Je regarde le portoloin devant moi, et je dois avouer que je suis dubitatif. D’accord, les portoloins n’ont jamais une gueule très avenante, mais un vieux pot en terre cuit ébréché ? C’est donc ça le portoloin du jour ? A la limite, je préfère tout de même ça à un sac d’engrais à base de bouse de dragon, l’odeur est horrible à se débarrasser. Il est tôt, et je dois avouer que se lever si tôt en plein été, je n’y étais pas préparé, c’est peut-être ça qui est à l’origine de mes interrogations. Je regarde mes camarades autour de moi, il a été spécifié que le transfert se ferait à huit heures du matin précisément, alors pas besoin de toucher le pot avant ça. Je ne savais pas trop quoi prendre pour ce petit voyage extra-scolaire, alors mon sac est relativement petit, il s’agit d’un petit sac à dos gris clair, dans lequel j’ai prévu une paire de tenues selon la météo et l’environnement que l’on va devoir « affronter » ce week-end. Alors même si pour commencer la matinée, je porte un chinois gris et un tshirt blanc, j’ai prévu des tenues plus chaudes pour le soir, imperméable en cas de pluie et même un maillot de bain au cas où nous aurions à récolter des plantes aquatiques. En réalité, même si la botanique n’est pas ma matière préférée, ça me botte d’y participer, ça permet de reprendre les cours en douceur en tout cas. Je ne pense pas que nous ayons à trouver des plantes communes comme le tournesol ou l’héliotrope, ce sont deux plantes qui adorent le soleil, mais connaissant le professeur Fraser, il aura sûrement des plantes plus intéressantes à nous montrer. Mais nous verrons bien.

Le pot en terre cuite commence à prendre un aspect mordoré, grâce aux premiers rayons du soleil qui se réfléchissent dessus, ce doit être le signal pour le toucher et ainsi se retrouver sur le bivouac. Je me précipite, car telles les planètes dans leur aphélie, je suis le plus éloigné du pot en terre cuite, comme elles le sont alors du soleil. La sensation est toujours étrange alors que mes doigts touchent la matière rugueuse, et je m’accroche pour atterrir en douceur non loin de ce que je pense être le point de ralliement. D’ailleurs, j’aperçois le professeur, assis sur un rocher près d’un feu de camp, avec sa pipe habituelle.

Bonjour Professeur, belle journée.

Oui, c’est nul, mais je le pense sincèrement. Il ne fait pas encore trop chaud, le fond de l’air est rafraîchissant, et la proximité de la chute d’eau m’a mis en joie dès que j’en ai entendu les premiers flots.

Cet été, Joaquin est rentré au Brésil, pour retrouver sa famille. Être séparé d’eux est toujours difficile, ayant grandi dans un cocon très étroit pendant des années au Brésil avant de les quitter pour Hungcalf. Il ne rentre pas à chaque vacance scolaire, mais l’été, il y retourne toujours, pas les deux mois totalement, mais au moins le mois de juillet, se réservant parfois le mois d’août pour faire une excursion dans un autre pays pour y découvrir la flore locale, parfois en binôme avec un membre de sa famille d’ailleurs ou un ami intéressé par la botanique. Alors, quand le brésilien a eu le formulaire entre les mains du cours de botanique, proposant une excursion en Irlande de deux jours avec le professeur de botanique, [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. Joaquin se dit alors que c’était l’occasion de découvrir la flore britannique plus en détail, et peut-être même de nouer de nouvelles amitiés avec d’autres étudiants volontaires comme lui. Il s’était donc inscrit, et se retrouver de ce fait ce samedi matin, aux premières lueurs du soleil, dans les serres de l’université près d’un vieux pot en terre cuite à côté de ses camarades, pour saisir le portoloin au bon moment. Il avait l’habitude d’utiliser des portoloins, mais pourtant il n'était pas fan de la sensation que cela procurait. Ainsi, à peine avait-il atterri sur le lieu de destination qu’il mit ses mains sur ses jambes quelques minutes, le temps de reprendre son souffle et de dissiper la nausée causée par l’étourdissement. Peut-être n’aurait-il pas dû déjeuner juste avant de voyager. Juste le temps d’avoir l’esprit clair, suffisamment pour entendre l’un de ses camarades dire bonjour à l’enseignant. Ils sont donc bel et bien arrivés. Joaquin se redresse, prend une grande bouffée d’air frais et suit [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] qui le précède, pour rejoindre le feu de camp où se tient le professeur. Le brésilien est toujours surpris par les tenues de ce dernier, il sait que les écossais portent parfois le kilt, mais ça le surprend quand même à chaque fois.

Bonjour professeur, j’espère que vous avez passé de belles vacances. Salut Jules

Salués par le professeur Fraser, il nous fait visiter le camp pour le week end  d’excursion. Non pas que je sois habitué à mon petit confort, mais je n’ai jamais fait de camping, donc ça sera une grande première pour moi, mais tout devrait bien se passer, je m’entends bien à la fois avec James et Joaquin de toute manière, et il semblerait que nous ne soyons que trois pour cette excursion. Je suis donc le professeur et prends possession de ma tante. Elle est très spacieuse et plutôt confortable malgré un aspect usé de première abord, avec ces morceaux de tissu qui semblent avoir été mis là pour réparer la tente de manière rudimentaire. Je pose mon sac sur le lit et prends juste le temps de prendre un sac à dos avec une gourde et quelques barres protéinés. Fraser a parlé d’une randonnée, et je sens que je vais avoir besoin de force dans la journée. Je n’oublie pas d’emmener également mon herbier et le manuel de botanique, peut-être en aurons-nous besoin même si l’enseignant ne l’a pas exigé. Après tout, cette sortie est extra-scolaire. Je prends aussi avec moi mon sandwich car j’ignore si quelque chose a été prévu et je sais déjà qu’à midi j’aurai trop faim pour ne pas me restaurer. Une demi-baguette avec de la mousse de canard et des cornichons, typiquement français, j’espère que l’odeur ne dérangera personne.

Une fois prêt, je rejoins mes acolytes près du feu où le professeur Fraser nous propose un café. Je prends donc une timbale en fer pour me servir une tasse de café bien noir, avec une cuillère de sucre quand même. Attentif, je prends bien note du programme de la journée. Il est tôt, il ne fait pas trop chaud malgré le mois d’août qui se termine, mais je sens que la pause près du lac nous fera du bien. Heureusement, j’avais prévu un maillot de bain au cas où dans mon sac.

Professeur, avez-vous déjà prévu les plantes que nous allons devoir étudier ou alors l’exploration est assez libre ? J’ai notamment entendu parler d’un lichen aquatique assez intéressant dans le manuel, vous pensez qu’on en trouvera ? Il y est écrit que ce lichen a des propriétés paralysantes.

Joaquin est rapidement rejoint par James Blackthorn. Ils ne seront finalement que trois, avec Jules, mais il est vrai que les trois jeunes hommes sont les plus actifs en botanique ou en tout cas ceux qui ont l’air le plus intéressé par la matière, et pourtant aucun des trois n’a réellement l’allure d’un botaniste aux genoux et aux mains pleines de terre. Entre Jules qui semble sorti d’un épisode d’alchimiste steampunk et James d’un film drama-romantique un peu dark, et lui-même, Joaquin, qui semble aussi collé-monté qu’un aristocrate du début du 20ème siècle, quand la colonisation était encore la norme. Loin de l’image de leur professeur qui semble véritablement faire corps avec la nature, ce qui impressionne vraiment le jeune brésilien. Une fois que les trois étudiants aient rejoint l’enseignant, ce dernier leur livre les premières instructions de la journée, et la première étape n’est autre que l’installation de leurs tentes pour la nuit prochaine. Enfin, plutôt l’installation de leurs affaires, car les tentes sont déjà montées. Ca sera une première pour Joaquin, il n’a jamais dormi en extérieur, encore moins sous une tente, mais le Royaume-Uni semble être le terreau de tout un tas d’expériences qu’il a hâte de faire.

Il pose donc sa package sur son lit qui est de bonne qualité pour son séjour, avant de changer de paires de chaussures pour rejoindre ses camarades. Il a entendu le professeur, et ils vont beaucoup marché, donc Joaquin a fait exprès un détour dans la semaine dans une boutique spécialisée pour s’acheter des chaussures de marche enchantée. Rien d’extraordinaire, mais elles diffusaient à intervalle régulier une sensation de froid quand la marche se faisait longue, pour rafraîchir les pieds, et elles chauffaient lorsque les températures étaient très basses. Par contre, Joaquin panique un peu, car il n’a pas prévu de maillot de bain, il ne pensait pas que l’excursion l’amènerait à devoir se baigner, non pas qu’il ne soit pas à l’aise dans l’eau, mais il n’avait rien prévu pour ça. Il cherchait dans son esprit un sortilège capable de lui fournir rapidement un maillot de bain, mais cela faisait chou blanc pour le moment. Deux choix s’offraient à lui : demander à l’un de ses camarades s’il en avait un en plus, ou se baigner en caleçon. La retenue naturelle du jeune brésilien n’aidait en rien à prendre une telle décision, mais il ne perdit pas plus de temps et rejoignit rapidement ses camarades près du feu de camp où il prit une tasse de café comme les autres, bien noir. Il écoutait avec attention ce que disait Jules et attendait la réponse du professeur. Ce qui intéressait Joaquin c’était de découvrir des espèces typiquement locales, n’ayant pas l’habitude de la flore écossaise. Quand l’échange entre le professeur et Jules fut fini, Joaquin prit son courage à deux mains et se tourna vers son camarade qui lui faisait le moins peur (il fallait avouer que le peu de loquacité de James n’aidait pas), à savoir le français.

Dis Jules, ça me gêne un peu de te demander ça, mais tu n’aurais pas un maillot de bain à me prêter pour cet après-midi ? Je ne pensais pas du tout que l’on aurait une activité baignade et je n’ai rien prévu pour ça …

Le rouge lui montait aux joues, mais il avait pris son courage à deux mains. Il n’y avait pourtant rien de honteux là dedans, mais Joaquin est un garçon très pudique, alors c’est une épreuve pour lui à ce moment-là.

Joaquin est extrêmement gêné, car il n’a pas pour habitude de demander quoi que ce soit aux autres, et encore moins des vêtements. Dans sa famille on lui a appris la dignité, la grandeur, la pudeur, et même si parfois il se sent prisonnier de toutes ces traditions orthodoxes, il ne peut s’en échapper. Pourtant il préfère s’adresser à Jules, car il se dit qu’une telle demande serait encore plus bizarre avec James, sans savoir pourquoi. Le rouge lui est monté aux joues, mais il soupire de soulagement quand il voit que Jules est tout aussi gêné que lui, et qu’il répond positivement à sa demande. Il pourra donc se baigner comme les autres. Il rit même un peu quand Jules s’embrouille et patauge dans un flot de paroles sans véritable sens, d’ailleurs Joaquin ne comprend pas tout car Jules parle extrêmement vite. Mais il comprend l’essentiel. Il se contente donc d’un simple merci ,qu’il agrémente d’une délicate pression sur le bras de Jules. C’est sa façon à lui d’être chaleureux et montrer sa reconnaissance.
Le professeur est tout aussi délicat, car il ne fait pas de remarque quant à l’échange qu’il n’a dû manquer d’entendre. A la place de cela, il leur propose de commencer la randonnée, de quoi permettre à Joaquin de penser à autre chose. C’est seulement à ce moment qu’il s’aperçoit que la nature lui avait manqué. Certes, il y a le parc et la forêt près de l’université, et il a même déjà été faire un tour au Loch Ness depuis qu’il est au Royaume-Uni, mais il avait l’habitude de bien plus de verdure lorsqu’il était au Brésil, surtout quand il accompagnait son oncle en expédition. Alors il ne peut qu’apprécier cette petit excursion avec leur professeur de botanique.

Au bout d’un moment, les quatre hommes font une pause, et le professeur Fraser leur explique qu’ils vont pouvoir en profiter pour chercher leurs premiers spécimens de plante, des bruyères amarantes. Par chance, Joaquin connaît cette plante, même si elle est assez rare en Amérique du Sud, il a pu en voir avant d’arriver à Hungcalf lors de son voyage dans d’autres pays européens.

Les deux plantes se ressemblent beaucoup, même si l’amarante a une couleur un peu différente de la pourpre. Mais pour la distinguer, il suffit de chanter ou fredonner un air, elle se met alors à danser légèrement et on peut la cueillir. Par contre il faut continuer à chanter quand on la cueille sinon elle pique plus fort que de l’ortie.

Joaquin se met alors à fredonner.