C’était un peu bizarre, de sortir en boite avec Juliet. Sortir, il le faisait souvent. En boite, un peu moins depuis quelque temps, mais ça n’avait rien d’exceptionnel, mais alors, avec la petite dernière des Blackthorn … Pour tout dire, Lorcan avait un peu tirer la gueule, au début, quand Lucrèce lui avait demandé de prendre la Juju sous le bras pour l’emmener s’amuser un peu avec son petit groupe de noctambules. C’est qu’elle avait sa réputation, la douce, et ce n’était pas d’être une reine du dancefloor, alors il n’était pas tout à fait sur de ce que cela allait donner, au premier abord… Et puis, les soirées s’étaient enchaînées, la blondinette, détendue, de plus en plus, parfois trop d’ailleurs, mais ça, il le voyait d’un œil plutôt distant, souvent amusé. Pas encore franchement habituée à aligner les shooters, Juliet était souvent la première à finir la tête à l’envers. Que cela soit Ymkje, Lorcan, ou encore la bande de joyeux drilles avec lesquels ils blanchissaient les nuits, ils avaient déjà quelques années d’expérience qui leur donnaient une longueur d’avence en matière de résistance aux effets de l’alcool qu’elle n’avait certainement pas. Ce qui expliquait surement pourquoi Ymkje faisait la sirène sur la piste de danse, alors que Juliet elle tanguait comme un bateau ivre
Il ricanait à coté d’elle alors qu’elle plaquait son verre contre sa joue en roulant des yeux. Ok, elle était marrante, il préférait la voir comme ça qu’en pleurs sur les genoux de Luce. Il était pas super à l’aise avec les gros chagrins, le Loki, un peu plus avec la fête et l’oubli temporaire … Quitte à jouer les babysitter ensuite, il avait l’habitude. Pis si ça pouvait rassurer Luce sur les comportements de sa petite protégée, il pouvait faire l’effort, qui lui coutait pas grand-chose au final.

- C’est l’alcool, ptite Juju, ça donne chaud !

Fallait dire que même si elle n’était pas aussi mini pouce que Cook, à coté de Lorcan, tout le monde était petit, depuis sa poussée de croissance de l’année précédente. Il leva son verre en sa direction, superposition complexe de liquides de couleur vive et saturée.

- Alors ça, ma poule, c’est un Tiki-strophy, c’est mon cousin qui m’a fait goutter avant même que j’ai l’âge légal, juste pour emmerder nos darons. C’est de la vodka, de la liqueur de menthe et une espèce de soda moldu pétillant qui a un fort goût de citron… C’est hyper dosé, mais c’est grave bon … Mais une catastrophe pour la tête le lendemain matin, d’où son nom, héhé. T’veux tester  ?

Il tendit son verre à l’abeille, refusa de toucher à sa boisson aux fruits d’un geste de la main.

- T’as pas envie de danser ? Cook’ est pas loin !

Quand Lorcan ricanait, c’était rarement un son gracieux ou stylé, comme le faisaient les types classes et mystérieux qui font craquer les nanas : non, c’était un joli grognement qui venait du nez et de la gorge, comme les petits cochons, qui secouait ses épaules et faisait plisser ses yeux aux longs cils de fille. Au mieux, c’était un peu mignon, au pire, carrément agaçant. Il fallait dire qu’elle était quand même sacrément marrante, la petite dernière du clan Blackthorn, quand l’éthanol brouillait son sang si pur. Sa posture était plus souple, plus flou aussi, son sourire se faisait plus grand, moins convenu. Ça lui allait bien, même si les pas étaient encore hésitants, l’attitude un peu gauche, dans ce milieu dont elle ne connaissait pas grand-chose. Pas grave, elle avait les meilleurs ambassadeurs pour lui faire découvrir le monde de la fête.

- J’suis tout calme parce qu’il est pas encore bien tard, ptite tête, et qu’il me faut plus que deux gorgées pour perdre le contrôle, moi, j’suis un professionnel !

C’était précisément pour cela d’ailleurs que Lucrèce lui avait demandé d’accompagner Juliet ce soir, et les nuits précédentes où elle n’avait pas eu envie de dormir. Il avait quelques années d’excès et de fiestas dans le cornet, le Tamaharu, et il en fallait beaucoup, beaucoup pour qu’il perde le contrôle … surtout quand il était en mission, comme aujourd’hui. Alors il regardait Juliet se saisir de sa boisson pour en prendre une lampée, se crâmer le gosier au passage et froncer le nez dans une grimace enfantine et hilarante.

- Ouais, c’est interessant et ça brûle, hain ? Reste aux mojitos et aux sex on the beach si t’as pas l’habitude, et de temps en temps, pense à boire de l’eau, ça t’évitera de ressembler à une momie demain, crois-moi.

Il hocha la tête d’un air expert, avant de caresser tendrement du regard la De Booij qui enflammait la piste de danse. Il avait envie de la rejoindre, sa Cook’, d’enchainer les pas de danse en synchro, et de faire passer l’envie à quelques gros nazes aux oeillades lubriques de s’approcher trop prêt. Elle avait pas eu la vie sentimentale facile dernièrement, la pauvre, il savait que ce genre de sortie lui faisait du bien, à elle aussi. D’une certaine manière, il était bien content que Lucrèce le laisse sortir avec ses amies, au moins, il pouvait profiter sans qu’elle s’inquiète trop, et puis lui, il pouvait s’alcooliser et se défouler, oublier ses propres problèmes le temps de quelques heures. Il se penche un peu quand Juliet se rapproche, colle son oreille contre sa bouche, sent son haleine sucré contre son lobe, étire un peu plus son sourire de chat, sa main sur l’avant bras de la sorcière comme pour éviter qu’elle s’effondre tout à fait sur ses genoux. Ça ferait mauvais genre..

- Spill the tea, deary, j’suis là pour ça. Et après, on part danser, t’es en train de prendre racine et le mec derrière te mate le cul comme il le ferait avec le croupion d’un abraxan avec un turf !

Dans les lumières éblouissantes des spots, la réalité parfois maussade des vies de la jeunesse dorée se paraît de couleurs étranges et bigarrées, loin de la platitude des convenances et de l’étiquette. De là où il était, Lorcan pouvait aisément oublier que Juliet était une Blackthorn, agnelle parmi les loups aux dents pointues, à moins qu’elle ne soit que louve en devenir, chiot fou aux crocs recouverts de gencives juvéniles. L’avenir seule pourrait infirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses, de toute façon. Le Tamaharu ricane à nouveau, secoue la tête avec un air fat.

- J’suis pas calme, Ptite Juju, je m’échauffe. Laisse moi encore un peu de temps et tu m’arrêteras plus.

Ce n’était pas tout à fait vrai, Lorcan connaissait ses limites, et bien, qui plus était, et surtout, surtout, maintenant qu’il était fiancé à Lucrèce, il prenait garde à ne plus tout à fait perdre le contrôle. Il connaissait bien trop d’histoires dramatiques de types incapables de garder leur bite dans leur caleçon, et leur langue dans leur bouche, et qui à cause de ça, ruinait une relation prometteuse, voire idyllique. Oh, wait. Il roula des yeux avec exagération en sifflant tranquillement son cocktail, laissant l’alcool infuser lentement dans ses veines, pulsant jusqu’à ses tempes, réveillant ses jambes dans une envie de gigoter et de rire. C’était ce qu’il y avait de bien avec Lorcan, il avait l’alcool plus festif qu’autre chose. Sauf quand il croisait Peter. Mais bizarrement, Juliet ne se serait pas trop plainte qu’il lui foute un pain dans la gueule pour de vrai, cette fois ci, il en était convaincu.

Quand elle lui marmonna son secret, il manqua de recracher son alcool par le nez, persuadé qu’elle allait vraiment lui dire quelque chose de compromettant, alors que, Come on, personne n’était capable de danse comme Ymkje, elle avait le rythme dans la peau et le diable au corps.

- Krkrkr ouais, choqué et déçu. Et sinon, l’eau ça mouille et le feu ça brûle et Peter est un connard, si tu veux qu’on balance des évidences en enchainant les shots.

Il la laisse s’éloigner un instant, en profite pour dégainer son portable pour écrire rapidement à la De Gray. Lui dire que tout se passe bien, que Juliet a l’air contente. Qu’il pense à elle, aussi. Il appuyait sur envoyer alors que la blondinette réapparaissait dans son champ de vision, triomphante, les joues roses, ses petites mains pleines de doigts fins chargées en petits verres de liquides de toutes les couleurs. Il n’était pas spécialement fan de shooters, mais enfin, si cela permettait de contenter Juliet, il pouvait bien faire un effort.

- Tu vas voir ce que ça donne, un professionnel, Ptite Juju. Santé, et t’étouffe pas avec le tien !

Il avait frotté ses mains comme pour s’échauffer, fait rouler ses épaules en avant, puis en arrière, craquer sa nuque, avant de se saisir d’un verre, puis du deuxième, puis du troisième. Il les avait enquillé à une vitesse folle, directement au fond du gosier, tant est si bien qu’il serait quasiment incapable de dire si il s’agissait de fraise, de framboise, ou de praline-menthe-cerise. En même temps, les shooters, ça goutait surtout la décadence et l’alcool fort, en général. Il secoua la tête avec une grimace victorieuse, puis attrapa les mains de la summerbee pour la tirer de sa chaise.

- Ca suffit de faire la grue de comptoir, on danse !

Autre avantage d’avoir le Tamaharu comme partenaire de goguette, contrairement à certains garçons, il n’était jamais contre un petit tour sur la piste de danse, et une fois sur place, il ne se contentait certainement pas de remuer timidement les épaules. Non, il y allait à fond, sous l’influence de Cook, de la tentacula, de l’alcool ou tout simplement d’un rythme entrainant. Ce n’était pas toujours parfait, mais en vrai, il s’en foutait pas mal, et le rendu n’était pas si pire… en tout cas pour quelqu’un qui était déjà à deux grammes.

- Montre nous ce que tu sais faire, Blackthorn !

Loki ne s’était pas fait prier pour rejoindre la piste de danse. Contrairement à tous ces types qui n’étaient là que pour faire flamber leur argent en faisant les beaux dans le carré VIP, lui était là pour faire le beau, flamber son argent ET danser, sans quoi il ne pouvait pas décemment être le meilleur ami de l’inimitable Ymkje. Et puis, Juliet avait peut être la mémoire un peu courte, mais de tout temps, le Tamaharu avait été le chevalier servant de toutes les adolescentes sangs purs désœuvrées dans les bals consacrés : jamais à court d’énergie, il était expert en valse, comptant les temps et les mesures sans jamais rompre le cadre strict de ses cours, il maitrisait fort bien les autres danses de salon les plus sages, ainsi que quelques autres aux nuances hidalgos un peu plus osées. Las, il n’était certainement pas assez beau, ado, ni même grand, tout potelé qu’il était pour que cela attire autre chose que la reconnaissance distraite des inconnus, et celle soulagée de ses amies déjà proches. Bizarrement, maintenant, elles étaient toutes bien plus promptes à venir poser leurs mains dans les siennes et à lui demander quelques tours de piste, allez savoir pourquoi, mais il y avait quelque chose d’assez jubilatoire (et puéril, aussi) à devoir leur dire de patienter, faute de répertoire suffisant pour toutes les faire tournoyer ...

- C’est parti mon Kiki.

Sans hésiter une seule seconde, il s’était saisi de Juliet pour la soulever par la taille, tournant sur lui même pour lui faire profiter de la vue au dessus de son mètre quatre vingt huit. C’était qu’elle était pas bien grande, la Blackthorn, et qu’elle ne devait pas avoir trop l’habitude de dépasser son monde d’une bonne tête. Après un coup d’oeil vers Cook’, il se remit à danser, passant d’un pied à l’autre tout en remuant les épaules. Il sentait son corps s’échauffer, à mesure que les shots d’alcool fort que lui avait fait engloutir Juliet faisaient tranquillement leur chemin à travers ses veines. Il n’était pas encore en état d’ébriété avancé, mais il se sentait bien. Vraiment bien même. Son invitée s’amusait, s’agrippant de temps à autres à lui en gloussant. Ça ne le dérangeait pas, bien au contraire, son comportement outrancier trompait son monde, et évitait à des types un peu trop avides de contact de s’approcher trop prêts de la Blackthorn. L’ambiguité l’arrangeait bien, pour le moment, et Ju’ ne semblait pas trop s’en rendre compte non plus. Lui prenait simplement garde à ne pas descendre ses mains trop bas dans son dos, mauvais réflexe malheureusement trop humain, et pour le reste, ma foi, il trouvait qu’il se débrouillait pas trop mal. En tout cas, il en avait l’impression quoi. La musique se faisait de plus en plus rapide, langoureuse aussi, le dj du coin avait décidé de passer à la vitesse supérieure. Le jeune sorcier jeta un coup d’oeil à sa meilleure amie, s’assurant qu’elle ne s’était pas fait encercler par des importuns, mais non, Cook avait jeté son dévolu sur une superbe jeune femme qu’il ne connaissait absolument pas (et elle non plus, d’ailleurs, il en était presque persuadé). Ses mains sur les hanches de Juliet, il balladait son regard dans la foule, l’air pensif, avant de le reposer sur elle avec un petit sourire.

- Bah tu vois que tu te débrouilles pas mal, finalement. T’es moins coincée que tes sœurs et que tes cousines en tout cas !

Malgré toute l’expérience qu’il avait accumulée au travers de ses nombreuses amitiés féminines, Rien n’y faisait. Il. Tombait. Dans. Le Panneau. A. Chaque. Fois. Puisque Juliet n’était pas plus idiote que la moyenne, et c’était même plutôt l’inverse, elle apprenait chaque seconde qu’elle passait avec lui à quel point il était facile de le mener par le bout du nez. Il l’avait laissé se rapprocher de lui pour lui permettre d’accéder à son oreille et son conduit tubulaire, et ce qu’elle lui chuchotait lui fit piquer un léger fard. Il ne voulait pas être désagréable avec Juliet, il pensait surtout la faire rire, en aucun cas à la blesser ou lui faire de la peine. Cela se peignait sur la face du Tamaharu.

- Quoi ? Non, non non non non non ! C’est juste, euh, je ne t’avais jamais vu dans un tel contexte avant, t’étais un peu, euh, sous cloche, non ? Mais du coup, franchement, ça valait le coup d’attendre un peu, promis.

Il la gratifia d’un sourire un peu gêné, la faisant tourner sur elle même avant qu’elle ne … Vienne se recoller un peu plus. A lui. Quand il s’agissait d’Ymkje, il en profitait, dans le sens où ils pouvaient en faire des caisses, tous les deux, sans que cela ne crée jamais la moindre gêne entre eux, puisqu’il n’y avait pas, il n’y avait jamais eu, il n’y aurait jamais, la moindre ambiguité entre eux. Juliet en revanche, c’était une autre paire de manche.

- Faut pas jouer à ce genre de jeux, ptite Juju, c’est pas forcément très malin … T’as rien à prouver à personne en vrai, tu es … Tu es déjà hyper jolie, tu es fun, tu es rayonnante et pleine de vie. Franchement, désirable, c’est naze comme façon de se qualifier, t’es pas … un objet qu’on doit vouloir posséder ou non. Tu vois ce que je veux dire ?

Il attrapa ses doigts pour les mêler aux siens, pendant qu’ils dansaient, et bloqua son dos contre son torse, se déhanchant doucement. Il lui fit remonter le menton pour qu’elle regarde le plafond, à travers les spots et les stroboscopes. il y avait sur le plafond des miroirs qui  renvoyaient leurs reflets en contre-plongée, leurs corps serrés, leurs yeux brillant qui refletaient des lumières de synthèse comme magique.

- Regarde comme on est beau et cool. Regarde comme Cook’ est incroyable. Le reste en vrai, on s’en fout. Les autres, ils nous arriveront jamais à la cheville.

Lorcan se détendit, sensiblement, en remarquant enfin que Julier se contentait de se payer sa tête, comme bien d’autres avant elle. C’était là l’avantage de faire partie du cercle restreint des amies proches du Tamaharu : elles pouvaient toutes le mener par le bout du nez, il acceptait les moqueries, douces, comme mordantes, avec une complaisance que personne d’autres ne lui connaissait. Il avait tendu la joue pour accueillir le baiser de Juliet, captura du coin de l’oeil le regard jaloux d’un prétendant dépité, qui n’entendait probablement pas leur conversation sous les boumboums assourdissants. Il leva un majeur en sa direction, par pur esprit de provocation, avant de se reconcentrer sur la jeune Blackthorn et ses questions, qui à défaut d’être perspicaces, étaient décidement de plus en plus drôles.

- Comment je quoi ?

Cette fois-ci, Lorcan éclata de rire, un rire bruyant, pas très gracieux, alors que ses bras se refermaient mécaniquement sur Juliet, la faisant vibrer aux fracas des gloussements qui secouaient sa propre poitrine.

- Hahahahahahahahhhh ça, faudrait que tu le demandes à Cook’, j’crois qu’elle adorerait te raconter le nombre stratosphérique de rateaux que je me suis pris avec les disquettes les plus Nazes de l’univers. Non vraiment, j’suis pas un bon exemple, héhéhéhéhéhuhuhuhu…

Avait elle oublié, la Blackthorn, a quel point il avait pu souffrir de son physique ingrat, avant que la puberté ne vienne le frapper en plein dans les pectoraux ? Elle l’avait connu pourtant dans ses années poufsouffle, quand il n’était encore qu’un gamin rondouillard et un peu pataud, le petit rigolo du groupe prompte à s’attirer des ennuis, mais certainement pas les regards langoureux des filles. Ils s’étaient croisés à l’adolescence ensuite, quand il était parti à beaubâtons, et ce n’était qu’à peine plus glorieux … La métamorphose était récente, physiquement d’abord, mentalement ensuite. Et encore, il avait bien souvent l’impression d’avoir un train de retard sur toutes les demoiselles qu’il fréquentait. C’était à se demander ce que Lucrèce lui trouvait, parfois, tant il lui semblait être à coté de la plaque.

- Franchement, si Lucrèce avait pas eu pitié de moi, je serais encore probablement un gentil puceau qui fait le beau avec sa guitare sans jamais conclure que dalle, je pense que sur ce plan là, tu m’as dépassé avant même de t’en rendre compte. Pis c’est pas pareil, pour les filles, c’est plus facile, les mecs restent de gros, gros cons, z’avez pas grand effort à faire en vrai. Pour la drague, en tout cas.

Ça ne le dérangeait pas, d’ailleurs, de le concéder. Il fallait dire qu’il avait gardé une certaine candeur quant à la réalité de l’attraction qu’il exerçait sur les jeunes femmes de son âge, maintenant. D’abord, parce qu’Ymkje avait toujours pris grand soin d’écarter celles qui auraient pu venir y planter les griffes, territoriale amie qu’elle était. Ensuite, parce qu’il n’avait plus eu d’yeux que pour Lucrèce, dès lors qu’elle lui avait fait comprendre qu’elle voulait bien de lui. Alors les oeillades et le rentre dedans parfois pas spécialement subtile de certaines lui passaient mille lieux au dessus de la tête.

- Par contre si tu veux des tips pour tomber amoureuse, ça, je suis hyper bon, j’ai du avoir genre un milliard de crush avant Luce.

L’air outré de Juliet était aussi hilarant que flatteur : était ce si perturbant pour elle de s’imaginer que sa vie amoureuse et sexuelle n’avait débuté que quelques mois auparavant ? De toute évidence, oui, et c’était absolument tordant. Lorcan était un monstre d’égo, mais certainement pas sur le sujet : probablement parce qu’il ne regrettait pas une seule seconde d’avoir attendu de trouver (et séduire) « la bonne » pour découvrir tout ce que cela impliquait.

- Ce que j’ai foutu ? J’ai couru après Pina, et puis après Aphrodite, et puis une superbe italienne du nom d’Alessia, qui était une année plus vieille que moi, dans la maison du feu, ah, ça à du au moins durer quinze jours… Et toujours, des bâches, des rateaux, des gadins, des courageux, des héroïques, des violents, des privés, des en public, un vrai bonheur ! et puis un jour, Luce a décidé qu’elle avait un peu de temps à perdre sur mon cas, and Here I am.

Le voici, donc, heureux, amoureux, dans la merdre jusqu’au cou, prêt à affronter le monde pour les yeux de sa belle. Juliet pouvait bien plisser le nez, se dire que non, vraiment, ça ne l’interessait pas, Loki n’y croyait pas une seule seconde. Peut-être parce que la jeune Blackthorn lui ressemblait, un peu, par certains aspects, et qu’elle avait cet intense besoin de plaire, comme lui, qui faisait écho à une envie d’amour, de fusion, de passion et d’absolu. Bien sur, elle était tombée sur le mauvais cheval avec ce nigaud de Maximilien qui, clairement, n’avait aucun gout pour lui préférer Peter le Freak, mais il y aurait bien un garçon, quelque part, qui irait lui décrocher la lune pour en faire un pendentif à son cou, et quelques étoiles pour l’accompagner en parure pour le lobe de ses oreilles. Il lui embrassa la tempe avec un sourire, grimaça parce qu’elle était luisante de sueur, avant de reprendre avec un sourire :

- Profite autant que tu peux, on sait jamais quand est ce que nos darons se décident à péter un cable… Je sais de quoi je parle.

C’était peu de le dire. Il avait une bague de fiançailles à l’annulaire maintenant, et il ne se serait certainement pas risquer à la quitter pour sortir. D’abord, c’était vraiment pas délicat, ensuite parce que Luce le tuerait si il la perdait ou que José venait à la voler, et ensuite … Parce qu’il avait été forcé de constater que ça ne décourageait pas les plus effrontées, loin s’en fallait. Plutôt l’inverse, même.

- Bon, allez, moi j’ai plus le droit de le faire, mais tu veux qu’on te trouve un amoureux, juste pour ce soir ? On le prend comment ? Grand, costaud, ténébreux ? Ou un surfer blond ? J’suis grand, je peux les repérer de loin ! juste… Pas un barman, les mecs sont des nids à MST, crois en mon expérience, ils peuvent pas s’empêcher de tremper leur touillette dans tous les shakers, héhé.

Lorcan avait mis un certain temps à comprendre ce qu’était l’amour, le vrai, le véritable : rétrospectivement, il avait couru après des fantasmes, des projections de ce qu’il s’imaginait être l’amour, qui n’étaient au final que de courtes obsessions d’adolescent, l’attraction aux courbes, aux sens, à la chair, à l’inaccessible, aussi. Les jeunes femmes qu’il était persuadé étaient des images, des visions, presque des concepts, plus que de véritables partenaires potentielles : preuve en était, quand certaines finissaient par lui adresser la parole, qu’elles devenaient plus tangibles, matérielles, il se retrouvait pantelant, à se glisser dans la peau du bon copain inoffensif sans jamais chercher à les séduire sérieusement. Et puis, il y avait eu Lucrèce. Lucrèce qu’il avait toujours trouvé intensément belle, bien sur, mais qui existait déjà, dans son monde, depuis suffisamment longtemps pour ne pas être qu’une histoire contée à l’intérieur de sa tête. Lucrèce qui lui avait fait découvrir ce qu’était le plaisir de tenir quelqu’un dans ses bras, mais surtout, le manque, le creux qui se formait dans le ventre, l’absence : il avait des tas d’amies, mais il fallait de longues journées loin des yeux pour qu’il ressente le besoin de donner un signe de vie ou d’en demander. Avec la De Gray, les heures d’absence, surtout au début, en était presque physiquement douloureuses : il voulait être avec elle, tout le temps, peu importait si cela était utile ou non, même le silence était plus agréable en sa compagnie. Et pourtant, Merlin seul savait à quel point il détestait le calme.

- Parcours du combattant ouais… Mais ça en valait quand même carrément la peine.

Il chassa ses réflexions un peu rêveuses pour se concentrer sur des aspirations plus légères, mais avec un air tout à fait sérieux : trouver. Un. Keum. A. Juju. C’était une sacrée responsabilité, si il était accusé par la suite de lui avoir présenté un boulet, ou pire, un moche, sa réputation ne s’en remettrait surement jamais. Il tira un peu plus sur son cou pour grappiller quelques centimètres de champ de vision, plissant les yeux comme pour en chasser les flashs de stroboscopes.

- okay, alors, voyons… Le barman, on a dit que c’était non, pis de mémoire, celui là, il aime plutôt les mecs. Après, euh, yen avait un pas mal mais il est en train de gérer une go rousse avec des ongles tellement longs que j’aurai peur qu’elle te tranche la gorge si tu lui piques sa target… Ce que tu pourrais faire, parce qu’elle est cheum. Bon alors… yen a un pas mal, là bas. A l’attaque !

Il avait attrapé la main de Juliet et avait ouvert la marée des corps festifs de son bras libre, en direction de leur objectif. Enfin, le sien. A elle. Mais qu’il avait choisi lui. Enfin, bref, toujours était il que sans la moindre hésitation, il avait tapoté sur l’épaule de l’inconnu, de dos, et se fut avec un certain soulagement qu’il constata qu’il avait plutôt une bonne tête. Grand, ok. Brun, ok. Ténèbreux… C’est hyper dur à dire, dans le noir, quand même. Mais il avait d’énormes tatouages sur les avants bras, et ça c’était bueno.

- Salut mon gars, bien ? Cool tes tatouages, on les a vu de loin, ils sont chaaaaanmé. Tu connais ma pote Juliet ? J’en ai marre de danser et elle cherche un cavalier pour éviter les relous.

Il était prêt à s’envoler vers d’autres distractions avec la satisfaction du devoir accompli, le Tamaharu, mais de toute évidence, il était allé un touuuut petit peu vite en besogne. Avant même qu’il ne puisse commander un autre verre, cette brave Juliet était revenue s’agripper à lui avec une petite moue gênée, et une excuse pour fausser compagnie à son beau ténébreux. Lorcan leva les yeux au ciel et soupira bruyamment, avant de s’accouder au bar et de reprendre deux boissons hors de prix :

- Ok ok, pas la rock star … T’es un peu difficile quand même non ? je veux dire, si tu voulais pas pécho, t’aurais pu jouer à essayer de le dégouter, ça aussi on le fait avec Cook des fois, et c’est teeeeeellement drole. Bon, allez, je t’en chercher un autre… Mais après si ça te convient pas, tu te débrouilles, hein ?

Son verre à la main, la paille fluo coincée entre deux dents, il reprit son rôle de tour de contrôle de l’amour et de la volupté. Avec les stroboscopes et une certaine dose de boisson dans les veines, il ne lui était pas spécialement facile de se concentrer, mais il faisait de son mieux, vraiment. Après avoir écarté les trop vieux, les trop jeunes et les trop moches, sont choix s’arrêta, finalement, sur un type qui lui paraissait vaguement familier : un grand brun, avec un physique à la fois avantageux mais pas trop (à ses gouts de jeune homme hétérosexuel, en tout cas), entouré de quelques potes à la beuverie joyeuse : déjà, il était pas venu seul, ce n’était donc probablement pas un stalker creepy ou un asocial mal embouché. En tout cas, sur le papier. Ou sur le comptoir. C’était pas méga clair, dans l’esprit de Loki. Il loucha un moment sur le type au tarbouif aquilin, avant de pincer l’oreille de Juliet pour attirer son attention, lui attrapant le menton pour lui désigner l’inconnu qui ne l’était pas tant.

- Bon, le type, là, le plus blasé, c’est assez « challengeant » pour toi ? C’est pas un mec du personnel de la fac, d’ailleurs ? Allez p’tite Juju, montre moi de quel bois tu te chauffes… Un verre et ça repart, héhé !

Il la fit trinquer, boire son verre d’un trait, avant de l’envoyer se jeter à l’eau. Dans sa poche, son téléphone s’était mis à vibrer : Lucrèce, bien sur. Il fit un petit signe à la summerbee avant de s’éloigner, en direction du fumoir et d’un peu de calme. Après tout, la Blackthorn était une grande fille, il ne doutait pas une seule seconde qu’elle se débrouillerait comme une cheffe.