En silence, j'écoute mon amie parler. Elle se livre à moi, et il semblerait que ce soit la première fois qu'elle dise ces mots à haute voix. Ces mots qu'elle doit se répéter sans cesse intérieurement depuis... depuis combien de temps, d'ailleurs ? Il me semble que l'article du Chineur est sorti il y a peu de temps, mais l'histoire entre Svein et elle date de cet été. Je n'imagine même pas la douleur qu'elle doit ressentir en ce moment.

En fait, je n'en imagine qu'une partie, celle de ne pas pouvoir parler à quelqu'un de ses émotions. Car en fait, depuis ma naissance, je ne peux vraiment parler à personne de ce que je ressens au fond de moi. J'accepte les directives de mon père, de mon grand-père, j'accepte qu'on se moque de moi dans la presse, je supporte sur mes épaules le poids de mon nom de famille et de mon avenir tout tracé. La dernière nouvelle en date qui ne me plaît guerre mais à laquelle je dois m'habituer est celle de mes fiançailles avec ce cher Henriksen, et encore une fois, à qui en parler ? Surtout pas à Lina, qui le considère comme l'homme parfait, et qui de toute façon n'est pas disposée à parler de fiançailles en ce moment même.

J’esquisse un sourire lorsque mon amie me parle de ses Talaclass. Une paire de Talaclass valant quelques centaines de gallions, je suis assez étonnée d'apprendre qu'elle les a perdues. Un bref coup d'oeil autour de nous m'indique qu'elles ne sont pas à portée de vue. Je sors ma baguette. "Accio Talaclass !" On ne sait jamais, si elles sont proches cela peut fonctionner.

Je n'ai cependant pas le temps de déterminer la provenance des chaussures qu'il se met à pleuvoir. Lina, continuant à se lamenter sur elle-même, indique que cela correspond à son humeur. "Il ne me semble pas que tu aies la capacité de faire pleuvoir sur commande, cependant." Je tente un trait d'humour, puis d'un mouvement de ma baguette, je fais apparaître un dôme autour de nous, nous gardant au sec. Et je remarque les chaussures volantes au dessus de l'étang, trempées et recouvertes d'algues. Un sourire au coin des lèvres, je réprime un petit rire. "C'est toujours ça de gagné, on a retrouvé tes chaussures. Maintenant," je fais apparaître deux jolis fauteuils moelleux d'un coup de baguette, puis je m'assois. "Explique-moi tout." Comment ta famille a pu être au courant ? Pourquoi t'ont-ils répudiés ? Vont-ils te déshériter ? Mais surtout, la question qui me brûle les lèvres depuis la parution de ce journal, et que j'essaie de repousser tout au fond de mon âme, mais qui hante mon être tout entier, as-tu vraiment couché avec l'homme que j'aime ?

En silence, j'écoute les explications de mon amie. Car elle est mon amie. Depuis nos premiers galas, nos premières petites robes de princesses et nos premiers pas de danse. Cette amitié, encouragée par nos familles respectives (et respectables) a continué jusqu'à Durmstrang, et elle dure encore aujourd'hui. Alors même si une jalousie honteuse brûle en moi depuis que j'ai lu ces quelques petites lignes inscrites sur le journal étudiant, et qu'elle continue à brûler et à s'intensifier alors que j'écoute Lina, il est de mon devoir d'amie de la soutenir dans ce moment.

Après tout, personne n'est au courant pour l'amour que je ressens au fond de moi. Même encore maintenant, cet homme a volé mon cœur et il bat pour lui. Et ce cœur, fragile malgré la façade de femme forte que je montre au monde, ce coeur se fêle à chaque mot prononcé par la bulgare. Il a suffit d'une seule phrase, expéditive et brève, pour que mes pires cauchemars se réalisent. Le chineur ne mentait pas. "Il s'est passé ce qu'il s'est passé." Au fond de moi, le feu de la jalousie brûle plus intensément que jamais et mon petit coeur pleure. Mon visage n'en montre cependant rien, se parant d'un air compréhensif et d'un sourire encourageant.

La blonde s'explique maintenant sur les circonstances de sa répudiation. Brièvement, un air d'incompréhension passe sur mon visage, mais il se transforme en compassion pour mon amie qui recommence à se questionner sur son avenir. Ma main se pose délicatement sur l'épaule de Tzvetelina. "Déjà, tu vas pouvoir redevenir toi-même. C'est vrai quoi, tu avais changé, depuis ton mariage." Je me demande si mon mariage avec Gabriel va me changer, moi. Certainement. Et je ne suis pas sûre de le vouloir. Il faudra que j'en parle avec lui. Reposant mon regard sur mon amie, j’esquisse un sourire. "Et tu vas découvrir la liberté d'être une femme divorcée, et libérée. Et puis tu emmerdes les Skinners ! Franchement, ils n'attendaient qu'un pas de travers de ta part pour te descendre. La vieille a même réussi à trouver un boulot ici pour mieux te fliquer." Je m'emporte, mais c'est pour la bonne cause. Il faut pousser un peu la bulgare afin qu'elle se reprenne en main, rien qu'un peu. Et puis ma colère est justifiée, à l'encontre des Skinner. Cette bande de vipères.

La blonde en face de moi est complètement perdue, et qui ne le serait pas à sa place ? Enfin, peut-être son mari. Ou plutôt son ex-mari. Qui ne semble pas du tout ressentir de la tristesse ou même un semblant de pitié pour la bulgare. Qui continue à fanfaronner au château, comme s'il avait gagné une sorte de concours. Ce que je ressens, moi ? De la compassion, principalement. De la tristesse pour mon amie déchue, mais qui restera tout de même mon amie, que le veuille mon père ou non. Mais au fond de moi se trouve un sentiment qui ne devrait pas avoir sa place dans mon âme, la peur. La peur d'être un jour à la place de la Grymm, la peur de me faire prendre dans une infidélité, de voir mes rêves de carrière voler en éclats. Mais alors que mon amie se demande si elle doit continuer ses études, mes pensées reviennent au présent comme si touchée par une décharge électrique. "Bien entendu qu'il faut continuer les études, c'est important." Vérité absolue, qui ne changera jamais. S'il y a bien une conviction sur laquelle je ne changerai pas d'avis, c'est celle-là.

Mais il faut continuer à remotiver Lina. C'est donc tout naturellement que je m'emporte contre les Skinner, cette famille riche comme toutes les autres familles riches, à qui mon amie s'est liée il y a de ça quelques années. L'annonce de la nomination de la matriarche au poste de professeur de potions cet été, suivie de la parution du Chineur et ensuite du divorce de Tzvetelina, cela est trop gros pour n'être qu'une coïncidence. Mais mon amie reste aveuglée par sa belle-mère, lui cherchant des excuses. Je me retiens bien de dire ce que je pense à mon amie, mais ce n'est pas parce qu'Agrippa Skinner n'est ni professeur en justice magique, ni directrice des Grymm qu'elle ne peut pas surveiller les moindres faits et gestes de chaque personne de la famille. Je me contente donc de hausser les épaules.

Mais la balle retombe dans mon camp lorsque la conversation dévie sur moi. Je comprends que Lina ne cherche qu'à se changer les idées, mais je n'aime pas vraiment parler de moi, même avec elle. J'ai peur que mes plus grands secrets s'échappent de ma bouche sans que je puisse les arrêter, poussés par d'autres secrets qui ne cherchent qu'à sortir. Instinctivement, je ferme mon esprit afin d'empêcher les secrets de sortir. C'est ça l'occlumencie, lorsqu'on ferme les portes pour interdire quelqu'un d'entrer, on interdit aussi aux choses inavouables de sortir. Mon visage se pare d'un petit sourire avant de répondre. "Je vais bien, tu sais avec la rentrée j'ai pas mal de choses à faire avec l'AESH... Mais c'est bientôt terminé." Posant mes yeux sur l'étang, où le soleil est réapparu, je marque un temps d'arrêt avant de continuer. Je sais très bien de quoi elle veut que je parle. Le sujet le plus d'actualité pour moi. Mes fiançailles. "La nouvelle des fiançailles s'est propagée partout, mon père est aux anges. Mais je ne me préoccupe pas encore du mariage, on a encore le temps pour ça." Un regard vers ma bague étincelante et mes pensées vaguent momentanément vers Svein, mais je les repousse. L'idée cependant, que mes fiançailles puissent être un sujet tendu pour mon amie, vient seulement de me traverser l'esprit. Je me tourne donc vers elle. "Je suis désolée de te parler de ça, on peut changer de sujet si tu veux."

C'est l'esprit amer que je réponds à mon amie quand elle me demande comment je vais. Cependant mon visage n'en montre rien. Après des banalités sur la rentrée, je rentre dans le vif du sujet, la seule chose à laquelle je sais qu'elle pense. Gabriel étant son meilleur ami, je pense qu'elle est ravie pour nous deux. En mon fort intérieur, je me dis qu'il aurait dû l'épouser elle, et me laisser tranquille. Elle est disponible, maintenant. L'excitation de la Grymm se fait d'ailleurs ressentir alors qu'elle me demande si on a fixé une date. Lentement, je secoue la tête de gauche à droite. "Je ne me préoccupe pas du mariage, encore. Cet été, peut-être, ou le prochain. J'aimerais bien avoir terminé les études avant." Regard qui se perd vers l'étendue de l'étang. Moins je pense à ce mariage, et mieux je me sens. Je sais déjà qu'il va falloir que je parle à mon fiancé de certaines choses, régler quelques détails, et cela me fatigue d'avance.

Mes pensées divaguent, et je reviens rapidement sur Terre en me rappelant que mon amie vient de divorcer. Excuses plates, regard désolé. Mais elle me rassure, cela ne la dérange pas que je parle de mes fiançailles récentes. Un goût amer se répand alors dans ma bouche lorsque je comprends que si Tzvetelina n'est pas dérangée par le fait de parler de mon engagement à Gabriel, c'est moi que cela dérange. Le fait de n'avoir pas réussi à tenir tête à mon père, d'avoir accepté à regrets, de devoir laisser mon indépendance derrière moi, alors que je tire tant de fierté de mes accomplissements... Tout cela me dérange. Et je sais très bien que je pars dans ce mariage à reculons. Une chaîne de plus autour de mes chevilles.

Elle me propose de parler d'autre chose. Lueur d'espoir qui s'allume dans mon cœur alors que le visage de Svein apparaît dans mon esprit. Pas sûre que cela soit une bonne idée, mais je tente. J'ai besoin de savoir. "Tu as des nouvelles de Svein ?" Regard en coin, cœur au bord des lèvres. Son absence me poignarde le cœur un peu plus chaque jour. Alors je me raccroche à chaque espoir d'avoir des nouvelles.