Le sable dans le petit sablier magique à côté de moi a terminé sa course. Cela fait dix sept minutes que je touille dans un sens puis dans l’autre. J’ajoute quatre sangsues et je touille de nouveau.
Je sais qu’il ne me reste plus beaucoup de temps alors je relie le processus noté sur mon parchemin.
Cela me paraît correct alors je n’ai plus qu’à attendre la fin du cours ainsi. Je sais que ma potion ne sera pas prête mais il de toute façon, la prof sait très bien qu’il ne peut en être autrement.
Je jette un coup d’oeil aux autres : le stress se lit sur le visage de certain, tandis que d’autres ont les traits concentrés. Octave, comme à son habitude, ne laisse rien transparaître. Mais je ne me fais pas de soucis pour lui. Ce n’est pas le genre à se sentir en difficulté dans ce cours.

Ca y est. La prof met fin à la préparation. Je pose ma cuillère en bois et range mes affaires, tout en laissant mes notes afin de permettre l’évaluation. Je n’oublie pas d’éteindre sous mon chaudron, la potion était stabilisée même si elle n’est pas terminée.

Je trouve ça rude qu’elle nous évalue dès le début de l’année mais je pense avoir fait le nécessaire.
Octave ne tarde pas à sortir et je le suis de près. J’ai une petite pause avant d’aller en cours de vol. Alors je vais aller manger un petit en-cas avant d’aller dehors.

Holly
Pas d’entraide. Je suis à la fois soulagée et dépitée car ça signifie autant que je ne nuirai pas au travail d’un autre que… Et bien que je suis franchement mal barrée. Si seulement je pouvais éviter d’emporter Ethan et Billie dans ma débâcle au moins…

Je m’acharne, sentant démesurément le regard de la prof sur moi alors qu’en réalité, elle est partie lire on ne sait quoi à son bureau. Quand elle se lève et inspecte chaque paillasse tour à tour, je me glace instantanément. Et le reproche - conseil ? - donné n’est pas pour arranger quoi que ce soit.

« Attention aux proportions mademoiselle, diminuez la quantité de cet ingrédient. » 

Douce Viviane, j’observe ce qui se trouve devant moi et réalise à quel point elle est dans le vrai. Si je me réfère correctement cette fois à mon grimoire, j’ai dix fois trop de de poudre d’écaille de serpencendre !

Mais le pire reste à venir et quand elle reprend la parole en revenant à son bureau, je blêmis immédiatement.

« Je vous laisse une demi-heure de plus pour terminer votre potion ce qui me permettra de vous mettre votre première note de l’année. Si vous êtes en retard, accélérez la cadence. » 
- C’est impossible…

En situation ordinaire, j’aurais probablement compris que c’était précisément le but de la manoeuvre, mais les potions sont définitivement ma bête noire et voilà que le stress déjà bien présent me gagne démesurément. Quelques longues minutes s’écoulent, pendant lesquelles j’observe ma table, mes ingrédients, mon chaudron comme s’ils allaient m’apporter une réponse extraordinaire, mais évidemment, rien ne vient. Je sais que je n’y arriverai jamais, cette potion ne sera jamais achevée, à peine ai-je le temps, je crois de la commencer. Alors en dépit du reste, je m’acharne sur la partie théorique : la seule chose que je puisse faire un minimum correctement. Et si j’en venais à lire le parchemin d’Ethan, je crois que je ne me formaliserais même pas. Il a probablement raison de toutes les manières.

Mon parchemin se remplit donc, parfaitement détaillé, annoté de références aux items de mon grimoire pris comme base de réflexions. Le choix des ingrédients est argumenté, chacun utilisé pour une raison précise. Mais mon chaudron reste désespérément vide. Les ingrédients sont préparés, chacun face à moi. La recette détaillée sur mon parchemin lorsque le temps imparti vient à sonner. Mais pour le reste, j’ai clairement fait l’impasse sur la préparation pratique…

*
James
A voir le visage de ta cadette, tu doutes fortement que le regard que tu as voulu rassurant ait obtenu l’effet escompté. Comme si t’avais la moindre capacité en ce sens, en même temps… Un soupir t’échappe, et tu te concentres sur ton propre exercice. Tu réalises à peine la présence de Melnikov lorsqu’elle passe entre les tables, parfaitement concentré sur ta tâche. Il faut dire que là, tu es particulièrement dans ton élément.

Quand la professeur annonce la demi-heure restante, tu réprimes un petit reniflement narquois, comprenant instantanément le test mis en place. Tu sursautes cependant quand le livre de Cataleya claque sur la table non loin et relève le regard vers elle. Elle s’affaire sans ménagement ni pour les ingrédients, ni pour ses voisins de table, et tu admires éternellement le feu qui brille dans ses prunelles claires.

Bien.
Retour à ton propre chaudron, et à tes notes soignées. Une telle potion ne peut être achevée correctement dans le temps imparti - tout au moins pas conformément aux ingrédients proposés. Cette information se trouve précisée sur ton compte-rendu. Tu en élabores la base, minutieusement, tes dosages et tes gestes d’une précision exemplaire. Le mucus de veracrasse frémit à peine, afin de ne pas solidifier de trop ta potion. Les fleurs de marguerite hachées finement y sont versées. D'un geste souple de ta baguette, tu impulses le mouvement à la cuiller en bois, qui remue le mélange sept fois dans le sens horaire, puis anti-horaire, avant d'y intégrer la dose parfaite de vipère cornue soigneusement pilée au mortier. Tu prépares également soigneusement le jus de figue, pelant les fruits puis passant la pulpe au tamis pour en retirer les graines trop amères et le conserve dans une fiole : la potion n'aura pas le temps de parvenir au stade nécessaire à son ajout, mais qu'importe. Tu te paies même le luxe d'ajouter deux petits godets de miel d'oranger et de poudre d'argent, plus pour le goût et l'esthétique que pour modifier le résultat. Laissant le démarrage de ta potion infuser et ta cuiller enchantée y appliquer les mouvements nécessaires, tu utilises le restes du temps imparti pour approfondir tes notes.

Le mucus de véracrasse est un liant générique intéressant de par son faible coût, mais demande un délai de préparation long, à feu doux, afin de ne pas trop solidifier la mixture qui en deviendrait difficile à ingérer, inverse de l'effet escompté. Afin de palier à cela, on pourrait user de sang de dirico, non proposé ici, qui réduirait drastiquement le délai et permettrait d'achever cette potion dans le temps imparti. Par ailleurs, il permettrait d'augmenter la puissance de la potion, de même que la camomille marocaine en lieu et place de la marguerite.
De la même manière, la figue commune plus accessible pourrait être remplacée par la figue sycomore, à la saveur également plus sucrée qui rendrait la potion plus savoureuse sans besoin d'y ajouter la touche finale de miel ne visant qu'à la rendre plus comestible - et donc commercialement plus intéressante. Quelques grammes de poudre d'argent - ou mieux de diamant - permettraient également de rendre la potion plus attrayante visuellement, toujours dans le but d'en faire un usage commercial plus florissant.

Quelques croquis des ingrédients proposés, un peu trop rapidement ébauchés à ton goût, ornent ton parchemin quand...

« Terminé ! Arrêtez vos potions ! »

Un léger sourire sur les lèvres, tu poses ta plume et imposes d'un coup de baguette à la cuiller de cesser son mouvement et au feu sous ta potion de s'éteindre.

« Peu importe que vous ayez fini ou non, vous n’aurez pas le droit à une minute de plus ! Laissez tout et également vos notes sur la table, selon votre avancement je procéderais à la notation. »

Un sortilège nettoie tes mains avant que tu ne ranges soigneusement tes affaires, et c'est le plus calmement du monde, et après avoir poliment salué la professeure, que tu quittes la salle de potions, plutôt satisfait.