Tel un fantôme, j'erre dans les couloirs du manoir, ruminant les nombreux souvenirs de ma vie familiale. Je tente de me concentrer uniquement sur les souvenirs les plus heureux, laissant de côté tous ceux ayant un lien avec les adultes du manoir. Il m'arrive de croiser quelques elfes de maison, mais ils font comme ils ont toujours fait : ils ignorent ma présence. Je dois sérieusement avoir une mine à faire peur. Seul @Cataleya Blackthorn trouve encore un intérêt dans ma personne. Nous partageons beaucoup de moments dans la bibliothèque à lire et à partager nos découvertes. Justement, je devrais passer devant la porte de mon sanctuaire préféré dans quelques instants. Cataleya s'y trouve peut-être ? Je m'y arrête le temps de réfléchir à ce que je devvrais faire : y entrer pour me réfugier ou continuer ma promenade dans le but de découvrir les secrets des parents ? Depuis le départ de tout le monde, Claudia, Aloysius, Tiberius et Alicia Blackthorn ne prennent plus autant de précautions pour nous cacher leurs plans. Mon existence à l'intérieur des murs ne leur est pas assez importante pour qu'ils en tiennent compte et Cataleya est assez brisée pour que sa présence n'ait plus grande importance à leurs yeux. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de rester. Ma capacité à me faire oublier d'eux me permet de les épier pour avertir ma fratrie dès qu'une tempête se prépare et c'est dans ce but que je m'assure de rôder dans les couloirs du manoir. Je décide donc de continuer sur mon chemin.

À l'approche des cuisines, j'entend une voix dure m'appeler. Presque réflexivement, je commence à trembler.
- Enola ! Enola BLackthorn, où es-tu ?
- Je suis ici, Tante Claudia, que je répond à contrecoeur.
M'apercevant enfin, Claudia charge dans ma direction.
- Je savais bien que j'allais te trouver près des cuisines, dit-elle d'un ton empreint de dégoût. J'aimerais que tu fasses un gâteau de mariage pour @Juliet Blackthorn et Nullus. Il devra être prêt pour le mois prohain.
- Mais, Tante Claudia, leur en avez-vous parlé ?
Ignorant ma question, Claudia se retourne et part d'un pas rapide. À nouveau seule, je repasse la conversation dans ma tête. Claudia ne semble pas avoir avertit qui que ce soit de la date du mariage. Va-t-elle simpement l'annoncer la veille ? Veut-elle vraiment forcer ce mariage à ce point ? Pourquoi ne m'a-t-elle pas donner de date précise ? Il semblerait que j'ai une nouvelle tempête à calmer.

Aussi calmement que je le peux, je m'arrange pour sortir discrètement du manoir. Il faut que j'avertisse Juliet. Je ne peux pas la laisser dans le noir. Alors, je me dirige vers sa maison sans même envoyer de hibou pour l'avertir. J'espère qu'elle est chez elle...

Je cogne à la porte.
- Sunshine ! Es-tu là ?
Dès que la porte s'ouvre, je ne laisse même pas le temps à Juliet de dire quoi que ce soit avant d'annoncer :
- On a un problème.

- Qu'est-ce qui se passe, me demande Juliet ?
- Est-ce que je peux entrer ?
Juliet m'ouvre la porte et me laisse me rendre jusque dans son salon où je m'installe sur le sofa. Elle vient rapidement me rejoindre. Je prend quelques minutes pour mettre mes idées en ordre avant de lui répondre.
-Tante Claudia m'a demandé de faire ton gâteau de mariage pour le mois prochain. J'ai été vraiment surprise et je me suis dit que je devrais venir t'en parler. Connaissant Tante Claudia, elle doit avoir quelque chose derrière la tête.
Nous restons silencieuses quelques instants. Après tout, Juliet doit avoir besoin de temps pour digérer la nouvelle. Elle n'avait probablement pas prévu de devenir la femme de Nullus le mois prochain. Le silence s'est installé depuis plusieurs minutes maintenant et je commence à m'inquiéter pour Juliet. Après l'annulation de ses fiançailles, le fait de devoir être à nouveau confrontée à l'arrivée d'un mariage doit être quelque peu traumatique, non ? Et un marriage interfamilial en plus !
Nous avons grandi avec la constante idée de devoir marier nos cousins. Nous savons tous que c'est ce que veulent nos parents, mais un mariage forcé, même si c'est avec l'un de nos chers cousins, n'est jamais facile à accepter. Encore moins lorsque ce mariage est l'idée de Tante Claudia.
- Juliet, je...
Je me tais. En fait, je ne sais pas vraiment quoi dire. Je ne sais pas ce qui doit passé dans la tête de ma petite soeur. Je n'ai jamais été à sa place. Je ne peux qu'imaginer ce qu'il se passe à l'intérieur de son crâne.
- Umm... Sunshine... Est-ce que ça va ?

Je vois bien que Juliet a de la difficulté à digérer cette nouvelle. Et je la comprend.
- J'essaye de comprendre... Pourquoi... murmure Juliet comme pour elle-même.
En effet. Pourquoi, c'était une bonne question. Pourquoi tante Claudia a décidé de devancer leur mariage. Pourquoi n'a-t-elle avertie personne ? Pourquoi Juliet et Nullus ? Je me rapproche de ma petite soeur et je passe mon bras autour de ses épaules dans un effort pour la réconforter. Le silence s'installe alors que nous réfléchissons. Aucun des mariages prévus dans la famille s'est passé de la manière dont les parents le voulais. Est-ce que tante Claudia avait enfin atteint le bout de sa patience ? Avait-elle un plan derrière la façade du mariage ? Je n'en ai aucune idée, mais la seule chose dont je peux être certaine en ce moment c'est que Juliet a besoin de moi et que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour l'aider à passer au travers de cette épreuve. JE ne laisserais pas ma chère petite soeur tomber dans le piège de nos parents. Résolue, je serre les épaules de Sunshine contre moi avant de la lâcher.
- On a une longue soirée devant nous, dis-je, alors veux-tu manger quelque chose avant qu'on commence à réfléchir à des solutions ?
Je n'allais quand même pas tenter quoi que ce soit le ventre vide et je sais que ma cuisine est précieuse pour mes frangins. Après tout, nous avons tous passé de long moment autour d'un bon repas à rire et à comploter des manières de déjouer nos parents. Je me souviens encore du premier biscuit que j'avais offert à Juliet. Ce qu'elle était mignonne à l'époque ! Ses petites mains entouraient le biscuit et elle me regardait dans les yeux avec une telle joie ! Je dérappe...
-Un bon repas nous permettra de mieux nous concentrer, ajoutai-je en commençant à me lever après un moment passé dans mes souvenirs.

Dans la cuisine, je donne plusieurs coups de baguette afin de faire voler les ingrédients tout autour de moi. Les légumes vont se faire couper sur une planche alors que j'allume le feu pour préparer une poèle dans laquelle je ferai griller deux morceaux de viande. Un bouillon se prépare dans une casserole sur un autre rond grâce à la magie et les légumes, accompagné d'un peu de sel et de poivre, termine leur voyage dans une troisième poèle où ils cuisent. Je demande à Juliet de placer la table alors que je dépose le simple buffet dans deux assiettes, puis je me dirige vers la table pour servir le repas.
- Est-ce que tu crois qu'elle sait pour Jolan, dit Juliet ? Ça pourrait être une raison mais, les connaissant, ils auraient plutôt essayer de l'éliminer et si Jolan avait été victime de quoi que ce soit, il me l'aurait dit... Ou alors, est-ce que c'est parce que le mariage d'Élizabeth et Caliban aurait encore été repoussé !? Ou alors... C'est Nullus...
- Mais non, je m'exclame ! Ça ne pourrais pas être à cause de Nullus ! Enfin, j'espère qu'il n'a rien à faire là-dedans. La possibilité que ce soit causé par un découragement face au mariage entre Elizabeth et Caliban semble plus crédible. Après tout, ce n'est que l'apparence qui compte pour eux. Et pour Jolan...
Je ne veux pas avancer cette théorie. Juliet semble déjà assez stressée, elle n'a pas besoin de s'inquiéter d'avantage. Mais je ne peux pas lui cacher quoi que ce soit. Elle a le droit de savoir tout ce que je sais.
- C'est vrai que j'ai surpris les parents en train d'avoir une conversation à propos d'un homme qui tournerait autour de toi, mais je ne crois pas qu'ils savent pour Jolan. Enfin je l'espère. Ils mentionnaient simplement un homme sans jamais donner de nom. Donc, je ne crois pas que Jolan soit en danger présentement. Peut-être tentent-ils de contrer les « avancements de cet homme », comme Mère a dit, en devançant ton mariage. Ce serait une bonne hypothèse, non ?
Je laisse le silence reprendre sa place alors que je mange encore quelques bouchées de mon repas. J'attends avec nervosité la réponse de Sunshine. J'aurais tellement aimé pouvoir la réconforter, lui assurer que tout allait bien aller mais, avec les Blackthorn, on ne peut jamais être certain de la fin d'une histoire.

Bien entendu, maintenant que la nouvelle avait été dite, Juliet et moi ne pouvions plus faire grande chose autre que cojiter. J'avais tenté de donner de petites solutions, mais en réfléchissant, elles ne semblaient pas assez bonne pour ce que Juliet aurait besoin. « Toute une vie », avait-elle dit. Mes problèmes de gâteau et le sabottage du mariage ne pourrait pas lui donner une vie entière hors de la portée de Tante Claudia. Une vie de liberté... Nous en rêvons tous et Juju est si proche de l'atteindre. Je dois faire tout ce que je peux pour lui permettre d'être heureuse. Je le lui doit bien, après tout, puisque c'est le rôle d'une grande soeur de protéger les plus jeunes. C'est pour cette raison, d'ailleurs, que j'ai décidé de rester au manoir. J'ai abandonné mes espoirs d'une vie en liberté il y a longtemps de cela, mais Juliet n'a pas besoin de le savoir. La voir heureuse, loin des griffes de nos parents, me suffit. Par contre, au point où nous en sommes, quel autre choix semble disponible pour nous délivrer que celui de la mort ?

« Enola ! Ne pense pas à ça ! », me réprimendai-je.

Le monde est grand. Il doit bien avoir un endroit assez reculer que l'influence des Blackthorns n'a pas encore contaminé. Il suffit juste de chercher au bon endroit.

Je continue de manger mon souper en silence pour quelques instants.

- C'est une bonne idée d'en parler avec Nullus. Peut-être qu'il nous aidera à trouver une solution.

- C'est délicieux, ajoute Juliet après un soupire.

Je ne réponds pas immédiatement. Je la laisse continuer.

- Parlons d'autres choses, tu veux bien ? Sinon je vais rester en boucle là-dessus et je serais incapable de fermer l'oeil cette nuit, demande Juliet.

- Bonne idée ! Hmm... De quoi pourrait-on parler ? Ah ! Je sais ! Sais-tu ce que j'ai vu au manoir l'autre soir ?

Je prend une pause pour laisser le temps à l'intrigue de faire son chemin dans la tête de ma soeur.

- J'étais en train de lire dans la bibliothèque tard l'autre soir, lorsque j'ai vu Père et Tante Claudia se promener dans les couloirs en habit de nuit. Ils se chuchotaient des choses à l'oreille et ça m'a tellement surpris que j'en ai laissé tombé mon livre. Les deux ont sursauté et la face qu'ils ont fait ! C'était hilarant ! Ensuite, ce qui est encore plus drôle était de voir Tante Claudia rassembler ses jupes pour fuir tout en essayant de garder son appanrence noble. Tu aurais dû les voir !

J'ai tellement de difficulté à retenir mon rire que j'éclate d'un rire franc dès le dernier mot prononcé. J'espère que cette histoire loufoque aidera à remonter le moral de ma jeune soeur.