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Let the music play (Tina McKinnon)
Sam 11 Nov 2017 - 20:41
Ce n'était pas comme la danse, discipline qu'elle pratiquait depuis presque plus longtemps où la technique portait les émotions qu'elle voulait transmettre, où elle réussissait toujours à trouver le fil directeur de ce qu'elle voulait raconter, où elle glissait d'un pas à un autre sans y réfléchir. Tout, en cet instant, lui montrait que ce n'était pas le cas. Ce morceau était à ses yeux un concentré de délicatesse et de douceur, avec certains moments plus profonds que d'autres, mais il n'y avait pas moyen de se glisser dans l'émotion de la mélodie comme elle savait si bien le faire en dansant. Elle ne savait pas si ça venait de sa main gauche, trop crispée sur le manche, de l'attaque de ses notes, ou si juste elle n'avait pas la connivence espérée avec ce morceau. Qu'à cela ne tienne, elle butait et recommençait inlassablement la première partie de la partition, insensible à la petite voix qui lui soufflait par intermittence qu'elle avait sûrement mieux à faire et que cela pourrait bien attendre. En plus d'être têtue, lorsqu'il s'agissait d'une de ses passions, la danse comme la musique, elle n'aimait pas qu'un problème lui résiste. Et celui-là était décidément bien épineux.
La demie-heure qu'elle s'était accordée à la base s'éternisait, et Fynn, elle s'enfermait dans la vision qu'elle avait de sa propre production musicale, incapable désormais de discerner le bon du mauvais. Ce qu'elle trouvait bien dix minutes plus tôt lui arrachait des grimaces excédées et au contraire, elle se montrait soudainement indulgentes quant aux petits détails sur lesquels elle avait pu s'acharner plus tôt. Ses partitions étaient toutes gribouillées d'annotations, parfois contradictoires, et elle n'avançait pas plus. Pourtant son regard restait sagement concentré, elle refusait de céder à l'impatience qu'elle commençait à ressentir. Si elle perdait son calme, elle réduisait à néant les efforts déployés jusque là, tous vains qu'ils aient été. Alors elle répétait note après note, mesure après mesure toujours de ces gestes calmes et posés, bien que mus maintenant par une indicible crispation. Elle recommença depuis le début, un bon début, quand le grincement d'une porte la fit sursauter. Sa concentration s'évapora en une fraction de seconde, sa respiration se perdit en une inspiration sèche, et l'archet rippa contre la touche du violoncelle en un son grinçant. Sa moue surprise se mua en un doux sourire en reconnaissant la tête rousse parfois croisée en salle des Pokeby. « Sorry about this, I didn't see you coming... Tina, right ? » Lança -t- elle avec un petit sourire d'excuses. Son regard passait de la jeune femme à son violoncelle, jusqu'à ce que l'idée ne lui vienne que sans doute Tina avait aussi besoin de la salle pour répéter en toute tranquillité. « So... Do you want me to leave ? » S'enquit-elle avec sa prévenance habituelle, sans s'émouvoir de ce que ça pourrait supposer pour elle, soit remettre sa répétition acharnée à plus tard.
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Re: Let the music play (Tina McKinnon)
Dim 19 Nov 2017 - 23:11
Enfermée en salle d’études depuis plusieurs heures, je me débattais fougueusement avec des tableaux de nombres complexes et alambiqués. La pointe de mes pieds martelait nerveusement le plancher, tandis que je mordillais avec préoccupation l’extrémité de mon crayon préféré. Soupirant exagérément de temps à autre, l’insupportable tic-tac de l’horloge qui me faisait face me rappelait avec brutalité que les minutes s’envolaient adagio. « Focus ! » Rappel à l’ordre. Mon regard évasif balaya les parchemins qui m’étaient présentés, tandis que je percevais, d’une oreille inattentive, ce qui me semblaient être des explications abstraites. Passage obligé si j’aspirais à une brillante carrière d’architecte, l’arithmancie me donnait beaucoup de fil à retordre. J’avais cependant conscience qu’il s’agissait d’une option à ne pas négliger, que mes esquisses, dénuées de tout support algébrique seraient réduites en cendres par des clients mécontents. Alors, je m’accrochais tant bien que mal à ces cours de soutien. Je m’y accrochais comme certains s’accrochent à la vie, travaillant d’arrache pied pour valider mon semestre, ne pas endurer les remarques infantilisantes de mes frères aînés. Regrettablement, je n’étais bonne à rien aujourd’hui. Mon esprit était ailleurs, se promenant avec légèreté le long de la soixante-cinquième avenue. Me remémorer cet été passé à New York était aussi plaisant que douloureux. Je n’aurais su dire ce qui me manquait le plus : les rires mélodieux de mes collègues, l’excellente acoustique de l’Avery Fisher Hall, les applaudissements distingués d’un auditoire délicat…
Mélancolique, je laissais mon front reposer contre l’épais bureau de chêne alors que mes doigts effleuraient chaque entaille, chaque craquelure de la surface qui me retenait prisonnière. Cage dorée, j’avais appris à me contenter de peur pour être heureuse: une famille aimante, des amis aussi divertissants qu’attentionnés et lui,
Fynn & Tina
Music is probably the only real magic I have encountered in my life. It's pure and it's real. It moves, it heals, it communicates and does all these incredible things.
Une pause. Suffisamment brève pour que je me décide à entrer silencieusement, discrètement. C’est en tout cas ce que j’espérais… Par pitié, que quelqu’un remette à neuf cette satanée porte ! Surprise, elle tressaillit, interrompant brutalement son récital. Immédiatement, une grimace se dessina sur mes lèvres, davantage pour ma bruyante irruption que pour le grinçant dérapage de son archet sur les cordes de son violoncelle. Je m’approchais de la Pokeby alors qu’elle balbutiait des excuses qui n’avaient pas lieu d’être, acquiesçant d’un mouvement de tête lorsque mon prénom franchit ses lèvres. « Come on Fynn… We both know this is entirely my fault. » Ma voix était chaleureuse, une mélodie enjouée et réconfortante. Si la O'Ceallaigh s'était donné du mal à remettre un nom sur mon visage, je n'étais pas sans ignorer le sien. Entre violoncellistes... « Please, accept my humblest apologies. » Je ris doucement, espérant détendre l’atmosphère, entrevoir son corps crispé se relâcher un instant. Sa prévenance me fit sourire, néanmoins bien futile. Après tout, je n’étais pas venue jusqu’ici pour la voir fuir devant mes yeux. « To leave ? No way ! I’ll be your audience tonight. » D’un coup de baguette, j’attirais hâtivement une chaise dans ma direction, l’interceptant adroitement du bout des doigts. Y prenant place avec légèreté, je laissais mon coude reposer sur ce dossier particulièrement inconfortable: « I guess I could give you a few tips as well ! I mean… If you’re interested ! » Je lui adressais un clin d’oeil malicieux. Sa posture n’était qu’agacement et énervement. Elle devait probablement répéter depuis plusieurs heures, s’acharner contre une mesure qui la faisait peiner. Ce sentiment d’échec, je ne le connaissais que trop bien et cela m’attrista un instant. « A bit tense, right ? » D’un geste bienveillant, je capturais doucement sa main, la manipulait et la massait avec attention. « Does this composition remind you of something in particular ? Quiescence ? Sorrow ? Grieve ? »
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Re: Let the music play (Tina McKinnon)
Mer 28 Fév 2018 - 20:00
« I guess I could offer you a few tips as well… I mean… If you’re interested…
-Of course I am! »
Comment ne pourrait-elle pas l’être ? La danse avait beau faire partie de ses passions, chose qu’elle partageait avec sa meilleure amie, la musique c’était autre chose. Elle était toujours avide de progresser et d’apprendre. Même, il lui arrivait de regretter les années perdues à la fin de sa scolarité à Poudlard, durant lesquelles elle s’était persuadée que le violoncelle ne devrait rester qu’un loisir, elle qui au fond rêvait d’entrer dans le milieu artistique. Elle regrettait d’en avoir négligé la pratique, quand elle calmait ses impatiences à grand renfort de pensées désabusées. A quoi bon ? Alors elle ne cracherait certainement pas sur la présence d’un auditoire aussi avisé que Tina, en témoignait son empressement à accepter sa proposition.
« A bit tense, right ? » Elle ne put qu’hocher la tête alors qu’elle regardait la McKinnon s’emparer de sa main pour tenter de la détendre. Il était plus qu’évident que jouer, ne serait-ce même que correctement était devenu laborieux à cet instant de sa répétition. Mais elle, si tactile et spontanée d’habitude, ne s’attendait pas vraiment à ce geste, tout naturel, de la part de la musicienne, et pourtant bienvenu. Ses doigts, engourdis par lassitude, l’impatience et l’amertume étaient maladroits au-dessus des cordes. Sans doute trouvait-elle déroutante la soudaine proximité de la Pokeby qu’elle ne pouvait qu’admirer pour son talent – alors qu’elle-même se comportait avec tout autant de naturel avec n’importe qui, par ailleurs… Quant à la question… C’était justement ce qui mettait mots sur l’impression que Fynn avait de passer à côté de quelque chose dans le morceau. « That’s… actually a very good question, avoua –t- elle dans un petit rire. Elle s’était acharnée tant et si bien sur le morceau – et ce n’était pas sa première séance de travail sur Le Cygne – qu’elle se retrouvait bien incapable d’en livrer une lecture au-delà du premier degré. En clair, et elle avait un peu honte à se l’avouer en tant que musicienne, elle trouvait certes l’œuvre magnifique, mais elle ne savait pas vraiment dire pourquoi. Si elle n’avait pas délaissé son ressenti et l’essence même de la musique, au profit de la technique elle aurait peut-être pu s’épargner un temps précieux. Sa moue devint pensive alors que dans son esprit, elle se repassait les premières mesures. « There is something very soft… Tenderness, definitely. And… I wouldn’t have say sorrow but still, there is something profoundly nostalgic about it. »
Fynn redressa son regard émeraude vers Tina, en quête d’une certaine approbation, quand bien même son interprétation était complètement subjective. Quelle que soit la confiance qu’elle plaçait en son analyse, elle ne pouvait pas être complètement réfutée, ni sans doute, absolument vraie. Elle soupira lourdement avant de rajuster la position de son instrument contre elle. « Maybe I can give it another try, and this time I’ll spare you the horrible squeaks! » Reprit-elle, lui lançant un regard complice. Archet en main, elle inspira profondément histoire de se reconcentrer, et le posa sur les cordes, lançant la mélodie en tentant de garder en tête les premiers conseils de la Pokeby. Mais ça ne changea pas grand-chose au problème, et son esprit, fatigué, s’y perdit davantage en essayant de se partager entre la technique et son interprétation perfectible. Elle loupa un temps, se crispa et abandonna avant la fin de la troisième ligne, son archet ripant contre les cordes. « So much for the squeaks..., soupira -t-elle. I'd better call it a day... ». D'un geste qu'elle voulait définitif elle lâcha le manche de son violoncelle, commençant à détendre les crins de l'archet avant de s'arrêter, réfléchissant intensément. « Or else... would you mind playing something ? » Commença -t- elle, sans vraiment réfléchir, l'archet déjà tendu dans sa direction. « Oh, no. Forget it, I don't want to bother you... It's just that... I'm a bit ashamed I've never heard you play the cello before... »
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Re: Let the music play (Tina McKinnon)
Sam 2 Juin 2018 - 12:01
« Of course I am! » La spontanéité de Fynn me réchauffa le coeur, dessina un sourire affectueux et sincère sur mes lèvres. Alors que je tentais de la décontracter, elle répondait à ma question avec hésitation, décrivant des vagues sensations plutôt que des souvenirs précis. Il s’agissait, cependant, d’un bon début. Je l’encourageais donc d’un signe de tête amical. Je supposais qu’avec le temps et la pratique, elle en avait oublié l’âme même de cette composition. Rien d’alarmant, cela arrivait souvent et à de nombreux musiciens acharnés. Un léger soupir s’échappa de la bouche de la Pokeby. Je relâchais sa main avec tendresse et, posément, elle réajusta sa position : « Maybe I can give it another try, and this time I’ll spare you the horrible squeaks! » Avant qu’elle ne commence, je rectifiais sa posture avec douceur.
« Sure! Go ahead. » D’un geste élégant, je l’invitai à reprendre là où elle s’était interrompue. Les doigts de l’étudiante s’enroulèrent lentement autour de son archet. Et, peut-être n’était-ce qu’une impression, qu’une représentation de ce que je désirais voir et pourtant, Fynn me semblait bien moins crispée que précédemment. Malgré son éreintement apparement, les premières mesures se déroulèrent formidablement bien. Néanmoins et visiblement à la quête de perfection, la moindre irrégularité l’irritait, attisait des tendances contraires aux sentiments qu’elle m’avait décrit quelques minutes plus tôt.
Fynn & Tina
Music is probably the only real magic I have encountered in my life. It's pure and it's real. It moves, it heals, it communicates and does all these incredible things.
Avec regret, je l’observais se désintéresser de son instrument, ne m’attendant certainement pas à ce qu’elle me demande soudainement de jouer à mon tour. Alors que je m’apprêtais à lui répondre, Fynn retira aussitôt son invitation ce qui eut pour effet de m’amuser. « Oh well... I do feel a bit under pressure right now! » confiai-je dans un nouvel éclat de rire. Si la plupart des étudiants m’avaient déjà entendu chanter, rares étaient ceux qui m’avaient déjà entendu jouer. Sans doute prêtaient-ils moins attention au répertoire classique de mon violoncelle qu’aux rythmes et paroles frénétiques des Sugar Quill ? Sans hésitation apparente, je m’emparai doucement de son archet, le resserrant légèrement et m’assurant que la mèche n’était pas abimée avant de saisir délicatement son violoncelle. « Is there any piece in particular I might entertain you with tonight? » demandai-je, en tournant en ridicule certains chefs d’orchestre hautains et empruntés. Avec un peu de chance, ce ton malicieux finirait par la détendre. Ma seule certitude était que je ne souhaitais pas interpréter la partition qu’elle avait sous les yeux. Je refusais qu’elle ne se compare ou désespère alors que cette talentueuse sorcière était sur la bonne voie.
Un air hébraïque me vint en tête et d’emblée, je reprenais Evening of Roses d’Erev Shel Shoshanim, ayant à coeur de faire plaisir à la Pokeby. Mes doigts glissaient avec une agilité singulière, presque naturelle, le long du manche de mon violoncelle. Cette douce et envoûtante mélodie m’emportait à mille lieux d’ici, révélait cette fragilité que je m’efforçais, au quotidien, de dissimuler. Note après note, des sentiments inavoués m’envahissaient, me faisaient frissonner à mesure qu’ils fusionnaient avec l’harmonie environnante. Les yeux clos, mon archet poursuivait sa course contre les cordes de mon instrument. De temps à autre, j’adressais un sourire bienveillant à l’étudiante. Comme pour la rassurer sur le fait que je n’étais pas entièrement égarée, que je ne l’avais pas oubliée à mes côtés et, surtout, que sa présence ici me touchait sincèrement. Des milliers de pensées auraient pu me traverser l’esprit dont celle d’abandonner mes études pour me consacrer entièrement à la carrière de professionnelle que j’avais touché du doigt l’été dernier. Toutefois, cela n’arriva pas, pas avant la fin du morceau. Je ne faisais qu’une avec mon instrument, concentrée sur ce poème revisité.
Le silence qui retomba ensuite m’embarrassa progressivement. Ma reprise était-elle si terrible et massacrante que cela ? Je replaçai vivement une mèche de mes cheveux fauves derrière mon oreille avant de repousser élégamment le violoncelle de la Pokeby. « You were probably expecting something a bit different, right? » l'interrogeai-je, une moue dépitée prenant place sur mon visage. Puis, une innocente idée s’empara brusquement de moi : « You should come! You should come to one of my rehearsals with the orchestra. » Ma voix avait retrouvé ses tonalités chaleureuses et enjouées. « What do you think about it? Please say yes! I’m sure they would be so glad to meet you. » poursuivis-je rapidement, craignant un refus de sa part. Car, pour une raison que j’ignorais, quelque chose m’incitait à prendre Fynn sous mon aile et à l’aider à progresser comme d’autres l’avaient fait pour moi des années auparavant.
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