Dimanche 16 mai, soir

Brisée. Je les avais vus monter ensemble, en fin d'après-midi. Après un temps extrêmement long, j'avais fini par monter pour voir Juliet, ma meilleure amie depuis toujours, sortir échevelée et mal rhabillée de la chambre de mon petit-ami. Mon sang s'était glacé dans ma poitrine. Je lui avais souri, lui demandant d'où elle venait, habillée comme ça. Sa réponse avait confirmé toutes mes craintes. "Okkkk ! Je sais que c'était pas une bonne idée Gracie ! Je le sais trèèèèès bien. Mais c'était juste une fois, t'inquiète pas..." "Tu.... devrais rentrer chez Ailla. Tu es ivre." "Non mais t'inquiète, ça va, hein..." Mes poings se serrèrent. Aurais-je préféré qu'elle soit complètement ivre? Oui, sans doute.  "Ah. Tant mieux alors. Excuse-moi, j'ai mangé un truc que je n'ai pas digéré. Je vais aller m'allonger. Retourne avec les autres." "T'es sûre? T'as l'air bizarre." "Certaine. Ca ira mieux demain." étais-je parvenue à dire dans un souffle avant de me précipiter vers ma chambre, le coeur battant à tout rompre de cet échange trop long à mon goût. En quelques heures, j'étais passée d'une très agréable journée de printemps à faire la fête avec mes amis à l'enfer sur terre, ayant surpris Juliet et Jolan ensemble. Certes, je ne les avais pas pris sur le fait, n'étant pas entrée dans la chambre. Mais Juliet venait de confirmer toutes mes craintes. Je m'enfermai dans ma chambre, en larmes.

Je lui avais fait confiance. Je lui avais donné mon coeur, lui demandant de ne pas jouer avec. Je lui avais fait confiance, alors même que j'étais au courant de sa réputation. Je n'avais pas écouté @Ymkje de Booij alors qu'elle m'avait prévenue que c'était une mauvaise idée de sortir avec lui. Et aujourd'hui, il venait de me le prouver de la pire des façons. Pourquoi? Parce que nous n'avions pas encore couché ensemble? Il avait éprouvé le besoin de le faire avec une personne que j'aimais comme une soeur? J'attrapai une ballerine en porcelaine qui trônait sur mon piano droit et la lançai contre le mur en criant, l'explosant en milliers de morceaux comme l'était mon coeur. Ymkje avait raison. J'étais trop douce, trop rêveuse trop... Je secouai la tête, essuyant mon nez avec un mouchoir avant de redresser la tête. Je n'avais pas le droit de laisser passer ça. Il venait de piétiner mon coeur, montrant à quel point je n'étais rien du tout pour lui. Je ne peux pas rester là... songeai-je. Pourtant, je ne pouvais pas partir alors que la fête menait son plein en bas. J'étais obligée d'attendre.

J'avais envie de fuir, pourtant. Mais il me faudrait attendre le matin pour le faire. Cela ne m'empêchait pas de préparer mes valises pour m'enfuir dès demain matin. C'était ça ou aller le confronter, de toute façon, et je ne m'en sentais pas capable. La nuit me porterait conseil. Tant pis. Pour une fois, je n'irai pas en cours demain matin. Je quitterai cette colocation dont j'avais trop attendu. Alors même que j'adorais Ymkje et que j'appréciais Murdoch. Mais je ne pouvais pas rester sous le même toit que Jolan. Ce n'était pas possible.

lundi 17 mai, matin

Je n'avais pas fermé l'oeil de la nuit, rêvant à ce qu'il s'était passé entre Juliet et Jolan la veille. A chaque fois, cela m'avait réveillée et je ne pouvais que m'imaginer qu'ils allaient sortir ensemble, et sous mon nez, en plus. Reniflant toujours, je descendis dans la cuisine pour prendre mon petit déjeuner à une heure où, en théorie, ils auraient tous dû être partis pour l'université. Alors pourquoi est-ce que lui il était là? Ce traitre qui m'avait brisé le coeur? Déglutissant, je passai devant lui pour me faire chauffer un thé, tâchant au mieux de l'ignorer.

"Choupette?" Je me figeai un instant avant d'attraper la bouilloire en fonte. Dans ma tête, je me voyais la fracasser sur la pommette de l'amérindien, sans en tirer aucune satisfaction. Alors que ne fis rien pour la lui lancer au visage. Je crispai mes doigts dessus, faisant de mon mieux pour l'ignorer alors que l'envie de hurler et de pleurer à la fois se bataillaient à nouveau dans mon esprit une fois l'envie de violence passée. "Il... Je dois te parler d'un truc. Je..." Je me redressai, rejetant mes épaules en arrière. A son début d'aveu, je réagis par le silence. Je n'avais pas envie de lui parler. Pas alors que j'avais envie de hurler. Et puis.... Je devais bien admettre qu'une partie de moi, clairement masochiste, avait désespérément besoin de savoir ce qu'il allait me sortir comme prétexte. "J'ai déconné hier." Au moins, il ne me prenait pas pour une idiote. Il n'essayait pas de prétendre qu'il ne s'était rien passé.

La bouilloire siffla, indiquant que l'eau à l'intérieur était chaude et je me saisis d'un torchon avant d'en prendre la poignée. Le temps pour Jolan de prononcer ces trois phrases, j'avais pris un mug, une boule à thé, des herbes pour parfumer mon thé et avais préparé le mug à recevoir l'eau chaude. Une fois de plus, pourtant, j'eus envie de le frapper avec la bouilloire. Ces pensées violentes ne me ressemblaient pas, mais, au moins, elles avaient le mérite de m'empêcher de me mettre à pleurer devant lui. Parce qu'il ne le méritait pas. Clairement. Avec autant de calme que j'étais capable d'en manifester, je versai l'eau dans la tasse. Ma main tremblait, pourtant, plus que je ne l'aurais voulu et je fini par lâcher un: "Je ne sais même pas comment j'ai pu avoir confiance en toi..."

"Je..." Je ne te dois rien? Je n'ai rien à te dire? Je n'ai pas à me justifier? Un tas de réponses possibles de sa part traversait ma tête et, au fond: "Je ne veux rien savoir." dis-je d'un ton étrangement calme et froid. J'étais au bord de la crise de nerfs, pourtant. Ca promettait pour la suite. Mais pour l'heure, je gardai cela contenu en moi, comme si mon subconscient estimait qu'il n'était pas digne de voir mes émotions. C'était un peu ça, en même temps. Mais il reprit la parole pour m'annoncer ce que je savais déjà. "Autant y aller : j'ai couché avec une fille hier." "Je sais." répondis-je sans me retourner. Mon thé infusait et je remuais une cuillère à l'intérieur du mug, le regard fixé sur la piscine à l'extérieur. "Ma meilleure amie. Je vous ai vus monter. Puis je l'ai vue sortir de ta chambre. Heureuse." Mon ton était blasé, mais j'étais brisée, en vérité. Pouvais-je laisser éclater ma colère? J'en avais bien besoin, en tout cas.

"Je suis un con, je le sais. Mais j'ai jamais voulu te faire mal." "Je ne vais pas dire le contraire" répondis-je d'une vox sans émotions, tellement contraire à ce tourbillon qu'il y avait en moi. "Pourquoi tu l'as fait, alors? Ca t'a semblé une bonne idée sur le moment? Elle t'a ensorcelé pour ça? Tu avais trop bu? Tu sais quoi? Garde tes raisons. Je n'en veux pas. Elles seront toutes mauvaises, de toute façon." répliquai-je. Parce que la seule véritable raison qui me venait en tête, c'était que c'était ma faute. Parce que jusque là, je ne m'étais pas sentie prête à coucher faire l'amour avec lui. Alors c'était de ma faute s'il était en manque et s'il était allé voir ailleurs. Non? Si. Forcément. Dos à lui, j'essuyai la larme qui venait rouler sur ma joue.

"Ton collègue avait raison, en fait. J'aurais dû l'écouter, l'autre fois. Au lieu de te faire confiance."

Okay, la dernière phrase que je lui avais dit, c'était petit. Un façon de faire mal autant que moi j'avais mal. Mais ce qu'il répondit derrière, c'était pire. Je reniflai et ris à moitié avant d'enfin me tourner vers lui, avec dans le regard autant de douleur et de chagrin que de colère. "Non, bien sûr... Ce n'est pas de sa faute... Quand on couche avec quelqu'un, c'est à sens unique.... Tu lui as versé un filtre d'amour? Ou bien une potion qui annihile sa volonté? Tu l'as violée peut-être et oubliettée derrière?" suggérai-je, sachant bien qu'aucune de ses suggestions n'était possible et au fond, c'était peut-être mieux. Parce que si une de ces éventualités avait été vraie, je me serais encore plus trompée sur lui que je ne le pensais.

Et parce que j'étais persuadée que ça ne pouvait que venir de moi: "Alors dis-moi... C'est forcément de ma faute, si tu es allé voir ailleurs, et si tu as choisi ma meilleure amie celle en qui j'ai toujours eu confiance et à qui j'ai confié tous mes secrets. Alors? C'est parce qu'on a pas couché ensemble toi et moi? Ou bien je ne suis pas assez ben pour toi et c'est ta façon de le montrer? Ou alors je ne suis pas assez jolie? Ou autre chose? C'est quoi la raison, hein? C'est quoi?" Si jusque là, j'avais su me contrôler, c'était fini à présent. Mon ton était monté dans les aigüs alors que je peinais à en contrôler le tremblement et les larmes avaient commencé à rouler sur mes joues, gagnant en intensité au fur et à mesure que je parlais. Finie, ma belle maîtrise de moi-même.

Il détournait le regard. Est-ce que c'était horrible à ce point de me regarder? Alors même qu'il me disait que ce n'était pas ma faute? "Ce n'est pas toi, c'est moi." Exactement ce qu'on disait lorsqu'on s'apprêtait à quitter quelqu'un parce qu'on considérait que l'autre n'était pas assez bien. "Alors... Pourquoi?" demandai-je, ma voix se brisant complètement. Un souffle. Ma voix n'était plus qu'un souffle alors que je cherchai son regard. "C'est toi, qui m'a embrassée en premier. Alors même que tu m'as dit qu'Ym ne voulait pas que tu m'approches. Tu savais comment j'étais. Alors.... Pourquoi?" un chuchotement. C'était tout ce que j'étais capable de produire. Ma voix était complètement bloquée dans ma gorge alors que je m'essuyai le nez d'un revers de manche. Tant pis pour le côté classe. De toute façon, mes yeux rougis et mes joues baignées de larmes suffisaient à montrer à quel point j'avais abandonné la bienséance si chère à ma mère. J'avais besoin d'un raison, d'une excuse pour accepter ce que j'avais compris la veille.

Et, soudain, l'idée horrible qui effleurait mon esprit. Et si Juliet n'avait pas été la seule? Ma gorge se serra, ma respiration se bloqua dans ma poitrine. J'eus l'impression que j'allais suffoquer et me rattrapai à une chaise pour m'asseoir alors que mes jambes se mettaient à flageoler. "Combien de fois? Combien de filles?" demandai-je alors que je me revoyais marcher main dans la main avec lui dans Hungcalf et dans les rues d'Inverness. Combien de filles s'étaient-elles moquées de moi en sachant qu'il m'avait trompée avec elles. Cette idée m'était insupportable, mais j'avais besoin de savoir. Et la dernière: "Et pourquoi Juliet?"

Pas de raison? Je ne méritais même pas une explication? Même une petite? J'avais besoin de savoir. Je méritais de savoir pourquoi les garçons dont je tombais amoureuse finissaient par me quitter en me prenant pour une idiote, ou en me trompant. Malcom l'avait fait en me disant que j'étais un mauvais coup et qu'il était lassé de moi et Jolan venait de me tromper avec celle qui, la veille encore était ma meilleure amie de toujours. Au moins, elle m'aurait ouvert les yeux: je ne valais pas le coup qu'on me respecte, ou qu'on m'aime. Je détournai à mon tour le regard: à quoi bon le regarder si lui ne le faisait pas? Et je m'essuyai à nouveau les joues. Si me voir pleurer ne suffisait pas à ce qu'il me dise ce qu'il me reprochait, à quoi servait que je lui manifeste mes émotions? "Parce que tu en avais envie sur le moment. C'est vrai. Pas parce que je te plaisais. Ce que je peux être idiote..." répondis-je, amère, mon coeur se brisant un peu plus. Moi, petit coeur d'artichaut, j'y avais cru, vraiment cru que je lui plaisais, et dans ma tête, ça voulait dire quelque chose. Même si je n'avais pas voulu y croire tout de suite. Même s'il m'avait fallu la soirée pour que je me dise que oui, j'avais un petit copain. 

"Je t'avais demandé de ne pas jouer avec mon coeur, pourtant. Je t'avais dit que je m'attachais vite." répondis-je, d'une voix plaintive. J'étais tellement ridicule. On ne m'y reprendra pas me promis-je. Je ne donnerai plus mon coeur. A personne. poursuivis-je dans ma tête. Pourquoi avait-il fallu que j'attrape mon téléphone pour appeler la Moufette? Pourquoi avait-il fallu que je l'accompagne? Pourquoi étais-je tombée amoureuse de mon colocataire? Malgré le baiser, si j'étais restée à la maison au lieu de l'accompagner, rien de tout cela ne serait arrivé.

Masochiste, je voulus savoir combien de fois c'était arrivé - qu'il me trompe - et avec combien de filles. "Aucune."  "Je vois... Tu t'es réservé pour ma meilleure amie, afin de me faire le plus mal possible?" Le pire dans tout ça, c'est que moi, j'avais été là pour Juliet lorsqu'elle avait découvert que son fiancé était amoureux de son cousin, et réciproquement. Et pour moi? Qui serait là pour moi? Elle? Je grimaçai; Non, bien sûr que non...

Je grimaçai à nouveau, après m'être pris un coup de poignard en plein coeur et me levai d'un bon pour reculer, renversant ma chaise du même coup. "Tu dis que tu m'aimes? Mais tu dragues ma meilleure amie jusqu'à coucher accidentellement avec elle? Quel mec drague la meilleure amie de sa petite amie dont il est amoureux?" demandai-je. Et quelle meilleure amie couchait avec le mec de sa meilleure amie? Okay, je n'avais pas eu le temps de finir ma phrase quand j'avais voulu dire à Juliet que je sortais avec Jolan. Il était arrivé avant que j'ai eu le temps de prononcer la fin de ma phrase. C'était alors trop nouveau pour que j'ose prononcer le mot devant lui - et devant Ymkje. Je n'avais par la suite plus pensé à le dire à Juliet. Pour moi, c'était une évidence que je sortais avec lui."Rappelle-moi de plus jamais tomber amoureuse de personne."

Il disait m'aimer, malgré ce qu'il avait fait, et il ne venait même pas vers moi. Comment le croire? Mais étais-je masochiste, malgré tout ça, d'avoir envie qu'il me prenne dans ses bras? Très certainement. Mais je ne comprenais pas. J'avais besoin de comprendre. Malgré l'impression que cela pouvait donner, je ne voulais pas de dispute. Je ne voulais pas me battre avec lui. Oui, je savais qu'il était dragueur. Je l'avais bien compris avec les propos de son collègue. Mais j'avais espéré que ce serait différent, avec moi. Combien de filles l'avaient espéré aussi avant moi? J'étais tellement ridicule et pathétique. Et cette dispute ne servait à rien. J'avais exposé ma souffrance. Je l'avais livrée sur un plateau d'argent au Pokeby qui n'avait fait que fouler mes sentiments du pied.

Et le pire du pire, c'était qu'il commençait à partir de la cuisine. Vaincue, je me laissai glisser le long du réfrigérateur contre lequel j'avais fini par reculer. Qu'il parte, puisque notre couple ne valait pas le coup qu'il se batte pour le garder. J'entourai mes genoux de mes bras et posai le front dessus. "Je n'aurais jamais dû venir vivre ici..." murmurai-je avant qu'il n'ait franchi l'ouverture. "Si j'étais restée à la fac ou chez ma soeur, nous ne nous serions jamais embrassés. Je ne serais pas tombée amoureuse de toi. Ca ne m'aurait rien fait que tu couches avec elle." Et je resserrai l'étreinte autour de mes jambes pour que mes sanglots y soient étouffés, tremblante.