une partie de Cia continuait à tourbillonner sur cette route de campagne dans laquelle sa famille avait perdu la vie. Elle avait entreprit de le remettre en état, du mieux qu'elle le pouvait. Parce qu'entre toutes ces crises, Ciaran était une des personnalités les plus rayonnantes qu'elle connaissait. Il avait toujours été dans son monde de farandoles et de formes, celui qui n'appartenait qu'à lui et que l'on pouvait juste regarder par le biais de ses dessins. Et ça, son art, Aveleen le comprenait. Tous les deux partageaient une âme d'artiste dans laquelle l'Irlandaise avait puisé de quoi redonner de la couleur à ces grands yeux pâles qui semblaient avoir oublié l'innocence. Ciaran et elles avaient donc fuit : lui avec ses crayons, elle avec son appareil photo. Elle, sa mère qui s'enfonçait dans la bouteille et lui, ses vrais parents qui ne l'attendraient jamais plus. Et puis, un jour, Aveleen avait fini par craquer. C'était ça, le problème, lorsque l'on se croit capable de réparer des épaves sans avoir pris soin de vérifier que soi-même , on était une de ces voitures accidentées dont le réservoir à présent à sec allait faire s'arrêter sur le bord d'une route. En rade. En rade total d'énergie pour s'occuper des autres. Elle avait mis les voiles. Le besoin de liberté, d'évasion, vous vous souvenez ? Le politiquement correct.
Elle avait fuit.
Ca, c'était la version non censurée, celle beaucoup moins agréable pour l'âme et le cœur. Et à présent, des années plus tard, dans cette Université, voilà qu'elle partageait de nouveau le même toit que Ciaran. Qu'elle avait lâchement abandonné. Bien sûr, ils étaient toujours proches : mais Aveleen savait que c'était différent. Elle avait brisé quelque chose. Alors, c'était presque ironique, qu'il soit ainsi entré de nouveau dans sa vie de façon si appuyée au moment où elle avait fini par découvrir le sens des responsabilités avec Emma. Ca faisait beaucoup d'oisillons tombés du nid au pied de l'Irlandaise.
Aveleen inspira une grande goulée d'air en caressant du regard la silhouette de Ciaran, auprès de l'un des grands chênes du parc. Elle était tombée sur lui par hasard et cette vision du jeune homme griffonnant sur son carnet avait soulevé de grandes vagues de mélancolie et de tristesse. Deux oisillons, et elle n'avait su correctement prendre soin d'aucun. Elle avait abandonné Ciaran sans crier gare. C'était peut-être un juste retour de bâton, si Emma avait fini par disparaître à son tour. Sans crier gare, elle non plus. Alors, séchant du coin de sa main les larmes qui avaient coulé tout du long de son observation de son plus jeune frère, son pas-si-frère que ça et qui pourtant était peut-être celui qui avait toujours été le plus cher à ses yeux, Aveleen sortie de sa cachette pour venir le rejoindre à pas de loup. Pour une fois, ce fut ses pieds à elle qui tâtonnèrent dans l'obscurité de la nuit pour le retrouver et y chercher du réconfort dans une soirée pourtant sans orage. Mais la tempête, celle qui effrayait vraiment, c'était celle de l'âme. S'il l'entendit, il ne releva pas la tête et Aveleen finit par s'installer à ses côtés, dans la fraîcheur hivernale du mois de février, ses pieds accolés aux siens. Veine tentative d'un retour en arrière. Sa tête blonde se cala sur l'épaule de Ciaran et elle ferma les yeux, trouvant du réconfort dans cette odeur familière. Elle frissonna :
— Dis, tu veux bien arrêter de grandir pour moi ? lui demanda-t-elle doucement.
@Ciaran O'Donnell
C'était ce qu'elle faisait depuis plusieurs semaines. Elle trichait, surjouait, recommençait. C'était un mensonge aux allures de fuites, comme l'on détournait les conversations pour ne jamais aller dans le cœur du sujet.
En réalité, Aveleen avait toujours eu un goût prononcé pour la fuite. Mais parce qu'il était plus convenable de parler de désir d'évasion, c'était par ces mots qu'elle aimait se décrire. Ainsi, cela avait commencé par être de la soif d'aventure et non pas une sensation vertigineuse et angoissante d'étouffer à l'intérieur de la maison des O'donnell. C'était plus politiquement correct, au sein de cette famille soudée qui, si elle avait ses secrets et ses failles, paraissait s'être accordée dans la volonté de traverser les tempêtes et les tumultes de la manière la plus soudée possible. L'enfance d'Aveleen avait été aussi douce qu'il était possible de l'être avec tant de grands-frères autour d'elle et des parents aimants. Et puis, un jour, la voiture de leur tante avait fait des tonneaux et, avec elle, c'était toute leur vie paisible qui avait tourbillonnée, comme du linge sale dans le tambour furieux d'une machine à laver. La mort avait frappé à leur porte, avec de biens lourds bagages : une valise de culpabilité pour cette sœur dont on ne s'était pas correctement occupée, puis un petit garçon aux traits mutins et candides abandonné à lui même. La mère d'Aveleen avait tout prit : les sacs alourdis du passé et le garçonnet paumé. Aveleen se souvenait du jour où Ciaran était entré dans leur vie : ce petit garçon gringalet, avec ses petites tâches de rousseurs sur sa peau de porcelaine et ses immenses yeux où ne régnait qu'un vide absolu, angoissant. Il lui avait immédiatement fait penser à un oisillon tombé du nid, avec ses petites ailes encore trop maigrichonnes pour prendre son envol et ses plumes toutes collées par le sang de sa famille. Seul rescapé d'un accident de voiture, Ciaran était comme ces naufragés recrachés par la mer sur le bord des plages, le corps transi de froid et la peau dévorée par le sel et le soleil.
Ce n'était pas sa faute, si tout avait dérapé. Si avec lui, l'esprit de la mère d'Aveleen s'était fracturé. Sans doute avait-il toujours été fragile : comme ces pare-brise comportant pleins d'impacts qui, un jour, d'une dernière collision, finissent par éclater en des milliers de petits fragments. Mais elle avait sombré : dans la lente mélancolie et, surtout, dans les bouteilles ambrées de ce Whisky que leur père gardait dans le bar. Doucement, les longues après-midi à lézarder sur les côtes du Devonshire s'étaient mutées en tanières silencieuses et obscures, des après-midi aux volets de la chambre parentale cloisonnés, comme si la lumière était néfaste. Les repas étaient devenus plus silencieux, moins fournis aussi, comme si cuisiner était un luxe que l'on était capable d'offrir qu'en temps de paix, comme tout confort qui ne pouvait exister que lorsque les conditions s'y prêtaient. Au début, leur père avait essayé de prendre le relai, mais il était vite apparu qu'il ne possédait pas les qualités nécessaires pour y parvenir. Alors, ils avaient tous choisi la facilité : des pâtes, à toutes les sauces et de toutes les manières, parce que faire bouillir de l'eau était rapide et facile et que c'était ce qu'il leur fallait. Du rapide et du facile. Des placards que l'on ouvrait à la va vite, des petits déjeuners en guise de diner et des cookies que l'on prenait le soir en les trempant dans son bol. Cela aurait pu être de bonnes choses, tout cela, si cela n'avait pas simplement voulu dire que personne n'avait sincèrement envie de s'assoir à table pour discuter de la chaise vide. Maman n'avait jamais faim. Ou en tout cas, pas de nourriture solide. Sauf le soir, quand la fringale la réveillait en plein milieu de la nuit et qu'il était soudain viscéral de s'envoyer toute la planche de fromage avec, souvent - pour ne pas dire toujours - quelques lampées d'alcool pour bien tasser le tout. Quand elle croyait que tout le monde dormait. Mais que finalement, le simple bruit de ses pas mettait tout le monde en alerte, et qu'il ne suffisait que du grincement de la porte du bar pour comprendre qu'une fois encore, la boisson avait gagné.
Aveleen était déjà adolescente. Suffisamment grande, donc, pour savoir que le petit oisillon tombé du nid n'avait pas besoin de ça. Mais pas encore suffisamment pour ne pas, même inconsciemment, lui faire porter la responsabilité de tout ce qui advenait. Alors, dans les premiers temps, elle l'avait évité. Néanmoins, curieusement, étonnamment, même, Ciaran avait fini par s'enticher d'elle. C'était arrivé presque d'un coup, comme lorsque l'on trébuchait dans un escalier : d'abord, le pied ripait sur la première marche, puis on dévalait toutes les autres avant d'avoir eu le temps de se rattraper à la rembarde. Aveleen n'avait pas voulu de ça, mais c'était probablement la meilleure chose qui aurait pu arriver : l'oisillon avait eu trop froid, dans ce cottage si souvent en proies aux orages qui faisaient souffler leur toit comme si chacune des briques menaçait de s'envoler. Elle se souvenait des petits pas étouffés, de la porte qui avait finit par s'ouvrir et du petit corps chauds qui, sans demander la permission, s'était glissé dans son lit venant coller ses pieds frigorifiés contre les siens. Elle l'avait laissé faire. Et puis, petit à petit, Ciaran n'avait même plus prétexté avoir peur de la météo pour se glisser a ses côtés. Elle avait perdu une mère mais avait gagné un petit être qui comptait sur elle.
Et le deal était finalement plus qu'équitable. Ciaran avait été, faute de meilleure description, comme un soleil éblouissant et une épave de voiture accidentée. Les deux à la fois. Comme si une partie de lui était morte dans cet accident, avec la carrosserie bousillée par le choc, le moteur hors circuit et plus aucune direction assistée. Les crises d'angoisses étaient nombreuses, les cauchemars encore plus : même des années après, Aveleen avait toujours l'impression qu'une partie de Cia continuait à tourbillonner sur cette route de campagne dans laquelle sa famille avait perdu la vie. Elle avait entreprit de le remettre en état, du mieux qu'elle le pouvait. Parce qu'entre toutes ces crises, Ciaran était une des personnalités les plus rayonnantes qu'elle connaissait. Il avait toujours été dans son monde de farandoles et de formes, celui qui n'appartenait qu'à lui et que l'on pouvait juste regarder par le biais de ses dessins. Et ça, son art, Aveleen le comprenait. Tous les deux partageaient une âme d'artiste dans laquelle l'Irlandaise avait puisé de quoi redonner de la couleur à ces grands yeux pâles qui semblaient avoir oublié l'innocence. Ciaran et elles avaient donc fuit : lui avec ses crayons, elle avec son appareil photo. Elle, sa mère qui s'enfonçait dans la bouteille et lui, ses vrais parents qui ne l'attendraient jamais plus. Et puis, un jour, Aveleen avait fini par craquer. C'était ça, le problème, lorsque l'on se croit capable de réparer des épaves sans avoir pris soin de vérifier que soi-même , on était une de ces voitures accidentées dont le réservoir à présent à sec allait faire s'arrêter sur le bord d'une route. En rade. En rade total d'énergie pour s'occuper des autres. Elle avait mis les voiles. Le besoin de liberté, d'évasion, vous vous souvenez ? Le politiquement correct.
Elle avait fuit.
Ca, c'était la version non censurée, celle beaucoup moins agréable pour l'âme et le cœur. Et à présent, des années plus tard, dans cette Université, voilà qu'elle partageait de nouveau le même toit que Ciaran. Qu'elle avait lâchement abandonné. Bien sûr, ils étaient toujours proches : mais Aveleen savait que c'était différent. Elle avait brisé quelque chose. Alors, c'était presque ironique, qu'il soit ainsi entré de nouveau dans sa vie de façon si appuyée au moment où elle avait fini par découvrir le sens des responsabilités avec Emma. Ca faisait beaucoup d'oisillons tombés du nid au pied de l'Irlandaise.
Aveleen inspira une grande goulée d'air en caressant du regard la silhouette de Ciaran, auprès de l'un des grands chênes du parc. Elle était tombée sur lui par hasard et cette vision du jeune homme griffonnant sur son carnet avait soulevé de grandes vagues de mélancolie et de tristesse. Deux oisillons, et elle n'avait su correctement prendre soin d'aucun. Elle avait abandonné Ciaran sans crier gare. C'était peut-être un juste retour de bâton, si Emma avait fini par disparaître à son tour. Sans crier gare, elle non plus. Alors, séchant du coin de sa main les larmes qui avaient coulé tout du long de son observation de son plus jeune frère, son pas-si-frère que ça et qui pourtant était peut-être celui qui avait toujours été le plus cher à ses yeux, Aveleen sortie de sa cachette pour venir le rejoindre à pas de loup. Pour une fois, ce fut ses pieds à elle qui tâtonnèrent dans l'obscurité de la nuit pour le retrouver et y chercher du réconfort dans une soirée pourtant sans orage. Mais la tempête, celle qui effrayait vraiment, c'était celle de l'âme. S'il l'entendit, il ne releva pas la tête et Aveleen finit par s'installer à ses côtés, dans la fraîcheur hivernale du mois de février, ses pieds accolés aux siens. Veine tentative d'un retour en arrière. Sa tête blonde se cala sur l'épaule de Ciaran et elle ferma les yeux, trouvant du réconfort dans cette odeur familière. Elle frissonna :
— Dis, tu veux bien arrêter de grandir pour moi ? lui demanda-t-elle doucement.
@Ciaran O'Donnell
- InvitéInvité
Re: (Février) Les caprices du temps
Lun 11 Avr 2022 - 0:35
L'air frais écossais ne me dérangeait pas. Il ressemblait beaucoup à celui de mes terres natales, la belle Irlande. Habitudes ancrées depuis mon enfance, celle de parcourir les landes, la côte afin de trouver le meilleur endroit pour laisser libre court à ma créativité. Mes inspirations se trouvaient bien souvent dans la nature ou dans mon environnement direct. Un bâtiment, un arbre, un animal, une scène du quotidien. Peu importait finalement. Il suffisait qu'un mouvement attire mon regard ou que je sois saisi par la beauté d'un endroit pour me donner envie d'écrire ou de dessiner. Mon carnet à croquis pratiquement vissé à la main, je pouvais passer des heures dehors à me promener afin de le remplir. Parfois, cependant, je revenais bredouille. Quand le temps n'était pas au beau fixe, quand je n'étais pas d'humeur ou quand tout simplement rien ne m'inspirait. Ce jour-là de février, c'était une fois de plus au coeur du domaine de l'Université que je m'étais installé. Les chênes centenaires m'entouraient et me protégeaient de leur haute stature. Assis aux pieds de l'un deux, le dos calé contre le tronc, je me lâchais sur la feuille blanche. Mon crayon virevoltait au rythme de mon inspiration, faisant naître sur la page des myriades de détails, tous issus de mon observation mais également de mon imagination. Tout était passionnant. Une feuille qui tombait et tourbillonnait avec le vent devenait vaisseau pour un monde minuscule et inconnu. Une pierre recouverte de mousse devenait l'entrée d'une grotte souterraine où vivaient des leprechauns ou autres créatures extraordinaires. Un rien m'amusait et me fascinait. Alors que des traits apparaissaient peu à peu sur la feuille, un mouvement derrière moi mit mes sens en alerte. Une présence familière et délicate qui ne me fit pas relever la tête. Elle me connaissait bien. Continuant à dessiner, la professeure s'installa à mes côtés. Son attitude me rappelait la mienne il y a des années. Venant réclamer de l'affection. Essayant désespérément de combler ce vide au fond de son cœur. Ma soeur Aveleen avait longtemps été mon seul repère familier dans ce monde de dingue. Une présence rassurante et nécessaire quand j'étais au plus mal. L'être dont je m'étais toujours senti le plus proche dans la famille. Un petit gamin perdu, un Peter Pan torturé sauvé par une fée Clochette aux beaux cheveux dorés. Bloqué en enfance par ce traumatisme qui m'aura enlevé les membres de ma famille. Cherchant désespérément à m'en sortir... Et puis, un jour, la belle fée s'était envolée et m'avait abandonné. J'avais lutté, j'avais espéré la revoir. Jusqu'au jour de mon arrivée à Hungcalf. Oh, je lui en avais voulu, beaucoup. Parce que c'était douloureux de se voir abandonné par deux fois. Parce que c'était trop dur de voir qu'une autre avait pris ma place. Et un jour, tout explosa à nouveau, la petite disparut et tout espoir avec elle. La fée avait perdu ses ailes. Je sentis sa tête sur mon épaule, mais je ne dis toujours rien. Quand enfin sa voix fit son chemin jusqu'à moi, je soupirais doucement, un sourire presque triste au coin des lèvres. Je me demandais si je devais lui mentir, si je devais mettre du baume sur ses plaies, si je devais la bercer de belles illusions. Mais j'avais cessé d'être un enfant. Et comme disait mon psy, il fallait aller de l'avant. "C'est un peu tard malheureusement..." commençais-je doucement en chuchotant. Je posais mon crayon avec précaution, avant de reprendre. "Mais peut-être pouvons-nous grandir ensemble?" La question était peut-être un peu naïve, mais très sincère. Une sorte de question lancée à la mer, prêt à tout pour retrouver cette relation que nous avions pendant très longtemps. Une part de moi rêvait toujours de redevenir cet enfant qu'elle protégeait et entourait de son aura de lionne. Une autre part de moi cherchait à s'émanciper et recherchait la nouveauté. Un nouveau soupir s'échappa d'entre mes lèvres, et d'une petite voix, j'ajoutais: "Où sont passées ces soirées d'orage à se raconter des histoires sous la couverture pour oublier ses peurs?" Des souvenirs à la fois heureux et douloureux. Une mère adoptive absente, rongée par ses remords et par l'alcool. Un frère et une soeur qui se serraient pour ne pas avoir froid.
@Aveleen O’Donnell
|
|