J’étais tout tremblant aujourd’hui. Je n’en menais pas large, pourtant il n’y avait aucune raison, il me suffisait de rester professionnel et tout se passerait bien n’est-ce pas ? Pourtant, la nervosité était plus forte que tout, mes mains tremblaient, j’avais la gorge sèche, et je voyais même des étoiles quand je relevais la tête trop rapidement. Des effets comparables à l’ivresse due au punch doré des Nymphes lors du dernier bal. Non, vraiment, je n’étais pas au mieux de ma forme, pourtant, je devais rester calme. Je devais juste faire une ultime expérience avec un autre étudiant. Rien de plus. Mais ce n'était pas n’importe qui : Rafael Goldstein. On était tous les deux en botanique, et on s’y parlait parfois, mais le speed dating à la Saint-Valentin m’avait fait un peu peur. Le garçon était un peu trop entreprenant et je n’avais pas l’habitude. Je n’étais pas particulièrement à l’aise dans les relations sociales, oh certes j’avais des amis, mais au-delà, c’était un peu l’inconnu pour moi, à part mes timides expériences avec Erwin. Rafael, lui, c’était l’inverse. Il avait l’air d’être un pro dans les relations intimes, et ce n’était absolument pas ce que je cherchais. Non, je voulais juste pouvoir effectuer mon expérience sans qu’il y ait de sous-entendus… même si je devais avouer que sa volubilité, son peu de pudeur m’inspirait une idée. Cette idée, elle était apparue avec Miguel. Il m’avait expliqué qu’il gérait ses émotions en comblant ses pulsions sexuelles, et même s’il l’avait dit sur le ton de la rigolade, j’y avais accordé une certaine importance. Je n’étais pas un expert, je ne suis pas les cours de médicomagie et donc n’avais lu que des bouquins sur les montées d’hormone lors de fortes émotions, et la jouissance permettait ces pics d’hormones. Alors peut-être que … Enfin non je ne devais pas penser à ça, je pouvais tester ça tout seul non ? ou simplement lui poser des questions sur le sujet ? Car ça m’intriguait.

D’ailleurs Rafael ne fut pas long à arriver, car j’entendais la sonnette retentir à l’instant. J’étais encore dans mon atelier, dans ma salle d’expérience, où je remplissais un tableau en ardoise de multiples calculs d’arithmancie pour tester mes hypothèses alchimiques. J’étais tellement concentré dessus qu’il avait dû sonner une deuxième fois pour que j’émerge de mes pensées et que j’aille lui ouvrir. Dans la précipitation, j’avais de la craie plein les mains ainsi que sur la joue. Profonde respiration. Tout va bien se passer.

Salut Rafael, vas-y entre je t’en prie.

J’avais tellement la tête ailleurs que je ne m’étais pas aperçu qu’il me restait de la craie sur les mains, ce qui est assez embêtant au final. Je laisse entrer Rafael, et je m’aperçois enfin de l’état de mes mains, m’empêchant toute accolade ou serrage de main avec mon camarade, je suis donc obligé de me pencher vers lui pour lui faire la bise, ce qui en rajoute à mon stress initial. D’ordinaire, je n’y aurais pas fait attention, mais je connaissais Rafael et son côté très tactile, alors forcément, cela me déstabilisait énormément. Plus que d’habitude, plus qu’avec Miguel par exemple. Je m’efface ensuite devant Rafael, pour le laisser rentrer dans l’appartement. Je ne peux m’empêcher de garder les yeux fixés sur son collier de perles, c’est tellement original, mais ça lui va vraiment bien, même si moi je n’aurais jamais osé cette combinaison, je suis beaucoup plus classique en réalité. Je ne sais pas trop quoi dire, mais je suis tétanisé par la question qu’il vient de poser. Il est sérieux ? Il pense vraiment que c’était à ça que je pensais quand je parlais d’expérience ? Je pensais pourtant avoir été clair. Je deviens rouge cramoisi directement et comme d’habitude je deviens un vrai moulin à paroles, essayant comme je peux de m’en sortir sans être submergé.

Hein ? Mais non, je ne voulais pas du tout te parler de ce genre d’expériences-là, non pas que je ne sois pas intéressé non plus par ça, mais attention je n’ai pas dit non plus que je voulais essayer ça ou que j’étais intéressé, c’’est juste que non là ce n’est pas le sujet de l’étude. Et puis je ne te connais pas assez pour utiliser un godemichet ou autre sur toi, non pas que j’en ai envie, ni que je n’en ai pas envie, mais tu comprends, moi ce que je veux c’est juste faire une expérience sur toi. Enfin sur toi, je ne veux pas dire avec ton corps, enfin si fondamentalement je vais devoir utiliser ton corps, mais pas dans ce sens-là moi tout ce que je veux c’est pouvoir essayer d’extraire une substance chez toi pour l’analyser, mais je parle d’une substance émotionnelle, rien d’autre…

Et voilà, c’est trop tard, je suis perdu. Dans ma gêne, j’ai reculé, pas à pas, plus je m’enfonçais dans mes explications et plus je reculais, jusqu’à ce que je fasse tomber un gros pot avec une plante, faisant fuir Madame qui dormait juste à côté. J’essaie de reprendre mes esprits, je me verse un grand verre d’eau que je bois cul sec pour me calmer.

Excuse-moi… je ne suis pas à l’aise avec ce sujet, tu m’as un peu déstabilisé … Tu veux de l’eau ? Ca sera plus sympa de discuter de mes recherches pour te faire comprendre ce que je veux vraiment non ?

Revenir à l’essentiel : la science, rien que la science, c’est comme ça que je retrouve le calme. Les relations humaines, ce n’est vraiment pas ma spécialité décidément. Et entre nous, je ne savais même pas que ça existait, des pinces pour les tétons.

Quand le cœur s’emballe, ou en tout cas quand un désordre hormonal s’empare de mon corps, je sais que je dois revenir aux fondamentaux : les sciences, les chiffres, les potions, l’alchimie. C’est beaucoup plus simple pour moi de tout rationnaliser, ce qui rend l’objet de mes recherches encore moins évident à atteindre, car les émotions ne sont pas qu’un pic d’hormones. Bon, d’accord, ça l’est en grande partie, mais on ne peut pas se contenter de ces seules informations. Certes, j’avais commencé par là, les stimulis physiques lors d’une phase émotionnelle, mais j’avais vite découvert qu’il y avait quelque chose de plus profond, de magique, tout simplement, et c’était la quintessence de cette magie que je souhaitais collecter pour mes expériences alchimiques. Peut-être aurais-je pu demander leur aide à certains langues de plomb, mais je doutais qu’ils puissent m’être utiles en quoi que ce soit. Ils sont bien trop avares en parole. Pourtant, je le sais, Rafael n’a pas tort : le sexe c’est naturel, et je ne devrais pas être aussi timide avec ces choses-là, mais je suis bien trop peu habitué aux conventions sociales pour tout comprendre et surtout ne pas commettre d’impairs. Et puis il faut avouer que Rafael est impressionnant dans son genre sur le sujet, il est aussi à l’aise sur le sexe que moi avec des calculs de masse alchimique : un expert. Il me suit dans la pièce principale où est collée la cuisine ouverte, où je prends un verre pour le remplir avec de l’eau du robinet. De quoi reprendre mes esprits avec le son de l’eau qui coule. Je tends le verre à Rafael, ravi de pouvoir enchaîner sur un sujet que je maîtrise. Bon, je ne répondrai pas à toute sa question, car j’ignore ce que sont des kinks, et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir.

C’est assez simple en réalité. Tu le sais, je cherche des cobayes pour réussir à catalyser des émotions et les distiller pour en récupérer un fluide émotionnel pur à l’extérieur du corps. Et je me suis dit que l’orgasme pouvait sans doute être générateur d’une émotion suffisamment forte pour avoir une émotion presque pure, et donc plus facile à extraire et à stabiliser … Tu vois ce que je veux dire ?

Oui, je parle comme un scientifique, et l’étiquette de tête d’ampoule doit sûrement me coller à la peau. Mais j’y ai pensé lors de certaines discussions récentes, et j’en suis venu à la conclusion qu’il existait des moments d’expression pure des émotions. Une crise de panique par exemple génère une peur des plus pures. La colère aussi mais elle est plus difficile à capter. Et la joie … doit sûrement pouvoir se collecter dans un moment de plaisir intense, non ?

Honnêtement ? Je connais très mal Rafael, on se voit quelques fois en cours de botanique, mais nos caractères sont complètement opposés, après tout lui est très volubile, exubérant et libérée, dit dans d’autres termes : il pue le sexe. Alors que moi je suis beaucoup plus timide sur ces sujets, et je me rappelle encore la gêne qui avait été la mienne quand la plante à bisou m’avait embrassé la main ,ce qui avait donné lieu à une situation assez rocambolesque, et je me souviens que Rafael était présent à ce cours. L’expérience que je voulais tester avec lui était pourtant assez unique en son genre, et je savais qu’il était le seul à qui je pouvais la proposer sans passer pour un pervers ou un obsédé. Enfin, j’en gardais l’espoir en tous cas. Mais j’avais sûrement de très gros a priori sur Rafael. A mes yeux c’était surtout un garçon qui aimait le sexe et qui était très physique, malgré son parcours en médicomagie, et j’étais très loin de me douter qu’il avait autre chose que des abdos ou des pectoraux (oui, le monsieur est naturiste, alors je dois avouer que j’ai déjà regardé une fois ou deux quand il enlevait un peu trop facilement son haut l’été, ou lors d’une soirée ou même lors de la pride). Je n’étais donc pas rentré dans les détails pour l’expérience, m’étant contenté du minimum. Et je pensais que ça en resterait là. Mais pas du tout. Je devais avoir l’air bien bête car j’étais vraiment surpris de sa réponse. Il s’y connaissait en fait, ça ne rendrait que l’expérience plus intéressante. Je m’en voulais déjà de l’avoir sous-estimé…

Et bien je ne l’aurais pas mieux dit… Je me base sur les pics d’hormone, je me dis que leur concentration sera suffisante pour purifier l’émotion. Ici, tu l’as compris c’est le plaisir, c’est une manière un peu moldu de voir les choses, mais si je peux créer de l’endorphine sous forme alchimique en quelque sorte, je pourrai avancer sur mes travaux. Avec un peu de sérotonine, je suis presque sûr de réussir à créer une pierre alchimique capable de diffuser ce sentiment de bien-être, pour lutter contre l’humeur dépressive par exemple. Mais je ne t’apprends rien, l’orgasme est un cocktail d’hormones, alors peut-être que ma tâche sera plus dure que prévue.

Je me sens encore plus bête, car concentré dans mon exposé, j’en oublie mes bonnes manières.

Oh mais oui excuse-moi, mets toi à l’aise, tu peux t’asseoir. Tu veux boire quelque chose peut-être ? On n’est pas obligés de passer tout de suite à l’expérience, on peut discuter un peu, ça te détendra sûrement.

J’attends sa réponse tout en allant directement dans la cuisine, qui est ouverte sur la pièce principale, simplement séparée par un bar surélevé.

Pour le déroulé, c’est assez simple. J’avais pensé que tu pourrais te faire du bien manuellement, et je serais là en surveillance des taux d’hormones et pour capturer l’acmé de ce moment quand tu auras fini.

Est-ce que je suis en train de passer pour un voyeur qui va mater un mec se faire du bien devant lui ? Peut-être, mais je suis trop concentré sur le sérieux de l’expérience que je ne m’en rends pas compte, mais peut-être que Rafael oui.