Cette annonce avait fait apparaître une ombre lors de ma fête d’anniversaire. J’avais encore du mal à croire que mon père m’ait annoncé les choses ainsi, mais après tout, avais-je vraiment le choix de dire quoique ce soit ? J’étais à ma place de femme et de fille, et il était entendu que dans une famille comme la nôtre ce serait mon père, voire même ma grand-mère, qui prendrait directement cette décision, pourtant, je n’arrivais pas à en apprécier pleinement les conséquences. Je savais bien que je finirais par être fiancé à un fils de bonne famille sang-pur, et les Muller faisaient clairement partie des options possibles. Leur famille était connue dans toute l’Angleterre, et surtout, ils étaient connus pour organiser des alliances internationales pour la diversité de leur sang, là où d’autres familles préféraient les mariages intra-familiaux. Mais Hélios … Je n’avais rien contre ce gamin, mais voilà, il n’était qu’un gamin. J’aurais préféré que l’on m’annonce des fiançailles avec Caliban, l’ainé d’une des trois branches, même si je savais cela impossible car il était déjà fiancé à Secunda Blackthorn, ma meilleure amie avec Calliope. En y pensant, les deux autres aînés n’étaient pas mieux, Caël, celui qui venait d’épouser une sang-de-bourbe, avait déjà deux enfants, dont un hors mariage. Il était la honte des Muller, et un temps je m’étais demandé si cela ne disqualifierait pas cette famille pour de possibles fiançailles. Sasha était encore un autre cas, certes il ne s’entichait pas d’impures, mais il avait déjà trois enfants hors mariage également. Apparemment, les Muller sont fertiles et ils aiment copuler comme des bêtes. J’aurais pu hériter de Sytry, le frère puiné de Caliban ou d’Octave, le frère de Caël, deux hommes au caractère bien plus compatible avec le mien, mais non, j’avais hérité du gamin, Hélios. C’était le plus jeune frère de Caël. Un avorton, à peine pubère, qui semblait mouiller sa culotte quand il parlait à une fille. A l’extérieur, je faisais illusion, et donnais l’impression d’être ravie d’être fiancée à un homme plus jeune et « prometteur » comme Hélios. Mais en moi-même, j’étais beaucoup plus réservée. J’avais lu la même lueur d’incompréhension dans les yeux de Calliope. Me faire ça le jour de mon anniversaire.. Non, décidément, c’était un mauvais cadeau. Je l’accepterai, bien entendu. Si nos familles le décidaient ainsi, je l’épouserai, mais avant ça il faudrait que je le dresse pour qu’il comprenne à qui il avait affaire avec moi. Hors de question que je sois mariée à un chiot, il allait devoir mûrir bien plus vite, et je l’y aiderai pour ça.

Cela ne faisait même pas une heure que la nouvelle avait été annoncée, mais je n’avais pas encore eu le temps d’en parler avec @Calliope Muller , tant les invités avaient tenu à me « féliciter ». Il fallait que j’en parle avec elle. Car c’était son frère cadet, alors ça la concernait directement aussi, alors il fallait qu’on en parle. La bonne nouvelle, c’est que nous allions devenir belle-sœur. La seule, mais après tout, je connaissais mal Hélios, peut-être y avait-il moyen d’en faire un homme fort et viril comme je les aime, et entreprenant (comme j’en ai besoin). Je profite d’un moment de liberté pour la rejoindre dans un coin de la pièce, alors qu'elle discute à voix basse avec Secunda, près d’une des fenêtres ouvertes en raison de la chaleur estivale de cette fin du mois de juin, sans avoir oublié de me resservir avant une coupe. Suis-je pompette ? Peut-être un peu. Les invités ont commencé à quitter la réception, ce qui nous donne davantage d’intimité pour m’entretenir avec elle, quitte à prolonger la soirée juste à deux, pourquoi pas dans mon jacuzzi privé d’ailleurs. Mes invités n’ont plus besoin de moi de toute manière, je me suis éclipsée et ils ont sûrement bien des ragots à faire. Un sourire pour mes deux amies, même si mon regard est braqué sur Calliope.

Quelle histoire … Tu imagines, je vais épouser ton petit frère ! Quelle histoire …

A l’anniversaire
La surprise est de rigueur
Mais moins le bonheur.

Et la surprise avait été bien belle pour moi. Je ne m’étais pas attendu à une telle annonce, loin de là, et même si je me doutais qu’un jour ce serait mon tour, je ne m’attendais pas à ce que mon père m’en fasse la surprise en même temps qu’à nos amis et proches. Je pensais qu’il avait assez d’estime pour moi pour me prévenir avant, en aparté, mais apparemment ce n’était pas le cas. Hélios, présent également comme étant tout de même le fils d’une des familles les plus proches de la nôtre, était devenu blême. Il ne savait donc pas garder ses émotions pour lui, même les morts sont moins blancs que cela quand on les charcute. Je n’étais pas plus ravie que lui de la tournure des choses, mais je devais bien m’en accommoder, quoique j’en pense. Car je n’en pensais évidemment pas de bien, peut-être serait-il un époux agréable, peut-être même aurais-je des surprises au lit et me fera-t-il des enfants nombreux et en bonne santé, suffisamment pour rassurer nos familles respectives, mais pour l’instant, il n’était qu’un enfant, et j’allais sûrement devoir faire toute son éducation.

On dit, à ce sujet, qu’un jour ce dieu étrange,
Se prit à tromper, farcer, même se moquer,
De ceux qui toujours avec ferveur l’ont prié,
Voulant pousser à bout la patience des anges.

Ce dieu facétieux n’est autre que la Surprise.
Pourtant, et emportée par les flots et la brise,
La nuit l’âme des rêveurs jamais ne s’épuise,
Car le songe est une fuite en toute franchise.

La Surprise est souvent un amant infidèle,
Et même si parfois il nous donne des ailes,
Toujours, ce sacripant nous attend au tournant.

Je mens, pour endormir la confiance du père,
Mais surtout, c’est pour ne pas inquiéter mes pairs.
Alors face à Lui je n’ai pas le choix, je mens.


Mais peut-être devrais-je en parler avec une de celles qui le connaît le plus, sa sœur. J’ai donc rejoint mes meilleures amies dès que les invités ont commencé à partir. Je vois au regard de Calliope qu’elle aussi a les idées embrumées.

Bien entendu C., suivez-moi, on sera plus tranquilles.

Décidant que les invités restants n’avaient plus besoin de ma présence, on s’éclipse. J’embarque avec moi une bouteille de champagne dans un seau rempli de glace, et trois coupes, autant en discuter de manière agréable et sans se déshydrater. On traverse quelques couloirs, des couloirs que les filles connaissent bien pour être souvent venues chez moi, et on entre dans ma chambre, style boudoir, avec un immense lit king size à baldaquin, aux multiples oreillers blancs, mais c’est sur le canapé baroque que nous nous installons. Un claquement de doigt, et une douzaine de bougies s’allument dans la pièce. Je ferme la porte derrière nous, et brise le silence en ouvrant la bouteille de champagne.  Je tends une flûte à chacune.

Tenez les filles. Désormais, me voici également fiancée à un Muller …

Tout comme Secunda, qui est fiancé à l’ainé Caliban. Mon regard se pose sur Calliope.

Si ça peut te rassurer C. je n’étais pas au courant… Ca m’a pris au dépourvu comme toi, ou comme ton frère…

Ma chambre sera bien plus adaptée pour les confidences. Nous nous y retrouvions souvent avec les filles quand nous étions au manoir, mais si chacune avait le droit à sa propre chambre, contiguë à la mienne, quand elles venaient ici. Avoir vécu en colocation plusieurs années avec mes deux meilleures amies avaient lié des liens indéfectibles entre nous, et je ne voulais pas qu’une histoire de mariage ne couvre de nuages noirs notre amitié. D’où cette conversation qui m’apparaissait comme primordiale. Secunda et Calliope s’installe dans les canapés, tandis que je leur sers des bulles. Il nous faut bien ça. Je posais un regard sur Calliope. Elle semblait toute retournée, et on le serait pour moins que ça. En effet, si l’on se mariait avant elle. Secunda était fiancée depuis semblait-il des lustres et je venais d’être fiancée, mais Calliope elle n’était toujours promise à personne. Mais un jour aussi elle épouserait un homme bien né, comme nous. Telle était notre destinée. Je tarde à m’asseoir, tant ces pensées se bousculent dans mon esprit, je ne sais vraiment pas quoi penser de cette annonce surprise. Quand Calliope se remet à parler, je semble me réveiller d’un songe éveillé. Et pourtant, ce n’était pas un rêve, tout est vrai.

Je suis habituée à cacher ma surprise, dans ma famille nous n’avons pas le choix que de porter un masque en permanence. Déçue ? Je ne sais pas… je ne m’attendais pas à devoir épouser Hélios, il est jeune, très jeune, et je ne le connais pas. Je me serais davantage attendu à devoir épouser l’un des aînés, comme S.

Je vois le regard de mon amie s’assombrir quand je cite ses fiançailles. Je sais bien que pour elle ce n’est pas marrant non plus, nous en avons déjà parlé, et elle craint cette union. Mais je connais Caliban, il ne lui fera aucun mal, et devrait même lui laisser une certaine liberté tant qu’elle ne met pas son nez dans ses affaires. En tout cas, elle peut déjà finir ses études, ce qui est une chance.

Secunda : Son âge te gêne ?

Ce n’est pas tant son âge que sa maturité qui m’inquiète… Je saurais m’accommoder d’un homme plus jeune, mais je ne connais pas Hélios et à mes yeux il est toujours un enfant… Toi qui le connais bien C., tu en penses quoi de ces fiançailles ? Tu peux être honnête, nous sommes amies depuis des années maintenant, ne nous cachons rien.

Au fond, j’espérais que cela ne la dérange pas trop, ou en tout cas qu’elle me rassure. Je tenais vraiment à notre amitié. Je n’étais sûrement pas le choix qu’elle aurait imaginé pour son frère, mais je n’étais pas la pire, loin de là, n’est-ce pas ?

La déception est un bien faible mot pour désigner le sentiment qui m’a traversé quand j’ai appris mes fiançailles avec le cadet des Muller. Après tout, j’étais une jeune femme qui méritait tellement mieux, et à la pensée de cette union à venir, je suis pris d’une fièvre glacée, un frisson qui parcourt mon échine et qui me bouleverse. Je le sais, je ne suis pas la seule concernée par ces fiançailles, après tout, Hélios est tout aussi victime que moi. Lui et moi avons des vies bien différentes, des objectifs différents également, je ne peux qu’en attester. J’aurais préféré, de loin, épouser un homme plus mature, plus expérimenté, mais avais-je vraiment le choix ? Je ne peux m’empêcher néanmoins de demander son avis à mon amie d’enfance, celle qui a partagé avec moi plus d’un épisode de ma vie et avec laquelle l’amitié est si forte qu’elle pourrait être une sororité. Calliope semble chercher ses mots. Je suis patiente, buvant ma coupe par petites gorgées. La vérité est parfois dure, ses mots d’acier sont comme des lames qui me traversent l’âme. Calliope est l’amie, la confidente, celle sur laquelle je peux compter, et ainsi je sais qu’elle mesure ses mots, même si elle défend au fond son frère. C’est la déception pour moi et pour elle l’incompréhension.

Tu es loin d’avoir tort. Pourtant, qui a dit que le mariage se devait d’être heureux et provoquer le choix chez les mariés ? Vous le savez toutes les deux, nous ne marions pas par amour dans nos familles, mais par devoir et obéissance à des règles ancestrales. Ces mariages sont bien souvent la tombe de nos espoirs et la guillotine de notre innocence. Mais je te rejoins, je ne suis pas heureuse à l’idée de ce mariage, mais qu’y puis-je ?.

Un sourire lasse gagne pourtant mes lèvres alors que Calliope poursuit. Secunda nous écoute, silencieuse, consciente que dans cette annonce, Calliope et moi avons besoin de crever un abcès qui ne pourrait que se former dans l’absence de communication.

C’est d’ailleurs la seule perspective réjouissante que je vois dans ce mariage. Nous allons devenir sœurs.  Si cela peut te rassurer néanmoins, je compte avoir une discussion avec Hélios quand le moment sera venu. A défaut d’un mariage heureux, j’espère au moins que lui comme moi pourrons y trouver un partenariat fructueux.  Je le connais si peu … peux-tu me le décrire un peu ?

Je prends de grandes précautions avec Calliope, je l’aime, mais je ne pourrai jamais m’opposer aux désirs de mon père, et s’il souhaite que j’épouse Hélios, alors je le ferai, sans hésitation. Je mentirai sûrement sur le serment de fidélité, mais mes derniers mots sont sincères : j’espère à défaut d’un épanouissement plein ne pas faire de cette union une malédiction. Alors autant apprendre à le connaître dès maintenant pour mieux l’appréhender plus tard n’est-ce pas ? Nos coupes sont vides, alors je les remplis, afin de dissiper nos tourments dans les bullles.

La sincérité est une clé de notre amitié. Secunda, Calliope et moi sommes de vraies amies, et nous nous disons toujours la vérité. Ou en tout cas, de ma part, la vérité qui mérite d’être dévoilée, je ne verrais pas l’intérêt de dévoiler à Secunda que son futur époux est un homme violent, misogyne, tortueux et infidèle. Lui dire cela lui ferait plus de mal qu’autre chose et la mettrait dans un état de détresse inutile. Par contre, sur ces fiançailles surprises, je préfère déminer la chose tout de suite. C’est nécessaire. Nous avons toutes des obligations, et la mienne, même si elle ne me fait pas plaisir, sera d’épouser Hélios. Autant que cela se fasse bien, sans briser l’amitié avec Calliope. Nous sommes toutes sûres d’une chose, l’amour est rarement pris en compte dans ces arrangements, nous en sommes toutes victimes. Je joins ma main à celles de mes amies.

Je te le jure Calliope, je connais mes différences avec Hélios, et même si nos caractères ne sont pas compatibles à première vue, je ne lui ferai jamais de mal intentionnellement. Je ferai mon possible pour que cette alliance soit la moins punitive pour lui comme pour moi. Peut-être sera-t-il un bon ami au final ?

Je suis sincère quand je dis ces mots. Pourtant… Oui, pourtant, je sais qu’il ne me suffira pas. Pour la procréation d’une lignée nombreuse et pure, il ne devrait pas y avoir de soucis, ma libido sera largement suffisante pour deux. Quant au reste… je ne peux promettre un mariage d’amour, mais je peux promettre du respect et de la considération. Jamais je n’aurais à l’idée de considérer mon époux comme un ennemi. Les bulles du champagne me chatouillent le palais. Les mots de Calliope n’ont pas fini de m’inquiéter… Un enfant, c’est bien mon comble, moi qui aime les hommes, les vrais, pas ceux qui pensent que trois poils sur le torse font de vous un homme… Me voici bien déçue. Serait-ce à moi de faire d’Hélios un homme ? Si ce n’était que ça, j’avais déjà des idées pour le déniaiser. Mais des choses que l’on ne peut dire à une sœur. Le rire de Secunda provoque mon sourire.

Je sais bien qu’il est jeune … de là à dire que je suis vieille il n’y a qu’un pas (je rigole, en me forçant quelque peu) Je vois ce que tu veux dire. Peut-être va-t-il prendre en confiance avec les années ? Regarde-nous, étions-nous les mêmes quand nous avions son âge ? Tu as peur que je l’écrase sous ma personnalité ?

Cette fois, ma question est directe, même Secunda l’a compris car elle a plongé son regard au sol, comme absorbé par le dessin du parquet, le nez dans sa coupe.

Je le sais bien, C., malgré son air détaché quand il s’agit de sa famille, surtout quant à son frère aîné, est au fond une fille profondément loyale à sa famille, et l’opportunité d’un mariage entre Hélios et moi-même n’est pas sujet à la rassurer. Notre amitié est profonde et ancienne, très ancienne, mais elle souhaite avant tout protéger Hélios, et je ne peux que la comprendre. Personnellement, je n’ai besoin de personne pour me défendre, et je n’en ai jamais eu besoin, mais je savais très bien que mon grand frère en aurait fait tout autant si j’en avais eu besoin. Secunda renchérit. Oui, lui et moi nous apprendrons à nous connaître, s’apprécier, peut-être ou peut-être pas, mais au moins il faut que cela soit fait en toute intelligence. Car une chose est sûre, et même si nous n’en parlons pas, je l’ai déjà en tête depuis le moment où je suis que nous allons devoir nous marier : tout mariage induit une descendance, il faudrait donc que l’alchimie soit un minimum présente pour ne pas faire de ce devoir une punition… Ca sera un sacré défi, même si je suis prête à le relever. Un sourire gagne mes lèvres, dissipant les nuages du mariage à venir.

Tu as raison, parfaites. A nous de le rester pour tous les éblouir !

Nous étions inséparables, et j’en suis persuadé, quand certains nous voyaient toutes les trois, ils devaient avoir des sueurs froides. Mais notre entente était si bonne que rien ne pourrait l’entâcher. Une chose est sûre en tout cas, c’est avec elles que je suis la plus franche, quitte même parfois à troubler un peu la mer tranquille de notre amitié. Mais les non-dits sont bien pires car créateurs de tempête. Je fronce les sourcils, consciente de ses mots.

Je vais donc devoir – désolé de le dire ainsi C. – l’apprivoiser comme un jeune animal craintif… Je vois. Je ne suis pas particulièrement friande des conflits non plus, tu le sais, j’ai toujours fait en sorte de les résoudre, de la manière douce ou non. Ce que je veux éviter c’est la mésentente. Mais tu as raison, un époux doit avant tout être un ami, alors j’espère devenir l’amie d’Hélios. Mais tu connais ma grand-mère, elle sera suffisamment intimidante pour nous deux… Et on ne peut pas dire que ton père soit plus chaleureux. Je vais devoir faire bonne impression aux yeux de ta famille j’imagine non ?

Chez les Lacroix, la dignité et la réputation étaient des valeurs cardinales, d’ailleurs nous étions soumis à un test tous les ans pour s’assurer de notre bonne réputation. De la reconnaissance de nos pairs. Je ne savais pas comment les Muller fonctionner, ils semblaient tous si différents, pour connaître intimement certains d’entre eux, que ce soit Sasha, Caël ou Caliban, les trois semblaient faire partie d’une famille différente, et Calliope également. Alors se faire accepter dans une telle famille ne serait pas très évident… Si déjà mon amie acceptait ce mariage, ce serait un grand pas.

Il fallait s’en douter. Un mariage est censé provoquer joie, hâte, empressement et bonheur, pourtant, quand le mariage est imposé il est davantage source de tension. Surtout quand les intérêts personnels et ceux de la famille sont à ce point divergents. Avec Calliope, ou même Elizabeth, nous n’avons jamais eu réelles grosses disputes. Bien entendu, parfois, l’une a un mot plus haut que l’autre, mais cela finit toujours par s’aplanir. Nous sommes faites ainsi. Pourtant, ce mariage nous crispe réellement, et je ne peux me montrer fausse avec Calliope, alors tandis que je parle d’Helios, je sens que Callie se crispe un peu… Pourtant je fais attention, mais la diplomatie n’est pas mon fort, la plus diplomate de nous trois est sûrement Secunda, et même elle sent qu’il vaut mieux ne pas intervenir. Elle est là pour nous calmer si jamais nous nous emportions. Elle est une Blackthorn et ce mariage ne concerne que les Muller et les Lacroix. Je souris néanmoins à la réponse de mon amie.

Et j’aime ta mère tout autant, elle est tellement élégante et classe. Tu dois être fière de lui ressembler autant.

Le sujet de ma grand-mère bien sûr provoque des peurs et des craintes chez Callie, et c’est bien normal. Cette femme a presque traumatisé toutes les générations de Lacroix. Fervente de Grindelwald, elle était particulièrement intransigeante, et son air de vieille aristocrate suisse n’arrangeait rien. Elle avait ses propres plans pour notre famille, ses propres stratégies, et il valait mieux lui obéir sans lui demander d’explications. La réputation était sa motivation, et pour sûr, si elle avait organisé ce mariage avec le cadet Muller, c’est qu’elle avait ses raisons.

Je m’occupe de Grand-Mère. Tu le sais bien, elle est intimidante, même pour nous, mais je ne pense pas qu’elle s’en prenne à Hélios. Ou en tout cas je le préviendrais des exigences de la comtesse. On a une seule chance avec elle : c’est qu’elle est prisonnière en Suisse.

Derniers mots que je prononce dans un éclat de rire. Il est de notoriété publique que ma grand-mère risque l’incarcération si elle quitte la Suisse. Autant en rire.

D’ailleurs les filles, je tiens à ce que vous soyez toutes les deux mes demoiselles d’honneur ! Je vous en supplie, dites oui ! Sans vous, je sens que je vais exploser avant le jour J. Déjà que nous avons obligation de faire cela dans les Alpes, j’ai besoin de renfort pour imposer mes vues face à Grand-Mère.

Rassurer, c’était la seule chose que je pouvais faire avec Calliope. J’allais épouser son petit frère, et je ne pouvais rien faire pour l’en empêcher. Bon peut-être aussi n’avais-je pas ce tempérament nécessaire pour tenir tête à ma grand-mère, mais personne dans la famille n’avait ce tempérament. La femme avait côtoyé Grindelwald alors j’émettais de sérieux doutes quant au cliché de grand-mère inoffensive qu’elle pouvait parfois afficher pour berner les plus naïfs. Non, c’était une des femmes les plus manipulatrices et dangereuses qui existent, à mes yeux en tout cas. Elle semblait affable pour la haute société, aimable, digne et inoffensive, pourtant ce mariage prouvait tout l’inverse. Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort, ou des épines de la rose, et ici l’image était bien réelle. Je n’imaginais pas pourtant que même pour les familles étrangères à la nôtre Siegliede paraissait diabolique. Sa réputation semblait la précéder, mais comme je le disais, heureusement pour nous, ma grand-mère avait interdiction sous peine de mandat d’arrêt de sortir du territoire suisse. Mais elle n’avait pas besoin d’être présente pour terroriser notre génération. Je prends la main de mon amie.

Ne t’inquiète pas, je dirai à Hélios de se méfier de ma grand-mère, je le protégerai.

Il était l’heure de détendre l’atmosphère, car je voyais bien que C. avait les idées un peu noires. A défaut d’accepter pleinement le mariage, autant voir le verre (de champagne) à moitié plein ! Mes deux amies tombèrent dans mes bras lorsque je leur proposais d’être mes demoiselles d’honneur. C’était pour moi une évidence, j’avais besoin d’elles, à chaque instant. Après cela, la soirée put se finir sur une bonne note, nous discutions couleur des robes de demoiselle d’honneur et ragots sur les invités. De mon côté, je savais que le ciel n’était pas complètement dégagé, mais j’en avais fait ma croix à porter : le mariage n’était pas un choix dans notre famille. Heureusement, Hélios ne semblait pas horrible à vivre, il manquait juste de maturité…