Furieuse, Emma referma violemment l’imposant ouvrage de Wilhelm Wigworthy qu’elle consultait depuis exactement vingt-deux minutes. Les infimes atomes de poussière qui s’en échappèrent la firent toussoter brièvement. "You must be kidding me! What a filthy wrackspurt..." s'époumona-t-elle. Elle s’empara férocement de son devoir immaculé, son élégante plume suspendue dans le vide. Tourmentée, elle se mordillait la lèvre inférieure, ses jambes gesticulant d’une angoisse écœurante, de remords imminents. Ce n’était pas vraiment de la triche, n’est-ce pas ? Délogeant son encrier de sa paisible lévitation, Emma noircit âprement son innocent parchemin.

Emma semblait inébranlable, appliquée et rigoureuse, comme à son habitude. Néanmoins, à mesure que les caractères se multipliaient, une voix masculine et doucereuse résonnait dans sa tête, l’obligeant continuellement à ramener son attention sur sa composition. You seem to be struggling; you should have a look at this book! D’un coup de baguette enragée, la Lufkin envoya valser le malencontreux manuscrit à l’autre bout de la pièce, s’écrasant lourdement sur le sol. Il suffisait parfois de peu pour réveiller l’impitoyable créature qui sommeillait en elle. Culpabilité, faiblesse et insubordination se mêlaient, s’entrelaçaient et se confondaient dans sa douce conscience. What about chapter 17, page 351? Paniquée, elle acheva son exercice et s’empressa de le glisser dans les griffes de Finn, son petit-duc, qui s’envola instantanément par un vitrage entrebâillé. Elle ne verrait plus ce monstrueux essai de sitôt. Emma enfouit son délicat visage dans ses mains tremblantes, respirant faiblement. N’importe qui aurait pu emprunter ce répugnant recueil et y trouver la solution à cette tâche alambiquée. Really Em’? Anyone?, songea-t-elle. S’emparant d’un parchemin neuf, elle débuta hâtivement une nouvelle liste de probabilités :

Emma a écrit:• Working out the problem: 75,1%
• Discovering the right manuscript: 62,3%
• Reading more than 300 pages to, finally, locate the solution: 58,1%
• Completing this arduous assignment before the deadline: 49,9%
• Obtaining an optimal grade for the first project of the year: 35,7%

“Merlin’s beard! He will pay for this…” murmura la délicate Lufkin.

Les jours passèrent mollement, posément, puis subitement. Emma arpentait légèrement les couloirs de Hungcalf à la recherche de ce misérable, ce perfide, ce frauduleux. En vain. Peut-être était-il temps d’oublier ce fâcheux épisode et de retourner ce satané livre ? Sa douceur et sa bienveillance reprennaient diligemment le dessus et les incessants éclats qui retentissaient auparavant dans son esprit n’étaient plus que chétifs murmures. It’s time to let go Em’… Just bring this bloody volume back to where it belongs and start a new chapter of your life, pensa-t-elle.

C’est en traversant la bibliothèque, à la recherche de cette archiviste soudoyée qu’il la percuta en pleine figure. Le passé… Il était là, assis à une immense table en ébène, consignant tranquillement un important document: Dorian O’Blake. Une rarissime agressivité s’empara de la délicieuse Blackwood, son sourire suave s’estompant seconde après seconde. Les mains d’Emma s’éclipsèrent un instant dans son sac et n’en ressortirent que cramponnant Vie Domestique et Habitudes Sociales des Moldus Britanniques. La colère décuplait sa maladresse et de nombreuses listes s’échouèrent sur le plancher, sans qu’elle n’y prête véritablement attention. Silencieusement, Emma s’approcha du Grymm. Une fois à son niveau, elle abattit brutalement le livre qu’il lui avait recommandé sur son bureau, l’anéantissant du regard.

Violence et brutalité. Emma ne comprit la dureté de son geste qu’au moment où Dorian dégagea vivement ses doigts de l’énorme livre qu’elle avait pris plaisir à écraser devant lui quelques secondes auparavant. Ne laissant rien transparaitre, elle bénit intérieurement ses adroits reflexes. L’intention n’était pas de l’envoyer à l’infirmerie, en tout cas, pas volontairement. Son regard était noir, lorsqu’il se tourna promptement vers elle. Excellent ! Il lui avait attiré des ennuis et elle ne le laisserait pas s’en tirer facilement. Pourtant son expression évolua en un instant, laissant Emma désorientée et désemparée. L’étrange ton sur lequel il avait murmuré son nom se voulait narquois, moqueur. Elle leva les yeux au ciel en soupirant lentement, ses doigts fins martelant l’épaisse couverture de ce maudit ouvrage, signe révélateur de son impatience. A moins qu’il ne trahisse simplement son malaise ?

Cet air satisfait sur le visage de Dorian était des plus exaspérants. C’en était trop ! Au moment où Emma s’apprêtait le remettre à sa place, elle dû se raviser précipitamment, remarquant les lèvres de son interlocuteur s’entrouvrir. « I guess the thing you wanted to say was… Thank you? » lui chuchota-t-il. Emma lâcha sitôt un petit rire nerveux des plus mal maitrisés. « How dare you? » rugit-elle soudainement, perdant complètement son sang-froid. Ses grands yeux céruléens se perdaient dans ceux du Grymm. A cet instant, il était difficile de deviner si elle était incroyablement furieuse ou terriblement vulnérable. Malheureusement, le temps était mal choisi pour méditer sur les émotions contradictoires qui envahissaient la belle Lufkin, car l’offensif « Shhhhh! » qu’un groupe d’étudiants studieux avait âprement sifflé dans sa direction la rappela immédiatement à l’ordre. Nous sommes dans un lieu public tout de même, et qui plus est, une bibliothèque !

Embarrassée, elle sourit en direction de l’assidu comité qu’elle avait dérangé, un petit signe de main vers eux comme pour s’excuser. Visiblement tenaces, leurs regards inquisiteurs étaient tous tournés dans sa direction, nullement prêts à céder sans une explication convaincante. Emma jeta un coup d’œil en direction de Dorian qui semblait prendre un malin plaisir à l’observer s’enliser dans cette situation délicate. Confortablement installé, les bras délicatement croisés sur son torse, une attitude de recul presque imperceptible et un sourire espiègle figé sur les lèvres, il était le spectateur d’une comédie presque dramatique. « How dare you writing in this valuable book? It is an original copy from the 19th century, you should be more careful… » se risqua-t-elle d’une voix suave. Les universitaires indiscrets haussèrent leurs sourcils en direction du plafond, perplexes et probablement moyennement convaincus par cet argument médiocre. Par chance, cela suffit à détourner leur attention. Les révisions ne sont-elles pas plus importantes qu’un esclandre approximatif ?

Tirée d’affaire, Emma saisit délicatement l’avant-bras du Grymm et s’assit poliment à côté de lui. Si les apprentis sorciers avaient su tourner la page, Dorian, lui, paraissait prêt à riposter. Ne prêtant aucune attention à ses gestes qui auraient pu mettre n’importe quel inconnu mal à l’aise, la belle laissa ses longs doigts glisser le long du poignet du jeune homme, jusqu’à effleurer sa paume. « Please, shut up ! You’ve already brought me so much trouble… » chuchota-t-elle, suppliante. Son agressivité avait fait place à une douceur maladroite, Emma Blackwood dans toute sa splendeur. Elle fut surprise lorsque Dorian dégagea brusquement son bras de ses cajoles involontaires. « Sorry about that... » bafouilla-t-elle, gênée. Dans l’espoir de le câliner tendrement, elle tendit sa main vers le chat au pelage sombre qui tournait autour de son maitre. Pour la deuxième fois depuis qu’elle avait mis les pieds ici, le félin montra ses dents et hissa un feulement de mécontentement. « Doesn’t seem to enjoy my company neither… » soupira-t-elle, légèrement démoralisée.

Enemies… Sérieusement ? Les mots de Dorian retentissaient, rebondissaient incessamment dans sa tête, comme s’ils étaient des lutins de Cornouailles en cage.  La manière dont il s’était approché d’Emma, lui avait soufflé ces quelques mots laissaient à croire que tout ceci n’était qu’une douce plaisanterie pour lui. Toutes ses railleries de mauvais goût commençaient sérieusement à lui donner la nausée. « Do I not destroy my enemies when I make them my friends ? » murmura Emma, davantage pour elle-même que pour l’homme qui se tenait devant-elle. Elle avait cité Abraham Lincoln sans véritablement s’en apercevoir : un juriste qu’elle admirait, un politicien qu’elle respectait. Y avait-il autre homme capable de diriger les États-Unis lors de la pire crise constitutionnelle, militaire et morale de son histoire ? Un sorcier peut-être… Elle se perdait dans ses pensées, articulant de pathétiques excuses pour se tirer d’affaires. Toutefois, la voix de Dorian était toujours présente. Un constant rappel à la douloureuse réalité.

« That wasn’t very impressive. You could have done better than that. » lâcha-t-il. Dorian n’arrêterait donc jamais… La jeune Blackwood leva les yeux au ciel, une fois de plus. S’il continuait ainsi, cela risquait bien de devenir une fâcheuse habitude. Elle hésitait… Devait-elle lui répondre, prendre le risque d’entrer dans son jeu ou ignorer ses remarques assassines ? Oh ! Puis, peu importe… Au point où elle en était ! « I am so sorry… The book you gave me didn’t really detailed lying techniques. Maybe there is one you’d like me to read ? » dit-elle impassiblement. Elle n’aimait pas être sarcastique, antipathique, surtout avec des personnes comme Dorian.  Parce qu’au fond, ce serait-elle vraiment donné la peine de le retrouver, si elle n’éprouvait pas pour lui, un infime, un modique soupçon de sympathie? Il lui avait conseillé d’autres ouvrages par le passé, des livres qui l’avaient égayée, émerveillée, informée. Ces lointains souvenirs semblaient s’être donnés le mot, refaisant surface doucement les uns après les autres, lui faisant l’effet des vilaines tapes que ses parents lui donnaient parfois lorsqu’elle n’était encore qu’une enfant.

Alors, elle ne dit rien lorsque Dorian tira la chaise à côté de lui pour qu’elle s’y asseye, trop submergée par toutes ses émotions contradictoires. Lorsqu’elle était contrariée, Emma rendait visite à son frère. Ils s’installaient sur le canapé et elle saisissait son avant-bras, laissant ses doigts glisser jusqu’à sa main puis remonter lentement vers son coude, dans un mouvement perpétuel. Cela l’aidait à se concentrer ou à l’apaiser, elle ne savait pas trop. Le tout était que lorsqu’elle repartait, sa douceur avait repris le dessus et lui, semblait moins véhément qu’à son habitude. Un frère et une sœur qui se complétaient, s’entendaient à merveille. Mais alors, que lui avait-il pris d’effleurer les doigts de Dorian ? « Emma… What are you trying to pull with that ? » lui demanda-t-il. Si Emma était née elfe de maison, elle se serait probablement brutalisée contre l’épaisse table pour se punir de sa bêtise. Heureusement, elle n’en était pas là… Pas encore !  Et Dieu merci, ou peut-être faudrait-il dire, Merlin merci, le Grymm avait dégagé sa main. Affaire classée !  « Flirting won’t get you anywhere. I don’t work like that. »  l’informa Dorian d’une voix sèche. Pas entièrement classée, visiblement… So, how do you work Mr. O’Blake ? pensa-t-elle, désormais curieuse. Un sourire aux lèvres, elle lui dit plutôt : « I wouldn’t give you the pleasure. »

Son ton était doux, elle plaisantait. Néanmoins, nul besoin d’être un grand sorcier pour savoir que toute espièglerie dissimule une part de vérité, souvent amère, malheureuse. Cette vérité, seuls certains membres de la famille Blackwood en eurent vent puisqu’elle fut admirablement bien effacée des mémoires de chacun. Cette nuit où Ethan était rentré à l’appartement, les poings en sang, tant il avait malmené l’imbécile qui avait osé tromper Emma, la hantait encore. Cela faisait maintenant deux ans que le cauchemar s’était produit. Vingt-quatre mois, sept-cent trente jours, dix-sept mille cinq cent vingt-cinq heures et la belle Lufkin n’avait pas osé sauter le pas. Prendre le risque de voir son cœur se briser à nouveau, percevoir la rage dans les yeux de son grand-frère, discerner la déception dans les paroles de ses parents… Non, elle n’était, décidément, pas prête ! Flirter était un terme étrange, un mot qui n’avait plus grand sens pour elle.

Sans en avoir conscience, Dorian tapait là où cela faisait mal, même son chat ne faisait aucun effort pour tenter la réconforter.  Mais après tout, elle n’était pas venue ici pour s’apitoyer sur son sort. Les quelques mots du jeune homme l’égayèrent un instant, mais un doux sentiment de rancune finissait toujours par réapparaitre. Elle détestait s’attirer des ennuis, bien trop sage et prudente. « I gave you the book to help you, I can’t do better than that. » l’informa-t-il soudain. Perplexe, Emma s’égara dans ses pensées, son regard  fuyant de droite à gauche, tandis qu’elle essayait de jauger mentalement l’authenticité des paroles du Grymm. Se pouvait-il qu’il ait sincèrement voulu l’aider, qu’il n’ait aucune idée du pétrin dans lequel il l’avait tiré ? C’est en tout cas ce que Dorian semblait lui faire comprendre. If so, what about this bloody smile stuck on his lips ? songea-t-elle. Emma ressentait le besoin de saisir sa plume, de poser ses calculs sur un bout de parchemin afin de ne pas faire d’erreur. Si Dorian lui mentait peut-être, les chiffres, eux, ne la trahiraient pas. Mais, il n’avait pas l’air de la prendre au sérieux, alors  s’agiter avec des probabilités devant lui n’était sans doute pas la meilleure chose à faire. Elle se risqua donc : « To help me ? Unfortunately, I don’t have any souvenir about me asking for your help, Dorian, do you ? » Emma peinait à déguiser sa colère, mordillait sa lèvre inférieure en espérant que cela l’aiderait à se contenir. Elle jeta un regard autour d’elle pour s’assurer que personne ne les écoutait. Deux options se livraient bataille dans son esprit. Pile : se confier à Dorian, espérer qu’il comprendrait et tenter de s’en faire un ami. Face : déverser sa bile, déguerpir de cette bibliothèque et le compter parmi ses opposants.  

Pile. « Listen… You’re pretty smart, right ? » commenca-t-elle, plus calmement cette fois-ci. « I… I made some calculations and if I ever get caught… Well, I’d rather not think about this possibility, but the thing is… The chances are very high that I will. And this is because of you. » lui sussurra-t-elle. Sa voix était étranglée par la peur, les remords. Comment réagiraient ses parents s’ils venaient à apprendre que leur fille prodige avait triché ? Ils la protègeraient, bien entendu, expliqueraient à son professeur que tout ceci n’est qu’un triste malentendu et s’assureraient que le litige soit vite estompé. Cependant, la manière dont ils lui feraient payer ensuite… C’est cela, qui la terrorisait. « Maybe you didn’t intend all of this, but I feel… Trapped. » murmura-t-elle. Elle ne voulait pas de la pitié de Dorian, mais espérait simplement qu’il prendrait conscience de ses actes. Bien évidemment, si Emma tombait, elle s’assurerait de l'emporter dans sa chute, mais devaient-ils vraiment en arriver là ?  

Le jeune homme posa, devant elle, l’ouvrage qu’il était en train de consulter avant cette bruyante altercation. La douce Lufkin reconnut aussitôt la plume d’Edgar Allan Poe. « Have your read that ? He is a muggle writer. A pretty impressive one… » lui demanda Dorian. Non, ce poème-ci ne lui disait rien. « Not that one… » confia-t-elle doucement. Par contre… De sa baguette, elle tapota le recueil dont les pages virevoltèrent jusqu’aux vers qu’elle recherchait. Un sourire aux lèvres, elle lui confia: « But, this is my favourite one ! » et sans même prendre la peine de lire le passage qu’elle avait sous les yeux, Emma récita un fragment du poème : « Yet if hope has flown away, in a night, or in a day, in a vision, or in none, is it therefore the less gone? All that we see or seem is but a dream within a dream. » Elle s’arrêta soudainement, fronça les sourcils. Etait-il encore en train de la manipuler, de jouer de sa naïveté pour arriver à ses fins ?  Emma pensait trop, beaucoup trop ! Une part d’elle voulait faire confiance au Grymm qui se trouvait à côté d’elle, mais l’autre doutait… Terriblement. Alors, elle l'interrogea: « May I ask you something ? »

Si Emma avait pris la fâcheuse tendance de lever les yeux au ciel depuis qu’elle avait mis les pieds dans cette bibliothèque, Dorian lui, haussait généreusement des épaules en sa présence. De l’extérieur, la scène était plutôt amusante à observer, deux corps un peu crispés essayant, tant bien que mal, de communiquer. Et pourtant, personne n’aurait pu se douter que ce dont ils étaient en train de discuter n’avait rien de divertissant. Bien au contraire… « Should I remind you that you never seemed reluctant when I offered you advice on books in the past ? » commença-t-il. Touché. Féru de littérature, le Grymm avait toujours été de très bons conseils. Impossible de le nier. Emma se mordilla la lèvre inférieure et encaissa le coup silencieusement. Il était mérité, alors à quoi bon ? « And by the way, if you didn’t want it, why haven’t you already throw it away ? I didn’t force you to read it… » poursuivit-il. Coulé. Cette satanée curiosité avait été beaucoup trop forte. La jeune Blackwood avait simplement voulu jeter un œil à l’ouvrage qui lui avait été conseillé, rien de bien méchant. Persuadée que Dorian lui jouait un mauvais tour, elle ne s’attendait pas à trouver la précieuse information qui lui permettrait d’avancer sur son laborieux devoir. Peut-être était-elle tombée dans un piège que le jeune homme lui avait tendu, mais elle seule s’y était enlisée, doucement, mais sûrement. Cela était particulièrement difficile à admettre, mais Dorian ne l’avait pas contrainte à lire ce livre. Il avait raison. En bonne apprentie juriste, la Lufkin était capable de reconnaitre ses torts, mais cela ne voulait pas dire qu’elle le faisait de bon cœur. Car au fond, il était tellement plus facile d’accuser un autre que de se confronter à une insupportable vérité. Légèrement agacée, Emma s’adoucit et prit le temps de lui expliquer, maladroitement, les raisons de son inquiétude.
 
Lorsqu’elle eut terminé, elle guetta une réaction de la part de Dorian : un geste, un regard ou un mot réconfortant ? Au lieu de cela, il s’enfonça dans sa chaise, son félin se lovant sur ses genoux.  Ce dernier observait la belle Blackwood avec insistance. Please, tell me this cat is not an animagus… pensa-t-elle. Il ne manquerait plus que cela : de nouveaux problèmes. Stupid girl ! You’re getting completely paranoid… Breath deep Em’. Everything is fine ! se répétait-elle. Ce qui l’inquiétait réellement n’était pas ce ravissant chat, mais la raideur de son interlocuteur. Hésitante, Emma poursuivit, se confia une dernière fois au jeune homme. Peut-être finirait-il par réagir ? En effet ! Mais pas tout à fait comme elle l’espérait. Le Grymm portant à nouveau son attention sur le recueil de poésie qui se trouvait devant lui. Dorian avait sans doute besoin de réfléchir à ce qu’elle venait de lui dire. Alors la Lufkin se prit au jeu avec plaisir, flattée qu’il apprécie les quelques vers qu’elle avait choisi de partager avec lui. Cependant, elle le perdit rapidement, son regard comme pétrifié ou intrigué par quelque chose derrière elle. Trop respectueuse, elle n’osa pas se retourner, encore moins lui demander s’il allait bien, mais tenta de briser le silence. « In the future, please don’t help me if I’m not asking you to, alright ? » dit-elle gentiment.
 
Il ne répondit pas à sa question, mais à ses craintes et cela la surprit. Il n’était pas si indifférent à sa situation après tout : « Just give me your essay and I’ll tear it up for you if you want. » Elle aurait dû sourire, se détendre. Mais Emma avait fait une erreur. Elle en avait conscience et la culpabilité la rongeait depuis quelques temps. « You already took all of this way out of proportion, don’t lose any more sleep over it. » continua Dorian. Il souriait, semblait sincère. Cette sordide histoire aurait pu prendre fin dès aujourd’hui, mais non… Le destin ne souhaitait pas que la jeune Blackwood s’en sorte si facilement. Elle se revit alors, quelques jours auparavant, tremblante et paniquée, glisser sa dissertation dans les griffes de son petit-duc. Cette vision n’était, malheureusement pas le fruit de son imagination. Elle avait bel et bien demandé à Finn de délivrer son devoir au plus vite, ne supportant plus la vue de ce maudit parchemin, de suffoquer sous une vague de pénibles regrets. « Unless you arrange to break into the professor’s office, your plan sounds a bit tricky to execute… » articula-t-elle amèrement. Cette rancœur mal dissimilée ne s’adressait plus au Grymm, mais à elle-même, à cet élan impulsif dans lequel elle ne se reconnaissait pas, bien trop en contradiction avec son calme habituel. « I freaked out… »  poursuivit-elle. Sa voix était étouffée, oppressée par un tourment maladroitement dissimulé, mais elle ne voulait pas craquer, pas devant Dorian. You have to be strong Em’ ! Pull yourself together ! songea-t-elle. Un sourire mélancolique aux lèvres, elle articula finalement : « I messed up, right ? »
 
Le jeune homme intercepta son regard, une fraction de seconde. Aussitôt, elle porta son attention vers le sol pour qu’il ne remarque pas que ses yeux bleutés s’humidifiaient dangereusement. De rage, certes, mais aurait-il fait la différence ? Les doigts d’Emma s’agrippaient au rebord de sa chaise, tandis qu’elle essayait, tant bien que mal de ne pas s’effondrer sous le poids de sa bêtise. « Just… Stay here, ok ? There is something I’d like to show you. » énonça-t-elle, aussi gaiement que sa voix le lui permettait. Elle se leva doucement et se dirigea vers les étagères de la bibliothèque, et plus particulièrement vers celles qui recelaient de poèmes et chansons. Une larme perla le long de sa joue, larme que la manche de son chemisier fit disparaitre hâtivement. Cette conversation, bien que laborieuse, avait tout de même eu du bon. Emma venait de réaliser que Dorian n’était pas la seule variable dans son équation, qu’elle aussi, avait influencé les probabilités. Elle finit par mettre la main sur l’ouvrage qu’elle cherchait : Sonnets d'un Sorcier. Ce recueil avait la réputation de condamner son lecteur à parler en vers pour le restant de ses jours. Curieuse, la Lufkin avait, bien évidemment, tenté l’expérience des années auparavant. Comme espéré, le livre était effectivement ensorcelé, mais ses effets n’étaient pas éternels. Ils se dissipaient au bout de quelques heures seulement. Emma avait même trouvé un sort permettant d’annuler immédiatement cette réaction étrange. Elle avait choisi cet ouvrage pour deux raisons : 1- Il contenait un poème qu’elle affectionnait véritablement et souhaitait faire découvrir à Dorian. 2- Elle avait grand besoin de se changer les idées et rire un peu.
 
Cette pensée la réconforta légèrement. L’œuvre tant convoitée à la main, elle marcha délicatement en direction du Grymm. Soudain, elle s’immobilisa. Non, se pétrifia ! La brillante Blackwood venait d’apercevoir la documentaliste tant redoutée en train de mettre la main sur… Sur les parchemins qu’elle avait fait tomber plus tôt !  Oh no… Sa liste, celle qui détaillait ses calculs sur sa tricherie, leur tricherie en faisait partie. De peur, Emma lâcha le livre que retenaient ses longs doigts, tombant ainsi lourdement sur le sol. Sortant aussitôt de sa léthargie, elle se précipita en direction de jeune homme et posa sa main sur son épaule pour acquérir son attention. « Remember when I told you not to help me if I’m not asking you to ? Well, I’m asking ! Please Dorian… Help me now. » bafouilla-t-elle, son regard céruléen plongé dans le sien.